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L' « INVASION »

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DU MÊME AUTEUR

Histoire du catholicisme, Paris (Presses Universitaires de France, « Que sais- je? », n° 365), 1949, 2 éd., 1962 (4 éd. 1974 et éditions suivantes, avec la collaboration de J.-M. Mayeur).

Les Débuts du catholicisme social en France (1822-1870), Paris (Presses Uni- versitaires de France), 1951.

Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, Paris (Dalloz), 1953, 10 éd., 1990. (Couronné par l'Académie des Sciences morales et politiques.)

De l'utilisation des sondages d'opinion en histoire et en science politique, Bruxelles (Insoc), 1957.

De Wilson à Roosevelt. Politique extérieure des États-Unis, 1913-1945, Paris (A. Colin), 1960. (Couronné par l'Académie des Sciences morales et politiques.)

Le Conflit de Trieste, Bruxelles (Institut de sociologie de l'Université de Bruxelles), 1966.

L'Europe de 1815 à nos jours, Paris (Nouvelle Clio, Presses Universitaires de France), 1964; 6 éd., 1991.

L'Idée d'Europe dans l'histoire, Paris (Denoël), 1964. Le Drame de l'Europe, 1914-1945, Paris (Éditions Richelieu), 1969, 2 vol. Le Monde déchiré, 1945 à nos jours, Paris (Éditions Richelieu), 1970, 2 vol. En collaboration avec Pierre Renouvin : Introduction à l'histoire des rela-

tions internationales, Paris (A. Colin), 1964. (Réédition 1992, Éd. Armand Colin.)

La France et les Français, 1900-1914, Paris (Éditions Richelieu, 1973. (Nou- velle édition sous presse, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques.)

La France et les Français, 1914-1920, Paris (Éditions Richelieu, 1973. (Cou- ronné par l'Académie des Sciences morales et politiques.)

La Décadence, 1932-1939, Paris (Imprimerie Nationale), 1979, 3 éd., 1984 (Prix des Ambassadeurs) ; réédité, Paris (Seuil, « Point-Histoire »), 1986.

Tout Empire périra, Paris (Publications de la Sorbonne), 1984. (Réédition refondue, Éd. Armand Colin.)

L'Abîme, 1940-1944, Paris (Imprimerie Nationale), 1982, 2 éd., 1986; réé- dité, Paris (Seuil, « Point-Histoire »), 1990).

Clemenceau, Paris (Fayard), 1988. L'Europe. Histoire de ses peuples, Paris (Perrin), 1990 (publié simultané-

ment en huit langues). (Prix Adolphe Bentinck.) Itinéraires. Idées, hommes et nations d'Occident (XIX-XX siècle), Paris (Publi-

cations de la Sorbonne), 1991.

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JEAN-BAPTISTE DUROSELLE

L'« INVASION » Les migrations humaines Chance ou fatalité?

PLON 12, avenue d'Italie

PARIS

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© Plon, 1992. ISBN 2.259.02490.4

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AVANT-PROPOS

Nous sommes tous troublés par quelques phéno- mènes inquiétants : la part de la « race blanche » euro- péenne par rapport à la population mondiale ne cesse de diminuer et, si le monde risque bientôt d'être trop peuplé, c'est aux races autres que la nôtre qu'il le devra. La surpopulation ne peut manquer d'avoir des conséquences terribles : destruction de la nature et guerre.

Un deuxième souci de même nature est lié à l'immi- gration. Si j'ai donné à ce petit livre le titre l'« Inva- sion » - j'insiste sur les guillemets - c'est que je pars d'un débat politique récent. M. Valéry Giscard d'Estaing a écrit, dans le Figaro-Magazine du 21 sep- tembre 1991, un article qu'il a intitulé « Immigration ou invasion? ». Manœuvre habile pour reprendre du terrain à M. Jean-Marie Le Pen? Ou injure à l'égard des étrangers résidant en France? De toute façon, cet article a soulevé une petite tempête dans le monde politique.

Je n'ai pas l'intention de m'y mêler. Utilisant le mot « invasion », les optimistes se contenteront d'y trouver les deux termes latins in et vadere : ce qui veut dire « aller dans ». Ils incluront sans remords l'immigration dans l' « invasion ». Les pessimistes jugeront que le mot « invasion » ne se conçoit pas sans violence, comme cela a été très souvent le cas dans les grands déplace- ments collectifs des humains. Or les masses d'« immi-

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grants » proprement dits ne cherchent pas en général autre chose que de meilleures conditions de vie; ils sépareront donc les deux mots.

Depuis plus de cinquante ans, je cherche à être un historien. Dans toute la mesure du possible, je me suis efforcé de ne pas être un historien « engagé » : celui qui utilise l'histoire pour trouver des arguments en faveur d'une « cause », religieuse, philosophique, sociale, politique. J'ai évité tout « embrigadement », et n'ai jamais appartenu à aucun parti politique, ni à aucun syndicat. Il est, certes, très louable de lutter, avec toutes les armes honnêtes, pour atteindre le pou- voir et, de là, améliorer le sort des hommes. Mais cer- tains doivent se borner à chercher et à expliquer.

Considérant que, toujours, on a assisté à de vastes mouvements multiformes des populations, et cela dans le monde entier, que la France en donne de remar- quables exemples, je voudrais découvrir les racines de ce phénomène, classer les diverses formes d'« inva- sion » et d'« immigration », montrer les divers résultats auxquels elles aboutissent, depuis le génocide jusqu'à l'enrichissement culturel.

Je ne suis pas homme d'État, et je ne propose aucun grand plan. Je ne suis pas juriste, et je ne formulerai pas des textes propres à tout améliorer. Je ne suis pas ethnologue ni anthropologue, et je n'évoquerai pas le problème des races et de leurs mélanges.

J'aspire à comprendre, et je voudrais tout simple- ment aider mes lecteurs à préciser leurs opinions. On m'excusera d'errer dans le temps et de choisir parfois des exemples anciens. S'accrocher obstinément à l'époque actuelle sous prétexte qu'elle est la nôtre, c'est se condamner à la cécité intellectuelle. On remar- quera aussi que j'ai multiplié les citations. Elles me confortent et me donnent de l'assurance, car je les ai puisées chez les meilleurs spécialistes.

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PREMIÈRE PARTIE

LES DIFFÉRENTS TYPES D'INVASIONS VIOLENTES

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LES « INVASIONS BARBARES » : L'EXEMPLE DE LA GAULE

Nous aimons tous évoquer « nos ancêtres les Gau- lois ». Nous n'ignorons pas que Jules César et les Romains ont conquis la Gaule, et que notre langue - latine - dérive de la leur tout comme la portugaise, l'espagnole, l'italienne et la roumaine. Notre nom, la France, vient de cet ensemble de tribus germaniques qu'on appelle les Francs. Poussant un peu plus loin, nous savons encore que la Bourgogne a reçu son nom d'une autre peuplade germanique, les Burgondes, que la Normandie est le pays des « Hommes du Nord », les Vikings.

En réalité, les choses sont infiniment plus complexes. Un premier examen des « strates » succes- sives et des apports divers nous est fourni, avec une précision croissante, par les linguistes spécialisés dans la « toponymie ». Nos 36 000 communes, nos centaines de milliers de « lieux-dits » commencent, grâce à eux, à dévoiler leurs secrets. De même les historiens de la démographie scrutent avec passion tous les indices qui, en l'absence de statistiques, permettent d'évaluer les populations successives.

Je mettrais bien volontiers en exergue cette phrase que Jacques Dupâquier utilise dans l'introduction qu'il a écrite pour la vaste et passionnante Histoire de la population française, en quatre gros volumes, ouvrage collectif qu'il a savamment dirigé : « La France n'est pas une île, la population n'est pas autochtone ; elle a

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toujours reçu des apports extérieurs » (tome I, p. 9). D'ailleurs, spécialement pour les invasions germa- niques, l'un des auteurs, Robert Bautier, utilise sans hésitation cette formule d'origine américaine, le « mel- ting pot » - c'est-à-dire le creuset - et il écrit un para- graphe de quarante-huit pages sous le titre « Le melting pot de la Gaule du haut Moyen Age» (p. 123-171).

Nous allons essayer de résumer ici ces données anciennes, jusqu'aux environs de l'« an mil », date à laquelle l'Occident de l'Europe, à la différence de l'Orient, cesse de voir déferler les envahisseurs.

1. Les noms de lieux en France, comme traces des peu- plements primitifs

L'un de mes maîtres, le grand médiéviste Charles- Edmond Perrin, nous disait que sa vocation était née lorsqu'il avait eu connaissance de l'Atlas linguistique de la France, publié avant 1914 par Gilliéron et Edmond. Ce magnifique in-folio consacre une page à chaque mot retenu. Cette page est une carte de France relative à un seul mot. On y voit comment se répartis- saient les termes utilisés dans une bonne centaine de patois et dialectes. Pour donner un exemple, la femelle du cheval était désignée soit par un mot tiré du latin classique, equa, soit par un mot tiré du bas-latin, caballa (cf. cavale), soit par un mot issu du latin, jumentum, qui signifiait « bête de somme » en général, et qui s'est spécialisé dans le sens plus restreint où nous l'utilisons aujourd'hui. Or songeons qu'à l'époque de la Révolution française, probablement 90 pour cent de nos compatriotes parlaient uniquement des patois et dialectes.

La toponymie est plus intéressante encore. Elle a été fondée par Auguste Longnon, professeur au Collège de France depuis 1892, mort en 1911. On ne put lui trou- ver de successeur avant 1922. (Ce fut alors Albert Dau- zat.) Deux de ses élèves, Paul Marichal et Léon Mirot, ont publié en 1968 le résultat de ses cours en deux gros

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volumes divisés en 3 134 rubriques. Ouvrage à la fois difficile et fascinant. Des progrès ont naturellement été faits depuis lors, mais l'ensemble est très riche. Un livre de 1982, écrit par Christian Baylon et Paul Fabre, professeurs à Montpellier, met bien au point les connaissances actuelles (les Noms de lieux et de per- sonnes).

Singulier début, va-t-on me dire, pour un livre sur les invasions. Deux phrases tirées de Dauzat (la Toponymie française) me justifieront et surtout les exemples qui vont suivre : « En face de l'absence ou de la pénurie de témoignages historiques, les noms de lieux consti- tuent, lorsqu'on sait les faire parler, des témoins authentiques et irrécusables qui permettent, sinon de dater, du moins de jalonner dans le temps la fondation des établissements humains. » Oui, mais un lieu habité ne peut-il changer de nom avec les populations succes- sives? Certes, cela s'est quelquefois produit. Mais les linguistes ont constaté que ce phénomène reste extrê- mement rare. « Le nom de lieu, dit Dauzat, est en prin- cipe stable, même quand un peuple change de langue. »

La première couche connue est celle des « pré-Indo- Européens », avant les Celtes, c'est-à-dire avant « nos ancêtres les Gaulois ». Eux-mêmes avaient envahi nos régions à l'époque néolithique : celle des dolmens (que l'on trouve par milliers dans toute l'Europe occiden- tale et centrale). Le néolithique commence au Moyen- Orient vers 8 000 avant J.-C. Il pénètre dans notre pays par la Provence et le Languedoc, puis par le Danube et l'Alsace, vers 4 500 avant J.-C. selon Jean-Noël Biraben (Dupâquier éd., op. cit.); enfin un peu plus tard, par l'Atlantique. La population de notre pays doit alors tourner autour d'un million d'habitants, et aurait eu plutôt tendance à décliner dans la phase suivante : l'âge du bronze et le premier âge du fer, dit de Halls- tatt, voient la population baisser; elle remontera forte- ment lors du deuxième âge du fer, dit de la Tène, et la Gaule, au temps de César, atteindra à peu près six mil- lions d'habitants.

Mais pour notre propos, il faut soigneusement distin-

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guer les pré-Indo-Européens, avant l'âge du fer (avec de grandes aires vaguement connues, Ibères, Ligures, Méditérranéens...), des Celtes, Indo-Européens qui envahissent la Gaule et l'occupent pendant l'âge du fer. Notons que c'est César qui nomme les Celtes Galli, Gaulois.

Des toponymistes ont cherché avec ardeur le « subs- trat pré-indo-européen ». Je me contente de quelques exemples tirés du livre de Christian Baylon et de Paul Fabre. Seuls quelques accidents géographiques specta- culaires ont pu garder des traces de cette période loin- taine. Ainsi Aar, qui veut dire « eau courante » : l'Aar en Suisse, peut-être l'Ariège, entre autres, l'utilise- raient. 01 signifie couler. L'Allier et le Lot en dérive- raient. Low, c'est-à-dire l'eau, aurait donné la Loire, le Loing. De même Nav, d'où viendraient la Nive et la Nièvre. Pour les montagnes, Gal nous fournit le col du Galibier. Gar, le pic de Ger près de Lourdes.

Ajoutons, pour notre malheur, que la Garonne, la Loire, la Seine, l'Adour, le Rhône ont des origines encore mal connues.

Avec les Gaulois, on sort de cette ombre mysté- rieuse. Ils sont plusieurs millions et se sont installés partout. Certes, ils perdront plus tard leur langue. Pourtant celle-ci a laissé au français quelques noms communs - une soixantaine selon Dauzat - relatifs sur- tout à la culture, à la nature : blé, charrue, soc, bec, alouette, arpent, chêne, etc. Mais on en trouve des traces infiniment plus variées dans la toponymie, d'abord purement gauloise, ensuite gallo-romaine.

Purement celtiques sont, par exemple - selon Bay- lon et Fabre - les noms de lieux dérivant de l'adjectif gaulois maros (grand), d'où Mareuil, Mareil, Mareau, Marvejols, etc. Ou bien des dérivés des noms de plantes : cassano (chêne), d'où Chasseneuil, Casse- neuil, etc.

Mais les plus connus sont les composés avec certains suffixes : dûnos ou dunum (ville close) : avec Lug- dunum (Lyon), Verdun, Issoudun. Ces toponymes se rencontrent, de la Grande-Bretagne à l'Italie, sauf en Gironde, en Savoie, Dauphiné et Jura.

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Un autre de ces suffixes, briga (hauteur, forteresse), se trouve dans les Alpes. Briva (pont) est l'origine de Brive-la-Gaillarde, mais aussi de Salbris. Le nom celte d'Amiens, Samarobriva, signifie « pont sur la Somme ». Renos veut dire fleuve : d'où le Rhin, la Renon (Jura), la Reine (Loire).

Walero signifie ruisseau : d'où la Vorse (Côte-d'Or), la Woivre (Moselle), la Voivre (Meurthe-et-Moselle).

Ce sont là des exemples pris parmi des milliers d'autres. Longnon consacre à ces noms celtiques soixante-

deux de ses rubriques.

2. Les Gallo-Romains

Vient ensuite, de 58 à 52 avant J.-C., la conquête de la Gaule par Jules César. On voit dès lors apparaître une foule immense de noms de lieux gallo-romains et romains (534 rubriques dans Longnon). Deux cas inté- ressants pour notre propos : d'abord le suffixe gaulois acos ou acum, qui s'ajoute au nom d'un propriétaire de domaines ruraux : nom gaulois parfois, beaucoup plus souvent nom romain.

Or ce fameux acos devient ig en Alsace et Lorraine, ecques en Flandre, y en Picardie et dans le bassin Pari- sien, é en Poitou et Saintonge, ay au nord de l'Aqui- taine, aj en Bourgogne, ien dans la région de Lyon, ac et at en Auvergne et dans les pays environnants. C'est le signe d'un peuplement gallo-romain très vaste, très dispersé, confirmé par l'archéologie, par les photos aériennes de villas. Et l'on comprend ainsi la dispari- tion de la langue celtique.

Arrêtons-nous là un instant, avant qu'en 404-406 de vastes armées germaniques ne percent la fortification rhénane, le « limes », et séparent à jamais la Gaule de Rome. A ce moment, trois siècles et demi après la conquête, la Gaule dispose d'un magnifique réseau de routes dallées et de villes. Phénomène toponymique curieux, ces villes ont perdu leur nom gaulois, et

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adopté le nom gaulois de leur peuplade (devenue souvent une civitas romaine). L'exemple le plus célèbre est celui de Lutèce, ville d'environ huit mille habitants selon Pierre-Marie Duval. C'est le chef-lieu des Parisii. Elle s'appellera Paris. Cesaromagus est la capitale des Bellovaques et devient Beauvais. Condate, capitale des Redones, est aujourd'hui Rennes; Conde- vinum, centre des Namnètes s'appellera Nantes. Dario- rigum est devenue Vannes, capitale des Vénètes. Robert Étienne, dans Dupâquier éd. (op. cit., p. 73), distingue clairement les villes antérieures à César, concentrées entre la Seine et la Loire et surtout en Gaule transalpine (Languedoc et Provence) et toutes les villes nouvelles, bien mieux dispersées, créées par les Romains.)

Quiconque a également vu les magnifiques photos aériennes - notamment de Picardie - où, de haut, on aperçoit dans les champs les plans de villas romaines disparues - plans que le laboureur ne pouvait perce- voir - se fait une idée émue de ce qu'a pu être la rela- tion, devenue de plus en plus intime, entre Gaulois et Romains.

Que cette belle époque gallo-romaine constitue un des grands moments pour l'histoire de la future France, cela est évident. Mais la menace pèse constamment sur elle. L'empereur Auguste n'a pu conquérir la Germanie, à l'est du Rhin, à l'exception d'un triangle qui joint le Rhin moyen (la Lahn) au Danube supérieur. A l'est de ces frontières vivent les peuples essentiellement « germaniques ». Les Romains les ont jalonnées par le limes, ligne de forteresses, qui, à la différence de la future et malheureuse ligne Magi- not, ne tend pas à une « défense linéaire » ni à une « inviolabilité du territoire », mais vise à arrêter et à refouler les constantes pressions venues de l'Est. Quand l'Empire romain est fort, il construit des routes devant le limes, et perpendiculaires à lui. Quand il s'affaiblit, on trouve plutôt, derrière, des routes paral- lèles, permettant aux renforts de gagner au plus vite les endroits menacés.

Après l'apogée romaine du II la menace devient beaucoup plus redoutable. Et c'est alors que

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vont commencer ce qu'on appelle traditionnellement les « invasions barbares ». Une première grande ruée - le limes de Germanie supérieure est enfoncé en 254, et l'invasion vient par le nord - a laissé des traces pro- fondes, et les villes s'entourent de murs, ou sont détruites. La plus inquiétante menace vient du fait que nombre de Germains s'installent en Gaule et sont enrô- lés dans les légions romaines, pour défendre un limes devant lequel vivent des cousins à eux. Par ailleurs, ces invasions du III siècle ont eu, pour l'historien, une conséquence intéressante, qu'on retrouve à d'autres époques, l'enfouissement des trésors monétaires, soit qu'on s'enfuie, soit qu'on cache au passage des enva- hisseurs. Et beaucoup d'humains disparaissent avant de les avoir retrouvés. Robert Henri Bautier (Dupâ- quier éd., op. cit., p. 120) nous présente, pour toute la Gaule de 250 à 280, environ 150 trésors. Il a de plus étudié plus précisément le cas de ces pays entre Saône et Isère. On remarque que la densité est la plus forte dans le Nord, de Genève à Lyon, autour d'Orléans, et la plus faible entre Loire, Rhône et Garonne. La datation est liée à la pièce la plus récente, selon les méthodes des numismates.

Dioclétien réussit à vaincre ces premières invasions. L'Empire, réunifié par Constantin, devint chrétien à partir de 313 après J.-C. Nombre de Germains romani- sés reçurent de hauts postes, tels le Vandale Stilicon et le Franc Arbogast qui furent les grands généraux de Théodose, le dernier souverain unique de l'Empire. A sa mort, la séparation sera définitive entre l'Empire occidental et l'empire d'Orient, que nous appelons byzantin, qui parlait grec, mais tint à garder le nom d'Empire romain.

3. Les « invasions barbares » en France

Parlons maintenant des principales invasions dites « barbares », celles du V siècle : le déferlement sur

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toute l'Europe de nombreuses peuplades germaniques, surtout des hommes. Ils étaient sans doute relative- ment peu nombreux par rapport aux populations locales - la preuve en est qu'ils n'imposèrent leurs langues qu'au nord de l'Europe. Qu'est-ce qu'un « bar- bare » ? Pour les Grecs, étaient barbares tous ceux qui ne partageaient pas leur langue, même les Egyptiens, les Asiatiques hautement civilisés. Une fois la Grèce conquise par les Romains, l'Empire devint bilingue : latin à l'ouest, grec à l'est. Était alors barbare qui- conque n'utilisait pas l'une de ces deux langues. Donc, les barbares, c'était l'extérieur. Toute invasion était nécessairement barbare.

Un éminent spécialiste des invasions, Lucien Musset, a parfaitement posé la question 1 : « Resterait à justifier le terme d'« invasion ». Il implique une idée de vio- lence qui heurte les héritiers actuels des Germains; il obscurcit le fait que les plus amples brassages - ceux qui se sont produits en dehors du limes - ont souvent dû être pacifiques ; il insiste trop, enfin, sur une phase initiale de la progression aux dépens des établisse- ments à demeure qui ont suivi et qui importent davan- tage. Parler de « migrations » vaudrait probablement mieux.

« L'invasion n'est qu'un aspect préliminaire d'un phénomène beaucoup plus vaste : les actions et réac- tions provoquées par la mise en contact brutal de sociétés radicalement différentes, l'une - la romaine - parvenue à un certain degré d'achèvement et même de sclérose, les autres, sensiblement plus archaïques et en train d'évoluer avec une rapidité presque explosive. L'invasion seule, fait surtout militaire, se limite à quel- ques années. Or notre sujet s'étend sur plusieurs géné- rations et couvre tous les domaines de la vie sociale. »

On ne peut plus lumineusement montrer qu'il existe des ressemblances entre cette époque, vieille de plus de treize siècles, et la nôtre. 1. Entre autres livres, je signale ici que ses deux volumes de la collection « Nouvelle Clio » sur les Invasions constituent non seulement la meilleure

mise au point de nos connaissances, mais encore un ensemble de réflexions pénétrantes.

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La Gaule a été envahie par plusieurs peuplades : par les Francs, par les Alamans, en Alsace, par des Saxons venus par mer entre Boulogne et le Cotentin, par des Vandales et des Suèves qui n'ont fait que la traverser, par des Burgondes qui s'y sont installés pour un temps, par des Visigoths qui possédèrent momentanément le royaume d'Aquitaine, capitale Toulouse, avant de refluer vers l'Espagne; Théodoric, le grand roi des Ostrogoths, dont la superbe capitale était Ravenne, fera vers la Gaule des incursions et tiendra, pour un temps, un morceau de la Provence. Enfin les Huns, qui ne sont pas des Germains, feront l'objet d'une étude particulière dans notre prochain chapitre.

Comme les langues des peuplades germaniques évo- quées plus haut sont très différentes les unes des autres (elles ne se comprennent pas entre elles!), il devient possible, une nouvelle fois, grâce aux noms de lieux, même lorsque nous ne disposons pas de sources histo- riques, c'est-à-dire de textes, de nous faire une idée relativement précise de leur extension. Les Goths - Visigoths et Ostrogoths -, les premiers à envahir la Gaule, nous sont bien connus, grâce à un personnage extraordinaire, l'évêque Ulfila, né en 311. Il est arien. Or l'arianisme est condamné par le concile de Nicée de 325. Arius croit que Jésus-Christ, bien que choisi par Dieu, n'est pas Dieu. Ulfila a inventé une écriture, inspirée de l'alphabet grec, pour traduire la Bible en goth, et il créé ainsi une possibilité de rédiger des récits littéraires. Grâce à lui, les linguistes peuvent connaître la langue des Goths. Ulfila mourra en exil à Constantinople vers 383. Mais il avait réussi à gagner l'ensemble des Goths au christianisme arien. Ils convertirent les Burgondes, les Vandales, et pour un temps les Suèves. Plus tard, les Lombards, autre peuple germain, dont nous aurons à reparler, resteront ariens jusqu'en 671.

Les Francs sont presque aussi connus que les Goths, non pour leur langue, car on manque de textes, mais grâce aux chroniqueurs, très particulièrement à Gré- goire de Tours, auteur d'une Historia Francorum. Le fait est que leur roi, le fameux Clovis, de païen devient

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catholique, sous l'influence de sa femme, la princesse burgonde Clotilde, et de l'évêque de Reims saint Rémi. A dix ans près (496 à 506), on ne connaît pas la date de son baptême. Les Francs entrent en Gaule au milieu du V siècle, d'abord au nord de la Somme. Clovis, person- nage à la fois illustre et fort mal connu, étend son pou- voir jusqu'à Reims, Orléans, et le sud de l'Alsace. Il fait campagne à l'est, notamment contre les Alamans, au sud contre les Burgondes, et surtout au sud-ouest contre les Visigoths. Il les écrase à Vouillé, au sud- ouest de Tours. Il agrandit ainsi considérablement son royaume. Sa conversion au catholicisme présente un avantage extraordinaire. Les groupes de Gallo- Romains qui subsistent nombreux, le préfèrent aux souverains ariens, et l'appuient. Il meurt en 511. Ses successeurs vont conquérir la Gascogne, le royaume Burgonde, et la Provence - que l'Ostrogoth Théodoric avait momentanément gouvernée.

Ils s'étendent aussi par-delà le Rhin, grâce aux batailles contre les Alamans. Curieuse peuplade que celle-ci. Car leur nom, d'ou dérive la dénomination des Allemands par les Français, signifie « tous les hommes » - c'est-à-dire sans doute un conglomérat de tribus diverses. Notons au passage le curieux sort linguistique de nos voisins. Nous les appelons Allemands; les Italiens les nomment Tedeschi (Tudesques) ; les anglophones, suivant en cela les Romains, les désignent comme Germans. Eux-mêmes s'appellent Deutschen. Germani, sans doute introduit, selon Lucien Musset, par l'historien grec Poseidonios au I siècle avant J.-C., est peut-être d'origine celtique. Quant à Deutsche, ce mot se serait formé au VIII siècle pour ne désigner d'abord que « les gens du peuple ».

Le sort de la Gaule, devenue franque malgré tous les incessants combats antérieurs, est très significatif et unique. Le roi franc (« mérovingien »), est catholique comme son armée franque et sa population gallo- romaine. En Espagne, jusqu'en 587, la population ibéro-romaine est catholique ; la royauté des Visigoths arienne. La conversion de 587 au catholicisme aurait pu amener, pour une longue durée, une situation ana-

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logue à celle des Francs. Un événement, tout à fait extraordinaire, brisera tout cela : le passage de l'Afrique à l'Europe, en 711, d'une armée arabo- berbère commandée par Tarik, à travers les « Colonnes d'Hercule », lesquelles deviennent la « montagne de Tarik », Djebel Tarik : Gibraltar (la toponymie nous suit ainsi pas à pas).

Quant aux Ostrogoths, ils ont eu un très grand roi, Théodoric, arien, alors que les Italiens, avec le pape, restaient catholiques. Il inventa une curieuse méthode - qu'entre parenthèses je ne recommanderais pas pour la France d'aujourd'hui. Les Latins gardèrent leurs lois, leur religion, leur pape. Les Ostrogoths eurent leurs propres lois et continuèrent à pratiquer l'aria- nisme. Mais Théodoric étant mort en 526, son royaume ne va guère survivre. « Théodoric apparaît comme un esprit très supérieur aux autres rois barbares, qui n'ont jamais vu que des problèmes personnels, tout au plus tribaux et dynastiques. Il a eu le sentiment puissant d'une solidarité nécessaire entre Germains et a su mener une diplomatie à l'échelle européenne » (Lucien Musset).

Revenons un instant à la toponymie. Puisque les langues germaniques sont très différentes et que les peuples ne se comprennent pas entre eux, la topony- mie réussit à localiser relativement bien chaque inva- sion. Je tire les renseignements qui suivent du livre de Baylon et Fabre. Utilisons l'exemple des terminaisons de mots. Les langues des Alamans, des Saxons et des Francs appartiennent à la catégorie du « germanique occidental ». Le visigoth et le burgonde au « germa- nique oriental ». Les langues des Vikings (voir notre prochain chapitre) au « germanique septentrional ». L'influence des Francs est évidemment prépondérante. Le francique fait en sorte que des noms germaniques se substituent souvent aux noms gallo-romains pour désigner les propriétés. D'autre part, le suffixe gaulois acos est remplacé par le mot latin villa : ainsi Thion- ville (propriété de Theudo); Villiers (Nord), Villers (Est), Wihr (Alsace), Villard (Midi).

Le suffixe ing est très répandu, mais donne des résul-

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tats très différents selon les zones : ingas (francique), d'où ingue (Huningue) ou ange (Morhange). Le bur- gonde ingos donne ans ou ens (Vadans, dans le Jura). Le visigoth ingus donne, autour de la capitale provi- soire Toulouse, Rabastens (Tarn), Tonneins (Lot-et- Garonne), Maurens (Dordogne).

Que prouvent ces données - dont les exemples pré- sentés ci-dessus ne sont que des échantillons? On peut, me semble-t-il, en tirer plusieurs conclusions d'ailleurs solidaires entre elles. D'abord, il a existé, sur le territoire de la France actuelle, des centaines d'installations durables de groupes germaniques. Mais, d'autre part, le gallo-romain subsiste et maintient sa prédominance linguistique et démographique. On peut imaginer avec quelque raison que les envahisseurs germaniques, après les combats initiaux, ont fait souche sur place, soit avec la minorité de femmes qui les accompagnaient, soit, plus souvent, avec des Gallo- Romaines.

On s'est longtemps représenté les « invasions bar- bares » comme l'arrivée en force de peuples entiers, avec les familles, les chariots, le bétail. En fait, les envahisseurs n'ont probablement pas été nombreux. On sait que les Vandales, au terme de leur conquête africaine, étaient 30 000 ; que tous les Ostrogoths auraient tenu dans la ville de Pavie. On pense que 100 000 Visigoths, en Espagne, ont suffi pour établir leur royaume, face à 8 millions d'Hispano-Romains. C'est la faiblesse romaine en Occident plus que leur nombre qui explique les succès des « barbares ». Lorsque au milieu du V siècle le Romain Aetius commanda énergiquement la Gaule, il remporta suc- cès sur succès, conclut des alliances de circonstance avec tel peuple contre tel autre, accorda le fœdus, droit d'installation, à des groupes « barbares », qui conser- vèrent longtemps leurs lois face au droit romain (par exemple la « loi salique » des Francs). L'« hospitalité », selon Bautier, consistait à leur concéder une part des grandes propriétés. Par exemple, selon la loi bur- gonde, deux tiers de la terre, un tiers des esclaves, la moitié des bâtiments d'exploitation, des bois et des vergers.

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En assez petit nombre, ils sont d'autant plus vite assi- milés, notamment en Gaule, que Clovis se convertit au christianisme romain. Or, dès le V siècle, ce ne sont plus seulement les villes qui sont devenues chré- tiennes, mais aussi les campagnes, longtemps païennes (paganus a donné les mots « paysan » et « païen »).

Un ancien officier, saint Martin, soutenu par l'évêque de Poitiers, avait commencé par fonder un monastère à Ligugé. Il devint évêque de Tours, créa le monastère de Marmoutiers. Mort en 397, il reçut le surnom d'« apôtre des Gaules ».

Il va de soi qu'un pays d'abord « néolithique », « ibère », « ligure », « méditerranéen », qui a vu sans cesse surgir des vagues énormes de Celtes, puis de Latins, puis de Germains, représente une extra- ordinaire fusion de peuples divers, ce qui, sur le plan de la culture, plus encore que de la race, a bien entendu produit des conséquences incalculables.

4. Les Bretons et les Basques De nos jours, la France contient plusieurs minorités

linguistiques qui ont de la peine à résister à l'expansion du français. Parmi elles, le breton et le basque. Leur disparition est liée à l'extrême rareté des textes litté- raires de l'une et de l'autre, bien plus qu'à l'étouffe- ment du centralisme français. Face à une des plus riches littératures du monde, existe-t-il des textes bre- tons (le « roman breton » vient de la Grande- Bretagne) ? Ni avant 1532, date de l'annexion de la Bre- tagne à la France, ni après, on n'a vu se développer une poésie, des romans ou des textes philosophiques en breton, langue celtique. Il en va de même pour le basque, langue unique de son espèce. On ne connaît guère, non plus, de littérature basque. A la différence des dialectes germaniques de l'Alsace qui peuvent s'appuyer sur la vaste et durable littérature allemande, les Bretons n'ont pour eux que les restes des langues celtes (ouest de l'Écosse, Pays de Galles, Cornouaille

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jusqu'au XVIII siècle, et résidus en Irlande, où la langue celtique, officielle, est considérablement moins utili- sée que l'anglais).

La Grande-Bretagne, conquise plus tard que la Gaule par l'empereur Claude (41-54 après J.-C.), présentait une civilisation moins latinisée que la Gaule. Et il est probable que le latino-breton avait disparu sous la pression celtique avant même les « invasions bar- bares ». Celles-ci arrivent par mer, essentiellement de Scandinavie et de Germanie : les Angles, les Jutes (Jutland), et ces Saxons dont nous avons vu qu'ils s'étaient installés momentanément sur la côte nord- ouest de la France actuelle, jusqu'au Cotentin. En sché- matisant, on peut dire que ces Germaniques conquièrent l'est de la grande île et avancent vers l'ouest. Ils imposeront progressivement leur langue. Mais les Celtes cherchent refuge, dans les montagnes d'Écosse, en Irlande, dans l'actuel Pays de Galles, et aussi au-delà des mers, en Armorique.

Il semble que la pénétration bretonne dans cette province débute dès le IV siècle après J.-C. Mais « c'est certainement entre 450 et 550 que l'immigration bre- tonne en Armorique semble avoir atteint son maxi- mum, pour se prolonger encore au-delà [...] Il y a peu de doute que ces Bretons, profondément romanisés, mais ayant gardé leur langue celtique, étaient des auxi- liaires fidèles aux Romains [...] L'importance de l'immigration bretonne fut telle qu'elle bouleversa complètement la situation d'une Armorique qui devint la Bretagne. Le pays, incontestablement romanisé, avait vraisemblablement conservé des îlots de parler celtique. Mais il paraît s'être vidé au cours du bas Empire » (Bautier, dans Dupâquier, éd., op. cit., pp. 142-143).

Évidemment, cette arrivée (les saints voguant sur des auges de granit, comme le veut la légende) ne s'est pas faite sans violence. Néanmoins, à l'ouest de la Bre- tagne actuelle nombreux étaient les sites vacants, les sites à défricher. Les Bretons remontaient les rivières ou suivaient les voies romaines. On sait cela par les noms en tre, lan et plou. Tre veut dire le hameau; lan

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l'ermitage, le monastère, le lieu saint; plou, (du latin plebs : le peuple) est la paroisse. Dans une thèse de 1925, René Largillière a montré de façon lumineuse que ces noms datent de la période V siècle, alors que les noms commencant par loc ou ker sont posté- rieurs. Henri Bautier (op. cit., p. 145) recense les paroisses en plou (Plougastel), plusieurs certaines; en lan (Landivisiau), en tré, (Tréguier, Trégastel), plu- sieurs certaines également. Plus on avance vers l'est, plus elles se font rares. On voit au contraire se multi- plier les noms se terminant en é ou en ay (l'acum gau- lois). Et les noms en ec deviennent des noms en ac.

Là encore, la toponymie nous renseigne assez bien sur ce qui s'est passé. Les Bretons, une fois débarqués, installés, organisés, sont devenus une force. Ils ont marché vers l'est. Sans entrer dans le détail, on peut estimer qu'ils ont alors imposé leur langue - jusqu'à une ligne située un peu à l'ouest de Rennes. Or, ils ont par la suite reculé devant une poussée gallo-franque, au moins sur le plan linguistique. Aujourd'hui le bre- ton est une langue celte non gauloise. Elle est origi- naire de la « Domnonée » (Domnonii du Devon) et de la « Cornouaille » (Cornwall) britannique, noms repris en Bretagne armoricaine.

Depuis le X siècle, Bretons du continent et Gallois ne peuvent plus se comprendre. La limite des langues bretonnes (on en compte quatre principales) se situe sur une ligne allant approximativement de Saint- Brieuc, au nord, à Muzillac, au sud-est de Vannes. Il subsiste dans la zone perdue par la langue bretonne quelques noms bretons (Pléchatel, Guéméné-Penfao). Mais le parler populaire de ces régions est devenu « gallo », c'est-à-dire d'origine gallo-romaine. Le roman de Balzac, les Chouans, est tout à fait magnifique. Mais situant son action à Fougères, tout à fait à l'est de l'Ille- et-Vilaine, et prétendant que les paysans de la région parlaient « bas breton », il se trompe d'une centaine de kilomètres.

L'évacuation linguistique de cette zone s'explique sans doute parce que les Bretons, plus denses à l'Ouest, n'avaient envoyé à l'Est que des troupes et

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Ce livre trouve ses racines dans un célèbre article que Valéry Giscard d'Estaing a écrit dans Le Figaro Magazine du 21 septembre 1991, sous le titre «Immigration ou invasion ?».

Le propos de Jean-Baptiste Duroselle n'est pas de juger moralement cette formule qui avait soulevé une tempête, mais de montrer que, de tout temps et dans le monde entier, on a assisté à des mouvements multiformes de populations, de classer les diverses formes d'«invasion» et d'«immi- gration», et de dégager les divers résultats auxquels elles aboutissent, du génocide jusqu'à l'enrichissement culturel.

Raids, établissement de comptoirs, pénétration impérialiste vers l'intérieur, déportations, exodes, «treks» (selon la for- mule des Boers), immigration sollicitée, immigration spon- tanée, tout cela est admirablement exposé dans une fresque claire qui est une belle leçon d'histoire comparative propre à favoriser notre réflexion sur les problèmes actuels.

Jean-Baptiste Duroselle ne manque naturellement pas de s'interroger sur les conséquences extrêmement diverses de ces migrations humaines, sur les assimilations réussies ou non et sur les préoccupations immédiates des Français.

Jean-Baptiste Duroselle, né en 1917 à Paris, ancien élève de l'Ecole normale supérieure, agrégé d'histoire et géographie, docteur ès lettres, professeur émérite à la Sorbonne, est membre de l'Institut depuis 1975. Actuellement président de l'Institut d'histoire des rela- tions internationales contemporaines. Auteur de nom- breux ouvrages devenus des classiques tels : Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, Le Drame de l'Europe (1914-1945), Le Monde déchiré 1945-1970, Tout empire périra, La Décadence et L'Abîme, une biographie de Clemenceau et, récemment, chez Perrin, L'Europe, his- toire de ses peuples, coédité en huit langues.

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