L e s r é f é r e n c e s f r e u d i e n n e s s u r l e ... · de Jacques-Alain Miller...
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L e s r é f é r e n c e s f r e u d i e n n e s s u r l e c o r p s
Serge Cottet
Il est utile de rappeler à cette occasion que Freud ne trouve pas d’autre support à l’image du moi que le corps.
Freud ne parle du corps qu’en relation au moi, au titre d’être sa base matérielle ; c’est un corps représenté, un
corps imaginaire. Il est défini comme la projection d’une surface, donc comme une abstraction qui le réduit à
deux dimensions, non pas un dedans, un intérieur, mais plutôt un dehors (« Le moi et le ça », chapitre II, in
Essais de psychanalyse, Payot, p.194) ; l’image narcissique de la belle unité masque un morcellement que la
pulsion fait subir au corps ; la pulsion morcelle la jouissance du corps en ceci que la source pulsionnelle est à
la surface, à savoir, les trous du corps. La notion de bord pulsionnel reprise par Lacan, implique en effet une
topologie de la surface. Cette surface trouée anatomiquement localise les pulsions orales, anales, scopiques,
génitales. Il arrive donc à Freud de réduire le moi au corps propre, (ich körper) au point que le sujet divisé
par l’inconscient en ressente les effets dans un morcellement corporel comme dans l’hystérie .Le fait que
Lacan Lacan dise « morcellement mental » (in Ecrits, p.220) à ce propos désigne l’impact du signifiant sur le
corps. Tout le problème est de savoir comment s’articule le langage sur cette surface qu’elle soit trouée ou
unifiée par l’image.
Au-delà du corps hystérique
De nombreuses références à l’anatomie sont signalées par Lacan en relation à l’image phallique qui lui donne
forme et unité, notamment la phallicisation du corps dans la forme gracile de la féminité. Nous restons là au
niveau de l’image narcissique du corps qui fait bouchon à son morcellement par la pulsion.
La question des rapports du corps avec l’inconscient peut être décrite de deux façons, en relation avec deux
périodes de l’enseignement lacanien. Premièrement, les effets du signifiant sur le corps : le modèle de
l’hystérie ; on suppose alors un inconscient homogène à la pulsion, c'est-à-dire une communauté de structure
entre l’inconscient symbolique et le fonctionnement de la pulsion. C’est le concept de « bord » qui permet
cette rencontre.
Une référence majeure à l’anatomie s’impose donc s’agissant des zones érogènes ; leur délimitation « est le
fait d’une coupure qui trouve faveur du trait anatomique, d’une marge ou d’un bord : lèvres, « enclos des
dents », marge de l’anus, sillon pénien, vagin… » (Ecrits, p.817). L’objet lui-même se décrit à partir d’une
coupure anatomique : mamelons, phallus, etc.
La communauté de structure entre l’inconscient et le fonctionnement de la pulsion n’est explicite qu’à partir
du Séminaire XI de Lacan, lorsque celui-ci décrit la pulsation temporelle de l’inconscient comme « quelque
chose qui s’ouvre et se ferme » (Séminaire XI, p.165). Jacques-Alain Miller a décrit ce moment de
l’élaboration de Lacan dans ses « Six paradigmes de la jouissance » (Revue de l’ECF, n°43, p.16). Dans cette
perspective, on a, d’une part, un corps mortifié par le signifiant, et de l’autre, une récupération de jouissance
sous la figure de l’objet a. Toutefois, il n’est aucunement question d’une substance jouissante, mis à part cette
récupération par l’objet.
Deuxièmement, il y a une toute autre conception de la relation de la jouissance corporelle à l’inconscient,
qu’on pourrait appeler post joycienne : le corps n’est plus défini par la pulsion mais par l’événement de corps.
Les trous corporels responsables du morcellement ne sont plus pris en compte. On n’est pas loin du corps
sans organes de Deleuze auquel il est fait allusion dans le Séminaire XXIII (p.214). Le corps est décrit non
pas comme manque, mais comme un en plus. On peut en déduire que le corps existe comme sac de peau,
vide, en dehors et à côté de ses organes. D’où le mystère du corps parlant, si la consistance de ce corps est
celle d’un ensemble vide. Comme le souligne Jacques-Alain Miller, il y aurait encore bien des choses à dire
sur cette page assez dense (p.18).
Il y a lieu d’inscrire dans ce corpus la question du symptôme psychosomatique. Il justifie un nouveau binaire
qui n’est pas celui de l’âme et du corps, mais du corps et de l’organisme. Mis à part le symptôme du membre
fantôme, il y a lieu de donner une extension plus grande à la notion de corps, qu’à celle de l’organisme. On se
reportera à ce sujet à l’ouvrage Le phénomène psychosomatique (Navarin, date ?), notamment la conférence
de Jacques-Alain Miller concernant cette distinction. On a besoin en effet d’une notion de corps compatible
avec une surface d’inscription. Pour définir le PPS comme une écriture, Lacan prend le modèle du cartouche
dans l’écriture hiéroglyphique ; par analogie, le corps se laisse aller à écrire quelque chose (cf. Lacan,
Conférence de Genève, 1975). Finalement, le corps écrivant est du domaine de l’observation et ne relève pas
du dire mais de l’écriture. Autre chose donc est à construire sans observation directe : le corps parlant.
Enfin, on prendra note du fait que des figures topologiques telles que le tore, ont une référence explicite au
corps propre, notamment dans le corps humain, tel le tube digestif qui empêche le sujet de se confondre avec
une sphère.
Les références à la philosophie
On rappelle que le binaire du corps et de l’inconscient n’est pas sans évoquer un dualisme célèbre, celui de
l’âme et du corps, croix des philosophes du XVIIème siècle. On trouve l’écho du mystère du corps parlant
évoqué par Lacan dans la problématique cartésienne, à quoi se réfère Jacques-Alain Miller dans sa
conférence. Descartes aussi fait de l’union de l’âme et du corps un mystère. Une citation célèbre pourrait être
commentée dans un congrès : « Je ne suis pas dans mon corps tel un capitaine dans son navire ». Comment
est-il possible que deux substances aussi réellement distinctes que la pensée et le corps puissent agir l’une sur
l’autre dans une causalité réciproque ? La chose est conceptuellement impensable, tandis qu’elle est vécue de
manière évidente par tout sujet affecté par ses sens et par ses passions. Il faut se référer au livre canonique de
Martial Gueroult auquel JAM fait allusion : Descartes selon l’ordre des raisons Tome 2, Paris, Aubier ,1953 :
le commentaire de la 6° méditation .Lacan ne s’étendra pas sur le dualisme cartésien ; toutes fois on retrouve
dans le Séminaire Encore un vocabulaire cartésien tel que le syntagme de la « substance jouissante »).
Autre piste : Lacan sera sensible à l’élaboration philosophique de Merleau-Ponty qui cherchera à définir «
l’entrelacs » que forment le corps et le monde, l’extension de mon corps au monde, unité indissoluble qu’il
appelle « la chair » dans Le visible et l’invisible et qui met en cause les limites anatomiques du corps. On
trouvera un prolongement de cette entité corporelle chez le peintre Bacon, peignant les têtes comme une «
effroyable viande », ainsi que l’analyse que Deleuze en a faite dans Peinture et sensation, c'est-à-dire le réel
du corps soustrait à l’image narcissique.
Le regard lui-même enveloppe les choses, « les habille de sa chair (…) le regard est lui-même incorporation
du voyant au visible (…) recherche de lui-même dans le visible (…) mon corps modèle des choses et les choses
modèle de mon corps. (Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, p.173). Dès lors, « où mettre la limite du corps
et du monde puisque le monde est chair ? » (Ibid., p.182). C’est le champ du visible qui définit mon corps
comme chose du monde (cf. Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1964, p.25). Dans cet ouvrage, de
nombreuses pages sont consacrées aux sentiments corporels, indépendamment de toute fonction organique.
Lacan relève enfin dans son article sur Merleau-Ponty « le corps comme expression de la parole » (Autres
Ecrits, 2001, p.180 ; et cf. chapitre VI de la première partie de La phénoménologie de la perception, Paris,
Gallimard, 1945, p.203).
Reste à savoir comment concevoir l’inconscient et son rapport à un corps qui n’est plus réductible à des
coupures. C’est toute la problématique du parlêtre dans ses rapports à la substance jouissante.
Le corps pornographique
La référence à l’érotisme baroque caractérisé par le voile et le masque sur la sexualité non exclusive des
signes de jouissance est bien entendu la sublimation artistique la plus opposée à la pornographie. Dans la
perspective heideggérienne, on y découvre l’empire de la technique sur la sexualité, la machine au service de
la pulsion de voir la plus éhontée. On y constate en apparence une activité sexuelle sans tabou, sans interdit,
mais aussi sans semblant. Un trop plein de jouissance excluant tout manque ; ni voile, ni castration ; un
phallus toujours en activité. Aucune transgression non plus, puisqu’il n’y a ni lois ni règles. Et surtout, un
tabou de la parole. Restent quelques insultes misogynes, érotisme et sentiments sont également exclus, et
n’ont pas droit de cité. C’est le comble d’une antinomie entre la jouissance et la parole. Dire qu’il n’y a pas, en
effet, de rapport sexuel, c’est dire que tout corps peut venir à la place d’un autre, sans singularité propre, sans
identité.
Cette limite qu’est le spectacle de la jouissance pornographique indique quelque chose de l’appel à une
jouissance séparée de l’inconscient, et à la fiction d’une maitrise de l’être ainsi qu’il est suggéré dans la
conférence de Jacques-Alain Miller. Ici aussi, on obtient la négation de l’inconscient par quoi le parlêtre «
s’imagine maitre de son être, c'est-à-dire, ne pas être langage » (Ornicar, n°29, Compte-rendu
d’enseignement, p.14). Cette citation de Jacques Lacan s’applique ici au sens où le « je pense » comme la
parole semblent inutiles et superfétatoires pour une jouissance du corps supposée se suffire à elle-même.
Signe des temps qui méconnait la fonction de la perversion, l’instrumentalisation d’une jouissance qui n’est
pas celle du pervers lui-même mais celle d’un Autre supposé.