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L APPROCHE CONTEXTUELLE DE LA COGNITION Basque EDU 6200 © Télé-université, 2000 J OSIANNE

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  • L’APPROCHECONTEXTUELLE DE

    LA COGNITION

    Basque

    E D U 6 2 0 0

    © Télé-université, 2000

    JOSIANNE

  • INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

    1. LES ORIGINES DE L’APPROCHE CONTEXTUELLE DE LA COGNITION . . . . . . 3

    1.1 Lev Vygotsky (1896-1934) : une approche socio-historique du développement cognitif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

    1.2 A.N. Leontiev (1904-1979) : la théorie de l’activité . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

    1.3 George Herbert Mead (1863-1931) : l’interactionnisme symbolique . . . . 4

    1.4 John Dewey (1859-1952) : l’instrumentalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

    1.5 Alfred North Whitehead (1861-1949) : la distinction entre le savoir inerte et le savoir utile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

    1.6 Les travaux des anthropologues cognitivistes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

    1.7 James J. Gibson : la théorie des potentialités (affordances) . . . . . . . . . . 9

    1.8 Lucy Suchman : la théorie de l’action située . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

    2. LES IDÉES FONDAMENTALES DE L’APPROCHE CONTEXTUELLE DE LA COGNITION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

    2.1 La cognition s’inscrit dans une matrice socioculturelle donnée . . . . . . . 11

    2.2 La cognition est «distribuée» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

    2.3 Le savoir est dynamiquement construit au fil d’ajustements continus du sujet en activité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

    3. LE DÉBAT ENTRE LES TENANTS DE L’APPROCHE SYMBOLIQUE ET CEUX DE L’APPROCHE CONTEXTUELLE DE LA COGNITION . . . . . . . . . . . 12

    3.1 Le rôle des représentations internes dans le comportement intelligent . 12

    3.2 La nature sociale de la pensée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

    3.3 L’unité d’analyse de la cognition et les méthodes de recherche favorisées 14

    3.4 La question du transfert du savoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

    3.5 Les approches d’enseignement privilégiées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

    4. L’APPROCHE CONNEXIONNISTE ET L’APPROCHE CONTEXTUELLE DE LA COGNITION: CONVERGENCE OU DIVERGENCE? . . . . . . . . . . . . . . . . 20

    5. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

    RÉFÉRENCES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

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    INTRODUCTION

    À partir de la fin des années 80, on voit apparaître dans les écrits en sciences cognitives et en éducation unenouvelle école de pensée qui met de l’avant l’idée que la cognition est inextricablement liée à la «situation»dans laquelle elle se développe et se déploie. Le terme «situation» renvoie non seulement au contexte immé-diat dans lequel elle est réalisée (contextes formels ou informels, avec ou sans présence d’autres personnes,avec ou sans outils, etc.), mais surtout à la culture globale dans laquelle elle prend place (avec ses valeurs,ses pratiques sociales, ses règles, etc.). Selon cette approche, la cognition n’est donc pas un phénomène qui

    «réside» dans la tête d’un individu, sous forme de concepts et règles abstraites. La cognition se trouve plutôt dansl’ interactionentre une personne et les autres personnes qui l’entourent, les objets et outils qui se trouvent dansson environnement et les pratiques sociales développées au sein de sa culture au fil de son histoire. Autrementdit, la cognition et la culture sont des éléments indivisibles. L’unité d’analyse des chercheurs en sciencescognitives ne doit donc plus être l’individu, mais plutôt l’interaction entre un système cognitif et son envi-ronnement physique et socioculturel.

    Cette perspective a pris le nom, en anglais, de «situated cognition», à la suite d’un article percutant publié en1989 par John Seely Brown, Allan Collins et Paul Duguid dans la revue Educational Researchersous le titre«Situated cognition and the culture of learning». En français, le terme est difficile à traduire. Nous avons optépour l’expression approche contextuelle de la cognition1, comme le suggèrent Houdé et al. (1998) dans leurVocabulaire des sciences cognitives. Nous nous permettons également d’utiliser, à l’occasion, l’expressioncognition en contexteou encore cognition située, bien que nous sommes consciente que cette dernière expres-sion pourrait être contestée par des linguistes francophones.

    Ce nouveau paradigme de la cognition a donné lieu à la publication de quelques ouvrages au cours desannées 90 (Clancey, 1997; Kirshner et Whitson, 1997; Lave et Wenger, 1991; Resnick, Saljo, et Pontecorvo,1998). Il n’est pas sans provoquer des débats houleux dans la communauté des sciences cognitives et de l’é-ducation. Les critiques viennent surtout des tenants de l’approche classique (ou symbolique) de la cognition2,puisque certaines de leurs idées sont directement remises en question par les contextualistes3. En 1993, larevue Cognitive Sciencepublie une série d’articles qui rapportent un échange d’arguments entre, d’une part,Alonso H. Vera et Herbert A. Simon (1993a; 1993b), deux ardents défenseurs de la vision symbolique de lacognition et, d’autre part, James G. Greeno et Joyce L. Moore (1993), P.E. Agree (1993) et Lucy A.Suchman (1993), qui prennent la défense de la perspective contextuelle de la cognition.

    Un autre débat sur le sujet a également cours à peu près en même temps dans la revue Educational Technology.Le numéro du mois de mars 1993 de cette revue compte, en effet, une série d’articles présentant le cadrethéorique des contextualistes ainsi que des applications de cette théorie en éducation (Brown et Duguid, 1993;CTGV, 1993; Damarin, 1993; Harley, 1993; Hay, 1993; Streibel, 1993; Winn, 1993), suivis d’une critique deSteven D. Tripp (1993), un professeur en sciences de l’éducation à l’Université du Kansas. La conversationsur le sujet se poursuit dans le numéro d’octobre 1994 de cette même revue (McLellan, 1994), alors que tous

    1. Nous aurions souhaité utiliser l’expression approche situationniste de la cognition, mais, selon nos recherches, le terme «situa-tionnisme» est déjà utilisé en sciences politiques pour désigner un mouvement gauchiste!

    2. Pour plus de détails sur l’approche symbolique de la cognition, voir le texte de Basque (2000).

    3. Un autre terme que nous nous permettons d’inventer!

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    les auteurs ayant participé au numéro de mars 1993 donnent la réplique à Tripp (Damarin, 1994; Hay, 1994;Moore, 1994; Streibel, 1994; Winn, 1994).4

    Depuis, le débat entre certains de ces chercheurs, auxquels se joignent de nouvelles voix, se poursuit dans desrevues spécialisées. Ainsi, en 1996, John R. Anderson, un autre pilier de l’approche symbolique de la cogni-tion, ainsi que Lynne M. Reder joignent leur voix à celle de Simon, dans un article publié dansEducationalResearcher(Anderson, Reder, et Simon, 1996), auquel répond James Greeno en 1997 (Greeno, 1997), suivi,dansle même numéro, d’un droit de réplique donné à Anderson, Reder et Simon (1997). Le débat est résumé parKirshner et Whitson en 1998 (Kirshner et Whitson, 1998), mais il ne s’arrête pas là puisque Cobb et Bowers(1999) décident également de répondre à Anderson, Reder et Simon.

    Nul doute qu’on aura l’occasion de lire dans les prochaines années la suite de ce débat… À moins que lesannées 2000 ne soient celles de la réconciliation, comme le laisse présager un article récent signé conjointe-ment par des représentants des deux camps (Anderson, Greeno, Reder, et Simon, 2000).

    Ce bouillonnement d’idées entraîne quelques problèmes caractéristiques d’un nouveau paradigme qui tentede s’affirmer et qui conteste quelques idées qui commençaient tout juste à prendre solidement racine en sciencescognitives. On déplore, par exemple, le manque d’unité entre les différents auteurs se réclamant de la cogni-tion située, découlant peut-être de la diversité de leurs domaines de recherche (allant de l’intelligence artifi-cielle à l’anthropologie, l’éducation et la psychologie). Patel (rapporté dans Anderson, Reder et Simon, 1997)parle d’une situa-babelet Gruber et al. (1995) d’une école de pensée peu unifiée (loosely coupled school ofthought). Ces derniers auteurs relèvent même certaines contradictions entre les énoncés théoriques des défen-seurs de ce mouvement. On remarque aussi que les concepts reliés à cette approche sont encore trop flous etque peu de résultats empiriques viennent, pour le moment, appuyer les hypothèses des contextualistes (Anderson,Reder et Simon, 1997; Gruber et al., 1995).

    Il n’en reste pas moins que la question du rôle du contexte socioculturel dans le développement de la cogni-tion est une question que les chercheurs en sciences cognitives ne peuvent désormais plus contourner et qui,selon certains, se trouvera même au cœur du développement futur des sciences cognitives:

    How cognition is, or is not, determined, supported, or constrained by socioculturalfactors is the central theoretical and methodological issue in the future developmentof cognitive science (Bruer, 1994, p. 286).

    Le présent texte se veut une brève introduction à cette nouvelle école de pensée. Dans une première partie,nous présentons les principales idées et théories qui se trouvent à la source de l’émergence de cette approche.Nous identifions ensuite les trois grandes idées qui sont défendues à l’intérieur de ce mouvement. En troisièmepartie, nous résumons les points essentiels qui opposent les tenants de l’approche contextuelle de la cognitionà ceux de l’approche symbolique la cognition. La quatrième section rapporte des éléments de comparaisonentre l’approche contextuelle et l’approche connexionniste5 de la cognition. Un mot sur la contribution del’approche contextuelle au domaine des sciences cognitives conclut notre exposé.

    4. L’ensemble de ces articles est rassemblé dans un ouvrage paru en 1996 sous la direction de McLellan (1996), auxquels s’ajoutentquatre nouveaux textes sur le sujet.

    5. Pour plus de détails sur l’approche connexionniste de la cognition, voir le texte de Bégin (2000).

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    1. LES ORIGINES DE L’APPROCHE CONTEXTUELLE DE LA COGNITION

    Plusieurs idées associées à l’approche contextuelle de la cognition étaient déjà présentes dès les années 1920-1930 dans la psychologie soviétique, en particulier dans les écrits de Lev Vygotsky (1978) ou encoredans ceux de philosophes tels que John Dewey (1933), A.N. Whitehead (1929) et G.H. Mead (1934/1974).Dans la continuité des travaux de Vygotsky, ceux associés à la théorie de l’activité, en particulier ceux de A.N.Leontiev (1981), constituent également l’un des fondements majeurs de cette approche.

    Parmi les sources d’inspiration plus récentes de l’approche contextuelle de la cognition, on compte les travauxd’anthropologues cognitivistes, tels que Jean Lave (Rogoff et Lave, 1984; Lave, 1988) et Sylvia Scribner (1984),qui ont étudié les processus de résolution de problèmes chez des individus se trouvant dans des situations dela vie courante ou dans le cadre de leurs activités professionnelles (real-world environments).

    Un article de Lauren B. Resnick paru dans Educational Researcheren 1987 est également souvent cité par lestenants de la cognition située : cette auteure y discute des différences fondamentales qui distinguent l’appren-tissage tel qu’il se déroule typiquement à l’école et l’apprentissage tel qu’il se déroule typiquement en dehorsde l’école.

    Enfin, la théorie des «potentialités» (affordances) offertes dans l’environnement, proposée par James G. Gibson(1977), un chercheur qui s’est intéressé au phénomène de la perception visuelle, de même que les travaux deLucy A. Suchman (1987) sur le processus de planification au cours d’une activité, sont également souvent citésen appui à la position de l’approche de la cognition située.

    Voyons plus en détails quelques-unes de ces sources d’inspiration.

    1.1 Lev Vygotsky (1896-1934) : une approche socio-historique du développement cognitif

    Vygotsky est ce psychologue soviétique mort en 1934 à l’âge de 37 ans, dont les travaux ne furent rendusaccessibles au monde anglophone que dans les années 60 (et encore plus tard pour le monde francophone) etqui, depuis les années 80, s’avère une figure majeure inspirant de nombreuses recherches en sciences de l’éducation et en psychologie.

    Vygotsky (1978) propose une approche du développement cognitif qui met particulièrement l’accent sur lerôle du contexte socio-historique et des interactions sociales dans le processus de construction du savoir. Ilcroit que la pensée est d’abord et avant tout sociale et non pas individuelle. En effet, pour Vygotsky (1978),le développement des fonctions cognitives supérieures, soit les fonctions qui différencient l’être humain del’animal (pensée conceptuelle, pensée logique, autorégulation cognitive, etc.), découle des interactions que lesindividus ont tant avec les personnes qu’avec les outils présents dans leur culture. Les outils (appelés aussiartefacts) peuvent être physiques (instruments, machines) ou encore symboliques (langage, lois, signes, pro-cédures, méthodes, etc.). Pour lui, la pensée et le contexte socio-historique, incluant les outils physiques etsymboliques et les autres être humains, font partie d’un même processus et sont indissociables. En quelquesorte, les outils et les interactions sociales servent de «médiateurs» aux activités et aux processus mentauxdes individus. L’action humaine n’est donc pas une réponse directe à l’environnement : elle est «médiée»(mediated) par le contexte socioculturel dans lequel elle s’inscrit. On ne peut donc comprendre les processusmentaux si on ne tient pas compte du contexte socioculturel dans lequel ils émergent.

    Dans la perspective vygotskienne, l’apprentissage est ainsi un processus d’acculturation(Duffy et Cunningham,1996). Vygotsky croit, par exemple, que les habiletés d'autorégulation cognitive se développent graduellementchez les enfants par interactions répétées avec des adultes ou des pairs plus compétents. Les enfants seraient

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    d’abord « régulés par les autres», puis en intériorisant graduellement l’activité métacognitive d’abord assu-mée par l’autre, ils en viennent à s’autoréguler. Quand un enfant fait un casse-tête en compagnie de sa mèrepar exemple, celle-ci verbalise à voix haute la démarche de résolution de problème et lui donne toute sorted’indices sur la manière de s’autoréguler. Plus l’enfant est jeune, plus la mère lui donne des indices expliciteset clairs. Quand l’enfant grandit, la mère donne naturellement une plus grande responsabilité à l’enfant danscette activité. L’on voit très bien ici la nature dialectique du développement, où l’enfant est actif mais l’envi-ronnement tout autant, les deux s’influençant mutuellement. Pour Vygotsky, les fonctions supérieures cogni-tives apparaissent donc deux fois dans le développement de l’individu : une première fois sur le plan social(plan interpsychologique) et plus tard sur le plan individuel (plan intrapsychologique). De même en est-il dudéveloppement du langage, qui est d’abord social, puis qui est graduellement intériorisé.

    L’une des notions proposées par Vygotsky est celle de zone proximale de développement (zone of proximaldevelopment), définie comme la distance entre ce qu’un individu peut faire seul et ce qu’il peut faire avecl’aide des autres. Selon Vygotsky, l’intervention d’un enseignant ou d’un parent devrait se situer à l’intérieurde cette zone de développement de l’enfant ou, si l’on veut, un peu «au devant» du niveau actuel de l’enfant, etlui servir de médiationou de guide afin de l’amener à la limite supérieure de sa zone proximale de développement.

    1.2 A.N. Leontiev (1904-1979) : la théorie de l’activité

    A.N. Leontiev (1974) et d’autres auteurs de la psychologie soviétique (e.g. A. R. Luria) développent davantagel’idée vygotskienne de «médiation» et proposent une théorie appelée la théorie de l’activité(activity theory).

    Bien que, pour Vygotsky, l’action est fondamentalement «médiée» par les outils socioculturels, l’unité d’ana-lyse en psychologie n’en demeure pas moins l’action individuelle. La figure 1 présente un schéma du modèled’une telle action, sous forme d’un triangle. À l’un des pôles du triangle, se trouve l’individu (appelé le sujet);au deuxième pôle, se trouve le matériel brut qu’il utilise dans l’exécution d’une activité ou encore l’«espacedu problème» déterminé par l’activité (appelé l’objet) et, au troisième pôle, on retrouve les outils (physiqueset mentaux) qui médiatisent la relation entre le sujet et l’objet.

    La théorie de l’activité stipule que l’unité d’analyse en psychologie est l’activité et insiste davantage surl’interaction dialectique qui existe entre l’action individuelle et la collectivité.

    Outils

    Sujet Objet

    FIGURE 1Modèle de l’action individuelle selon Vygotsky.

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    Pour Leontiev (1981), une activité est un système comportant une structure à trois niveaux distincts maisinterreliés, soit le niveau des activitésproprement dites, celui des actionset celui des opérations. Le niveaudes activités est celui de la motivation globale qui incite plus ou moins consciemment l’individu à agir; parexemple, le besoin de se nourrir ou de se vêtir motivait l’activité du rabatteur participant à une chasse collec-tive dans les sociétés primitives. Une activité est réalisée par une série d’actions conscientes guidées par unbut plus précis (deuxième niveau), par exemple l’action « faire peur à une horde d’animaux» a pour but précisde la diriger vers d’autres chasseurs6. Leontiev souligne que le résultat des actions posées (telles que fairepeur à une horde d’animaux) ne conduit pas directement à la satisfaction du besoin guidant l’activité (se nour-rir et se vêtir). Au contraire, l’action « faire peur aux animaux» l’éloigne, en quelque sorte, du résultat recher-ché puisque les animaux se sauvent. Ce qui donne tout son sens à l’action du rabatteur, c’est le fait qu’il saitque d’autres chasseurs se chargeront de poser les actions nécessaires pour satisfaire son besoin, qui est partagépar la collectivité. En bref, la signification de son action ne se trouve pas dans l’action elle-même, mais danssa relation aux autres membres du groupe (Tolman, 1999).

    Le troisième niveau identifié par Leontiev est celui des opérations. Il cite l’exemple de l’opération consistantà changer la vitesse d’une voiture manuelle. Au cours de l’apprentissage de cette opération, celle-ci comporteson propre but spécifique conscient (changer la vitesse). Puis, elle est peu à peu subordonnée à une autreaction (modifier la vitesse de l’automobile) et est exécutée de manière automatique. Le conducteur n’est alorsplus conscient de l’opération qu’il exécute. Par ailleurs, les opérations varient selon les conditions concrètesdans lesquelles les actions sont réalisées. Ainsi, les opérations qui permettent au rabatteur primitif de réaliserl’action « faire peur à une horde d’animaux» peuvent être exécutées différemment selon le nombre d’ani-maux, la topographie du territoire, les conditions météorologiques, le fait qu’il soit seul ou avec d’autres, etc.

    La structure hiérarchique de l’activité proposée par Leontiev peut être résumée ainsi : le niveau supérieur del’activité est guidé par une motivation globale collective; le niveau intermédiaire de l’action individuelle oud’un groupe est guidé par un but conscient et le niveau inférieur des opérations automatisées est guidé par lesconditions et les outils disponibles (Engeström, http).

    La théorie de l’activité met ainsi davantage l’accent sur la signification collective de l’activité et inscrit lesujet dans le contexte plus global de la communauté dans laquelle il évolue. Aussi, au modèle de l’actionidividuelle (figure 1), le modèle de l’activité comporte un triangle supplémentaire et ajout de nouveaux pôles(figure 2), soit un pôle représentant la communauté elle-même, un autre pour représenter les règles établiespar cette communauté et un troisième représentant la manière de diviser le travail favorisée dans cette com-munauté (Engeström, 1987; Kuutti, 1996).

    Le système est dynamique et évolue continuellement. Par exemple, un changement dans le design d’un outilpeut influencer la relation du sujet à l’objet de l’activité, ce qui, en retour, peut également influencer les pra-tiques culturelles de la communauté. De même, un changement dans les règles de la communauté peut entraî-ner un changement dans le design des outils.

    Une autre idée défendue par les tenants de la théorie de l’activité est que la pensée ne précède pas l’action,comme le stipulent les théories classiques de la cognition, mais émerge plutôt dans le cours de l’action, selonun processus de régulation réciproque (Jonassen et Rohrer-Murphy, 1999).

    6. Notons qu’une même action peut être posée dans le cadre de différentes activités. Ainsi, l’action « faire peur à une horde d’ani-maux» peut s’inscrire dans une activité de chasse, mais aussi de jeu, d’apprentissage, etc.

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    Outils

    Sujet Objet

    Règles Communauté Division du travail

    FIGURE 2Modèle de l’activité selon la théorie de l’activité.

    1.3 George Herbert Mead (1863-1931) : l’interactionnisme symbolique

    Bien que jamais cités par Vygotsky, les écrits de l’un de ses contemporains, le philosophe George HerbertMead, présentent une vision de la nature sociale du comportement qui est sans doute l’une des plus prochesde la sienne (Kozulin, 1990). Dans son ouvrage Mind, Self and Society(Mead, 1934/1974)7, Mead décritcomment le «soi» émerge d’un processus social dans lequel l’organisme devient conscient de lui-même.Cette conscience de soi émerge de l’interaction entre l’organisme et son environnement, et en particulier dela communication verbale. Il en serait de même pour la pensée. Mead décrit le développement du soi et de lapensée à travers l’évolution de l’habileté de l’enfant à visualiser sa propre performance à partir du point devue des autres. Le soi et la pensée résultent de l’importation de la «conversation des gestes» dans l’organismeindividuel. En bref, Mead argue qu’il ne peut exister de soi et de pensée sans société.

    La théorie de G.H. Mead sur l’émergence de la pensée et du soi à travers un processus social de communica-tion significative constitue l’un des fondements d’une école dans le domaine de la sociologie et de la psycho-logie sociale, appelée l’interactionnisme symbolique(Cronk, http).

    1.4 John Dewey (1859-1952) : l’instrumentalisme

    Pour Dewey, ce que nous appelons une représentationne se trouve pas exclusivement dans la tête d’un indi-vidu; il s’agit plutôt d’un phénomène partagé entre l’individu et la situation (physique et sociale) dans lequelleil se trouve.

    7. En réalité, G.H. Mead n’a jamais publié de livres (mais de nombreux articles). Après sa mort, plusieurs de ces étudiants ont éditéquatre ouvrages à partir des notes prises dans ses cours. L’ouvrage Mind, Self, and Societya été édité par Charles W. Morris.

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    Dewey précise que, dans la vie de tous les jours, nous devons composer le plus souvent avec des situationsfamilières, où les représentations n’interviennent nullement. Cependant, lorsque nous nous trouvons confron-tés à une situation problématique (i.e confuse, dérangeante ou n’évoquant aucune possibilité claire d’actions),nous devons mettre en œuvre un processus actif d’expérimentation (inquiry) qui nous amène à convertir leséléments constitutifs de la situation problématique en un « tout unifié» :

    Inquiry is the controlled or directed transformation of an indeterminate situation intoone that is so determinate in its constituent distinctions and relations as to convert theelements of the original situation into a unified whole. (Dewey, 1938, dans Hall, 1996).

    Dans un tel processus où différents outils (physiques et symboliques) peuvent être utilisés, c’est toute la rela-tion entre la personne et la situation (physique et sociale) qui est restructurée, et non pas uniquement la repré-sentation mentale de la situation.

    Ainsi, la pensée est instrumentale, c’est-à-dire qu’elle est un «moyen de rendre intelligente l’action impliquéedans la reconstruction d’une problématique ou situation indéterminée» (Guérin, 1998, p. 93), et est inextrica-blement liée à la situation dans laquelle elle se déploie.

    Dewey propose l’approche de l’expérimentation scientifique(inquiry-based approach) à titre de modèle géné-ral d’apprentissage pour le développement des habiletés de raisonnement et de résolution de problème. Il sou-tient qu’on apprend «en agissant» (learning-by-doing) ou par l’expérience, et que l’apprentissage devrait sefaire en situation réelle. La vie en général et les situations professionnelles devraient constituer les contextesde base de tout apprentissage.

    Par ailleurs, Bredo (1994) rappelle que Dewey (1896) a proposé l’idée que la perception et l’action s’influencentmutuellement de manière interdépendante. La perception est modifiée par l’action et l’action est modifiée parla perception. Nous verrons que cette idée sera reprise par des penseurs de la cognition située œuvrant dansle domaine de la robotique (Clancey, 1997).

    1.5 Alfred North Whitehead (1861-1949) : la distinction entre le savoir inerte et le savoir utile

    Le philosophe et mathématicien A.N. Whitehead (1929) est surtout cité par les tenants de l’approche contex-tuelle de la cognition pour avoir fait une distinction entre un savoir qu’il qualifie d’inerteet un savoir utile etrobuste. Le savoir inerte est un savoir qui peut être utilisé lorsqu’on demande aux gens de le faire explicite-ment, mais qui n’est pas utilisé spontanément dans des contextes où il est pertinent de le faire. Le savoir inerteserait le résultat d’un apprentissage détaché de tout contexte significatif (Brown, Collins, et Duguid, 1989).

    1.6 Les travaux des anthropologues cognitivistes

    Les travaux des anthropologues cognitivistes visent à étudier les performances cognitives d’individus en con-texte de résolution de problèmes «de tous les jours» (everyday cognition), ou de problèmes réels rencontrésdans la vie réelle (real-world problem) et en particulier dans le monde du travail (Lave, 1988; Lave et Wenger,1991; Rogoff et Lave, 1984). Ces études font ressortir que l’activité cognitive se déroule très différemmentdans ces contextes qu’en milieu formel d’apprentissage. De plus, elles démontrent que des personnes peu scolarisées réussissent à effectuer des tâches qui semblent exiger des processus cognitifs complexes jamaisappris, grâce à l’utilisation d’objets et outils se trouvant à leur disponibilité dans la situation de résolution deproblème. Citons quelques exemples de telles recherches.

  • L’APPROCHE CONTEXTUELLE DE LA COGNITION

    PAGE TÉLÉ-UNIVERSITÉ 20008

    Scribner (1984) a étudié l’utilisation du savoir mathématique chez des travailleurs new-yorkais de l’industrielaitière qui ont pour tâche de remplir les commandes de caisses de produits laitiers et qui sont responsablesde l’inventaire de ces produits dans l’usine. L’une des choses qu’elle a constaté est que les travailleurs n’uti-lisent pas des règles de mathématiques pour ce faire. Ils utilisent plutôt leur savoir «visuel» sur la taille d’unecaisse et l’espace physique. Un travailleur raconte en ces termes comment il a constitué une moitié de caisse(comptant 16 unités) :

    Je me promenais et je visualisais. Je savais que 10 unités avaient été enlevées dansla caisse que je cherchais et j’en voulais seulement 8, alors j’en ai simplement ajouté2… Je ne compte jamais lorsque je fais des commandes. Je visualise.

    De même, les personnes qui font l’inventaire dans l’usine utilisent leur environnement physique pour fairedes sortes de calculs mathématiques. Parce qu’elles savent exactement combien de caisses remplissent un cer-tain espace, elles «soustraient » visuellement de ce nombre le nombre de caisses qu’elles estiment manquantesdu cube qui serait formé si toutes les caisses étaient présentes.

    Dans une autre recherche, de la Rocha (citée dans Lave, Murtaugh et de la Rocha, 1984) observa commentdes personnes engagées dans un programme d’un club de Weight Watcherss’y prenaient pour résoudre desproblèmes de mesure de quantité. Elle rapporte un cas de résolution de problème devenu célèbre dans lesécrits sur la cognition située, appelée le «problème du fromage cottage». Ce problème consistait à mesurer 3/4 de 2/3 de tasse de fromage cottage. Plutôt que de multiplier les fractions, l’une des personnes observéesmesura, à l’aide d’une tasse à mesurer, 2/3 de tasse de fromage. Puis elle versa cette quantité sur le comptoiret forma une sorte de crêpe ronde, la divisa en quatre puis utilisa trois des quatre portions ainsi formées.

    Pour Lave (1988), les personnes engagées dans la résolution de problème de tous les jours – qu’elle appelledes «just plain folks» (JPF) –, ne raisonnent pas de la même manière que les étudiants résolvant les pro-blèmes typiques présentés en classe. Les JPF raisonnent non pas à partir de lois et règles abstraites commeles étudiants le font généralement, mais plutôt à l’aide d’«histoires causales» (causal stories). Un tel raison-nement se rapproche de celui adopté par les experts praticiens, qui, eux, utilisent des «modèles causaux»(causal models). Ceci n’est guère surprenant puisque tant les experts que les JPF sont engagés dans des acti-vités propres à leur culture.

    Une autre orientation des recherches ethnographiques consiste à étudier les modes d’entraînement à un méti-er qui sont adoptés dans certaines sociétés traditionnelles (Rogoff, 1990). Le mode le plus courant est celuide l’apprenti qui acquiert graduellement les connaissances et habiletés liées à un métier en étant en interac-tion étroite avec un expert.

    En se fondant sur les résultats des recherches anthropologiques de ce type, Resnick (1987) résume en quatrepoints, dans un article fréquemment cité, les différences entre l’activité cognitive vécue en contexte scolaireet celle qui se vit en dehors de l’école :

    – La cognition à l’école est essentiellement individuelle, alors qu’elle est partagée avec d’autres personneset avec des outils en dehors de l’école.

    – La cognition valorisée à l’école est celle qui ne s’appuie sur aucune ressource externe (livres, notes, instru-ments, etc.). Bien que de telles ressources soient permises pendant l’activité d’apprentissage, elles sontsouvent interdites au cours des examens. L’école valorise ainsi implicitement une pensée qui fonctionnesans l’aide d’outils physiques et cognitifs. Au contraire, la plupart des activités mentales exécutées en

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    dehors de l’école se font avec des outils. Nous partageons notre travail mental avec les outils cognitifsque d’autres personnes ont conçus.

    – En dehors de l’école, les gens raisonnent en utilisant directement les objets et les événements et non pasdes symboles. C’est le cas notamment des travailleurs de l’industrie laitière étudiés par Scribner (1984).Au contraire, à l’école, la plupart des activités reposent sur la manipulation de symboles et sont déta-chées de tout contexte significatif, de sorte que cela développe chez les enfants l’idée que l’école sert àapprendre des règles abstraites qui sont peu liées à ce qui se passe hors de l’école.

    – L’école vise l’acquisition de principes théoriques généraux et le développement d’habiletés générales.En dehors de l’école, les gens doivent cependant développer des habiletés spécifiques à chaque situa-tion. Il y a rarement utilisation du savoir général acquis à l’école; plutôt, les gens inventent de nouvellesméthodes spécifiques à chaque situation.

    1.7 James J. Gibson : la théorie des potentialités (affordances)

    Les travaux de Gibson sur la perception visuelle l’ont amené à élaborer une théorie des potentialités(affordances),qui stipule que les objets présents dans un environnement possèdent non pas uniquement des propriétésphysiques mais aussi et surtout des propriétés fonctionnellesqui déterminent les utilisations que différentsorganismes vivants peuvent en faire : une poignée est un objet pour ouvrir une porte, une chaise est un objetpour s’asseoir, un escalier est un objet pour monter, etc. Voici plus précisément comment Gibson (1979)définit ce concept :

    The affordances of the environment are what it offerts the animal, what it provides orfurnishes, either for good or ill. (…) If a terrestrial surface is nearly horizontal(instead of slanted), nearly flat (instead of convex or concave), and sufficientlyextended (relative to the size of the animal) and if its substance is rigid (relative tothe weight of the animal), then the surface affords support… Note that the four pro-perties listed – horizontal, flat, extended, and rigid – would be physical properties ofa surface if they were measured with the scales and standard units used in physics.As an affordance of support for a species of animal, however, they have to be mea-sured relative to the animal. They are unique for that animal. They are not just abstractphysical properties. (p. 127)

    Cette information d’ordre fonctionnel serait perçue directement (picked up) par les organismes vivants etn’exigerait donc pas de traitement interne. En effet, Gibson argue que nous ne percevons pas l’informationportant sur notre position dans un environnement spatial et sur la localisation des objets en relation avec nosmouvements par le biais de représentations cognitives et l’exécution de calculs mentaux, mais plutôt par unprocessus dit de perception directe. Comme l’illustrent Vera et Simon (Vera et Simon, 1993a) dans leur inter-prétation de la théorie de Gibson, lorsqu’on aperçoit une route, il n’est pas nécessaire qu’un processus men-tal de reconnaissance de l’information soit mis en œuvre pour percevoir qu’il s’agit de «quelque chose pourcirculer» (drivable) : «A road’s drivability exists in the perception of the relation between self and environment»(p. 19).

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    1.8 Lucy Suchman : la théorie de l’action située

    Nous avons vu que la théorie de l’activité postule l’existence d’un but qui donne son sens aux actions. Commele souligne Jermann (1996), ce n’est cependant pas le cas dans la théorie de l’action située, qui donne uneplace plus grande à l’improvisation du sujet dans l’action. Dans cette dernière théorie, les buts sont plutôt défi-nis comme des reconstructions effectuées a posterioride l’action.

    C’est le point de vue adopté par Suchman (1987). Cette chercheure du Xerox PARC (Palo Alto ResearchCenter) s’intéresse aux processus de planification. On sait que, pour les chercheurs de l’approche classiquede la cognition, les plans (tels qu’une série de procédures) sont l’essence même des actions humaines. Or,pour Suchman, les plans ne déterminent pas le cours des actions : ils jouent un rôle avantet aprèsune action,mais ont un rôle minimal dans le cours mêmede l’action. Ce n’est que lorsqu’un problème se présente quel’on ferait une réflexion sur l’action et que l’on invoquerait un plan d’action.

    Par exemple, au moment de descendre des rapides dans un canoë, une personne ne met pas à exécution le plangénéral de son parcours qu‘elle aura préparé avant d’entamer son expédition; ce plan n’a qu’une fonctiond’organisation et de prédiction et n’entretient pas de lien direct avec l’action. Dans le feu de l’action, le cano-teur fera plutôt appel, au fur et à mesure de ses péripéties, à ses habiletés et aux ressources disponibles.

    En bref, les plans sont de nature rétrospective, alors que l’action est plutôt guidée par un processus continud’ajustement au contexte. L’action est ainsi dite «située».

    2. LES IDÉES FONDAMENTALES DE L’APPROCHE CONTEXTUELLE DE LA COGNITION

    Le postulat commun à l’ensemble des auteurs se réclamant de l’approche contextuelle de la cognition est àl’effet que la pensée est indissociable du contexte dans lequel elle se déploie; autrement dit, la pensée n’estpas une «substance» qui se trouve dans la tête d’un individu et elle n’opère pas en vacuum. Il ne s’agit doncaucunement d’une sorte de cognition qui se distinguerait d’une cognition «non située», mais bien d’une caractéristique fondamentale de la cognition (Greeno et Moore, 1993) : elle est «située», c’est-à-dire inextri-cablement liée à son environnement physique et social. Comme le soulignent Moore et Rocklin (1998), cetteapproche se distingue des approches qui accordent aux facteurs sociaux un rôle déterminant dans le déve-loppement de la cognition, qui, elle, demeure fondamentalement de nature individuelle.

    De ce postulat de base, nous pouvons tirer trois idées fondamentales défendues par les tenants de l’approchecontextuelle de la cognition, soit :

    – La cognition s’inscrit dans une matrice socioculturelle donnée.

    – La cognition est «distribuée».

    – Le savoir est dynamiquement construit au fil d’ajustements continus du sujet en activité.

    Les différents auteurs vont insister davantage sur l’une ou l’autre de ces idées, ce qui renforce l’impressiond’une «situa-babel», pour reprendre l’expression de Patel (dans Anderson, Reder et Simon, 1997). Par exemple,le premier énoncé se retrouve surtout dans le discours des chercheurs en éducation et des anthropologues cognitivistes. Le troisième énoncé est surtout défendu par des chercheurs du domaine de l’intelligence artifi-cielle tels que Clancey (1997), alors que le deuxième énoncé est discuté tout autant en éducation qu’en intelli-gence artificielle. Voyons brièvement ce que signifie chacun de ces énoncés.

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    2.1 La cognition s’inscrit dans une matrice socioculturelle donnée

    Pour les tenants de l’approche contextuelle de la cognition, le savoir n’est pas la capacité à appliquer desrègles abstraites pour résoudre des problèmes, mais plutôt la capacité d’un individu à participer aux pratiquessociales adoptées dans sa communauté :

    Rather than viewing knowledge as some form of «substance» residing in the mindsof individuals, it can be understood as some kind of relations between an individualand a physical and/or social situation. Based on this relational view, knowing is theability to interact with things and other people in a situation, and learning is the impro-vement in that ability,i.e. getting better in participating in a situated activity. (Gruberet al., 1995, p. 173).

    Ainsi, il est important de comprendre que la cognition est dite située, parce qu’elle s’inscrit non seulementdans un environnement immédiat qui inclut des outils et d’autres personnes, mais également (et surtout) dansun environnement socioculturel plus englobant qui structure les activités des individus. L’apprentissage con-siste pour ceux-ci à devenir de plus en plus aptes à s’ajuster aux contraintes et aux potentialités (affordances)des systèmes matériels et sociaux avec lesquels ils interagissent (Greeno, Collins, et Resnick, 1996) .

    Les chercheurs en sciences de l’éducation reprochent à l’école actuelle de ne pas tenir compte de ce fait, cequi amène les élèves non seulement à éprouver une plus grande difficulté à apprendre, mais également àacquérir des savoirs inertes, difficiles à utiliser par la suite (Brown, Collins et Duguid, 1989; Resnick, 1987).

    2.2 La cognition est «distribuée»

    Puisque la théorie contextuelle de la cognition postule que la pensée ne se situe pas dans la tête d’un individumais dans la relation que celui-ci entretient avec son environnement, elle défend donc également l’idée quela cognition se trouve ainsi distribuéeentre les personnes et les outils physiques et symboliques présents danscet environnement (Greeno, Collins et Resnick, 1996; Moore et Rocklin, 1998; Pea, 1993; Perkins, 1995;Salomon, 1993). Il est indéniable, en effet, que les outils que nous utilisons «contiennent» de l’intelligence.Les concepteurs de ces outils y ont insufflé leur savoir et leur expertise pour en faire des instruments qui nous facilitent la vie, que ce soit en nous permettant d’économiser du travail mental ou physique, de com-muniquer entre nous, d’éviter des erreurs, etc. Il y a aussi de l’intelligence dans les interactions sociales, quece soit dans le guidage offert par un parent à son enfant en train de faire un casse-tête ou dans les efforts collaboratifs d’un ensemble d’individus qui cherchent à atteindre un but commun.

    2.3 Le savoir est dynamiquement construit au fil d’ajustements continus du sujet en activité

    Cette idée repose sur le postulat qu’il y a coordination continue et directe entre la perception et l’action, sansintervention de représentations symboliques ou de plans mentaux. Pour Clancey (1997), toute action humaineest partiellement improvisée par le couplage direct de la perception, du mouvement et de la conception qu’unindividu se fait de l’activité. Ainsi, le savoir n’est pas emmagasiné dans la pensée sous forme de connais-sances factuelles et de règles abstraites. Il s’agit plutôt d’une «capacité-en-action» :

    The theory of situated cognition (…) claims that every human thought and action isadapted to the environment, that is, situated, because what people perceive, how theyconceive of their activity, and what they physically do develop together. (Clancey,1997, pp. 1-2).

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    Dans une telle conception, le rôle de la rétroaction prend donc une importance particulière.

    Cette interprétation dynamique du concept de cognition située inspire notamment les chercheurs en intelli-gence artificielle qui tentent de construire des systèmes intelligents qui fonctionnent sans l’usage de représen-tations symboliques ou de processus de planification.

    3. LE DÉBAT ENTRE LES TENANTS DE L’APPROCHE SYMBOLIQUE ET CEUX DEL’APPROCHE CONTEXTUELLE DE LA COGNITION

    L’approche contextuelle de la cognition remet directement en question certaines idées de l’approche classiquedu traitement de l’information. Voyons brièvement quelques points du débat.

    3.1 Le rôle des représentations internes dans le comportement intelligent

    Le point majeur de désaccord entre les tenants de l’approche symbolique et ceux de l’approche contextuellede la cognition concerne le rôle des représentations internes et des plans mentaux dans l’explication du com-portement de systèmes intelligents.

    Les théories classiques du traitement de l’information stipulent que toute activité cognitive implique unemanipulation de symboles et l’élaboration de plans mentaux. Mais pour les tenants de l’approche contextuellede la cognition, il n’est nul besoin de faire intervenir des représentations internes dans l’équation. Les sys-tèmes intelligents accèdent directement aux potentialités (affordances) de l’environnement et leurs actionssont entièrement guidées par la situation elle-même, de manière dynamique.

    Dans leur critique de l’approche de la cognition située, Vera et Simon (1993a) tentent de démontrer, en ana-lysant le fonctionnement de divers systèmes d’intelligence artificielle, que, dans toute action intelligente,même la plus simple ou même si celle-ci est exécutée de manière non consciente (comme dans la perceptionvisuelle), il y a une représentation, même rudimentaire, et que les systèmes conçus selon une approche clas-sique de la cognition peuvent tout aussi bien composer avec des environnements complexes et dynamiquesque les systèmes conçus selon une approche de cognition située. Ils présentent d’abord deux projets qui, bienque s’inspirant de la théorie classique de la cognition, interagissent en temps réel avec des environnementscomplexes et dynamiques: il s’agit de Phoenix(Cohen, Greenberg, Hart, et Howe, 1989) qui simule et tentede contrôler des feux de forêts dans le Yellowstone National Park, et de Navlab(Thorpe, 1990), un robot quipeut se mouvoir sur de longues distances en évitant les obstacles. Selon Vera et Simon, ces deux systèmessont des systèmes symboliques qui combinent de manière efficace des capacités de réponse à l’environnementet des capacités de planification et qui sont hautement sensibles au contexte. Par ailleurs, ils présentent deuxsystèmes issus de l’approche contextuelle, soit Pengi(Agre et Champman, 1987), un programme qui joue àun jeu vidéo de type arcade, et les Creaturesde Brooks (1991), des robots mobiles qui fonctionnent sansreprésentation centralisée, à la manière des insectes. Mais Vera et Simon croient que, de fait, ces systèmesutilisent des représentations internes :

    The claim that these systems do not use representations clearly rests on an unusualdefinition of the term symbol […]. Both Brooks’s (1991) insects and Agre andChapman’s (1987) Pengi seem to have categorical representations of states in theworld and functional characterizations of those states. With these characteristics, theysatisfy the definition of a symbol system. That the symbols in question are both

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    goal-dependent and situation-dependent does not change their status. They are gen-uine symbols in the traditional information-processing sense. (p. 37)

    Leur analyse les amène à conclure qu’il n’y a pas d’opposition entre les deux approches de la cognition : d’unepart, les systèmes d’intelligence artificielle dits d’«action située» sont, de fait, des systèmes symboliques et,d’autre part, certains systèmes symboliques sont, de fait, des systèmes d’«action située». Selon eux, l’expres-sion «action située» peut servir, au mieux, à identifier ces systèmes symboliques qui sont spécifiquementconçus pour opérer, en temps réel et de manière adaptée, dans des environnements complexes. De plus, ilsestiment que l’approche symbolique, bien qu’elle s’intéresse particulièrement à ce qui se passe dans la tête de l’individu, ne néglige pas la relation que ce dernier entretient avec l’environnement.

    Pour Vera et Simon (1993a), ce que l’on appelle des potentialités (affordances) sont, en fait, des représenta-tions internes de configurations complexes d’objets externes, qui capturent la signification fonctionnelle desobjets. Dans le langage de la théorie du traitement de l’information, on les appelle des «chunks». MaisGreeno et Moore (1993) croient qu’il s’agit là d’une définition erronée des potentialités : celles-ci sont bel etbien des propriétés de l’environnement et non pas de l’individu.

    Un ardent défenseur de l’approche de la cognition située, William Clancey (1991, dans Chiou, 1992), admet qu’ily a des représentations dans l’activité intelligente, mais celles-ci sont le produit des interactions entre le sujetet l’environnement et non pas un substrat qui génèrele comportement. Le savoir n’est pas un artefact emma-gasiné dans la mémoire, mais plutôt une «capacité-en-action» construite dynamiquement. Mais pour Vera etSimon (1993b), de dire qu’une représentation est fonctionnelle n’en nie pas moins son caractère symbolique.

    En réponse à la critique de Vera et Simon (1993a), Greeno et Moore (1993) précisent qu’en fait, l’approchecontextuelle de la cognition ne rejette pas entièrement l’idée qu’il y a des représentations symboliques dansl’activité intelligente; cependant, celles-ci n’expliquent pas l’ensemble du phénomène de la cognition. Touteactivité cognitive n’est pas nécessairement ou entièrement symbolique :

    […] operations on and interpretations of symbols can be important aspects of cogni-tive activity, but constitue only some of the phenomena that a theory of cognitiveactivity should endeavor to explain. We expect that accounts of some individual andsocial cognitive phenomena will include hypotheses about processes that use sym-bols, but others will not. More generally, we expect that accounts of most – perhapsall – individual and social cognitive phenomena will include hypotheses about pro-cesses that are not symbolic, and that a theory of cognition should help us understandhow symbolic processes are involved in individual and social cognitive process. (p. 50)

    Sur ce point, le débat semble parfois tourner en rond : le désaccord ne semble plus qu’une question de con-fusion dans l’interprétation des termes utilisés par les deux camps. Par exemple, Vera et Simon (1993a) écrivent :

    If the SA view is suggesting simply that there is more to understanding behavior thandescribing internally generated, symbolic, goal-directed planning, then the symbolicapproach has never disagreed. (p. 23)

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    3.2 La nature sociale de la pensée

    Pour les tenants de l’approche contextuelle, la pensée est fondamentalement sociale. Les tenants de l’approchesymbolique admettent aussi ceci (Vera et Simon, 1993a). Pour ces derniers, tout comportement humain estsocial parce qu’une grande partie du contenu de notre mémoire est acquis par le biais de processus sociaux(i.e. par l’enseignement et l’interaction sociale). De plus, une grande partie du contenu de notre mémoire estde nature sociale : information sur des personnes spécifiques, information sur les personnes en général ou surleurs modes d’interaction, etc. Cependant, à leur avis, cette variable n’est pas pertinente pour expliquer etsimuler l’activité intelligente :

    For many purposes of cognitive simulation, it is of no special significance that thoughtis social. So long as a system is provided with a knowledge base that corresponds withthe relevant knowledge possessed by the person who is being simulated, one need notbe concerned with the original source of that knowledge. A theory of performance(e.g., problem-solving performance) explains how performance processes graduallytransform given initial conditions into new knowledge that includes a path to the goal.A quite different task of explanation is to show how, and in what form, the body ofknowledge comes to be stored in memory: how it it learned. (pp. 42-43)

    En bref, les tenants de l’approche symbolique admettent que la perspective contextuelle a contribué positive-ment à la recherche sur la cognition en mettant l’accent sur des aspects contextuels et sociaux de la cognition(Anderson, Reder et Simon, 1997). Il n’en reste pas moins, croient-ils, qu’une compréhension complète duphénomène est impossible sans prendre en compte les processus mentaux individuels :

    Such understanding can only be achieved through serious attention to what goes in thehuman mind, and not simply through external observation of social interaction. (p. 20)

    Mais les défenseurs de l’approche contextuelle estiment que l’approche symbolique offre également une vuepartielle du phénomène:

    Understanding the ways in which people construct symbols with meanings and attri-bute meanings to symbols is a critical problem in cognitive and social science, but itis not the whole problem. (Greeno et Moore, 1993, p. 51)

    3.3 L’unité d’analyse de la cognition et les méthodes de recherche favorisées

    Pour les théoriciens de l’approche symbolique de la cognition, l’unité d’analyse de la cognition est la penséeindividuelle. On s’intéresse aux processus internes qui sont mis en œuvre chez l’individu lors de la réalisa-tion d’activités cognitives, ainsi qu’aux structures cognitives qui sont emmagasinées en mémoire. La culture,le contexte et la vie sociale ne sont pas des éléments constitutifs de la pensée mais plutôt des entités qui « influencent» la cognition (Säljö, 1995). Les méthodes de recherche privilégiées sont essentiellement l’expé-rimentation, généralement dans des environnements contrôlés (plutôt que dans des milieux naturels), et lasimulation informatique. En quelque sorte, le contexte constitue une variable «nuisible» au processus derecherche, plutôt qu’un aspect intégral des événements cognitifs (Rogoff, 1984).

    La perspective contextuelle postule qu’il y a indivisibilité entre la cognition et l’environnement socioculturelet propose ainsi un niveau différent d’analyse. Ici, on s’intéresse à l’étude de systèmes en interaction, c’est-à-dire aux agents cognitifs en interaction les uns avec les autres et avec des systèmes physiques et symbo-liques. Toutefois, comme le précise Greeno (1997), les recherches peuvent porter autant sur l’activité d’un

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    individu que l’activité d’un groupe. Dans les études des activités des groupes, on étudie essentiellement lespropriétés des pratiques sociales, en utilisant des concepts et des méthodes issus de l’ethnographie, l’ethno-méthodologie, l’analyse du discours, l’interactionnisme symbolique et la psychologie socioculturelle. Dansles études de l’activité individuelle, une approche écologique est adoptée (Turvey, 1992), de même que lathéorie des systèmes dynamiques (Thelen et Smith, 1994). La création de systèmes d’intelligence artificiellequi fonctionnent sans avoir recours à des représentations internes constitue également une méthode de rechercheprivilégiée (Clancey, 1997).

    Comme le précisent Kirshner et Whitson (1998), il est important de comprendre que le point de vue adoptéici n’est pas celui des socioconstructivistes qui tentent de coordonnerles théories axées sur l’individu et cellesaxées sur l’environnement social. Les tenants de l’approche contextuelle adopte plutôt une approche dialec-tique qui vise une intégrationde ces théories.

    Smith (1999) résume comment chacune des deux perspectives définissent la cognition. Selon l’approche clas-sique, la cognition est :

    – individuelle: l’intelligence relève de la personne solitaire;

    – rationnelle: la pensée conceptuelle et intentionnelle constitue le modèle exemplaire de la cognition;

    – abstraite: l’environnement est une variable de seconde importance dans l’explication de la cognition;

    – détachée: la pensée est traitée séparément de la perception et de l’action;

    – générale: la science cognitive vise la recherche de principes universels relatifs à la cognition, qui sontvrais pour tous les individus et qui peuvent être appliqués en toutes circonstances.

    Alors que, du point de vue de l’approche contextuelle, la cognition est :

    – sociale: la pensée est « localisée» dans des cadres construits par des communautés humaines;

    – incarnée(embodied) : les aspects matériels des organismes cognitifs sont significatifs pour expliquer la cognition;

    – concrète: les contraintes physiques et les circonstances de la situation sont des variables importantespour expliquer la cognition;

    – localisée: la pensée est dépendante du contexte;

    – engagée: la cognition suppose une interaction continue avec l’environnement;

    – spécifique: l’activité varie selon les contingences de chaque situation.

    3.4 La question du transfert du savoir

    Les tenants de l’apprentissage situé postulent que l’action est enracinée dans la situation dans laquelle elle estexécutée. Cette proposition est souvent interprétée comme signifiant que des savoirs acquis dans un contextene peuvent être transférées à d’autres situations, ce que les défenseurs de l’approche symbolique de la cogni-tion contestent. En effet, estiment Anderson, Reder et Simon (1996), plusieurs recherches ont déjà démontréque le transfert d’apprentissage est possible et que différents facteurs peuvent expliquer pourquoi, dans cer-tains cas, le transfert ne s’effectue pas. Par exemple, certains types de contenu seraient, en soi, davantage spé-cifiques à un contexte que d’autres. C’est le cas de plusieurs contenus mathématiques. Toutefois, il est pos-sible de favoriser leur transfert à d’autres contextes en les présentant dans de multiples contextes plutôt quedans un seul. D’autres facteurs peuvent aussi expliquer les cas d’absence de transfert : manque de pratiqueavec la tâche visée, représentation erronée de la tâche de transfert chez les sujets, insuffisances d’exemplesfournis, manière dont l’attention des sujets est dirigée durant l’apprentissage, absence de réflexion sur le

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    potentiel de transfert des contenus appris, etc. (Anderson, Reder et Simon, 1996). De plus, la théorie des élémentscommunsproposée au début du siècle (Thorndike et Woodworth, 1901) pour expliquer le phénomène du trans-fert d’apprentissage a été validée expérimentalement (Singley et Anderson, 1989) :

    As a general statement of this research, transfer varied from one domain to anotheras a function of the number of symbolic components that were shared. (Anderson,Reder et Simon, 1996, p. 7)

    Greeno (1997) estime que Anderson, Reder et Simon interprètent mal l’approche de la cognition située sur laquestion du transfert. Selon lui, cette approche ne nie pas que le transfert d’apprentissage soit possible. Lesdivergences concerneraient plutôt l’explication du phénomène lui-même. En fait, pour lui, le savoir n’est pasune substance qui est acquise durant l’apprentissage et qui est transportée dans une nouvelle situation où ellesera ou non utilisée. L’apprentissage est plutôt défini comme l’amélioration de la participation de l’apprenantà des systèmes interactifs. Ceci signifie que l’apprenant doit devenir de plus en plus sensible aux contrainteset aux potentialités de ces systèmes de manière que son interaction avec ces systèmes soit de plus en plus effi-cace. Dans un test de transfert d’apprentissage, la situation initiale est transformée. Pour le réussir, l’apprenantdoit transformer son activité (i.e. son interaction avec les systèmes dans la situation) en tenant compte de lamanière dont la situation a été elle-même transformée:

    Whether this transformation is easy or hard for a learner depends on how the learnerwas attuned to constraints and affordances in the initial learning activity. If the initiallearning was accomplished with attunements to constraints and affordances that areinvariant across the learning-to-transfer transformation, transfer should occur easily.(p. 12)

    Ainsi, pour Greeno, c’est l’invariance des patrons de processus participatifs entre la situation initiale et la situation de transfert (Kirshner et Whitson, 1998) qui assure le transfert. Autrement dit, pour que le transfertsoit possible, il faut que certaines contraintes et potentialités soient invariantes dans les deux situations et quel’apprenant ait eu l’occasion de s’ajuster à ces contraintes et potentialités dans la situation initiale (Greeno,Collins et Resnick,1996). Greeno estime que cette explication du phénomène du transfert constitue, en fait,non pas un rejet de la théorie des éléments communsadoptée par les tenants de l’approche classique de lacognition (le transfert est fonction du degré de partage d’éléments cognitifs entre les deux tâches), mais plutôtune généralisation de cette thèse :

    It is important to note that our account of transfer in terms of transformations of cons-traints, affordances, and attunements of transformations of constraints, affordances,and attunements is a generalizatin of standard stimulus-response, production-system,and schema-theoretic accounts, rather than a contradiction of them. Associations andmental representations are a special case of attunements […]. (p. 12)

    Clancey (1992) estime également que l’approche contextuelle de la cognition ne nie pas la possibilité qu’il yait transfert de savoir d’une situation à l’autre. Cependant, ceci est possible non pas parce que l’individu aemmagasiné des éléments abstraits dans sa tête, mais parce que ces abstractions sont devenues des manièresde voir et de coordonner ses activités :

    Transfer is possible not because the student has memorized abstractions, but becausethese have become ways of seeing and coordinating activity. (p. 61)

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    Récemment, un terrain d’entente sur la question du transfert d’apprentissage semble avoir été trouvé entre desreprésentants des deux camps. En effet, ils reconnaissent que les deux perspectives offrent des résultats derecherche intéressants sur les conditions d’apprentissage qui peuvent favoriser le transfert d’apprentissage.L’approche cognitive a fourni des analyses qui permettent de déterminer la quantité de transfert d’apprentis-sage qu’il est possible d’obtenir entre des tâches bien définies (ex. : Singley et Anderson, 1989) et a montréque l’apprentissage à l’utilisation de formes spécifiques de représentation peut faciliter le transfert d’appren-tissage entre des tâches spécifiques (ex : Bassok et Holyoak, 1989). L’approche contextuelle a, pour sa part,contribué à mieux comprendre comment des individus ayant une expérience préalable dans différents pra-tiques importent leur manière d’agir et d’apprendre dans de nouveaux contextes (ex : Lave, Smith, et Butler,1988) et que des représentations formelles apprises à l’école peuvent jouer un rôle important dans la manièredont l’apprentissage scolaire influence des pratiques non scolaires (ex. : Saxe, 1990).

    3.5 Les approches d’enseignement privilégiées

    Anderson, Reder et Simon (1996; 1997) critiquent certaines des recommandations pédagogiques spécifiéespar les tenants de l’approche contextuelle de la cognition.

    L’une des recommandations les plus fréquentes est à l’effet que l’apprentissage devrait idéalement se faire dans des contextes « authentiques » et selon une approche de compagnonnage cognitif(cognitiveapprenticeship)8 (Brown , Collins et Duguid, 1989) :

    The differences between formal schooling and apprenticeship methods are many, butfor our purposes, one is most important. Perhaps as a by-product of the relegation oflearning to schools, skills and knowledge taught in schools have become abstractedfrom their uses in the world. In apprenticeship learning, on the other hand, targetskills are not only continually in use by skilled practitioners, but are instrumental tothe accomplishment of meanningful tasks. (pp. 453-454)

    Pour Anderson, Reder et Simon, le corollaire de cette recommandation est que l’enseignement «abstrait»n’est pas valable. Or, selon eux, l’enseignement abstrait peut être très efficace, comme le démontrent dif-férentes recherches ayant comparé des méthodes d’enseignement «abstrait» (abstract instruction) et desméthodes d’enseignement «concret» (concrete instruction). Ils admettent, cependant, que l’enseignementabstrait peut aussi ne pas être efficace si ce que l’on enseigne dans la classe n’est pas ce qui est requis sur lemarché du travail. Cependant, cela ne signifie pas qu’il faut rejeter l’enseignement abstrait. Par ailleurs, ilsestiment que la plupart des théories du traitement de l’information proposent des méthodes d’apprentissagedu type «apprendre-en-faisant» (learning-by-doing) qui combinent une méthode d’enseignement abstrait àdes illustrations concrètes des concepts appris, ce qui, selon les recherches, s’avère très efficace. Ils concluentque la recommandation à l’effet que les élèves doivent travailler à des problèmes authentiques est superficielle: ce qui est important, ce sont les processus cognitifs qui sont mis en œuvre chez les élèves :

    What is important is what cognitive processus a problem evokes and not what real-world trappings it might have. (Anderson, Reder et Simon, 1996, p. 9).

    8. Le compagnonnage cognitif(cognitive apprenticeship) s’inspire de la métaphore de l’apprenti travaillant sous la supervision d’unexpert artisan dans les sociétés traditionnelles et de la manière dont les gens apprennent «naturellement» dans des environ-nements informels quotidiens (Rogoff et Lave, 1984).

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    Souvent, écrivent-ils, les situations authentiques d’apprentissage impliquent des tâches cléricales qui acca-parent l’attention des élèves (ex. : faire l’édition de tableaux et de graphiques) et offrent ainsi peu d’occasionde développer les compétences de plus haut niveau qui sont visées :

    For instance, we have observed in high school mathematics classrooms – where wehave introduced longer, more real-world-like problems, to situate algebra (Koedinger,Anderson, Hadley, et Mark, 1995) – that much of student time is spent on tasks suchas tabling and graphing, which rapidly become clerical in nature. On the other hand,relatively little time is spent relating algebraic expressions to the real-world situationsthey denote. (p. 9)

    À ces critiques, Greeno (1997) réplique que l’approche contextuelle de la cognition ne nie pas l’importancepour les individus d’apprendre à utiliser les représentations abstraites qui sont utilisées dans leur communauté.Cependant, trop souvent, ces représentations sont isolées de leur signification. Il cite le cas d’étudiants quiapprennent à manipuler des expressions algébriques, sans que celles-ci ne soient mises en relation avec leursignification. Cette situation conduit à des apprentissages très spécifiques plutôt qu’au développement decompétences plus générales de raisonnement et de compréhension:

    When the practices of schooling are focused on students’ learning to perform correcttransformations on symbolic expressions, the result can be to make that knowledgevery specific, in the sense that it satisfies requirements of school activity withoutstrenghtening students’ general reasoning and understanding. (p. 14)

    Une autre recommandation pédagogique issue de l’approche contextuelle de la cognition et qui est critiquéepar les tenants de l’approche symbolique est à l’effet que l’apprentissage devrait se faire idéalement dans desenvironnements «complexes» et des contextes sociaux, selon un mode d’apprentissage collaboratif.

    Anderson, Reder et Simon (1996) estiment que, bien qu’il faille apprendre à composer avec les aspects sociauxd’un travail, il n’y a aucune raison de penser que toutes les habiletés requises dans ce travail doivent êtreapprises en contexte social. Ils citent l’exemple d’un étudiant en comptabilité: bien que celui-ci doive apprendreà interagir avec des clients, il n’a pas à apprendre le code de taxation et l’usage d’une calculatrice en inter-agissant avec des clients. Au contraire, il est même préférable d’apprendre les différentes composantes de satâche de manière indépendante, puisqu’une quantité moins grande de ressources cognitives seront ainsi solli-citées et que la réserve de capacité à apprendre est ainsi préservée. Ils admettent cependant qu’il est parfoispertinent d’exercer des habiletés dans des environnements complexes. C’est le cas de la personne qui apprendà jouer du violon : elle doit mettre sa technique au point en s’exerçant en solo, mais elle doit aussi apprendreà jouer au sein d’un orchestre. Toutefois, il ne faut pas en conclure que l’apprentissage dans des environ-nements complexes est le principal mécanisme d’apprentissage. En outre, ces auteurs, citant un recension derecherches dans le domaine de l’apprentissage coopératif (Druckman et Bjork, 1994), soulignent que larecherche en ce domaine n’est pas concluante. En fait, l’apprentissage coopératif peut même être peu efficace.Ils en concluent que l’apprentissage coopératif n’est pas une panacée et prônent plutôt une combinaisond’approches d’enseignement :

    The evidence shows, then, that skills in complex tasks, including those with largesocial components, are usually best taught by a combination of training proceduresinvolving both whole tasks and components and individual training and training insocial settings. (p. 10)

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    Du point de vue des tenants de l’approche contextuelle, le fait de dire que l’activité est fondamentalementsociale n’a rien à voir avec le fait qu’elle soit exécutée individuellement ou en groupe (Clancey, 1995; Greeno,1997). Lorsqu’on dit qu’une action est située, cela signifie plutôt qu’elle s’inscrit dans les pratiques socialesd’une communauté et qu’elle est contrainte par la compréhension qu’a une personne de sa «place» au seinde cette communauté. Ainsi, même une situation d’apprentissage individuel constitue une situation socialecomplexe :

    The situative view, which recognizes that learning is participation in social practice,assumes that all instruction occurs in complex social environments. For example, astudent studying alone with a textbook or a computer tutor may not have other peoplein the same room at the time, but the student’s activity is certainly shaped by the socialarrangements that produces the textbook or the computer program, let to the student’sbeing enrolled in the class where the text or program was assigned, and provided thesetting in which the student’s learning will make a difference in how the student par-ticipates in some social activity, such as a class discussion or a test. (Greeno, 1997,pp. 9-10)

    Greeno (1997) renchérit en précisant que l’approche contextuelle ne propose nullement que l’apprentissage engroupe soit toujours efficace, indépendamment de la manière dont il est organisé, ou encore que les exercicesindividuels ne peuvent pas contribuer à améliorer le processus de participation d’un individu aux pratiquessociales. De fait, de tels exercices individuels sont souvent essentiels. Le désaccord semble dû au rôle quechaque approche attribue à ces exercices: s’agit-il d’acquérir simplement des habiletés sans en comprendre lelien avec le monde extérieur ou s’agit-il d’une activité visant à améliorer la participation d’un individu à despratiques sociales valables et à développer son identité en tant qu’apprenant responsable et auto-dirigé?

    Dans une tentative de réconciliation, des représentants des deux camps (Anderson, Greeno, Reder et Simon,2000) admettent qu’en réalité, l’approche symbolique ne doit pas être interprétée comme niant la valeur del’apprentissage collaboratif, tout comme l’approche contextuelle ne doit pas être interprétée comme niant lavaleur de l’apprentissage individuel :

    The difference between the perspectives involves different ways of focussing onlearning activity, but both perspectives provide accounts of learning that can occur ingroups and in solitary activity. Both perspectives provide important insights into theprocesses of effective performance and learning, and neither is limited either to acti-vity by groups or to individuals acting alone. (p. 11)

    À titre d’exemple, les auteurs reprennent l’exemple de la personne qui s’exerce à jouer d’un instrument demusique de manière individuelle, puis au sein d’un orchestre. La perspective cognitive considère ces deuxmodalités comme des contextes d’apprentissage différents dans lesquels différentes habiletés sont dévelop-pées par les individus (l’habileté à jouer au sein d’un orchestre et l’habileté technique individuelle à jouer del’instrument). La perspective contextuelle considère ces modalités comme différents aspects d’une pratiqued’apprentissage dans une activité socialement organisée (le groupe apprenant à coordonner l’activité et l’indi-vidu apprenant à interagir plus efficacement avec l’instrument afin d’en arriver à contribuer plus efficacementà l’ensemble).

    Les deux perspectives peuvent donc fournir des données utiles pour le monde de l’éducation, concluent lesauteurs provenant des deux camps.

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    4. L’APPROCHE CONNEXIONNISTE ET L’APPROCHE CONTEXTUELLE DE LA COGNITION: CONVERGENCE OU DIVERGENCE?

    Comme on l’a vu, la théorie de la cognition située s’est développée en bonne partie en s’opposant à la théorieclassique du traitement de l’information. Peu d’auteurs se sont attardés à rechercher les points de convergenceet de divergence qu’elle entretient avec une autre approche de la cognition qui s’oppose également à l’approchesymbolique, soit le connexionnisme. Rappelons que, selon cette dernière perspective, la cognition n’est plusvue comme un système de transformation sérielle de représentations mentales, mais comme un système detraitement parallèle d’informations interconnectées à la manière d’un réseau de neurones.

    Kirshner et Whitson (1998) soulignent que les architectures connexionnistes mettent en évidence la grandesensibilité du système cognitif aux stimulis externes, suggérant ainsi un lien plus étroit entre les processusinternes et l’environnement externe. L’approche connexionniste nous invite donc, en quelque sorte, écrivent-ils, à repenser la cognition en tant que relation dynamique entre un sujet et son environnement et en tant queprocessus participatif. À ce titre, elle partage une certaine parenté avec l’approche contextuelle.

    De même, Greeno, Collins et Resnick (1996) utilisent un langage proche de l’approche contextuelle pourdécrire une conception connexionniste du savoir. Selon eux, cette dernière approche :

    […] suggests an analysis of knowledge in terms of attunements to regularities in thepatterns of environmental events and activities …]. (p. 18)

    Plus loin, ils écrivent :

    In the connectionist perspective, learning is viewed as developing a pattern of activitythat is aligned better with the regularities of the environment and successful perfor-mance, rather than as additions of components to the learner’s cognitive structure. (p. 22)

    St. Julien (1997) croit, pour sa part, que, ensemble, l’approche connexionniste et l’approche contextuelle dela cognition offrent une contre-proposition valable à l’approche classique de la cognition. Les deux approchesse complètent, la première offrant une explication du lien entre la pensée et son substrat biologique (lecerveau) et la deuxième offrant une explication du lien entre la pensée et l’environnement :

    Connectionism can be seen as a perspective that blurs the distinction between themind and the brain in ways that parallel situated cognition’s blurring of the distinc-tion between the self and the world. […] Connectionist points of view have intro-duced questions from aperceptual and biological perspective that parallel those thatsituated congition introduces from the other, social, side of the divide that Cartesianindividual creates in our cultural self-understanding. (p. 267)

    Toutefois, pour Clancey (1997), l’approche connexionniste est plus proche, sous un certain angle, de l’écolesymbolique que de l’école contextuelle. Il reconnaît que, du fait qu’un système connexionniste emmagasine,non pas des unités indépendantes de savoir, mais des relations entre des intrants et des extrants, il y a là unpas dans la direction de la vision contextualiste de la mémoire. Toutefois, ces pairages intrants-extrants sontfournis par l’expérimentateur et sont donc prédéfinis alors que, selon la perspective contextuelle, le savoirrelève d’expériences significatives construites par le sujet :

    The shortcomings of simple connectionism should now be obvious : What is learnedare not internally constructed experiencesbut input-output pairings provided by the

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    experimenter, and what is related are not interacting processesbut predefined fea-tures by which inputs are described. In contrast, contextualists argued that learnedassociations are not presupplied outputs, but contrasts and distinctions functionallymeaningful to the subject. (pp. 69-70)

    5. CONCLUSION

    Greeno et Moore (1993) estiment que l’approche contextuelle de la cognition vient compléter un cycle dansle développement historique de la psychologie. La théorie béhavioriste de la relation directe entre un stimu-lus et une réponse constitue la thèse initiale, la théorie du traitement de l’information constitue l’antithèse,alors que la théorie de la cognition en contexte nous offre la synthèse. Selon eux, il y avait une «boîte noire»dans la théorie béhavioriste, c’est-à-dire celle qui contient les structures et les processus mentaux, et il y ena une autre dans la théorie du traitement de l’information, c’est-à-dire celle qui concerne les interactions entreles agents cognitifs et les systèmes physiques et sociaux.

    Comme le souligne Vosniadou (1995), les tenants de l’approche contextuelle de la cognition ont le mérited’avoir souligné que la cognition ne se limite pas à ce qui se passe «dans la tête» d’un individu :

    In my opinion, situativity theory deserves praise for bringing to the attention ofcognitive psychologists that fact that cognition takes place not only in the head butin the interactions amongst people and physical environment. It is true that in itsreaction to behaviorism, cognitive psychology focused too much on individual cogni-tion, paying attention to internal mental processing and ignoring what was outsidethe head. (p. 32)

    Toutefois, ajoute-t-elle, il ne faudrait pas que ce retour de l’environnement social dans l’étude de la cognitionsignifie l’exclusion de toute investigation des processus mentaux internes.

    On peut être optimiste puisque, des deux côtés, l’heure semble être à la réconciliation scientifique, pour leplus grand bénéfice du monde de l’éducation en général (Anderson, Greeno, Reder et Simon, 2000) :

    A high priority should be given to research that progresses toward unifying thediverse perspectives within which we currently work, both because this is scientifi-cally important and because it will increase the usefulness of our findings for infor-ming public debates about educational policy and practice. This scientific work canbe productively competitive, as scientific work often is, depending on formulation of strong hypotheses and claims by the proponents of multiple perspectives and theories, as well as strong challenges to those claims and critical evaluation of thesifnifdicance of evidence that is presented. But a goal toward which this competitiveprocess can progress is a more inclusive and unified view of human activity in whichdichotomies such as individual versus social, thinking versus acting, and cognitiveversus situative will cease to e terms of contention and, instead, figure in coherentexplanatory accounts of behavior and in useful design principles for resources andactivities of productive learning. (p. 13)

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