Kunheim, à la croisée des eaux

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® À la croisée des eaux Kunheim

description

Collection "Mémoire de vies". Ouvrage de mémoire, d'histoire et de patrimoine sur le village de Kunheim. Réalisé à partir de photos, de témoignages et de documents fournis par les habitants du village. 128 pages et près de 500 photographies.

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À la croisée des eaux

Kunheim

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geL’histoire du village

Les origines

LLa première mention du village de Kunheim se situe au début de l’époque féo-dale, quand les terres, les villages et les hommes appartenaient à un seigneur ou à un monastère ou à une abbaye.

Au gré des victoires ou des défaites de leur seigneur ou des alliances que celui-ci nouait avec d’autres grandes familles, les villages étaient donnés en cadeau ou vendus. Les terres faisaient l’objet de tractations entre les pouvoirs en place, pouvoirs qui étaient détenus par des autorités séculières ou religieuses, sans que les habitants soient le moins du monde consultés. Ils apprenaient souvent des semaines ou des mois plus tard que leur nouveau maître était telle abbaye ou tel prince qui leur demandait bien entendu de verser les redevances, soit en nature (part de récolte, travaux à effectuer au profit de la collectivité) soit en espèces sous forme d’impôts divers et variés.

Or, il apparaît qu’en l’an 785, il est fait mention dans une chronique d’un certain village de Cuonenhaim donné par le père de sainte Odile, un certain Etichon, à l’abbaye d’Ebersmünster. Ce même village est, peu après, donné ou vendu aux seigneurs de Horbourg-Wurtemberg. L’histoire ne dit pas pourquoi le village a changé de mains dans un délai aussi court.

On retrouve la trace de notre village en 1023, dans une donation, sous le nom de Chuonenheim. Le 4 novembre de cette année, l’empereur Henri II offre le village à l’abbaye d’Erstein.

Par la suite, au cours du bas Moyen Âge, les terres changent de propriétaire et l’on apprend au fil des actes conservés dans diverses archives que l’église de Saint-Dié possède des biens dans le village en 1114 puis le couvent de Saint-Alban de Bâle en 1152, l’abbaye de Murbach en 1212 et le cloître cistercien de Breisach en 1285.

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L’histoire du village

Quelques trouvailles spectaculaires

Ex-voto en bois trouvé près de la zone des sanctuaires. Ce pilier surmonté d’un visage humain est une pièce rarissime qui doit sa conservation exceptionnelle à la présence permanente de la nappe phréatique. © Studio A, Neuf-Brisach.

Exemples de poteries utilisées par

les soldats romains. Les vases portent un décor réalisé avec une molette.

© Studio A, Neuf-Brisach.

Statuette d’Isis en argent, retrouvée dans un

des camps et probablement rapportée par un légionnaire.

Elle est reconnaissable à sa couronne et à la corne d’abondance qu’elle tient au creux

de son avant-bras gauche. © Studio A, Neuf-Brisach.

Inscription gravée sur un autel dédié aux dieux Mercure et Apollon. © Studio A, Neuf-Brisach.

Zone de fouilles

en 2012. © Luc Warth.

Le site archéologique d’Oedenburg

Un site gallo-romain majeur pour l’histoire de l’Alsace est situé à cheval sur les bans communaux de Kunheim et de Biesheim, en un lieu appelé autrefois Oedenburg ou Edenbourg, que l’on retrouve sur les cartes du XVIIe siècle.

Entre 1998 et 2006, un premier cycle de fouilles très importantes s’est déroulé sur ce site, sous la direction de Michel Reddé, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études à Paris, avec la participation des universités de Fribourg et de Bâle.

Le site s’organise autour de trois pôles :• au nord-est, sur le ban de Kunheim, deux camps de légionnaires successifs datés du 1er siècle de notre

ère. Ils servaient de base pour la conquête de la rive gauche du Rhin ;• à l’ouest, le long de la route de Biesheim-Kunheim, une grande forteresse. Elle est considérée comme un

palais impérial de l’empereur Valentinien (IV e siècle) ;• au sud de la partie centrale, une zone de temples gallo-romains, la plus importante connue actuellement

en Alsace et occupée durant plus de trois siècles.

Depuis 2006, une deuxième phase de fouilles a démarré.

Michel Reddé a rédigé deux livres sur les fouilles archéolo-giques : le premier tome intitulé Les Fouilles archéologiques d’Oedenburg : un bilan en 2009, et le second L’aggloméra-tion civile et les sanctuaires en 2012.

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L’étymologie du nom du village et son évolution

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QQui étaient les habitants de ce village à cette époque ? On ignore l’origine de son peuplement. On peut supposer qu’après la disparition du Saint-Empire romain germanique au V e siècle, dont de très importants vestiges archéolo-giques ont été découverts près de l’entrée sud de Kunheim (camp romain d’Oedenburg), le peu-plement a pu se réaliser à partir d’anciens habi-tants de ce camp, qui était en réalité une vraie petite ville avec ses artisans, ses commerçants et ses soldats. Mais ceci n’est qu’une hypothèse.

Ce que l’on sait avec plus de certitude, c’est qu’au XIIIe siècle, les habitants étaient surtout des pêcheurs, des bûcherons et de modestes cultiva-teurs qui élevaient du petit bétail nécessaire à leur survie (poules, lapins et cochons). Mais ils étaient majoritairement pêcheurs. Les eaux du Rhin étaient très poissonneuses, et aucun autre corps de métier n’aurait pris le risque de s’ins-taller aussi près du fleuve, dans un endroit qui devait être assez inhospitalier à l’époque.

Le petit village se situait en effet à l’extérieur d’une courbe d’un bras du Rhin dont les colères devaient être dévastatrices.

D’après la chronique, ces pêcheurs utilisaient une technique astucieuse. Ils déposaient un filet carré au fond de l’eau. Ce filet était relié à une grosse branche ou à un tronc d’arbre du rivage qui avait été préalablement courbé de force. Un guetteur, situé sur un siège installé en hauteur sur le rivage, surveillait l’arrivée des saumons. À son signal, l’un des pêcheurs coupait la corde retenant la branche courbée. Celle-ci se redres-sait instantanément en soulevant le filet, empri-sonnant d’un seul coup une partie du banc de poissons.

Le produit de la pêche ne servait pas seulement à nourrir les pêcheurs. Il était également vendu, notamment à Colmar, sur le marché aux pois-sons, situé sur la place du Saumon qui lui doit son nom.

Les habitants au Bas Moyen Âge

Une lecture attentive de l’histoire du village permet de constater que le nom a évolué au cours des siècles :on parle de Cuonenhaim au VIIIe siècle puis de Cunenheim au Xe siècle et de Chuonenheim au XIe siècle. D’autres variantes existent dans des documents d’archives, comme Kuenenheim ou Kuenheim, et pendant l’occupation allemande Kühnheim avec le tréma sur le u pour bien comprendre qu’il faut prononcer phonétiquement le son “u ” et non sous la forme allemande “ou ”. Le Dictionnaire étymologique et historique des noms de lieux en Alsace de Michel Paul Urban nous propose deux explications plausibles sur l’origine du nom :

• “L’habitat sur l’avancée en forme de pointe”. Du suffixe germanique “heim”, “habitat”, qui s’est ajouté au mot gaulois “cuno ”, “élevé ”, ou à un mot latin “conus”, “cône”. Ces mots relèvent tous deux d’une racine paléo-européenne “kun” qui veut dire “abri en forme de pointe” ;

• une autre hypothèse : le suffixe “heim” se serait simplement ajouté au patronyme d’un homme d’origine germanique “Kuno”, qui veut dire “hardi ”.

Pour intéressantes qu’elles soient, ces propositions ne nous ren-seignent guère sur l’origine du peuplement du village de Kunheim, qui peut aussi bien être d’origine latine, par la proximité d’un ancien camp romain, que celte ou germanique ; le village étant situé sur une frontière naturelle avec nos voisins de “Germanie”.

Entrée sud de Kunheim sous l’occupation allemande (1940-1945).

Remarquez l’orthographe du nom du village.

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L’histoire du village

Il est généralement admis que le village se composait alors d’une trentaine de bâtiments regrou-pés autour d’une petite église dédiée à sainte Ursule.

Par la suite, un “château” a été érigé dans le vil-lage, mais on ignore tout de son aspect et de ses dimensions. On ne connaît son existence que par la chronique de la guerre de Trente Ans qui nous apprend que le “château” a été détruit en même temps que tout le reste du village.

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Croquis de 1756 : situation de l’ancien village par rapport au Rhin. Le village se situe ici en haut à droite.

U comme Ursule, la patronne de l’église de l’ancien village.

Les habitants de Kunheim sont des “Schaftheuringler”

Dans les temps anciens, les habitants des villages se donnaient des surnoms les uns aux autres. Parfois il s’agissait de surnoms ironiques, voire méprisants lorsque se développaient des rivalités entre villages voisins.

Concernant les habitants de Kunheim, le surnom est un peu ironique mais il nous renseigne surtout sur un artisanat dont on suppose qu’il s’est développé dès le Moyen Âge.

Comme ils allaient vendre le produit de leur pêche à Colmar, les ingénieux Kunheimois se sont dit que pour rentabiliser ce déplacement qui était assez long (20 km en char à bœuf), ils pourraient vendre autre chose que du poisson.

Ils se seraient mis à tresser des tiges de prêle d’hiver (Schaftheu ). Or, la prêle d’hiver (equisetum hyemale), qui poussait en abondance dans ces lieux humides, est une plante à forte teneur en silice, qui était utilisée pour décaper, nettoyer ou même polir le laiton, le cuivre et les métaux précieux. Les ébénistes et les luthiers s’en servaient également pour obtenir un polis-sage très fin de leurs ouvrages.

On ignore comment ils s’y prenaient pour tresser la prêle, car la tige de cette plante est extrêmement cassante.

Mais peut-être n’est-ce qu’une appellation ironique qui désignait les habitants de Kunheim à l’époque où il était de coutume d’affubler ses voisins de surnoms, de préférence ridicules.

Bref, les Kunheimois sont restés des Schaftheuringler, littéralement des “enrouleurs de prêle”.

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Kunheim À la croisée des eaux

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Extrait de la carte de Cassini, la plus

ancienne carte topographique de France qui

a été établie dans la 2 e moitié du

XVIII e siècle.

ÀÀ cette époque, le village appartenait à la mai-son de Wurtemberg, qui le donna en location au seigneur de Rathsamhausen à partir de 1550 et jusqu’à la Révolution française de 1789.

Cette apparente stabilité ne laisse pas deviner que le village de Cunenheim vivra une des pério des les plus troublées de son existence.

Tout d’abord Georg von Württemberg, le pro-priétaire du village, se convertit à la religion protestante. Et il entend que tous les habitants vivant sur ses terres se convertissent également ! Il enjoint donc, dès 1574, au seigneur Hans Caspar von Rathsamhausen qui tenait Kunheim en location, “d’introduire la réformation chré-tienne et la prédication du Saint Évangile et de se défaire de tout ce qui est contraire”.

Il y eut beaucoup de réticences et de tractations, notamment avec le gouvernement autrichien qui faisait valoir que la paroisse de Kunheim dépendait de celle de Biesheim qui, elle, était une possession autrichienne.

Mais le 30 mai 1601, la réforme fut finalement décrétée comme religion officielle sur toutes les possessions des Rathsamhausen, y compris Kunheim.

On imagine l’état d’esprit et le désarroi dans le-quel devaient se trouver les habitants de l’époque auxquels on demandait d’abjurer leur religion pour en embrasser une nouvelle. D’autant que la religion était à l’époque le seul et unique recours contre toutes les vicissitudes de l’existence (mala-dies, décès prématurés, insécurité).

Le XVIe siècle et le XVIIe siècle

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L’histoire du village

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Borne des possessions paroissiales de Kunheim, actuellement visible près du mémorial de l’ancien village.

La chronique nous ap-prend que le premier pasteur qui fut nommé à Kunheim dut être protégé par des gens armés, ce qui n’éton-nera personne !

À peine 17 ans plus tard, en 1618 donc, éclate la terrible guerre de Trente Ans. Les Suédois qui assié-geaient Brisach ont littéralement réduit le village en cendres. En 1636, il ne restait plus rien de Kunheim et les rares survivants qui

avaient pu fuir s’étaient réfugiés dans la forêt ou dans les villages environnants. Le village resta ainsi en ruine et sans habitant jusqu’en 1650.

C’est un habitant de Jebsheim, un certain Niklaus Fischer dont l’épouse était originaire du village détruit de Kunheim, qui releva le défi de redonner vie au village. Il construisit lui-même une grange avec une petite Stube et l’au-berge Zum Storchen était née. À cette époque, l’Alsace était devenue une terre d’immigration, car la guerre de Trente Ans avait pratiqué une telle saignée dans la population qu’il ne restait pas grand monde pour relever les ruines et faire redémarrer l’activité économique. On estime que 250 000 Alsaciens sont morts pendant cette guerre qui prit fin en octobre 1648 par le traité de Westphalie.

Le pionnier Niklaus Fischer fut bientôt rejoint par d’autres déracinés, en provenance de Suisse alémanique. Il s’agissait d’anabaptistes que per-sonne ne voulait accueillir en raison de leur religion. Ils obtinrent du seigneur de Raths-amhausen la permission de s’installer dans les ruines de Kunheim, pour une durée de 6 ans, à charge pour eux d’aider à reconstruire le village.

En fait, ils s’intégrèrent très bien dans la vie du village, et étaient de gros travailleurs, ayant de bonnes connaissances en construction de bâti-ment et en agriculture. Ils ne faisaient aucun prosélytisme concernant leur religion, si bien que tout le monde oublia qu’ils avaient été accueillis provisoirement et ils res-tèrent sur place et y construisirent leurs propres logements. Des des-cendants de ces immigrés suisses de l’époque habitent toujours le village.

Pour autant, les malheurs du village ne s’arrêteront pas là et il sera dit que ce XVIIe siècle aura été un vrai calvaire pour ses habitants.

Une épidémie de peste s’abattit sur le village en 1663, faisant encore de nom-breuses victimes. Suite à ces nombreux décès, la terre était tellement morcelée par les partages successifs que dès 1666 on dut pro-céder à un remembrement. Il fallut tracer de nouveaux chemins, créer de nouvelles parcelles sans léser personne, ce qui n’allait pas de soi. Pour calmer les esprits échauffés, les seigneurs durent utiliser l’arme ultime de la croyance religieuse, et la répartition des terres se fit “In Gottes Namen”, “au nom de Dieu” !

De plus, en 1703, par les hasards de la guerre de succession d’Espagne, des troupes allemandes et autrichiennes pillèrent le village.

Pour résumer, les habitants de Kunheim ont vécu de 1601 à 1703 un siècle de boulever-sements impressionnants où rien ne leur aura été épargné. Depuis le changement de religion jusqu’à la destruction totale de leur village, sans parler des maladies et autres exactions. Mais ils sont restés sur place et ont courageusement relevé tous les défis. Cela mérite d’être souligné car beaucoup d’autres villages alsaciens n’ont pas eu cette chance et ont tout simplement dis-paru au cours de ce siècle.

Borne délimitant les possessions de Hans Caspar von Rathsamhausen dont les initiales HCVR ont été gravées sur celle-ci.

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Kunheim À la croisée des eaux

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DDe nouveaux défis attendent les Kunheimois à l’orée de ce siècle, alors que le village se relève peu à peu des vicissitudes passées. À partir de 1750, le village est de plus en plus souvent submergé par les crues printanières du Rhin. En effet, sur la rive d’en face, de gros travaux d’endiguement ont eu lieu, ce qui repousse sys-tématiquement les crues vers la rive ouest du fleuve. L’eau, ainsi repoussée du côté français, provoquait à partir de cette époque de gros dégâts en emportant systématiquement des granges et des habitations.

Le XVIIIe siècle : le grand déménagement

Maquette de l’ancien village avant son déménagement de 1766. Cette maquette a été réalisée par Alfred Spindler, maître menuisier. Conservée dans un coffret en bois qui la met à l’abri des dégradations et de la poussière, elle est toujours en possession de la famille Spindler de Kunheim.

Liste des chefs de famille au moment du déménagement du village en 1766 détaillant la superficie de leurs biens.

Après des années de démarches inces-santes, les habitants obtinrent l’autorisa-tion de déplacer leur village le 21 janvier 1766. Ils furent autorisés à s’installer le long de la route royale de Strasbourg à Bâle, à environ un kilomètre de l’em-placement de l’ancien village.

Mais, bien que le village n’ait pas beaucoup grandi depuis le Moyen Âge (28 foyers envi-ron), cela posa tout de même de gros problèmes d’infrastructures, de logistique et surtout d’attri-bution des lots. Tout comme aujourd’hui, les “laboureurs” étaient très sourcilleux quant à la qualité et la surface des terres qu’on allait leur attribuer. La chronique nous apprend que les fonctionnaires chargés de faire le nouveau plan de lotissement n’eurent pas la vie facile. Déjà en 1766, il y avait des procéduriers qui chipotaient pour quelques centimètres (on disait “pieds” à l’époque) et n’hésitaient pas à dénoncer leurs voisins pour le moindre empiètement, obli-geant les fonctionnaires à faire une enquête pour chaque cas.

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L’histoire du village

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On se rendit compte qu’il fallait avant tout combler les grands fossés qui se trouvaient de part et d’autre de cette voie royale où le village devait s’implanter. Cela nécessita d’effectuer des travaux de génie civil trop importants pour les seuls habitants de Kunheim.

Par décret, toutes les communes voisines furent mises à contribution pour le comblement de fossés d’une longueur de 315 toises. Elles durent fournir 60 hommes et 45 tombereaux pour ces travaux. À noter que Marckolsheim

préféra payer une amende plutôt que de parti-ciper à ces travaux d’intérêt collectif.

Dès le 11 mars 1766, la population fut invi-tée à prendre connaissance du nouveau plan du village, réalisé selon le dessin d’un sieur Chassain, ingénieur général des Ponts et Chaus-sées. Chacun devait donner son accord signé pour déménager, sans savoir encore quel lot allait lui être attribué. Une semaine plus tard, le 17 mars 1766, les lots furent tirés au sort.

Ban de Kunheim situant l’emplacement de l’ancien village par rapport au village actuel et par rapport à l’ancien camp romain d’Oedenburg devenu Oedenburgheim, village aujourd’hui disparu du ban de Biesheim.

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Kunheim À la croisée des eaux

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Comme cela se déroulait avant la Révolution, tous les citoyens n’étaient pas égaux face au tirage au sort. On fit trois classes d’habitants :

• les propriétaires de première classe, en fait les plus riches ;

• les propriétaires de deuxième classe, qui n’avaient qu’un seul animal de trait et des champs en location ;

• les propriétaires de troisième classe, les manants, à qui on attribua les lots restants.

Le pasteur Melchior Aufschlager ne donna son accord pour déménager qu’à condition de faire partie de la première classe, afin qu’on lui attribue une maison digne de son rang : il l’obtint. Heureusement d’ailleurs, car il eut,

par la suite, 12 enfants, parmi lesquels Jean-Frédéric Aufschlager, qui s’illustrera en tant qu’écrivain et pédagogue, enseignant à l’Université de Strasbourg. Ce dernier naquit l’année même du déménagement.

Ainsi s’écoulèrent 6 années de travaux, de démé-nagements et d’aménagements divers, alors que les habitants continuaient à aller à l’église dans l’ancien village.

On décida de construire une nouvelle église en 1777. La première pierre fut posée le 3 avril 1777 et l’ancienne église fut promptement démolie, pour réutiliser des matériaux pour la nouvelle construction. Entre-temps, le culte était célébré dans une grange. La nouvelle église fut inaugurée le 8 décembre 1778.

Schéma de l’église du nouveau village inaugurée en 1778.

Le dôme octogonal prévu initialement par l’architecte Chassain a été remplacé par une flèche.

Schéma d’implantation

des maisons dans le nouveau village après

le déménagement, établi d’après la définition

de M. de Clinchamp, selon un état en 1841.

© Archives municipales de Kunheim.

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Né le 3 décembre 1766, fils de pasteur, il fit de brillantes études à Strasbourg, où il fut étudiant dès l’âge de 14 ans, en

1780. Il obtint son bac de philosophie en 1782, une maîtrise en 1784 et fit son doctorat en 1786, alors

qu’il n’avait que 20 ans. Étudiant en théologie, il obtint la place de prédicateur du soir à Saint-Guillaume et à Saint-Pierre-le-Vieux, deux paroisses strasbourgeoises, afin de par-faire sa formation de futur pasteur.

Pétri d’idées nouvelles, il se fit inscrire comme membre du Club des Jacobins du Miroir.

Ce club était un cercle de réflexion composé de personnalités éminentes de la ville qui furent à la

pointe des idées nouvelles à la révolution de 1789. Il doit son nom à l’Hôtel du Miroir à Strasbourg où ils se réunissaient.

Afin d’échapper aux persécutions de la Terreur, il devint institu-teur en déclarant “abjurer l’imposture, et n’enseigner à l’avenir que la morale de la nature”. À partir de 1797, il travailla au bureau des finances de la ville de Strasbourg. En 1805, il fut nommé sous-chef de bureau des recettes de la ville.

À cette époque il commença son activité littéraire par l’édition de son Dictionnaire des deux nations, ainsi que son Dictionnaire de poche qui fut maintes fois réédité.

En 1810, il ouvrit un établissement d’instruction préparatoire pour les étudiants qui voulaient entrer à l’université.

Élu membre du consistoire en 1813, il participa à toutes les actions qui concernaient l’église et l’école protestante. Il fut secrétaire du consistoire pendant 12 ans.

Il décéda à son bureau à la mairie de Strasbourg d’une apoplexie le 8 novembre 1833 à l’âge de 67 ans.

Ce savant érudit et polyglotte, est l’auteur de nombreux ouvrages qu’il écrivait indifféremment en français, en allemand, et même en latin.

Jean-Frédéric Aufschlager : un grand savant et humaniste natif de Kunheim

Jean-Frédéric

Aufschlager (1766-1833).

En haut, la page de garde du premier tome de L’Alsace : nouvelle description historique et topographique des deux départements du Rhin, dans son édition allemande de 1825.En bas, la page de garde du même ouvrage mais dans son édition française de 1826.

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L’histoire du village

Voici la liste de ses principales œuvres en plus des deux dictionnaires précités :• 1808 Lectures françaises instructives et amusantes

à l’usage de la jeunesse.

• 1810 Elsässisches Rechenbuch.

• 1811 Principes de la grammaire française à l’usage des Allemands.

• 1813 Recueil de thèmes à traduire de l’allemand en français.

• 1814 Anfangsgründe der Dichtkunst zum Gebrauch jüngerer Leute.

• 1814 Uebungstücke zum Uebersetzen aus dem Deutschen ins Lateinische.

• 1820 Uebersicht der Stadt Straßburg.

• 1821 Petit tableau de Strasbourg ou Notices topographiques et historiques sur cette ville.

• 1821 Kurzer Abriss der neuesten Erdbeschreibung.

• 1822 Leben Heinrichs des Vierten.

• 1825-1826 L’Alsace : nouvelle description historique et topo-graphique des deux départements du Rhin, édition en allemand puis en français. Cet ouvrage fut une grande œuvre pour l’époque, en trois volumes, plus un complément agrémenté de cartes et de figures, comprenant la liste de toutes les plantes et de tous les animaux vivants à cette époque en Alsace. La même année, l’auteur traduisit lui-même ce monument en allemand.La commune de Kunheim a pu acquérir une lithographie repré-sentant Jean-Frédéric Aufschlager ainsi que les trois volumes de cet ouvrage. Ces trésors sont conservés à la mairie.

• 1826 Éléments de grammaire latine.

Jean-Frédéric Aufschlager est resté relativement méconnu même dans son village natal. Cela est probablement dû au fait que ses ouvrages sont essentiellement didactiques et s’adressent à une élite intellectuelle bilingue.