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Kumbh Mela Gil Corre [email protected] / gil-corre.com La légende de la Kumbh Mela Kumbh dérive son nom de la jarre contenant le nectar d'immortalité (amrita) pour laquelle les demi-dieux (Devtas) et les démons (Asuras) des premiers temps se livrèrent un combat acharné, raconté dans les anciens écrits Védiques. Ce récit mythique a traversé le temps, évoluant jusqu'à nos jours en la plus grande manifestation religieuse sur la planète : la Kumbh Mela. La légende raconte qu'aux temps immémoriaux de la création de l'univers, les demi-dieux s'associèrent aux démons pour mener à bien la tâche de produire le nectar d'immortalité, avec l'engagement de se répartir à part égale le fruit de leur labeur. Demi-dieux et démons se rassemblèrent sur les rives de l'océan de lait qui baigne la région céleste du cosmos et se mirent au travail. Le Mont Mandara fut choisi comme récipient pour contenir l'océan de lait tandis que Vasuki, le serpent, tint lieu de corde pour procéder au barattage, les dieux activant sa queue et les démons sa tête. Le barattage produit tout d'abord un poison mortel que Shiva avala sans en être affecté. Les quelques gouttes qu'il laissa tomber au sol furent ingurgitées par les serpents, les scorpions et autres créatures au venin devenu mortel. Comme le Mont Mandara s'enfonçait dans l'océan de lait au fur et à mesure du barattage, Vishnu intervint sous la forme d'un grande tortue qui prêta son dos pour supporter le poids de la montagne. Finalement, mille ans plus tard, Dhanwantari apparut, tenant entre ses mains la jarre emplie du précieux nectar. Les demi-dieux, convaincus des mauvaises intentions des démons, s'emparèrent de la jarre et s'enfuirent avec. Furieux de s'être laissés gruger, les démons se lancèrent à la recherche des demi-dieux et engagèrent une furieuse course-poursuite de 12 jours et 12 nuits. Au cours des combats, des gouttes du nectar se versèrent en 4 endroits : Allahabad, Haridwar, Ujjain et Nasik. Ces 4 lieux sont depuis lors les 4 villes sacrées aux pouvoirs mystiques où se tient, successivement tous les trois ans, la Kumbh Mela - la grande fête qui célèbre la victoire des demi-dieux sur les démons pour la conquête de l'élixir d'immortalité. Des millions de dévots viennent y converger pour prendre part aux bains rituels et aux cérémonies qui les laveront de tous leurs péchés. En cette année 2013, était célébrée la Maha Kumbh Mela, la Grande Kumbh Mela. Elle se tient tous les 12 ans à Allahabad, dans l'Uttar Pradesh, aux mois de janvier-février, quand le soleil et la lune se rencontrent en Capricorne pendant le mois hindhu de Magha. Allahabad tient ce privilège de sa position à l'intersection des trois rivières sacrées : le Gange, la Yamuna et la Saraswati (la mythique rivière souterraine et invisible). Pour plonger dans leurs eaux purificatrices, près de 100 millions de pèlerins ont convergé sur les rives d’Allahabad entre le 14 janvier et le 10 mars.

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[email protected] / gil-corre.com

La légende de la Kumbh Mela

Kumbh dérive son nom de la jarre contenant le nectar d'immortalité (amrita) pour laquelle les demi-dieux (Devtas) et les démons (Asuras) des premiers temps se livrèrent un combat acharné, raconté dans les anciens écrits Védiques. Ce récit mythique a traversé le temps, évoluant jusqu'à nos jours en la plus grande manifestation religieuse sur la planète : la Kumbh Mela. La légende raconte qu'aux temps immémoriaux de la création de l'univers, les demi-dieux s'associèrent aux démons pour mener à bien la tâche de produire le nectar d'immortalité, avec l'engagement de se répartir à part égale le fruit de leur labeur. Demi-dieux et démons se rassemblèrent sur les rives de l'océan de lait qui baigne la région céleste du cosmos et se mirent au travail. Le Mont Mandara fut choisi comme récipient pour contenir l'océan de lait tandis que Vasuki, le serpent, tint lieu de corde pour procéder au barattage, les dieux activant sa queue et les démons sa tête. Le barattage produit tout d'abord un poison mortel que Shiva avala sans en être affecté. Les quelques gouttes qu'il laissa tomber au sol furent ingurgitées par les serpents, les scorpions et autres créatures au venin devenu mortel. Comme le Mont Mandara s'enfonçait dans l'océan de lait au fur et à mesure du barattage, Vishnu intervint sous la forme d'un grande tortue qui prêta son dos pour supporter le poids de la montagne. Finalement, mille ans plus tard, Dhanwantari apparut, tenant entre ses mains la jarre emplie du précieux nectar. Les demi-dieux, convaincus des mauvaises intentions des démons, s'emparèrent de la jarre et s'enfuirent avec. Furieux de s'être laissés gruger, les démons se lancèrent à la recherche des demi-dieux et engagèrent une furieuse course-poursuite de 12 jours et 12 nuits. Au cours des combats, des gouttes du nectar se versèrent en 4 endroits : Allahabad, Haridwar, Ujjain et Nasik. Ces 4 lieux sont depuis lors les 4 villes sacrées aux pouvoirs mystiques où se tient, successivement tous les trois ans, la Kumbh Mela - la grande fête qui célèbre la victoire des demi-dieux sur les démons pour la conquête de l'élixir d'immortalité. Des millions de dévots viennent y converger pour prendre part aux bains rituels et aux cérémonies qui les laveront de tous leurs péchés. En cette année 2013, était célébrée la Maha Kumbh Mela, la Grande Kumbh Mela. Elle se tient tous les 12 ans à Allahabad, dans l'Uttar Pradesh, aux mois de janvier-février, quand le soleil et la lune se rencontrent en Capricorne pendant le mois hindhu de Magha. Allahabad tient ce privilège de sa position à l'intersection des trois rivières sacrées : le Gange, la Yamuna et la Saraswati (la mythique rivière souterraine et invisible). Pour plonger dans leurs eaux purificatrices, près de 100 millions de pèlerins ont convergé sur les rives d’Allahabad entre le 14 janvier et le 10 mars.

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Kumbh Mela - Allahabad (Inde) - Février 2013

« Tous les douze ans, l'Inde tout entière frémit ; les villages s'agitent, les monastères se vident, des grottes de l'Himalaya descendent des ermites nus barbouillés de cendres, de la côte de Malabar, du cap Comorin, du golfe du Bengale, des monts Vindhya, du désert du Thar convergent des charrettes de toutes sortes, des cortèges de moines, des bandes de chemineaux, des troupes de lépreux, des suites de rajahs, des coches bondés de femmes cachées par des rideaux blancs, des trains pleins de citadins, une foule prodigieuse assoiffée de sainteté : les pèlerins de la Kumbh Mela. » Mircea Eliade, L’Inde

La Kumbh Mela est la fête (Mela) qui célèbre, dans la mythologie hindhouiste, la victoire des dieux sur les démons pour s’emparer de la jarre (Kumbha) contenant l’élixir d’immortalité. Dans leur fuite et leur combat céleste de 12 jours pour échapper aux démons, les dieux firent tomber des gouttes du précieux nectar en 4 endroits : Allahabad, Ujjain, Hardwar et Nasik. Ils constituent les 4 lieux saints où, successivement et tous les trois ans, viennent se purifier des millions de pèlerins. Chaque cycle de douze années inclut une Mahâ Kumbh Mela ou grande Kumbh Mela qui se tient à Allahabad. C’était le cas de l’édition 2013 qui a vu converger, de la mi-janvier à la mi-mars, près de 100 millions de participants… le seul rassemblement humain visible depuis la lune.

L’enjeu est d’importance car un bain, pendant la Kumbh Mela, dans les eaux sacrées au confluent du Gange, de la Yamunâ et de la Sarasvati, la rivière invisible, nettoie de tous ses péchés celui qui s’y immerge 3 fois, ainsi que ses ascendants sur 88 générations. Les jours les plus propices, déterminés par des calculs astrologiques, voient les grands rassemblements de sâdhus converger vers les eaux sous le regard et les cris de la foule des pèlerins quêtant la bénédiction des « holy men ». Les Naga babas, guerriers de Shiva, ouvrent le cortège entièrement nus et sont les premiers à s’immerger avant de se recouvrir le corps de cendres. Les femmes plongent tout habillées et, au sortir du bain, offrent au soleil leurs saris tendus comme des voiles sur la marée humaine. Les vieux, le regard halluciné, accrochent le bras d’un parent qui les amène enfin au bout de leur voyage céleste.

Plusieurs mois à l’avance, les autorités locales mettent en place les infrastructures qui permettront d’héberger, de nourrir, laver, faire circuler cette masse gigantesque de pèlerins venus, en famille ou par villages entiers, de toutes les régions de l’Inde. Ils ont cheminé à pied, à dos de chameau, de cheval, d’âne et parfois d’homme, à bicyclette, en rickshaw, sur les toits des bus ou les plateformes des camions, en train, ou encore en voiture et avion pour les plus fortunés. Ils trouvent, à l’arrivée d’un périple épuisant, un espace plat et sablonneux comparable à un immense camp de réfugiés. A perte de vue et jusqu’aux rives du Gange, s’alignent des rangées de tentes d’où émergent les portiques des temples provisoires, montés en kits, de centaines de gurus.

Là se manifestent de manière très impressionnante et spectaculaire le fondement mystique de la culture indienne mais aussi les connexions complexes du religieux et du politique en soubassement de la structure sociale très inégalitaire de l’Inde. Là se révèle, comme en nulle autre occasion, le pouvoir spirituel mais aussi séculier et financier des gurus de toutes obédiences sur des communautés de fidèles vouant un culte à ces « holy men » assimilés à des demi-dieux.

Des dizaines de milliers de policiers, soldats, gardes civils, bénévoles… assurent la régulation de cette foule qui converge en tous sens entre le fleuve et le campement. Côté sécurité, cette année fut une bonne année puisqu’il n’y a eu à déplorer « qu’une trentaine de morts », lors d’un mouvement de panique à la gare d’Allahabad.

Hors-Champ

Ce photo-reportage s’inscrit dans ce que je nomme mon travail de « hors champ » photographique, inauguré lors de 3 précédentes expositions à Paris, puis Berlin et Francfort. En revisitant mes sélections de photos de ces dernières années, je me suis rendu compte que celles qui avaient ma préférence représentaient presque toujours des personnages en situation de regard sur ce qui les entoure. Ce sont des photos qui fixent des êtres suspendus dans l'attente, escomptant du hors-champ qu'il leur fournisse une réponse à une question muette, celle que pose justement leur regard sur des décors et d’autres êtres que l'on ne voit pas, que l’on devine.

Ce hors-champ, ce peut être le photographe lui-même qui se soustrait forcément à toute réponse autre que celle de son acte photographique. C’est aussi les rêves, les pensées sombres ou lumineuses dont ces hommes, ces femmes ou ces enfants semblent habités, où ils semblent s’abîmer, comme frappés d’atonie ou de stupeur. Un événement comme la Kumbh Mela offre un champ illimité pour capter ces échappées du regard où se lisent l’épuisement autant que la ferveur, la misère autant que l’espoir, l’inquiétude autant que l’apaisement.

Mon travail photographique est lui-même un travail de hors-champ : celui de mon activité parallèle de réalisateur de films documentaires. En l’occurence, ce photo-reportage sur la Kumbh Mela a été réalisé dans le même temps que le tournage d’un documentaire en cours sur le thème du lien entre silence et non-violence. Dans l’entre-deux d’un lieu et d’une séquence à l’autre, hors la mécanique du film où la voix commande autant que l’image, il faut soudain couper le son pour seulement voir. Les photos ne parlent pas, ce sont des supports muets qui appellent, pour s'en pénétrer, le silence. Les sons, les bruits, les voix, les musiques, les rumeurs qu'elles soulèvent en celui qui s'y attarde sont ceux de nos voix intérieures. La photographie vient remuer cet intime secret, elle questionne ce mystère de chacun qui est le destin de tous.

Gil Corre – mai 2013

Réalisateur de films documentaires et photographeDernier film réalisé : « Destins brisés » (mars 2013)