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Espace Malraux scène nationale – saison 2017-2018 DOSSIER D’ACCOMPAGNEMENT King Kong Théorie Mise en scène Emilie Charriot Ma 10, me 11 oct 20:00 Théâtre Charles Dullin

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Page 1: KING KONG THEORIE - MalrauxKing Kong Théorie King Kong Théorie est le livre le plus autobiographique de la romancière Virginie Despentes. Un texte cru, cash, féministe et trash,

Espace Malraux scène nationale – saison 2017-2018

DOSSIER D’ACCOMPAGNEMENT

King Kong Théorie

Mise en scène Emilie Charriot Ma 10, me 11 oct 20:00 Théâtre Charles Dullin

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Espace Malraux scène nationale de Chambéry et de la Savoie – Saison 2016-2017

King Kong Théorie

Durée 1h35

extrait du livre de Virginie Despentes mise en scène Emilie Charriot interprétation Julia Perazzini, Géraldine Chollet regard dramaturgique Igor Cardellini regards extérieurs Piera Honegger, Delphine Rosay création lumières et régie Yan Godat film et collaboration artistique Valérianne Poidevin photos Philippe Weissbrodt administration Stéphane Frein diffusion Aurélie de Morsier | Les écuries production Compagnie Emilie Charriot Coproduction Arsenic-Lausanne (CH) Soutiens Ville de Lausanne, Loterie Romande, Fondation Jan Michalski – pour la littérature et l’écriture, Fondation Emilie Gourd, Ernst Goehner Stiftung, Fondation Nestlé pour l’art, Corodis, SIS la Compagnie Emilie Charriot bénéficie du prix Prairie – le modèle de coproduction du pour-cent culturel Migros en faveur des compagnies de théâtre et de danse innovantes en Suisse

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King Kong Théorie King Kong Théorie est le livre le plus autobiographique de la romancière Virginie Despentes. Un texte cru, cash, féministe et trash, où il est question de viol, de prostitution, des mécanismes sociaux qui maintiennent les femmes dans une vision d’elles-mêmes diminuées et dépendantes. Pour sa première mise en scène, Émilie Charriot choisit de moduler notre écoute en superposant à ce texte manifeste un court récit de vie où il est question du sentiment d’échec, de la difficulté à trouver sa place juste. La rage initiale fait place à l’expérience intime de tout un chacun, homme ou femme. La sobriété et la justesse élégantes des interprètes, une danseuse et une comédienne, en fait résonner le douloureux, l’inquiet et le fragile. Au final, c’est en douceur qu’elles nous remuent corps et coeur. «J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du marché à la bonne meuf».

Virginie Despentes, King Kong Théorie.

Féminisme ? En analysant les discours qui entourent le viol, la prostitution et le porno, Despentes met en lumière les traces d’un ordre sexiste toujours existant, qu’elle subit encore aujourd’hui. Sa prise de parole sert avant tout, alors que la lutte féministe semble s’éteindre suite aux progrès certains de la situation féminine depuis les années 1960, à rappeler que la situation actuelle de la femme mérite encore toute notre attention. Non pas par essence, mais bien par construction : «Je ne dis pas qu’être une femme est en soi une contrainte pénible. Il y en a qui font ça très bien. C’est l’obligation qui est dégradante». L’obligation revêt diverses formes et aujourd’hui, c’est notamment celle de se satisfaire et de se conformer aux acquis des luttes féministes des premières années. Virginie Despentes relativise à deux égards la libération des femmes «à la française». D’abord en rappelant que la (relative) liberté d’avoir des partenaires sexuels ne signifie pas pour autant que le rapport qui lie hommes et femmes, dans ce contexte, est exonéré de rapports de domination ; reste la prégnance du genre, qui condamne les femmes à occuper le pôle inférieur ou soumis de la relation. Ensuite, parce que le discours de la libération sexuelle peut n’être qu’une reformulation de l’impératif de séduction et de soumission à l’ordre hétéronormatif, intériorisé par les femmes (sous forme de «mytho») pour se conformer à la fois à l’injonction à la sexualité (en l’occurrence, à l’hétérosexualité) et aux codes de la domination masculine, qui ne tolèrent la sexualité des femmes que si celle-ci se conforme à ses principes. L’obligation d’une sexualité libérée est un des dogmes les plus pervers qui soit. Et il ne concerne pas seulement les femmes puisque, faut-il le rappeler, à figer des caractéristiques féminines, à attendre d’elles des attitudes typées et à voir sanctionné tout comportement qui en dévie, c’est aussi contraindre et restreindre les hommes à un mode de réponse. D’où ce rappel de Despentes :

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Le féminisme est une révolution, pas un réaménagement des consignes marketing, pas une vague promotion de la fellation ou de l’échangisme, il n’est pas seulement question d’améliorer les salaires d’appoint. Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes et pour les autres. Une révolution, bien en marche. Une vision du monde, un choix. Il ne s’agit pas d’opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l’air. Ou encore cette interrogation : «Comment explique-t-on qu’en trente ans aucun homme n’a produit le moindre texte novateur concernant la masculinité ?». Un propos formulé aussi par d’autres féministes actuelles, qui étendent le combat des femmes au combat sur le genre, comme Judith Butler qui a cherché avant tout «à faire la critique d’une présomption d’hétérosexualité […], à contester les présupposés sur les limites et les bons usages du genre, dans la mesure où ceux-là limitent les significations du genre à des idées reçues sur la masculinité ou la féminité». Butler comme Despentes s’attaquent donc aux discours féministes de la première heure, qui empêchaient de penser et d’associer le combat des femmes avec celui des homosexuels et des étrangers. Toutes deux parlent pour ceux qui ne peuvent se reconnaître dans les modèles de comportements sociaux (qu’ils concernent le genre, la sexualité, la langue…) érigés en normes.

Politique de la représentation

Despentes revendique. Elle est dans la lutte politique. Mais son travail d’écrivain et de cinéaste ne peut être réduit à une œuvre à thèse. Il ne s’agit pas de prouver quoi que ce soit (avec son essai ou son ton en général, elle se garde bien de se prendre pour une théoricienne), mais de créer des représentations qui contredisent dans la fiction les comportements attendus, voire exigés et proposent des projections alternatives, comme l’a mis en lumière Virginie Souzon.

L’écriture de Despentes ne minimise pas la violence, bien au contraire. Le viol est un motif au cœur de son œuvre et elle montre qu’il ne se réduit pas à une interprétation simple, en même temps qu’elle récuse les interprétations majoritaires qui en sont faites. C’est pourquoi elle donne aux femmes la possibilité de ne plus en être uniquement des victimes : parce que leur auteure les dote d’une force, d’une agressivité ou d’un parcours allant à l’encontre des codes de la féminité, mais aussi parce qu’elles partagent une expérience commune, elles sont autant d’indices fictionnels révélateurs d’un ordre sexiste réel. La question des rapports de l’art au politique n’est pas close. Despentes crée des représentations féminines contemporaines susceptibles de modifier le regard sur l’ordre établi. De manière grossière ? Non, de manière brutale et agressive. Ce type de travail est vite dénigré, puisqu’il ne rejoint pas ce qu’on appelle le grand art. Barthes disait que la représentation pornographique est peu sûre. «La représentation, elle, serait une figuration embarrassée, encombrée d’autres sens que celui du désir : un espace d’alibis (réalité, morale, vraisemblance, lisibilité, vérité, etc…)». Comme pour la pornographie, elle aussi associée à un objectif non-artistique, on est en droit de se demander quelle serait la valeur d’usage des représentations créées par Despentes.

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Selon nous, l’efficacité politique des discours et de l’art ne peut pas se définir selon des critères intemporels, mais doit se comprendre dans le cours d’un processus. Les luttes pour les minorités sont souvent décrédibilisées par leurs appels à l’essence, leurs usages de l’agressivité et de la revendication pure et simple. Pourtant, s’il ne faut pas s’en contenter et s’il faut rapidement passer à autre chose, l’étape menant à la reconnaissance est indispensable.

Au cours d’un dossier réalisé par les Cahiers du cinéma à propos des femmes cinéastes, la réalisatrice Céline Sciamma rappelait la nécessité de la représentativité, sans s’y limiter. Car bien qu’elle réponde à la question du cinéma féminin en disant qu’il s’agit d’une question politique et non esthétique (balayant du coup a priori l’idée d’un festival de femmes), elle affirme que, pour exister, il faut passer par la revendication d’un droit à la parole. «La question de la représentativité est primordiale. […] S’autoriser à penser qu’on peut être réalisatrice, […] ça passe par des figures». En ce qui la concerne, elle pense à toutes les réalisatrices qui l’ont précédée et qui lui ont permis d’entamer son parcours.

Comme Despentes déplorant le fait que des questions féminines aussi importantes que le viol ne passent pas par le symbolique, cette réalisatrice témoigne du besoin humain de figure, de représentation, et de reconnaissance. La revendication est une étape, tout comme les premières luttes féministes l’ont été. Il faut revendiquer, affirmer, exister, représenter, avant de pouvoir prendre la parole posément pour réfléchir.

Virginie Despentes veut rappeler la nécessité de la lutte et elle se bat en première ligne, c’est-à-dire par la revendication, en cherchant à représenter, à créer du symbolique. Le simple fait que ses représentations dérangent prouve qu’il existe un ordre de la sexualité qui peut être bouleversé. En attendant que l’étape de la revendication, cette étape qui ennuie souvent, puisse être dépassée, Virginie Despentes affronte le mépris en usant de toute sa colère et de son talent pour énoncer des propositions alternatives.

Joachim Soudan (auteur, metteur en scène)

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L’équipe artistique

Emilie Charriot - metteur en scène Diplômée de la Haute Ecole de Théâtre Suisse Romande en 2012, Emilie Charriot a commencé par pratiquer le théâtre amateur en banlieue parisienne durant une dizaine d’années. Puis de 2002 à 2009, elle a enseigné le théâtre aux conservatoires municipaux et se forme comme comédienne autodidacte dans des spectacles professionnels à Paris et en Ile-de-France. De 2008 à 2012, elle a fondé et dirigé la Compagnie Du Déserteur, subventionnée par la Communauté d’Agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines. Elle travaille alors principalement sur des textes d’auteurs d’Europe de

l’est : Matéi Visniec, Witold Gombrowicz, Slawomir Mrozek… En Suisse, elle a joué sous la direction de Christian Geoffroy Schlittler, Oskar Gomez Mata, Massimo Furlan et Jean-Louis Hourdin. En juin 2013, elle met en scène La Sérénade de Slawomir Mrozek, pour l’inauguration de la Fondation Michalski. Puis en 2014, elle met en scène King Kong Théorie, adaptation scénique de l’œuvre de Virginie Despentes. Ce spectacle a été sélectionné pour la première Sélection Suisse en Avignon et est actuellement en tournée européenne. Cette première mise en scène s’inscrit dans une trilogie où elle interroge la sexualité et ses tabous dans l’écriture contemporaine sous forme de monologues. Un monologue écrit par Antoine Jaccoud, créé au théâtre de Vidy-Lausanne cette année, sera le deuxième volet de ce triptyque. Ponctuellement, Emilie Charriot continue d’enseigner le théâtre sous forme de stages. Elle prête également sa voix à la chaine Espace 2 (RTS) et tient un des rôles principaux dans le premier long-métrage de Robin Harsch (Ritaproductions). Cette saison elle met également en scène Ivanov de Tchékhov à l’Arsenic.

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Julia Perazzini - comédienne Julia Perazzini sort diplômée de la Manufacture-Hetsr en 2006. Au cours de sa formation, elle rencontre entre autre Denis Maillefer, Jean-Yves Ruf, Yves Beausnene, Claude Régy, Anne-Laure liégeois ou Omar Porras. Devenue très tôt une figure importante de la scène contemporaine Suisse Romande, elle travaille très régulièrement sous la direction de Denis Maillefer, mais aussi de Mathieu Bertholet, Vincent Brayer, Isabelle Pousseur, Vincent Bonillo, Adina Secretan ou

Fabrice Huggler, dans des lieux tels que le théâtre de Vidy, l’Arsenic à Lausanne, le Grütli à Genève, le Centre Culturel Suisse à Paris, la Comédie de Genève et de nombreuse scènes nationales françaises. Elle collabore avec Amitesh Grover dans une création indo-suisse qu’elle à joué à New Delhi. Elle complète sa formation en suivant des stages auprès d’Ursula Meier, Oskar Gomez Mata, Piera Honnegger ou Erna Omarsdottir. Elle est également metteur en scène de nombreux projets et se présente comme une « performeuse » assidue. Cette saison, elle met en scène un spectacle en quatre épisodes autour de Marylin Monroe en collaboration avec le Théâtre de l’Arsenic à Lausanne et le Théâtre des Halles de Sierre. Au cinéma, elle a joué sous la direction de Lionel Baier et à la télévision sous la direction de Bruno Déville.

Géraldine Chollet, comédienne, chorégraphe-interprète, coach physique Elle s'est formée au Laban Centre (Londres). Elle danse ensuite avec différentes compagnies (Cie Jessica Huber, Cie Philippe Saire, Cie Prototype Status, Cie Gaspard Buma, Cie Fabienne

Berger, Utilité Publique). Elle travaille aussi comme comédienne avec la Cie Emilie Charriot et la Cie Alakran. Depuis 2006, elle se forme auprès d'Ohad Naharin et de la Batsheva dance company pour l'enseignement du langage de mouvement GaGa aux professionnels et aux amateurs de la danse et du théâtre. Elle enseigne notamment à la Manufacture (HETSR), au Bern:Ballett, à la Cie Philippe Saire et au Marchepied à Lausanne. Elle a commencé à développer son propre langage chorégraphique avec la pièce ITMAR pour une danseuse et deux joueurs de Tälerschwinger.

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La presse en parle… Une fille traverse le plateau et va au devant du public. Va-t-elle annoncer que le spectacle n’aura pas lieu ? Elle n’est pas maquillée, porte un vieux jean et un tee-shirt sans forme et semble tout droit sortir de la régie. Pourtant le silence qu’elle impose et fait durer interpelle et son embarras manifeste, déroute. Elle traine avec elle quelque chose d’indicible. De maladroit. De timide. Mais malgré la gêne qui persiste, elle finit par dire qu’elle voudrait explorer la notion d’échec. Elle lance son pavé dans la mare avec une fermeté douce, avoue qu’elle a beaucoup espéré. Que souvent elle n’y arrive pas. Qu’il n’est pas facile de se maintenir en vie. Et puis elle esquive, elle esquisse un sourire comme pour s’excuser d’avoir été trop loin. J’ai échoué à être une femme convenable. J’ai passé beaucoup de temps à cacher que j’étais désespérée. Elle ne fait rien, ne joue pas, ne minaude pas, se contente de livrer quelques bribes de son histoire. Elle se laisse scruter et l’on se prend à chercher ce qu’elle veut dissimuler. Son corps parle pour elle. On trouve de la réticence dans ses pieds en dedans, le signe d’une certaine discrétion dans sa voix calme, de l’effacement sur ses traits. Aussi lorsqu’elle raconte cet endroit juste où chacun se doit d’être et qu’elle n’atteint jamais, ce toujours à côté auquel elle est condamnée, on est bouleversé. Car ce mépris qu’elle endure, qui devrait la mettre en colère, cette rage, elle a appris à la contenir. Tout ce à quoi on pourrait s’attendre n’arrive pas. Non. Pas de cris, pas de larme, aucune plainte mais une acceptation lente, mais un constat édifiant de notre monde. Et puisque les mots n’y pourront rien, elle retourne à son mutisme, ôte ses grosses baskets pour danser pieds nus. Et ses quelques pas si légers, si gracieux la transforment littéralement, la libèrent de cette sidération qui tout à l’heure l’étouffait. C’est dans cette élégance à peine entrevue, que se superpose la parole de Virginie Despentes. Une parole trash. Cash. Vraie. Riche d’expériences et de tragédies. Parce que cette fille-là est libre, elle prend toutes les libertés. Mais la Liberté n’est pas pour les femmes ou alors à leurs risques et périls. Et elle en paie le prix, rencontre la violence. À 14 ans, elle est violée. Elle balance son histoire d’une traite, sans tergiverser, sans s’apitoyer. Décortique le crime, y revient sans cesse, dresse des bilans de l’éducation des filles, épluche la peur qu’on leur inculque, bouscule les conditionnements habituels, s’agace du dressage des femmes, donne le vertige d’une émancipation par la prostitution. Creuse les débats et les postures françaises qu’elle remarque vis à vis du viol. Va chercher des réflexions plus poussées outre atlantique pour enrichir sa pensée. Apprend que la société préfère la remettre à sa place victimaire et découvre qu’il faut se battre pour s’affirmer, pour se faire entendre, pour obtenir une légitimité. La comédienne est plantée au milieu de la scène et ne peut compter sur aucun appui, juste notre silence. La metteure en scène Émilie Charriot la met à l’épreuve de la pleine lumière, à l’épreuve des regards, la laisse seule avec ses ombres qui comme des doubles grandissent démesurément derrière elle. Pour son premier spectacle, elle a choisi l’épure, elle a demandé à ses comédiennes de gommer les forces contraires qui pourraient les traverser. Et, les mettant côte à côte, enfin réunies, fait ainsi place à la résonance du texte et à une autre idée de ce que peuvent les femmes quand elles ne sont pas assignées à leurs seules émotions. Cette proposition toute en nuances et neutralité repousse décidément les frontières du genre. Un fauteuil pour l’orchestre – juin 2015

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On peut ne pas être d’accord avec certaines idées du King Kong théorie de Virginie Despentes, ce qu’elle y dit de la pornographie, de la prostitution occasionnelle, voire du viol. Mais cet essai si personnel, qui est en fait à la fois un cri de révolte et une confession touchante, ne peut se lire comme une enquête sociologique ni même comme un manifeste. Le mettre en scène dans son rapport personnel à chacune d’entre nous, actrice et danseuse sur la scène, spectatrices (et quelques spectateurs) dans la salle, est sans doute la façon la plus juste de le donner à voir. Celle que choisit Emilie Charriot, donnant la parole à la danseuse Géraldine Chollet qui commence le spectacle en parlant de son propre corps, puis à Julia Perrazini qui dans un simple face à face avec le public dit avec force et émotion la domination, la peur, la liberté, et le viol «inhérent à notre condition de fille», dont il faut se relever, pour vivre debout. Les larmes viennent, la gorge se serre et la mise en spectacle du texte prend tout son sens. Puis l’empathie fait remonter dans nos têtes tous ces chiffres qu’elle ne dit pas, mais que sa dénonciation du système des genres (virilité contre féminité) éclaire crûment : en France une femme sur dix sera violée au cours de sa vie et autant d’hommes sont des violeurs. Zibeline – juillet 2016