Kinésithérapie respiratoire

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M adame L., âgée de 35 ans, agent administratif, présente depuis 1 an une dyspnée ne survenant initialement que pour des efforts importants. Depuis Madame L. constate une très nette augmentation de la fréquence des crises paroxystiques non sifflantes de dyspnée pour des efforts de plus en plus modérés, et même au repos. De plus, Madame L. présente des cé- phalées, des vertiges et des sensations de malaises. Suite à ces événements, Madame L. est en mi-temps théra- peutique après un arrêt de travail et elle a réduit net- tement ses activités au quotidien. Nous la prenons en charge dans le cadre d’une réédu- cation respiratoire d’un syndrome d’hyperventilation. Bilan-diagnostic kinésithérapique (BDK) de la patiente Madame L. présente une cinétique ventilatoire para- doxale associée à 2 à 3 soupirs par minute, ces soupirs augmentant en situation de stress et de grande fatigue. La dyspnée se ressent au repos, avec des difficultés à « maintenir » une conversation. Elle est cotée à 5-6/10 à l’EVA au repos. Elle est de 5/5 sur l’échelle de Sadoul (encadré 1) et de 4/4 sur l’échelle « MRC » (British Me- dical Council Research (encadré 2)) [1]. Le Test de Marche de 6 minutes montre une bonne adaptation cardio-respiratoire (SaO 2 stable = 97-98 %) avec une distance parcourue dans la norme (574 m, pour une norme inferieure à 528 m) mais elle présente une dyspnée majeure à l’effort qui nous renseigne sur un important déconditionnement à l’effort. La saturation en oxygène au repos est de 98-99 % et elle présente une Fréquence Cardiaque au repos de 90 battements par minute (bpm) (Madame L. souffre de tachycardie et est traitée en conséquence par Isoptine). Sa capnie mesurée au repos en trans-cutanée (TcPCO 2 ) est à 32 mmHg (figure 1) et signe une hypocapnie ré- sultante de son hyperventilation spontanée (encadré 3). D’ailleurs si nous lui demandons une hyperventilation volontaire durant plusieurs minutes, sa TcPCO 2 chute à 25 mmHg avec un temps important (> à 5 minutes) de normalisation après retour à la ventilation sponta- née (figure 2) [2, 3]. L’EFR montre une légère diminution des débits mais surtout un volume courant (Vt) important, entre 1 et 1,5 l. Sa qualité de vie (encadré 3) est très altérée avec une note de 21/28 au MRF 28 (Maurizio respiratory Fonda- tion) [4] et un score total de 58 % soit 2 304,58 points au questionnaire respiratoire du St George’s hospital [5]. 20 Cette pathologie est inconnue du grand public et pourtant, n’y avez-vous pas été confrontés sans le savoir ? Le cas de Mme L. vous apportera un éclairage pratique ! Kinésithérapie respiratoire et syndrome d’hyperventilation A ÏNARA D OMINGUEZ Formation À propos d’un cas Kinesither Rev 2007;(72):20-2 MOTS CLÉS Apnée Hypocapnie Kinésithérapie respiratoire TcPCO 2 Kinésithérapeute, CHR Metz-Thionville, Service de Rééducation, 57038 Metz Cédex E-mail: [email protected] Article reçu le 21/06/09. Accepté le 06/09/07. ENCADRÉ 1 : ÉCHELLE DE SADOUL Stade 1 : dyspnée pour des efforts importants Stade 2 : dyspnée apparaissant à la montée d’un étage, ou à la marche rapide ou à la marche en légère côte Stade 3 : dyspnée à la marche normale sur terrain plat Stade 4 : dyspnée à la marche lente Stade 5 : dyspnée au moindre effort, à l’habillage, à la parole. ENCADRÉ 2 : MRC (BRITISH MEDICAL RESEARCH COUNCIL) Stade 0 : dyspnée pour les efforts soutenus (montée 2 étages). Stade 1 : dyspnée lors de la marche rapide ou en pente Stade 2 : dyspnée à la marche sur terrain plat en suivant quelqu’un de son âge ou obligeant à s’arrêter pour repren- dre son souffle en marchant sur terrain plat à son propre rythme. Stade 3 : dyspnée obligeant à s’arrêter pour reprendre son souffle après quelques minutes ou une centaine de mètres sur terrain plat. Stade 4 : dyspnée au moindre effort de la vie courante (habil- lage, déshabillage). Trop essoufflé pour quitter le domicile.

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M adame L., âgée de 35 ans, agent administratif,présente depuis 1 an une dyspnée ne survenant

initialement que pour des efforts importants. DepuisMadame L. constate une très nette augmentation de lafréquence des crises paroxystiques non sifflantes dedyspnée pour des efforts de plus en plus modérés, etmême au repos. De plus, Madame L. présente des cé-phalées, des vertiges et des sensations de malaises. Suiteà ces événements, Madame L. est en mi-temps théra-peutique après un arrêt de travail et elle a réduit net-tement ses activités au quotidien.Nous la prenons en charge dans le cadre d’une réédu-cation respiratoire d’un syndrome d’hyperventilation.

Bilan-diagnostic kinésithérapique (BDK)de la patiente

Madame L. présente une cinétique ventilatoire para-doxale associée à 2 à 3 soupirs par minute, ces soupirsaugmentant en situation de stress et de grande fatigue.La dyspnée se ressent au repos, avec des difficultés à« maintenir » une conversation. Elle est cotée à 5-6/10à l’EVA au repos. Elle est de 5/5 sur l’échelle de Sadoul(encadré 1) et de 4/4 sur l’échelle « MRC » (British Me-dical Council Research (encadré 2)) [1].Le Test de Marche de 6 minutes montre une bonneadaptation cardio-respiratoire (SaO2 stable = 97-98 %)

avec une distance parcourue dans la norme (574 m,pour une norme inferieure à 528 m) mais elle présenteune dyspnée majeure à l’effort qui nous renseigne surun important déconditionnement à l’effort.La saturation en oxygène au repos est de 98-99 % etelle présente une Fréquence Cardiaque au repos de 90battements par minute (bpm) (Madame L. souffre detachycardie et est traitée en conséquence par Isoptine).Sa capnie mesurée au repos en trans-cutanée (TcPCO2)est à 32 mmHg (figure 1) et signe une hypocapnie ré-sultante de son hyperventilation spontanée (encadré 3).D’ailleurs si nous lui demandons une hyperventilationvolontaire durant plusieurs minutes, sa TcPCO2 chuteà 25 mmHg avec un temps important (> à 5 minutes)de normalisation après retour à la ventilation sponta-née (figure 2) [2, 3].L’EFR montre une légère diminution des débits maissurtout un volume courant (Vt) important, entre 1 et1,5 l.Sa qualité de vie (encadré 3) est très altérée avec unenote de 21/28 au MRF 28 (Maurizio respiratory Fonda-tion) [4] et un score total de 58 % soit 2304,58 pointsau questionnaire respiratoire du St George’s hospital [5].

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Cette pathologie est inconnue du grand public et pourtant, n’y avez-vous pas été confrontés sans le savoir ? Le cas de Mme L. vous apportera un éclairage pratique !

Kinésithérapie respiratoire et syndrome d’hyperventilation

AÏNARA DOMINGUEZ

Formation À propos d’un cas

Kinesither Rev 2007;(72):20-2

M O T S C L É S

ApnéeHypocapnieKinésithérapie respiratoireTcPCO2

Kinésithérapeute, CHR Metz-Thionville, Service de Rééducation,57038 Metz CédexE-mail: [email protected]

Article reçu le 21/06/09.Accepté le 06/09/07.

E N C A D R É 1 : É C H E L L E D E S A D O U L

Stade 1 : dyspnée pour des efforts importantsStade 2 : dyspnée apparaissant à la montée d’un étage, ouà la marche rapide ou à la marche en légère côteStade 3 : dyspnée à la marche normale sur terrain platStade 4 : dyspnée à la marche lenteStade 5 : dyspnée au moindre effort, à l’habillage, à la parole.

E N C A D R É 2 : M R C ( B R I T I S H M E D I C A L

R E S E A R C H C O U N C I L )

Stade 0 : dyspnée pour les efforts soutenus (montée 2 étages).Stade 1 : dyspnée lors de la marche rapide ou en penteStade 2 : dyspnée à la marche sur terrain plat en suivantquelqu’un de son âge ou obligeant à s’arrêter pour repren-dre son souffle en marchant sur terrain plat à son proprerythme.Stade 3 : dyspnée obligeant à s’arrêter pour reprendre sonsouffle après quelques minutes ou une centaine de mètressur terrain plat.Stade 4 : dyspnée au moindre effort de la vie courante (habil-lage, déshabillage). Trop essoufflé pour quitter le domicile.

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L’auscultation pulmonaire est normale.Madame L. signale également des douleurs cervicales etgléno-humérales bilatérales, consécutives à sa fibro-myalgie.

Traitement et kinésithérapie

Les premières séancesNous commençons par corriger la cinétique ventila-toire : une main sur l’abdomen et l’autre sur la partiehaute du thorax, nous demandons à Madame L. d’ins-pirer par le nez en gonflant le ventre que nous stimu-lons avec la main abdominale puis d’expirer en rentrantle ventre. La main thoracique est surtout une maind’écoute visant à limiter les mouvements thoraciques.

Associée à ces exercices, la patiente devait contrôler etlimiter ces soupirs. Ceci nécessite une grande motiva-tion et une bonne participation de sa part car elle blo-que ses soupirs au repos puis à l’effort.D’autre part, nous réduisons la ventilation minute endiminuant la FR sans augmenter le Vt. La patiente doitfaire une apnée en fin d’inspiration [6]. En pratique,cette apnée doit être suffisante pour réduire les symp-tômes résultant de l’hypocapnie sans être trop longuepour ne pas déclencher une « soif d’air » : l’exercice doitrester confortable. Le temps d’apnée de Madame L. étaitde 5 secondes.Tous ces exercices se font sous surveillance de SaO2,TcPCO2 et Fc pour vérifier l’efficacité de nos techni-ques, surtout la capnie.

Bilan intermédiaireNous notons une augmentation de la capnie lors desséances et une réduction de céphalées et de la sensa-tion de mal être le temps de la séance. De plus, la pa-tiente maîtrise bien ses soupirs au repos. En revancheelle éprouve des difficultés à appliquer ces exercicesdans sa vie quotidienne : sa dyspnée ne diminue pas, cequi l’oblige à réduire encore ses activités : elle n’est doncpas sortie du cercle vicieux du déconditionnement.

La poursuite de la rééducationPour simplifier l’adaptabilité à sa vie de tous les jours,nous poursuivons ces exercices mais sur une cinétiqueventilatoire plus spontanée puisque la patiente présentedésormais une ventilation thoraco-abdominale.Nous accentuons l’éducation en insistant sur le travailnécessaire à fournir tous les jours et pas seulement pen-dant les séances. Nous sensibilisons Madame L. sur lanécessité de conserver son activité physique et de l’aug-menter. Pour ceci, nous lui proposons une série d’exer-cices physiques simples impliquant les membres infé-rieurs et supérieurs :

Travail au bâtonLa patiente assise tient le bâton à 2 mains au niveaudes clavicules, coudes fléchis. Elle inspire puis porte lebâton vers l’avant sur le temps expiratoire. Nous lui de-mandons 3 séries de 10 mouvements.La patiente assise tient le bâton à 2 mains au niveaudes clavicules. Elle inspire puis porte le bâton vers lehaut sur le temps expiratoire. Nous lui demandons 3séries de 10 mouvements.

Travail sur véloLa première finalité est d’inciter Mme L. à reprendreune activité physique. Nous travaillons en roue libre(sans résistance) avec vitesse de pédalage fixe.La seconde finalité est d’augmenter les performancesphysiques en demandant de pédaler autant qu’elle peutsous surveillance de la fréquence cardiaque (Fc), de la

Figure 1. Écran visualisant la valeur de la TcPCO2 de32 mm Hg.

Figure 2. Effet de l’hyperventilation volontaire sur la TcPCO2

qui descend à 25 mm Hg et reste inférieure à la valeur de basependant 5 minutes.

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saturation en oxygène (SaO2) et de la dyspnée. La du-rée de la première séance est de 2min 30s. Au fur et àmesure des séances, la durée de pédalage augmentejusqu’à 20 min. Nous travaillons également la marcheà pied et la montée d’escalier.

Bilan finalLa patiente a augmenté son activité physique mais aussison activité sociale car elle se sent moins fatiguée, cequi lui permet de refaire des sorties en soirée. Au tra-vail, elle est plus à l’aise car elle maîtrise mieux ses trou-bles ventilatoires. Nous mesurons cette amélioration enévaluant sa qualité de vie avec une note qui passe à6/28 à la MRF 28 et un score total de 37 % soit 1477,14points au questionnaire respiratoire du St George’s hos-pital.

Conclusion

Le syndrome d’hyperventilation est un trouble ventila-toire insidieux qui entraîne rapidement une diminutionde la qualité de vie chez des sujets jeunes. Un diagnos-

tic précoce, une prise en charge rapide et une forte im-plication du patient permet d’éviter de tel retentisse-ment.

R É F É R E N C E S

[1] Gouilly P, Jennequin J. Bilan en kinésithérapie respiratoire. In

Reychler G, Roeseler J, Delguste P. Kinésithérapie respiratoire.

Elsevier, Paris, 2007. pp 77-82.

[2] Prosper M, Dubreuil Cl. Le syndrome d’hyperventilation. In

Reychler G, Roeseler J, Delguste P. Kinésithérapie respiratoire.

Elsevier, Paris, 2007 p 221-31.

[3] Wuyam B, Pepin JL, Levy P. Syndromes d’hyperventilation :

orientations pour la prise en charge thérapeutique. Rev Mal

Respir 2001;18:369-71.

[4] Monnin D, Janssens JP. Évaluation de la qualité de vie chez

l’insuffisant respiratoire chronique obstructif. In Reychler G.,

Roeseler J, Delguste P. Kinésithérapie respiratoire. Elsevier,

Paris, 2007, pp 99-109.

[5] Bouric G. Quelques réflexions sur la qualité de vie au décours

de nos pratiques Kinésithér Sci 2005;455:27-34.

[6] Willeput R, Dubreuil CL, Prosper M, Compere P, Pujet JC.

Syndrome d’hyperventilation. Évaluation, en deux sites, de

l’efficacité d’un programme de réhabilitation ventilatoire. Rev

Mal Respir 2001;18:417-25.

E N C A D R É 3 : L A M E S U R E P C O 2 T R A N S

C U T A N É E T C P C O 2 ( F I G U R E 3 )

La constante qui permet actuellement de diagnostiquer etde rééduquer est la mesure de la capnie. Le prix actuel desappareils commercialisés sur le marché (7 à 10 000 euros)ainsi que le coût des consommables semblent rédhibitoirespour l’activité d’un kinésithérapeute isolé. Seul motif d’es-poir, les vieux « pneumo kinésithérapeutes » se rappelle-ront du coût similaire des saturomètres lors de leur sortiedans les années 1980. Ils sont actuellement vendus entre400 et 600 euros. L’intérêt de la capnographie sera déve-loppé lors du prochain congrès de pneumologie de languefrançaise (www.congres-pneumologie.fr).

Figure 3. Appareil de mesure de la TCPCO2, SenTec DigitalMonitor (commercialisé par Resmed®)