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Khôlle n°3 2016-2017 La dynamique des classes moyennes dans la mondialisation Document 1 Source : Louis Chauvel dans Cahiers Français n°378 « Les classes moyennes dans la crise » Document 2 ESH Camille Vernet ECE2 Nicolas Danglade 1

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Khôlle n°3 2016-2017La dynamique des classes moyennes dans la mondialisation

Document 1

Source : Louis Chauvel dans Cahiers Français n°378 « Les classes moyennes dans la crise »Document 2

Source : Louis Chauvel dans Cahiers Français n°378 « Les classes moyennes dans la crise »

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Document 3Une question centrale dans le reste du monde est celle de la polarisation de la structure sociale, autrement dit d’une expansion des inégalités. Dans ce mouvement, les revenus médians seraient l’épicentre de la « tectonique des classes ». Pour de nombreux indicateurs, (…) La France fait figure d’exception : le paradoxe apparent est que, pour les inégalités économiques comme pour l’écartèlement des classes moyennes, la France semble protégée, résiste au changement, mais exprime en même temps un fort malaise. Pour autant, un examen tout à la fois plus global et théorique de la question permet de saisir pourquoi des tensions s’accumulent devant le modèle français de société de classes moyennes. (…) Par comparaison avec l’intense production mondiale sur les classes moyennes, les sciences sociales françaises sont relativement isolées (…). Les recherches internationales se présentent sous un tout autre jour : l’évaluation de l’hypothèse de rétrécissement ou non de la classe moyenne (shrinking middle class) est centrale. (…) Dans une importante contribution sur les classes moyennes, Brandolini et Atkinson (2013) suivent deux indicateurs : le coefficient de Gini et l’index de polarisation de Wolfson. Le premier analyse l’inégalité globale et le second l’écartèlement autour de la médiane, mesurant aussi la tendance au rétrécissement de la classe moyenne. Ces travaux (…) permettent d’établir ces conclusions :

- l’indice de Gini montre que les inégalités se sont accrues presque partout depuis 1985 ; - l’indice de polarisation de Wolfson confirme le diagnostic en termes de pression accrue

sur les revenus intermédiaires, avec deux exceptions notables : le Danemark et la France qui, jusqu’en 2005, ont résisté à la tendance générale.

- La middle class définie par les ménages situés entre 75% et 125% de la médiane a diminue dans de nombreux cas, d’une façon considérable, comme en Finlande ;

- Sur une plus longue durée, en remontant aux années 1960, les Etats-Unis et le Royaume-Uni mettent en évidence le plus fort déclin de la middle class. (…)

Les dernières enquêtes disponibles fin 2013 (sur période 2005-2011) complètent ce tableau : les exceptions danoises et françaises s’émoussent alors. Néanmoins en France, cette progression n’est pas due à la compression des classes moyennes (l’indicateur de Wolfson est invariant en France) mais à la croissance des rétributions supérieures. La France ne connaît donc pas de polarisation ni d’explosion des inégalités évidentes, mais plutôt une stagnation du niveau de vie des classes moyennes qui ne suivent pas la progression du haut de la pyramide sociale. Autrement dit, la France est un des seuls pays où en 2011, le processus de shrinking middle class n’est pas enclenché, du point de vue des revenus. Nous sommes donc loin de la situation de la classe moyenne américaine qui continue sur sa pente déclinante avec 28,6% de membres en 2010, contre 30,5% en 2005 et 37,3% en 1974. (…)La dynamique assez générale de polarisation reste mystérieuse, mais a rencontré différentes explications : - les mécanismes institutionnels : moindre rôle des syndicats, démantèlement des régulations, réduction de la pression fiscale ; - la démographie et les mouvements de population : baby-boom, immigration, travail des femmes, homogamie croissante des plus qualifiés ; - le fonctionnement des marchés : ralentissement de la croissance, importation de biens précédemment élaborés par les classes populaires nationales, désindustrialisation biais technologique dans la croissance, économie de « stars » et des super-cadres. (…)

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Document 4 L'ordre "international" de l'après guerre – le compromis de Bretton Woods - reposait sur un respect fort des critères "État-Nation" et "Participation politique". Les pays conservaient une autonomie forte dans la réglementation, la politique budgétaire, la politique industrielle, la mise

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en place d'un système social, etc... La diversité des "modèles" occidentaux (modèle japonais, modèle rhénan, etc.) montre qu'effectivement, les citoyens ont pu affirmer des préférences spécifiques et assez peu contraintes par des impératifs de compétitivité. D'ailleurs, en contrepartie, les États conservaient la possibilité de limiter l'intégration et de segmenter les marchés aussi bien dans le domaine de la finance que dans celui du commerce. (…)Dans le cas de la « camisole dorée » (expression de T.Friedman), la souveraineté des pays s'exerce effectivement, mais pour favoriser la compétitivité des entreprises sur des marchés intégrés. Les États doivent mener des politiques conformes aux attentes du marché, proposer une fiscalité attractive pour les investissements directs, une législation du travail accommodante. Comme l'écrit Thomas Friedman : "once your country puts on the Golden Straitjacket, its political choices get reduced to Pepsi or Coke". (…) La globalisation crée même un cercle vicieux que les anglo-saxons qualifient de race to the bottom, c'est-à-dire un nivellement par le bas : certains pays chercheront à tirer profit de la globalisation pour alléger leur fiscalité et ainsi attirer l'épargne et les placements financiers. Les autres n'auront alors pas d'autres choix que de s'aligner sur la fiscalité la plus basse. D'une manière plus générale, la globalisation rendra plus difficile la taxation des facteurs mobiles : capital financier, capital industriel, main d'œuvre hautement qualifiée. Elle conduira à reporter la charge fiscale sur les facteurs les moins mobiles comme le travail peu ou moyennement qualifié ou le capital foncier. Il en résultera une hausse des coûts salariaux qui se traduira soit par l'augmentation du chômage des moins qualifiés, soit par la contraction du revenu disponible des salariés peu qualifiés et donc l'accroissement des inégalités. Plus un pays est déjà inégalitaire, plus la majorité devrait aspirer

à une fiscalité plus redistributive et plus la globalisation s'oppose à cette aspiration.

Source : J.M.Siroen « Mondialisation et démocratie », Université européenne d’été, Paris Dauphine, 2002

Document 5Les effets de la mondialisation du commerce n’ont pas été aussi spectaculaires que ceux des crises associées à la libéralisation des marchés financiers et des capitaux, mais ils n’en ont pas moins œuvré lentement et régulièrement. L’idée de base est simple : la circulation des biens est un substitut de celles des personnes. Si les Etats-Unis importent des produits dont la fabrication nécessite des travailleurs non qualifiés, cela réduit la demande de travailleurs non qualifiés pour les fabriquer aux Etats-Unis, et cela fait baisser les salaires des non-qualifiés. Les travailleurs américains peuvent soutenir la concurrence en acceptant des salaires toujours plus bas, ou en se qualifiant de plus en plus. (…) La façon dont la mondialisation a été gérée a fait baisser les salaires encore davantage, parce que le pouvoir de négociation des travailleurs a été massacré. Avec un capital extrêmement mobile et des droits de douanes faibles, l’entreprise peut simplement dire à ses ouvriers que, s’ils n’acceptent pas une baisse de salaire (et une aggravation de leurs conditions de travail) elle se délocalisera ailleurs. Pour voir comment une mondialisation asymétrique peut influer sur le rapport de forces, imaginons un instant à quoi ressemblerait le monde s’il y avait libre circulation du travail sans aucune mobilité du capital. Les pays rivaliseraient pour attirer les travailleurs. On leur promettrait de bonnes écoles et un bon environnement, ainsi qu’une fiscalité faible sur les salaires. On pourrait financer cela par de lourds impôts sur le capital. Mais ce n’est pas le monde dans lequel nous vivons. (…)Le problème est particulièrement grave aujourd’hui aux Etats-Unis et en Europe : tandis que le changement technologique permettant d’économiser du travail réduit la demande de main d’œuvre pour beaucoup de « bons » emplois ouvriers de la classe moyenne, la mondialisation crée un marché mondial qui met ces mêmes travailleurs en concurrence directe avec leurs homologues à l’étranger. Les deux facteurs dépriment les salaires. Comment, dans ces conditions, les champions de la mondialisation peuvent-ils prétendre que la situation de tous va s’améliorer ? Ce que dit la théorie, c’est que tout le monde pourrait s’en trouver mieux. C’est-à-

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dire que les gagnants pourraient indemniser les perdants. Mais elle ne dit pas qu’ils le feront – et en général, ils ne le font pas. En fait, les chauds partisans de la mondialisation soutiennent souvent qu’ils ne peuvent pas et ne doivent pas le faire à cause, justement, de la mondialisation. Les impôts qu’il faudrait prélever pour aider perdants, disent-ils, affaibliraient la compétitivité du pays, et dans notre monde intégré extrêmement concurrentiel aucun pays ne peut se le permettre. Effectivement, la mondialisation frappe les plus démunis à la fois directement et indirectement, parce qu’elle incite à réduire les dépenses sociales et à rendre la fiscalité moins progressive. Le résultat est que, dans de nombreux pays, dont les Etats-Unis font partie, la mondialisation est un facteur important d’aggravation de l’inégalité : c’est pratiquement certain. Comme je l’ai souligné, ces problèmes sont dus à la mondialisation telle qu’elle a été gérée. En Asie, la croissance propulsée par les exportations a été immensément bénéfique à plusieurs pays, et certains (comme la Chine) ont pris des mesures pour faire en sorte qu’un important pourcentage de cette production accrue aille aux pauvres, qu’une partie soit consacrée à l’enseignement public et qu’une large part soit réinvestie dans l’économie. Dans d’autres pays, il y a eu de gros perdants autant que de gagnants : les revenus des producteurs de mais pauvres au Mexique ont baissé quand le maïs subventionné américain a fait chuter les prix sur les marchés mondiaux. (…) Parmi les gagnants de la mondialisation telle qu’elle a été gérée, aux Etats-Unis et dans certains pays européens, il y a ceux qui se situent au plus haut de l’échelle des revenus.

Source : J.Stiglitz « Le prix de l’inégalité », Babel, 2012, p. 109-110

Document 6Une classe moyenne mondiale de 5 milliards d’individus en 2030La mondialisation des échanges s’est traduite par une augmentation sensible des revenus moyens de la population humaine. Ce phénomène a permis l’apparition d’une classe moyenne dans de nombreux pays émergentsÀ l’heure actuelle, la classe moyenne mondiale qui est en pleine expansion compte environ 2 milliards d’individus selon les dernières statistiques de l’OCDE, dont 500 millions vivent en Asie. Et dans les décennies qui viennent, l’essor de la classe moyenne va largement s’amplifier. Toujours selon l’OCDE, la classe moyenne mondiale devrait dépasser les 3 milliards d’individus en 2020, pour atteindre les 5 milliards en 2030 ! À cette date, plus des 2/3 tiers de la classe moyenne mondiale devrait vivre en Asie. Un bouleversement radical !

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L’Asie ne sera donc plus à cette date un simple lieu de production pour les entreprises globales, et va devenir rapidement (dès 2020) leur principal marché. Les États-Unis et l’Europe étant relégués au rang de marchés secondaires… Autrement dit, les produits de demain seront fabriqués pour correspondre d’abord aux goûts et aux normes des populations asiatiques. Et non plus aux nôtres.Mais ce n’est pas la seule conséquence de ce vaste mouvement de « tectonique des plaques ». Par exemple, si la classe moyenne représente 5 milliards d’individus sur une population de 8 milliards d’habitants (d’après les prévisions démographiques), cela signifie qu’en 2030 la majorité des êtres humains vivant sur Terre aura accès à des soins de santé de qualité, et pourra offrir une éducation convenable à ses enfants ! Toutes choses qui étaient uniquement l’apanage des occidentaux il y a peu. Une première dans l’Histoire !

Source : Publié le 19 février 2013 Par Aymeric Pontier sur www.contrepoints.org

Document 7Un intense débat se développe sur la question des classes moyennes dans les pays en développement. L’émergence dans les pays en développement d’une catégorie toujours plus large de consommateurs qui ne semblent rien avoir à envier à ceux des pays d’industrie avancée est un élément nouveau à prendre en compte. (…) Pour Xavier Sala-i-Martin (2009) la dynamique nouvelle d’enrichissement des grands pays en développement, en particulier les BRIC, mais aussi l’Afrique du Sud, la Malaisie et l’Indonésie, notamment conduit à un rétrécissement sensible des inégalités mondiales, dynamique que Sala-i-martin attribue à la libéralisation des marchés mondiaux capable de promouvoir une gigantesque classe moyenne mondiale. Au contraire, Milanovic insiste sur le fait que ces nouveaux pays développés sont porteurs d’inégalités internes situées très au-delà du niveau connu aujourd’hui dans les anciens pays industriels. En effet, l’enrichissement moyen dans des pays comme la Chine a bénéficié avant tout aux plus aisés, laissant les autres dans la pauvreté et la frustration relatives  : l’enrichissement des BRIC ne semble pas aller avec une baisse des inégalités internes marquées par l’expansion des classes moyennes intermédiaires. Il en découle l’idée que l’émergence de ces classes moyennes pourrait être un trompe-l’œil dans des pays privés de classes médianes : une haute bourgeoisie se détache, 15% de managers, décideurs, cadres experts, situés loin au-dessus de la moyenne, s’élèvent et accèdent à la consommation « de masse », le reste peinant à échapper aux bidonvilles.

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Document 9Durant les années 2000, les analyses économiques désignent à nouveau le commerce international comme responsable des transformations de l’emploi et de la montée des inégalités (dans les PDEM notamment). Le premier argument mobilisé est l’outsourcing. La fragmentation croissante des chaînes de valeur est un des phénomènes majeurs de la mondialisation des années 2000. Cette fragmentation démultiplie le commerce international et impacte les demandes de travail. Le modèle théorique de Feenstra et Hanson est le suivant. Supposons :

- Deux pays, un à bas salaire et l’autre à haut salaire.- Un bien final, produit à partir d’un continuum de « tâches » produites avec du travail

qualifié et du travail non qualifié. - Chaque « tâche » a une intensité en travail qualifié différente. - La production des tâches intensives en travail qualifié est relativement moins coûteuse

dans le pays développé, tandis que la production des tâches intensives en travail non-qualifié est relativement moins coûteuse dans le pays à bas salaires. Cette configuration des coûts peut être représentée dans le graphique suivant :

Imaginons un choc qui augmente les coûts de production dans le Nord et/ou les baisse dans le Sud (par exemple l’entrée dans la mondialisation d’un pays à très bas salaires) :

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Un grand nombre de tâches sont maintenant délocalisées : les plus intensives en travail non qualifié qui étaient produites dans le Nord ; Mais ces tâches délocalisées font augmenter le niveau de qualification des tâches réalisées dans le Sud ;

Conséquences : - Baisse de la demande de travail non-qualifié au Nord = facteur d’inégalités entre non-

qualifiés et qualifiés ;- Hausse de la demande de travail qualifié au Sud = facteur d’inégalités entre non-

qualifiés et qualifiés ; - Hausse de l’intensité en travail qualifié partout ; - Baisse des prix des biens industriels.

Source : Matthieu Crozet, Conférence IAE Saint Etienne, janvier 2015

Document 10En 1996, je concluais L’inégalité du monde par une conjecture : l’avenir le plus probable dans les pays riches est le laminage des classes moyennes et la polarisation des sociétés entre groupe restreint de nomades de plus en plus riches et une masse de sédentaires qui seront désormais les « clients », au sens romain du terme, des premiers. Cette conjoncture était fondée sur l’évolution quantitative des différents rythmes à l’œuvre dans le processus de mondialisation. En raison de l’émergence très rapide de ce que j’avais appelé les « pays à bas salaires et à capacité technologique » (Chine, Inde), j’estimais que le rythme de destruction des emplois nomades dans les pays riches l’emporterait sur le rythme de création. Le nombre relatif de nomades diminuerait donc, mais les nomades « résistants » deviendrait néanmoins de plus en plus riches. Le développement propre de l’économie sédentaire ne me paraissait pas capable de contrer cette évolution, si bien que la résultante en était un accroissement des inégalités entre nomades et sédentaires. Cette thèse à l’époque était très minoritaire. A la fin des années 1990, chez la quasi-totalité des économistes le leitmotiv était : « la mondialisation n’est pas coupable ! ». L’augmentation des inégalités dans les pays riches n’était pas niée, mais elle était attribuée pour l’essentiel à un « progrès technique biaisé en défaveur du travail non qualifié ». (…) En bref, c’était la faute des ordinateurs pas de la mondialisation. (…) Mon apport à l’analyse de la mondialisation, s’il en est un, est d’avoir proposé une analyse, espérons-le originale, des dynamiques à l’œuvre, qui met l’accent sur la distinction nomades/sédentaires, distinction utilement complémentaire de la distinction traditionnelle qualifié/non qualifié.

Source : P.N.Giraud, « La mondialisation. Emergence et fragmentations », Coll.Sciences Humains, 2012, p.105-107

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Document 11En résumé, même si le phénomène de la « délocalisation » n’a eu à strictement parler, qu’un effet limité sur l’emploi industriel, il n’est pas douteux que la mondialisation a entraîné une désindustrialisation des pays développés et une précarisation de l’emploi dans les régions les plus touchées. Il n’est pas douteux non plus que la concurrence des pays à bas salaires se développe dans certains secteurs de services, aidée par les avancées de la technologie, et qu’elle touche donc aujourd’hui des niveaux plus élevés de qualification au sein des économies développées. (…) dans les économies développées, il a semblé à un moment que cette mondialisation des échanges affecterait essentiellement les salaires des travailleurs les moins qualifiés, exposés à la concurrence de la main d’œuvre bon marché. (…) Depuis, il semblerait que le phénomène se soit propagé jusqu'au milieu de l’échelle des qualifications. Source : F.Bourguignon La mondialisation de l’inégalité, 2012, p. 37

Document 12En 2014, les États-Unis ont enregistré le plus grand nombre de création d’emplois annuelle depuis les années 1990 et ce mouvement, le plus long jamais observé, s’est prolongé en 2015. Depuis deux ans, les salaires réels augmentent de 1,4 % par an, plus de deux fois plus vite que lors de la dernière reprise. Toutefois, comme dans de nombreux autres pays de l’OCDE, cela n’est pas suffisant pour rattraper des décennies de gains inférieurs à la normale pour les familles des classes moyennes. L’approche retenue par le Président Obama et fondée, selon ses propres termes, sur « l’économie des classes moyennes », vise à corriger cette situation qui dure depuis des décennies.Aux États-Unis, le revenu médian a augmenté de 17 % depuis 1973. Deux indicateurs montrent pourtant que nous aurions dû faire mieux : entre 1948 et 1973, les revenus des classes moyennes ont augmenté de 98 %, et l’accroissement de la productivité entre 1973 et 2013 aurait dû permettre aux travailleurs d’acheter 82 % de plus par heure travaillée, soit nettement plus que la hausse réellement observée.Trois facteurs fondamentaux conditionnent le revenu des familles : la croissance générale de la productivité dans l’économie, le partage plus ou moins large de ces gains, et le taux d’activité. Malgré des évolutions différentes selon les pays, ces trois facteurs ont connu une tendance à la dégradation dans la plupart des économies de l’OCDE ces dernières décennies.Le facteur le plus important aux États-Unis a été le ralentissement de la croissance de la productivité. Entre 1948 et 1973, cette croissance atteignait 2,8 % chaque année, mais, freinée en partie par les ruptures liées aux chocs pétroliers et à la suppression du système monétaire de Bretton Woods, elle est tombée à 1,8 % dès 1973. Des choix politiques ont également joué dans ce ralentissement : dans les années 1950 et 1960, les États-Unis ont énormément investi dans les réseaux autoroutiers inter-États, pour ensuite réduire sensiblement la part de l’investissement infrastructurel dans le PIB.La montée des inégalités est le deuxième facteur responsable du ralentissement des revenus. En 1973, 90 % des ménages américains les plus pauvres percevaient 68 % du revenu national, contre 53 % aujourd’hui. Cette tendance s’explique en partie par l’évolution technologique, mais également par certains choix politiques, dont celui de ne pas poursuivre le développement de l’éducation alors que le taux de syndicalisation et le salaire minimum réel fléchissaient.Le troisième facteur est la baisse du taux d‘activité. Sa chute après 2007, principalement due à la récession et à certains changements démographiques, a monopolisé l’attention. Pourtant, le taux d’activité des populations d’âge très actif diminuait déjà dès les années 1950 chez les hommes et 1990 chez les femmes. Cette tendance reflète certains changements sociétaux, mais aussi des décisions en matière de formation, de fiscalité et de flexibilité au travail.Nous ne pouvons bien sûr revenir sur le passé, mais nous pouvons poursuivre les actions engagées pendant la crise : investissements dans les infrastructures et la production

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manufacturière, réductions d’impôts pour les familles actives, mesures visant à freiner la hausse des coûts de santé, etc.D’après les premiers résultats, ces politiques sont efficaces. Ces dernières années, les États-Unis ont non seulement enregistré une croissance plus forte et des créations d’emplois plus rapides, mais ils sont aussi à la tête de la révolution mondiale des technologies et de l’innovation, incarnée notamment par l’informatique en nuage, les appareils mobiles, la médecine personnalisée ou les matériaux de pointe, sources de progrès économiques considérables.Le Président Obama a également proposé un éventail de mesures destinées à stimuler la croissance de la productivité, notamment développer les marchés à l’exportation étrangers, réformer la fiscalité des entreprises, stimuler les investissements technologiques, développer l’éducation et réformer le système d’immigration.Une meilleure productivité est certes nécessaire à une augmentation soutenue des revenus de la classe moyenne, mais pas suffisante. Le Président Obama appelle donc à d’autres mesures pour élargir les opportunités, par exemple relever le salaire minimum, développer les crédits d’impôt pour la classe moyenne et les travailleurs à faible revenu, et rendre le système fiscal plus équitable.Faciliter l’accès à l’emploi est un objectif crucial, qui bénéficiera d’une amélioration des services de garde d’enfants, de pratiques de travail plus souples, notamment pour les congés payés et congés maladie, d’un système fiscal favorable aux deuxièmes apporteurs de revenu, et d’une meilleure adéquation entre formation et emploi.Il n’y a pas de doute : une économie plus vigoureuse est propice à l’emploi et aux revenus, mais aux États-Unis comme dans tous les pays de l’OCDE, un meilleur partage des fruits de la croissance est essentiel à la hausse des revenus de la classe moyenne.

Source : Jason Furman (Président du Conseil des conseillers économiques des Etats-Unis, Bureau exécutif du président Obama) , http://www.oecd.org/fr/etatsunis/economie-classes-

moyennes.htm

Document 13Les inégalités vertigineuses sont de retour, mais, si ce constat est bien établi ailleurs, il reste plus difficile à percevoir en France. Les acteurs sociaux sentent bien quelque chose mais le coefficient de Gini qui mesure les disparités de richesse reste impavide. (…) Le contraste avec les Etats-Unis est saisissant : là-bas, la reconstitution d’une pyramide socio-économique écrasante, comme au temps de la Belle Epoque promet pour bientôt un seuil d’inégalité inédit si les tendances se maintiennent. (…) Lorsque le modèle des nouvelles classes moyennes salariées était en expansion dans le contexte de développement de la société salariale, le patrimoine pouvait être considéré comme une forme résiduelle, d’un passé en voie de résorption et ne jouer qu’un rôle secondaire, en dernière instance. (…) Les fruits du travail gagnaient alors en importance par rapport à l’accumulation patrimoniale. (…) Les conséquences de la reconstitution de l’accumulation patrimoniale depuis les années 1990 ont été généralisée au long de l’ouvrage de Piketty. La repatrimonialisation signifie, en particulier au sein des classes moyennes, une distorsion croissante, préalable à un écartèlement, voire une rupture de continuité, entre les classes moyennes dotées d’un substantiel patrimoine net, sans remboursement de prêts, par opposition aux autres, propriétaires endettés ou locataires, dont les conditions économiques d’existence sont d’une toute autre nature. Ce vertige des inégalités patrimoniales est un facteur important de déstabilisation des classes moyennes. Comment pouvons-nous caractériser cette nouvelle dynamique ? Le constat général est le suivant : (…) le nombre moyen d’années d’accumulation du revenu nécessaire à la constitution du patrimoine après avoir chuté au 20ième siècle jusqu’au point bas des années 1980, autour d’une valeur de deux ans, se rapproche aujourd’hui de six ans. (…) La situation nouvelle n’est pas l’inégalité mais le passage d’un régime d’inégalités modérées à la situation qui prévalait précédemment. (…) Il reste que la patrimonialisation (…) signifie un handicap croissant pour ceux qui n’ont que leur

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salaire, mais aussi le rétablissement de modèles dynastiques de familles, où la gestion du patrimoine hérité est une dimension structurante de la relation intergénérationnelle. Source : L.Chauvel « La spirale du déclassement », 2016, p.40

Document 14 Le fait que la montée à des niveaux sans précédent des inégalités salariales explique la plus grande partie de la hausse des inégalités de revenus américaines ne signifie pas que les revenus du capital n’aient joué aucun rôle. Il est important de ne pas tomber dans une vision excessive selon laquelle les revenus du capital auraient disparu des sommets de la hiérarchie sociale américaine. De fait, la très forte inégalité des revenus du capital et leur progression depuis les années 1970 expliquent environ un tiers de la montée des inégalités de revenu aux Etats-Unis. (…) Dès lors que le taux de rendement du capital (r) est fortement et durablement plus élevé que le taux de croissance de l’économie (g), il est presque inévitable que l’héritage, c’est-à-dire les patrimoines issus du passé, domine l’épargne, c’est-à-dire le patrimoine issus du présent. (…) L’inégalité r > g signifie en quelque sorte que le passé tend à dévorer l’avenir : les richesses venant du passé progressent mécaniquement plus vite, sans travailler, que les richesses produites par le travail, et à partir desquelles il est possible d’épargner. Presque inévitablement, cela tend à donner une importance démesurée et durable aux inégalités formées dans le passé, et donc à l’héritage. Dans la mesure où le 21ième siècle se caractérisera par un abaissement de la croissance (démographique et économique) et un rendement du capital élevé (dans un contexte de concurrence exacerbée entre pays pour attirer les capitaux), (…) l’héritage retrouvera donc sans doute une importance voisine de celle qui était la sienne au 19 ième siècle. (…) Le graphique suivant représente l’évolution du flux successoral en France de 1820 à 2010 (c’est-à-dire la valeur total des successions et donations transmises au cours d’une année exprimée en pourcentage du revenu national). De cette façon, on mesure l’importance de ce qui est transmis chaque année (donc l’importance des richesses venues du passé et qu’il est possible de s’approprier par héritage au cours d’une année donnée), par comparaison aux revenus produits et gagnés au cours de cette même année.

Source : T.Piketty « Le capital au 21ième siècle », Seuil, 2014

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La thèse de l’immuabilité des classes moyennes françaises ne résiste pas non plus à un diagnostic plus approfondi qui montre les causes objectives du malaise des classes moyennes françaises. En effet, elles ne sont plus indemnes vis-à-vis des maux réservés naguère aux classes populaires : le déclassement, notamment scolaire, la précarité de l’emploi, le chômage, la stagnation salariale, et bien sûr la crise du logement, ne sont plus en effet confinés dans le bas de la hiérarchie sociale. Il s’agit ici, bien plus que du pourcentage d’individus appartenant à la classe moyenne, de la question de la pérennité de la « civilisation des classes moyennes » pour parler comme Koyré (1954). Jean Fourastié (1949) avait tracé les critères d’une expansion économique porteuse de progrès sociaux : l’expansion salariale, en particulier aux échelons intermédiaires, la stabilisation des statuts d’emploi, la maîtrise des grands risques sociaux de la vie et de la mort (veuvage, revenus de réversion, santé, retraite) et la sécurité sociale pour soi et ses proches, l’expansion des diplômes sans inflation des titres, la mobilité structurelle ascendante qu’elle permet, la hausse du niveau de consommation et de la capacité à épargner, la certitude d’offrir des études et un emploi meilleurs à la génération suivante, ont été des éléments distinctifs de l’ascension de cette civilisation de classes moyennes. L’heure est plutôt au reflux. (…)La question passionnante entre toutes est la suivante : combien de temps encore le strobiloïde français pourra-t-il tenir ainsi, comme en apesanteur, dans un monde qui se transforme si rapidement ?

Source : Louis Chauvel dans Cahiers Français n°378 « Les classes moyennes dans la crise »Document 16

Loin d’être indemnes, les classes moyennes apparaissent comme menacées à leur tout par des maux qui voilà quinze ans restaient confinés aux catégories populaires. L’image du sucre au fond de la tasse de café fournit une bonne métaphore du phénomène : la partie supérieure de la société semble toujours intacte, mais l’érosion continue de la partie immergée la promet à la déliquescence. La « peur des classes moyennes » est moins un fantasme que la conscience de réalités plus difficiles de la fin de l’âge d’or, d’attentes déçues et de promesses non tenues. Il s’agit plus de faits sociaux et de réalités tangibles que d’une peur sans fondement objectif  : salaire, revenu disponible, chômage, dévalorisation sociale des titres sociales sont autant de phénomènes problématiques devant lesquels les catégories intermédiaires de la société ne sont plus aussi bien protégées.

Source : L.Chauvel « La spirale du déclassement », 2016

Document 17Les difficultés des nouvelles générations ne datent pas d’hier. (…) Devant le chômage de masse et la concurrence, les nouvelles générations ont dû réduire leurs prétentions salariales : en moyenne en 1975, les salariés masculins de cinquante ans gagnaient 15% de plus que les salariés de trente ans ; l’écart a culminé à 40% en 2002. (…) Le contraste est particulièrement brutal au sein des classes moyennes : alors qu’un jeune technicien ou administratif pouvait disposer dès le début de sa carrière d’un revenu supérieur à celui de ses parents en fin de carrière, et connaître ainsi un vrai sentiment de progression, l’entrée en activité est maintenant vécue par beaucoup comme une paupérisation. (…) Les jeunes font fasse à des conditions de logement problématiques. Depuis 1984, ils doivent travailler deux fois plus longtemps pour acheter ou louer la même surface dans le même quartier. (…)

Source : L.Chauvel « Les classes moyennes à la dérive », La république des idées, 2006, p.67

Document 18Pour l’économiste Daniel Cohen, le directeur du département d’économie de l’École normale supérieure, nous vivons une révolution industrielle inouïe. Mais la croissance restera durablement faible. L'Usine digitale - Le numérique n’a jusqu’à présent pas dopé la croissance. Le progrès technique ne fonctionne plus ?

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Daniel Cohen - Il y a deux écoles qui se déchirent. Pour les auteurs du "Deuxième Âge de la machine" [Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, ndlr], nous sommes au tout début d’une explosion, d’une révolution numérique qui va démultiplier notre capacité productive. En face, l’Américain Robert Gordon ne croit pas à la force du numérique. Pour lui, la seule nouveauté de ces dernières années, c’est le smartphone. C’est agréable, utile, mais, ce n’est pas comparable à la révolution technologique créée par l’invention de l’électricité et du moteur à explosion. Il en veut pour preuve que la croissance est restée faible depuis trente ans, malgré l’arrivée du numérique.Dans ce débat, je pense que les deux ont raison ! Nous vivons une révolution industrielle inouïe, mais nous sommes aussi obligés de constater qu’elle ne produit pas à ce jour de croissance spectaculaire. La révolution numérique tend à remplacer les travailleurs par des logiciels. La révolution électrique, au contraire, avait permis aux ouvriers de devenir, chacun à son poste, plus productif. Les emplois allaient là où le progrès technique était abondant, dans l’industrie. Désormais, les emplois sont dans les secteurs épargnés par le progrès technique, où les logiciels ne peuvent pas faire le job. Même avec une croissance explosive de la productivité, cela ne crée pas de croissance d’ensemble forte.Va-t-on vers une société de chômage de masse ?Le problème n’est pas le chômage de masse, même si à court terme le chômage augmente, car la transition d’un type d’emploi à l’autre peut prendre du temps. Il y a plein de choses qui ne seront pas faites par des robots. La question est de savoir où seront ces nouveaux emplois et à quel salaire…Vous dites que les classes moyennes sont les plus touchées…Cette numérisation attaque la classe moyenne, dont le pouvoir d’achat s’affaiblit. Parlez à n’importe quel directeur de banque ou de compagnie d’assurance et il vous dira : "Nous sommes la sidérurgie de demain"… Les deux bouts de la chaîne sociale s’en sortent. Les statistiques américaines montrent une très forte croissance des emplois en bas de l’échelle des qualifications et une très forte progression des salaires tout en haut. Les perdants, ce sont ceux qui sont au milieu. Sur trente ans, le salarié médian aux États-Unis a vu son pouvoir d’achat stagner. Si on réintroduit les cotisations maladie, en considérant qu’il s’agit de pouvoir d’achat différé, la croissance du revenu médian a été de 0,4 % depuis trente ans.

Source : Propos recueillis par Solène Davesne et Pascal Gateaud , le 24 septembre 2015, http://www.usinenouvelle.com/la-redaction/solene-davesne.2758

Document 19Jusqu’en 1975, la croissance annuelle du salaire réel se situait autour de 3,5% en moyenne, ce qui assurait un doublement du pouvoir d’achat en une vingtaine d’années. C’était l’assurance d’une promotion sociale au long de la carrière dans toutes les catégories de la société, et en particulier pour les classes populaires, la quasi-certitude que leurs enfants connaîtraient une situation mécaniquement meilleure que la leur. Depuis le milieu des années 1970, le rythme de croissance des salaires est en moyenne de 0,5% par an, ce qui correspond à (…) un éloignement de l’horizon d’enrichissement : le doublement du salaire, qui naguère pouvait s’obtenir en 20 ans, s’étalerait dès lors en 140 années. Evidemment, un tel processus ne correspond plus au vécu humain et devient de fait très théorique. (…) Cette société de post-abondance n’est pas marquée par de franches régressions du pouvoir d’achat sur l’ensemble de la population : les propriétaires ont bénéficié des redistributions spontanées suscitées par ce « tournant ». Il reste que les gens de condition intermédiaire, ne disposant pas d’un gros patrimoine, font face à des difficultés inattendues et à des frustrations objectivement explicables. (…) De fait, il faut bien se rendre à l’évidence : il y a bien eu croissance, pas pour ceux qui travaillent. Sur une période longue, on observe même un décalage entre salaires nets et croissance totale, qui résulte d’une part d’une grande déformation du partage de la valeur entre capital et travail au détriment des salariés (…) Dès lors, la dynamique est fort différente pour les acteurs sociaux. (…) Pour ne pas voir ses revenus reculer, il faut obtenir une promotion, avoir de la chance, ou bénéficier

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des plus values d’une épargne. Dès lors, l’essentiel de la population, celle qui n’a d’autres ressources que son travail, vit une société de quasi-stagnation.

Source : L.Chauvel « Les classes moyennes à la dérive », La république des idées, 2006, p.52

Document 20Aujourd’hui, même avec deux ou trois années d’étude supplémentaires, la jeune génération, en particulier celle des enfants des soixante-huitards, peut s’attendre en moyenne à un sort moins favorable que celui de ses propres parents. (…) La plus grande fréquence des cas de déclassement social d’enfants des classes moyennes est inscrite dans la dynamique générationnelle de la structure sociale. Deux éléments y contribuent. D’une part, comme les catégories moyennes ont cessé de connaître une croissance explosive, de plus en plus de candidats se présentent pour de moins en moins de places : la mobilité structurelle diminue. Ensuite, on note sur le long terme une plus grande fluidité sociale, autrement dit une plus forte mobilité de brassage ou d’échange entre les catégories les plus hautes et plus basses sur la hiérarchie sociale : ainsi, pour accueillir relativement plus d’enfants de catégories modestes dans les classes moyennes dans un contexte où il existe plus de candidats que de places, il faut bien que des enfants des classes moyennes fassent la politesse de céder leur place ; une société marquée par une plus forte mobilité sociale n’est donc pas forcément plus agréable à vivre pour tous. (…) Les jeunes ne sont pas seulement bardés de diplômes dévalués, mais aussi, de plus en plus souvent, les rejetons ratés de petits génies. (…) Dans ces conditions, hériter d’un fort capital culturel et d’une position sociale enviable est une condition de plus en plus nécessaire, mais elle est aussi de moins en moins suffisante. Pour beaucoup, la survie dépend aussi du capital social des parents. (…) L’accumulation patrimoniale des parents peut constituer un filet de sécurité non négligeable : pour beaucoup, sans la solidarité intergénérationnelle qui peut en résulter, la situation pourrait être simplement intenable.

Source : L.Chauvel « Les classes moyennes à la dérive », La république des idées, 2006, p.76

Document 21Les classes moyennes peuvent se concevoir comme la combinaison d’un noyau dur de catégories sociales bien établies au cœur de la société et de périphéries plus lointaines et mouvantes. Il n’y a pas de consensus sur les frontières exactes de l’ensemble, mais la composition du noyau central semble difficile à contester, avec, d’un côté, le petit patronat traditionnel, et de l’autre, un vaste salariat intermédiaire désigné par l’Insee comme « professions intermédiaires ». Artisans, commerçants, techniciens, professeurs des écoles, cadres B de la fonction publique, représentants de commerce : ce large éventail de catégories intermédiaires représente aujourd’hui 30% de la structure sociale, alors que les catégories supérieures (cadres, professions libérales et intellectuelles supérieures, chefs d’entreprise) en composent moins de 20% et les ouvriers et employés à peine plus de 50%. (…) Les catégories intermédiaires possèdent un capital à quoi s’accrocher ; pour cette raison, elles restent à distance des classes les plus modestes. Mais elles ne bénéficient pas pour autant de la sécurité des classes supérieures : leur situation, en effet, reste sourdement menacée par la déqualification, le chômage ou encore l’appauvrissement. Ainsi définies, les classes moyennes ne sont pas en train de disparaître. En réalité, elles n’ont jamais été aussi fortes et n’ont jamais occupé une place aussi centrale dans la société française. (…)

Source : Eric Maurin et Dominique Goux « Les nouvelles classes moyennes », La république des idées, 2012, p.15

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Source : Goux et Maurin « Les nouvelles classes moyennes », La République des idées, 2012

Document 23Les classes moyennes salariées sont d’ailleurs souvent définies en creux, rassemblement (…) de tous ceux dont les revenus, le patrimoine ou le niveau de formation sont à la fois significativement au-dessus du salariat d’exécution et significativement au-dessous du salariat d’encadrement. Mais cet ensemble de positions intermédiaires se laisse caractériser de façon plus positive. De tous les segments du salariat, il représente celui dont les relations avec les employeurs sont en moyenne les plus durables, les plus difficiles à rompre, tant pour le salarié que pour l’employeur. Cette qualité particulière des relations d’emploi se manifeste de plusieurs façons, à commencer par des pertes d’emploi pour le chômage à peu près aussi rares que pour les cadres, en dépit d’un niveau de formation nettement inférieur. Parce qu’ils sont moins chers que les cadres, les salariés intermédiaires sont parfois épargnés par les restructurations, quand les premiers sont sacrifiés. La fonction de stabilité sociale qu’on attribue aux classes moyennes a une réalité au niveau professionnel. Le groupe des professions intermédiaires est également, de tous les segments du salariat, celui qui bénéfice le plus de périodes de formation financées par l’employeur. (…) Cet effort de formation s’accompagne souvent de promotions à l’intérieur de l’organisation et renforce les liens qui attachent ces salariés à leurs employeurs. De tous les salariés, les membres des professions intermédiaires sont ceux qui, à un âge donné, déclarent le plus souvent désirer rester définitivement dans leur entreprise actuelle. (…) De ce point de vue, les professions intermédiaires sont différentes des ouvriers et employés, mais aussi des cadres. Souvent en poste depuis longtemps, les techniciens, agents de maîtrise et autres salariés intermédiaires d’entreprise sont dépositaires de savoirs et de compétences spécifiques à leur entreprise, reposant sur une connaissance intime du fonctionnement interne de l’organisation où ils travaillent, connaissance acquise tout au long des nombreuses années d’ancienneté. Ces connaissances spécifiques représentent une force ou une faiblesse. Une force, parce qu’elles sont difficiles à trouver sur le marché du travail et protègent contre les pertes d’emploi les salariés qui les possèdent. Une faiblesse, parce qu’elles empêchent les salariés de quitter volontairement leur employeur et de postuler sur des emplois équivalents dans d’autres entreprises.

Source : Eric Maurin et Dominique Goux « Les nouvelles classes moyennes », La république des idées, 2012, p.24-25

Document 24Depuis trente ans, les ruptures de carrière sont devenues incontestablement plus fréquentes qu’elles ne l’étaient dans les décennies d’après-guerre. (…) Pour s’en tenir aux classes moyennes, les dernières enquêtes de l’Insee sur la mobilité montrent que les flux de perte de statut socioprofessionnel en cours

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de carrière restent relativement faibles, même dans les périodes de ralentissement économique comme au début des années 2000. Ainsi, parmi les salariés des professions intermédiaires en 2003, seuls 4% étaient des cadres ou chefs d’entreprise en 1998 et peuvent donc être considérés comme « déclassés ». A l’opposé, 17% étaient des ouvriers ou employés en 1998, soit des flux de promotions professionnelles quatre fois plus importants que les flux de pertes de statut en cours de carrière. Les classes moyennes restent un support de promotion professionnelle pour les ouvriers et les employés qualifiés, bien davantage qu’un réceptacle où échouent des cadres en rupture de ban. Une expérience moins extrême d’échec social concerne les personnes qui se perçoivent en déclin par rapport à leurs propres parents : un salarié intermédiaire issu d’une famille de cadres par exemple. Il est vrai que cette proportion de « déclassés par rapport aux parents » peut augmenter pour des raisons purement démographiques, n’ayant rien avoir avec un quelconque ratage ou blocage de la société. Par exemple, il est bien évident que, sur le long terme, le dynamisme des effectifs de cadres et de professions intellectuelles supérieures par rapport aux autres groupes sociaux joue mécaniquement dans le sens d’un accroissement de la proportion d’enfants de cadre et de PIS que doivent recruter les autres groupes sociaux pour se renouveler au fil des générations. Pour éclairer ces questions, nous avons retracé l’évolution, depuis les années 1980, de la proportion de « déclassés par rapport aux parents » au sein de chaque classe d’âge et de chaque grand groupe social (nous considérons qu’un membre du salariat intermédiaire est « déclassé » dès lors que son père exerçait comme cadre, profession intellectuelle supérieure ou chef d’entreprise). Détruisant une idée reçue, ce calcul révèle d’abord que les personnes déclassées par rapport à leurs parents ne représentent qu’une minorité au sein des classes moyennes, elles sont beaucoup moins nombreuses que les personnes en situation d’ascension sociale. Par exemple, en 2009, parmi les 30-39 ans, on compte à peine 13,5% de déclassés au sein du salariat intermédiaire, contre 46% de personnes en ascension sociale par rapport à leurs parents. Les classes moyennes sont un lieu de l’espace social où transitent des lignées en voie d’élévation bien davantage que des familles en déclin. (…) En même temps que leurs effectifs continuent de s’accroître et que leur place devient plus centrale dans les administrations et les entreprises, les classes moyennes tendent à se reproduire davantage au fil des générations, ce qui constitue un autre facteur d’affermissement de leur identité.

Source : Eric Maurin et Dominique Goux « Les nouvelles classes moyennes », La république des idées, 2012, p.48-50

Document 25 La question du déclassement social des enfants des classes moyennes peut se poser indépendamment de leur réussite scolaire. Les familles des classes moyennes ont réussi à maintenir le rang scolaire de leurs enfants au fil des réformes successives, mais cela ne signifie pas que, par la suite, leurs enfants aient réussi à garder leur position sociale. Certains avancent même l’hypothèse que les efforts scolaires des enfants des classes moyennes ont été payés en monnaie de singe et n’ont pas empêché leur déclin social. Pour la première fois dans l’histoire, dit-on, les parents des classes moyennes ne seraient pas assurés de voir leurs enfants s’élever au-dessus d’eux. (…) En synthétisant les enquêtes sur l’emploi de l’Insee conduites entre 1982 et 2009, on est en mesure de construire, pour chaque milieu social d’origine et chaque cohorte née entre 1952 et 1970, de vastes échantillons représentatifs des personnes âgées de 30 à 39 ans avec une indication précise sur leur situation sociale. (…) A notre connaissance, l’analyse qui suit est la première à comparer rigoureusement l’exposition au déclassement social des générations de la démocratisation scolaire avec celle des générations antérieures. Elle est la première à mettre à jour le recul du déclassement intergénérationnel qui a accompagné l’ouverture de l’enseignement supérieur aux classes moyennes et populaires en France. S’agissant des enfants des classes moyennes nées en 1952, nous observons qu’à 30-39 ans, environ 42% d’entre eux sont ouvriers ou employés et peuvent donc être considérés comme déclassés. Pour les enfants de cadre nés à la même date, nous observons au même âge une proportion de 58% de salariés modestes ou de salariés intermédiaires, soit une proportion de déclassés plus forte encore. Nous touchons là deux propriétés fondamentales du déclassement intergénérationnel, qui sont souvent oubliées dans les analyses : d’une part, le déclassement intergénérationnel n’a pas surgi ESH Camille Vernet ECE2Nicolas Danglade

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récemment dans l’histoire mais représente depuis longtemps un risque réel au sein des classes moyennes et supérieures ; d’autre part, plus les parents sont haut placés dans la hiérarchie sociale, plus la probabilité est élevée que leurs enfants fassent moins bien qu’eux. Cela peut sembler un truisme, mais le déclassement est une menace d’autant plus réelle qu’on part d’une situation élevée. S’agissant de l’évolution de ce phénomène, contrairement à une idée reçue, il n’a pas augmenté au fil des générations.

Source : Eric Maurin et Dominique Goux « Les nouvelles classes moyennes », La république des idées, 2012, p.76-77

Document 26Le déclassement et la peur du déclassement : les deux phénomènes ne sont ni de même nature, ni de même ampleur, et il est essentiel de ne pas les confondre si l’on veut comprendre les problèmes dont souffre aujourd’hui la société française. Un exemple suffira à montrer tout ce qui les distingue. En 2007, l’Insee recensait 14 600 sans-abri ; si l’on retient le chiffre de 100 000 personnes, avancé par les associations d’aide aux SDF, on peut calculer que 0,16% de la population vit dans la rue. Or, d’après un sondage réalisé en 2006, 48% des français pensent qu’ils pourraient un jour devenir SDF ; deux ans plus tard avec la récession, cette peur s’est encore accrue, 60% des personnes s’estimant désormais menacées. Si le déclassement est un fait que l’on peut mesurer statistiquement et qui touche d’abord les populations fragiles, la peur du déclassement est d’un autre ordre : elle est un phénomène global et diffus qui, en gouvernant l’imaginaire des individus et des groupes, commande de très nombreux comportements et mouvements sociaux. Elle n’a rien d’une idéologie abstraite ; au contraire, elle repose sur un ensemble de faits bien réels, mais elle en extrapole le sens et en redouble l’ampleur. Elle est une variable clé pour rendre compte du fonctionnement de la politique, de l’économie et de la société françaises. (…) Il faut prendre la mesure du drame personnel et familial que constitue le déclassement dans la France d’aujourd’hui, tout particulièrement quand il frappe des salariés au beau milieu de leur carrière. Dans un rapport remis de juillet 2009, (…) les chercheurs du Centre d’analyse stratégique ont bien mis en lumière la complexité du phénomène. Etre licencié, en France, c’est d’abord subir une période de chômage parmi les plus longues des pays développés ; c’est ensuite être condamné à ne retrouver que des formes précaires et dégradées d’emploi, sans rapport avec le statut initialement perdu ; et il va sans dire qu’une telle relégation est lourde de conséquences financières et psychologiques. Ainsi entendu, le déclassement frappe en priorité les ouvriers et les employés, notamment des PME ; mais il touche de plus en plus de cadre du privé, dont les statuts, naguère si solides, se sont fragilisés à mesure que leurs emplois se banalisaient. Les fonctionnaires restent à l’abri de ces formes radicales de déclassement, mais ils ne sont pas protégés contre les remises en causes rampantes de leurs avantages statutaires (en termes de retraite par exemple), ni contre la progressive détérioration de leurs conditions de travail (…). Qu’elles travaillent dans le public ou le privé, qu’elles soient salariées ou indépendantes, les familles sont menacées par une autre forme de déclassement : celle qui survient lorsque les enfants ne parviennent pas à se faire une place sur le marché du travail et dans la société. ce risque n’est nulle part aussi élevé qu’en France et nulle part aussi inégalitaire entre ceux qui ont un diplôme et ceux qui n’en ont pas. (…) Echouer à l’école n’a jamais été aussi disqualifiant. Il y a donc une réalité du déclassement, et celle-ci est terrible (…). Et pourtant, l’immense majorité des français reste à l’abri d’un déclassement effectif. Si le déclassement est au cœur des préoccupations d’un si grand nombre de personnes, ce n’est pas parce qu’elles ou leurs proches l’ont subi : c’est parce que son coût potentiel n’a jamais été aussi important. Ce que l’on pourrait perdre est tellement fondamental, constitue à tel point le socle de tout notre être social, que ce seul risque suffit à nourrir une anxiété d’ordre existentiel. Les pays où les pertes d’emploi suscitent la plus grande peur sont paradoxalement ceux où les emplois sont les mieux protégés et les statuts les plus difficiles à perdre : la probabilité de retrouver un emploi protégé y est mécaniquement plus faible, ce qui se perd est beaucoup plus précieux qu’ailleurs. Plus les murailles qui protègent les statuts sont hautes, plus la chute risque d’être mortelle – peu importe qu’elle soit improbable. (…) L’expérience universellement partagée n’est pas celle du déclassement (qui ne survient qu’au prix d’une destruction de la société comme dans l’Allemagne des années 1920), mais celle de la peur du déclassement. ESH Camille Vernet ECE2Nicolas Danglade

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Source : Eric Maurin, «La peur du déclassement », La république des idées, 2009, p.2-10

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