KfflCI TTOK - Stages de céramique et de poterie, cours … · Art au même titre que la peinture...

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KfflCI TTOK LES JARRES DE CORÉE JL/es grandes jarres brunes font partie du paysage coréen, groupées aux portes des cuisines ou dans les cours, sur les terrasses ou derrière les maisons, sur les balcons des HLM, incrustées à tel point dans le quotidien, que bien rares sont ceux qui les admirent. Leur fonction n'est qu'utilitaire. Y sont emmagasinés kanjang (sauce de soja), kochujang (purée de piment), twenjang (purée fermentée et salée de soja), kimchi (chou fermenté dans le sel et le piment), kakdugi (radis fermenté dans le sel et le piment). 22 LA REVUE DE LA CÉRAMIQUE ET DU VERRE, N° 45, MARS/AVRIL 1989

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KfflCI TTOKLES JARRES DE CORÉEJL/es grandes jarres brunes font partie du paysage

coréen, groupées aux portes des cuisines ou dans lescours, sur les terrasses ou derrière les maisons, sur les

balcons des HLM, incrustées à tel point dans lequotidien, que bien rares sont ceux qui les admirent.Leur fonction n'est qu'utilitaire. Y sont emmagasinéskanjang (sauce de soja), kochujang (purée de piment),

twenjang (purée fermentée et salée de soja), kimchi (choufermenté dans le sel et le piment), kakdugi (radis

fermenté dans le sel et le piment).

22 LA REVUE DE LA CÉRAMIQUE ET DU VERRE, N° 45, MARS/AVRIL 1989

La Corée a des hivers rudes, le sol duret gelé trois mois par an ne produit riende novembre à avril, et les famillesdépendent des provisions ainsi stockées.Les jarres sont enterrées dans le sol pourêtre à l'abri du gel. Les habitudesalimentaires ne permirent pas à cespoteries d'être supplantées par lesconserves industrielles et autres facilitésde la vie moderne ; le besoin de ceskimchi ttôk, ainsi les appelle-t-on encoréen, a toujours été tel que, mêmedurant les années dévastatrices de laguerre de Corée, quelques ateliers conti-nuaient à fonctionner.

Le voyageur en Corée peut apercevoirau bord des routes les fours en pente surles collines. Au pied de celles-ci lesateliers sont d'aspect plutôt misérable,murs de terre sèche, et toits de tôle ou dechaume. Vastes sont les piles de boispour la cuisson, les tas d'argile, les bacsde trempage, les aires de séchage. C'estque les jarres sont grandes (de 15 à 80litres), et leur quantité est surprenante.Les piles de pots cuits ne se voient guèrecar à peine défournées, elles sont char-gées sur les camions qui les emportentvers villes et villages.

Dans les ateliers vastes et sombres, lestours sont en rang près des petitesfenêtres. L'odeur de l'argile, l'humiditéambiante, l'obscurité, enveloppent lerythme enlevé du travail et le bruitparticulier de la terre que l'on frappepour la pétrir, pour retirer en de longscolombins ; enfin, le bruit des battes etdes mailloches tapant les parois des potsrésonne comme celui du tambour.

Le tour coréen en bois est petit avecune force d'inertie quasi nulle ; le potierconstamment l'anime lentement avec sonpied droit, d'avant en arrière, dans lesens des aiguilles d'une montre. Ilsaupoudre la girelle d'une couche desable de rivière, puis y aplatit avec labatte une galette d'argile, c'est le fond dupot. Il monte les parois avec des plaquesou des colombins (légères différencesrégionales dans le mode de fabrication),il les met en place avec les doigts et unerégularité mécanique ; il amincit la paroientre la batte et la mailloche, une goutted'eau, il la lisse avec l'estèque, puiscontinue à monter la paroi avec d'autrescolombins. Il laisse un bord généreuse-ment épais, vérifie le diamètre avec unsimple bâton, mais n'a pas mesuré le pot.Très peu d'eau a été utilisée. Le potmince et léger ne sera pas tournasé ; il estmou, néanmoins deux hommes le saisis-sent à l'aide d'une longue et large piècede tissu, et avec une grande délicatesse,le transportent jusqu'à l'aire de séchage.Les rangées de pots, les rangées decouvercles sont vérifiées, retournées,émaillées. L'émail est fait d'argile et decendre, à moins que le pot ne soit fortbrillant et fasse soupçonner la présencede plomb. Le potier trempe la jarre cruedans la baignoire d'émail, un mouvementgiratoire rapide, un tourbillon, il le sort,la tête en bas, en essuie le fond avec lamain, le retourne et dessine avec lesdoigts quelques herbes folles sur lasurface encore mouillée.

Les fours sont d'impressionnants dra-gons de quarante, cinquante, soixantemètres de longueur. Y peuvent êtreenfournés plusieurs milliers de jarres, lespetites dans les moyennes, les moyennesdans les grandes, les unes sur les autres,trois étages de pots, plusieurs piles defront... Entre chaque rangée de pots, ilreste un espace suffisant pour y jeter lebois. La cuisson dure une semaine, lechauffage du cendrier à la base du fourdure trois jours, puis celui-ci est fermé, etle four continue à être alimenté par lesorifices latéraux. Au défournement lespertes sont faibles, et les pots sontimmédiatement acheminés vers la villeoù chaque quartier a son point de vente,terrain vague ou parking à l'air libre.Autrefois les ateliers étaient situés prèsdes voies d'eau, les pots étaient transpor-tés par bateau, puis à dos d'homme ; les

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colporteurs sillonnaient les rues en criantpour annoncer leur marchandise.

Les potiers de kimchi ttôk sont pauvreset mal considérés. Ils forment même unecaste à part, tout comme les bouchers enpays bouddhiste. En outre ils se trouventau chômage en hiver lorsque le gel nepermet pas de travailler la terre dans lesateliers trop grands pour être chauffés.Même si leur habileté est digne dereconnaissance, leur production a peu àvoir avec la céramique coréenne qui estArt au même titre que la peinture et lasculpture car cette dernière a un usagepurement décoratif. Ce ne sont que lesconnaisseurs et les privilégiés qui boiventdu thé dans un service à thé fait et décoréà la main ! Grandes ont été ma surprise etma déception lorsque, arrivant chez lespotiers coréens, je mangeai le riz et lasoupe dans des bols de plastique etd'inox ! La vaisselle de terre n'a jamaisété prisée, on lui préférait le métal.

Ce n'est que très récemment, qu'avecles progrès économiques et culturels queles coréens peuvent se donner les moyensd'une certaine sophistication de leurmode de vie ; l'attirance vers l'objetusuel artisanal renaît lentement chezceux qui ont un net penchant et un goûttrès sûr pour l'art de la terre et du feu. n

Dauphïne Scalbert

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