KACI, Maxime. Chanter La Politique

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  • Annales historiques de laRvolution franaise362 (octobre-dcembre 2010)Varia

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    Maxime Kaci

    Chanter la politique: partitionsnationales et modulationsseptentrionales (1789-1799)................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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    Rfrence lectroniqueMaxime Kaci, Chanter la politique: partitions nationales et modulations septentrionales (1789-1799), Annaleshistoriques de la Rvolution franaise [En ligne], 362|octobre-dcembre 2010, mis en ligne le 01 dcembre 2013,consult le 02 janvier 2014. URL: http://ahrf.revues.org/11850

    diteur : Armand Colin, Socit des tudes robespierristeshttp://ahrf.revues.orghttp://www.revues.org

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  • CHANTER LA POLITIQUE :PARTITIONS NATIONALESET MODULATIONS SEPTENTRIONALES (1789-1799)

    Maxime KACI

    Bien que prs de 3000 chan sons aient t rper to ries pour le seul espace pari sien, les uvres musi cales compo ses durant la priode rvo lu tion naire ont, jusqu la der nire dcen nie du XXe sicle, sus -cit peu de tra vaux. Lana lyse combi ne des mlo dies, des paroles et des contextes dinter pr ta tion, per met de sai sir la signi fi ca tion fl uc -tuante des compo si tions. Les rseaux de cir cu la tion qui se tissent dans le Nord attestent dchanges double sens avec Paris, et de dyna miques trans na tionales av res. Ces dyna miques pro voquent des appro pria tions locales dont tmoignent la fois les paro dies et les emplois dans le cadre des enga ge ments col lec tifs. Les stra t gies dappro pria tion par ta ges par des groupes anta go nistes relvent de confl its dusage intense : chaque parti essaie dempor ter un large sou tien en ayant recours aux uvres suc cs.

    Mots-cls : chan son, cir cu la tion, emblme, enga ge ment, Nord.

    Les chan teurs de quai conti nuent mettre contri bu tion les bourses pari siennes [] le peuple tou jours sot te ment ido ltre et enthou -siaste entend brailler dune voix rauque et aigu la complainte de Favras, les noms ch ris de La Fayette et Bailly : alors il ne peut se dis pen ser de fouiller dans sa poche et de faire le sacri fi ce de deux sols pour se pro cu rer la plate rap so die qui contient les louanges les plus tri viales et les plus ridi -cules des deux plus impor tants per son nages de la capi tale . Les chan sons compo ses et inter pr tes durant la dcen nie rvo lu tion naire sus citent, ds cette poque, des juge ments contras ts qui ont orient, pen dant pra -ti que ment deux sicles, les approches historiographiques. Sug g rant un

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    mpris fond sur un parti pris esth tique, Louis- Sbastien Mer cier, dans son Nou veau Tableau de Paris, exprime une pre mire appr cia tion : les chan sons compo ses des fi ns commer ciales visent fl at ter de manire tri viale les ins tincts du peuple. Cette atti tude de mpris est per cep tible tout au long du XIXe sicle dans les ouvrages dhis to riens nour ris par la pen se posi ti viste et un dis cours mtho dique qui prne lana lyse des sources offi -cielles ou des docu ments pro duits par les prin ci paux acteurs de la vie poli tique. Les pro pos de Charles Aubertin, pro fes seur de rh to rique et auteur, en 1873, de Lesprit public au XVIIIe sicle daprs les mmoires et cor res pon dances poli tiques des contem po rains semblent signi fi ca tifs. Il voque ces recueils sati riques, chan sons, nou velles ano nymes, rumeurs de la rue et de la place publique que la mchan cet invente ou gros sit et que loisi vet col porte. Tout ce menu butin de sot ti siers du temps, ce rsidu fade et cynique des mdi sances et des per fi dies de la vie sociale ne pr sente lobser va teur, quoi quon ait dit, aucun point dappui assez ferme pour y ta blir une exacte appr cia tion des murs et de lesprit dun sicle 1. Pen dant plu sieurs dcen nies, les chan sons sus citent, avant tout, lint rt des folk lo ristes et des col lec tion neurs. Constant Pierre, sous- chef du secr ta riat du Conser va toire Natio nal de Musique de Paris effec -tue un tra vail dru di tion pr cieux en runis sant, dans un cata logue, les rf rences 2913 chan sons compo ses durant la priode rvo lu tion naire et conser ves dans les fonds darchives pari siens. Sans se dpar tir dune condes cen dance esth tique de bon aloi pour lun des repr sen tants dune ins ti tution pres ti gieuse cre en 1795, Constant Pierre pressent les apports poten tiels dune tude de ces compo si tions lorsquil affi rme :

    Combien de ces chants noffrent que des ides banales vul gai re ment expri mes. Cer tains expriment de manire bru tale les sen ti ments de haine, des pas sions vio lentes, ou les pires opi nions poli tiques. Aussi est- ce davan- tage du point de vue de lhis toire poli tique et sociale que sous le rap port lit t raire, quil faut envi sa ger la majeure par tie des chan sons 2.

    Ds lpoque rvo lu tion naire, de nom breux dis cours insistent, en effet, sur luti lit poli tique des uvres musi cales. Un article de la Chro -nique de Paris publi le 18 mai 1790 indique qu il court parmi les rues des chan sons la por te du peuple et faites dans lesprit de la Rvo lu -

    (1) Charles AUBERTIN, Lesprit public au XVIIIe sicle : tude sur les mmoires et cor res pon -dances poli tiques des contem po rains de 1715 1789, Paris, Didier, 1873.

    (2) Constant PIERRE, Les hymnes et chan sons de la Rvo lu tion, aperu gn ral et cata logue avec notices his to riques, ana ly tiques et biblio gra phiques, Paris, Impri merie natio nale, 1904, p. 31.

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    tion [] nous avons vu avec plai sir ce genre damu se ment si sou vent employ par lancienne police dis traire le peuple, lga rer, ramen un des tin louable contre les menes de la super stition et du fana tisme 3. Lusage des chan sons des fi ns pda go giques face la super stition sou -lve, demble, un ques tion ne ment sur lint rt des acteurs poli tiques du moment rvo lu tion naire faire cir cu ler des dis cours en musique. Lvo ca -tion de lesprit de la Rvo lu tion semble indi quer, que loin dtre des pro -duc tions anec do tiques, ces uvres expri me raient un ensemble de valeurs et de sym boles par ta gs. Tou te fois ce constat ne rsout pas le pro blme de la dmarche his to rique adop ter. Comme la sou li gn Yves Borowice, lana lyse de ces compo si tions musi cales demeure sou vent can ton ne une pr sen ta tion des chan sons miroirs assi mi les rapi de ment aux refl ets dune poque, la tra duc tion dans lordre sym bo lique des confi -gu ra tions connues du contexte sociopolitique4. Cette approche, sans tre dpour vue dint rt, demeure par ti cu li re ment appauvrissante puisque la chan son est alors moins consi d re comme une source valeur heu ris -tique que comme laimable illus tra tion de dyna miques qui la dpassent. Au moment du Bicen te naire de la Rvo lu tion, plu sieurs ouvrages compo -ss dans le but de dif fu ser auprs du plus grand nombre le patri moine musi cal rvo lu tion naire, se sont carac t ri ss par le recours essen tiel le -ment illustratif la chan son5. Pour tant, les his to riens des men ta li ts rvo -lu tion naires ont attir latten tion sur les fonc tions sp ci fi ques des sup ports musi caux. Georges Lefebvre, ds 1934, dans son article sur les Foules rvo lu tion naires , affi r mait que les impri ms, les dis cours et les chan -sons pou vaient contri buer for mer la men ta lit col lec tive 6. Michel Vovelle, plus rcem ment, dans sa pr face louvrage de Robert Brcy, les consi dre comme un enjeu pour cap ter les faveurs de lopi nion7.

    Bien que quelques rfl exions ponc tuelles aient t publies avant le Bicen te naire8, il fal lut attendre la der nire dcen nie du XXe sicle pour que sesquisse vri ta ble ment une approche renou ve le des chan sons

    (3) Chro nique de Paris, 18 mai 1790, cit par Constant PIERRE, op. cit., p. 2.(4) Yves BOROWICE, La trom peuse lg ret des chan sons. De lexploi ta tion dune source

    his to rique en jachre : lexemple des annes trente , Genses, no 65, dcembre 2005, p. 98-117.(5) Robert BRCY, La Rvo lu tion en chan tant, Paris, d. Van de Velde, 1988 ; Georges

    MARTY Dic tion naire des chan sons de la Rvo lu tion, Paris, Tallandier, 1988.(6) Georges LEFEBVRE, Les foules rvo lu tion naires , 1934, rd. dans La Grande Peur de

    1789 ; suivi de : Les foules rvo lu tion naires, Paris, Armand Colin, 1988.(7) Robert BRCY, op. cit.(8) Cornwell B. ROGERS, Songs- colorful propaganda of the French Revolution , The

    Public Opi nion Quarterly, vol. 11, no 3, 1947, p. 436 444 ; James A. LEITH, Music as an ideological weapon in the French Revolution , Historical Papers, vol. 1, no 1, 1966, p. 126 140.

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    compo ses durant le XVIIIe sicle. Claude Grasland a ainsi pro pos une mthode quan ti tative afi n de dga ger les carac t ris tiques for melles des chan sons pro duites durant la Rgence9. Dans son ouvrage Singing the French Revolution, Laura Mason a, quant elle, port un clai rage nou -veau sur les uvres compo ses durant la priode rvo lu tion naire en effec -tuant une ana lyse dtaille de leur contenu et de leurs usages10. Tou te fois, labsence dune pr sen ta tion de la mthode dana lyse sou lve plu sieurs ques tions puisque lhis to rienne ne sattarde pas jus ti fi er ses choix. A- t-elle ana lys lensemble des quelque trois mille uvres rper to ries par Constant Pierre ? Les extraits tu dis en dtail correspondent- ils des dis cours en musique et des usages jugs repr sen ta tifs ? Enfi n, les deux approches ont en commun dtre cen tres sur lespace pari sien. Or la cir -cu la tion av re lchelle du royaume, puis du ter ri toire natio nal, des pro -duc tions musi cales pose avec acuit la ques tion de leur vise infor ma tive et de leur rle dans la construc tion des v ne ments. La pro bl ma tique de la cir cu la tion et des effets induits par les inter pr ta tions orales entre en rso nance avec des tra vaux rcents tels que ceux de Franois Ploux qui, pro pos de la cir cu la tion des rumeurs au XIXe sicle, sou ligne la dis tor -sion quimplique la trans mis sion de bouche oreille11. En tenant compte, dune part, des pre miers acquis historiographiques ns de lana lyse renou -ve le des chan sons et, dautre part, des ques tion ne ments rcents sur les moda li ts de cir cu la tion, de nou velles perspec tives de recherche souvrent pour ltude conjointe dun sup port et dune pra tique.

    Paroles, mlo dies et mise en contexte : les trois jalons dune dmarche his to rique

    Les chan sons, dfi nies comme des asso cia tions de paroles ver si fi es ou ryth mes selon les rgles de la pro so die, et dotes dune mlo die plus ou moins appro prie, consti tuent une source au sta tut mixte, entre oralit et crit. Les mlo dies, comme moyen mn mo tech nique, consti tuent un l -ment fon da men tal dans le pro ces sus de dif fu sion des uvres puisquelles contri buent les rendre la fois attrayantes et faci le ment assi mi lables. Pierre Jean- Baptiste Nougaret, cri vain, paro lier, auteur en lan II dun recueil de Chan sons de guerre pour les sol dats fran ais , tmoigne

    (9) Claude GRASLAND, Chan sons et vie poli tique Paris sous la Rgence , Revue dHis -toire Moderne et Contem po raine, no 37, 1990, p. 537-570.

    (10) Laura MASON, Singing the French Revolution, Cornell University Press, 1996.(11) Franois PLOUX, De Bouche oreille, Paris, Flammarion, 2003.

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    dune connais sance pr cise des enjeux que recouvre le choix dune mlo -die lorsquil affi rme : Afi n que mes hymnes soient plus popu laires, plus utiles, je ne sou haite pas seule ment que les compo si teurs les embel lissent avec des accords har mo nieux, mais bien plus quils les intgrent sur des airs connus 12. Durant la dcen nie rvo lu tion naire, daprs le cata logue de Constant Pierre, 93,5 % des uvres sont ainsi crites sur des timbres, cest- -dire sur des struc tures musi cales connues du grand public. En dautres termes, seules 6,5 % des chan sons sont compo ses sur des airs ori gi naux. Par cons quent, lana lyse des dis cours en musique ne peut se rduire ni aux pro c dures diverses et connues du commen taire de texte, ni aux approches smio lo giques. Deux fac teurs doivent notam ment tre pris en consi d ra tion. La struc ture musi cale, jamais neutre, et le contexte dinter pr ta tion, qui relve la fois des accep tions attri bues luvre et de ses moda li ts duti li sation, contri buent for ger des signi fi ca tions par -ti cu lires et vo lu tives. Ces signi fi ca tions pro cdent, tout dabord, de la rela tion qui se tisse entre une musique popu laire dont le texte ori gi nel est connu de tous, et des paroles nou velles adap tes au contexte. Ce jeu inter-textuel, fond sur la ruti li sation dune mme mlo die, consti tue un puis -sant res sort sati rique. Pour ne citer que deux exemples : la veuve Ferrand compose, en 1790, une chan son inti tu le La chute de la noblesse sur lair De haut en bas ; dans O fi lii natio nal , un auteur ano nyme dnonce les pra tiques du haut clerg en paro diant lair du clbre can tique O fi lii et fi liae .

    Dans un pre mier temps, une dmarche quan ti tative per met de pr ci -ser ces signi fi ca tions par ti cu lires qui dpendent la fois des paroles, de la mlo die et du contexte dinter pr ta tion. Lana lyse, qui na pas encore t mene son terme, des th ma tiques et des pro c ds lit t raires et musi caux uti li ss pour trans mettre des opi nions poli tiques vise sai sir les rythmes de la pro duc tion, les thmes rcur rents et, pour ainsi dire, les ph no mnes de mode13. Si ces don nes chif fres ne peuvent consti tuer une fi n en soi, elles per mettent de remettre en cause cer taines ides reues. Ainsi, la pro -duc tion de dis cours en musique nest pas la carac t ris tique exclu sive des patriotes avan cs. Entre 1789 et 1792, par la dif fu sion intense de prio -diques sati riques dans les quels les chan sons tiennent une place impor tante,

    (12) Cit par Emmet KENNEDY, A cultu ral History of the French Revolution, Yale University Press, 1989.

    (13) Une pre mire grille dana lyse a t la bo re dans le cadre dun mmoire de Master, M. KACI, Les par titions poli tiques tra vers les chan sons durant la Rvo lu tion fran aise ( 1787-1799), Lille 3, Master 1, 2005.

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    les dfen seurs des pr ro ga tives royales et des hi rar chies tra di tion nelles intro duisent dans le dbat poli tique de nou velles fi gures de lenga ge ment rvo lu tion naire. Franois Mar chant, dans ses Sab bats Jacobites, met ainsi en scne, ds le 27 avril 1791, la fi gure du sans- culotte dans une chan -son inti tu le La Ronde des sans- culottes 14. Lemploi ini tial du terme dot dune lourde charge pjo ra tive est, cette date, bien loin du modle ana lys en dtail, pour les annes ult rieures, par Ham Burstin15.

    Une des ten ta tions pre mires, pour qui sou haite regrou per des don nes sur les chan sons rvo lu tion naires, consiste va luer leur degr de poli ti sation laune de leurs th ma tiques. Or toute chan son peut tre consi d re comme poten tiel le ment poli tique ds lors que lon admet que la signi fi ca tion de luvre est indis so ciable du contexte dinter pr ta tion. Plu tt que de cher cher dis tin guer chan sons poli tiques et apo li tiques par tir des paroles, lva lua tion chif fre du nombre de chan sons compor -tant un rcit des faits met tant en jeu le deve nir de la Rvo lu tion per met de pr ci ser leur rle dans la construc tion de lv ne ment. Selon Bruno Brvan, ce serait lv ne ment qui sus ci te rait la chan son durant la priode rvo lu tion naire16. Pour lanne 1793, qui savre lune des plus pro lixes de la dcen nie, le cor pus ta bli par Constant Pierre rvle la pr pon d -rance des chan sons se rap por tant la guerre dont une soixan taine voque la prise de Toulon. 50 chan sons concernent les assas si nats de Marat et de Lepeletier ; la fte de la Fd ra tion et lex cu tion de Louis XVI tota -lisent 30 uvres cha cune ; la fte de lUnit et de lIndi vi si bi lit de la Rpu blique du 10 aot 1793 et ladop tion du nou vel acte consti tution nel font lobjet de 35 chan sons. Au total, pour lanne 1793, sur les 590 chan -sons rper to ries par Constant Pierre, plus de 300 portent sur les prin ci -paux v ne ments natio naux. Limpor tance de la chan son comme sup port dinfor ma tion semble ds lors confi r me.

    Tou te fois, lana lyse chif fre dun cor pus local, pro ve nant de la France sep ten trio nale, vient nuan cer ce pre mier constat en rv lant les biais du cor pus pari sien et limpor tance des moti vations diverses qui sous- tendent la rcep tion des uvres. Un ano nyme ra lise, entre 1788 et 1793, un recueil manus crit compre nant 446 chan sons quil semble consi d rer, au regard du contexte et de ses gots per son nels, comme dignes dtre trans -

    (14) An nie GEFFROY, Sans- culotte, novembre 1790-juin 1792 , dans An nie GEFFROY, Jacques GUILHAUMOU, Sylvia MORENO (dir.), Dic tion naire des usages socio- politiques, fasc. 1 Dsignants sociopolitiques , Paris, Klincksieck, 1985, p. 159-186.

    (15) Ham BURSTIN, Linven tion du sans- culotte, Paris, O. Jacob, 2005.(16) Bruno BRVAN, Les chan ge ments de la vie musi cale pari sienne de 1774 1799, Paris,

    PUF, 1980.

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    crites17. Dans cet ensemble, la plu part des chan sons sont des romances, des cou plets sur les amours pas to rales, ou des des crip tions tona lit gri -voise. Sur les 446 chan sons reco pies, 34 seule ment comprennent des rf rences expli cites ou sym bo liques au contexte rvo lu tion naire. Le pre -mier v ne ment poli tique men tionn dans les Cou plets la Nation est la tenue des tats gn raux de 1789. Cette compo si tion est sui vie de 14 chan sons qui voquent aussi bien les grandes cr mo nies pari siennes comme la fte de la Fd ra tion, que les v ne ments carac t ris tiques de la vie locale comme les suc cs mili taires tra vers notam ment Une chan son des citoyennes de Dunkerque sur lattaque contre Dunkerque du 22 aot au 8 sep tembre 1793 . Au total sept chan sons portent sur des v ne ments locaux, huit sur des v ne ments natio naux. En se gar dant de toute gn -ra li sa tion abu sive par tir dun recueil par tiel et par tial qui nengage que son auteur, plu sieurs ensei gne ments peuvent, tout de mme, tre dga gs. Tout dabord, les uvres, parce quelles conservent un carac tre ludique inh rent, ne sou lvent pas mca ni que ment lenthou siasme par le simple fait quelles reclent des rf rences au contexte sociopolitique. Les v -ne ments rvo lu tion naires ont encou rag une pro duc tion accrue, un renou -vel le ment des thmes mais les pra tiques et les gots hri ts, comme le sug gre lattrait pour les romances, nont pas compl te ment dis parus. Le deuxime ensei gne ment rside dans la nces sit darti cu ler lana lyse de luvre celle des pra tiques, ici celle des choix de trans crip tion par un indi vidu, pour va luer limpact des chan sons tra vers les moda li ts de rcep tion. Ces moda li ts sont dpen dantes de dyna miques de cir cu la tion complexes entre Paris et la Pro vince. En cir cu lant, les signi fi ca tions des uvres sont sou vent dtour nes, ce qui explique la dif fi cult des acteurs poli tiques ma tri ser cette arme rvo lu tion naire qui svit ga le ment hors de la capi tale comme la sou li gn Frdric Derne18.

    Dyna miques natio nales et trans na tionales : la cir cu la tion des chan sons comme enjeu poli tique

    Le suc cs des prin ci pales uvres pro cde en pra tique de dyna -miques de cir cu la tion complexes, et dpen dantes de la diver sit des contextes locaux. Michel Espagne, par son tra vail sur les trans ferts cultu -rels, a remis en cause la notion dinfl u ence qui tend rabattre la dyna -

    (17) AD Pas- de-Calais, col lec tion Bar bier, 4J6.(18) Frdric DERNE, La chan son, arme rvo lu tion naire et chambre dcho de la socit en

    Auvergne , Annales his to riques de la Rvo lu tion fran aise, no 341, 2005, p. 25-51.

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    mique de lchange du rcep teur sur le pro duc teur, en sup po sant une rela tion imm diate, quasi magique. Pour lui, cest la conjonc ture et le contexte daccueil qui dfi nit lar ge ment ce qui peut tre import [] ou ce qui doit tre rac tiv pour ser vir les dbats de lheure 19. Ltude de la cir cu la tion et de la rcep tion locale des chan sons dans la France sep ten -trio nale tmoigne ainsi de dyna miques mul tiples. Si le foyer met teur pari -sien joue un rle impor tant de pour voyeur en compo si tions nou velles, il ne consti tue pas un centre dimpul sion unique. Des cir cu la tions double sens peuvent tre iden ti fi es. Du point de vue th ma tique, les v ne ments pro vin ciaux sont eux aussi chan ts Paris et contri buent faon ner auprs des Pari siens une repr sen ta tion des espaces pri phriques et de leurs enga ge ments. Les Actes des Aptres publient ainsi, dans le cha pitre 248, la Complainte sur les excs commis Douay les 16 et 17 mars 1791 . Cette chan son fait rf rence lmeute fru men taire dite des Gou lottes, du nom des tuyaux de bois uti li ss pour char ger les bateaux en grains. Le 16 mars, le ngo ciant Nicolon, qui avait pro test contre la des truc tion par la popu la tion de ces tuyaux, est mal men par la foule et fi na le ment mas sa cr tout comme limpri meur Derbaix qui avait essay de lui por ter secours. La fureur des meu tiers est dnon ce par un jeu paro dique fond sur lasso cia tion dune des crip tion des vio lences et le choix dun timbre au titre vo ca teur, De la rai son nous abju rons lempire .

    Complainte sur les excs patrio tiques commis Douay, les 16 et 17 mars 1791 20

    Air : De la rai son nous abju rons lempire

    Nous avons vu le Savoyard atroce,Pour dtrous ser sre ment un pas santLcher son ours ; et cet acte froceDans ses canaux a glac notre sang

    Ah ! Fr mis sons la horde sc l rateDe nos Jacots dcha nant dautres oursContre le clerc, contre laris to crateDe ses hor reurs pour suit linfme cours ;

    (19) Michel ESPAGNE, Les trans ferts cultu rels, Paris, PUF, 1999.(20) Actes des Aptres, vol. 9, no 248, p. 13.

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    Vous lprou vez, douaisiens peu sages ;Les mal heu reux Derbaix et NicolonAssas si ns par des anthro po phagesChez nos neveux vont fl trir votre nom

    Jusqu prsent dun club abo mi nableVous aviez su repous ser les leonsDes Desmoulins la doc trine ex crableVous aurait- elle ins pir ces poi sons ?

    Paris a vu des monstres en furieSe dis pu ter les membres de Fou lonMais vous, pous sant plus loin la bar ba rie,Avez deux fois fait mou rir Nicolon

    Non le som meil, ce baume salu taireQui rend la paix nos sens agi tsDe la fureur dun peuple san gui naireNa pu cal mer les bouillons irri ts

    Qui punit- on de tant et tant de crimesCest linnocent, et nos nou veaux LinardsEn cor fumans du sang de leurs vic timesPour dautres coups aiguisent leurs poi gnards

    Ah ! loin de nous un rgime sau vageQui voit le meurtre et ne lempche pas,Na que des fers pour les bons quil outrage,Et de faveurs que pour les sc l rats.

    Les rf rences pr cises aux v ne ments douaisiens sont, dans le but de sen si bi liser un public large, int gres un jeu de compa rai son entre diverses meutes, notam ment pari siennes tra vers lvo ca tion de Fou lon. La chan son pro gresse alors par lar gis se ment, de la pr sen ta tion des vic times douaisiennes la dnon cia tion dun club puis dun rgime. Luvre musi cale per met donc linstrumentalisation dun rcit dmeute au pro fi t dun dis cours pro pre ment poli tique visant orien ter les opi nions du plus grand nombre.

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    Lana lyse des cir cu la tions spa tiales indique que les pro duc tions pro -vin ciales sont dif fu ses dans la capi tale. Pour la France sep ten trio nale, ce sont, avant tout, les prip ties mili taires qui sont lobjet de mises en chan -son. Daprs le cata logue de Constant Pierre, 12 chan sons voquent expli -ci te ment le sige de Lille par les armes autri chiennes en 1792. Dans cet ensemble duvres, deux sont, coup sr, des pro duc tions locales. Lhymne aux lillois est compos peu aprs le recul des troupes autri -chiennes, par un garde natio nal de Douai sur lair des Mar seillais . Le choix de lair illustre clai re ment larti cu lation ta blie entre la sym -bo lique natio nale et les rf rences aux v ne ments locaux. Cette chan -son semble cir cu ler Paris sous forme de feuilles volantes. La seconde, inti tu le Chan son lilloise au sujet du bom bar de ment de Lille insiste sur la dbcle des Autri chiens. Elle est crite sur un air qui prend une forte colo ra tion iro nique, Jadis un empe reur clbre . Elle est luvre dun ngo ciant lillois dnomm Gouchon, qui nest pas un novice dans le domaine des crits poli tiques puisque, ds 1790, il publie dans le jour nal lillois Labeille patriote, une fable sati rique inti tu le Labeille et le fre -lon . Sa chan son est publie dans un autre prio dique local, la Gazette du dpar te ment du Nord, le 27 octobre 1792, et est dif fu se Paris sur ce sup port.

    Enfi n, les indices de cir cu la tions trans fronta lires remettent en cause les affi r ma tions de contem po rains fran ais tels que le paro lier Roussel qui crit dans un article publi dans la Chro nique de Paris en octobre 1792 : LItalie est le pays du chant, la France est le pays des chan sons . La pra tique de la chan son et son usage rpt dans un contexte de ten -sion poli tique sont certes rpan dus dans la France rvo lu tion naire, mais ne consti tuent pas une sp ci fi cit fran aise. En Angleterre, la mme priode, alors que saccuse loppo si tion entre par ti sans des rformes et loya listes, une lettre signe Fidelia recle une pro po si tion signi fi ca -tive adres se aux membres de lAsso cia tion for preserving Liberty and Property :

    Ils [les membres des classes popu laires] sont inca pables de lire ou de comprendre un dis cours srieux et bien crit des tin les mettre dans le droit che min, mais par le biais des chan sons popu laires, il est cer tain que lins truc tion peut tre effi ca ce ment trans mise, et lesprit patrio tique attis ; en tmoigne le a Ira : chaque domes tique et sa femme, chaque fi lle du pays et son fi anc, dans les villes comme les villages, ach te ront une chan- son un demi penny compo se sur un air suc cs vo quant ces ides. Jen ai crit une int gra le ment conue pour que ces gens puissent la

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    comprendre. Si vous lapprou vez, jen cri rai bien dautres, que je vous enver rai pour de nom breuses rai sons 21.

    Cette sug ges tion ne reste pas sans suite puisque, ds jan vier 1793, alors que les ten sions entre la France et lAngleterre saccen tuent, lAsso -cia tion for preserving Liberty and Property dis tri bue envi ron 300 chan -sons, par linter m diaire des agents du victualling offi ce (bureaux char gs de lappro vi sion ne ment au sein de ladmi nis tra tion de la Royal Navy), aux marins pr sents dans les ports de Plymouth et Portsmouth22.

    Les Belges rfu gis en France sep ten trio nale depuis la ten ta tive dind pen dance des tats Belgique Unis simpliquent ga le ment dans ce pro ces sus de cir cu la tion et de rf rences croi ses. Les rfu gis vonckistes ont, eux aussi, recours aux dis cours en musique. Une quan tit innom -brable de chan sons aurait t dif fu se de part et dautre de la fron tire entre Valen ciennes et Mons, selon deux indi vi dus qui rclament leur d au sous- comit vonckiste de Valen ciennes pour avoir accept de prendre en charge cette dis tri bu tion23. Ces deux exemples anglais et belges illus trent la fois la mise en place de dyna miques de cir cu la tion trans na tionales et, dans un mme temps, la dif fi cult de sai sir la nature pr cise de ces changes puisque aucune trans crip tion des uvres dis tri bues na, pour lheure, t retrou ve. La consti tution dun cor pus per met tant de pr ci ser les moda li ts et les contextes de rcep tion rend alors pos sible lva lua tion des effets de ces cir cu la tions sur la popu la tion locale et sur les prises de posi tion col lec tives.

    Les inter pr ta tions col lec tives dans le Nord ou les logiques dune appro pria tion

    Ltude des inter pr ta tions col lec tives, dans le dpar te ment du Nord, per met de pr ci ser les voies par les quelles les chan sons deviennent des emblmes denga ge ment aux signi fi ca tions fl uc tuantes. Dans Marianne au combat, Maurice Agulhon a clai re ment dis tin gu les sym boles qui nces -

    (21) British Library, Additional Manuscripts, no 16920, folio 99, lettre de Fidelia du 4 dcembre 1792 : they [the lower class of the people] are inca pable of reading or understanding an y good or serious adress to set them right, but through the medium of vulgar ballad, surely much ins truc tion can be conveyed, and much patriotic spirit awakend ; witness Ca Ira, every serving man, and maid, every coun try girl and her sweetheart, in towns and villages will buy anhalfpenny ballad to a popular tune upon this idea. I have written one calculated entirely for the medium of their understandings. If you approve it, I will write many others, I send it to you for many reasons .

    (22) British Library, Additional Manuscripts, no 16924, folio 108, lettre de George Cherry membre du victualling offi ce Moore secr taire de lasso cia tion le 19 jan vier 1793.

    (23) Archives gn rales du Royaume, fonds tats Belgique Unis : no 218/3, folio 89.

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    sitent une culture par ti cu lire pour tre compris, des emblmes dont la signi fi ca tion, fruit dune accou tu mance, serait per ue par tous. Linter pr -ta tion des chan sons peut donc tre assi mi le une pra tique embl ma tique puisquen par ti cipant cette accou tu mance, elle confre aux uvres une signi fi ca tion renou ve le dans un contexte sp ci fi que. Ce constat appelle ltude non seule ment de loffre musi cale qui cir cule dans la rgion, mais aussi de la demande dun public divers qui ne sau rait tre fi g dans une atti -tude pas sive, comme nous lavons dj sug gr. Parce que la chan son est un bien commer cia lis, le suc cs des uvres relve datti tudes de consom -ma tion connues : le public achte aprs avoir effec tu un choix qui peut aussi bien rv ler des gots per son nels que des orien ta tions poli tiques assu -mes. Ce choix implique une slec tion, des recherches et par fois des dpla -ce ments. Ainsi, Marie- Anne Duprey, ge de 67 ans, ci- devant tis seuse et mre dun mi gr, nhsite pas le 6 ger mi nal an III se rendre Tour nai aprs avoir t infor me que lon y ven dait des alma na chs de l ancienne forme . Elle qui aurait dclar aimer les Lillois et les Tournaisiens parce quils sont contre- rvolutionnaires , semporte lorsquon lui pro -pose dache ter le Chan teur rpu bli cain, et pr cise navoir que fde ces sacrs alma na chs de car ma gnoles 24. Par ailleurs, le public consom -ma teur devient sou vent inter prte et, du mme coup, agent dune appro -pria tion qui confre une signi fi ca tion nou velle luvre dans un contexte par ti cu lier. Ces consi d ra tions ayant trait la demande et aux moda li ts de rcep tion de luvre sou lvent alors le pro blme des sources dis po nibles. Les docu ments pro duits par les auto ri ts locales savrent pr cieux, mais pro fon d ment orien ts par un usage uti li taire des rf rences aux chan -sons. Celles- ci sont consi d res, avant tout, comme un baro mtre de l esprit public . Par cons quent un ds qui libre se mani feste, entre dune part, des chan sons juges sdi tieuses qui font lobjet dun dve lop pe -ment minu tieux compor tant une des crip tion du contexte dinter pr ta tion, et par fois une trans crip tion des paroles et de la musique, et dautre part, des inter pr ta tions consi d res comme patrio tiques, donc satis faisantes, qui ne nces sitent pas, aux yeux des admi nis tra teurs, une pr sen ta tion dtaille. Les procs- verbaux de ladmi nis tra tion dpar te men tale du Nord concentrent les rf rences laco niques. vo quant la jour ne du 10 aot 1793, les admi nis tra teurs indiquent quaprs la cr mo nie offi cielle, la jour ne est rem plie de chants et de danses patrio tiques sans plus de pr -ci sion. Quelques jours plus tard, le 12 sep tembre 1793, la pr sen ta tion

    (24) AD Nord, L 11 145.

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    des jeunes de 18 25 ans recru ts pour for mer un nou veau corps dans larme donne lieu des mani fes ta tions, et les admi nis tra teurs dcrivent, de manire satis faite, lair qui retentissoit de chan sons patrio tiques 25.

    Les tmoi gnages sur les ras sem ble ments col lec tifs que sont les ftes, les assem bles lec to rales et les mou ve ments sdi tieux offrent des indi ca tions pr cieuses sur les modes dexpres sion col lec tive des diverses ten dances poli tiques. Ltude des cl bra tions offi cielles confi rme des vo -lu tions bien connues lchelle natio nale. La compa rai son de la fte orga -ni se par les auto ri ts dpar te men tales, Douai, le 15 sep tembre 1791, avec celle en lhon neur de lacte consti tution nel illustre le trans fert de sacralit tu di par Mona Ozouf26. Lors de la pre mire cl bra tion un Te Deum , et le Domine salvam fi c Regem sont inter pr ts en lglise parois siale de Saint Pierre ; lors de la seconde cr mo nie, un cor tge avec trom pettes et tam bours dfi le dans les rues en enton nant Lhymne de la Libert 27. Tou te fois une ana lyse fi ne des moda li ts dinter pr ta tion lors des ras sem ble ments offi ciels sou ligne la gageure qui consis te rait cir conscrire une sphre auto nome dusages offi ciels. Cette dif fi cult sex-plique par le double sta tut quendosse la popu la tion, la fois public et inter prte. La dis tinction nette entre mani fes ta tion enca dre et emploi spon -ta n, entre pra tiques offi cielles et expres sion popu laire savre, cer tains gards, arti fi cielle. Le drou le ment de la runion de lassem ble lec to rale du dpar te ment du Nord, le 2 sep tembre 1792, dans lglise parois siale du Quesnoy en offre lillus tra tion. Llec tion du pre mier dput, Mer lin de Douai, saccom pagne dune inter pr ta tion par les membres de lassem -ble du fameux a ira . Avons- nous affaire une cl bra tion offi cielle ou une inter pr ta tion spon ta ne ? Il semble davan tage per tinent de noter la sp ci fi cit locale. Le a Ira dont les pre mires traces dans le dpar -te ment du Nord remontent juillet 1790, date laquelle les paroles sont publies dans le jour nal lillois LAbeille patriote, demeure une chan son embl ma tique aux yeux des lec teurs alors que se dif fusent avec suc cs, la mme priode, des airs nou veaux comme La Car ma gnole . Pour les lec teurs, linter pr ta tion du a Ira concr tise une volont daffi cher une unit et un opti misme pro nonc dans un contexte prilleux, puisque les armes enne mies sont situes quelques kilo mtres du Quesnoy.

    La Mar seillaise , cette mme date, ne sus cite pas un enthou -siasme mas sif dans le dpar te ment du Nord. Les inter pr ta tions rp tes

    (25) Ibid., L 108.(26) Mona OZOUF, La fte rvo lu tion naire, Paris, Gallimard, 1988 (1re d. 1976).(27) AD Nord, L 111.

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    de la Mar seillaise dans ce dpar te ment sont, en fait, plus tar dives. Elles rvlent ga le ment les effets de sens pro vo qus par cette imbri ca -tion de pra tiques offi cielles et dinter pr ta tions spon ta nes. Sans reve nir sur les cir constances pr cises de son suc cs en France, rele vons seule -ment que la Mar seillaise , compo se Strasbourg, en avril 1792, a notam ment t popu la ri se Paris durant lt 1792 par les bataillons de volon taires en pro ve nance de Marseille. Les rcits de la dif fu sion de cette chan son sug grent sou vent une adh sion imm diate et enthou siaste. Mais dans le dpar te ment du Nord, le grand moment de dif fu sion et de popularisation de la chan son est pos t rieur lt : il date de novembre 1792. En effet, confor m ment au dcret de la Conven tion du 28 sep -tembre 1792 qui ordonne de cl brer les vic toires de larme fran aise en Savoie, la Mar seillaise est inter pr te sur la place publique des villes et villages du dpar te ment. Or cette dif fu sion par voie offi cielle a des impli ca tions concrtes long terme, car elle dconnecte en par tie la chan son de lide dun lan patrio tique spon tan, pour larti cu ler plus sp -ci fi que ment au suc cs dun rgime par ti cu lier : la Rpu blique, durant son moment jaco bin. En cons quence, alors quaprs le 9 Ther mi dor, puis la mise en place de la rpu blique direc to riale, la Mar seillaise demeure une rf rence sym bo lique assu me par le nou veau rgime (elle devient mme en mes si dor an III, hymne natio nal), une popu la tion locale hos tile aux jaco bins exprime, de nom breuses reprises, son refus de cet hymne, lui pr f rant le Rveil du peuple , uvre ouver te ment anti- jacobine. Ainsi le 10 ther mi dor an VII, alors que les ten sions sexa cerbent dans la rgion lilloise, la Mar seillaise est hue et des cris bas les jaco -bins sont lan cs28. Les moda li ts ini tiales de dif fu sion de lhymne ont donc contri bu lasso cier un mou ve ment poli tique et un rgime. Comme la jus te ment remar qu Michel Vovelle, la compo si tion chan te Strasbourg en avril 1792, par ces moda li ts de cir cu la tion, va, en un sens, chap per son auteur, pour tre appro prie et rper cu te en cho jusqu deve nir la Mar seillaise 29. En effet, Rou get de lIsle, au moment de la compo si tion de son uvre en avril 1792, tait, comme la majo rit des offi ciers de larme fran aise, roya liste. Il le demeu rera mal gr la sus -pen sion du pou voir ex cu tif, comme lindique, aprs le 10 aot, son refus dadmettre les vo lu tions en cours qui pro voque son dpart de larme30.

    (28) AD Nord, L 1242.(29) Michel VOVELLE La Mar seillaise : la guerre ou la paix , dans Lieux de mmoire,

    tome 2, La Nation , Paris, Gallimard, 1986, p. 107-152.(30) Marcel REINHARD, La chute de la royaut : 10 aot 1792, Paris, Gallimard, 1969.

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    Le contexte de rcep tion et dinter pr ta tion a donc pro gres si ve ment et pro fon d ment infl chi la por te embl ma tique de lhymne.

    Ladap ta tion spon ta ne ou du moins non enca dre de ces emblmes natio naux aux confl its locaux par ti cipe ga le ment des dtour ne ments de sens. Les uvres dori gine locale sont rares en compa rai son de la pro duc tion pari sienne, mais elles demeurent par ti cu li re ment signi fi ca -tives de larti cu lation qui sta blit entre emblmes natio naux et confl its locaux. Cette arti cu lation se concr tise dans les moda li ts de pro duc tion des chan sons. Dans le dpar te ment du Nord, toutes les chan sons locales sont ainsi crites sur des timbres natio naux, sur des airs suc cs connus dans tout le pays. La ques tion reli gieuse, sujet daffron te ments au sein des commu nau ts villa geoises du dpar te ment, sus cite, ds dcembre 1791, plu sieurs compo si tions ori gi nales. Le 2 dcembre 1791, un grand nombre de villa geois de Flines se regroupent sur la place face lglise, puis criant comme ils font trs fr quem ment vive la calotte, vive les aris to crates ; aprs avoir t un cer tain espace de temps boire et chan -ter la chan son de cent onze cou plets quils ont compo se sur le cur consti tution nel et les dmo crates de lendroit, ils sor tirent des caba rets proches de lglise o ils toient assem bls, prirent des cocardes blanches aux cha peaux aiant leur tte deux mili taires . Le cur consti tution nel est insult et l on se mit chan ter la chan son aux 111 cou plets jusque bien avanc dans la nuit 31. Mal heu reu se ment, aucune trace, notre connais sance, ne nous est par ve nue de cette compo si tion, mais deux ensei gne ments peuvent tre dga gs. Tout dabord, linter pr ta tion por -te poli tique de chan sons nest pas une sp ci fi cit urbaine. Ces uvres tiennent, par ailleurs, une place pri mor diale dans la mise en scne des reven di ca tions col lec tives et contri buent liden ti fi cation dun groupe dindi vi dus une cause commune.

    En juin 1793, les offi ciers muni ci paux dEsne, village situ dans le dis trict de Cam brai, se rendent chez Wibail, fer mier de la commune g de 80 ans, et retrouvent une chan son, de compo si tion locale, favo rable au clerg rfrac taire. Lors dun inter ro ga toire, Wibail affi rme que sa fi lle a retrouv cette chan son devant sa mai son, et dit ne pas savoir si cette chan -son a t chan te chez lui. Pour tant Wibail entre tient des rela tions troites avec dautres per sonnes tmoi gnant dune hos ti lit mani feste lgard du clerg consti tution nel : il reconnat son ami ti avec Delbart, lui aussi fer mier octo g naire, chez qui sont retrou vs un Bref du Pape Pie VI et

    (31) AD Nord, L 867.

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    une Dcla ra tion de son altesse sr nis sime le duc rgnant de Brunswick et de Luxembourg . Il affi rme ga le ment tre proche dun dnomm Thuliez qui refuse de se rendre la messe des prtres asser men ts. Si rien ne prouve que cette uvre a t rdi ge par lun de ces trois pro ta go -nistes, elle nen demeure pas moins carac t ris tique de leurs convic tions.

    Air : cest ce qui me console, cest ce qui me dsole32

    Deux pr lats viennent en ce lieu,Se disant envoy de DieuVoil la res sem blance !Par la dou ceur lun nous sou metLautre snonce en MahometVoil la dif f rence !

    Rohan est notre vrai pas teurEt Pri mat en a la cou leur :Voil la res sem blance !Des aptres vient le pre mier,Du ct gauche le der nierVoil la dif f rence !

    Tous deux sont cros ss et mitrsTous les deux ont t sacrs :Voil la res sem blance !Lun le fut par les vrais pr lats,Lautre par les apos tats :Voil la dif f rence !

    Tous deux dsi rent nous gagnerEt sur nos curs veulent rgner :Voil la res sem blance !Rohan a les hon ntes gensEt pour Pri mat sont les bri gands :Voil la dif f rence !

    (32) AD Nord, L 859.

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    Rohan donne des man de mentsEt Jean Pri mat des docu ments :Voil la res sem blance !Lun suit les pon tifes romainsEt lautre Luther et Calvin :Voil la dif f rence !

    Ils sont tous deux secondsPar des vicaires et des curs :Voil la res sem blance !Rohan don nera lesprit sainEt Jean Pri mat, lesprit malin :Voil la dif f rence !

    Aux deux pr lats, lempres se mentPro cure un juste trai te mentVoil la res sem blance ! lun la grce et la vertu lautre CUPIDON BALENSVoil la dif f rence !

    Lglise et lEurope ont jugSur tous deux ont dcidVoil la res sem blance !Que lun au ciel nous conduiraEt lautre au diable nous mneraVoil la dif f rence !

    Cette chan son est compo se sur lun des timbres les plus uti li ss, durant la dcen nie rvo lu tion naire, parmi ceux qui sont issus du rper -toire dAncien Rgime. Lair inti tul On doit soixante mille francs ou Cest ce qui me console, cest ce qui me dsole pro vient de lopra- comique Les Dettes, compos en 1787 par Champein ; ce timbre est men -tionn 49 reprises dans le cata logue de Constant Pierre. Son suc cs, comme latteste ladap ta tion men tion ne, nest pas cir conscrit la sphre des auteurs pari siens. Lattrait de luvre vient pro ba ble ment de la struc -ture binaire de chaque cou plet fond sur la rp tition de juge ments anta -go nistes cest ce qui me console [] cest ce qui me dsole dans le texte dori gine, voil la res sem blance [] voil la dif f rence dans ladap ta tion sep ten trio nale. Cette struc ture savre par ti cu li re ment pro -

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    pice la mise en valeur de dis cours di fi ants qui visent lever les faux- semblants, les appa rences trom peuses. Lexemple pro pos est, en ce sens, signi fi ca tif et sins crit plei ne ment dans la conti nuit des usages rp ts de ce timbre. Mais, cette fois, les juge ments anta go nistes se portent sur deux per son nages, incar na tions locales des confl its reli gieux pro vo qus par la Consti tution civile du clerg : Rohan ci- devant vque de Cam brai, et Jean Pri mat, vque consti tution nel du dpar te ment du Nord.

    Laction des villa geois de Flines, comme la compo si tion sur les deux pr lats, sug gre vi dem ment la per ma nence des pra tiques de dfi ance voire de contes ta tions moti ves par la ques tion reli gieuse dans les com-mu nau ts villa geoises. Ils rvlent sur tout deux usages dif f rents. Dans le pre mier cas, la chan son emblme dun enga ge ment est int gre une mise en scne des reven di ca tions col lec tives dans lespace public. Dans le second cas, la chan son reste can ton ne un usage priv et semble cir cu ler lint rieur dun rseau dindi vi dus proches, par ta geant les mmes convic -tions : elle entre tient une dimen sion embl ma tique voire identitaire pour ce groupe dindi vi dus hos tiles au clerg asser ment, mais elle nest plus exhi be dans un contexte nou veau o la rpres sion des auto ri ts devient plus mena ante. Limbri ca tion du contexte natio nal et des confi gu ra tions sociopolitiques locales joue donc un rle pr pon d rant dans le pro ces sus de pro duc tion et duti li sation des uvres.

    Lespace fl a mand, par la viru lence des confl its poli tiques locaux qui sy dploient, par une sp ci fi cit cultu relle claire mar que dans le recours un dia lecte sp ci fi que, consti tue un lieu dtude pri vi l gi pour sai sir lembo te ment des rf rences sym bo liques. Linter pr ta tion de chan sons paro diques hos tiles la Rvo lu tion saccom pagne par fois de vio lences phy siques, tout en pola ri sant les confl its locaux autour demblmes natio -naux. Cassel en 1792, des cava liers du ci- devant rgi ment royal cra vate forcent au caba ret, aprs lui avoir donn quelques coups, un sol dat volon taire se mettre genoux et chan ter des chants contre- rvolutionnaires . Parmi ces chants, une compo si tion atti rera sp ci fi que -ment latten tion des admi nis tra teurs du dis trict, il sagit dune paro die du a ira . Cette fois, le refrain se carac t rise par lexpres sion les patriotes la lan terne . Les admi nis tra teurs du dis trict indiquent que cette chan son pr sente des rf rences nomi nales aux patriotes habi tant la ville de Cassel33. La pra tique de la paro die locale nest pas nou velle, mais elle est ici rin ves tie dans un contexte de ten sions poli tiques fortes, dans une

    (33) AD Nord, L 859.

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    ville o les marques dhos ti lit la Rvo lu tion sont nom breuses. Cette pra tique paro dique qui per dure par- del lanne 1792 nest pas lapa nage dindi vi dus hos tiles la Rvo lu tion fran aise qui se rfu gie raient dans un folk lore ou dans des tra di tions locales. Dans un contexte de confl it local pro long, les groupes anta go nistes ont recours aux mmes rf rences musi cales telles que le a ira , aux mmes menaces envers des indi -vi dus nom m ment cits, et au mme dia lecte. Linten sit des affron te -ments pro voque donc des confl its dusage, chaque groupe essayant de sappro prier les mlo dies comme les pro c ds rh to riques jugs les plus effi caces dans le but dempor ter un large sou tien. En fruc ti dor an III, Hazebrouck, alors que le rap port de force local sest, comme au niveau natio nal, sen si ble ment modi fi , les admi nis tra teurs du dis trict sinquitent de ras sem ble ments noc turnes, de la dif fu sion dcrits et de linter pr ta -tion de chan sons dans les rues. Le 5 fruc ti dor, des indi vi dus qua li fi s de jaco bins dsar ms par courent la ville en chan tant une adap ta tion locale du a Ira : Ah a ira, paters kerke, on la fer mera 34. Linter -pr ta tion publique sins crit dans un contexte de contes ta tion locale mar -qu par des ras sem ble ments mais aussi la dif fu sion de quatre pam phlets, dont les titres entrent en rso nance avec ladap ta tion du a Ira : le pre mier texte est inti tul Les roalist ont punira, Le patriot triom phera, De Groote Klocke son nera , le troi sime De Groote Klocke son nera, Les terrorist vivera, Paters Kercke o diable . Les mmes for mules, et le recours simi laire des menaces vis- -vis dindi vi dus clai re ment iden -ti fi s, indiquent que linter pr ta tion publique de la chan son, qui tra duit un confl it dusage entre groupes rivaux, sintgre un ensemble plus vaste de sup ports dexpres sion. La conver gence de ces dif f rents modes dexpres sion per met alors de sai sir la nature et lampleur des oppo si tions locales.

    En affi nant lana lyse des condi tions dinter pr ta tions col lec tives par tir des exemples de Flines, de Cassel et dHazebrouck, un lieu men -tionn dans chaque confi gu ra tion retient latten tion, le caba ret. Les rf -rences tmoi gnant de la place pri mor diale tenue par ces dbits de bois son o se concr tise larti cu lation entre pra tique du chant et enga ge ments col lec tifs, abondent. Merville en prai rial an V, les admi nis tra teurs du dis trict constatent une nou velle fois que le parti le plus fort pro voque le plus faible dans les caba rets par des pro pos et des chan sons contre

    (34) AD Nord L 847.

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    la consti tution 35. la fois lieu de socia bi lit et de diver tis se ment, le caba ret tient notam ment son attrait des chan sons que lon vient y inter -prter ou cou ter. Le rle cen tral des caba rets dans la cris tal li sa tion des mou ve ments de contes ta tion nest pas nou veau comme la sou li gn Jean Nicolas36 : Les ren contres de caba ret en un espace favo rable au mixage social humble niveau, faci li taient les prises de langue, le mon tage des coups irr gu liers . Lieu de fte et de cris tal li sa tion des mcontente ments col lec tifs, le caba ret conti nue occu per une place fon da men tale la ville comme au village durant la Rvo lu tion. Lana lyse des pra tiques tmoigne donc la fois de la per sis tance, dans la longue dure, des lieux et des sup -ports dexpres sion de la contes ta tion, tout en rv lant des composi tions ori gi nales asso ciant emblmes natio naux et rf rences locales.

    *

    En refu sant de res treindre lapproche des chan sons au commen -taire de texte, de nou veaux champs dinves ti gation souvrent : ils portent aussi bien sur les liens qui se tissent entre dif f rents espaces que sur les tapes de la cris tal li sa tion des opi nions col lec tives. Les uvres et leurs moda li ts dinter pr ta tion consti tuent donc un objet dtude trans ver sal qui tient la fois des confi gu ra tions sociales, des luttes poli tiques et des pra tiques cultu relles. La chan son consti tue un sup port dyna mique parce que ce sup port sins crit dans des stra t gies de cir cu la tion complexes, et parce que, in fi ne, cette cir cu la tion contri bue faire de ce sup port un mode dexpres sion pro pice aux dtour ne ments de sens comme la sou li -gn Jean Quniart37.

    Par cons quent, si lana lyse for melle des chan sons semble tmoi -gner du par tage par dif f rents par tis des mmes rf rences sym bo liques et mlo diques, ltude des pra tiques nous montre que ce constat, loin dtre lillus tra tion dune culture uni forme voire con sensuelle, relve, en fait, de confl its dusage intenses qui carac t risent les luttes poli tiques lchelle locale comme natio nale. Chaque parti tente de sappro prier les mlo dies et les sym boles dans lair du temps afi n daccrotre sa lgi ti mit et dempor ter ladh sion du plus grand nombre.

    (35) AD Nord L 880.(36) Jean NICOLAS La rbel lion fran aise, mou ve ments popu laires et conscience sociale,

    1661-1789, Paris, Seuil, 2002.(37) Jean QUNIART Conclu sion , dans J. QUNIART (dir.), Le chant acteur de lhis toire,

    Actes du col loque de Rennes du 9 au 11 sep tembre 1998, Rennes, Presses Uni ver si taires de Rennes, 1999, p. 347-356.

    MAXIME KACI

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    Tou te fois, les emplois spon ta ns, les paro dies constantes enrayent les vel li ts de pro mo tion dune pro pa gande stric te ment enca dre. Linter -pr ta tion des uvres encou rage et exprime, avant tout, une par ti cipation poli tique lar gie mais dif fi cile orien ter de manire dci sive. La pra tique de la chan son est donc, tout la fois, un symp tme et un agent , pour reprendre lexpres sion de Franois Ploux38. Elle agit puisquelle par ti -cipe au dve lop pe ment local de dis cours et dactions col lec tives dans le domaine public. Elle consti tue un symp tme car ses inter pr ta tions sancrent pro fon d ment dans un contexte par ti cu lier o saffi rment des craintes et des esp rances sp ci fi ques.

    Maxime KACI

    Doc to rantIRHIS Uni ver sit Charles-de-Gaulle-Lille3

    UFR Sciences his to riques artistiques et poli tiquesBP 60 149

    59 653 Villeneuve dAscq Cedex

    [email protected]

    (38) Franois PLOUX, op. cit.

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