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{ JULES RENARD ET LE JOURNAL INTIME by Jean-Yves Laporte A thesis submitted to the Faculty of Graduate and Research in partial fulfillment of the requirements for the degree of Master of Arts Department of French Language and Literature McGill University, Montréal september 1991

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JULES RENARD ET LE JOURNAL INTIME

by

Jean-Yves Laporte

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studi~s and Research

in partial fulfillment of the requirements for the degree of

Master of Arts ~

Department of French Language and Literature McGill University, Montréal

september 1991

1

RÉSUMÉ

Ce mémoire tente de retracer les conditions

d'émergence du journal intime à travers les

transformations historiques des caractéristiques qui lui

sont pr0l=res. L'analyse des notjons de temporalité,

d'individualité et du discontinu nous permettra d'aborder

l'oeuvre diarique de Jules Renard qui s'affirme comme

l'aboutissement et le point de rupture d'une littérature

qui approche son terme. Nous tenterons de montrer en

quoi ce terme se confond avec le silence.

"------

1

ABSTRACT

This thesis attempts to retrace the conditions of

birth of the diary as a literary genre. Through the

historical transformations of its main characteristics

such as the notions of time, individuality and

discontinuity, we will further our analysis to the

uiaristic oeuvre of Jules Renard. His work represents

the culmination and breaking point not only of the genre

in itself but also of literature considered in a larger

framework. We will try to prove that the direction of

Renard's writing coulù have only led hirn to the de ad end

which is called silence.

1 TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CHAPITRE l

L'ESPACE ENTRE LES MOTS ET LES CHOSES

CHAPITRE II

L'ESPACE DU MOI

CHAPITRE III

. . . . . . . . . . . . . . . .

GENÈSE DU JOURNAL INTIME . . . . . . . . . . . .

CHAPITRE IV

L'~CRIVAIN ET LE JOURNAL . . . . . . . . . . . .

CHAPITRE V

L'~CHEC QUOTIDIEN . . . . . . . . . . . . . . .

CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

p. 1

p. 11

p. 22

p. 30

p. 41

p. 64

p. 85

BIBLIOGRAPHIE • • • • • • • • • • • • • • • fi • p. 89

, 1

L'homme en sait trop peu sur soi-méme et n'en peut savoir que trop peu pour que

ses confessions, sa sincérité puissent nous apprendre quelque chose de vraiment important et que nous ne puissions imaginer facilement.

Valéry, Mélange

1

INTRODUCTION

1

1 Note liminalre

Il est essentiel de fournir quelques Informations ayant trait al.'x diverses éditions du Journal. À ce jour, cinq éditions ont été publiées. La première, posthume, il été publiée e,~ cinq volumes, de 1925 èl 1927, sous le titre de Journal inéd~c. aux éditlons Bernouard. Cette édltion est le résultat du travail de Henri Bachelln qui èl la mort de Renard copia, avec l' assentlment de Mme Jules Renard, les nombreux cahiers qui constltualent le manuscr l t du ]ournlll. Cette copie ayant été perdue et le manuscrIt origlnal brûlé, semble­t-il, par Mme Renard elle-mème, l'édItIon de Bachplin fait donc, par la force des choses, ~utorite. C'est donc cellc-lâ que reprendront les éditions succeSSIves. Pour notre part, nous avons travalllé alternatlvement avec l'édltion de la Pléiade ainsi que celle, plus récente, publiée en 1990 chez Robert Laftont (collectlon Bouqulns). Vu le nombre considéra­ble d'éditlons, nous avons cru utile, lorsque nous puisons des ci":atlons à même le Journal, d' Y référer par le Jour et l'année plutôt que la page. l

l- Bien qu'à en croire Léon Gu~chard, qu~ contribua grandement à la réédition des oeuvres de Renard (on lUi dOit deux études sur Renard ainsi que l'édition des trolS volumes de La Pléiade), le texte de l'édition Bernouard seralt non seulement tronqué de beaucoup (presque du tiers ~n fait) mais comporterait également un grand nombre d'erreurs de lecture, attribuables à Henr~ Bachelln.

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Pierre-Jules Renard est né en 1864, dans un petit village

de la Mayenne où il ne passa que les deux premières années de

sa vie. C'est à Chitry-les-Mines, dans la Nièvre, qu'il

dev int peu à peu poi l de Carotte. Sa naissance scelle une

rupture, celle de ses parents, et toute l'enfance de Renard se

déroulera dans une atmosphère d'antagonisme avoué. Avec lui

naissait l~ sllence du père; en butte à l'incessant bavardage

de son épouse, celui -ci Chclsissai t de s'enfermer dans un

mutisme déf initif, réact ion à l'excès par son contraire.

Cette famille divisée ne p~end pourtant sens qU'à travers les

oppositions qui s'y forment. Pas de deml-teintes chez les

Renard: on n'y trouve qu'une césure radicale, antinomique,

dont l' arrl vée de Jules, le cadet de trois enfants, semble

être le catalyseur. Le père se tait et, républicain (il est

maire de chitry" confirme de plus en plus son anticlérica­

lisme; de son côté, la mère, bigote, bavarde comme une

caricature de bigote, se cantonne dans un rôle en tous points

opposé à celui du père ou plutôt, elle condltionne ainsi celui

du père. Difficile de traiter de la famille Renard en la

départageant de la famille Lepic. La fiction et la réalité

1

1

2

s'entrecroisent au point où dans le Journal, Mme Renard mère

devient, indifféremment, «ma mère» ou Mme Lepic. Bavarde et

bigote, il semble que la mère de Renard le fut réellement,

Cruelle, peut-être pas, sotte, sûrement, et :'9 Journal le

montre amplement : «Elle ne ment pas, elle invente. »~ De son

père, Renard héritera non seulement la haine du bavardage mùis

également celle du mensonge, toutes deux personnifiées par la

mère. De là, à travers une série d'associations polarisées

par le père (<<Le mépris de mon père pour les gens qui écrl-

vent. Écrire, c'est bavarder ( ... l .»1), les termes de

l'équation bavardagej écri turejmlmsenge lui feront cenc lure que

«tcrire, c'est presque toujours mentir.»' Cette obsession se

traduira par une incessante quête de la vérité tant ~ travers

l'action politique qu'à travers l'art: «La vérité n'est pas

toujours l'art, l'art n'est pas toujours la vérité, mais la

vérité et l'art ont des points de contact: je les cherche.»'

2- J. Renard, Journal, Paris, Gallimard, coll. .. La Pléiade", 1965, 11 ao(lt 1902.

3- Ibid., 20 juillet 1898.

4- Ibid., 11 août 1902.

5- Ibid., 7 mai 1902.

1

3

Républicain, anticl~rical (<<dans mon église, il n'y a pas

de voüte entre moi et le ciel»6) et maire de son vi: lage,

Renard le deviendra à son tour. Entre les deux camrs, il

choisira facilement celui de son père qui, commodément, lui

permet de s'opposer à sa mère avec plus de vigueur. Mais il

importe surtout de savoir que son premier soin sera de quitter

sa famille pour monter à Paris. Ses études terminées, il

renonce â l'ecole normale supérieure et s'installe à Paris.

Il veut devenir homme de lettres : il frappe à des portes,

cherche à s'introduire dans les salons, y parvient parfois.

En 1886 paraissent les Roses, légère plaquette de vers pUbliée

à compte d'auteur qU'une actrice de la Comédie française,

liaison éphémère et sans doute stratégique, lira dans ces

mêmes salons. On parle un peu de lui mais c'est encore une

fois à compte d'auteur, en 1888, qu'il lui faudra publier

Crimes de village, recueil de huit nouvelles assez brèves, à

mi-chemin entre le conte réaliste, parfois moral à la Daudet,

et l'exotisme villageois de Maupassant. Malgré le timide

accueil réservé au recueil, la vocation de Renard est conf ir-

mée par un événement heureux : cette même année, il épouse

celle qui deviendra la Marinette du Journal, femme de tête

mais soumise, tendre et fidèle qui soutiendra Renard tout au

6- Ibid., 19 janvier 1903.

1 long de sa carrière d'homme de lettres. Surtout, Marinette

lui apportera, grâce à une dot considérable, la sécurité

financière dont il avait besoin pour petit à petit se faire un

nom et se consacrer entièrement à la chose littéraire. Sa

nouvelle situation lui permettra, entre autres, de participer

à la fondation du Mercure de France dont il sera le principal

actionnaire et qui deviendra sa première tribune. Il reçoit

en 1900 la Légion d'honneur (qu'il désirait ardemment et qu'Il

obtint grâce à Edmond Rostand, un ami à'alors, propulsé au

sommet par le tr iomphe de Cyrano). En 1907, trois années

avant sa mort, il remplace Huysmans à l'Académie Goncourt

«Il faudra maintenant acquêrir une juste obscurité.»7

Il s'empêtre au contraire dans le succès qu'il a tant

cherché, pour lequel il aura sacrifié beaucoup. De 1900 à sa

mort, en 1910, il n'écrira que Nos frères farouches, Ragotte

(1908), série de petits tableaux campagnards, son dernier

livre, le meilleur peut-être, le plus dépouillé sürement.

Mais ces dix dernières années, il les cow:;acrera surtout au

théâtre où il «délayait - et avait honte de délayer - ses

brefs récits parfaits.»8 Le cirque mondain de la vie

7- Ibid., 1"' novembre 1907.

8- J. Paulhan, Oeuvres complètes, tome IV, Parie, Cercle du livre précieux, 1969, p. 138.

1

1

5

parisienne exerçait sur lui une fascination dont lui, le

((paysan perverti»9 s' enorgueuillissait. La société des

salons, où on craignait ses silences entrecoupés de pointes

caustiques, l'attirait, mais sa haine de l'artifice et de

l' obséquiosi té lui donnera une réputation de rossl., qu'il

méritait, et à laquelle il préféra se conformer. Il savait

néanmoins que ces mondanités faisaient partie du jeu lit­

téraire des cénacles - on sait à quel point cette fin de

siècle multiplia les écoles - et sa soif de gloire, qui

l'avait conduit à Paris, l'incita à y demeurer (c'est là qu'il

décéda) .

Ce n'est qU'en 1896 qu'il revient s'installer à Chaumot

(village voisin de Chitry); il y reviendra chaque année pour

la période estivale, ne retournant à Paris que pour la morne

saison et pour de brefs séj autos nécessaires à son métier.

Solitaire, obtus et surtout ··chasseur d'images», son oeuvre

aura pour cadre principal le milieu paysan qu'il tentera

d'aborder en se détachant d'un naturalisme à la Zola - système

qu'il récuse et qu' il fracturera au point où son Journal,

fragment quotidien d'une vie paysanne, s'imposera, par-dessus

9- Le mot est de Rachilde.

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l'oeuvre, comme l'ultime point de rencontre entre l'écrivain

et son monde.

Nous avons choisi d'étudier le Journal de Jules Renard en

nous penchant sur les aspects, nombreux, qui donnèrent

naissance à un genre jadis négligé, voire inexistant,

aujourd'hui abondamment pratiqué pour des raisons qu'il nous

reste â démontrer. De Montaigne à Michel Leiris, beaucoup ont

pratiqué le «cul te du moi», et sous bien des formes. si

l'autobiographie connaît maintenant, avec le journal intime,

ses heures de gloire, les raisons de l'émergence de l'une et

de l'autre ne sont pas les mêmes. Le 1 i ttéraire a changé; des

notions telles que «temps», «individu», «oeuvre», l'ensemble

donc des éléments constitutifs des écrits intimes, ont subi

des métamorphoses radicales. Or de tous les ouvrages dont

nous avons pris connaissance, seule la somme d'Alain Girard lO,

tout entière dévolue au journal intime, nous offrait des

esquisses de ce qui avait pu préluder à l'apparition du

journal et des diverses formes qui accompagnent son mouvement.

Seulement, l'analyse d'Alain Girard, aussi méticuleuse qU'elle

soit, n'en reste pas moins restreinte dans les limites du moi;

10- A. Girard, Le journal intime, Paris, Presaes Universitaires de France, 1963, 638 p.

1

-

7

approche résolument psychologique qui lui pe~mêt entre autres

d'affirmer : «Rien de plus opposé, sinon de plus imperméable

l'an à l'autre que l'intimisme, tourné vers le moi et la

psycholog ie introspective, et le mouvement de pensée qui

conduit à la socilJlogie positive. »11 Il nous est apparu au

contraire que ces éléments, considérés du strict point de vue

de l'écriture et de l'évolution de la pensée, étaient

inextricablement liés. Plus encore, que le journal intime en

tant que genre apparaissait en bordure d'une série de

circonstances où le moi subissait des transformations

importantes certes, mais où le littéraire était tout aussi

puissamment mis en cause.

Li ttéra ture, c'est précisément ce qU'est ou tente de

devenir le journal intime. Psychanalytiquement parlant, tous

les journaux intimes se valent et leur permutabilité n'a rien

à nous apprendre. Dans le journal d'un écrivain, c'est toute

la question de l'écriture qui se trouve problématisée. À ne

considérer que le moi de l'écrivain, on agit «comme si, de

l'oeuvre littéraire, on négligeait ce qui est création pour ne

plus l'envisager que sous l'angle de l'expression et regarder,

plutôt que l'objet fabriqué, l'homme qui se cache - ou se

11- Ibid., p. 48.

1

4 •

8

montre - derrière.»12 C'est bien pourtant l'acte de création

qui fait toute l'ambiguïté du journal intime. C'est une

création occultée par l'oeuvre qui l'accompagne (ou qu' il

accompagne - trajet d'aller-retour, du journal à l'oeuvre, de

l' oeuv:r'e au journal) en même temps que séparée de l'oeuvre par

le geste qui lui donne naissance, souterrain et comme aban-

donné à lui-même. Le drame de cette écriture nous vient de ce

que l'écrivain y semble condamné Et doublement reclus. "Je me

figure par un indéracinable sans doute préjugé d'écrivain, qua

rien ne demeurera sans être proféré. ,,1\ Il n'est pas ici

question de postérité : le problème de puhlication ou de non-

publication des journaux par leur auteur ne soulève que des

questions de sincérité du journalier avec lui-même, d'un

rapport psychologique donc et qui s'éloigne de notre champ

dfétude. Simplement, la phrase de Mallarmé évoque l'écriture

comme étant un pré-requis à l'existence des choses qui, tôt ou

tard, sont forcées pour exister de surgir sous la plume de

l'écrivain. L'écriture met au monde ce monde qui est en lui.

Cela ne veut pas dire grand-chose. C'est le propre de toute

écriture que de créer un monde. L'écrivain le plus médiocre

12- M. LeiriS, uDe la littérature considérée comme une tauromachiell, préface à L'âge d'homme, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1939 (1945-46 pour la préface), p. 13.

13- s. Mallarmé, oeuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. ceLa Pléiade», 1945, p. 367.

9

ne fait que cela. pourtant, i l arrive que le miracle se

produise et que l'écriture ne soit plus seulement la restitu-

tion d'un monde intérieur mais s'impose comme la résurrection

de ce monde. Mais il faut pour cela une mort préalable, et le

journal intime est là, tout près, espace tout indiqué pour

accuei~lir cette mort qui est aussi celle du langage.

Ce sont ces aspects que nous avons choisi de soumettre à

l'analyse dans l'espoir de jeter quelque lumière sur le geste

qui donne naissance, au sein de l'écriture, au journal intime.

Le Journal de Jules Renard nous a semblé particulièrement

représentatif de la rupture qu'opère la littérature de la fin

du XIX' siècle avec une certaine forme de réalisme, mouvement

qui inaugure l' «ère du soupçon» qui traversera tout le XXe

siècle. Il n'est pas question de faire de Renard le héros

oublié du terrorisme littéraire même si certains, comme Jean

Paulhan, ont cru voir en lui un point nodal qui aurait «exercé

sur notre prose la même sorte d'attraction qU'ont fait sur nos

poètes Rimbaud et Mallarmé. »14 Il n'empêche que Renard aura

été en partie responsable de l'entonnoir dans lequel allait

s'engager la littérature et qU'en ce sens, son Journal offrait

un terrain fertile qui nous permettait de tracer un itinéraire

14- J. Paulhan, op. cit., p. 119.

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-

1

10

1 du journal intime où l'oeuvre de Renard, ultime faillite du

réalisme, serait le théâtre et l'aboutissement des tensions

que subissait alors le li ttéraire. C'est pourquoi nous

retrouverons sa présence muette en filigrane tout au long de

notre étude comme le point d'intersection d'une littérature

qui s'effondre et fait place au silence.

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CHAPITRE l

1 L'ESPACE ENTRE LES MOTS ET LES CHOSES

Le Journal de Jules Renard, qui s'échelonne presque

exactement entre le XI~ siècle et le X~ (1887-1910), apparaît

à une époque particulièrement trouble de l 'histoire lit­

téraire: «La littérature ici subit une exquise crise,

fondamentale. »15 crise de vers, crise de l'esprit, "décaden-

tisme» clamait-on avec une sorte d'orgueil désabusé. 1884,

parution d'À Rebours et de ses déliquescences; 1885, mort du

prophète Hugo dont la stature dominante avait cimenté presque

tout le siècle et dont la mort allait devenir comme le symbole

de la fin d'un règne littéraire.

Le paradoxe veut que ce soit justement le verbe hugolien

qui, dans sa tentative d'opérer une refonte globale de la

pensée à travers le culte unique de la littérature, précipite

celle-ci vers son éclatement prochain. La somme hugolienne,

«monument en ce désert, avec le silence loin»"), inaugure le

15- S. Mallarmé, «Crise de vers» in Oeuvres, op. cit., p. 360.

16- Ibid., p. 361.

1

13

sacre en même temps que le métier d'écrivain, qui prend des

allures de sacerdoce. Écrire sera désormais une vocation et

deviendra, avec l'apparition d'une conception de plus en plus

positiviste du monde, un métier. L'écrivain sera dorénavant

un spécialiste de l'écriture qu'il s'appropriera au point d'en

faire sa chose, son objet. On sait les allures de sacrifice

que prendra cette conception nouvelle de l'écrivain chez

Flaubert. L'écriture devenant un métier, les mots se

transforment subséquemment en outils auxquels sera conférée

une matérialité telle qU'elle supplantera, avec Mallarmé, la

pensée même 17 • Pour Hugo, inversement, le poète est penseur,

réceptacle de « la somme des idées de son temps»18 les mots

ne forment pas encore la substance de la pensée, ni même de

l'oeuvre. l 1s sont noyés dans l' immensité du cha: Ip li t-

téraire, champ supérieur à l'ensemble des ses parties. Aussi,

nous explique Auerbach, Hugo ne vise-t-il pas à «représenter

la réa lité donnée pour la rendre compréhens ible; ( ••• ) il

s'efforce plutôt de donner le maximum de relief aux deux pôles

17- On connait l'anecdote de Mallarmé disant à Degas: «Ce n'est pas avec des idées qu'on fait des vers, c'est avec des mots.» in P. Valéry, «Degas danse dess1n», in Oeuvres, tome II, Paris, Gallimard, coll. «La Pléiade», 1960, p. 1208.

18- v. Hugo, préface à ((Les Rayons et les ombreslI in Poésie, tome l, Paris, Robert Lattont, coll. «Bouquins», 1985, p. 920.

1

14

stylistiques du sublime et du grotesque ( ... ). »1'1 Sur cette

antinomie première repose l'ensemble de la structure

hugolienne. À l'image d'un monde qUi n'est plus plat, dont

les limites connues permettent et exigent une lecture - une

exégèse -, le monde de Hu~o tentera d'amplifier les mystères

que laisse entrevoir la science. Hugo serait en ce sens l'un

des premiers représentants d'une forme de mysticisme du réel

(suivi en cela par, chronologiquement, Flaubert, Renard et

Francis Ponge) où les assises encyclopédiques hér l tées du

XVIIIe siècle confèrent une autre dim~nsion aux choses, celle

du langage et de la structure qu'il échafaude: «La structure,

en limitant et en filtrant le visible, lui permet de se

cranscrire dans le langage.»m Une science, étant un système

de mesure structuré, ne fonctionne qU'en appliquant ses

propres règles et, partant, son système structural sur l'objet

d'étude2t• Or toute science, nous le savons depuis Buffon,

s'appuie sur le langage qui rend ses développements possibles,

les certifie et leur assure, à défaut d'une pérennir.é, une

évolution. C'est ce processus d'écriture ou d'inscription

19- E. Auerbach, Mimésis. La représentat~on de la réal~té dans la lietérature occidentale, Paris, Gallimard, coll. HB1bliothêque des ldées», 1968, p. 465.

20- M. Foucault, Les mots et les choses, Parl.s, Galllmard, coll. ((Bibliothèque des l.déeslI, 1966, p. 147.

21- Nous savons que les nouveaux développements de la physique, notamment la physl.que quantique, sont venus brouiller ces données. MalS là n'est pas notre propos.

15

t scientifique qui, avec les encyclopédistes, amcrce la scission

entre les mots et les choses et crée un fossé qui ira sans

cesse s'élargissant. Car c'es~ au moment où l'homme se met à

mesurer le monde qu' il prend consc ience de la démesure de

celui-ci. Désormais visible et scriptible - ces deux notions ..

sont indissociables le monde sera soumis à une vaste

entreprise taxinomique, rendue possible par une codification

de plus en plus spécifique, tributaire du langage, où la

connaissance du monde tend à se fragmenter en autant de

disciplines. De ces disclplines - depuis la sociologie de

Comte jusqu'à la psychanalyse et ses dérivés - qui tentent

d'élaborer un positivisme de la psyché, naîtront de nouvelles

structures langagières. De Hugo à Renard, dont le culte

hugolien ne faiblit jamais, les multiples fractures de la

langue et de ses structures apparaissent à même l' édif ice

littéraire. Depuis l'immense fresque historique que

reconsti tue Fla'lbert dans Salammbô où l' histoire est tout

entière représentée par le biais d'un vaste et complexe

appareil lexical, jusqu'à l'encyclopédisme poétique de Ponge

qui tente de revenir aux choses en chosifiant le mot jusque

dans sa graphie même, le monde, l'histoire, le verbe, à

travars une désincarnation systématique du langage, cessent

d'être obj ets de découverte pour devenir obj ets de découpage :

((Notons d'abord qu'un savoir (de mots, de choses) est non

1

16

seulement un texte déjà appris, mais aussi un texte déjà écrit

'Il n al eurs ( ... ))."" Nous assistons à un renversement cognitif

à travers le processus scientifique dès l'instant où celui-ci

a détaché la chose de sa représentation verba le, conçue

dorénavant comme un supplément lexical, extrinsèque. C'est-à-

dire, précisément, Litteraria, selon les catégories descrip-

tives de LinnéB «Tout le langage déposé par le temps sur

les choses est repoussé à la dernière limite, comme un

supplément où le discours se raconterait lui-même et rapporte-

rait les découvertes, les traditions, les croyances, les

figures poétiques».u La Litteraria étant ainsi séparée du

processus cognitif, la chose, dès lors dépouillée de sa

«sédimentation verbale»n apparait à nu et s'en trouve

singulièrement simplifiée. Ses dimensions sont désormais

purement techniques, quantifiables. C'est une chose que ne

fait plus vaciller le poids des mots. Le commentaire qui s'y

greffe y est extrinsèque, tout comme le mystère la

mythologie - qui l'entourait. La césure entre le mot et la

chose est garante de l'authenticité de l'analyse, le langage

22- P. Hamon, Introduct~on à l'analyse du descr~pt~f, Paris, Hachette, coll. "Langue linguistique corrununicationll, 1981, p. 51.

23- Cité in M. Foucault, op. cie., p. 142.

24- Ibid.

25- Ibid.

1

l

17

devenant un outil impartial qui renvoie à un système objectif

de signes.

C'est de ce même langage technicalisé dont devra user

l'écrivain qui veut aborder la réalité des choses. Mais si

cette langue purifiée permet une saisie objective du réel,

elle n'en offre plus cependant que la concrétion - dans la

mesure où, indépendamment des philosoph ies du langage, on

considère celui-ci comme l'outil le plus efficace pour

appréhender les choses - dans la mesure où l'écrivain accepte

de jouer le jeu du langage. La chose elle-méme s'en trouve

simplifiée, réduite à sa réalité scientifique qui en est

l'explicatlon et non plus la révélation. Toute mimésis, dès

lors, deviendra donc un commentaire, une réécriture superféta­

toire de la réalité, un renvoi à la dimension mythologique

dont la langue s'était défaite.

À ce titre, il nous est possible de mesurer le terrain

franchi dans l'éclatement du savoir et de la réécriture en

considérant l'espace qui sépare Salammbô des Histoires

naturelles de Renard. Là où l'érudition d'un Flaubert servait

à réincarner ".' histoire au sein du verbe, à travers l' appa­

reillage que l'on sait, la taxinomie encyclopédique dont fait

preuve Renard, tant dans l'ouvrage sus mentionné que dans son

1

" ..

18

Journal, est en fait une déconstruction partielle de Buffon

qui confine à l'ironie, symptôme d'une littérature en cul-de­

sac qui se joue d'elle-même, se redécouvre et se redessine.

C'est une lronie sur le langage et par le langage, une vérité

qui f;'affirme par sa négation en s'opposant à une vérité

scientifique jugée par trop réductrice et à laquelle elle veut

ajouter. L'ironie, chez Renard, est un renversement des

valeurs à l'encontre du scientif isme et en faveur du li t­

téraire.

C'est qu'il veut faire «de l'étrange avec du simple. ,,!n

La langue dont il hérj t.e ne renvoie plus aux choses. Or

Renard est habité par les choses, c'est là tout l'espace de

son oeuvre, et il aimerait leur redonner tout le mystère qui

en opacifiait l'essence. Il cherche, sous les décombres de

son temps, une langue préscientifique que n'aurait pas encore

contaminée le siècle des lumières, de façon à renouer avec un

état premier du langage, à la fois simplifié et mystérieux,

qui lui permettrait d'«allier la plus plate réalité à la folle

fantaisie.»'l7

26- Journal, 21 juin 1890.

27- Ibid., 1" février 1893.

19

1 Redonner une substance aux choses en les singularisant,

cette entreprise ne pouvait prendre forme qU'à travers le

Journal, qui est l'espace de la quotidienneté et qui est donc,

du point de vue du temps et de la forme, une déconstruction

méticuleuse, un retour à un temps élémentaire qui n'obéit

qU'aux lois intemporelles des choses. Car il est bien entendu

que les choses n'existent puissamment que dans le temps de la

banalité et de l'insignifiante redondance des jours. Le

Journal est ainsi une négation de l'épopée romantique et

naturaliste qui, pour s'opposer au déluge verbal du temps,

s'engage à retrouver les choses qui se cachent derrière les

mots.

Cette époque souffrait sans doute de sa trop grande

fécondité. Elle fut en effet foisonnante dans sa diversité

artistique - générique - ainsi que dans sa volubilité. Il y

eut donc, après l' immense fleùv~ romantique, fragmentation des

élans créateurs; comme si l'épopée, suite à une saturation de

cette démesure, cédait sa place à une littérature cherchant à

endiguer les élans égocentriques du Romantisme pour accoucher

d'une écriture qui contemple sa propre finitude et qui,

déplaçant le centre d'intérêt de l'âme à l'individu, du logos

au langage, se morcelle en autant de manifestations diverses,

de moins en moins unanimes et totalisantes.

20

1 Ce rétrécissement de la chose littéraire donna lieu à de

nombreuses écoles. Le phénomène des revues champignons est

représentatif de cette dissension idéologique qui fait se

mUltiplier les partis pris et les bannières, comme si une fois

les idoles renversées, ou simplement disparues, le bruit de

leurs chutes se répercutait en une suite d'échos interroga-

tifs. Et en réalité, la mort de l'hégémonie romantique, qui

se déroule dans l'ombre d'un désengagement d'ordre divin, fait

place au doute non plus méthodique comme l'enseignait

Descartes, mais à un doute en quelque sorte panique, affolé

devant l'ampleur du désordre, idole de lui-même et contingent.

L'immense je romantique s'effondre avec Rimbaud. Le «je est

un autre» vient compromettre définitivement l'unicité du moi

en consacrant la fragmentation de l'être en même temps qu'il

«est une négation sans compromis de la tautologie suprême, de

l'acte grammatical de l'autodéfinition grammaticale de Dieu

«Je suis celui qui suis. »28 L'homme du XXe siècle, irrémédia-

blement, sera condamné à la pluralité de son être dont les

formes, multiples, lui échappent. Il cherchera à s'identi-

fier, à se chercher une forme ailleurs que dans l'image

divine. Drapeaux, écoles, partis, tenue vestimentaire, etc.

seront autant de quêtes d'un moi divisé. Le journal intime

28- G. Steiner, Réelles présences. Les arts du sens, Paris, Gallimard, coll. I4NRF essaislI, 1991, p. 127.

{

21

deviendra également une méthode de singularisation du moi qui

permettra d'en fixer sur papier les états successifs.

L'écriture ne sera plus un miroir tendu au monde mais un

miroir que l'écrivain se tend à lui-même.

1

1

CHAPITRE II

1

(

L'ESPACE DU MOI

L'évolution progressive du concept de l'individu culmine

à la révolution française et marque le terme d'un humanisme

cosmogonique qui avait pris racine dans la tradition helléni-

que : «L/époque moderne - qui commence au XVllr siècle et

touche peut-être à sa fin - est la première à exalter le

changement et à se fonder sur lui.»D Ici prend forme l'image

d'un mouvement perpétuel et de là, le reflet de Narcisse

condamné à poursuivre sa propre image dans une eau non plus

lisse comme un miroir mais moirée, fuyante, reflet des palais

de glaces des foires ambulantes. Il convient de revenir sur

ce concept de l'individualisme pour en tracer la dynamique qui

conditionN"l J. l'apparition des écrits intimes - mémoires,

autobiographie et jour~al intime.

Devenu citoyen à la Révolution, l'homme voit l'essence de

son être s'efface.c devant l'organisation sociale qui le

29- o. Paz, Point de convergence. Du romantisme à l'avant-garde, Paris, Gallimard, coll. «Les essais», 1976, p. 32.

1

24

définit. L'homme n'existe plus en soi mais est dorénavant

défini par la somme de ses actions : il se crée. Se créant,

il participe ainsi d'un réseau, sorte de poJysémle sociale,

saussurienne, où le jeu des significations fonctionne sur le

principe des vases communicants. Ce marxisme dvant la lettre

établit de façon brutale la mort d'une certaine forme de

transcendance où l'homme, selon le mod~le cartésien, n'entre­

tient plus des rapports égalitaires - inclusifs - avec la

nature mais des rapports de domination. C'est.3. cc moment

qu'apparaît le principe d'évolution, d' histor icisation du

monde. Les événements cessent de se côtoyer dans le temps et

commencent à s'ajouter les uns aux autres : l'histoire est née

et cette histoire est le fruit d'une manipulation de l'homme

sur son entourage. Notable en ce sens est l'urbanisation

grandissante qui soustrait l/~ndividu au temps cyclique de la

campagne, espace d'une temporalité immobile ponctuée unique­

ment par la succession des jours et des saisons, au sein de

laquelle les uni tés les plus visibles sont imputables aux

variations de la nature - chute des feuilles, bourgeonnement,

récolte, vendanges, etc. L'accelerendo qui en résulte, fruit

d'une pression qu'exercent hier et demain sur auj ourd' hui,

entraînera l'individu dans un tourbillon vertigineux. À

l'image des rayons d'une roue qui, propulsée à une vitesse

trop grande pour l'oeil, semblent s'immobiliser, l'homme sera

1

25

victime de cette machine subitement mise en marche et qu'il ne

voit plus. La fin du XIX· s1ècle verra l'apparition, récur­

rente depuis, d'une forme de nostalgie où s'agitent des

fantômes de virginité. Nostalgie d'une origine dont on a

perdu la trace et. qui s'efface sous les multiples sédiments

qui la Voilent à notre vue.

Devenue impossible à saisir dans sa multiplicité,

l' histoire, comme le temps, perd son sens pour ne devenir

qU'une course effrénée vers l'avant, pure convention dont le

pouls est une mesure et non plus le battement de la vie.

«Voici l'année 1908. Tout va encore recommencer»w se lamente

Renard avant de noter, une semaine plus tard : «Nous sommes

trop pressés. Que dirions-nous du semeur qui voudrait voir

tout de sui te lever son blé?»3\ Le paysan que couve Renard

ressent cette accélération comme une blessure. À Paris, entre

les premières et les soirées, Renard se penche volontiers sur

son Journal. Il y est plus loquace qU'à Chaumot, comme si le

Journal lui permettait de renouer ave~ le temps cyclique du

quotidien qui est également celui de la campagne. Les jours

retrouvent le sens qu'ils avaient perdu : «C'est en pleine

30- Journal, 26 décembre 1907.

31- Ibid., 2 janvier 1908.

1

26

ville qu'on écrit les plus belles pages sur la campagne.»'!

La boutade n'est pas simplement l'aveu du paysan expatrié:

elle traduit le désarroi d'un jeune homme soumis au vertige

des jours. Insaisissables dans leur fuite, ils deviennent,

une fois consignés dans le Journal, palpables, comme des

perles qU'on enfile, chacune identique à l'autre, presque

toujours la même, réconfortantes dans leur éternelle redon­

dance. Le Journal est. un regard sur le temps, une v ig ie du

haut de laquelle Renard peut plonger son regard sur les choses

immobiles et sur lui-même, devenu chose, devenu objet du

Journal, qui est le point d'intersection de l'écriture et du

temps.

Avec l'histoire, une nouvelle scansion du temps s'impose

à l'homme moderne, dont l'incarnation la plus manifeste se

retrouve dans l'idée du progrès. L'ère d'une temporalité à la

fois prospective et rétrospective s'annonce, qui réduit

l'homme à un rouage de l'histoire qui se fait.

Dépossédé de ce point de rencontre avec lui-même,

dépossédé également de l'histoire qu'il a mise en marche et ne

peut plus maîtriser, l'homme s'en remet à lui-même en signant

32- Ibid., 25 novembre 1888.

27

t un «contrat social» qui confesse et revendique un humanisme

contingent, profession de foi en une modernité régie par

l'idée du progrès. La Révolution, sous l' inf luence des

philosophes des lumières (c'est la faute à Rousseau, c'est la

faute à voltaire), entreprend une vaste entreprise de

déchristianisation et de "déprêtrisation" qui culmJ..nera avec

l' insti tution, en 1793/ du culte de la Raison , destitué

rapidem9nt, il est vrai, par le culte de l'~tre suprême. Le

culte de Id Raison devait restituer à l'homme une dignité et

un pouvoir qui jusqu'alors incombaient à l'autorité divine.

Cette autorité sera morcelée en autant d'individus, égaux

entre eux, égaux donc en autorité. Le langage, la parole

incarnée par l'hommp., aura dorénavant préséance sur le logos,

d'inspiration divine, verbe totalisateur, transcendant une

vérité ontologique et absolue. Le savoir, devenu fragile

puisque tr1butaire du progrès, se fractionnera en disciplines

aussi nombreuses que diverses. C'est l'époque des spécialisa-

tions, de l'atomisation des savoirs et la fin d'un humanisme

d'érudits dont Victor Hu~o est sans doute l'un des derniers

grands représentants. Le concept même de li ttérature - comme

d'ailleurs celui de science - prend forme peu à peu à rartir

de la fin du XVIIe siècle. L'écrivain parle maintenant en son

nom propre. Le geste de l'écriture n'est plus une révélation

mais une quête : quête du moi, noyé dans un système po lysé-

28

1 mique où l'individualité ne prend sens qU'en regard de

l'autre, et quête d'une vérité qui n'a plus cours. Vérité

éparse, insaisissable, qui fluctue selon les forces en

présence : «La raison a tendance à se séparer d'elle-même :

chaque fois qU'elle se contemple, elle se découvre autre que

soi. ( ... ) En se confondant avec la raison, l'Occident se

condamne à être toujours autre, à se nier lui-même pour se

perpétuer. »33

D'où il ressort que l'art, comme l'histoire, s'appuie sur

un processus d'auto-négation, seul élément fondateur apte à

assurer la survie d'une certaine forme d'être. L'idée d'un

devenir historique, d'une impulsion chaque fois régénérée par

sa propre dépense énergétique, sera transposée dans le concept

hugolien de l'art comme moteur et réceptacle du progrès.

L'art, au service du peuple, se socialise, cherche à totaliser

les savoirs, devenant un chainon de la propagation des savoirs

humains. L'écrivain ne vit plus en vase clos, son oeuvre

s'ouvre sur des perspectives autres que l'absolu esthétique

(ou rhétorique) auquel elle s'adressait. Le poète hugolien

est missionnaire, prophète, «poètes puissants, têtes par Dieu

touchées», et son verbe, désormais, illuminera le peuple:

33- o. Paz, op. cit., p. 45.

1

29

«L'austère vérité n'a plus de portes closes».M Elle est en

effet répartie entre les hommes qui sont seuls juges de sa

valeur; le logos fracturé n'est plus porteur de vérité. Il

devient donc, par un renversement des données initiales, un

instrument préhensile du monde visible en quête d'une vérité

qui s'est dissoute. De là l'émergence du genre moraliste

qU'un La Rochefoucauld, au coeur d'un siècle classique qui

déjà entretient les germes de sa propre dégénérescence,

ébauchera.

34- V. Hugo, liCe siècle est grand et fortu, op. cit., pp. 805-806.

---~-~------------------------,

1

CHAPITRE III

GENÈSE DU JOURNAL INTIME

La maxime de La Rochefoucauld, en effet, en dépit de sa

visée morale, demeure néanmoins circonscrite dans les limites

du ludique, de par sa rhétorique et ses articulations verba-

les. Elle se devait d'endosser ce masque pour dénoncer les

excès mêmes du jeu social dont faisait partie ce que nous

appelons maintenant littérature, et qui n'était alors qU'un

divertissement de cours. Cela ne réduit pas pour autant la

portée morale des maximes: le lecteur cependant a toujours le

loisir d'interrompre le jeu aussi facilement qu'il l'a

commencé. La maxime de La Rochefoucauld est une démonstration

de savoir-faire à laquelle on applaudit sans gémir. C'est, de

manière toute abstraite, la société qui y est mise en scène :

l'individu n'en a pas encore disloqué la charpente.

Mais plus encore que chez La Rochefoucauld, c'est chez La

Bruyère qu'il faut chercher les germes d'une préhension

réaliste du monde qui annonce l'émergence d'une pensée

scientifique. Alors que «le système des Maximes ( •.. ) conduit

32

1 encore â l'abstraction»ll, les Caractères de La Bruyère

participent de cette entreprise taxinomique qu'élaborera le

siècle suivant. si les Caractères ne visent pas à une

classification exhaustive, ils n'en forment pas moins une

liste qui décline d'une façop toute subjective l'éventail des

moeurs d'une société. La rhétorique abstraite de La

Rochefoucauld fait place ici â un «système descriptif», sorte

d'histoire naturelle des moeurs où «la permutabilité interne

des éléments ( ... ), l'infinité de leur succession mettent bien

en danger le présupposé fondamental de l'oeuvre classique.»~

C'est ce qui permet â Van Delft de dire, plus simplement, que

le livre de La Bruyère est «toujours en train de se faire.»17

Toute sa vie en effet, en font foi les huit éditions succes-

sives établies de son vivant, La Bruyère corrigera et surtout,

à la manière d'un Montaigne, augmentera son volume. La

structure des Caractères, entièrement articulée sur un nombre

aléatoire de détails formant autant de portraits, permettait,

voire exigeait qu'un tel travail repousse chaque fois le terme

de l'écriture. De ce traj et, qui «brosse de la société un

35- L. Van Delft, La Bruyère moraliste. Quatre études sur les Caractères, Genève, Droz, 1971, p. 76.

36- P. Hamon, op. cit., p. 54.

37- L. Van Delft, op. cit., p. 17.

33

1 tableau purement impressionniste»38 et s' inscrit dans une

praxis du regard, est exclue toute temporalité : à une époque

où le «moi est haïssable», la rhétorique du moi qU'avait

développée Montaigne devient une rhétorique de l'observation,

d'un regard circulaire et centrifuge.

Il suff i t de sauter par-dessus la Révolution et de

rejoindre, en traversant les tumultes sociaux et la décol-

lat ion symbolique d'un dieu unique dont Louis XVI sera le bouc

émissaire, les Carnets de Joseph Joubert (1754 -1824) pour

mesurer tout le changement qui s'est imposé à l' homme et

qu'annonçait La Bruyère. La visée moralistique se détourne

définitivement de l'abstraction stylistique que régissaient

les normes du jeu social. L'homme du XVIIe siècle, délivré

des contraintes d'une autorité morale absolue et transcenden-

talement fondée, se voyait forcé à s'inventer un rôle qU'on ne

lui attribuait plus : tourné vers lui-même, il cherchait un

individu. L'homme du XIXe siècle a cultivé sa déréliction, a

compris ce qU'était un individu : c'est un homme dorénavant

qu' i l cherche. Il s'observe. Il se cherche un centre de

gravité, un pojnt fixe, en ces temps troublés, propulsés vers

l'avant. «Révolutionnaire, il cherche un repos dans la

38- Ibid., p. 54.

1

34

négation. »39 L' homme de l'après-Révolution est, en effet,

révolutionnaire, c'est-à-dire qu'il suit le mouvement de son

siècle en une série de révolutions (de rotations) sur l'axe

instable qU'était son être et qui n'est plus, désormais, qU'un

être virtuel en perpétuel retour sur soi, le porteur d'une

pensée égarée dans le labyrinthe de l'ipse qui est une autre

image du néant. Voilà bien ce qui permet à un Blanchot de

voir en Joubert «une première version de Mallarmé».

Chez Montaigne déjà, nous retrouvions ce changement

perpétuel, cette «branloire perenne»40 dont les Essais sont un

miroir mouvant, à cette différence près que les Essais ne

constituent pas une quête. Une quête exige une trajectoire,

une visée implicite. Or la visée de Montaigne se retrouve

dans le mouvement même du regard qu'il pose, dans la peinture

qu'il esquisse de sa propre personne. Beaucoup plus qU'une

confession (l'art de la confession n'apparaîtra que deux

siècles plus tard, avec le bonheur que l'on sait), l'entre-

prise de Montaigne en est une de contemplation.

39- M. Blanchot, «Joubert et l'espace» in Le livre ~ venir, Paris, Gallimard, coll. «IdéeslI, 1959, p. 90.

40- Montaigne, Essais, Paris, Gallimard, coll. «La Pléiade», 1937, p. 779.

35

1 De Montaigne à La Bruyère et jusqu'à Joubert, le cadre de

l'écriture reste cependant le même. Les Essais, comme les

Caractères et les Cahiers, sont des oeuvres inachevées dont le

terme ne pouvait coïncider qU'avec la mort de l'auteur.

L'écrivain, pour absent qu'il puisse paraître dans les

Caractères, n'en demeure pas moins le principal ciment du

livre. si le temps n'apparaît pas encore comme moteur de

l'oeuvre, c'est qu'il ne conditionne pas l'écriture qui

fonctionne par juxtaposition plutôt que par fidélité au

calendrier. Les fragments de Montaigne sont autant de

promenades dans un espace choisi au hasard de la pensée, comme

le seront les Rêveries de Rousseau. Le moi de Montaigne,

honni au XVII" siècle, reprendra une place essentielle au

XVIIIe siècle, sous une forme inédite et le temps, ayant fini

de se juxtaposer, commencera à se succéder à lui-même, à se

fragmenter en autant de jours, condition première du journal

intime. Et comme les jours, les moi se succéderont dans la

vaste fourmilière sociale.

C'est donc dans cet esprit de désillusion et de désenga-

gement spirituel entrepris au XIXC siècle que prirent nais-

sance les divers mouvements artistiques qui se fragmenteront

en autant d'épiphénomènes en une fin de siècle aussi éparse

1

36

qu'idéologiquement instable. C'est ainsi que pierre pachet-l l ,

de même qU'ailleurs Alain Girard-l2, situe l'apparition du

journal intime, dans ses premières manifestations génériques,

à la fin du XVIIIe siècle avec, entre autres, Maine de Biran,

Benjamin Constant et Joubert. puisqu' il n'existe pas à

proprement parler de canons spécifiques pour circonscrire le

champ du journal intime, pachet se rabat sur la notion de

l'intime et définit le journal intime comme un «instrument de

perfectionnement moral» ou encore, hésitant lui -même à en

restreindre le champ, risque un peu plus loin une définition

qui a le mérite de joindre les deux concepts de temporalité

et d'intimité.

( ••• ) un journal intime est un écrit dans lequel quelqu'un manifeste un souci quotidien de son âme, considère que le salut ou l'amélioration de son âme se fait au jour le jour, est soumis à la succession, à la répétition des jours, source de permanence et de variation. Il

Cette définition se situe exactement à mi-chemin de la

conception que nous propose d'une part Béatrice Didier dans

41- P. Pachet, Les baromètres de l'âme. Naissance du journal int~me, Hatier, Paris, coll. ((Brèves ll , 1990, 140 p.

42- A. Girard, op. cit.

43- P. Pachet, op. cit., p. 13.

1

37

son étude sur le journal~, pour qui l'essence d'un journal

réside dans son caractère diarique, quotidien, dans ses

rapports avec les fluctuations du moi et avec, d'autre part,

celle d'Alain Girard, pour qui la stratégie du journal importe

plus que les modalités qui lui donnent naissance et qui

préfère mettre l'accent sur l'intériorité.

C'est que le journal intime, considéré comme un genre,

est tributaire, de par le caractère évidemment narcissique et

individuel du geste de cette écriture, des mouvements extra-

littéraires qui animent l'histoire. Il est dès lors difficile

d'en saisir l'essence en le situant dans un absolu esthéti-

que : d'un commun accord, on refuse d'y voir une oeuvre pour

n'y voir qU'un miroir, un moi hypertrophié dans les dédales

d'une écriture vouée à la peinture de ce moi. Le journal, en

ce sens, est à peine un genre, tout juste une littérature. si

on l'examine danG les parages de l'oeuvre d'un écrivain, comme

nous le faisons ici pour Renard, il apparaît comme un

accident, parallèle à l'oeuvre, indissociable de celle-ci dans

son trajet qui est l'écriture, en même temps que détaché de

l'homme, «comme une eau qui ne voudrait pas refléter.»4s

44- B. Didier, Le journal intime, Paris, PUF, coll. nSUPII, 1976, 205 p.

45- Journal, 12 octobre 1900.

1

38

Considéré dans un cercle plus restreint, chez Amiel par

exemple, qui n'eut d'oeuvre que son Journal, il sort des

limites de la littérature pour entrer dans un autre domaine,

plus étroit, mais dont les ouvertures sont innombrables. Le

journal intime d'Amiel nous intéresse à Amiel, il n'a pour

visée que sa propre personne; sa dynamique est celle dl un

retour sur soi.

Dans cette perspective, son journal n'est, somme toute,

qU'une biographie morcelée, sculptée à même le temps, comme

autant de versions d'une âme qui aura4t établi un pacte avec

le calendrier. Le journal d'un écrivain - de Pavese, de Gide,

de Peter Handke - parce qu'il existe en marge ou en fonction

de l'oeuvre, ne prend sens qU'en regard de cette oeuvre, est

déterminé par elle. Ainsi le Journal de Kafka, parce qU'à

plusieurs égards il se confond avec l'oeuvre, ou encore parce

qu'il est traversé par elle et en devient l'écho, devient-il

l'itinéraire tragique d'un écrivain aux prises avec la

nécessité d'écrire, voire l'impossibilité de ne rien écrire,

qui lui permet justement de constater, à la fin d'une jour-

née «Rien écrit»46 et encore plus loin «Terrible. Rien

46- F. Kafka, Journal, Paris, Grasset, coll. ccBiblioll, 1954, 1" juin 1912.

(

(

39

écrit aujourd'hui. Pas le temps demain.»n Ces affirmations

trahissent le drame d'un écrivain. Celui-là qui rédige un

journal pour se confesser, pour qui l' écr i ture quotidienne est

une revue de ses états d'âme, celui-là n'engage pas sa vie:

il tient un bulletin météorologique de sa psyché où se mêlent

variations, bilans et prévisions. Kafka y verrait plutôt une

«forme de la prière»48 (Renard : «Ces notes sont ma prière

quotidienne»41J), une rédemption de l'écriture par l'écriture

qui donne une forme à la douleur, lui donne un sens et une

chair. À travers l'homme, c'est l'écrivain qui est mis en

causei le spectacle qui s'y déploie n'est plus celui de la

psyché mais celui de l'écriture.

On le voit, la conception du journal intime, tel qu'il

est perçu et défini par la plupart des critiques, de Girard à

Pachet, s'inspirf'. d'une vision rousseauiste de l'écriture

intime, conception revue et corrigée par Freud et ses

épigones. Le journal est perçu principalement comme un miroir

de l'âme où se reflètent les pensées de l'écrivain. Analyses

psychologiques, psychocritiques et psychanalytiques se

47- Ibid., 7 juin 1912.

48- Cité par M. Blanchot in La part du feu, Paris, Gallimard, 1949, p. 26.

49- Journal, 12 septembre 1906.

1

J

40

succèdent et tendent à définir l'homme par-delà l'écrivain.

Notre but, on l'aura deviné, est tout autre : car c'est bien

l'écrivain qui nous intéresse, a fortiori dans le cas de

Renard, l'écrivain noué, «l'homme ligoté» selon le terme de

Sartre, crispé jusque dans son Journal, c'est-à-dire dans un

cadre qui définit ses propres règles en les niant, qui

n'accepte que le temps comme principe fondateur. Le journal

considéré non comme une expansion ou une dilatation du moi,

mais comme «une manière commode d'échapper au silence, comme

à ce qu'il y a d'extrême dans la parole.»w

50- M. Blanchot, Le livre à venir, op. cie., p. 254.

CHAPITRE IV

, '. ,

L'ÉCRIVAIN ET LE JOURNAL

Ceux qui ne savent pas dire ou répugnent à dire des choses vagues sont souvent muets

et toujours malheureux.

Valéry, Instants.

Je ne compte pas mes qualités ou mes défauts : je compte des vérités. Je voudrais les dire.

Renard, Journal, 31 janvier 1898.

L'édition presque systématique de journaux posthumes de

grands écrivains commence au XIXe siècle. Joubert d'abord,

dont un Recueil de pensées est publ ié par Chateaubr iand en

1838; des fragments du Journal de Maine de Biran sont publiés

en 1845 de même que le Journal de Benjamin Constant en 1812 et

1813. Il va sans dire que ces publications ajoutent une autre

dimension au phénomène des journaux qui s'en trouve ainsi

légitimisé. Au geste morcelé de l'écriture se greffe

désormais celui de la lecture, plus vaste et unificateur. La

conception et l'approche du journal s'en trouveront changées

• 43

dès l'instant où celui-ci devient plus qU'un pacte qui lie

l'écrivain au calendrier, une inscription dans le temps, comme

si le bavardage du journal, maintenant cautionné par une

lecture, accédait au titre plus justifié de littérature.

Alors que le journal de Montaigne, parce que l'inlassable

redondance des jours, en abolissant le passage du temps,

invalide sa nomination et sa scansion, est inconcevable, le

Journal des Goncourt, qui est en fait une chronique, n'est

possible qU'au Xlr siècle, époque où le «journalisme devint

(sic) ( ... ) un phénomène massif avec lequel la littérature

doit compter. »51 Il participe en cela de la canonisation du

reportage en tant que mode journalistique qui allait faire de

l'intime un domaine public. Le Journal des Goncourt, dont le

premier volume parait en 1887 - année où Renard entreprend son

propre Journal-, est l'un des premiers journaux intimes à

paraltre avec l'assentiment de l'auteur. Jules Goncourt étant

mort en 1875, c'est Edmond qui prend charge et responsabilité

du Journal.

Il faut noter que cette époque marque l'essor du journa-

lisrne. Les écrivains y feront souvent leurs débuts ou, plus

prosaïquement, y gagneront leur pain quotidien. Le feuilleton

51- M. Fumaroli, l,La modernité du journalll in Magazine littéraire, n° 269 (septembre 1989), p. 28.

1

44

était consacré depuis quelque temps avec, notamment, Les

misérables, et ce n'est qU'en fin de XIX' siècle, au moment où

un fossé de plus en plus grand sépara les écrivains du grand

public, qU'un mépris de la presse - mépris des grands tirages

et des lectures éphémères caractéristique des cénacles

symbolistes - chassera peu à peu les écrivains du journalisme.

Renard, pour sa part, aura contribué aux journaux toute sa vie

en donnant ses petits textes à un nombre considérable de

revues et de journaux. Ce mode de publication, periOdique, de

textes brefs et souvent circonstanciels, qui n'est pas sans

présenter de multiples coïncidences avec le journal intime,

convenait à merveille à l'esprit et au style de Renard: «Ah!

que j'écrirais de belles choses dans un journal qui n'aurait

pas un lecteur!»n La parenté des deux vocables - journal et

journal, newspaper et diary - n'est d'ailleurs pas innocente.

C'est là que la distinction entre diariste et intimiste

devient essentielle puisque en effet, est diariste celui qui

écrit au fil des jours, condition que n'est pas tenu de

respecter l'intimiste : «Écrire au j our le jour, mais pas

forcément tous les jours»53 écrit Renard. Le journal n'est

pas seulement ici un confesseur ou un directeur de conscience.

Il serait plutôt une horloge intérieure, quelque chose comme

52- Journal, 24 novembre 1908.

53- Ibid., 19 avril 1909.

1

45

un sablier qu'il faudrait retourner régulièrement de façon à

assurer l'écoulement du temps pour en vérifier et en palper le

passage. L'intimiste y verrait plutôt un ami dont la

"conversation" est un baume salutaire. Il s'agit la plupart

du temps, pour l'intimiste comme pour le diariste, d'individus

qui ressentent avec force le besoin de s'isoler et de

réintégrer leur coquille. Mais tandis que le soliloque de

l'intimiste a pour objet sa propre personne - le journal

étant ici un point de rencontre où l'objet devient sujet - le

diariste ne parle pas nécessairement de lui-même le

calendrier est sa seule loi et l'introspection peut y jouer un

rôle négligeable, accidentel et comme voilé par l'événement.

Exemplaires sont à ce titre les Choses vues de Hugo,

suite de reportages assujettis à l'événement où le regard

prend toute la place et où Hugo tâchait d'être «aussi imper-

sonnel que possible.»54 Nous y retrouvons les traces du

regard centrifuge de La Bruyère, regard ici purement

photographique d'où serait exclue t.oute visée morale.

L'entreprise taxinomique d'un Hugo diffère de celle de La

Bruyère en ceci qU'elle tente d'abolir l'arbitraire du regard

54- V. Hugo, Choses vues (1830-1846), Paris, Gallimard, coll. uFoliop, 1972, p. 354.

46

1 au moyen d'une sorte d'abnégation du moi. L'écrivain n'est

plus juge : il est témoin, reporter d'un monde sensible nivelé

par sa réduction mécaniste. Aussi Hugo s' emploie-t- il à

peindre les choses là oü La Bruyère tentait de peindre les

hommes. lIn' y a pas que les modes d'observation qui

changent le centre focal même est dévié. Puisque c'est

l'histoire, désormais, qui fait l'homme, le règne des choses

apparaît. «Je subis les "choses vues", mais ne les reaherche

pas»" notait Renard. Au reporter â l'affüt, Renard opposera

tou j ours le chasseur d'images : «Les yeux servent de filets où

les images s'emprisonnent d'elles-mémes.»~

Pour un temps, la tâche du journaliste-reporter allait se

superposer à celle de l'écrivain pendant que celui-ci

découvrait le monde et nous en offrait des parcelles figées

(Flaubert, Zola), celui-là découpait le monde et nous

l'Offrait, périodiquement, en tranches d'actualité et de faits

divers. L'histoire ainsi découpée quotidiennement perdit,

pour ainsi dire, le vecteur cinétique qui l'animait et

n'exista plus qu'en modes successifs.

55- Journal, 1"' novembre 1896.

56- J. Rena~d, Histoires naturelles, Paria, Garnier-Flammarion, coll. "GFK, 1967, p. 27.

1

1

47

À l'échelle de l'homme, - â l'échelle d'un homme, l'écri­

vain, celui qui accepte le joug et le fardeau périodique du

journal -, le flot temporel fragmenté, itératif, sera circons­

crit dans les limites du moi. Le temps historique d'un homme

s'adosse à l'Histoire et c'est là le centre qui lui permet de

construire des points de fuite. Pour l'intimiste, l'histoire

du journal est un microcosme de l'Histoire qu'il plagie en la

ramenant à ses propres dimensions; il devient en quelque sorte

reporter de sa vie intérieure et des événements qui la

façonnent. Le temps s'inscrit en filigrane dans les notations

du journal et ce temps fragmenté correspond à des repères,

comme les bornes aléatoires qui découpent de larges pans

d'histoire par une série de dates pivots.

Ce type de journal est en fait un récit, une sorte

d'autobiographie prise sur le vif dont le temps est le

principal élément moteur. L'intimiste se retourne souvent sur

les pages qu'il a laissées derrière lui, regarde par-dessus

son épaule pour s'instruire des morceaux qu'il a détachés de

lui-même et qui survivent, intacts. Cette lecture, cependant,

s'effectue dans un autre temps qui est fait de métamorphoses

accumulées. L'écrivain s'y retrouve toujours loin de lui-

même. Il ne s'observe pas que dans l'instant: il s'observe

dans le déroulement du temps auquel il se plie en maugréant.

)

48

Amiel, qui a laissé 17,000 pages manuscrites de son Journal

(il s'en étonnait, s'en désolait, et une bonne partie de son

journal est constituée de cette amertume, bel exemple d'une

littérature qui se construit en dépit d'elle-même), se plaint

que «cela n'a point de valeur, cela ne laisse aucune trace.»~7

Ces moments d'amertume sont le lot de tous les journaux

l'âme humaine est constante dans la multiplicité de ses états.

Les journaux intimes n'échappent pas à cette statistique, a

fortiori les journaux d'intimistes puisque ce sont précisément

ces moments qui les intéressent. Amiel perçoit le journal

d'une âme comme «la stratification de ses progrès, le relevé

des ses acquisitions et la marche de sa destinée»\~, sorte de

"dictionnaire de moi-même" à consulter de temps en temps pour

éprouver le passage du temps et peut-être même en sentir le

poids; le journal serait ainsi une façon de donner une chair

aux années, de saisir les heures à travers sa propre con-

science pour ainsi conserver des traces des états d'âme

passés, que l'on consulte plus tard et que l'on retrouve

allégés par le fossé qui s'est creusé avec le temps. L'inti-

miste contemple son âme d'il Y a dix ans et commente ses

commentaires d'alors. C'est un repère à la fois stable et

57- H.-F. Anliel, Du journal intime, Bruxelles, éditions Complexe, 1987, p. lOS, (27 août 1878).

58- Ibid., p. 103 (16 juillet 1876).

49

changeant, le même et l'autre, une al tér i té constante qui

permet chaque fois la réécriture: «L'avantage précieux de ce

journal, c'est de favoriser la continuité de la conscience.»H

Le récit du journal réside dans les milliers d'instantanés de

la conscience qui se superposent à l' inf ini et tissent la

trame d'une vie.

Le journal d'un intimiste est rarement le journal d'un

écrivain, Amiel en est la démonstration in extenso. L'inti-

miste n'a pour souci d'écriture que la recherche d'une vérité

de l'être (de soi) dont la quête se traduit parfois par une

logorrhée verbale, recherche d'une vérité toujours par- devers

soi et non immanente au verbe. Le journal intime est ainsi

l'espace privilégié de la quête et de l'incertitude par sa

forme même qui est vagabondage, hésitation et réitération.

Hors de l'Histoire qu'il prolonge néanmoins par une sorte de

mimétisme dont le temps serait l'élément essentiel, il se

constitue en tant qU'ensemble cohérent au fil de son énon-

ciation. La règle de cette unité est la redondance et sa

seule ouverture, le commentaire: commentaire sur soi, sur ses

lectures, ses rencontres, etc. Le journal est un éternel

bavardage et nous apparaît en cela symptomatique de la

59- Ibid., p. 94 (5 janvier 1850).

r 50

1 réapparition, au XIX~ siècle, d'une tradition critique

parali ttéra ire devenue, au xxe siècle, férocement méta tex-

tuelle. Stoiner60 montre bien comment l'indétermination du

sens est à l'origine d'un cercle de commentaires s'engendrant

l'un l'autre à l'infini et formant ainsi une sorte de

pathologie de la pérennité perpétuée par parasite interposé,

oü le sens premier finit par succomber sous le poids de ses

intercesseurs. Nous vient alors l'image d'un jeu qU'enfants

nous nommions le «téléphone arabe». Un groupe d'enfants se

réunit en cercle. À un endroit déterminé du cerc le, l'un

d'eux chuchote une phrase simple, presque toujours une

assertion (le directeur a des oreilles d'éléphant) que le

voisin doit répéter à l'oreille de son propre voisin, ainsi de

suite jusqU'à ce que la phrase ait effectué un tour complet.

Les variations phoniques et sémantiques, souhaitées et SOUVI' "lt

même provoquées, composaient une nouvelle assertion, indépen-

dante de la première, dont les résonan~es étaient accueillies

par un grand éclat de rire. La première assertion, essen-

tielle au succès du jeu, disparaissait alors sous sa

contrepartie réfractée et le discours même s'en trouvait à nos

yeux problématisé, débarrassé de la dictature du sens.

60- G. Steiner, op. cie.

51

Ainsi en va-t-il du journal de l'intimiste qui se

préoccupe moins du sens que du rapport qu'il parvient à

établir entre son moi et l'écriture, entre lui et les jours.

Le moi ainsi réitéré à l'infini, chaque fois écrasé par une

nouvelle strate lexicale, devient de moins en moins lisible.

Chacun des commentaires qui s'y greffe le mine en l'effaçant

et en le si tuant dans une abstraction rhétorique. Le moi

n'est plus alors qU'une convention littéraire, évidemment

essentielle au journal qui s'écrit, mais cependant dilué en

même temps qU'abstrait par cette même convention qui désormais

le définit.

Le diariste n'échappe pas complètement à cette loi. Il

s'en libère pourtant lorsqu'il parvient à contourner son moi

en empruntant des chemins détournés, une oeuvre par exemple,

fOt-elle un journal. Il va de soi qu'il ne saurait y avoir

de distinction très nette entre un diariste et un intimiste.

Ce sont Jà deux pentes non exclusives - plutôt que deux types

de journaliers - que le journal intime, forme ouverte par

excellence, regroupe sous sa seule loi qU'est l'écriture

quotidienne. Ces pentes sont cependant divergentes à maints

égards dans la mesure où l'intimiste qui s'observe dans le

temps amorce une plongée â l'intérieur de lui-même, plongée en

profondeur qui n'a nul besoin de la scansion quotidienne.

~( ..

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1

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• ..il

52

C'est même plutôt le contraire qui serait vrai le présent

absolu que tente de saisir la notation du journal n'est plus

à l'intersection du passé et de l'avenir. Il est comme hors

du temps, en est libéré par l'identité qu'il établit entre les

autres notations et par l'acte même qui est à peine une

plongée, tout juste un retour familier au rituel. La plongée

quotidienne et intérieure constitue, pour l'intimiste, un

retour aux sources, recherche d'un moi essentiel qU'élude le

passage du temps. Le rituel du journal est un acte sacré :

l'écriture est sa prière. C'est bien le «Temps ontologique»

dont parle Mircea Eliade «toujours égal à lui-même, il ne

change ni ne s'épuise. »61

On peut noter cette différence qui nous apparaît essen-

tielle, la seule peut-être qu'il nous soit possible

d'esquisser et qui nous permettrait d'établir une distinction

sensible entre le diariste et l'intimiste: le diariste n'a

pas de rituel. Son journal est souvent irrégulier et

correspondrait plutôt à une urgence d'écrire, un besoin

incontrôlable et continu de faire exister des parties de son

monde à travers une forme lexicale. Il n'est pas soumis au

61- M. Eliade, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, colL «Folio/EssaisN, 1957, p. 64.

-

.. )

53

temps, il est soumis aux choses, au temps des choses - qui est

immobile -, à ce besoin qU'elles ont d'exister.

D'autres écrivains, parce qu'ils «n'ont rien à se

dire»~, n'élaboreront pas de journal. Flaubert, en ce sens,

est un cas particulier. S'il n'a rien à se dire, il sent

néanmoins le besoin de briser le cadre trop serré de son

écr i ture en s'abîmant dans une correspondance effrénée où

l'écrivain, méconnaissable, donne du lest sans jamais quitter

cependant l'oeuvre qui l'accompagne et qui lui est contiguë.

Ces cas sont rarissimes. Arrive toujours un moment où

l'écrivain, serait-il le ciseleur le plus minutieux, débordera

les limites de la littérature et écrira dans cette zone

neutre. Mallarmé remplit le blanc des enveloppes et fait des

mignardises : il faut bien se reposer entre le Tout et le

Néant. Mais ces débordements épousent toujours l'esprit de

l'oeuvre, ne s'en détachent jamais tout à fait. La trahison

ne se produit pas. Le bavardage ne peut pas être une négation

de l'oeuvre. Il peut parfois s'y substituer (on peut, comme

canetti~, penser que le plus important, chez Pavese, reste

62- E. canetti, La conscience des mots, Paris, Albin Michel, coll. «Blblio Essais», 1976, p. 71.

63- Ibid., p. 72 •

1

54

son Journal), s'y mêler au point où il devient difficile de le

distinguer de l'oeuvre (peut-on, dans l'oeuvre d'un Jul ien

Gracq, opérer une césure entre les récits d'une part et les

Lettrines et En lisdnt en écrivant de l'autre?) ou même

s'insérer dans l'oeuvre (les romans de Kundera); le bavardage

reste une façon d'échapper au silence. Il arrive même, c'est

là ce qui nous lie à Renard, que le journal soit plus précisé-

ment l'espace qui donne corps au silence et qui, plutôt que

d'y échapper, s'y abandonne et se substitue à l'oeuvre.

Une oeuvre, dans l'espace qU'elle construit et qui lui

est consubstantiel - parce qU'elle offre son mensonge comme

une tentative de saisir la vérité -, si elle est «le règne

fascinant de l'absence du temps»64, permet la saisie par

l'écrivain d'une surface dilatée de son moi, indépendante

d'une temporalité circonstancielle. Le livre est une chose

préméditée, volontaire, ce que n'est pas le journal. Le temps

de l'oeuvre est dès lors harmonique: dans l'accord initial

résonne déjà la cadence finale. La présence de l'écrivain y

est partout étale, conséquence du pacte qu'il a signé avec

l'oeuvre - avec le monde souterrain de la fiction. Cette

présence fictive s'avère être plus réelle que la présence en

64- M. Blanchot, L'espace littéraire, Paris, Gallimard, coll. _Idées», 1955, p. 22.

1

55

creux du journalier. Valéry nous disait que «le vrai à l'état

pur est plus faux que le faux.»e Le journal d'un intimiste,

constamment tourné vers cet idéal de vérité semble s'acharner

à en faire la démonstration.

Le journal de Pavese est probablement le cas ultime d'un

bavardage tourné tout uniment vers son but ultime qui est le

silence. Intimiste, Pavese l'est par certaines confidences,

assez rares cependant et traversées de bout en bout par des

analyses froidement lucides et d'un pathétisme contenu.

caractéristiques également de la contiguïté du moi et du

journal sont les multiples apostrophes que s'adresse Pavese.

Des notes qui s'amorcent par «Ton malheur particulier ( ... )>>,

«Tu parles toujours ( .. )>> trahissent une forme d'absence du

moi, comme si l'écrivain occupait l'espace du journal et

reléguait le moi dans un ailleurs étranger à l'oeuvre, espace

du quotidien, singulièrement absent du Métier de vivre. C'est

bien pourtant un journal que rédige Pavese, mais un journal

presque synchronique, où les rares moments d'introspection

relèvent plus de l'auto-accusation que du regard narcissique

de l'intimiste. Cela ressemblerait plutôt au procès-verbal

d'une conscience qui, voyant se pointer à l'horizon le degré

65- P. Valéry, ccNote et digressions Il in Oeuvres, tome l, Paris, Gallimard, coll. «La Pléiade», 1957, p. 1203.

. '

t

i

56

de saturation imminent, s'autodétruirait tranquillement de

façon à contempler sa mort prochaine. Le Métier de vivre

serait une longue expérience de la mort à travers le silence

qU'accueille volontiers l'écriture diarique.

Il faut avouer que tu as pensé et écrit beaucoup de banalités dans ton petit journal de ces derniers mois.

Je l'avoue, mais y a-t-il quelque chose de plus banal que la mort?~

Le journal serait donc une zone inerte qui accueillerait

l'inlassable répétition des jours en une tentative ultime

d'arrêter le temps, les banalités dont parle Pavese n'étant

qU'un autre visage de la mort, encore plus terrifiant peut-

être et que l'on tente de conjurer par un acte de nomination

[incantation]. Lorsque Renard affirme: «Il faut gémir, mais

en cadence»~, il évoque à la fois l'autorité du style sa

foi dans la "vérité lexicale" - et la marche funèbre dont le

Journal serait le cortège «J'aurai connu longtemps le

plaisir de m'éteindre.»~

66- C. Pavese, Le métier de vivre, Paris, Gal11mard, coll. «Folio», 1958, 25 février 1938.

67- Journal, 25 décembre 1896.

68- Ibid., 18 juin 1906 •

l

57

L'atemporalité de certains journaux nous vient justement

de ce qu'ils s'attachent aux banalités, en ce qU'elles ont de

réconfortant et de terrifiant. Le lot des journaux est

l'insignifiance. Le Journal est un oubli perpétuel: c'est

bien la raison pour laquelle l'écrivain se relit. Reporter de

lui-même, journaliste de sa psyché, l'intimiste voit son

histoire se pétrifier à travers la périodicité qu'il s'impose,

qui place, entre lui et son journal, un écran, le leurre d'une

proximite dans le temps, trop grande en réalité pour dénouer

le regard qui s'aveugle lui-même en tentant de s'éclairer. Le

journal, corome le newspaper, n'est pas une somme: il est une

division. Glissons rapidement sur la question, à notre avis

oiseuse, du destinataire auquel s'adresserait le journalier:

l' écr i va in est toujours son premier lecteur, de même que

l'écriture est déjà, implicitement, une lecture. Ce double

mouvement est patent chez Renard qui voudrait «laisser chaque

chose inachevée afin de pouvoir la recopier, plus tard, avec

intérêt et goüt. »69 Son Journal se présente ainsi comme le

lieu possible de l'incomplétude à laquelle il aspire et que le

fragment désigne. L'écriture n'y est jamais un terme. Elle

se soustrait au temps au moment même où elle s'y inscrit.

C'est donc un geste toujours en suspens, une velléité

69- Ibid., 16 décembre 1893.

1

58

d'écriture rebelle à l'inscription qui préfère la virtualité

du mouvement, quitte à en être confinée au silence. Mais

comme le silence n'existe pas ontologiquement, qu'il lui faut

s'opposer à l' écri ture pour prendre forme et sens, Renard

choisira de le courtiser, d'en approcher les contours à

travers «un style blanc»10, une écriture qui contient le

silence, qui l'invoque et s'y soumet.

Pour Amiel, qui est un journalier avant d'être un

écrivain, le problème de l'écriture ne se pose qu'en fonction

du journal. C'est un problème de sincérité et non de vérité.

Quant à Pavese, plus diariste qu'intimiste, il ne cesse de se

relire et ses notes sont truffées de renvois, si bien que de

date en date, on peut suivre les divers états de sa pensée,

lesquels se consument souvent en palinodies ll• Renard : «De

me relire, c'est me suicider.» 7l La relecture devient un

recours ultime pour échapper à l'oubli où se cantonnaient les

notations du journal, recours voué à l'échec puisque la

70- Ibid., r' août 1890.

71- C'est là la pr~nc~pale différence entre Journal et Carnets: ces derniers n'étant pas datés, ce ne sont à proprement parler que des notes existant en parfa~te synchronie et indépendantes du temps. Elles sont, la plupart du temps - dans les Carnets de Camus par exemple -, identifiables à l'oeuvl'e avec laquelle elles eXistent en état d'interdépendance. C'est un soliloque qUl éclalre la pensée et lUi donne forme. Elles nous parlent de l'oeuvre, parfois de l'écrivain, Jamais de l'homme derrière l'écrivaln.

72- Journal, 28 novembre 1898.

59

relecture se dissout en une réécriture qui ne s'inscrit pas ou

qui, comme les ajouts et palinodies de Pavese, s'abolit. si

le Journal marque bien, comme l'affirme Blanchot, «que celui

qui écrit n'est déjà plus capable d'appartenir au temps par la

fermeté ordinaire de l'action»?3, cela ferait du journalier un

être étranger au monde, étranger à lui-même, toujours en

dehors de l'écriture qui le ramène sans cesse à son exil. Le

journal serait ainsi une façon d'apprivoiser l'exil, de s'y

ér iger un doma ine en dehors de l'oeuvre. L' écr i ture ad

libitum du journal permet non seulement de pallier à la

mémoire, qui est exil de soi, elle permet également de s'y

confondre, d'instaurer au sein de l'acte d'écritu~e une

nécessalre amnésie où l'effacement devient la condition

essentielle du scriptible.

Dans cette perspective, le journal rassemblerait les

états premiers de la conscience, notés en vrac puis oubliés,

qui s'inscriven~ en porte-à-faux vis-à-vis de l'oeuvre.

L'écrivaln qui nage entre deux eaux se rabat sur son journal

qui lui apparaît inoffensif et salutaire. Il se défait d'un

trop-plein d'écriture ou d'impressions fugitives auxquelles il

s'empresse de donner une forme lexicale. N'est réel pour lui

73- M. Blanchot, L'espace littéraire, op. cie., p. 21.

1

60

que ce qui s'écrit: sa conscience ne prend forme qu'à travers

une médiation et ce trajet, de la mémoire au blanc de la page,

est à l'image d'une descente orphique. La coexistence d'une

série envahissante de perceptions ou d'impressions au sein de

la conscience - ce que Derrida appelle des signauxN - menace

de surcharge l'espace intérieur de l'écrivain. Ces signaux

subissent une métamorphose : ils deviennent des traces. La

trace devient ainsi une conscience effacée, toujours présente

dans une simultanéité d'absences répétées. En termes plus

simples, tout se passe comme si l'espace intérieur de la

psyché, préexistant à la conscience, se remplissait peu à peu

de perceptions qu'il accumule indéfiniment grâce à sa faculté

d'oublier et de reléguer l'abondance de ces signaux au

tréfonds de sa mémoire. Les milliers de perceptions diverses

se superposent et sont abandonnées avant même d'avoir laissé

une trace perceptible à la surface de l'espace: «Ceci est un

cahier d'avortements»~ disait Renard, comme si le journal ne

servait qu'à retracer ces traces et que cette inscription dans

l'oubli -dans le journal- constituait en soi un acte d'écri-

ture.

74- J. Derrida, L'écriture ou la différence, Paris, Seud, coll. «Points», 1967, 436 p.

75- Journal, 1er décembre 1906.

61

1 L'image de l'avortement est ici tributaire d'une

intuition qui s'inspire de la mort: «la mort (n') est (que)

représentation. ),"1) Livrée à elle-même, la trace est écriture

inerte. Il lui faut une mécanique, un mouvement qui s'inverse

pour ressusciter la trace. Le geste qui projette la trace

occultée vers la surface toujours vierge du journal sera ce

mouvement qui anime la mort, mouvement qui correspond au

pér iple ct' orphée remontant des Enfers, Eurydice étant une

représentation morte, une représentation de la mort. Regarder

Eurydice, c'est contempler sa mort.

Or l'écrivain ne regarde pas la mort: il l'extrait de sa

propre substance et lui donne corps, qui devient oeuvre. La

mort inerte n'a rien à lui enseigner; elle n'ajoute rien à ce

qu'il est. Il lui faut faire l'expérience de cette mort, lui

donner un souffle. Il lui faut lui donner l'expérience de

l'écriture, ce que seront Les cahiers de Malte pour Rilke.

Ce voyage au royaume des morts était nécessaire, comme

est nécessaire l'effacement. L'effacement est un temps qui

fait naître l'espace perméable. Ce n'est qU'à partir d'inter-

actions entre les couches que seront suscités les conflits,

76- J. Derrida, op. cit., p. 336.

1

..,...

62

rapports du moi avec le monde et avec lui-même. Et puisque la

mort d'Eurydice est à l'origine de l'écriture orphique, nous

devons considérer la mort comme l'origine de l'écriture,

l'effacement comme origine de la mort.

Certains écrivains ont réussl à échapper au piège du

journal, à s'y engouffrer sans fermer la porte. Car le

journal est sans issue. Celui qui n'ose se conformer à sa loi

n'est pas un journalier. Handke ne tlent pas de journal. Le

poids du monde en présente pourtant toutes les apparences

(L'histoire du crayon, non daté et qui n'obéit pas au calen-

drier se rapproche plutôt des carnets). Le «journal» de

Handke est bien plus une oeuvre dans la mesure où la

préméditation est garante de la distance que Handke installe

entre son moi et son journal, distance qui précède l'écriture

et ne lui est pas redevable «Ce livre n'est pas le récit

d'une conscience mais il en est le reportage s imu l tané et

immédiat.»n Le journal que l'on interrompt à volonté n'est

pas un danger. Au contraire : il accompagne l'oeuvre et la

nourrit. Le poids du monde, comme son titre l'indique, est un

journal du monde, non de Handke, i açon de reportage qui

observe le monde à travers une conscience. Ce n'est pas le

77- P. Handke, Le po~ds du monde, Par~6, Gallimard, coll. «Du monde entier", 1977, p. 10 •

63

1 moi qui s'incarne dans le journal, même abstraitement, c'est

un «instant de la langue»~ qui se suffit à lui-même, déroule

sa propre temporalité sans le secours du calendrier.

Mais il se trouve des écrivains pour qui l'oeuvre ne

suffit pas ou qui faillit à son exigence. Renard a beaucoup

bavardé au théâtre et il a étouffé son oeuvre à force de lui

préférer le silence. Reste son Journal, qU1 lui survit et qui

survit à son oeuvre parce qu'il est à la fois plus bavard et

plus près du silence. Tandis que l'oeuvre se tait de plus en

plus, le lecteur du Journal assiste à la démonstration de ce

silence, à sa représentation quotidienne : "Ces notes que je

prends chaque jour, c'est un avortement heureux des mauvaises

choses que je pourrais écrire.»N Le journal comme dernier

palier du silence.

78- Ibid.

79- Journal, 9 novembre 1896.

1

CHAPITRE V

L'ÉCHEC QUOTIDIEN

Une vie qui passe inaperçue. Un échec qui se voit.

Kafka, Journal

Impossible d'évoquer le nom de Jules Renard sans que ne

surgisse l'image de celui que l'on considère encore comme son

alter ego, ce Poil de Carotte qui toute sa vie s'attacha à son

nom pour finalement s'en détacher et lui survivre en l'effa-

çant. De son vivant déjà, Poil de Carotte était devenu plus

qU'un classique, un type, mieux connu que Renard lui-même.

Homme de lettres jusqu'au bout des ongles, Renard avait

pourtant créé un personnage qui dépassait le cadre étroit de

la littérature et jetait une ombre sur le reste de sa produc-

tion. L'histoire littéraire ne retenant que Poil de Carotte,

Jules Renard fut d'autant plus ignoré par la critique que son

oeuvre, en marge des différents mouvements ou écoles de son

temps, ne représente en rien un point tournant dans l'his-

toire littéraire et qu'elle n'eut pas d'émule véritable (bien

qU'un Giraudoux, à ses débuts, en subisse fortement

-

66

1 l'influence}. si Renard eut des disciples, on pense par

exemple à un Henri Bachelin, ce ne furent pas des continua-

teurs mais de simples imitateurs, ce à quoi l'oeuvre de

Renard, par la simplicité de ses thèmes et de son style, se

prêtait admirablement. Cette oeuvre, considérée aujourd'hui

comme mineure, ne pouvait constituer une pierre d'assise sur

laquelle il aurait été possible de construirei son champ est

trop étroit, son horizon trop fermé. Elle clôt une époque

plutôt que d'en annoncer une et s'il y eut véritablement des

émules de Jules Renard, ils choisirent le silence.

La rédaction du Journal, baromètre de son acti vi té

littéraire, entreprise en 1887, ne compte pour cette année-là

que de neuf à dix pages et environ trois pages pour l'année

suivante (celle de son mariage). Ce n'est ql.l'à partir de 1889

que le Journal passe à 25 pages il' ensemb le va croissant,

oscillant autour d'une cinquantaine de pages par année et ne

décroltra qU'à la fin de Sd vie, époque de sérénité qui n'est

troublée que par de récurrents problèmes financiers. Renard

a réussi à se tailler une place respectable dans le monde des

lettres; c'est un écrivain reconnu, courtisé dont la carrière

littéraire oscille entre la campagne, qui forme l'espace de

son oeuvre, et Paris.

1

67

Cette dichotomie entre d'une part le Renard parisien,

celui du théâtre, des salons et des revues, et d'autre part le

paysan, celui des Bucoliques, des Histoires naturelles, etc.,

bref de toute sa prose, se retrouve évidemment dans le

Journal, ramassis hétéroclite de portraits d'écrivains et

d'artistes, de soirées et de premières auxquels succèdent sans

transition des descriptions rapportées d'une promenade aux

champs ou d'un coup d'oeil à la fenêtre. On la retrouve

également dans l'oeuvre et c'est là tout le dilemme de Jules

Renard. Plus abondant lorsque l'auteur se trouve à paris, le

Journal est truffé de ces portraits, déguisés en récits,

parfois cruels, toujours lapidaires. Il rapporte les conver­

sations, ci te les bons mots, soul igne les travers et les

sottises. À Chaumot, les récits se raréfient, le journal se

fragmente : ce ne sont plus des comptes rendus, ce sont des

notes que commande le hasard de la rêverie ou du regard. Ici

réapparalt la conscience de l'écriture : Renard se surveille,

s'observe auss i et a peur du mensonge des mots. À Paris,

Renard est reporter; à la campagne, il redevient réellement

diariste et c'est de là, au détour d'un arbre ou sous l'oeil

de la lune, que surgit véritablement l'écrivain et avec

l'écrivain, le silence.

1

Il n'y a pas de synthèse : il n'y a que le discontinu.

Renard, Journal, 5 novembre 1895

«Il a créé la littérature du silence» disait Sartre de

RenardSO• La phrase a de quoi surprendre. La critique,

depuis près d'un siècle, s'est acharnée à démontrer que le

silence, après avoir hanté Flaubert, est venu de la poésie.

Le silence mallarméen était métaphysique, celui de Rimbaud

mystique et révolté tandis que celui de Flaubert, plus

désespéré, était méthodique. Le silence de Renard ne pouvait,

dans ces conditions, imposer sa dynamique dont l'élan pétrifié

demeure avant tout stylistique et qui participe donc d'une

rhétor ique figée. Renard est un écrivain résigné; il ne

professe que l'abdication : «Je sais que, ayant résolu de dire

la vérité, je dirai peu de chose. »MI Pas d'angoisses

métaphysiques chez lui, pas «d'abYme à sa droite». Son oeuvre

s' emploie plutôt à dégraisser la littérature du temps, ce

80- J. -P. Sartre, •• L' homme ligoté.. in Critiques 1~ttér4ire., Situations I, paris, Gallimard, coll. uIdées lI , 1947, p. 358.

81- Journal, 9 octobre 1900.

1

69

qu'il appelle «nettoyer les écuries d'Augias avec un cure-

dents.»82 L'écornifleur (1892) sera «un adieu au romantisme

et aux cl ichés))83 tant: par l'ironie qu'il y déploie que par la

forme, réduite à sa plus simple expression, qui fragmente le

récit en autant de tableaux incisifs. Ce sera - excepté Les

cloportes, récit renié et publié à titre posthume et Crimes de

village, nouvelles d'un jeune écrivain qui ne s'est pas encore

détaché de ses influences - son seul récit. Déjà, le regard

du narrateur est fait de détails qui se superposent et

hachurent la trame du récit. Renard travaille à la loupe; son

étalon est l'infiniment petit et il gomme ainsi les perspec-

tives. L'horizon étroit de L'écornifleur fait de celui-ci un

récit entièrement subordonné aux tableaux qui le composent.

C'est une histoire sans dénouement, le réei t d'un monde

immobile ainsi qU'une charge à peine voilée contre la

polygraphie de son temps. Aussi par la suite, Renard

abandonnera complètement le réel t pour ne plus s'attacher qu'à

ses instants qu'il découpe et entrecroise en dehors du temps.

82- Ibid., 3 mars 1891.

83- H. Juin, préface à L'ilcornifleul'" Paris, Union Gén6rale d/fditions, coll. «10/18», 1984, p. 9.

1

70

L'absence de récit dès lors devient une clôture.

L'écriture se ferme sur elle-même, ne renvoie plus qu'à sa

propre essence. Nos frères farouches - Ragotte sera l'ultime

aboutissement de ce morcellement. Les multiples tableaux

paysans de ce dernier livre - le premier élément du titre

étant un clin d'oeil à La Bruyère - constituent une descrip­

tion par le détail des moments de la vie d'un village. Renard

tâchai t d' établ ir une sorte ct' histoire des moeurs pùysannes de

la fin du XIX· siècle, un livre de «caractères» où

le scientifisme aurait préséance sur le moralisme «Regarder

l'homme en naturaliste, et non en psychologue romanesque.

L'homme est un animal qui ne raisonne presque pas. »~.. Le

détail l'emporte ici sur l'ensemble et l'entreprise natura­

liste disparait derrière le ciselé de l'écriture.

Le livre s'annonce comme la description typologique d'une

commune (celle de Renard) où sont répertor iées 1 dans le

désordre, des attitudes. Les divers «types» du paysan y

défilent, côte à côte, par bribes, et sont saisis dans une

immédiateté qui se veut riche de sens et plus ou moins

indépendante des circonstances qui lui ont donné naissance.

C'est le livre d'un observateur, non d'un moraliste. Ragotte

84- Journal, 22 avril 1905.

71

1 est une sorte de catalogue qui, à plusieurs égards, se confond

avec le Journal et marque en cela l'espace littéraire vers

lequel Renard a toujours tendu - et en quoi le Journal

constituait un lieu de transition et de gestation - et qui est

le battement à la fois obstiné et statique de la vie. Il

cherche à en saisir l'élan dans ce qu'elle a de plus banal et

conséquemment, s'attache à la quotidienneté des hommes et des

choses. Il en viendra mème à considérer ceux-ci comme des

éléments indistincts d'un même ordre : «Un paysan, c'est un

tronc d'arbre qui se déplace.»~s Ce recours aux choses, le

grossissement mesuré du détail anodin, procède du même regard

soutenu à cette différence essentielle que celui du Journal

circule plus librement, n'est pas soumis d'abord à l'écriture.

Le Journal est le lieu d'une écriture qui s'abandonne à elle-

même et qui récuse toute préméditation. Un journal n'a pas de

plan. Son articulation est quotidienne, chaque point de sa

surface est cont1gu à tous les autres. Il nous offre une

pensée dénouée que l'inscription vient fixer au gré du hasard

et de la réverie. Le regard de Renard n'y est pas stratégique

comme il peut l'être dans Ragotte. C'est pourquoi il

s'attache à l'insignifiance, tribut d'une rêverie non obstruée

encore par la phrase qui, hors du cadre vivifiant du Journal,

85- Ibid., 6 mars 1894 •

.,. ,

1 ferme déjà

journal, la

l'horizon par l'ombre qU'elle porte.

phrase est un accident heureux qui

72

Dans le

survient

presque par hasard, au détour d'une analogie qui soudain

s'impose comme une vérité révélée.

Voilà bien pourquoi le Journal, comme le journal-newspa­

per est un étalage de faits divers, est un catalogue d'insl-

gnifiances. Pour l'écrivain qui a renoncé à la pensée pure

parce que la phrase est pour lui une réalité plus grande ct

partant, plus proche de ce concept impératif de vérité qu'il

s'est imposé, la vérité se doit de devenir visible. L'écri­

vain a pour tâche de montrer ses manifestations dont il

devient en quelque sorte le catalyseur. Ses notations

perpétuelles sont à la fois la quête et le résultat, la prière

et l'épiphanie. Renard ne vit pas par l'esprit, il vit par la

phrase qui est une structure du monde et qui «est â elle seule

tout le langage. »~6 Mais les choses, de même, sont des

microcosmes du monde : «Je ne peux pas regarder une feuille

d'arbre sans être écrasé par l'uni vers. »~f L'idée de la

chose, la chose transposée dans le langage qui est gage de sa

vérité, n'est donc pas une tentative de reconstruction mais

bien une dissémination de l'objet au sein du langage. Comme

86- J.-P. Sartre, op. cie., p. 362.

87- Journal, 16 ju~n 1900.

73

1 le langage est contaminé, qu'il n'est jamais aussi pur que

l'idée qu'il doit traduire, cette dissémination n'aura pas de

fin. Et comme l'idée est toujours subordonnée à la chose, il

importe de multiplier les tentatives, dussent-elles avorter

chaque fois et aboutir, à force de redondance et d'effacement,

au silence. Celui-ci est en effet, après le mot, ce qui se

rapproche le plus de l'inertie de la chose. Une phrase n'est

pas inerte : elle vit, elle déroule une temporalité étrangère

à l'objet qu'elle doit rendre. Les choses n'existent pas dans

la durée : elles sont. Elles n'ont pour toute temporalité que

celle du mouvement que leur confère, par le regard, celui qui

les observe. Le temps n' appartient pas à la réalité des

choses.

Le Journal serait le reflet du désir d'extraire les

choses du temps du regard, voire du temps de l'écriture, pour

les fixer dans l'instant de l'idée. Les notations du Journal

opèrent une saisie du réel dans un rapport d'immédiateté d'oü

jaillit l'idée, à la fois explication et illumination de la

chose qui apparait comme étant la vérité première de celle-ci.

Le sens de la chose n'intéresse pas Renard. Les choses, comme

les paysans, n'ont rien à lui dire. Il se contente de les

observer et s'acharne à les fa ire exister sous une forme

grammaticale qui en rendrait l'impression, non pas l'essence:

j

74

«Les choses ne me frappent pas: elles me reviennent.»" Il

y a un écart entre le regard et l'écriture.

l'idée qui le hante, c'est plutôt la chose

d'exister en lui et qui insiste pour exister,

Ce n'est pas

qui continue

comme si ce

fantôme de chose devait s'incarner dans la phrase pour cesser

de le hanter et enfin sombrer dans l'oubli du journal. Il ne

croit pas, comme Mallarmé, que la nomination efface la chose

et bien qu'il se méfie des mots, il entretient une croyance

presque naïve dans la phrase, pour autant qU'elle soit brève

et n'entrave pas, à travers des interférences syntaxiques,

l'impression qu'il veut rendre. Une phrase brève et limpide

réduira d'autant la distance entre les mots et la chose, qui

apparaîtra dès lors en pleine lumière; sa représentation

verbale simplifiée à l'extrême ne sera pas un écran mais un

révélateur.

Pourtant, la phrase de Renard ne révèle rien. Pas de

«pensée» chez lui, pas d'aphorisme ni de maxime, malgré que le

journal intime en soit le lieu tout désigné «Prononcer

vingt-cinq aphorismes par jour et ajouter à chacun d'eux:

"Tout est là. Il »89 C'est que malgré tout, l' aphor iame demeure

88- Ibid., 20 juillet 1899.

89- Ibid., 27 janvier 1894.

75

un récit, raconterait-il sa propre inanité, il la raconte,

nous offre une pensée, nous en donne l'histoire.

Il Y a pourtant un moraliste qui veille en Renard dont

2loiw, son «Don Quichotte de chambre»q! est le porte-parole.

C'est contre le langage que Renard fulmine, contre ses

trahisons sournoises et quotidiennes «Il n'y aurait à

proprement parler trahison du langage que s'il existait

quelque mot, quelque phrase capable d'offrir à la fois l'un et

l'autre sens radicalement différents ou, mieux, opposés.

C'est très précisément le cas des lieux communs, des clichés,

des proverbes.»~ D'oü le plaisir que prend Renard à dénoncer

les lieux communs du langage en les retournant comme un gant

de façon à en offrir un sens exactement contraire pour en

dévoiler ainsi la vacuité : «Rire à chaudes larmes, pleurer â

se tordre.»~ Ce faisant, il agit comme si les mots étaient

contaminés par une série de rapports antérieurs â leur

90- Personnage créé par Renard, inspiré du grand Saint Éloi de la chanson, homme de vérité, redresseur de torts et de culottes à l'envers.

91- Journal, 13 février 1895.

92- J. Paulhan, op. c~t" p. 122.

cet anti-langage s'incarne souvent chez Renard dans les mots d'enfants qu'il prend plaisir à citer, expressions puériles qui détournent le sens premier des mots ou des tics langagiers et fait surgir un sens inédit, neuf et comme purifié. Le personnage d'Éloi pourrait, en ce sens, s'insp1rer d'une question de sa petite fille: «Est-ce que c'est Flaubert qui a m1B sa culotte à l'envers?" (B mars 1B9B).

93- Journal, 5 septembre 1B93.

1

76

énonciation. Il cherche à redonner aux mots leur virginité

perdue. La brièveté de la phrase, réduite à ses articulations

essentielles - sujet, verbe et attribut -, aura pour tâche de

contracter à l'extrême le champ de ces rapports, de faire en

sorte que la phrase, qui renvoie à la totalité du langage,

soit en même temps détachée de celui-ci, qui la contamine et

en pervertit le sens : «L'écrivain doit créer sa langue et ne

pas se servir de celle du voisin.»~

La phrase, comme les mots, est une entité autonome. Elle

se suffit à elle-même, en dépit de son Objet auquel elle

s'ajoute: «La nature n'est pas définitive : on peut toujours

lui ajouter. »45 Elle pense par elle-même, elle est en soi et

intrinsèquement révélation. La phrase est une chose, au même

titre que la chose observée. Elle ne s'offre pas seulement

comme image de celle-ci mais bien comme son équivalence.

C'est véritablement une incarnation de la chose qui revendique

un droit à l'existence, volonté à laquelle Renard se soumettra

pendant 23 ans. Mais Renard ne fait que peindre, artiste

soucieux de ne pas encombrer la phrase d'idées corruptrices:

«Songeur, oui. Penseur, je m'en fiche.»~ Il ne cherche que

94- Ibid., 25 juin 1902.

95- Ibid., 27 octobre 1895.

96- Ibid., 6 juin 1900.

1

77

l'image, et les mots pour la rendre. Au mysticisme du réel

succède un mysticisme des mots qui, comme chez Mallarmé, ont

prédominance sur les idées : «Comme c' est vain, une idée!

Sans la phrase, j'irais me coucher.»n

Sartre y voit une forme de bavardage : «Il pense pour

mieux se taire, cela signifie qu'il "parle pour ne rien

dire,,»~K ce qui, somme toute, est une déf ini tion acceptable du

journal intime. Mais Sartre ne prise pas Renard. Il ne voit

en lui qU'un styliste qui «se considérait comme un artiste»~,

membre de cette «petite société de bourgeois aisés et cultivés

( ... ) qui se reconnaissaient comme l'élite de la Ille Républi­

que.»IOO Car il est bien entendu que l'art pour l'art est une

ignominie. 1 l est vrai pourtant qu 1 à première vue, le

réalisme précieux de Renard paraît maladroit et superficiel,

au sens premier du mot qui est «surface» et ce, surtout dans

le Journal d'où Sartre tire d'ailleurs tous ses exemples. Il

est également vrai que les images de Renard sont, trop

souvent, «une traduction mythique de l' apparence»IOI comme le

97- Ibid. , l c, décembre 1891.

98- J.-P. Sartre, op. C'~t. , p. 364.

99- Ib~d. , p. 377.

100- Ibid., p. 378.

101- Ib~d. , p. 375.

r 1

1

78

montre l'analyse sartrienne. C'est que précisément on

retrouve en lui une véritable mystique du regard - de la

surface - qui se situe à rebours de la pensée abstraite, â la

façon d'un La Bruyère. L'abondance des détails et l'obsession

du regard méticuleux l'auront poussé dans ses derniers retran-

chements : le Journal. «Mon cerveau manque de f iches"lOl dit-

il devant la surcharge que le monde, offert à sa vue et à sa

conscience, lui impose. Et il s'empresse de tout noter:

«Cloche, jupe sonore»IUI; «Étoiles: tout ce feu d'artifice

qui reste en l'air.»'~ On songe au Funes de Borges: "Penser

c'est oublier des différences, c'est généraliser, abstraire.

Dans le monde surchargé de Funes il n'y avait que des è~tails,

presque immédiats. »\0; Cette obsession taxinomique lui fait

gommer les différences au point où les choses s'équivalent et

se superposent au sein d'une 1 iste inf inie 1 une liste de

l'infini, que transcrira le Journal «Le détail de la vie m'a

paralysé comme un lierre. »106 Le Journal devient ainsi la

métaphore d'une vie qui s'inscrit a contrario dans les

102- Journal, 16 septembre 1904.

103- Ibid.

104- Ibid.

105- J. L. Borges, «Funes ou la mémoire" ln l''~ct~ons, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1957, p. 118.

106- Journal, 4 septembre 1906.

1

79

tumultes esthétiques et les querelles littéraires du temps.

L'obsession langagière de Renard est le fruit d'un héritage

des écrivalns classiques. Il croit qU'une vérité du langage

est encore possible, et que le verbe recèle toujours une part

d'absolu irréductible â toute déconstruction mentale: «( ..• )

dans un beau vers de victor Hugo, il y a plus de pensées que

dans tel l ivre de métaphysique. »107 L'art est une réalité

supérieure au monde qu'il contient et révèle, outrepassant la

pensée qui est balbutiement de l'homme. Tandis que le penseur

cherche en vain une explication du monde, qui n'en a nul

besoin, Renard s'affaire à en esquisser une transposition:

«D'autres, à ma place, monsieur, ont interrogé l'Infini. Ils

ont voulu l'embrasser : ils sont revenus, la tête et les bras

vides. »\08

D'où il ressort que le Journal permet de pallier cette

atrophie passagère de la pensée en donnant une forme au

discontinu, en ]e réinsérant dans le temps du journal.

Puisqu'il devient impossible de synthétiser les choses, reste

à les faire exister sous un même mode qui est l'écriture.

L'oubli perpétué du Journal permet de donner une forme au Tout

qui habite l' écr i va in, à ce monde qu' il porte en lui et

107- Ibid., 4 mars 1909.

108- Ibid., 29 juillet 1899.

1

80

qU'aucune structure ne peut contenir. C'est la part la plus

obscure de l'écrivain, avec laquelle il doit renouer à travers

l'expérience de l'écriture qui rétablit le lien entre soi et

soi, entre le sujet et l'objet. Il n'y a plus un sujet

contemplant le monde mais un sujet dans le monde, au sein du

Tout et de lui-même. L'espace intérieur est un espace inerte

que l'écriture s'emploie à ressusciter. Pour rejoindre cet

espace qui est l'image de la mort qui l'habite, l'écrivain

doit d'abord l'invoquer.

Il existe un suprême degré dans l'invocation de cette

mort: c'est l'écriture qui refuse de s'écrire, qui est elle­

même inerte parce qU'au moment où elle s'écrit, l'écrivain

n'arrive pas à se frayer un chemin jusqu'à lui-même. C'est le

journal intime. L'introspection du Journal est un leurre.

Car le journal intime n'a d'autre but pour l'écrivain que

d'échapper à lui-même en échappant à l' écr i ture qui est

expérience. L'écrivain tronque ainsi le mouvement qui va de

lui à lui. S'il va même jusqu'à publier ces pages qu'il

imagine être un miroir parfait de lui-même, c'est-à-dire une

image unidimensionnelle, c'est précisément parce que le

journal intime - le journal d'un intimiste, tout entier tourné

vers l'introspection - est l'oeuvre au sein de laquelle il

s'engage le moins. Il ne nous révèle que cette part de lui-

1

l

81

même qu'il n'a pas su mettre dans son oeuvre. Il y manque

l'essentiel, cette expérience de l' écri ture au travers d~

laquelle l'écrivain réussit à se débusquer presque malgré lui.

C'est la raison pour laquelle Rilke n'écrit pas un journal

mais Les cahiers de Malte qui en sont une

peut-être mais qui n'est pas détournée de

forme détournée

lui-même. Bon

nombre d'écrivains pourtant n'ont pas réussi à épuiser leur

moi dans la surface de l'oeuvre. Ils devront se rabattre sur

le journal. Mais le journal auss~ peut devenir une oeuvre

lorsqu'il échappe à la complaisance et devient un écueuil

placé chaque jour dans l'itinéraire de l'écriture: «Passer sa

vie à se juger soi-même, c'est très amusant et, au fond, ce

n'est pas très malin."I(J9 Le journal est une épreuve aux

dangers multiples. Il «stérilise» 1 comme l'avoue Renard parce

que c'est l'écrivain qui y est en danger et non pas l'homme.

L'épreuve que fut la rédaction des Cahiers de Malte pétrifia

Rilke pendant une dizaine d'années. Ayant épuisé la substance

de son étre, Rilke ne retrouva la complétude de son moi qU'à

travers le travail appliqué sur les ~ots que fut sa traduction

du cimetière marin de Valéry. Le péril du journal est déjà

grand; s'ajouter une oeuvre, ajouter au monde l'espace d'une

oeuvre qui se confond avec soi-méme, cela relève de l'hérésie.

109- Journal, 19 mai 1893.

1

82

Monsieur Teste : «Trouver n'est rien. Le difficile est de

s'ajouter ce qu'on trouve.))11U Or l'écrivain ne peut tout

s'ajouter. Il lui faut reléguer des parties dans l'espace

inerte qU'elles habitent en attendant de revenir à la surface.

Renard a choisi de reléguer ces parties de Vie dans son

Journal où elles demeurent inertes à jamais. C'est la double

mort de l'écrivain.

Moraliste du langage, il a fait de son Journal un espace

introspectif au sein duquel les mots sont interrogés et

prennent le pas sur le moi. L'homme de lettres est peu à peu

devenu un homme de mots et à la psyché, il a substitué la

«conscience des mots». Si Renard récuse la pensée, il en

accepte l'acte comme un passage nécessaire. Mais il croit que

celle-ci se cache déjà sous les mots, logés dans la

conscience, dont le Journal nous trace le portrait. À cet

état intermédiaire de la pensée ne pouvait succéder que les

Cahiers de Valéry, Narcisse absolu d'une conscience se

regardant se regarder, où cette fois-ci, le rapport entre la

conscience et les mots Si inverse, les mots n'étant plus

l'absence d'une pensée mais la pensée une absence de mots, qui

s'effacent pour laisser apparaître l'idée.

110- P. valéry, «La soirée avec Monsieur Teste» 1n Oeuvres, tome II, op. cit., p. 17.

1

83

De là que le Journal, plutôt que d'être une longue

confession de l'homme, soit précisément cette expérience de

l'écriture qU'un intimiste comme Amiel escamote au profit de

la psyché. Le langage est un legs universel et bien que le

«style soit l'homme», il n'en demeure pas moins un objet de

dépersonnalisation, doublement abstrait chez Renard pour qui

la conscience est formée de mots. Là où surgit l'écrivain,

l'homme s'efface pour faire place aux mots qui dès lors

précédent la pensée et occupent tout

Journal bascule alors de l'écriture

l'écriture, l'écrivain se regardant

l'espace. L'axe du

du moi à un moi de

ne pas écr ire, à la

recherche des mots racontant le trajet qui le ramène inlas­

sablement et malgré lui au journal. C'est parce qu'il donne

une forme au silence, qu'il obéit à la pente qui l'y pousse

que le Journal se substitue à l'oeuvre et s'impose comme la

quintessence de son effort. s'il échappe ainsi au silence,

c'est qu'il le retrouve chaque fois plus dense et que cet élan

l'entraine au-delà de l'écriture qui n'est que l'à-peu-près

hypertrophié du silence : «Le mot le plus vrai 1 le plus exact,

le mieux rempli de sens, c'est le mot "rien".))lll Tout le

Journal de Renard est une métaphore de ce mot qU'en réalité,

il ne peut pas écrire. Il aura poussé l'art du discontinu

111- Journal, 26 janvier 1906.

1

84

jusqu'à refuser la totalité organique du "rien" pour en

extraire une somme de "rien.i". C'est là toute son oeuvre.

CONCLUSION

-

1

Ce n'est pas sans ironie qu'il nous faut constater que le

journal intime est devenu, au XX( siècle, non plus le passage

souterrain qui menait au silence mais, au contraire, la

commune mesure d'un bavardage qui profite de la faillite du

réalisme et du sens pour exploiter l'inépuisable manne de

l'ultime repaire du je. Mémoires, autobiographies, journaux

intimes et surtout biographies, autant de manifestations

compenRatoires qui prétendent proposer un ersatz de présence

à ce qu'il convient d'appeler, par défaut, l~ttérature.

L'écriture a cessé d'être la présence d'un auteur pour ne plus

devenir que projection d'une ombre sur une ombre, d'un je sur 1

un autre je, conception endossée et légitimée par les diverses

théories maintenant incontournables du je. Le rapport de

l'oeuvre au lecteur s'est inversé. C'est l'oeuvre qui

dorénavant épouse les contours et s'assujettit aux désirs d'un

lecteur qui façonne à sa guise et â sa mesure l'horizon qui

lui est offert.

La (dispar i tion vibratoire» mallarméenne s'est transmutée

en une éradication du sens avec l'éclatement d'une pensée

fracturée qui n'obéit plus qU'à sa propre logique. Dégagée de

1

87

la voüte canonique qU'elle emplissait et qui lui renvoyait son

propre écho, la pensée s'est évanouie au sein même du langage

qui l'absorbe et l'incarne. Scr ipta maneIlt verba v'Jlant. La

parole s'est défaite dans l'écriture.

Les deux pentes du journal intime auront contribué à

cette défaite. L'intimiste d'une part, en ramenant toute

chose à son moi, effaçait l'essence des choses en lU1 imposant

le filtre de sa propre pensée.

mouvement inverse, faisait du

l'écriture qui, parallèlement,

Le diariste, en épousant le

journal une expérience de

ramenait la pensée à des

signes, confinant celle-ci à une tour de Babel qui s'effondre

sur elle-même au gré de son propre élan. Le journal apparaît

donc comme l'image d'une certaine forme de littérature qui

désormais n'est plus possible et qui en est réduite à ne plus

parler que d'elle-même. Le mouvement narcissique du journal

se retrouve transposé à même l'écriture qui se défait de son

immanence pour s'abolir en une série de signes indistincts de

même valeur, donc permutables. L'écriture est alors une

combinatoire. Ne reste plus qU'à chercher la combinaison

chanceuse, le Sésame qui ouvrira la porte du mystère. Mais le

mystère lui-même est un sens.

1

88

Jules Renard aura passé sa vie à chercher cette com­

binaison. Il aura eu le malheur de se trouver à la jonction

d'un ensemble de mouvements qui rendait impossible l'écriture

et invalidait le silence. Son Journal s'est imposé par-dessus

son oeuvre comme le mouvement qui va de l'écriture au silence,

de la mort couvée à la mort définitive. Il a voulu ressus­

citer les mots qui croulaient sous le poids d'une dépréciation

par le nombre et qu'il retrouvait vidés de leur sens. Il a

donc choisi de se taire par le Journal, guidé en cela par un

mot d'ordre impératif «N'écris que par lassitude de

regarder. » 112. Extrême déférence envers la langue qu' il

vénère et qu'il aura décidé d'accompagner à son dernier repos

avec l'attitude qui sied au deuil : le silence.

112- Journal, avril 1898.

1

BIBLIOGRAPHIE

1

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