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Université de Lyon Université Lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon Juin 1940 à l’écran La débâcle à travers trois succès du cinéma français VEYRAT Emilie Mémoire de 4 ème année Séminaire : « Histoire politique des XIX ème et XX ème siècles » Sous la direction de M. Vergnon, Maître de Conférences à l'I.E.P. de Lyon. Soutenance le 4 septembre 2012 Jury : MM. Benoit et Vergnon.

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Université de LyonUniversité Lumière Lyon 2

Institut d'Études Politiques de Lyon

Juin 1940 à l’écran La débâcle à traverstrois succès du cinéma français

VEYRAT EmilieMémoire de 4ème année

Séminaire : « Histoire politique des XIXème et XXème siècles »Sous la direction de M. Vergnon, Maître de Conférences à l'I.E.P. de Lyon.

Soutenance le 4 septembre 2012

Jury : MM. Benoit et Vergnon.

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6Première partie : Le cinéma populaire, un discours sur l'évènement historique . . 8

Chapitre premier : L'intérêt d'étudier la représentation de l'Histoire au cinéma . . 8A) Cinéma populaire, cinéma commercial : la complexité des définitions . . 8B) Le lien entre cinéma de fiction et Histoire . . 9C) Le cinéma comme vecteur du « syndrome de Vichy » : la guerre à l'écran . . 10

Chapitre deuxième : Comment représenter la défaite : juin 1940 en 3 films . . 12A) Jeux interdits . . 12B) Week-end à Zuydcoote . . 14C) Les trois volets de la « Septième compagnie » . . 16

Chapitre troisième : Comédie et personnages populaires : des évocations sous-jacentes. . 20

A) De l'intérêt de l'analyse des comédies de divertissement . . 20B) Des rôles-types qui traduisent une perception mouvante de la débâcle . . 21

Deuxième partie :Les protagonistes de juin 1940 à l'écran : trente ans de représentationmythifiée . . 24

Chapitre premier : Chronique d'une défaite annoncée : les fractures de la France en guerre. . 24

A) Les soldats au combat : « neuf mois de belote et six semaines de course àpied » ? . . 24B) Soldats et commandementmilitaire : l'incompréhension . . 29C) Une armée coupée de la population civile . . 32

Chapitre deuxième : Entre domination allemande et isolement face aux Anglais . . 34A) L'ennemi allemand : l'armée surpuissante ? . . 34B) Une guerre psychologique orchestrée par l'Allemagne . . 36C) L’allié anglais, l’absence à l’écran . . 38

Troisième partie :La perception de la débâcle : une dynamique analogue à celle del'Occupation. Un enjeu national ? . . 40

Chapitre premier : La représentation de la débâcle : un cheminement occulté par le débatsur l'Occupation . . 40

A) L'évolution du souvenir de la guerre profondément liée au contexte politique . . 40B) De nombreuses polémiques sur l'Occupation traduisant de fortes attentessociales . . 41

Chapitre deuxième : Le point de non-retour : les années 1970 et la représentationassombrie (et raillée) de la Seconde Guerre mondiale . . 43

A) « Le chagrin et le venin » ou la nouvelle vulgate sur la période . . 44B) Face à une mémoire douloureuse, une seule évasion possible : la dérision . . 45C) Malgré le changement de paradigme, la vision de la débâcle est restée figée :l'héritage de Vichy . . 46

Chapitre troisième : La mémoire collective de la guerre, un enjeu d'identité nationale ? . . 47A) La mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale, partie intégrante duroman national . . 48

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B) Une porte de sortie entre-ouverte : le « devoir de mémoire » comme substitut auroman national . . 49

Conclusion . . 51Sources . . 55

Films . . 55Revues . . 55Ouvrages . . 55

Bibliographie . . 57Relative à l’introduction . . 57Relative à la première partie : . . 57Relative à la deuxième partie . . 58Relative à la troisième partie . . 58Relative à la conclusion . . 58

Annexes . . 59Annexe 1 : Affiches des films étudiés . . 59Annexe 2 : Extrait d’On a retrouvé la septième compagnie : la scène de l’évasion . . 62Annexe 3 : Extrait de Jeux interdits : plan sur le journal La Montagne . . 63Annexe 4 : Extrait de Jeux interdits : filmer l’horreur de l’exode . . 64Annexe 5 : Extrait de Mais où est donc passée la septième compagnie ? : la scènede l'épicerie . . 66Annexe 6 : Tracts allemands (tirée de l'ouvrage de J.-L. Crémieux-Brilhac, op.cit.,p.459, et de Week-end à Zuydcoote) . . 67Annexe 7 : Extraits de Week-end à Zuydcoote : l’affiche de l’armée française et lesdifficultés d’embarquement . . 68Annexe 8 : Extrait du générique de Mais où est donc passée la Septièmecompagnie ? . . 70Annexe 9 : Schéma des mécanismes de la Cinquième colonne (tiré de l’ouvrage deMax Gallo, op.cit., p.317) . . 70Annexe 10 : Affiche du documentaire Le Chagrin et la Pitié . . 70Annexe 11 : Extrait de paroles de la chanson « Et ça fait d’excellents Français » deMaurice Chevalier (Jean Boyer/George Van Parys) . . 71Résumé . . 72

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Remerciements

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RemerciementsAvant toute chose, je tiens à remercier M. Vergnon, Maître de Conférences à l’Institut d’EtudesPolitiques de Lyon, pour sa précieuse disponibilité en tant que directeur de mémoire, son aideconcernant l’articulation des différentes idées, ainsi que pour son enthousiasme – partagé – lié ausujet.

Mes remerciements s’adressent également aux personnes ayant considérablement facilité mesrecherches pour les chiffres relatifs au nombre d’entrées en salles et aux audiences, aux servicesdu Centre National Cinématographique et de l’institut Médiamétrie.

Enfin, sans grande originalité mais non sans sincérité, merci à ma famille, notamment ma sœurAline, pour la relecture et le soutien lors des dernières semaines. Merci à Chloé, Laura, et Marionpour les nombreuses et utiles discussions entre étudiantes sur la rédaction d’un mémoire… Et àtous ceux ayant contribué au cheminement de mes réflexions tout au long de l’année.

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Introduction

Dans le cadre d’un sondage barométrique portant sur les évènements de 1940 réalisésuccessivement en 1980 et en 2000 pour Le Figaro Magazine, l’évolution la plus manifesteobservée par le journaliste concerne la chute très prononcée des « sans opinion ».Cependant, l’auteur de l’article éloigne l’hypothèse selon laquelle la connaissance desévènements serait bien supérieure en 2000 que vingt ans auparavant, suite aux résultatsdonnés. Il juge plutôt que cette évolution témoigne en réalité « d’une plus grandeassurance »1 :

On ne sait pas, mais on croit savoir, et le petit nombre des « sans opinion » chezles 18-24 ans, plus faible que dans toutes les autres catégories d’âge, est peut-être le résultat de cette culture sommaire et manichéenne qui, oublieuse du livre,est de plus en souvent, aujourd’hui, dispensée par la télévision.2

L’allusion à cette « culture manichéenne » correspond en réalité à une vision de l’Histoirefigée notamment par le biais de vecteurs culturels. On rejoint ici le mécanisme d’uncomposant précis de la mémoire collective.

Cette dernière a été définie par Pierre Nora comme « le souvenir ou l'ensemble desouvenirs, conscients ou non, d'une expérience vécue et/ou mythifiée par une collectivitévivante de l'identité de laquelle le sentiment du passé fait partie intégrante »3. La mémoirecollective se transmet ainsi par plusieurs canaux, à savoir – des plus secondaires auxprédominants : l’action de l’Etat (en dernier recours), la recherche historique, le savoirscolaire, et enfin les vecteurs culturels formalisés par des représentations de fictions.

L’historien H. Rousso, dans son étude du « syndrome de Vichy », a ainsi approfondila réflexion sur ces composants :

La mémoire nationale, celle qui s'inscrit dans un patrimoine commun, se formeaprès réception de multiples signaux. On appelle ici vecteur tout ce qui proposeune reconstruction volontaire de l’évènement, à des fins sociales. Qu'ellesoit consciente ou non, qu'elle délivre un message explicite ou implicite, lesnombreuses représentations de l’évènement participent toutes à la définitiond'une mémoire collective.4

Mémoire et Histoire : deux notions centrales dans le cadre de ce mémoire, et qui font l’objetd’une relation complexe. Ces deux champs peuvent être étudiés sous l’angle de l’oppositionou de la concurrence. Cependant ici, nous aborderons plutôt ces deux notions comme unedynamique solidaire. Sans confondre malgré tout Clio et Mnémosyne, la représentation del’Histoire dans la mémoire collective est essentielle.

1 Henri Amouroux, « A vingt ans de distance (1980-2000), deux sondages Sofres sur les évènements de 1940 » in Le Figaro Magazinen°17380, p.34.2 Idem.

3 Pierre Nora, « Mémoire collective », in La nouvelle histoire, J. Le Goff (dir.), Paris : Retz, 1978, p. 398.4 Henri Rousso, Le syndrome de Vichy, Paris, Éd. du seuil, 1987, p.251.

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Introduction

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La période globale de la Seconde Guerre mondiale a été l’objet d’un nombreconsidérable de recherches universitaires, toutefois l’image proprement dite de la débâclede mai-juin 1940, bien que présente dans de nombreuses représentations de fiction, aété relativement moins étudiée que d’autres aspects de cette période. C’est donc sur cetévènement précis que nous allons nous focaliser. Dans cette analyse, le vecteur culturelprivilégié est celui du cinéma.

Certains films français, régulièrement rediffusés par la télévision, ont ainsi contribuéà former le patrimoine culturel cinématographique partagé par plusieurs générations. Ceslongs-métrages, lorsqu’ils portaient sur un évènement historique précis, ont façonné unecertaine vision de l’Histoire pour des milliers de Français.

Plus spécifiquement, plusieurs films ont pris pour cadre la bataille de France de 1940.Jeux interdits tout d’abord, œuvre du cinéaste R. Clément, évoque dès 1952 les drames del’exode liés à la débâcle. H. Verneuil, une dizaine d’années plus tard, propose quant à luiune autre représentation en mettant en scène l’acteur populaire J.-P. Belmondo dans Week-end à Zuydcoote. Enfin, les aventures de la Septième compagnie sorties en salles dansles années 1970, racontent le quotidien d’une armée s’enlisant dans la défaite.

Trois films pour trois décades, tels sont les paramètres de l’analyse. Ce mémoiretentera donc de répondre aux problématiques suivantes : quelle vision de la débâcle a étépopularisée par le cinéma français depuis les années 1950 ? Comment évoluent les portraitsdes différents protagonistes d’un film à l’autre, et lesquels sont les plus vivaces dans lamémoire collective ?

Nous allons dans un premier temps aborder la spécificité du discours du cinémade fiction sur le fait historique, avant de présenter les films sélectionnés, ainsi que lesévocations sous-jacentes présentes dans les comédies et personnages populaires.

La seconde partie de l’analyse sera quant à elle consacrée aux profils de chaque acteurde 1940 dressés par les long-métrages : les différentes composantes de la société françaiseen guerre, de même que l’ennemi allemand et l’allié anglais.

Enfin, pour terminer, nous développerons dans un cadre plus général l’évolution de lareprésentation de juin 1940 dans le temps, établissant un parallèle avec celle des périodesde la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation, et nous nous interrogerons dans undernier temps sur la place de la débâcle dans l’écriture du roman national français.

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Première partie : Le cinéma populaire,un discours sur l'évènement historique

Cinéma et Histoire, du nom d'un ouvrage de M. Ferro : une corrélation cruciale dans le cadrede cette analyse. En effet, nous verrons dans un premier temps pour quelles raisons il estintéressant d'étudier la représentation de l'Histoire (et plus particulièrement les mois de maiet juin 1940) dans le cinéma dit populaire. Par la suite, nous observerons que Jeux interdits,Week-end à Zuydcoote, et La Septième compagnie, tous prenant pour cadre la débâcle,et, au-delà des ressorts de la comédie et des numéros d'acteurs, proposent trois discoursdistincts et représentatifs de leur époque sur cet évènement.

Chapitre premier : L'intérêt d'étudier la représentationde l'Histoire au cinéma

Le fort impact du cinéma populaire, malgré le flou que ce terme implique, explique qu'ilconstitue aujourd'hui un véritable champ d'étude en Histoire – jusqu'à être présenté commeun vecteur du « syndrome de Vichy » lorsqu'il porte sur les années noires.

A) Cinéma populaire, cinéma commercial : la complexité desdéfinitions

Des définitions peu satisfaisantesJeux Interdits, Week-end à Zuydcoote, et les trois volets de la Septième compagnie :trois succès du cinéma populaire français qui ont marqué la représentation collective d'unévènement historique dans la société française. Mais que cache ce terme de cinémapopulaire ? La définition littérale de l'adjectif – destiné au peuple, ou concernant au moinsune grande partie – demeure trop floue pour caractériser ce genre de manière précise. Dela même manière, l'autre terme utilisé qu'est le cinéma commercial n'est pas plus explicite :un film commercial est alors défini comme une production cinématographique se souciantd'abord d'attirer le plus large public possible – au détriment de la qualité de l’œuvre.

Les définitions paraissent donc mouvantes : comme l'explique Nicole Beaurain5, onse retrouve alors face à un problème conceptuel. Ces catégories se retrouvent souventcaractérisées d'abord et principalement par leur opposition avec le cinéma dit « d'auteur ».

Cependant, nous verrons que cette opposition atteint rapidement ses limites. En effet,le cinéma d'auteur ne saurait être totalement coupé de l'aspect financier et inversement,des films populaires peuvent également être porteurs de messages politiques. Ainsi, Le

5 Nicole Beaurain et al., « Le cinéma populaire et ses idéologies », in L'Homme et la société, 2004, n°154, p.5-8.

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Première partie : Le cinéma populaire, un discours sur l'évènement historique

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Dictateur de Charlie Chaplin6, ou La vie est belle de Roberto Benigni7, constituent à la foisde grands succès commerciaux et des comédies engagées.

Comment délimiter le genre du cinéma populaire ?Comment délimiter la catégorie du genre populaire au cinéma ? Ici, l'étude porte sur desfilms ayant bénéficié d'un nombre important d'entrées en salles sur le territoire français, etsurtout ayant eu un fort impact en termes de rediffusions télévisuelles.

Indéniablement, le cinéma se classe parmi les loisirs de masse depuis les années 1950,et les rediffusions télévisuelles ont encore contribué à transmettre le patrimoine culturel desgénérations précédentes. A partir de ce constat, on aperçoit les prémisses de la relationentre cinéma et société – et par conséquent, entre cinéma et Histoire.

B) Le lien entre cinéma de fiction et Histoire

M. Ferro et la « contre-analyse » de la sociétéL'analyse se concentre autour des conséquences de ces films populaires sur la mémoirecollective lorsqu'ils portent sur un évènement historique précis. Ce mémoire s'appuie ainsisur la thèse de M. Ferro, historien du cinéma, énonçant que le récit des évènementshistoriques peut être figé par le cinéma de fiction. Les films historiques représentent une« contre-analyse de la société », non pas de la société servant de cadre à l'histoire, maisde celle qui produit le film et le réceptionne :

L'hypothèse ? Que le film, image ou non de la réalité, document ou fiction,intrigue authentique ou pure invention, est Histoire. Le postulat ? Que ce qui n'apas eu lieu (et aussi, pourquoi pas, ce qui a eu lieu), les croyances, les intentions,l'imaginaire de l'homme, c'est autant l'Histoire que l'Histoire.8

Dès lors, l'évolution de la représentation collective d'un évènement ou d'un sujet précis peutêtre analysée à travers son traitement cinématographique. Le cinéma devient un objet dereprésentation de l’Histoire, et il est possible de faire une lecture de la société à partir du film.

Une relation complexeToutefois, la relation entre cinéma et société est complexe car le film est aussi lié à soncontexte (contexte social par les habitudes du public, économique par la recherche de profit,et politique par la censure ou les subventions). De plus, le cinéma n'est pas seulement leproduit de la société globale mais aussi celui d'un groupe social particulier : le milieu ducinéma. Ce milieu peut alors avoir des références différentes de celles de la société dansson ensemble, et les mettre en avant. Un exemple est d'ailleurs donné dans un article de la

revue CinémActio n 9 : « Dans les films européens des années 60, il y a autant de voitures

que dans les films hollywoodiens », montrant que les films européens de cette période

6 Le Dictateur (The Great Dictator), Charlie Chaplin, 1940.7 La vie est belle (La vita è bella), Roberto Benigni, 1997.

8 Marc Ferro, « Le film, une contre-analyse de la société », Annales ESC, n°1, vol. 28, 1973, p.113.9 Michèle Lagny, « Après la conquête, comment défricher ? », in CinémAction n°65 « Cinéma et histoire autour de Marc Ferro », p.35.

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reflétaient davantage la réalité américaine que française. La relation entre cinéma et soncontexte va donc dans les deux sens : le cinéma dépend de son contexte mais contribuedans le même temps à former ce dernier.

Le cinéma amplifie la portée du messageAu-delà de cette relation complexe, il est possible d'affirmer que le cinéma constitue unvecteur très puissant pour faire passer un message. Ainsi, le film Le Chagrin et la Pitié 10

sorti à la même époque que la thèse de R. Paxton, La France de Vichy 11 en a probablementrenforcé la réceptivité alors qu’H. Michel n'avait pas bénéficié de cet effet lorsqu'il défendaitune thèse analogue quelques années plus tôt12. La raison ? Vraisemblablement parce quele cinéma cristallise – davantage que bouscule – les mentalités d'une période à un momentdonné, et parce qu'il est une composante majeure des représentations collectives.

Cinéma et Histoire sont donc intimement liés par une relation complexe. Comment celase traduit-il pour la période 1940-1944 ? Nous allons voir que la représentation de laguerreà l'écran a suivi des phases parallèles à celles du « syndrome de Vichy » d’H. Rousso.

C) Le cinéma comme vecteur du « syndrome de Vichy » : la guerre àl'écran

Le « syndrome de Vichy » et ses phasesDans son ouvrage éponyme, l'historien H. Rousso décrit les différentes étapes du souvenirde la période 1940-1944 agitant la société française. La représentation mouvante del'occupation est définie comme telle :

La mémoire dite « collective » existe d'abord dans ses manifestations, dansce par quoi elle se donne à voir, explicitement ou implicitement. Le syndromede Vichy est l'ensemble hétérogène des symptômes, des manifestations, enparticulier dans la vie politique, sociale et culturelle, qui révèlent l'existence dutraumatisme engendré par l'occupation, particulièrement celui lié aux divisionsinternes.13

A partir de ce postulat, H. Rousso a reconstruit les quatre phases de ce syndrome : « ledeuil inachevé », « les refoulements », « le miroir brisé », et « l'obsession » depuis 1974.La période de deuil, dès la fin de la guerre, est selon lui marquée par le désir d'un retourà la normale, tout en privilégiant une vision optimiste de la France occupée. En 1954, lerésistancialisme s'est ainsi discrètement installé au sein de la société gaullienne, refoulantl’État français et la collaboration, toujours en jouant sur la volonté de ne pas remuer lesquerelles du passé. Néanmoins, H. Rousso montre que le « miroir se brise » dès 1971 avecl'apparition d'une génération contemporaine du mouvement de mai 1968 et de ce fait plusencline à rompre avec les mentalités collectives installées et avec les mythes véhiculés par

10 Le Chagrin et la pitié, Marcel Ophüls, 1969.11 Robert Paxton, La France de Vichy 1940-44, Paris : Éd. du Seuil, 1973.12 Henri Michel, Vichy : Année 40, Paris : Éd. Robert Laffont, 1966.13 Henri Rousso, Le syndrome de Vichy, Paris : Éd. du seuil, 1987, p.18.

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Première partie : Le cinéma populaire, un discours sur l'évènement historique

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les générations précédentes. L'équilibre des années 1950 est alors fragilisé : c'est pourquoion passe à une période d'obsession dès le milieu des années 1970.

Selon lui, le traumatisme et les divisions engendrées par le souvenir de l'occupationsont toujours présentes dans la société française d'aujourd'hui. Comme la Seconde Guerremondiale ne peut pas constituer un objet de mémoire nationale unifiée – les quinze cercueilsdu Mont Valérien symbolisant les diverses figures de la période : la campagne de 1939-1940,la France Libre, la Résistance, et la Déportation, s'opposent ainsi à la figure unique etsymbolique du Soldat Inconnu de la Grande Guerre – son souvenir resurgit abondammentdans des cadres non institutionnels, notamment par le biais de vecteurs culturels.

Une évolution parallèle du cinéma : la cristallisation du phénomèneOn constate que le cinéma subit lui aussi des phases d'évolution parallèles aux quatre

phases identifiées par H. Rousso. En effet, après la discrétion de la IVème Républiquetroublée seulement par la sortie de Nuit et Brouillard d'Alain Resnais en 1956, le retour de deGaulle au pouvoir marque un renouveau du cinéma prenant pour cadre la période : des filmscaractérisés par une veine réaliste et glorifiante de la Résistance (l'auteur cite notammentici Babette s'en va-t-en guerre, de Christian-Jacque (1959), et Un taxi pour Tobrouk de D.de la Patellière sorti en 1960).

Les années 1960 amorcent un tournant avec une banalisation croissante du sujet (entreautres L'Armée des Ombres de J.-P. Melville (1969) mais aussi via la sortie de comédies àsuccès comme La Grande Vadrouille de G. Oury (1966)), jusqu'à arriver à ce que l'auteurappelle « la mode rétro » dans les années 1970, définie comme une brusque augmentationdu nombre de films traitant de l'occupation. Ainsi, juste après la réalisation du Chagrin etla Pitié par M. Ophüls en 1969 ainsi que sa délicate diffusion, c'est dans ce contexte quesortent de nombreux longs-métrages classés dans la catégorie des « opportunistes », c'est-à-dire « ces films, en général de médiocre qualité, [qui] exploitent un genre précis, codé,

mais en le situant sous l'occupation ». 14

Les phases du syndrome et celles du cinéma sur la période se recoupant, ce dernierreflète bel et bien l'état de la société. Ainsi, le cinéma constitue un des vecteurs majeurs dusyndrome en cristallisant l'évolution des mythes de l'Histoire de la nation :

[Le cinéma] produit ce que peu de livres d'histoire, voire de romans sontcapables de recréer : la proximité soudaine de l'évènement lointain, évènementnon vécu par les générations suivantes et de surcroît souvent occulté dans lesmémoires. Il réactive en effet le passé et réveille les souvenirs en utilisant le

même vecteur privilégié que celui par lequel aujourd'hui, en cette fin de XXème

siècle, nous vivons l'histoire en marche : l'image. Avec tous les risques dedéformations optiques et donc d'anachronismes.15

Ici, nous nous pencherons sur le vecteur spécifique de l'Histoire que constitue le cinéma ennous focalisant sur la période courte de la débâcle française de juin 1940 – choisie commecadre par trois réalisateurs de trois décades différentes : R. Clément, H. Verneuil, et R.Lamoureux.

14 Henri Rousso, op. cit., p.269.15 Ibidem, p.275.

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Chapitre deuxième : Comment représenter la défaite :juin 1940 en 3 films

A) Jeux interdits

Fiche technique

Réalisateur René ClémentScénario D'après l’œuvre Les jeux inconnus de

François Boyer Adaptation par RenéClément, Pierre Bost, et Jean Aurenche

Société de production Silver Films, FrancePhotographie Robert JuillardMusique Narciso YepesFormat Noir et blancGenre DrameDurée 85 minutesDate de sortie 9 mai 1952

SynopsisEn juin 1940 pendant l'exode, Paulette voit ses parents et son chiot se faire tuer par lesbombardements aériens allemands. Elle est retrouvée dans les bois par Michel, le fils d'unefamille de paysans qui l'acceptent chez eux. Pendant quelques jours, ils développent un riteà partir de l'enterrement du chiot – construire un cimetière d'animaux morts – ce qui renforceleur complicité et leur histoire. Mais à la fin de la guerre, Paulette est séparée de Michel,et prise en charge par un orphelinat.

Distribution et contexte

Personnages ActeursPaulette Brigitte FosseyMichel Dollé Georges PoujoulyLe père Dollé Lucien HubertLa mère Dollé Suzanne CourtalBerthe Dollé Laurence BadieGeorges Dollé Jacques MarinRaymond Dollé Pierre MérovéeFrancis Gouard AmédéeLe père Gouard André WasleyLe curé Louis Saintève

Le film sort en salles en 1952, et remporte cette année-là de nombreuses récompensesétrangères prestigieuses telles l'Oscar du meilleur film étranger et un Lion d'or à la Mostra

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Première partie : Le cinéma populaire, un discours sur l'évènement historique

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de Venise. C'est pourquoi sa non-sélection au festival de Cannes de 1952 provoque desremous dans la presse française.

Nombre d'entrées réalisées et audience télévisuelle16

Entrées lors de la première annéed'exploitation

Entrées totales du début de l'exploitation àce jour

2 642 610 4 917 010

Chaîne Date Heure Nombre detéléspectateurs

Part d'audience

France 2 14 décembre2010

2h30 (nuit) 150 000 Noncommuniqué

CritiquesLa plupart des critiques furent dithyrambiques sur l'efficacité psychologique du film danssa dénonciation du monde des adultes et de la guerre – la cruauté se transmettant auxgénérations suivantes. Un extrait d'interview de R. Clément est d'ailleurs cité dans l'articlepublié dans la revue Positif : « J'ai voulu (…) montrer l'effrayante responsabilité des grandespersonnes dont chaque geste est un exemple pour les enfants. Quand les enfants lèventles yeux sur nous, nous fabriquons automatiquement des hommes. »17

Toutefois, le critique pointe également quelques défauts : des scènes selon luiimprobables (comme la bagarre entre voisins, ou les poses trop étudiées de la jeune actriceB. Fossey) : il note un « décalage entre (…) les seuls ébats des enfants et la trivialitépagnolesque d'une famille de paysans, mélange ahurissant de vérité et de guignolesquefiction. » Le film constitue donc pour ce critique un semi-échec dans la mesure où ladémagogie est trop évidente : le « pamphlet anti-familial et anti-clérical » échoue à caused'une « constante ambivalence assez démagogique. »

En revanche, la critique des Cahiers du cinéma est plus bienveillante, mettant enavant l'efficacité de l'image (notamment en ce qui concerne les images de l'exode et lesbombardements) dans cette dénonciation morale de la guerre :

Le film vaut encore par la lumière brutale qu'il jette sur le monde des adultes.Les gens qui ont trouvé morbide le jeu de Michel et de Paulette avec la mort,ont du même coup prouvé qu'ils ne trouvaient pas morbide leur propre jeu avecla guerre, et la mort. Que Michel bombarde en piqué un scarabée ne démontrepas la cruauté de René Clément mais l'aveuglement de ceux qui consentent àl'existence des bombardements en piqué, ou éventuellement les justifient. Il y

16 Source du nombre d'entrées en salles : CNC (Centre National du Cinéma et de l'Image Animée). Source de l'audience

télévisuelle : Médiamétrie (institut indépendant spécialisé dans la mesure d'audience des médias depuis 1985). Période

2007-2012.17 Positif n°18, novembre 1956, p.7.

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Juin 1940 à l’écran La débâcle à travers trois succès du cinéma français

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a bien longtemps qu'on n'a vu un film français aussi courageux dans l'attaquecontre le confort moral de ceux qui acceptent ce monde tel qu'il est.18

Filmer une histoire d'enfant sans tomber dans l'infantilisme, faire une démonstration enpassant par toute une palette de registres (burlesque, drame, farce), telles sont les forces dufilm soulignées par les critiques. Le réalisateur utilise ainsi divers procédés pour construireune argumentation rigoureuse, et convaincre le spectateur :

Le registre va du franc burlesque – l'huile de foie de morue, la bagarre dansle cimetière, la confession – au tragique, en passant par la dérision, la terreur,l'horreur ou la tendresse. Ce n'est pas un mélange des genres, une confusion dutragique et du burlesque, du drame et de la farce, mais l'emploi judicieux de toutun arsenal ; on est cerné, atteint de tous les côtés, et finalement, car c'est là lebut, convaincu.19

B) Week-end à Zuydcoote

Fiche technique

Réalisateur Henri VerneuilScénario D'après l’œuvre éponyme de Robert Merle,

adaptation par François Boyer et RobertMerle

Société de production Paris Film Production, Interopa Film,France – Italie

Photographie Henri DecaeMusique Maurice JarreFormat CouleurGenre Drame, film de guerreDurée 119 minutesDate de sortie 18 décembre 1964

SynopsisLe film relate le quotidien d'un groupe de soldats français piégés dans la poche deDunkerque lors de la débâcle de juin 1940. Le sergent-chef Maillat tente – en vain –d'embarquer pour l'Angleterre et fera à cette occasion des rencontres variées dans descontextes aussi cocasses que dramatiques.

Distribution et contexte

18 Pierre Kast, « Le jeu de grâce des petits anges » in Les cahiers du cinéma, n°13, juin 1952, p.64.19 Pierre Kast, op. cit., p.64.

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Première partie : Le cinéma populaire, un discours sur l'évènement historique

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Personnages ActeursSergent-chef Maillat Jean-Paul BelmondoL'abbé Pierson Jean-Pierre MarielleAlexandre François PérierDhéry Pierre MondyJeanne Catherine SpaakLe fusilier-mitrailleur Pinot Georges GéretLe capitaine Robinson Ronald HowardLe curé Louis Saintève

Nombre d'entrées et audience télévisuelle

Entrées lors de la première annéed'exploitation

Entrées totales du début de l'exploitation àce jour

2 624 822 3 154 350

Chaîne Date Heure Nombre detéléspectateurs

Part d'audience

Arte 23 février 2009 20h50 1 500 000 6,1%

Critiques

Le premier aspect du film mis en évidence par la critique de Positif 20 est la réalisationdans la veine d'une superproduction hollywoodienne : le spectateur assiste à un « va-et-vient entre le petit groupe des héros et le décor magistralement planté par les aviateurs, lesartificiers, et les figurants. ». Le parallèle avec Hollywood se fait d'ailleurs dès le générique,et a également été souligné par Sylvie Lindeberg :

Avec Week-end à Zuydcoote (d'Henri Verneuil), la débâcle passa du statutd'allusion illicite à celui sujet à part entière. (…) La mise en scène hollywoodienneadoptée par Henri Verneuil renforçait les options épiques de cette singulièreadaptation : à grand renfort de moyens pyrotechniques et de rails de travellings,le cinéaste transforma la débâcle en un spectacle grandiose et réconfortant,dans lequel l'aviation allemande évoluait artistiquement sur un fond rougeoyantd'incendie. En filmant la défaite comme il aurait fait d'une victoire, le cinéastesublimait la débâcle et flattait, à sa manière, les vaincus de 1940.21

Cette mise en scène à la façon d'une super-production est au contraire critiquée dans unarticle des Cahiers du cinéma, car l'importance donnée aux décors militaires se ferait audétriment d'un scénario jugé trop conventionnel :

Pour figurer l'armée en débandade, Verneuil a fait mouvoir ses figurants avecune discipline toute militaire. Tout y est bien de ce qu'on trouvait dans le livre de

20 Positif n°69, mai 1965.21 Sylvie Lindeberg, Les écrans de l'ombre. La Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français, 1944-1969, Paris : Éd.

du CNRS, 1997.

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Juin 1940 à l’écran La débâcle à travers trois succès du cinéma français

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Merle, mais noyé dans des conventions auxquelles Verneuil se plie avec la mêmediscipline. Bref, manque rien. Pas un bouton. Sauf les guêtres.22 23

Par ailleurs, le film est aussi perçu comme un bon révélateur de la communication de plus enplus difficile entre les soldats, ainsi que du non-sens de la guerre : « vue de près, la guerren'est plus qu'un atroce mélange d'absurdités » : un film conclu par une fin dramatique, un« dernier rendez-vous d'un impossible amour où l'attend la mort. » 24

C) Les trois volets de la « Septième compagnie »

Mais où est donc passée la septième compagnie ?

Fiche technique

Réalisateur Robert LamoureuxScénario Robert LamoureuxSociété de production Gaumont International Producteur délégué :

Alain PoiréPhotographie Marcel GrignonMusique Henri BourtayreFormat CouleurGenre ComédieDurée 85 minutesDate de sortie 13 décembre 1973

SynopsisEn juin 1940, la septième compagnie de transmission qui s'était tapie dans les bois se faitcapturer par l'armée allemande. Trois soldats partis en éclaireurs échappent à l'ennemi etse retrouvent livrés à eux-mêmes.

Distribution et contexte

Personnages ActeursSergent-chef Chaudard Pierre MondySoldat Pithiviers Jean LefebvreSoldat Tassin Aldo MaccioneColonel Blanchet Robert LamoureuxCapitaine Dumont Pierre TornadeL'épicier Jacques Marin

22 Les Cahiers du cinéma, n°163, février 1965, p.88.23 Référence à l'expression « il ne manque pas un bouton de guêtre » datant de la guerre de 1870, utilisée ici

ironiquement pour désigner l'importance excessive accordée aux détails au détriment de l'essentiel.24 Positif n°69, mai 1965.

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Première partie : Le cinéma populaire, un discours sur l'évènement historique

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L'anecdote veut que le scénario soit inspiré de la propre expérience de R. Lamoureuxpendant la débâcle.

Nombre d'entrées et audience télévisuelle

Entrées lors de la première annéed'exploitation

Entrées totales du début de l'exploitation àce jour

3 359 711 3 944 135

Chaîne Date Heure Nombre detéléspectateurs

Part d'audience

TF1 24 juillet 2007 20h50 8 300 000 36,9%TF1 13 juillet 2010 20h50 4 900 000 29,1%

CritiquesLes différentes critiques publiées dans La revue du cinéma sont en demi-teinte : si ellesont toutes souligné les faiblesses du scénario, elles ont également fait l'éloge de quelquesscènes pour leur efficacité comique : la capture de la septième compagnie, ou encore leravitaillement chez l'épicier.

Les prestations des acteurs sont quant à elles portées aux nues, notamment dans le casde J. Lefebvre : son « personnage de peureux-râleur taillé sur mesure, fait irrésistiblementpenser à Bourvil. »25.

Quant à la satire sur l'armée et la société françaises, elle est très remarquée : onjuge même « paradoxal de voir le français rire de ses propres travers avec autant dedésinvolture. »26. En revanche, une autre critique paru dans le même numéro juge que la« volonté de satire [est] désamorcée par le peu de crédibilité (…) et situations plus théâtralesque réalistes. »27.

Enfin, à propos de la diffusion télévisuelle, une courte formule résume l'engouementpopulaire pour un film jugé de piètre qualité : « La débâcle pour tous. Sauf, sans doute, pourles sacro-saints indices d'écoute. » 28.

On a retrouvé la septième compagnie

Fiche technique

25 La revue du cinéma n°281, février 1974, p.136.26 Idem.27 La revue du cinéma saison 74, février 1974, p.216.28 La revue du cinéma n°371, avril 1982, p.17.

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Juin 1940 à l’écran La débâcle à travers trois succès du cinéma français

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Réalisateur Robert LamoureuxScénario Robert Lamoureux, Gérard Pollicand, Jean-

Marie PoiréSociété de production Gaumont International Production

2000 Producteur délégué : Alain PoiréPhotographie Marcel GrignonMusique Henri BourtayreFormat CouleurGenre ComédieDurée 80 minutesDate de sortie 10 décembre 1975

SynopsisCe second volet présente la suite des aventures de la septième compagnie capturée parles Allemands sur le chemin du Sud de la France, et retrace les évasions successives etrocambolesques des trois soldats se faisant passer pour des officiers français.

Distribution et contexte

Personnages ActeursSergent-chef Chaudard Pierre MondySoldat Pithiviers Jean LefebvreSoldat Tassin Henri GuybetColonel Blanchet Robert LamoureuxCapitaine Dumont Pierre TornadeColonel Voisin Bernard DhéranPanadon Jacques Monod

Nombre d'entrées et audience télévisuelle

Entrées lors de la première annéed'exploitation

Entrées totales du début de l'exploitation àce jour

3 590 242 3 740 246

Chaîne Date Heure Nombre detéléspectateurs

Part d'audience

TF1 31 juillet 2007 20h50 9 600 000 45,4%TF1 20 juillet 2010 20h50 5 600 000 27,6%

CritiquesUn article de La revue du cinéma, à propos de ce film, souligne comme pour le premiervolet, le côté caricatural du scénario de R. Lamoureux : « Les soldats de l'armée allemande

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Première partie : Le cinéma populaire, un discours sur l'évènement historique

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d'occupation étaient vraiment des imbéciles, baladés d'un bout à l'autre du film par desfrançais débrouillards, inventifs, gaffeurs, rigolards. »29

La septième compagnie au clair de lune

Fiche technique

Réalisateur Robert LamoureuxScénario Robert Lamoureux, Jean-Marie PoiréSociété de production Gaumont International Producteur délégué :

Alain PoiréPhotographie Marcel GrignonMusique Henri BourtayreFormat CouleurGenre ComédieDurée 78 minutesDate de sortie 7 décembre 1977

SynopsisEn 1942 dans la France occupée, les trois héros des deux précédentes aventures ontété démobilisés. Le sergent-chef Chaudard a invité ses deux acolytes chez lui alors qu'ilentretient de bonnes relations avec le chef de la milice locale et que sa femme cache à soninsu des résistants dans leur cave. A la suite de nombreux hasards et rebondissements,tous trois deviennent des héros de la Résistance.

L'action de ce film se situe dans le contexte de l'occupation mais quelques répliquesfont référence à la débâcle de 1940.

Distribution et contexte

Personnages ActeursSergent-chef Chaudard Pierre MondySoldat Pithiviers Jean LefebvreSoldat Tassin Henri GuybetSuzanne Chaudard Patricia KarimLe commandant Gilles Gérard HéroldGorgeton Gérard JugnotM. Albert (le passeur) Jean CarmetLambert André Pousse

Nombre d'entrées et audience télévisuelle

29 La revue du cinéma n°371, avril 1982, p.17.

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Juin 1940 à l’écran La débâcle à travers trois succès du cinéma français

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Entrées lors de la première annéed'exploitation

Entrées totales du début de l'exploitation àce jour

1 734 853 1 792 148

Chaîne Date Heure Nombre detéléspectateurs

Part d'audience

TF1 7 août 2007 20h50 9 000 000 44%TF1 27 juillet 2010 20h50 6 200 000 31,2%

Jeux interdits, Week-end à Zuydcoote, et la trilogie de la Septième compagnie prennenttous place dans la France de 1940 et en présentent donc trois visions distinctes, chacuneétant représentative de la période de leur sortie. Comment ces films, qui se présentent avanttout comme des divertissements, font-ils passer un discours politique ?

Chapitre troisième : Comédie et personnagespopulaires : des évocations sous-jacentes

Nous allons ainsi voir que les visions politisées du cinéma populaire de fiction sonttransmises par le genre particulier qu'est la comédie, malgré son apparent apolitisme, ainsique par la construction de rôles-types servant à brosser le portrait de la France en guerre.

A) De l'intérêt de l'analyse des comédies de divertissement

Des comédies raillées pour leur côté « pur divertissement »Dans le cas de la débâcle française de mai-juin 1940, le cinéma populaire concerné estmajoritairement constitué de comédies largement rediffusées à la télévision depuis leursortie. Souvent raillés, ces films se présentent comme des divertissements, apolitiques, cequi rend a priori leur analyse peu intéressante.

A ce titre, l'opinion de J.-L. Bory est pertinente car représentative de ce courant depensée. Écrivain français engagé par Le Masque et la Plume et Le Nouvel Observateur en1964 pour rédiger des critiques littéraires et cinématographiques, J.-L. Bory était considérécomme un défenseur du cinéma « d'art et d'essai » et un violent détracteur du cinéma àgrande distribution, notamment des cinéastes comme M. Audiard ou H. Verneuil, et desacteurs Bourvil et L. de Funès.

Sa critique peu élogieuse sur le film La grande vadrouille montre bien que, pour lui,ce cinéma n'est pas digne d'analyse. Alors qu'il juge le film de G. Oury d'une « médiocritérichissime », il termine : « Bon Dieu, le rire, le vrai, c'est autre chose (…) le vrai rire n'estjamais respectueux. Tout au contraire : il dénonce, il attaque, il corrode, il scandalise, ilsurprend. »30.

Pourtant, une politisation perçue même par leurs détracteurs30 Jean-Louis Bory, La nuit complice : 1966-1968, Paris : Union générale d'éditions, 1972, p.58.

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Première partie : Le cinéma populaire, un discours sur l'évènement historique

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Pour autant, le cinéma populaire, souvent présenté comme un divertissement pur, véhiculelui aussi des messages politiques et culturels. Le même critique démontre dans une de sespublications intitulée « Pierre et Paul vont au cinéma ou tous les films sont politiques » quele cinéma commercial est en réalité le reflet d'une droite conservatrice :

Magnifique détournement de majeurs que cette opération baptisée, avec justesse,« divertissement ». Le divertissement pour faire diversion. C'est à ce détour quele cinéma français dit commercial s'avance avec ses gros sabots. Et avec le ton,les mines, le haut-le-corps haut-le-cœur de circonstance. « Moi, la politique ?Connais pas. La politique, quelle barbe. La politique, quelle fatigue. Moi, jedivertis. Suivez bien mon raisonnement : le métro, le boulot, les pauvres chérissont las, je les délasse. (…) Pas de problème, pas de question, pas de réflexion– à la limite, pas de pensée. Je les divertis, je vous dis. Je les « endors ». C'estça, le vrai repos du samedi soir. » Et c'est là, salaud de cinoche, qu'on te prend lamain dans le sac.31

D'après lui, le manque de questionnement dans le cinéma de divertissement montre unevolonté de respecter le statu quo, et en allant plus loin, une acceptation des idées aupouvoir : « L'apolitisme est un slogan hypocrite et absurde. Il camoufle une très activepolitique contre-révolutionnaire. Louis de Funès est un puissant agent conservateur. »32.Finalement, J.-L. Bory lui-même souligne l'intérêt de l'étude de ces films « commerciaux »par les analystes puisqu'il leur reconnaît la capacité à transmettre des messages politiques.

Il est évident que chaque film transmet une représentation politique du sujet abordé. Lacomédie populaire, sous « forme » de divertissement ayant pour objet d'intéresser un largepublic, ne présente pas moins un « fond » intéressant à analyser.

Une des particularités de la construction comique dans le cinéma populaire est laprésence à l'écran de « gueules » : des visages patrimoniaux qui provoquent le rire etéveillent, de façon plus ou moins marquée dans chaque génération, une certaine tendresse.Parmi les « gueules » les plus emblématiques de ce cinéma, citons Raimu, Fernandel,Bourvil, et enfin de Funès. Relativement à 1940, nous allons voir que la perception évolutivede l'évènement se traduit aussi dans le cinéma populaire par ces personnages-types,représentatifs de chaque période.

B) Des rôles-types qui traduisent une perception mouvante de ladébâcle

B. Fossey, symbole d'une génération muetteB. Fossey, jeune fillette traumatisée par la mort de ses parents lors des bombardements,incarne dans Jeux interdits une génération qui se mure dans le silence, repoussant tous lesdémons intérieurs liés à la guerre. Symbolisant le désir de retour à la vie normale, elle sefait recueillir par les Dollé et refoule son chagrin en se focalisant sur le projet d'enterrer sonchien. Néanmoins, le refoulement ne dure pas éternellement, même au cinéma....

31 Jean-Louis Bory, Rectangle multiple : 1975-1976, Paris : Union générale d’éditions, 1977, p.338.32 Idem.

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Juin 1940 à l’écran La débâcle à travers trois succès du cinéma français

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Le cas Belmondo : l'héroïsme dans la défaiteJ.-P. Belmondo se fait d'abord connaître dans le milieu cinématographique comme la stardu mouvement La Nouvelle vague, notamment dans le film de J.-L. Godard : A bout desouffle. Il devient par la suite la coqueluche du cinéma populaire grâce à un personnageemblématique qui s'imposera peu à peu : un mélange percutant d'arrogance, de gouailleet d'humour désinvolte. C'est dans cette période de grande popularité qu'H. Verneuil leréengage pour son film dramatique Week-end à Zuydcoote.

La débâcle ne sert alors plus seulement de fond à l'histoire, mais devient le récitprincipal du film. Selon l'anecdote33, l'aide matérielle de l'armée française fut conséquente– seulement après la fin du conflit algérien – et participa à sublimer la défaite selon lesouhait d'H. Verneuil. Ainsi, les années 1960 se caractérisent par une vision très patrioteet optimiste des années 1940. Qui d'autre que J.-P. Belmondo pour interpréter l'héroïsmedans la défaite ?

J. Lefebvre ou le « Français moyen » vu par les années 1970Un portrait de Bourvil dresse, dans la revue CinémAction, les grandes lignes du personnagede prédilection de l'acteur normand :

Une figure de niais, de naïf, de demeuré des campagnes, de benêt sympathiquedes pâturages. (…) Un brave type mais pas résigné, maladroit mais digne, ridiculemais humain, gentil mais pas dupe, couillon mais pas si bête. Bourvil, c'est laFrance profonde, le terroir, le camembert, râleur mais sympa.34

Cette description semble correspondre en tous points à celles des personnages de laSeptième compagnie, et notamment de J. Lefebvre, que l'on peut qualifier de caricature du« Français moyen ». Ce personnage est ainsi utilisé pour favoriser l'identification, provoquerles rires et parfois sauver un scénario sans consistance:

La plupart de ces films comiques de consommation courante, pas tous biensûr, sont des films sans style. (…) Et pourtant, nombre de ces films sont sauvésau coin d'une scène, au détour d'une tirade par le jeu des acteurs. (…) Tout àcoup, sans prévenir, ils crèvent l'écran, crèvent le film, le mettent en charpie,se sauvent du film pour exister comme des entités, des archétypes, des demi-dieux.35

J. Lefebvre, dont le personnage est la plupart du temps à l'origine des gags du scénario,s'inscrit tout à fait dans cette lignée : les critiques peu élogieuses sur les trois volets ferontd'ailleurs souvent une exception pour son numéro d'acteur. A travers ce personnage-type,on retrouve la perception de la débâcle par la société des années 1970 : la dérision commeéchappatoire pour brosser le portrait d'une France souvent vue comme lâche.

Marquant chacun une décade, ces trois épopées du cinéma populaire (Jeux Interdits,Week-end à Zuydcoote, et La septième compagnie) traitent tous à leur manière de ladébâcle de 1940. Les trois cinéastes estimaient alors répondre chacun à la demande de leurépoque en revisitant cet évènement à la lumière d'un éclairage qu'ils voulaient nouveau.

33 Sylvie Lindeberg, op.cit., p. 400.34 Daniel Accursi, « Les gueules du cinéma comique », in CinémAction n°82 « Le comique à l'écran », p.119.35 Daniel Accursi, op. cit., pp.121-122.

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Première partie : Le cinéma populaire, un discours sur l'évènement historique

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Ces visions changent-elles fondamentalement d'un film – et donc d'une époque – àl'autre ? Et à quel point peut-on se fier à leur justesse historique ?

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Juin 1940 à l’écran La débâcle à travers trois succès du cinéma français

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Deuxième partie :Les protagonistesde juin 1940 à l'écran : trente ans dereprésentation mythifiée

Juin 1940 à l'écran : la mise en scène de l’évènement implique un nombre important deprotagonistes. Outre les soldats français, le commandement militaire et la population civileapparaissant comme les composantes d’une nation en guerre fragilisée, l'ennemi allemandet l'allié anglais sont également parties prenantes de la représentation de la débâcle. Nousverrons qu'un glissement dans la manière de les représenter s'opère entre l’immédiat après-guerre et les décennies suivantes.

Chapitre premier : Chronique d'une défaite annoncée :les fractures de la France en guerre« Ah, elle est belle, l'armée française ! »36

A) Les soldats au combat : « neuf mois de belote et six semaines decourse à pied » ?

Cette formule acide de l'écrivain Louis-Ferdinand Céline, de même que le surnom d’armée« Ladoumègue » pendant la campagne de 1940, du nom d'un célèbre coureur de demi-fondde l’époque, illustrent parfaitement l’idée que les soldats de la « drôle de guerre » ne sesont pas réellement battus. D'où les répliques récurrentes – notamment dans la Septièmecompagnie – des soldats mis en scène : « Ça serait pas la guerre, qu'est ce qu'on est bien ».37

Dans un article de la revue CinémAction, Sébastien Denis insiste sur la connotationpéjorative de la présence du militaire français à l'écran, faisant souvent l’objet de moqueries,comme c'est le cas du soldat de 1940, quelques années après guerre :

Après les hautes années de l'entre-deux-guerres, la défaite de l'armée françaiseen 1940 et la Libération font du militaire – en dehors des films de propagande– un personnage absent ou dont il n'est pas encore d'actualité de se moquer

36 Le personnage d'une civile française, On a retrouvé la septième compagnie.37 Le personnage de Pithiviers, Mais où est donc passée dans la septième compagnie ?

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Deuxième partie :Les protagonistes de juin 1940 à l'écran : trente ans de représentation mythifiée

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juste après 1945. Il faut attendre les années 1960-1970 pour voir réapparaître lesavatars des Dégourdis sous la forme de Charlots et autres 7ème compagnie.38

Néanmoins, ces satires ne sont pas à interpréter comme un rejet de l'armée française : « Aucontraire, selon l'adage « Qui aime bien châtie bien », l'armée française mise en scène sousdes dehors peu glorieux relève tout de même d'un certain nationalisme ou patriotisme ».39

Filmer la guerre : la désolationDès les années 1950, le drame de la guerre est représenté sous forme d'images terriblesde bombardements allemands. S’ajoutant à ces images, les situations deviennent plusexplicites dans Week-end à Zuydcoote :

Ton enfer, je viens de le voir de très près. Je peux même te dire que ces histoiresde curé c'est vrai. C'est plein de flammes, avec 2000 types qui se tordent sur legrill... Dis donc Pierson, tu me diras que la question n'est pas originale, mais tonBon Dieu qu'est ce qu'il fout pendant ce temps-là ?

Et ainsi, lorsque le même personnage de Maillat se confie à propos du viol de Jeanne,Alexandre lui répond : « N'y pense pas va ! Ça s'est passé comme ça c'est tout ! Te cassepas la tête. La guerre c'est jamais bien propre. »

La dramatisation est encore accrue dans la suite du récit, se rapprochant toujoursdu personnage principal, avec la mort du personnage d'Alexandre provoquant une vivetristesse au sein du groupe d'hommes, comme le prouve ce dialogue entre Pierson et Maillataprès l'enterrement sommaire de leur ami :

Faudrait écrire à sa femme. Oui. Tu veux que je m'en charge ? Oui. Enfin non,je préfère. Je sais ce que tu lui écriras, l'abbé : qu'il est mort en héros, que sonmoral jusqu'au bout est resté exemplaire et que son sacrifice n'a pas été vain. Jeconnais la chanson. Tu sais dans ces cas-là on n'écrit pas ce qu'on veut. Moi jesais ce que je lui écrirais à sa femme. Qu'il est mort en allant chercher l'eau pourfaire du café à ses copains. C'est tout.

Enfin, une réplique du sergent-chef Maillat résume la situation de détresse chez ces soldats :« J'veux pas m'y faire ! Ce que je reproche à la plupart des gars c'est de s'y faire justement !Ils s'installent dans la guerre, tu comprends ! »

Ainsi, H. Verneuil, en montrant les ravages de la débâcle, rend effectivement hommageà sa façon aux morts de 1940 : un patriotisme sans apologie de la guerre, un hommageproche de la réalité historique :

Les soldats de mai 1940 s'attendaient, sans y croire, au bruit, à la fureur, peut-être à l'horreur, mais au coude à coude sur un front stable. La guerre les aprojetés à la fois dans le mouvement et dans la confusion, une confusion dont ona peine à se représenter le formidable effet déstabilisateur.40

Sur cet aspect, le film recoupe cette réalité avec des forces françaises doublementexténuées par les combats d’une part et le repli sous les bombardements aériens d’autre

38 Sébastien Denis, « Le militaire français à l'écran : un chevalier inexistant ? », in CinémAction n°113« L'armée à

l'écran », p.72.39 Sébastien Denis, op. cit., p.73.40 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l'an 40, Tome 2 « Ouvriers et soldats », Paris : Éd. Gallimard, 1990, p.620.

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part. Les estimations historiennes varient ainsi entre les chiffres symboliques de 50 000et 100 000 militaires tués durant les combats de 1939-1940, et plus spécifiquement à labataille de France du 10 mai au 30 juin, le chiffre de 60 000 est avancé : ainsi, « on nepeut (…) envoyer aux oubliettes de l'Histoire 55 000 soldats au minimum, peut-être 65 000,morts entre le 10 mai et le 30 juin »41, ce qui est confirmé par les données du Servicehistorique de la Défense. De la même manière, l'épisode militaire inclut également « 1 850000 prisonniers de guerre, pris au cours des combats ou juste après le discours prononcéspar Pétain le 17 juin. »42

Si le cinéma populaire (et H. Verneuil en particulier) fait apparaître à l’écran les dramesde la débâcle, quel portrait dresse t-il des soldats ?

Une lâcheté omniprésente« Un peu plus, je tuais le Fritz ! Et en temps de guerre ça va chercher loinça ! »43

La référence à la lâcheté de certains soldats se fait dès les années 1950 dans le film Jeuxinterdits, avec le personnage du fils des voisins Gouard rentrant chez lui : « Y'a plus de chef,y'a plus d'Anglais, y'a plus rien, alors j'me suis dit, c'est pas la peine de marcher comme çajusqu'à perpét' ! Alors j'ai foutu le camp, me v'là ! ». La réaction du père Dollé est alors sansappel : « Et on se demande pourquoi on a perdu la guerre... ». Plus tard, il va même jusqu’àl’interpeller : « J'voudrais bien savoir où tu t'es battu toi, déserteur ! »

On retrouve la même composition du personnage du soldat couard dans Week-end àZuydcoote. En effet, grâce à sa relation avec le médecin, Dhéry a pu obtenir un papier qui lecertifie réformé pour maladie de cœur. Maillat prétend alors lire un journal sur la remontéedes Français, ce qui inquiète Dhéry :

Ça se trouve dans deux jours ils sont ici. Oh, tu déconnes, non ? Ça te foutraitdans un joli pétrin si c'était vrai, hein ? Ça t'arrange notre petite défaite !

La lâcheté ambiante est à mettre en parallèle avec le courage de quelques personnagesminoritaires : Pinot, le seul à se battre en tirant sur des « Stukas »44quand tout le mondey a renoncé et alors même qu'il se retrouve seul. A noter, ce courage frôle quelquefoisl'absurdité, notamment dans une scène sur la plage où il est le seul à rester debout pourabattre un avion allemand et son parachutiste qui se retrouve sans défense.

L’omniprésence de la lâcheté atteint encore un degré supérieur dans les volets de laSeptième compagnie, lorsque l'habitante est surprise que Chaudard et ses hommes soientencore dans les environs au lieu de se battre sur le front :

Alors comme ça vous vous battez dans la forêt de Machecoul ? On s'bat, ons'bat, c'est plutôt qu'on est comme une espèce de poste avancé, quoi ! Au casque... Comprenez, supposez que les Allemands reculent ! Crac, on est là ! Pourles empêcher de reculer... Non, pour la tenaille quoi ! J'vous demande ça parceque... aux dernières nouvelles les Allemands sont déjà à trente kilomètres ausud de Machecoul. Tiens ! Oh dites donc... Ils foncent, hein ! Ils foncent, oui.41 Jean-Pierre Azéma, 1940, L'année noire, Paris : Éd. Fayard, 2010, p.219.42 Idem.43 Dialogue entre les personnages de Pithiviers et Tassin, On a retrouvé la septième compagnie.44 Stuka : appareil allemand de bombardement en piqué, tiré du terme allemand « Sturzkampfflugzeug ».

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Alors si j'comprends bien, vous êtes trente kilomètres derrière les Allemands, àattendre qu'ils reviennent en somme ? Voilà ! Enfin, voilà... Pour l'instant ! On vapas rester des années évidemment ! J'm'en doute ! Surtout qu'ils peuvent reculerpar un autre chemin ! Eh oui ! Déjà qu'ils sont pas passés par là pour descendre,on voit pas pourquoi ils passeraient par là pour remonter ! Ça, vous savez, quandon recule...

La même logique avait été utilisée par le personnage de Pithiviers pour convaincre son chefde rester à l'arrière :

Dites, chef. On a pensé, pour la route. Militairement causant, plus qu'on va versle Sud, vu qu'la guerre est pas finie comme vous avez dit, plus qu'on va versle Sud, moins qu'on fait face. Pas vrai, Tassin ? Tandis qu'ici, dans l'cas qu'lasituation se retournerait, supposition, on serait comme un poste avancé, vousvoyez, chef ? Et pour l'instant qu'la situation est pas encore retournée, on estcomme une espèce d'épine que les Boches auraient dans les fesses.

D'autres dialogues font également allusion à la non-combativité des soldats, allant mêmejusqu'à évoquer l'abandon de matériel :

Et ça, chef, qu'est ce que j'en fais ? Quoi, ça ? Bah le téléphone. Comment ce quet'en fais ? Tu l'emmènes. Bah pourquoi faire ? Puisqu'on peut plus s'en servir.Plus s'en servir ? Mais il est pas cassé le téléphone ! Bah il y a plus de fil ! Ettéléphoner à qui ? Dis donc t'aurais pas l'intention d'abandonner le matériel desfois non ? Et pourquoi on jetterait pas nos armes, et qu'on se déguiserait pasen curés de campagne pendant que t'y es ? La guerre est pas finie, faut pas setromper mon gars !45

Dans la Septième compagnie, la lâcheté va même jusqu’à grappiller quelques instants deloisir :

Me baigner, me baigner, c'est quand même la guerre les gars, faudrait pasl'oublier. Pendant qu'on est là, y'en a qui se battent. Bah oui chef, mais on seraitailleurs, ils se battraient aussi. Moi j'suis sûr que ça vous ferait du bien. Surtoutavec vos responsabilités, tout ça...

Cette couardise sera évidemment reprise dans les autres volets de la trilogie, toujourssymbolisée par les mêmes personnages :

C'est une idée de vous, ça chef, ouvrir le chemin ? Ça va pas, non ? C'est lelieutenant, hein ? Ouais. Qu'est ce que j'en ai marre de ce mec-là, qu'est ce quej'en ai marre !

Puis, devant l'étonnement d'un compatriote qui ne les voit pas attaquer le convoid'Allemands : « Oui d'habitude oui, mais là... on n’est pas échauffés. »

Toutefois, ces personnages restent sympathiques à l'écran dans la mesure où, malgrécette lâcheté qu'ils ne s'efforcent même pas de dissimuler, ils ne se refusent jamais uneplaisanterie et d’autres bons moments qui s'offrent à eux.

Manigances et badinage : des Français malgré tout roublards et rigolards

45 Dialogue entre Chaudard et Pithiviers, Mais où est donc passée la septième compagnie ?.

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Juin 1940 à l’écran La débâcle à travers trois succès du cinéma français

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Le personnage de Dhéry dans Week-end à Zuydcoote est emblématique pour ses combineset autres manigances. Mais à partir des années 1970, la représentation des ruses dessoldats français est poussée à l'extrême : de cette façon, les trois héros de la Septièmecompagnie (premier volet) se font facilement passer pour des Allemands et réussissent àduper civils français (« attenfion, écartez-fous, on fa manoeuvrer ! ») et soldats allemands.

Le deuxième volet joue sur les mêmes mécanismes, avec en point d'orgue la l’évasiondes officiers français en déplaçant – sous les yeux de soldats Allemands ahuris – desmatelas devant des tapisseries cachant un passage souterrain.46

Parallèlement, les soldats sont aussi caractérisés par leur mauvaise foi (un stéréotypefrançais ?) : « Parce que faut l'entendre hein... Dix comme lui et les Allemands étaientrefoulés jusqu'à Moscou. »47

Historiquement, la vision défaitiste des soldats de juin 1940 est tout de même réaliste,comme l'atteste F. Fonvieille-Alquier :

Tout le monde savait que les conversations des joueurs de belote, aprèsquelques considérations sur l'absurdité de la guerre, quelques jugementssévères sur le commandement, proche ou lointain, et ses méthodes, quelquesrécriminations sur la nourriture ou sur les permissions, prenaient assez vite unton défaitiste.48

Leur motivation paraît également assez faible : « Qu'on ne s'étonne pas si leurspréoccupations sont restées aux côtés de cette famille et de cette affaire, au temps desvêtements civils. »49. Ces soldats ont ainsi été qualifiés d' « hommes de peu de conviction »par J.-L. Crémieux-Brilhac :

Attentistes moins par calcul ou par conviction que par non-conviction etsubissant la guerre plus qu'ils ne la veulent. D'où le manque de flamme sisouvent déploré. Des Anglais ont qualifié d'un mot expressif, half hearted,l'attitude mentale des combattants chez qui le cœur n'y était qu'à moitié.50

Toutefois, ce manque de conviction réel a été repris et très exagéré par les troiscinéastes, jusqu'à ne retenir de l'attitude française qu'une lâcheté ambiante. Une lâchetéqui n'empêche pas les hommes de trouver les moyens de rester unis...

Un quotidien rassembleur : le rôle-clé de la nourriture« Il n'est pas, sur le plan de l'action, de liens efficaces sans un peu decamaraderie, point de camaraderie sans un peu de vie commune. »51

Cette citation de Marc Bloch à propos du quotidien en temps de guerre semble pleinements'illustrer dans les films étudiés. En effet, dans Week-end à Zuydcoote tout d'abord, lepersonnage d'Alexandre est celui qui semble souder le groupe d'hommes qui s'est formé

46 Cf. Annexe 2.47 Gorgeton, in La septième compagnie au clair de lune, à propos de Chaudard.

48 François Fonvieille-Alquier, Les Français dans la drôle de guerre 39-40, Paris : Éd. Robert Laffont, 1971, p.244.49 Ibidem, p.248.50 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l'an 40, Tome 1 « La guerre oui ou non ? », Paris : Éd. Gallimard, 1990,

p.407.51 Marc Bloch, L'étrange défaite, Paris : Éd. Franc-tireur, 1946.

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au fil de la guerre. Il prépare à manger et fait du café pour Maillat, Pierson, et Dhéry,et s'est aménagé une roulotte à partir d'un camion, provoquant les railleries de Maillat :« On est installés depuis deux jours, voilà qu'on a déjà nos petites habitudes ! Tu seraisplutôt du genre banlieusard toi ! Tu mets de l'ordre dans ton petit coin pis tu te fous dubordel général ! ». Une véritable amitié s’est ainsi formée, et l'alcool est au centre de cequotidien : lors d'un dialogue entre Maillat et Alexandre, on parle de finir la guerre commeon l'a commencé :

« Par un discours de Daladier ? T'es c…. Par une cuite au Pernod, tousensemble. »

Les années 1970 poussant davantage à la dérision, le quotidien fédère toujours le groupe,mais d'une manière plus ridicule. Tels de lointains descendants d’Obélix, les personnagesde Tassin et Pithiviers semblent obnubilés par la nourriture. En effet, dès les premièresscènes – dans le cimetière – le sergent-chef Chaudard déclare : « Le temps est calme, onpeut casser la croûte. » Dans le deuxième volet, on peut relever entre autres : « Il va y avoirla question de trouver à manger, chef », ou encore : « Si on mangeait avant d'ouvrir, chef ?

Y'a rien !Remarquez chef, si y'a de la bouffe dans les environs, vu qu'on ouvre on sera les

premiers servis ! »En effet, les historiens s'accordent pour relever le rôle-clé de la nourriture et de l’alcool :

« objets de toute la sollicitude du commandement et clés premières du moral. » 52.En effet,« le vin, fierté de la France, est symbole de force ; il est associé aux vertus guerrières. Aussitient-il dans la vie de l'armée une place irremplaçable. »53.

La particularité du portrait des soldats de la « drôle de guerre » – de plus en plusnégatif au fil des trois longs-métrages, s'explique aussi par l'incompréhension suscitée parla stratégie militaire de l'époque : une coupure qui ne peut qu'accentuer la représentationdésabusée de la France en guerre.

B) Soldats et commandementmilitaire : l'incompréhensionLa coupure entre les combattants et l'état-major se constitue progressivement, les soldatsse retrouvant confrontés à l’absurdité et à l’inertie, et sans communication précise de la partde leur hiérarchie qui semble nager, elle aussi, en pleine confusion.

« Drôle de guerre » : des soldats maintenus dans l'ignorance, confrontés àl'absurdité et à l'inertieQuelle est la plus grande différence entre la guerre de 1939-1940 et celle menée par lagénération précédente ? La réponse tient en quelques mots après avoir vu en ces films :quelle stratégie ? Les hommes mis en scène dans la débâcle de 1940 ne savent souvent pasexactement pour quelle raison ils se battent ou ne comprennent pas l'intérêt de la stratégiede l’état-major français.

52 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l'an 40, Tome 2 « Ouvriers et soldats », Paris : Éd. Gallimard, 1990, p.431.53 Ibidem, p.463.

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La première caractéristique de cette fissure entre commandement et soldats estl'ignorance dans laquelle ces derniers sont maintenus, donnant lieu à différents passagesqui relatent le manque de renseignements mis à la disposition des combattants :

Dhéry : « Tu l'crois toi, qu'on est encerclés ? »Pierson : « Bah, penses-tu... C'est un bobard ! »Maillat : « C'est pas un bobard, c'est vrai ! Tu sais ce que c'est une poche, l'abbé ?

Et bien on est dans une poche. »54. Ce passage est représentatif dans la mesure où lessoldats ne font plus confiance aux renseignements officiels du commandement militaire,allant même jusqu'à prendre au sérieux les informations provenant de tracts allemands.

En outre, lorsque Maillat interpelle Alexandre, celui-ci ne manque pas de lui répondre :« J'y peux quelque chose au bordel général, moi ? On m'a pas consulté ! ». La stratégieparaît donc incomprise.

Plus loin dans le film, c’est l’absurdité des ordres qui est épinglée : aussi, un soldatrépond à Maillat, alors que ce dernier cherche « le camion des morts » : « Tu parles d'unearmée qu'on a, Bon Dieu ! Les morts on les balade en auto, et nous on se tape toute laroute à pince ! ».

Dans les années 1970, l'immobilisme est, à l'instar des autres thématiques, tournédavantage en ridicule. La tirade en voix-off du premier plan de la Septième compagnie estrévélatrice de ce glissement :

Par ce clair matin de mai 1940, l'armée française reculait selon le porte-paroledu grand quartier général, dans les meilleures conditions. Aucune armée avantcelle-ci n'avait reculé aussi bien. Ni surtout aussi vite. Le porte-parole du GQGn'allait pas jusqu'à dire que c'était un plaisir de reculer comme ça, mais presque.L'opinion de la septième compagnie de transmission sur la qualité de ce reculétait légèrement différente.

Comme l'atteste cet extrait, la stratégie statique qui consistait à s'appuyer sur la ligneMaginot (fortifications construites le long des frontières françaises à l'est du territoire) et surun armement uniquement défensif (sans être réellement inférieur à celui de l'Allemagne) aété beaucoup raillée dans ses représentations cinématographiques. Or, elle reposait, selonJ.-L. Crémieux-Brilhac, sur des arguments recevables : la situation des effectifs : « la Franceest trop pauvre en hommes pour gaspiller le bien le plus précieux (…) C'est pour épargnerles hommes que « l'offensive » de septembre à la frontière de la Sarre est aussi timide et

suivie d'un prompt retrait. » 55 , ainsi que la situation géographique : « Le Rhin et le double

rempart des lignes Maginot et Siegfried cadenassent la frontière franco-allemande. La non-belligérance italienne interdit de descendre sur Turin (…). »56

Cependant, cette tactique s’est heurtée à deux problématiques difficilementsurmontables : le manque de motivation à combattre, et la difficulté française de vivre uneguerre immobile, alors que l’Allemagne connaissait une victoire rapide en Pologne.

Ainsi, même si cet attentisme est plus complexe qu'on ne le montre dans ces films, etqu’il s'est nourri de diverses influences – la peur de la supériorité militaire du Reich, la peur

54 Week-end à Zuydcoote.55 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l'an 40, Tome 1 « La guerre oui ou non ? », Paris : Éd. Gallimard, 1990, p.130.56 Idem.

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du désordre social – il constitue un point mémoriel crucial de cette bataille, jusqu'à brouillertoutes les cartes d'une hiérarchie militaire française désorganisée.

Quelle hiérarchie dans la confusion ?Le désordre au sein de l'armée est souvent pointé du doigt dans la Septième compagniepar le personnage joué par R. Lamoureux lui-même : « Églantine, ici Mirabelle, mais qu'estce que vous foutez mon vieux ? ». Et lorsqu'on lui donne l'ordre de se déplacer : « Maispas si vite ! »

Le chaos est toujours présent dans les autres volets, lorsque le même colonel Blanchetdoit emprunter un téléphone à un civil pour s'informer de la présence de postes militaires :

Allô ? Ah mademoiselle, vous êtes bien la Poste de Rochenville ? Ce qu'il enreste, oui. Pouvez-vous me dire si un poste de commandement s'est installé dansvotre village ? Non pas un poste allemand, un poste français. C'est ça, regardezpar-dessus les gravas. Si vous avez besoin d'un pharmacien chaque fois quevous voulez communiquer avec un supérieur, ça m'étonne pas que... Mais non !Mais non ! J'avais une compagnie de transmission, mais je l'ai perdue. Allô ?

Enfin, dans les différents films étudiés on ne mentionne quasiment jamais les dirigeantspolitiques et militaires de l'époque. On trouve seulement, dans Jeux interdits, un plan sur lejournal La Montagne évoquant la démission de Paul Reynaud auquel succède le maréchalPétain57. D'ailleurs, les « Dollé » préfèrent commenter l'annonce de la décoration du fils duvoisin que les actualités nationales.

Dans Week-end à Zuydcoote, Maillat déplore seulement, à l'occasion d'un échangeavec le capitaine anglais Robinson, le limogeage du généralissime Gamelin, effectivementremplacé par M. Weygand au cours de mai 1940.

M. Gamelin, ainsi cité par le personnage de J.-P. Belmondo, et illustre collaborateur dumaréchal Joffre lors de la Première Guerre mondiale, semble apprécié des soldats de la« drôle de guerre » et prendra les décisions relatives à la conduite de la guerre jusqu'à sonéviction en mai 1940.

Dès sa nomination au poste de Président du Conseil le 22 mars, et à la suite d'unevive et longue rivalité avec son prédécesseur, P. Reynaud, « en signe de sa volonté devaincre, (...) annonce l'entrée au gouvernement du maréchal Pétain (…) [et] (…) remplaceGamelin par Weygand, l'héritier spirituel de Foch. » 58 . Mais P. Reynaud, comme le prouvela parenthèse que représente le plan sur le journal dans Jeux Interdits, s'effondre en juin1940, après des affrontements avec le nouveau généralissime, pour laisser la place auxpartisans de l'armistice que sont le maréchal Pétain et Weygand.

L'absence de l'évocation d’E. Daladier à l'écran ne saurait être surprenante dans lamesure où le Président du Conseil, si estimé à l'entrée en guerre, n'a pas su acquérir« l'étoffe du grand conducteur d'une nation en guerre (…) constamment incertain d'avoireu raison d'engager la France dans la guerre en 1939. »59, ce qui aura pour conséquencesa démission dès le mois de mars 1940. Par ailleurs, on ne trouve aucune autre mention

57 Cf. Annexe 3.58 Jean-Louis Crémieux Brilhac, op.cit., p.548.59 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l'an 40, Tome 1 « La guerre oui ou non ? », Paris : Éd. Gallimard, 1990, p.143.

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du maréchal Pétain ni du général de Gaulle – il est vrai seulement sous-secrétaire d’Étatà la défense à l'époque.

Au fossé existant entre l’armée et son commandement s’ajoute celui qui s'est creuséentre militaires et civils.

C) Une armée coupée de la population civile« On peut pas dire que l'armée soit soutenue, hein mon lieutenant ! »60

Le fossé entre les générations : la « drôle de guerre » vue par les « gueulescassées »« En 18, on foutait pas le camp, on n'avait pas besoin d’aller si vite », s'indigne le « pèreGouard », s'adressant à son fils suite à sa rentrée hâtive du front. On observe dans cetteréplique le reflet d'une génération restée ancrée à l'époque de la Grande Guerre.

Le même reproche est formulé par un ancien combattant dans la Septième compagnie,lorsque les trois protagonistes rencontrent un paysan qui les aide tout en précisant : « Çafoire en bas aussi... En 14, nous on s'accrochait, on avait des pertes, mais on s'accrochait ».

Outre l'incompréhension de leurs aînés face à une guerre qui ne ressemble pas à cellequ’ils croyaient, les soldats de 1940 doivent aussi faire face à une population civile bientôttraumatisée par l'exode.

L'exode, traumatisme pour les civils versus obstacle pour les militairesUn des visages les plus dramatiques de la relation compliquée entre l’armée et la populationcivile est celui de l'exode. La tension liée à sa représentation est maximale : l'exode,phénomène touchant des millions de Français, a souvent été perçu comme une des causesde la défaite de 1940, alors qu'il n'en était que l'une des conséquences.

De cette manière, dans la Septième compagnie, lorsque la dépanneuse emprunte laroute départementale où marchent des civils, le personnage de Pithiviers se plaint : « C'estlong... », et le sergent-chef répond : « C'est les civils qui gênent ! ».

Toutefois, le film où les images de l'exode sont à la fois les plus présentes et les plustragiques est Jeux interdits, symbole d’une période où les souvenirs étaient encore tropvivaces. Dès le générique, les plans se suivent dans une volonté tragique de filmer l'horreur :un appareil de bombardement aérien, une femme hurlant, les parents de Paulette mourantsous ses yeux61. Les images des bombardements reviennent d'ailleurs par la suite, lorsqueMichel et Paulette transportent des croix pour leur projet de cimetière, faisant ressortir lecourage – presque adulte – des deux enfants. En effet, le bruit et l'éclair des bombardementsleur font peur, mais ils ne se l'avouent pas.

Il est certain que l'exode a bouleversé des millions de familles, et tenait lieu de décorpour les nombreux drames de 1940. Ici, R. Clément s'approche donc de la réalité historiqueen peignant l'horreur que vit Paulette ces quelques jours de juin. En effet, comme Marc

60 Le personnage de Pithiviers, Mais où est donc passée la septième compagnie.61 Cf. Annexe 4.

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Bloch le remarque : « Il possède, ce bombardement descendu des cieux, une capacitéd'épouvante, qui n'appartient véritablement qu'à lui. »62.

J.-P. Azéma et J. Vidalenc semblent eux aussi accréditer le scénario de Jeux interdits,en écrivant : « Selon les chiffres fournis par la Croix-Rouge internationale, 90 000 enfantsfurent séparés de leurs parents. »63, et :

A côté de ces drames familiaux il faut ajouter tous ceux qui se manifestèrentplus tard, quand on s'aperçut que les indications qu'on croyait avoir sur unenfant n'étaient pas exactes, et il n'y a pas encore d'années sans que la pressene vienne rappeler, le cas enfin résolu, ou toujours incertain, d'un enfant perdupendant l'exode de 1940.64

En ce qui concerne les conséquences sur les opérations militaires, dont le personnage deChaudard dans la Septième compagnie affirmait l'importance, elles sont considérablementtempérées par l'historien : « L'embouteillage par les réfugiés semble n'avoir pris un caractèresusceptible d'entraver sérieusement les opérations militaires que sur un nombre de pointstrès limité, mais, il faut le reconnaître, d'une importance primordiale. »65

Comment expliquer ces départs ? La force de l'exemple en tout premier lieu sans doute,mais aussi d'autres raisons :

Il y avait ainsi toutes sortes de raisons sentimentales ou affectives, celles quitransformaient paradoxalement l'exode en un acte de foi en l'armée française(…), celles qui faisaient en somme du départ un plébiscite contre la présencede l'ennemi et qui expliquent peut-être l'animosité avec laquelle ses agentsdans les deux zones stigmatisèrent « la folie des départs alors que rien n'était àcraindre ».66

Nous allons enfin voir que le manque de soutien de la population civile, volontiers exagérédans les longs-métrages de R. Lamoureux, se présente quelquefois comme un présage dela période qui suit la débâcle.

Certains comportements civils préfigurent déjà l'OccupationSans parler d'anachronismes, R. Lamoureux met également en scène des personnages decivils qui semblent annoncer la période de l'Occupation : certaines figures semblent biensympathiques vis-à-vis de l'ennemi allemand...

En effet, dans le premier volet de la Septième compagnie, les héros s'arrêtent à uneépicerie pour se ravitailler. L'épicier leur répond qu'il n'y a « plus rien ! ». Quelques minutesplus tard, lorsque deux soldats allemands arrivent en moto, le sergent-chef Chaudardse cache pour observer le civil qui salue chaleureusement l'ennemi et offre à boire auxsoldats67.

62 Marc Bloch, op.cit.63 Jean-Pierre Azéma, op. cit., p.119.

64 Jean Vidalenc, L'exode de mai-juin 1940, Paris : Presses Universitaires de France, 1957, p.382.65 Ibidem, p.377.66 Ibidem, p.375

67 Cf. Annexe 5.

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Il en est de même dans le deuxième volet, une civile française appréciant passer dutemps indifféremment avec des soldats français qu’allemands.

Si l’on en croit ces films, la France en guerre est difficilement unie derrière des soldatscombatifs... Comment ne pas être alors tenté de dépeindre un ennemi surpuissant, quimaîtrise tous les aspects de cette nouvelle guerre, ainsi qu'un allié qu'on aurait espéré plusprésent ?

Chapitre deuxième : Entre domination allemande etisolement face aux Anglais

S’adjoignant aux difficultés internes, le portrait cinématographique de la nation françaiseen guerre s'inscrit également dans un contexte d’isolement absolu, face à un ennemiredoutable et aux côtés d'un allié qui semble très lointain.

A) L'ennemi allemand : l'armée surpuissante ?La nation allemande a donc, quelques années après la Grande Guerre et contrairement àson ennemi historique qu'est la France, adopté une stratégie originale : la « guerre éclair »,conduisant à une représentation de supériorité dans les films étudiés.

La haine historique des « Chleuhs »« Les Allemands ne sont presque plus des « Boches ». D'ailleurs les soldatsfrançais les appelleront beaucoup plus couramment les « Chleuhs » ou les« Fritz ». » 68.

Dans Jeux interdits, on ne trouve pas de mention de l'armée allemande, à l'exception d'uneseule réplique où ils sont appelés les « Prussiens ». Or en 1940, la Prusse n'est plus qu'unLand de la République allemande de Weimar parmi d’autres, l'empire s'étant officiellementeffondré après la défaite de 1918.

C'est seulement dans le long-métrage d'H. Verneuil que les Allemands sont mis enscène sous le terme péjoratif de « Fritz » : « Quand t'auras 60 ans, tu pourras dire à tesparoissiens, les Fritz m'ont fait prisonnier dans la poche de Dunkerque ! »69. De la mêmemanière, Chaudard, dès les premières scènes de Mais où est donc passée la septièmecompagnie, s'exclame : « Les Chleuhs ! »

La supériorité à tous les niveauxL’armée allemande semble représentée comme une armée supérieure à celle de la France àtous les niveaux. Ainsi, les différentes scènes de Week-end à Zuydcoote sont constammententrecoupées par des images de bombardements intenses, donnant l'impression d'une

68 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l'an 40, Tome 1 « La guerre oui ou non ? », Paris : Éd. Gallimard, 1990,

p.70.69 Le personnage deMaillat, Week-end à Zuydcoote.

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aviation allemande omniprésente sur tout le territoire du nord de la France. Le personnageprincipal joué par J.-P. Belmondo ne se fait d'ailleurs pas d'illusion sur l'avancée rapidedes Allemands sur le front : à l'écoute d'un communiqué radio, il déclare : « Aie ça y estencore une tuile ! ». Après l'annonce officielle française expliquant que : « dans le Nordles opérations continuent de se dérouler avec la même âpreté autour du camp retranchéde Dunkerque » et qu’on se bat « héroïquement pour la maîtrise du ciel », il commenteironiquement : « Si la maîtrise continue comme ça, dans deux jours les Fritz sont ici... ».

Dans le premier volet de la Septième compagnie cette fois, la domination nazie estégalement matérielle : « Les boches ils ont des bottes, eux. » Pithiviers répond : « Moi j'vaisvous dire un truc, chef, c'est avec des conneries comme ça qu'on perd une guerre. Le tempsqu'on se fringue, crac, ils sont là ! ».

Mais cette supériorité est aussi allégorique puisque les Allemands, qui réussissent àintercepter le téléphone de la compagnie de transmission, ridiculisent le colonel Blanchet :« Mais ça fait rien, bougez pas, on arrive ! (rires) ». Chaudard dira ainsi au soldat Pithiviers,alors qu'ils se font passer pour l'ennemi : « Souris ! Tu gagnes la guerre, nom de Dieu ! ».L'avantage stratégique allemand est aussi souligné par la suite de manière ironique – lorsde la scène du château où de nombreux soldats et officiers français ont été faits prisonniers– par Chaudard et Pithiviers qui se plaignent du manque de place : « Justement quand vousavez vu que vous alliez en avoir trop, fallait ralentir. En tout cas, la fameuse organisationallemande, laissez-moi rigoler.

C'est vrai, ils capturent, ils capturent, et après ils savent plus quoi en foutre. »Or, cette domination doit être mise en parallèle avec réalité beaucoup plus nuancée :

« Si les effectifs et les armements terrestres sont plus ou moins équivalents, l’État-majorsurestime les moyens allemands et cette surestimation aura chez certains chefs, pendantla campagne de France, l'effet d'un complexe d'infériorité paralysant. »70, comme le montrece tableau réalisé par l’historien J.-L. Crémieux-Brilhac :

Estimations de l’État-major français Réalités de l'armée allemande130 divisions 102 divisions25 000 hommes Entre 15 et 17 000 hommesEntre 3 500 à 4 200 chars 2 600 chars

J.-P. Azéma quant à lui, dresse la même conclusion d'une estimation erronée : « onaurait tort de se représenter la Wehrmacht comme remarquablement équipée : 10% à peinede ses troupes étaient motorisées (…). Reste que le grief pétainiste du « trop peu d'armes »a très probablement convaincu la majorité des Français de l'été 1940, et c'est sans doute cequi importe encore. »71. De la même manière, l'armée de l'air française n'était pas beaucoupmoins équipée que la Luftwaffe, mais celle-ci la « surclassait (…) pour les chasseurs et plusencore pour les bombardiers de combats. »72. Il en est de même pour le nombre de blindés,à peu près équivalent de chaque côté du Rhin, mais beaucoup moins développés et solidespour l'armée française. Ainsi, ce n'est pas l'aspect quantitatif de l'armement mais la tactiquedéfensive utilisée pour s'en servir qui a permis à l’armée allemande de s'imposer.

70 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l'an 40, Tome 1 « La guerre oui ou non ? », Éd. Gallimard, 1990, p.121.71 Jean-Pierre Azéma, op. cit., p.214.72 Ibidem, p.215.

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Juin 1940 à l’écran La débâcle à travers trois succès du cinéma français

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La perception de la domination n'était donc pas fantasmée seulement par quelquescinéastes après coup : c’est cette perception qui a scellé le sort de la France le 13 mai 1940suite au franchissement de la Meuse à Sedan par l'armée allemande.

Toutefois, au-delà de l’image de puissance, et notamment chez R. Lamoureux, lareprésentation individuelle de l’ennemi est bien moins flatteuse.

Une armée collectivement supérieure mais individuellement ridiculisée ?La personnalisation de l'armée allemande est en effet beaucoup plus complexe dans Maisoù est donc passée la septième compagnie ?. Malgré une description faisant alternerdomination matérielle et humaine, la mise en scène révèle également des personnages desoldats Allemands se faisant duper facilement.

Réussir à se faire passer pour des Allemands devant des Allemands (en germanisantdes mots français et en s’exhibant simplement torse nus sur une dépanneuse de charallemande), et faire évader la majorité des officiers français du château derrière des matelaspour se faufiler derrière des tapisseries : tels sont les exploits rocambolesques de Chaudard,Pithiviers et Tassin.

Cette volonté de représenter le soldat allemand de 1940 comme au moins aussiimbécile que les personnages de P. Mondy, J. Lefebvre et A. Maccione provient d'unenécessité de dédramatiser lorsqu'on représente à l’écran, dans une comédie populaire, desmillions d'individus s’étant battus pour les idées nazies.

Nous allons voir que le mythe de l'hégémonie allemande s'inscrit également dans unautre mythe ayant contribué à la victoire allemande : la Cinquième colonne.

B) Une guerre psychologique orchestrée par l'Allemagne« On a raconté que Hitler, avant d'établir ses plans de combat, s'était entouré d'experts enpsychologie. J'ignore si le trait est authentique. Il ne paraît pas incroyable. »73

La supériorité de la propagande nazieWeek-end à Zuydcoote met particulièrement en scène l'efficacité de la propagande del'armée allemande par des tracts :

Français, la Pologne de 34 millions d'habitants n'existe plus, la Hollande adéposé les armes, l'armée belge vient de capituler, l'armée allemande avance.Plus de 500 000 soldats se sont rendus. (…) Jeanne d'Arc pleurerait si elle voyaitcomme le noble sang de la France coule encore. Pourquoi tant de sacrifices ?Pourquoi vous battez-vous pour les marchands de canon et les magnats de lafinance anglaise ? L’Angleterre combattra jusqu'au dernier Français.

Certes, lorsque le personnage de Pierson lit un passage de ce tract, il le roule en boule etAlexandre conclut : « Ah, ils sont culottés ! » ; mais la méconnaissance et le doute subsistentcomme le montrent les dialogues au sein des soldats français : « Dis donc tu crois ce qu'onraconte, toi ? Les Fritz ils vont s'amener avec des tanks, pis des lance-flammes ? »

73 Marc Bloch, op. cit.

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Deuxième partie :Les protagonistes de juin 1940 à l'écran : trente ans de représentation mythifiée

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Cette volonté de montrer une Allemagne maîtresse d’une propagande efficace74 rejointeffectivement la réalité de l’atmosphère suspicieuse de l'époque qui s'était transmise àl'ensemble de la société française.

Suspicion généralisée : des espions partout ?Après l'omission dans le scénario de Jeux interdits – peu étonnante puisque le film sedéroule majoritairement aux alentours de la ferme isolée des Dollé –, le long-métraged'H. Verneuil aborde de façon précise le phénomène de la Cinquième colonne. Définie demanière générale comme les partisans infiltrés d'un autre État ou d'une organisation hostile,cette Cinquième colonne désigne pour l'épisode de mai-juin 1940 des agents allemandss'infiltrant derrières les lignes français pour répandre de fausses nouvelles ou effectuantd'autres actions pour gêner l'armée ennemie. Suite à la découverte de plusieurs cas de cetype, des consignes de prudence ont été données dans l'armée française. Effectivement,dès les premières scènes du film d’H. Verneuil, un plan est cadré sur une affiche del'armée française représentant un soldat bâillonné d'un drapeau bleu-blanc-rouge : « Unrenseignement capital ! Sachez vous taire. »75.

Les soldats font d'ailleurs plusieurs fois référence au phénomène : « T'as déjà entenduparler de la Cinquième colonne ? Y'a un parachutiste allemand déguisé en curé qu'adescendu un colonel anglais à Bergues ! »76. En effet, par la suite et avec l'aide de Maillat,Pinot abat des soldats allemands déguisés en bonnes sœurs.

R. Lamoureux y fait lui aussi référence, allant jusqu'à constituer le générique de Maisoù est donc passée la septième compagnie ?, avec la une de plusieurs journaux du 10 et11 mai 1940, notamment : « Les Allemands continuent à déposer derrière les lignes desparachutistes revêtus d'uniformes hollandais, belges, anglais, français. » 77 . Le climat desuspicion se propage même parmi la population civile : ainsi, l'habitante chez qui Chaudardcherche à se ravitailler se montre méfiante du fait de la présence de soldats allemandsdéguisés en Français dans le village.

La Cinquième colonne, un mythe salvateur pour expliquer la défaiteQuelle réalité historique pour un phénomène très représenté dans le cinéma français ?Selon Max Gallo, l'armée clandestine de propagandistes a bel et bien existé. Cescombattants agissant dans l'ombre étaient peu nombreux mais bien placés78, conformémentà la volonté personnelle d’Hitler :

La Cinquième colonne allemande dont nous imaginons – à juste titre – l'ombregéante, permet de dire au moins que la France a été mise dans l'impossibilitéd'agir. (...) Dans les partis politiques, dans le gouvernement, dans les États-majors, dans les journaux. Là, ils étaient philo-fascistes, ici pro-nazis, làpacifistes, ailleurs hostiles aux Anglais. (…) Dans une guerre éclair, comme celleque précisément Hitler voulait conduire, la lenteur dans la réaction est le facteur

74 Cf. Annexe 6.75 Cf. Annexe 7.

76 Pinot, Week-end à Zuydcoote.77 Cf. Annexe 8.

78 Cf. Annexe 9.

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Juin 1940 à l’écran La débâcle à travers trois succès du cinéma français

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déterminant de la défaite. (…) Et l'on comprend ainsi que la stratégie politiquede Hitler – Cinquième colonne – et sa stratégie militaire – guerre éclair – sontindissociables, elles sont les deux faces soudées d'un même plan. 79

Cette réalité s'est ensuite modifiée progressivement jusqu’à former un mythe salvateur dansla mémoire collective pour expliquer la défaite et la chute de la nation, et se libérer du poidsde la défaite : « Comme souvent les mythes, celui de la Cinquième colonne était explicatifet salvateur. Il disait la volonté de fuir hors du réel tragique pour sauver l'espoir, il disaitl'incompréhension du détail des faits et l'intuition des causes. »80.

Enfin, nous allons voir que l’absence de l’allié anglais est un autre facteur responsablede la débâcle désigné par l’opinion française et retranscrite dans ces films.

C) L’allié anglais, l’absence à l’écran« « Les Anglais », d'ailleurs, avons-nous su jamais organiser une coopérationavec eux ? Nulle part, la fatale insuffisance de nos liaisons, au sens plein du mot,n'apparut sous un jour plus cruel. »81

Un allié trop distantL'armée anglaise est ainsi trop absente pour pouvoir exister dans les représentations :aucune évocation de l'allié n'est faite dans les films Jeux interdits et les différents volets dela Septième compagnie.

En revanche, il est très présent dans le film d'H. Verneuil – l'action se passant dans lesenvirons de Dunkerque82. Cependant, l’armée anglaise fait l’objet d’une grande amertumechez les soldats français.

Ce qui suscite beaucoup de rancœur et d'incompréhensionLa défiance vis-à-vis de l'armée anglaise débute dès les premières scènes du film, lors d'undialogue entre Maillat et un autre soldat dans le bureau du capitaine :

Tu sais nager ? Bon, tu gagnes Dunkerque et tu traverses. 18 kilomètres, c'estpas la mer à boire. Et de l'autre côté tu sais ce qu'il y a ? Y'a l'Angleterre. Et ilssont peinards en Angleterre ! Ils jouent au tennis en ce moment en Angleterre !C'est vrai qu'on va nous embarquer ? Les Anglais, c'est sûr, mais nous...

La suspicion qu'inspire le commandement anglais est illustrée par cette réplique : uneméfiance liée à la peur que les Alliés abandonnent la bataille sur le territoire français.Plus tard, lorsque le sergent-chef Maillat a accompli les formalités pour embarquer et quesa demande est refusée, il déclare d'un ton narquois : « J'apprécie beaucoup l'humourbritannique. Surtout en temps de paix ! » Un autre soldat s'indigne moins discrètement :« C'est quand même pas les Anglais qui vont nous faire la loi, non ? »

79 Max Gallo, Cinquième colonne – 1930-1940, Et ce fut la défaite..., Paris : Éd. Plon, 1970, p.287.80 Ibidem, p. 289.81 Marc Bloch, op. cit.

82 Cf. Annexe 7.

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Deuxième partie :Les protagonistes de juin 1940 à l'écran : trente ans de représentation mythifiée

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Enfin, le dialogue entre le sergent-chef Maillat et le capitaine Robinson conclutsymboliquement la vision française de cette relation compliquée avec ses voisins d'outre-manche :

Comment trouvez-vous cette guerre ? Truquée ! Vraiment ? On avait la ligneMaginot, les Allemands l'ont contournée. On avait un généralissime on nous l'alimogé, on avait des Alliés, les v'là qui se sauvent ! Ah oui mais maintenant c'estune question de sauve-qui-peut ! Vous aussi, vous vous sauvez. Avec vous !Comme ça, je reste fidèle à notre alliance... (Rires) Quand tout vole en éclats, ilfaut reprendre des vies. Mais vous savez ce débarquement pour nous, c'est unegrande victoire stratégique. Encore une ou deux grandes victoires stratégiquesde ce genre-là, et vous allez vous retrouver en Norvège ! Qui sait ! Peut-être unjour nous nous retrouverons en France !

Outre la référence anachronique au futur débarquement de 1944, cet échange témoigne dela rancœur provoquée par le retrait des troupes anglaises et surtout de l'incompréhensionde la stratégie britannique.

En effet, l'opinion française, à la recherche de fautifs, se polarise autour del'anglophobie, notamment concernant l'épisode précis de l'embarquement à Dunkerque :

Vinrent, après d'âpres semaines, les jours de l'embarquement. Que lesBritanniques aient nettement marqué leur volonté de passer d'abord, sanspermettre à aucun de nous, à bien peu d'exceptions près, de mettre le pied sur unpont de navire avant que leurs propres troupes, au complet, n'eussent quitté lacôte, je ne me rangerai point parmi ceux qui leur en font un âpre grief.83

En effet, cet embarquement qui dura neuf jours – du 26 mai au 4 juin – permit seulementl’évacuation de 15 000 Français sur 126 000 hommes au total :

[Il] aggrava les malentendus entre Français et Anglais et suscita quelque aigreurchez nombre de responsables militaires français. (…) Le déséquilibre entre lesnombres respectifs de Britanniques et de Français évacués devint un problèmepolitique. Il arrivait que des soldats français fussent brutalisés ou rejetés à la merparce qu'ils prenaient la place des tommies.84

Ainsi, les trois aventures du cinéma populaire français étudiées ici ont toutes contribué àfiger le portrait des protagonistes de la débâcle de 1940. A chaque période, les réalisateursconstruisaient une vision de l'évènement qu'ils souhaitaient originale. Or, nous l'avonsvu, ces différentes visions, loin de changer fondamentalement et malgré les distorsionshistoriques, suivent une évolution de plus en plus caricaturale, notamment en ce quiconcerne la non-combativité des soldats français et la domination allemande.

Comment peut-on alors analyser cette perception de la débâcle dans le cadre plusglobal de la mémoire collective des années noires ?

83 Marc Bloch, op. cit.84 Jean-Pierre Azéma, op. cit., p.113.

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Juin 1940 à l’écran La débâcle à travers trois succès du cinéma français

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Troisième partie :La perception de ladébâcle : une dynamique analogueà celle de l'Occupation. Un enjeunational ?

La discrétion, l'héroïsme, et la dérision : trois représentations pour trois décades différentes.En se basant sur cette analyse cinématographique, l'évolution mémorielle de la débâcles'inscrit ainsi dans la lignée de celle, bien plus marquée, de l'Occupation. Un phénomènequi se fera, nous allons le voir, au détriment de la visibilité du souvenir de 1940. La défaite de1940 est-elle alors finalement un enjeu national à l'instar de la période des années noires ?

Chapitre premier : La représentation de la débâcle : uncheminement occulté par le débat sur l'Occupation

La représentation de juin 1940 dans le cinéma français – passant du silence à l'humour entrente ans – va suivre la dynamique mémorielle de l'Occupation, comme le révèle l'analysedu S yndrome de Vichy d'H. Rousso. Le glissement de cette vision collective, nous allonsle voir, se retrouve inextricablement lié aux évènements politiques et expectatives socialesde l'époque. En effet, « lorsqu'un écrivain ou un cinéaste décide de choisir l'Occupation [oula débâcle] pour sujet ou pour cadre, il répond, on l'a vu, à une demande ou, du moins, lasuppose-t-il. »85.

A) L'évolution du souvenir de la guerre profondément liée au contextepolitique

L'occultation de la défaite militaire : l'ère gaullienneDans le discours mémoriel gaullien, la Seconde Guerre mondiale est vue comme leprolongement de la Première Guerre mondiale, comme l'illustre le discours de l'ancien chefd’État prononcé à Bar-le-duc le 28 juillet 1946 : « Le drame de la guerre de trente ans,que nous venons de gagner, a comporté maintes péripéties et vu entrer et sortir maintsacteurs. ».

En outre, la célébration d'un peuple en résistance symbolisé par le général de Gaulle ourésistancialisme, est un autre point important de cette interprétation de l'Histoire de France,

85 Henri Rousso, op. cit., p.310.

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Troisième partie :La perception de la débâcle : une dynamique analogue à celle de l'Occupation.Un enjeu national ?

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comme l'analyse H. Rousso dans la première phase du « deuil inachevé ». L'auteur expliquece succès dans la France de l'après-guerre jusqu'à celle des années 1960 :

Le modèle de l'honneur inventé s'est parfaitement harmonisé avec le désirgrandissant (…) de calmer le jeu et le rejeu des séquelles. D'où le relatifconsensus autour du résistancialisme gaullien, qui a laissé malgré tout sa place àd'autres mémoires partisanes.86

Dans cette vision, la défaite de 1940 est oubliée car « la seule France », celle qui désiraitencore se battre, était à Londres ; l’État français n'étant pas reconnu comme moralementet politiquement légitime. Parallèlement, un autre évènement historique accentue le silenceautour de la défaite militaire de juin 1940 : la guerre d'Algérie. Un tabou pesant jusqu'à 1962,réveillant tout de même le douloureux souvenir d'une défaite française.

Ainsi, la discrétion au sujet de la débâcle – que Jeux interdits illustre parfaitement –est dans un premier temps confondue avec le mutisme politique sur l'Occupation. Mais unglissement va s’opérer dans la mémoire collective au cours des décennies suivantes et cettevision de 1940 va être par la suite totalement occultée.

A partir de mai 68, un tournant dans l'image de la périodeL'onde de choc du mouvement étudiant, social, et politique de mai 1968 se propage à toutesles sphères de la société française : la remise en cause des valeurs traditionnelles s'étendde la même manière au roman national construit par les générations précédentes. En outre,l'échec du référendum du 27 avril 1969 du général de Gaulle provoquant son départ, ainsique sa disparition le 9 novembre de l'année suivante, permettent le tournant mémoriel quin'avait pas pu se réaliser plus tôt, « son charisme [ayant] empêché les questionnementsanxieux ou provocateurs. »87

Enfin, s’ajoutant aux chocs politiques des années 1960, l'obtention de la grâce dumilicien Paul Touvier « brise le miroir » en novembre 1971, selon l'expression d'H. Rousso,à contre-courant de la volonté du Président Pompidou :

Le moment n'est-il pas venu de jeter le voile, d'oublier ces temps où les Françaisne s'aimaient pas, s'entre-déchiraient et même s'entre-tuaient, et je ne dis pascela, même s'il y a ici des esprits forts, par calcul politique, je le dis par respectde la France.88

Véritablement, de l'après-guerre aux années 1970, le contexte politique est partie intégrantedu débat mémoriel. Mais loin d'en représenter l'origine, il suit en réalité les attentessociales de l'époque : l'apparition de controverses sur l’Occupation annonce le basculementmémoriel.

B) De nombreuses polémiques sur l'Occupation traduisant de fortesattentes sociales

A partir de 1971, le débat public est monopolisé par le souvenir de l'Occupation, et la défaitede 1940 demeure au second plan. Ce débat – annonçant une nouvelle représentation de la

86 Henri Rousso, op. cit., p.117.87 Ibidem, p.120.88 Conférence de presse du Président de la République Georges Pompidou, le 21 septembre 1972.

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période – est sujet à de vives polémiques dont celle du Chagrin et la Pitié qui monopolisetoutes les attentions.

Le Chagrin et la Pitié cristallise un nouveau regard sur la période

Relatant la vie de Clermont-Ferrand sous l'Occupation allemande, ce film de M. Ophüls89

est constitué d'entretiens de Français et d'Allemands entrecoupés d'images d'actualités del'époque :

Réalisateur Marcel OphülsScénario Marcel Ophüls et André HarrisProduction Télévision suisse romande, NDR

FernsehenFormat Noir et blancGenre DocumentaireDurée 251 minutesDate de sortie 1971 (réalisé en 1969)

En effet, le cinéaste – par ces montages d'oublis et lapsus d'habitants etd'images d'actualité – présente une vision très assombrie des Français de l'époque,dont l’aveuglement volontaire leur permettait de s’accommoder du régime de Vichy.Parallèlement, même si la Résistance est bel est bien représentée, « elle apparaît dans lefilm comme un mouvement relativement réduit. »90. Enfin, film symbole de l'époque soixante-huitarde, l'action du général de Gaulle est également minimisée, une des seules évocationsdu chef d’État étant celle faite par le Résistant Emmanuel d'Astier de la Vigerie : « Il étaitdéjà roi de France. »

Le documentaire – inspirant « tout, sauf un sentiment rétrospectif de pitié »91 –démythifie radicalement le discours mémoriel sur la nation française sous l'Occupation.Faisant véritablement l'effet d'une bombe à sa sortie, le recul a tout de même permis auxcritiques et historiens d'établir les limites de l’œuvre cinématographique : comment croire,lorsqu'on visionne ces images du maréchal Pétain salué par une foule française en liesseaccompagnées par une chanson populaire de Maurice Chevalier « Ça sent si bon la France(…) ça sent bon le pays ! », que cette mosaïque de portraits était totalement subjective ?Par ailleurs, même le réalisateur reconnaît à ce sujet : « C'est peut-être un peu dur... Maisje suis pas un gentil ! Et à ce moment-là il y avait aucune raison d'être vraiment gentil parceque (…) nous étions tous d'accord pour ne pas être gentil. »92.

Plus spécifiquement, l’évocation de 1940 est également très dépréciative : PierreMendès-France parle ainsi d'une « guerre sans enthousiasme ». Les autres témoignagesconcernant la bataille se recoupent avec la vision popularisée par les films étudiésprécédemment : aussi un agriculteur parle t-il d'un manque de moyens. L'ancien Présidentdu Conseil raconte également l'anecdote d'un comité parisien s'occupant de distraire lessoldats se trouvant sur la ligne Maginot : « affligeant », selon lui. Il parle encore – toujours

89 Cf. Annexe 10.90 Enrique Seknadje-Askenazi, « Le Chagrin et la Pitié » in CinémAction n°103 « 50 films qui ont fait scandale », p.102.91 Henri Rousso, op. cit., p.121.92 « L'importance des anecdotes » : entretien avec Marcel Ophüls par Michel Ciment, 2011 : bonus du DVD Le Chagrin et la Pitié.

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Troisième partie :La perception de la débâcle : une dynamique analogue à celle de l'Occupation.Un enjeu national ?

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dans la lignée des représentations cinématographiques – de l'anglophobie qu'il juge « assezfacile à ramener en France. ».

En outre, d'autres fautifs mais absents des différents longs-métrages, sont évoqués : onapprend que les erreurs étaient attribuées au Front Populaire, car « l'idéologie Hitler plutôtque Léon Blum avait fait des ravages », comme l'explique finalement P. Mendès-France.De la même manière, M. Ophüls filme des habitants justifiant volontiers l'armistice : « J'aipensé, comme tous les autres, y'en a pas un qui arrêtera cette boucherie ! »93.

Des controverses passionnées en parallèle à une nouvelle historiographieLa polémique autour de la censure – en réalité un refus d'achat et de diffusion de l'ORTF –ayant sans doute exacerbé les réactions autour du film (finalement produit grâce au soutiende télévisions étrangères), la grande majorité des critiques de l'époque a salué cette œuvrejugée salutaire. En effet, la représentation dominante dans la mémoire collective d'uneFrance unie dans la lutte contre l'occupant ne correspondait sans doute plus à la réalitésociale.

Toutefois, quelques voix discordantes se sont fait entendre bien qu’elles soient restéesminoritaires. Ainsi, Simone Veil, jugea le film « psychologiquement très pernicieux » carmontrant « une France lâche, égoïste, méchante. »

Parallèlement à ces controverses cinématographiques, l'agitation mémorielle fait sonapparition à la même époque dans l'historiographie. Ainsi, la rupture décisive que représenteLa France de Vichy de l'Américain R. Paxton, a contribué à briser le tabou de l'Histoiredu pays sous l'Occupation et à modifier considérablement la mémoire collective de lapériode. Néanmoins, il doit être noté que ces œuvres culturelles et universitaires n'auraientprobablement pas connu un tel écho si les attentes sociales des années 1970 n'étaient pasaussi fortes.

Après le « miroir brisé », période de « remémorations, interrogations, fascinations »94,lareprésentation de la Seconde Guerre mondiale change pour atteindre un point de non-retour, où seul l’humour joue le rôle d’échappatoire vis-à-vis de la nouvelle vulgate. Lamémoire de 1940 est-elle toujours occultée ; suit-elle toujours un cheminement parallèle àcelle de l'Occupation à partir des années 1970 ?

Chapitre deuxième : Le point de non-retour : lesannées 1970 et la représentation assombrie (et raillée)de la Seconde Guerre mondiale

Le rejet du résistancialisme, la rupture mentale de 1968, les débats publics autour duChagrin et la Pitié et de l'ouvrage de R. Paxton : autant de facteurs politiques, culturels etsociaux qui ont contribué au basculement mémoriel des années 1970, et qui ne laissentqu’une seule possibilité d'échappatoire : la dérision. La représentation très noire de lapériode 1940-1944 appelée « le chagrin et le venin » par l'historien P. Laborie, va une

93 Extrait de l’entretien du pharmacien Marcel Verdier, Le Chagrin et la Pitié.94 Henri Rousso, op. cit., p.153.

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nouvelle fois masquer la représentation de 1940 dont nous verrons qu’elle semble êtrerestée sensiblement figée depuis Vichy.

A) « Le chagrin et le venin » ou la nouvelle vulgate sur la périodeP. Laborie, dans son ouvrage éponyme, choisit d'analyser les représentations des annéesnoires, notamment les idées reçues – très sombres – ancrées dans la mémoire collectivedepuis les années 1970. Comme il l'explique :

Une légitimité supérieure est attribuée de fait au chagrin quand la charge émotivefonde la norme. Elle peut servir à masquer les intentions, jusqu'au risqued'imposture, jusqu'à engourdir, paralyser, et immobiliser, comme le ferait unvenin doucement instillé. Non le venin de la haine déclarée ou du poison quitue, mais celui, silencieux, souterrain, qui rend muet et borgne, qui endort, quirécuse ou dénigre l'exercice critique soupçonné de cacher des réhabilitationsdouteuses.95

L'attentisme comme interprétation dominante des Français sousl'OccupationSelon l'historien, une nouvelle vulgate domine désormais la vision des comportementsdes Français pendant l’Occupation, les cataloguant en trois catégories : une masseamorphe, attentiste, et opportuniste représentant quatre-vingt pour cent de la population,se distinguant des vingt pour cent restants constitués de deux groupes d'importance égale :Résistants et Collaborateurs.

L'interprétation dominante se résume alors simplement à une société suiviste etrésignée consacrant son énergie à traiter des problèmes du quotidien. Là encore, unparallèle peut être fait avec la représentation de 1940 et la nourriture comme obsessionpour les soldats de la « drôle de guerre ».

Ainsi, la Résistance est toujours mise en avant mais uniquement pour prouver l'inertiede la masse : on parle d'une frange coupée de la réalité sociale, comme l'illustre l'entretiend'Emmanuel de la Vigerie dans Le Chagrin et la Pitié : « On ne pouvait être Résistant qu'enétant inadapté. ».

Toutefois, cette nouvelle vulgate, sans être totalement véridique, se justifiehistoriquement : un second mythe a alors remplacé le premier.

L'effet pervers de la démythification de la Résistance : création d'unnouveau mytheD'où vient ce basculement ? H. Rousso justifie la nécessité historique de démythifierl’interprétation dominante dans les années d'après-guerre – pour ajuster la mémoirecollective aux faits historiques. C'est ainsi que la sortie du Chagrin et la Pitié est jugéeopportune puisqu’elle correspondait aux attentes sociales ; 1969 devient une date repèreentre les deux bornes de la mémoire collective de la guerre : 1964 – la panthéonisation

95 Pierre Laborie, Le chagrin et le venin : la France sous l'Occupation, mémoire et idées reçues, Paris : Éd. Bayard, 2011,

p.30.

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des cendres de Jean Moulin, symbole du résistancialisme gaullien, et 1995 – le discours deJacques Chirac sur la responsabilité de l’État français dans la déportation.

Or, cette nécessité de réajustement a créé un nouveau mythe, dont la justificationhistorique se base sur le pourcentage infime de Résistants. Cependant, même si P. Laboriemontre que l'approche quantitative est hors de propos car la Résistance n'est pas à analysercomme une entité structurée :

C'est la représentation d'un évènement rapetissée, privé d'une part de sonidentité, ramené à son importance numérique, socialement marginalisé et associéà des fonctions de dissimulation, qui sert d'instrument de mesure pour juger unpassé compliqué, dans ce qu'il a sans doute de plus insaisissable.96

Cette interprétation désormais dominante, ne saurait cependant tenir lieu de véritéhistorique d’après lui :

La crédibilité d'une vision où les égoïsmes, le ventre et le cynisme politiqueauraient tenu lieu de cerveau et de sensibilité ne résiste à aucun examenhonnête. Elle n'est évidemment pas dépourvue de sens pour ceux qui en font leurreligion. En revanche, sa diffusion plus ou moins nuancée, sa persistance, sonappropriation collective et son statut mémorio-médiatique posent des questionsd'une autre importance.97

Après ce tournant, nous l’observons, il n'y a plus de retour en arrière possible pour cediscours mémoriel devenu très sombre. Trop sombre peut-être, la seule échappatoire étantde tourner en ridicule le vécu des générations précédentes.

B) Face à une mémoire douloureuse, une seule évasion possible : ladérision

Des comédies qui banalisent la périodeMarqueur des mentalités contemporaines, le cinéma fait lui aussi l'objet du « retour durefoulé » dès le début des années 1970. Comme le constate H. Rousso, le nombre de filmstraitant de la période augmente brusquement : c'est la « mode rétro » :

Décortiquée en permanence, remâchée, érotisée, l'Occupation est devenue pourles Français des années 1970, toutes générations confondues, un objet familier,une référence habituelle, une présence continuelle.98

Parmi les comédies les plus emblématiques de cette période, citons la Septièmecompagnie, et le plus grand succès du cinéma français jusqu'à ces dernières années : LaGrande Vadrouille, de Gérard Oury. Ce film sorti en 1966, « sans doute le seul (...) qui adû faire regretter aux enfants des mal nourris de l'an quarante de ne pas avoir vécu à cetteépoque... »99, est le symbole d'une période de banalisation du sujet, l'Occupation servantde cadre aux aventures comiques de Bourvil et L. de Funès.

96 Pierre Laborie, op.cit., p.231.97 Pierre Laborie, op. cit., p.262.98 Henri Rousso, op. cit., p.269.99 Ibidem, p.266.

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Au début des années 1980, cette banalisation atteint son apogée, avec la sortie du long-métrage Papy fait de la Résistance 100, bouclant ainsi la boucle du cheminement mémorieldans le cinéma :

Le film est iconoclaste à souhait (…). Une farandole sans grande prétentionqui s'en prend moins à la Résistance qu'à ses images pieuses, en particuliercelles que le cinéma français a véhiculées depuis quarante ans. (…) Papy estprobablement le premier film sur l'Occupation où n'affleure à aucun moment ladimension dramatique des années noires, qui ne fait aucune sorte de concessionau « contexte », qui ne respecte rien, ni personne. (…) Et, autre fait significatif,cette pochade pourtant grinçante ne soulève aucune indignation.101

De la banalisation à la distanciationLe cinéma, nous l'avons vu, en lien avec la demande sociale, et plus libre que l’État oules autres vecteurs officiels, peut facilement imposer sa vision du passé. Or, cette dérisiongénéralisée depuis les années 1970 est aussi un moyen de traiter de la situation gravissimequ'ont connu les générations précédentes. L'humour peut alors être vu comme un moyende lutter contre l'oubli pur et simple. Mais la dérision montre aussi et surtout un refusd'être redevable aux générations précédentes, d'assumer la dette : une mise à distancenécessaire.

La nouvelle vulgate établit ainsi une représentation de l'Occupation bien plus noireque la précédente. Celle-ci se présentant comme une vérité historique basée sur des faitset donc difficile à remettre en cause, la dérision devient alors le seul moyen de traiter dusujet sans la remettre frontalement en question. La représentation de 1940 se fait doncprincipalement par le biais de l’humour ; et malgré le glissement précédemment analysé,a tout de même conservé des éléments communs depuis la fin de la Seconde Guerremondiale.

C) Malgré le changement de paradigme, la vision de la débâcle estrestée figée : l'héritage de Vichy

Puisque « la défaite de 1940 ne divise plus les Français »102, elle est elle aussi tournée enridicule comme le montrent les aventures de la Septième compagnie mises en scène par R.Lamoureux. Toutefois, la représentation de 1940, contrairement à celle de l'Occupation, n'apas subi de tournant marquant. L'évolution s'est faite graduellement, tout en se rapprochantde la noirceur de plus en plus affirmée depuis les années 1950.

Quelles visions l'opinion publique a t-elle conservé de l'évènement historique ?Principalement, et comme nous l'avons vu dans les longs-métrages, la bataille de Franceaurait eu lieu dans un climat de panique et de défaitisme, et les soldats de 1940 nese seraient pas suffisamment battus. Ces visions sont devenues des lieux communs enquelques décennies, alors que la réalité historique, précédemment chiffrée, a été oubliée ycompris dans les représentations cinématographiques.

100 Papy fait de la résistance, Jean-Marie Poiré, 1983.101 Henri Rousso, op.cit., p.270.102 Ibidem, p.317.

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Or cette vision se base sur des idées déjà véhiculées par Vichy en son temps. Lessoldats de l'époque ont effectivement été jugés peu combatifs et indignes de leurs aînés.Mais pas seulement : dans son discours du 11 octobre 1940 sur « l'ordre nouveau », lemaréchal Pétain qui a fait quelques mois auparavant « don de sa personne à la Francepour atténuer son malheur », s'interroge sur les origines de la défaite : « Cette défaite a denombreuses causes, mais toutes ne sont pas d'ordre technique. Le désastre n'est, en réalité,que le reflet, sur le plan militaire, des faiblesses et des tares de l'ancien régime politique. ».

Ainsi, l'explication avancée de la défaite de l'armée se trouvait selon l’homme deVerdun dans l'hétérogénéité politique du pays et le parlementarisme, malgré les tentatives

de rassemblement exprimées avant-guerre103. Certes, la responsabilité de la IIIème

République dans la défaite – bien que toujours présente dans l'opinion publique – aété peu reprise dans les représentations culturelles puisque « le clivage n'existe plus nisur l'opportunité de l'armistice ni sur les causes de la défaite »104 ; mais la dialectiqueintrinsèquement liée du manque de combativité et du climat défaitiste reste tout de mêmeinchangée depuis Vichy et constitue un héritage indirect.

Du silence à l'humour dans la représentation de la Seconde Guerre mondiale, lamémoire collective a ainsi cheminé jusqu'à arriver au point de non-retour : les années 1970où l'attentisme devient la vision dominante de l'attitude des Français de l'époque.

Plus spécifiquement, malgré ce tournant mémoriel et même si la dérision est elle aussiutilisée pour représenter l'évènement, la vision de la débâcle reste fortement influencée parl'héritage de Vichy.

La mémoire de juin 1940 suit donc finalement la dynamique de celle, plus globale, de laSeconde Guerre mondiale. La perception de la débâcle n’est-elle alors qu’une composantede celle de la guerre ou bien fait-elle partie en tant que telle du roman national ?

Chapitre troisième : La mémoire collective de laguerre, un enjeu d'identité nationale ?

Nous avons ainsi étudié les glissements – mais aussi une certaine pérennité concernantla mémoire spécifique de 1940 – s'opérant depuis les années 1950 en parallèle avec leschangements sociaux et sociétaux français. Mais on peut dès lors s'interroger : pourquoiaccorder une telle importance aux représentations de la guerre ?

Ces représentations, et appropriations successives, leurs choix, leurs silences,leurs regards borgnes et leurs effets de la loupe, leurs contradictions, leur« proportion infaillible de relief et d'omission » ont aussi des choses à nous direet à nous apprendre sur ce que nous sommes, sur le miroir en abyme qui renvoienotre propre regard.105

103 Cf. Annexe 11.104 Henri Rousso, op. cit., p.333.

105 Pierre Laborie, op.cit., p.43.

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A) La mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale, partieintégrante du roman national

Un enjeu d'identité françaiseLa question des attitudes lors de la Seconde Guerre mondiale est cruciale car c'est unenjeu mémoriel fondateur, un enjeu même d'identité française. En effet, selon P. Laborie,la diffusion de la nouvelle vulgate renvoie « au trouble identitaire des Français, au rôle qu'ytient l'histoire, et aux fonctions remplies par les représentations des années noires dans laconstruction de leur rapport au passé. »106.

Assurément, elle ne peut se confondre avec la réalité historique, reposant quant à ellesur la diversité des situations liées aux disparités régionales, à l'appartenance aux groupessociaux, et aux micro-évènements.

Mais le comportement des Français de la période semble être un point extrêmementsensible d'où émerge la problématique : « Qu'auriez-vous fait à leur place ? » – formuled'ailleurs récemment utilisée pour promouvoir la dernière série télévisée en date surl'Occupation Un village français 107 .

A l'instar de Françoise Giroud, qui voyait dans Le Chagrin la possibilité de retrouverpour tout contemporain de la période « le goût amer de sa propre lâcheté »108, le Français du

XXIème siècle est alors – à chaque représentation mise en scène de la guerre – interrogéet confronté à une interprétation de l'Histoire nationale.

De cette manière, la chape de plomb pesant sur les consciences lorsqu'on aborde lesujet de l'Occupation occulte les questionnements sur la débâcle de juin 1940 : « sanssurprise, l'idéologie empêche une vision unilatérale de la guerre »109, ce qui rend complexel'intégration du souvenir dans la construction de l'identité nationale.

La mémoire collective des années noires comme moteur de la sociétéfrançaise : un processus très délicat« La mémoire collective, dûment convoquée, sondée mais non débridée depuis un quartde siècle, n'a été ni « l'agent dynamique » d'un renouveau ni « la seule promesse decontinuité »110 . Comme le déplore J.-P. Rioux, la représentation de la guerre a connu tropde divisions pour devenir complètement une perspective de l'identité française à laquelle lasociété pouvait se rattacher, ce qui est également confirmé par H. Rousso :

La permanence d'une tradition catholique, la division droite/gauche réactivéeet ressourcée par les engagements de l'Occupation, l'antisémitisme, autantd'éléments constitutifs (parmi d'autres) du socle fissuré de l' « identité » de laFrance contemporaine. 111

106 Ibidem, p.262.107 Un Village français, série diffusée en 2009 sur la chaîne France 3.108 Réaction de Françoise Giroud dans L'Express du 3 mai 1971 suite à la sortie du documentaire de Marcel Ophüls.109 Henri Rousso, op. cit., p.333.

110 Jean-Pierre Rioux, La France perd la mémoire, Paris : Éd. Perrin, 2006, p.113.111 Henri Rousso, op. cit., p.338.

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D'autres historiens, sur la mémoire collective, parlent ainsi d'une :Crise multiforme, multirécidiviste et déjà plus que trentenaire (…) [ou le]prolongement d'une mise à mal chronique et peut-être même l'annonce d'unemise à l'encan du minimum vital de représentations positives que les Françaispouvaient encore avoir d'eux-mêmes et de leur destin national.112

Cette mémoire collective en « crise », omettant de nouveau l'épisode de la défaite et sefocalisant sur la période plus globale 1940-1944, s'est alors reposée sur un phénomènegrandissant à partir des années 1990 et qui se présentait comme une parade aux fissuresdu roman national : le « devoir de mémoire ».

B) Une porte de sortie entre-ouverte : le « devoir de mémoire »comme substitut au roman national

Le « devoir de mémoire » pour lutter contre l'oubli

Analysé entre autres par le philosophe Paul Ricoeur113 et défini comme une « mémoireobligée » ou une « injonction à se souvenir » des évènements terribles faisant partie del'Histoire nationale, le « devoir de mémoire » rejoint notre analyse de l'évolution d'unemémoire collective de la guerre. En effet, étant d'abord et principalement projeté sur ledevant de la scène par les associations de victimes et d'anciens combattants, et encouragépar la voix de l’État, le « devoir de mémoire » a également cours dans le cinéma – ainsirécemment, la sortie du film La Rafle 114 qui avait été programmée pour toucher un publicscolaire le prouve encore.

Sous le joug du « plus jamais ça », mais aussi du fait du vieillissement des témoinsdirects, et du fossé grandissant entre générations en raison des mutations technologiques,l'ère du témoignage connaît son apogée dans les années 1990. Le passé de la SecondeGuerre mondiale est alors simultanément criminalisé et victimisé, le point d'orgue étant sansconteste le discours du Président J. Chirac du 16 juillet 1995 au Vélodrome d'Hiver sur lareconnaissance de l’État français dans la rafle et la déportation de milliers de Juifs : « LaFrance, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France,ce jour-là, accomplissait l'irréparable. ».

Dès lors, l'humanisation de l'Histoire et l'hommage aux victimes font référence enla matière. Mais l'omniprésence du terme « mémoire » est-elle sans danger pour cesreprésentations historiques ?

Les risques du devoir de mémoire : des histoires nationales multiplesremplacent le récit national uniqueH. Rousso l'a souligné :

L'histoire spécifique du souvenir, sa respiration particulière, ses vecteursprivilégiés résultent le plus souvent de décalages, de tensions, de contradictions

112 Jean-Pierre Rioux, op. cit., p.9.113 Paul Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris : Éd. du Seuil, 2000.114 La Rafle, Roselyne Bosch, 2010.

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entre des mémoires organisées, des mémoires savantes et culturelles et lamémoire diffuse de l'opinion.115

Une mémoire éclatée, tiraillée donc, apparaît de la façon la plus large et manifeste dans levecteur culturel qu'est le cinéma. Toutefois, le cinéma ne rend pas compte de la multiplicitédes souvenirs concurrents, mais permet une analyse dans le temps comme nous l'avonsfaite qui souligne l'évolution mémorielle.

Mais les représentations cinématographiques, bien qu'objet à part entière de l'Histoire,ne peuvent pas prendre le risque de remplacer entièrement cette dernière. Ainsi,contrairement à la volonté du réalisateur M. Ophüls déclarant : « Dans le travail, leshistoriens ne font que m'em…. Je n'en veux pas. »116, la représentation du passé doit êtreaccompagnée d'une démarche de transmission de savoir historique.

115 Henri Rousso, op. cit., p.340.116 « L'importance des anecdotes » : entretien avec Marcel Ophüls par Michel Ciment, 2011 : bonus du DVD Le Chagrin et

la Pitié.

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Conclusion

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Conclusion

A la problématique de la représentation de la débâcle transmise et popularisée par le cinémafrançais, les trois longs-métrages analysés nous ont permis de répondre en dressant leportrait de chaque protagoniste, et d’analyser l’évolution de cette représentation au fil de la

seconde moitié du XXème siècle.Le cinéma, lorsqu’il met en scène un fait historique, est ainsi bel est bien porteur d’une

vision sous-jacente ; cinéma et société faisant l’objet d’une relation riche bien que complexepuisqu’ils se nourrissent l’un de l’autre. Cette analyse s’est donc appuyée sur la thèse deM. Ferro, pour démontrer que le genre appelé « cinéma populaire » était également porteurd’un discours sur l’évènement historique, même s’il se présente au premier abord commeapolitique.

Se focalisant plus spécifiquement sur la période de la Seconde Guerre mondiale,l’analyse d’H. Rousso a permis de comprendre comment le vecteur culturel qu’est le cinémaa contribué à véhiculer le « syndrome de Vichy ». La représentation cinématographique dela guerre a suivi plusieurs phases, correspondant à des évolutions de la société. Le cinémacristallise de ce fait le phénomène, ce qui constitue une nouvelle illustration du lien solideentre cinéma et société.

Trois longs-métrages à succès dont l’action prenait place en mai-juin 1940 ont decette manière été sélectionnés, afin que leurs dates de sorties respectives représententl’évolution de la perception de la débâcle des années 1950 à 1970 : Jeux interdits, Week-end à Zuydcoote, et les aventures de la Septième compagnie.

Ces œuvres respectives de R. Clément, H. Verneuil, et R. Lamoureux ont poursimilitude un succès notable, comme le prouvent leur nombre d’entrées en salle ainsi queleur audience lors des rediffusions télévisuelles. En outre, ce succès leur a assuré une placedans le patrimoine culturel ayant contribué à former une vision de l’Histoire plus figée, plusstéréotypée – la télévision dépassant les clivages générationnels.

Des comédies « grand public », qui ne sont pas exemptes de messages politiques : bienque raillées par certains pour leur aspect uniquement distrayant, la présence de messagespolitiques est reconnue même par leurs détracteurs. Par ailleurs, chaque personnageemblématique, notamment ceux incarnés par J.-P. Belmondo et J. Lefebvre, n’est pas sansrévéler une certaine vision des protagonistes de 1940, vision correspondant à la périodede sortie du film.

Quelle vision ? Jeux interdits nous montre tout d’abord une génération encore muette,tentant de faire son deuil seulement quelques années après la fin de la guerre. Unegénération traumatisée également, de par le personnage joué par B. Fossey. R. Clémentfilme ainsi la désolation et les drames causés par les bombardements lors de l’exode, etne mentionne que très peu la situation des soldats combattant lors de la bataille de France.Les élites politiques et militaires sont aussi relativement peu présentes.

Dans les années 1960 et la France « gaullienne » depuis peu, H. Verneuil propose unereprésentation de la débâcle bien plus héroïque, filmant la défaite en exaltant les soldats.Malgré l’absurdité de la situation militaire, les personnages tentent tant bien que mal de tenir,

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en se soudant autour des quelques instants de répit qu’offre le quotidien. Certes, l’ennemiallemand est supérieur – en matériel aérien et en propagande – mais les soldats françaisse battent encore dans l’honneur. Si la défaite est prévisible, c’est aussi du fait de l’absencequi se fait cruellement sentir de l’allié anglais.

Mais l’heure n’est plus à l’héroïsme à partir des années 1970 : les personnagesde joyeux lurons de la Septième compagnie, représentent plus généralement une arméeplongée dans la confusion et la déroute, composée de soldats pusillanimes au possible bienque rigolards.

Un profil bien défini pour chaque protagoniste donc, profil qui s’accentue encore au fildu temps : c’est ainsi une évolution graduelle et subtile que connaît la représentation de ladébâcle, de la retenue à la dérision en passant par l’exaltation des combats.

Partant de ce constat, nous avons formulé l’observation suivante : la perception de ladébâcle, bien que moins mouvante, s’inscrit dans la lignée de la mémoire collective de lapériode de l’Occupation. En effet, les changements politiques et sociaux de la France desannées 1950 et 1970 – et notamment, le tournant post-soixante-huitard – sont cristalliséspar les représentations cinématographiques. Seule la vision de la débâcle paraît rester unhéritage du régime mis en place par le maréchal Pétain sans réellement subir de tournantmémoriel : manque de combativité et manque de moyens semblent être toujours présentsdans la représentation collective de juin 1940.

En cristallisant les transformations de la société française, ces différentesreprésentations cinématographiques sont-elles alors considérées comme relevant del’identité nationale ? La période précise de l’Occupation toujours source de multiplesreprésentations culturelles, s’inscrit effectivement dans le roman national de chaqueFrançais, même en 2012 ; la débâcle étant communément passée au second plan.Toutefois, ce roman français, passé au crible des querelles idéologiques et historiques,semble s’effacer pour laisser place à un nouveau phénomène depuis les années 1990 : le« devoir de mémoire. »

La défaite de 1940 n’apparaît donc pas comme un élément fondateur de l’identiténationale, mais au même titre que d’autres évènements historiques, elle a été sourced’inspiration durant des décennies – ici pour le cinéma.

Néanmoins, les défaites historiques peuvent, à l’instar des victoires, devenir des jalonsmémoriels de l’ordre des légendes. Ainsi, à l’occasion de l’inauguration du muséo-parcd'Alésia le 23 mars dernier, le Premier ministre de l’époque François Fillon l'a rappelé :

Une nation se forge par son Histoire, mais aussi en orchestrant son Histoire. Etcette Histoire est faite de réalités objectives et de mythes que s’approprient lespeuples.(...) On peut être frappé que ce mythe soit celui d’une défaite. Mais ilest des défaites fondatrices, et la nation française trouve dans ce mythe d’Alésial’image de l’adversité qui l’a si souvent frappée, et dont elle s’est toujours relevéepar l’esprit de résistance qui l’anime.117

Alésia, une défaite militaire assumée dans le roman national. En se tournant cette fois versla représentation dans la bande dessinée, les aventures d’Astérix sont alors intéressantesà mettre en parallèle avec la représentation de 1940.

Les péripéties du héros gaulois sont effectivement chargées de clins d’œil à l’Histoirede France contemporaine et plus particulièrement à la période de l’Occupation, comme le

117 Discours du Premier ministre François Fillon, 23 mars 2012. Source : http://discours.vie-publique.fr/

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Conclusion

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montre l'introduction de chaque album : « Toute la Gaule est occupée par les Romains...Toute ? Non ! Un village peuplé d'irréductibles Gaulois résiste encore et toujours àl'envahisseur. » H. Rousso avait effectué ce rapprochement entre les aventures d’Astérix etla représentation de la Seconde Guerre mondiale : « En 1963, celui-ci a vaincu les Gothset tapé quelques collabos gallo-romains. Mais il faudra attendre la fin de 1980, après lamort de René Goscinny, pour qu'Albert Uderzo évoque directement la « Grand Fossé » quiscinde le village en deux. »118.

Plus spécifiquement lié à la défaite, l’album du Bouclier Arverne estemblématique. Eneffet, celle-ci est encore honteuse, et son souvenir fait l'objet d'un refoulement puissant,seulement deux ans après les faits (« Nous sommes en 50 avant Jésus-Christ. ») : unevision rappelant la représentation retenue de la défaite dans Jeux interdits.

Ainsi, lorsqu’Abraracourcix déclare à Astérix « Allez faire un tour à Gergovie, lieu denotre grande et immortelle victoire... », qui lui réplique : « Et Alésia ? », le chef gauloiss’emporte : « Alésia ? Connais pas Alésia ! Je ne sais pas où se trouve Alésia ! Personnene sait où se trouve Alésia ! »119.

Plus loin, le commentaire des auteurs, suite au dialogue similaire entre les personnagesd’Astérix et d’Alambix, renforce ce paradigme120 :

Mais la discrétion s’efface ensuite face à une autre observation importante : la visiond’Alésia restée dans les mémoires est celle d’une défaite presque victorieuse, à l’image duhéros Vercingétorix : la personnification de la dignité dans la défaite, une forme d’héroïsmerappelant cette fois la représentation de 1940 par le personnage de J.-P. Belmondo.

118 Henri Rousso, op. cit., p.101.119 Le Bouclier arverne, p.12.120 Le Bouclier arverne, p.19.

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Avec le temps cependant, Astérix et Obélix ont éclipsé l'image de Vercingétorix,devenant l’illustration emblématique de la formule « Nos ancêtres les Gaulois ». Le Premierministre a aussi déclaré lors de son discours : « La France vient de loin, et il me plaît depenser que nous sommes tous un peu gaulois : indisciplinés, téméraires, capables devouloir l’impossible et d’y arriver pourtant. »121.

Des Gaulois très « Français » : de mauvaise foi, amateurs de bonne chère et rigolards.On reconnaît ici la vision stéréotypée des Français dans l’Histoire, évoquant enfin demanière évidente les personnages de la Septième compagnie.

Un parallèle peut ainsi être établi entre les défaites d’Alésia et de juin 1940 d’après leurreprésentation artistique. Le temps dira si cette dernière sera elle aussi transformée en unépisode mythique de l’Histoire nationale.

121 François Fillon, discours du 23 mars 2012.

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Sources

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Sources

Films∙ CLEMENT René, Jeux interdits, 1952.∙ LAMOUREUX Robert, Mais où est donc passée la septième compagnie ?, 1973.∙ LAMOUREUX Robert, On a retrouvé la septième compagnie, 1975.∙ LAMOUREUX Robert, La septième compagnie au clair de lune, 1977.∙ OPHÜLS Marcel, Le chagrin et la pitié, 1969 et supplément DVD « L'importance des

anecdotes » (entretien avec Marcel Ophüls par Michel Ciment, 2011).∙ VERNEUIL Henri, Week-end à Zuydcoote, 1964.

Revues La revue du cinéma. Images et son :

∙ n°281, février 1974, p.136 ;∙ saison 74, octobre 1974, p.216 ;∙ n°371, avril 1982, p.17 ;∙ n°389, décembre 1983, p.31 ;∙ n°455, décembre 1989, p.34.

Les cahiers du cinéma :

∙ n°13, juin 1952, p.64 par Pierre Kast : « Le jeu de grâce des petits anges ».∙ n°163, février 1965, p.88.

Positif :

∙ n°18, novembre 1956, p.7 ;∙ n°69, mai 1965 ;∙ n°73, janvier 1984 ;∙ n°128, juin 1971.

Ouvrages

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Juin 1940 à l’écran La débâcle à travers trois succès du cinéma français

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∙ LINDEPERG Sylvie, Les écrans de l'ombre. La Seconde Guerre mondiale dans lecinéma français, 1944-1969, Paris : Éd. du CNRS, 1997.

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Bibliographie

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Bibliographie

Relative à l’introduction

AMOUROUX Henri, « A vingt ans de distance (1980-2000) 2 sondages Sofres sur lesévènements de 1940 » in Le Figaro Magazine n°17380, pp.30-34.

NORA Pierre, « Mémoire collective », in J. Le Goff (dir.), La nouvelle histoire, Paris :Retz, 1978, p. 398.

ROUSSO Henri, Le syndrome de Vichy, Paris, Éd. du seuil, 1987.

Relative à la première partie :

ACCURSI Daniel, « Les « gueules » du cinéma comique » in CinémAction n°82 « Lecomique à l'écran », pp.116-122.

BEAURAIN Nicole et al., « Le cinéma populaire et ses idéologies », in L'Homme et lasociété, n°154, 2004, pp.5-8.

BORY Jean-Louis, La nuit complice : 1966-1968, Paris : Union générale d'éditions,1972.

BORY Jean-Louis, L'écran fertile : janvier 1970-juin 1971, Paris : Union généraled'éditions, 1974.

BORY Jean-Louis, Rectangle multiple : 1975-1976, Paris : Union générale d’éditions,1977.

DENIS Sébastien, « Le militaire français à l'écran : un chevalier inexistant ? », inCinémAction n°113 « L'armée à l'écran », pp.70-81.

FERRO Marc, Cinéma et histoire, Paris : Denoël/Gonthier, 1977.

FERRO Marc, « Le film, une contre-analyse de la société », in Annales ESC, n°1, vol.28, 1973, pp.109-124.

GOLDMAN Annie, « Dépasser le stade de l'interprétation », in CinémAction n°65« Cinéma et histoire autour de Marc Ferro », pp.37-40.

LAGNY Michèle, « Après la conquête, comment défricher ? », in CinémAction n°65« Cinéma et histoire autour de Marc Ferro », pp.29-36.

O'SHAUGHNESSY Martin, « Le surhomme à bout de souffle : Le Belmondo desannées 1974-1985 », in CinémAction n°112 « Le surhomme à l'écran », pp.107-114.

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Relative à la deuxième partie

AZEMA Jean-Pierre, 1940 L'année noire, Paris : Éd. Fayard, 2010.

BLOCH Marc, L'étrange défaite, Paris : Éd. Franc-tireur, 1946.

CREMIEUX-BRIHLAC Jean-Louis, Les Français de l'an 40, Tome 1 « La guerre oui ounon ? », Paris : Éd. Gallimard, 1990.

CREMIEUX-BRIHLAC Jean-Louis, Les Français de l'an 40, Tome 2 « Ouvriers etsoldats », Paris : Éd. Gallimard, 1990.

FONVIEILLE-ALQUIER François, Les Français dans la drôle de guerre, Paris : Éd.Robert Laffont, 1971.

GALLO Max, Cinquième colonne – 1930-1940, Et ce fut la défaite..., Paris : Éd. Plon,1970.

LABORIE Pierre, Résistants, vichyssois, et autres. L'évolution de l'opinion et descomportements dans le Lot de 1939 à 1944, Paris : Éd. du C.N.R.S., 1980.

VIDALENC Jean, L'exode de mai-juin 1940, Paris : Presses Universitaires de France,1957.

Relative à la troisième partie

ANDRIEU Claire et al., Politiques du passé. Usages politiques du passé dans la Francecontemporaine, Marseille : Presses de l'Université de Provence, 2006.

LABORIE Pierre, Le chagrin et le venin : la France sous l'Occupation, mémoire et idéesreçues, Paris : Éd. Bayard, 2011.

RIOUX Jean-Pierre, La France perd la mémoire, Paris : Éd. Perrin, 2006.

ROUSSO Henri, Le syndrome de Vichy, Paris, Éd. du seuil, 1987.

SEKNADJE-ASKENAZI Enrique, « Le chagrin et la pitié », in CinémAction n°103 « 50films qui ont fait scandale », pp.101- 103.

VERGNON Gilles, « Au nom de la France. Les discours des chefs d’État sur larésistance intérieure (1958-2007) », in Vingtième siècle n°112, octobre/décembre2011.

Relative à la conclusion

GOSCINNY René et UDERZO Albert, Le bouclier arverne, Les aventures d’Astérix leGaulois : tome 11, Éd. Hachette, 1968.

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Annexes

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Annexes

Annexe 1 : Affiches des films étudiés

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Annexe 2 : Extrait d’On a retrouvé la septièmecompagnie : la scène de l’évasion

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Annexe 3 : Extrait de Jeux interdits : plan sur lejournal La Montagne

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Annexe 4 : Extrait de Jeux interdits : filmer l’horreurde l’exode

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Annexe 5 : Extrait de Mais où est donc passée laseptième compagnie ? : la scène de l'épicerie

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Annexe 6 : Tracts allemands (tirée de l'ouvrage de J.-L. Crémieux-Brilhac, op.cit., p.459, et de Week-end àZuydcoote)

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Annexe 7 : Extraits de Week-end à Zuydcoote :l’affiche de l’armée française et les difficultésd’embarquement

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Annexe 8 : Extrait du générique de Mais où est doncpassée la Septième compagnie ?

( à consulter sur place à la bibliothèque de Sciences Po Lyon )

Annexe 9 : Schéma des mécanismes de la Cinquièmecolonne (tiré de l’ouvrage de Max Gallo, op.cit., p.317)

( à consulter sur place à la bibliothèque de Sciences Po Lyon )

Annexe 10 : Affiche du documentaire Le Chagrin et laPitié

( à consulter sur place à la bibliothèque de Sciences Po Lyon )

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Annexe 11 : Extrait de paroles de la chanson « Et çafait d’excellents Français » de Maurice Chevalier (JeanBoyer/George Van Parys)

Oubliant dans cette aventure,Qu'ils étaient douillets, fragiles et délicats.Et tous ces gaillards,Qui pour la plupart,Prenaient des cachets, des gouttes et des mixtures,Les v'là bien portants,Tout comme à vingt ans.D'où vient ce miracle là ?Mais du pinard et du tabac !Le colonel était de l'Action française,Le commandant était un modéré,Le capitaine était pour le diocèse,Et le lieutenant boulottait du curé.Le juteux était un fervent extrémiste,Le sergent un socialiste convaincu,Le caporal, inscrit sur toutes les listes,Et le 2e classe au PMU !Et tout ça, ça faitD'excellents Français,D'excellents soldats,Qui marchent au pas.En pensant que la République,C'est encore le meilleur régime ici bas.Et tous ces gaillards,Qui pour la plupart,N'étaient pas du même avis en politique,Les v'là tous d'accord,Quel que soit leur sort,Ils désirent tous désormais,Qu'on nous foute une bonne fois la paix !

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RésuméJuin 1940 à l’écran, ou la représentation de la débâcle analysée à travers trois succès ducinéma français, des années 1950 aux années 1970.

Jeux interdits, de R. Clément, Week-end à Zuydcoote, d’H. Verneuil, et les aventuresde la Septième compagnie, de R. Lamoureux brossent ainsi tous trois un portrait particulierdes différents protagonistes de l’évènement historique : des soldats couards, confrontés àune stratégie d’inertie, formant une armée française plongée dans la confusion et isolée dela population civile. Chronique d’une défaite annoncée donc, face à une armée allemandereprésentée comme surpuissante sur les plans matériels et psychologiques, et aux côtésd’un allié anglais trop peu présent.

Bien qu’en marge de la réalité historique, cette vision de juin 1940 véhiculée par desregistres différents selon l’époque – de la retenue à la dérision en passant par l’héroïsme –est ainsi partie intégrante de la mémoire collective française grâce au cinéma, même si elles’efface devant la mémoire de la période de l’Occupation.

Mots-clésReprésentation – juin 1940 – débâcle – cinéma français – Jeux interdits – Week-end à

Zuydcoote – Septième compagnie – mémoire collective.