JP Ducret vide arbre

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les Editions de l'Ecritoire

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french publication - poetry

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les Editions de l'Ecritoire

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À

J'ai cassé le livre Pour mieux le pénétrer Je n'ai récolté Que des morceaux de papier Mots épars puzzle impossible Il aurait fallu le poète Ce démiurge inconnu Pour reconstruire mon rêve Mais déjà il s'occupait De ses oiseaux

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Oiseau de la plage nue Comme tu me ressembles Tu troubles ma vue Et me fait trembler il me semble

Je t'avais pris pour une fleur A qui l'on avait rajouté des pétales Et qui sentait la peur Le souffle de la mer étale

Un soir plein d'odeurs poissonneuses Ne m'avait pas laissé tranquille Jusqu'à mon retour en ville

Il restait en moi cette senteur poisseuse Qui transformait ma chambre en cabine D'un cargo chevauchant l'abîme

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Que m'importe le vent S'il ne m'apporte pas Ton odeur et ton rire

Je regarde une rose se faner Sans qu'elle s'en aperçoive Elle est morte Entre les cordes de ma guitare Avant que je la touche

Que m'importe la tempête Si elle n'efface pas Ton nom sur le sable

I I

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L'alarme a été donnée Et mes doigts se sont blessés Contre une muraille infranchissable Ma trace de sang sur le sable Fait des étoiles de mer Dans le trou de ma disparition Des oreilles de varech Mollement s'agrippent aux pierres Usées par mes regards de fortune Et la côte lointaine Ne me laisse aucun répit

J'ai revêtu mon habit blanc Celui qui allait si bien à ma rose Je promène mon existence A travers le miroir des chansons oubliées

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Interdit d'Amour

Aujourd'hui comme demain Ta porte est fermée Tes yeux baissés Je m'enivre de toi Jusqu'au plus intime de moi-Crier... pleurer ne sert à rien Hier c'était le souterrain Maintenant je rase la surface D'un monde fermé Pas une faille où je puisse Me perdre m'anéantir Une chanson me transperce A la vitesse d'un direct Alors je m'exile Dans une photographie

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Le soleil d'après-midi Chauffe le vin Gengis Kahn a enjambé La table patinée Et se déchaîne Entre deux roues étoilées Alors que la lune S'éloigne en grossissant Enceinte de mes rêves A l'envers

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Dans une casquette des îles Quelques phrases se baladent Au gré des vents des mots s'échappent Pour aller fleurir d'autres chapeaux Chaque mot s'en allant me fait mal Au travers des fleuves A la solde des trottoirs Empruntant les routes les plus diverses Se trouvant parfois seuls assis sur un banc Dont la pierre sent bon la mousse Tous ces émissaires jettent mon mal au loin M'arrachent un peu de moi-même A chaque départ à chaque halte Et j'invente j'invente j'invente

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Marionnettes de chair

Tournent s'essoufflent

Le matin éternue

La nuit époussète sa manche de lune

La lumière monte en mes mains

Le jour s'abandonne à mes yeux

Regard osseux de la ville

Les rues toussent éperdument

Le vent immobilise les chiens

Les maisons se fardent violemment

Comme de vieilles amantes délaissées

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Sur une eau calme et fraîche

Un marin compte ses étoiles

Il aperçoit tout d'abord celle

Qui l'avait guidé hors du bouge

Un soir d'angoisse

Puis il se rappelle d'une autre

Qui lui avait souri

Quand il était heureux

Ainsi une longue nuit il les dénombra

Rimant les unes tutoyant les autres

Il haïssait certaines

Mais il leur reconnaissait

Un pouvoir tyrannique

Il se mit à chanter

Et il appela

Tout tournait autour de lui

Il voyait des bouleaux

Des herbes folles couchées

Puis relevées par le vent

Courant alors de toutes ses dents

Vers le mirage

Il rencontre une étoile inconnue

Elle ne figurait même pas sur sa carte

Surpris puis avide de savoir

Il l'enveloppa de son regard

La réchauffa la caressa de son sourire

Sans l'effrayer

Il ne peut plus chanter que pour elle

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Carnet de route Timbres de vie Automates de l'existence Suis-je vivant Seul le jasmin Me raccroche au chemin Je vais m'en faire Une décoction mortelle Et renaître à l'amour

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Encore une fois je m'émerveille Encore une fois je pars La tête en avant Les yeux tirés sur le drapeau du voyage Le corps qui écoute déjà les turbines Et le reste qui a presque de la peine A suivre ce tourbillon intercontinental La glace ne retiendra pas le bateau Et plus rien ne peut me retenir Je me réserve tous les droits du départ

Et le matin me retrouve ailleurs

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Quand on a bouffé Sa poésie au pré Des nuits solitaires On n'a plus sur terre Que l'envie assommante D'asseoir un môme sur ses genoux Alors que les idées branlantes On se raconte avec dégoût Et mièvrerie et tricherie

Comme par à-coups On se découvre le mal Des gares... des ports tonitruants Des ombres d'après minuit Dans une ville bancale Malade de se sentir enfant Du hasard et de la fortune

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Le vent a brisé les lignes De ma démesure verbale Et ne laisse en ma demeure Que l'acre odeur de meurtrissure Entre l'être oublié ravagé Et la solitude nymphomane Maîtresse ardente de l'avant-sommeil

Puis je vogue pacifiquement vôtre Alliant l'erreur de ma faiblesse Avec le parfum d'un chemin De ses statues multicolores Epouvantails pour amoureux

Le sable aux talons Un doux balancement dans l'estomac Un moine ouvre sa cape Aux sacrifices de l'aventure Appliquant son pinceau fuyant Sur une carte postale démodée

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Route édentée Par les cirques ambulants Rêve de rosée Pour se rafraîchir Le palais d'asphalte

Les forains avancent Ecartent les branches de printemps Volent les premières cerises Font de la place triste Un sourire continu Enlèvent les enfants Avec des histoires d'ceufs Qui ne se cassent pas

Route en dents de scie Entre deux fêtes On a mis la lanterne rouge Sur la roulotte des clowns

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Etoles de vent Recouvrent la mer noire Quand sauras-tu distinguer Le mépris qui couve Sous les dais royaux De l'amour encerclé Sur la tête des épaves Quel espoir insensé Dans ce dialogue muet De l'enfant avec la table vide

Le train de nuit a filé Droit sur la Grande Ourse Déraillement cosmique Envie de vomir Les gares nous refusent Une rose d'étoiles Les chiens happent notre ombre Déchirent notre voyage Ton silence ne m'effraie pas Là en face de moi A chaque lucarne dorment Des voyeurs en écharpe Ils nous jettent leur sourire Tu me donnes ton absence Comme une piste conduit A un point d'eau Dans quel désert sommes-nous

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Il suffit qu'un amphithéâtre

Se transforme en port

Pour que ses statues

Jettent l'ancre

Entre deux colonnes

Le soleil les a chauffées

Pour rien

Et la rosée visqueuse

Du matin créole

Rend l'escalier dangereux

Dieu ou Capitaine

Quelle importance

Puisqu'il s'agit

De mettre le cap

Sur l'infini

Une cicatrice en forme d'île Orne ma main La douleur d'être S'inscrit sur ma peau Avec une odeur d'éphémère

Ce que la mer engloutit

N'a pas d'odeur Tout resurgit

Dans la colère des Dieux

Au travers des rues Entre les yeux

D'un marin ivre

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Le vent se penche doucement Vers mon oreille Les palmiers se retroussent Dans les terrains vagues Promesses de l'automne Embrasements de la dernière heure Baroud d'honneur De l'été qui s'envole

En silence j'ai chevauché Les trois maisons de mon rêve Murs épais se donnant la parole Chacun à son tour poliment Ou joue avec le vent De la cheminée interprète Tables trop longues Tabourets en clef de fa Feuilles de palmier En guise de fenêtres Un dragon flamboyant Au-dessus de ma couche moutonneuse

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Lorsque le ciel imite la mer Ou est-ce le contraire Il fait trembler le soleil De tous ses rayons L'emprisonne au plus profond De son azur entaché de flaques grises Le port garde ses secrets Et il faudrait des siècles Pour comprendre ce que cache A mon émoi Ce calme froid de l'hiver

Entre deux sommets passe Se traînant à l'envi Un troupeau de cumuli Qui décroche soudain Et se hâte vers la côte turque Ombre fugace sur le môle désert Ai-je entendu une chouette hululer?

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Le soir a bientôt Rompu la merveille Qui posera son œil de sang Sur la proie de l'ombre Les violets et les roses Se pourchassent en un ballet mortel Et attaquent les nuages Par le devant Les arbres frémissent La terre se soulève Dans un dernier sursaut De la journée Bientôt nous serons aveugles

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Vide comme l'amour d'une autre Encore étonnée de se retrouver seule Au milieu d'un champ de cactus Amarrée à la chevelure D'un Orphée impuissant Entourée d'étoiles avides De clartés enrobées de sueurs Ma plainte ce soir Chevauche une barricade de sable Refuse les balles perdues Cri cent fois retenu Sur les cimaises de mes nuits blanches Accroché aux murs impersonnels De mes frustrations

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La nappe rouge se reflète Immense dans nos verres Qui défilent sur le néon Enroulé au plafond Il n'est pas de fumée Qui ne me fasse penser A de la cendre vieillissante Et l'odeur des chansons Tourne ma tête vers la tienne

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J'ai froid jusque dans ma chaleur

Et quand je me mouille les pieds

Je ne sais plus qui accuser

Les rideaux sont pourtant tirés

Et le ciel ne me soupçonne plus

De sucer ses étoiles

Je n'arrive plus à me défaire

De cette colombe froide

Elle arrive à tous moments

Vol de feu lumière éteinte

La fumée qui en sort

Se perd dans le commun

Et c'est bien heureux ainsi

Je suis hanté je ne le nie pas

Et même je m'en vante

Le peu de vie qui me reste

Au bout d'une bouée à travers un miroir

Sur un quai abandonné

Dans l'écume de la vague vierge

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Ils sont venus sans s'annoncer Pour me réveiller Et me tourner la tête J'ai passé une saison dans le rêve Avec pour compagnons Mes membres fiévreux Comment ne l'ai-je pas reconnue Quand elle m'embrassa La nuit a retrouvé son mystère Pour mieux me torturer Peau de chagrin Sur mes os douloureux

H

Je me vide je m'emplis de toi Cette chaleur qui gonfle mes veines N'est pas d'alcool mais l'eau des vies Coulant lentement d'un cœur de reine

Ces quatrains qui se gonflent de ton nom Tirent leur saveur du genièvre roi Transforment un lit en cargo breton Dérivent sur une onde de mon choix

a ^ | j j ^ | g t o >

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Ce feu qui me brûle la nuque Et fait que la nuit s'embrase En tous points miroir de mon brasier

D'un trottoir l'autre Quelques mètres Peine à les franchir De l'autre côté mon amour Inaccessible Lettres sur un feu qui ne brûle pas Des volutes de fumée se lient au vent Lui montrent le chemin Il s'affole alors le malheureux Dit des choses incompréhensibles Et fait pénétrer des flocons de tendresse Dans les cœurs les plus durs

Ce feu qui me brûle la nuque Et fait que la nuit s'embrase En tous points miroir de mon brasier La lune rit

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Imprecabile Je ne sais même pas Sur quelle note on joue ça Mais je sens l'enfant Mourir dans ta voix Avec un peu de regret De ne pas avoir appris La musique

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Nabilah

Je n'avais pas de feu Alors j'ai mis de la musique Contre le mur en morceaux Ne réveille pas mon poisson Avec une puce d'eau Mets le feu à Santiago Par quelques bavardages Et regarde la nuit Sans trop la farder

Premier baiser d'amour Lèvres fraîches de l'enfant L'univers du Tendre Sur une joue barbue J'aurais aimé m'enivrer De ces yeux innocents Conserver à jamais ce sourire Aux lares de ma tente Sans plus jamais en sortir

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A Nkolette

Le soleil fut chassé Par une débauche de coussins Et le plâtre en devint blanc D'être aussi triste Qu'un mur

On avait éloigné le fou A coups d'insultes Et les rivières craignaient Que l'eau ne les envahisse Sans prévenir Dehors la poussière alimentait Le gosier des ânes Mais ne franchissait pas Les murs de la ville

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Sommeil de sable Rempart de vent Chaleur de sang La terre bout Misère à bout de bras Cinéma muet de la douleur

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Mon corps a éclaté Sous la force d'un étrange mal Orage sourd et illimité Comprimé que j'avale En me penchant sur ma vie Saison des fleurs dangereuses A peine écloses S'envolent en fumée nuageuse

Il a fallu que tu viennes Me raconter ton visage Et tes mains et tes seins Tu étais presque mienne Quand je rechutai de voyage

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A Koula

Rencontre insolite Aube de vie Brassant les marées Flux et reflux D'un balcon l'autre A travers le jasmin Par-dessus la route en chaleur L'été commence

Elle tricote assise Devant la porte sculptée Ses yeux se lèvent souvent Effacent le voile de notre séparation Qu'est-ce que j'attends Pour traverser

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A Djenaï

Lorsque le soleil sans réplique Aura brûlé mon corps Consumé mon âme Ton regard sera mon dernier feu Mon ultime horizon incandescent Je n'aurai plus de miroir A traverser furtivement Pour te rejoindre en secret La maison est en ruine Plus rien ne m'empêchera De brûler mes rêves Dans le soir flamboyant Et je crierai une dernière fois Pour retenir le vent

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Quand reviens-tu L'air en tremble Lorsque je le questionne Et l'aube s'attarde Sur les minarets Au plus profond de mon silence Comment dormir Quand la nuit te vole à mes rêves Rien n'est plus cruel Qu'une montagne Qui s'écrase sur la ville Seul le mouvement fébrile Des étoiles Répond à mon angoisse Consolation ambiguë Morte avant d'être née

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Elle s'appuie contre mon rêve Trouble mon silence De ses yeux tranquilles Ses mains m'ont ceinturé Je tremble J'ai peur de faire un pas de trop La cuisine rit de toutes ses fenêtres Le soleil tombe lourdement Couvre mon émotion Ma fuite maladroite Dans l'escalier interminable

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Ame tendre Cœur d'amadou Flèche de sureau Œil pour cœur Et cœur pour toi

Où est donc jeunesse Qui me fuit sans cesse Et ne sait pas Comment s'arrêter Tant est sa hâte De sentir d'autres mains De courir d'autres berges...

Que crois-tu donc Avoir en reste Si ce n'est Seconde jeunesse

Ame tendre Cœur d'amadou Flèche de sureau Et cœur pour toi

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Dans ta robe longue Tu paraissais si belle Ton regard plongeait Sans le vouloir dans mes rêves Avec une sorte de défi nocturne Maintenant je chante pour toi Avec des écorchures de vent Je chéris des lambeaux d'étoffe Et je passe à mon doigt La première bague de mon rêve

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Par effraction J'ai pénétré ton cœur Mais tu n'as rien fait Pour m'en empêcher Je me suis précipité A bouche renversée Sur ton corps de reine Ta bouche me criait arrête Et tes yeux me suppliaient De ne pas partir

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Je dors avec une chatte Chaque fois que je rêve Elle s'accroche aux draps Croyant avec moi Que le bateau s'en va

Je prends alors la route De l'encens ou du tabac Avec pour tout bagage Un amour insensé

Je passe à travers d'interminables Forêts de tendresse Tantalesque dévidoir de caresses On me renvoie d'une berge l'autre On me promet mille ivresses Et le courant m'entraîne Avant que j'aie pu en jouir

Petite chatte téméraire Rentre tes griffes Elle ne viendra pas cette nuit Nous reprendrons les rênes Du char de Phoebus Sans passagère

Quand l'ombre de ton ombre Vient s'accrocher A mes rêves sombres Il me semble qu'il y a longtemps Que je n'ai pas aimé Ou du moins essayé Encore aujourd'hui j'ai senti Ton souffle nocturne m'effleurer Las d'attendre assoupi Sur l'escalier marbré

J« Ji

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Comment puis-jc innocemment Chanter des fleurs Que du premier regard J'ai déjà effeuillées Comment puis-je impunément Parler de l'amour Quand je me hais moi-même Par-delà mes secrets Et surtout comment Par quel miracle humain Suis-je capable D'effleurer une main Comme si c'était la première fois Comme si je venais de naître A l'amour

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Je suis prisonnier D'une musique Qui fait résonner mon âme Jusqu'aux larmes

Tu es musique Et pour toi je danserai Jusqu'à l'épuisement Autour de ton corps Sur ton cou Entre tes seins Je prendrai la rosée Sur ta bouche Comme d'un fruit mûr Entre les rayons meurtriers De tes yeux amoureux

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Un vol de corbeaux entre deux grues

Les mendiants sont à la rue

Un moineau effarouché

Balaie la grande vitre du salon

De ses ailes affolées

Je bois pour empêcher

La neige de recouvrir

Ce qui reste de nos rencontres

Sous-bois sous-cendre

La vie à l'envers

Tourbillon tout m'échappe

Hors de moi la rue gronde

Un visage de femme sourit

Entre deux draps qui sèchent

Des pas de pluie sur l'herbe

La corde nous sépare

Le ciel remuant nous étonne

Plus rien n'existe

Ses yeux sont dans mes mains

Ses cheveux caressent mes paumes

Ses épaules vibrent

Son corps se plie entre mes bras

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Sydney fleur d'eau Reproche entaché de montagnes Dans le petit matin Tes yeux de grenouille Rendent l'azur asociable Un pendentif sauvage Elargit ton sourire Comme à regret Tu es revenue Je n'ai pas eu le temps De brûler les rideaux d'encens Et je suis déjà en route Pour te perdre une dernière fois

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J'ai fait de la nuit mon manteau Une écharpe lourde de féminité Autour du cou Une étoile frileuse et jalouse M'a tiré par le bout de l'oreille Et j'ai manqué tomber Sur le trottoir si accueillant la veille

Mains dans les poches Me suis mis à chanter Accompagné d'orgues barbares

Adieu cordes licous chaînes Je vis

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Tenir haïr Se tenir se haïr Où sont les bornes Comment casser les reins A la mer qui vous embrasse

Pourquoi tuer le fils De ses rêves Dans un sang Trop longtemps attendu

Avaler ne pas crier Surtout ne pas dormir Lentement lentement

mourir

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Comme au sortir De ce port jadis infecté On a levé la quarantaine Qui amarrait mon âme Dans les eaux douteuses Des tripots équivoques

Sache rencontrer ma tendresse Et je t'aimerai Comme je n'ai jamais aimé Broyant l'impossible Au bord des continents inachevés

Les routes se refermeront Sur nos pas La mer rafraîchira Nos mémoires Nous ferons renaître Aphrodite Entre deux rochers incandescents

Symphonie du monde Entre nos bouches Houles de blés murs Entre nos corps Décoction d'oeillets A la boutonnière de notre lit

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Un instrument mâle Trotte sur la boue Et je saute en cadence Derrière lui

Me reviennent des dunes Crevées de bunkers Malades de sel Dans le matin Qui remue encore De coquillages abandonnés

Un orchestrion fatigué Envoûte le soir De ses notes éraillées Sur les murs du bistrot Le Rubens sent la crevette

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La tendresse ment Les caresses trompent Vieilles courtisanes Vie figée entre les cils Sur les lèvres sang Des mains se veulent voluptueuses Et ne font que trembler Des mots se veulent enchanteurs Et ne font pas chavirer Je remets mes souliers Qui traînent sur l'escalier du bordel

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Assefaïsh

Elle se coiffe debout Dans la chambre d'ébène Je me perds dans la bière Ses mains se referment sur mon cou Ses épaules rythment le matin Dehors on grille le café Plainte acidulée sur le pick-up Le soleil entre par le toit Tache claire sur son corps noir Peau riche de frissons Griffes sorties lorsqu'on part Fuite éperdue Sans regarder derrière soi Rires qui fusent Soleil insoutenable de la rue Noir dans l'âme Nausée...

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Demain je me retrouverai stupide Pour la dernière fois Sur cette terre aride Pour quelques heures encore Chanteront cigales et oiseaux De toutes sortes Dans les grands arbres En face de la maison

Le cinéma en plein air Parle plus loin On voit quelques têtes Les mêmes chaque soir Qui combinent de gros coups Et si un soir ils décidaient De jouer aux cartes

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Asmara

Grappes humaines Mûres d'indécision Mains qui se tendent Prêtes à frapper A aimer Changements de lumière Dans les yeux des filles Châles blancs sur leur nudité Bouteilles de bière en vrac Une corde chante sur une peau Un arc joue la négritude Et passez la monnaie

Le temps tremble Au loin sur la plaine La terre s'élève En temples de poussière Caryatides du désert Ephémères du néant La montagne brûle L'horizon se meut lentement Des chameaux flottent Dans le sable Montés par des hommes gris Saouls de voyage Moi je fonce Avalant poussière sable Chameaux et montagnes

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Jusqu'à la dernière allumette Je me suis cru chez toi L'hiver était doux Et tes cheveux avaient repoussé Tu semblais comprendre ma fatigue M'avais-tu espéré Pendant si longtemps Je pouvais maintenant Te raconter mes rêves Mieux que jamais auparavant Nous avons revu La chapelle russe Sans nous arrêter Avais-tu encore mal

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Arrivés à terme Nous n'avons que de l'eau Pour nous refermer Sur notre route Quand reviendront les épines Qui ne piqueront jamais Mais laisseront un goût amer Sur notre banc ensommeillé Encore un peu de musique Et tout sera impossible

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