Journalismes Discours Et Publics E. MARTY

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    Thse en vue de lobtention du Doctorat de lUniversit de Toulouse

    Dlivr par :

    Universit Toulouse 2 Le Mirail (UT2 Le Mirail)

    Discipline ou spcialit :

    Sciences de lInformation et de la Communication

    Prsente et soutenue par

    Emmanuel MARTY

    Le 5 novembre 2010

    Journalismes, discours et publics : une approche comparative

    de trois types de presse, de la production la rception de

    linformation

    Directeurs de thse

    Anne BURGUET (Matresse de Confrences, Universit Toulouse 3)

    Pascal MARCHAND (Professeur des Universits, Universit Toulouse 3)

    Rapporteurs

    Patrick CHARAUDEAU (Professeur Emrite, Universit Paris 13)Franck REBILLARD (Professeur des Universits, Universit Paris 3)

    Autre membre du jury

    Pierre MOLINIER (Professeur des Universits, Universit Toulouse 2)

    Ecole doctorale Arts, Lettres, Langues, Philosophie, Communication (ALLPH@)

    Laboratoire dEtudes et de Recherches Appliques en Sciences Sociales

    (LERASS) Equipe PSYCOM

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    Remerciements

    Le premier merci, qui est un grand merci, va Annette Burguet pour ses conseils et sontravail constant daiguillage, qui mauront permis de ne pas mgarer en chemin, dans deslectures sans fin ou dans les labyrinthes de lexprimentation.Un second merci, non moins grand, Pascal Marchand pour sa confiance, son engouementcommunicatif pour la lexicomtrie (y compris pour les corpus dmesurs !) et sa disponibilit

    pendant ces trois annes, apprcis leur juste valeur.Les conditions dans lesquelles jai travaill tout au long de ma thse mont prouv que rigueur

    pouvait rimer avec bonne humeur (et effectivement, a rime !). Une nouvelle fois, un grandmerci vous deux pour cet environnement de travail idal.

    Je tiens galement remercier trs sincrement :

    Patrick Charaudeau, Pierre Molinier et Franck Rebillard davoir accept de faire partie demon jury.Toute lquipe Psycom, dont les sminaires mont chaque fois nourri (y compris au sens

    propre, avec de dlicieux gteaux).Viviane Couzinet, directrice du LERASS, pour son accueil et son souci dintgration desdoctorants dans le laboratoire.Cathy Malassis, documentaliste au CDRSHS, pour son enthousiasme et lefficacit de sontravail.Le CIES Midi-Pyrnes et lcole doctorale ALLPHA, pour la formation dont jai bnfici

    pendant ces trois ans.Lquipe du bureau jumel du 2e tage, particulirement Valrie et Nikos, dont laccueil

    sans faille aura souvent anim mes pauses et enrichi ma culture scientifique et musicale.Jessica Mange, pour son aide prcieuse en statistiques, envisageant des post-hoc ds le

    petit-djeuner.Raymond Borraz pour avoir propos son expertise de lecteur aguerri et avoir plus que tenu

    parole.Tous ceux qui, de prs ou de loin, mont aid un moment ou un autre, en particulier les lecteurs et non-lecteurs qui ont bien voulu maccorder un peu de leur temps.

    Et puis, lorsquon est seul devant son ordinateur, cest quand mme rassurant de savoir quonest bien entour :Merci celle qui partage mes jours et mes nuits, qui a parfois dfait mes certitudes, souventdissip mes doutes et ma support dans tous les sens du terme, dans les bons et les mauvaismoments.Merci ma petite famille pour son soutien inconditionnel, qui me touche beaucoup. Mentionspciale maman et papa, pour leur relecture mticuleuse de mes rdactions, bravant lesnologismes et les phrases sans fin.Merci aussi aux copains de ne pas mavoir abandonn ma thse ! Grce vous jai pusouffler autour dun verre ou dun repas, dans un cano ou devant un match de foot (mmecalamiteux). Merci ceux qui ne manquaient pas de me demander dabord Cest sur quoi, tathse, dj ? puis, plus tard : Alors, a avance ? ou encore Et la finalit de tout a ? .Si jai enfin des rponses peu prs simples ces questions, cest un peu grce vous.

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    Sommaire

    Introduction 11

    PARTIE 1

    Fondements pistmologiques et thoriques de la recherche 17

    Chapitre I. Thories de la communication, approches du discours et

    recherche du sens : la question fait la mthode 17

    I.1. Comprendre la communication : entre technique et socit 18

    I.1.1. Lhtrognit des premires modlisations 18

    I.1.2. Lmancipation des SIC : interroger grce au media la rencontre entre

    technique et socit 20

    I.1.3. Etudier la communication de masse : des enjeux politiques 23

    I.2. Le discours dans la communication sociale 25I.2.1. Lapproche communicationnelle, linteraction sociale et le systme 25

    I.2.2. Linteraction discursive dans les conventions sociales 26

    I.3. Le discours et le sens 28

    I.3.1. La pragmatique : identifier les normes pour faire merger le sens 28

    I.3.2. Comptence et intention communicationnelles : la ncessit de cooprer, la

    libert de ngocier 30

    Chapitre II. La notion de contrat ou le fondement de la

    communaut politique, dans le discours et par la communication 35

    II.1. Le contrat social ou la comptence polit ique 35

    II.1.1. Contrat, dmocratie et communication 35

    II.1.2. Les origines du politique : laptitude cooprer dans labstraction du langage 36

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    II.1.3. Contrat et rpublique moderne 38

    II.2. Le contrat de communication ou la conscience sociale dans

    le discours 40

    II.2.1. La communication dans le paradigme contractuel 40

    II.2.2. Le contrat dans le code civil : la filiation juridique 41

    II.2.3. Le contrat de communication comme partage dune ralit dans linteraction 43

    II.2.4. Du given-new contract limplicite cod : la co-construction du sens 45

    II.2.5. Le contrat de parole : des acteurs dans le temps, lespace et le symbolique 49

    II. 3. Le contrat de communication de linformation mdiatique 54

    II.3.1. Intentionnalit et reconnaissance dans la communication 54

    II.3.2. Le mdia ou linstitutionnalisation du dialogue social 55

    II.3.3. Linstitution mdiatique et la ncessit de la reconnaissance 58

    II.4. Le contrat de lecture dans la presse crite 60

    II.4.1. La cration dune relation par lobjet journal 60

    II.4.2. Le contrat de lectorat 64

    Chapitre III. Le cadrage : la construction dun rapport au monde 67

    III.1. Cadrages et recadrages, de lindividu au mdia et inversement 67

    III.1.1. Lexprience et ses cadres 67

    III.1.2. Les cadres mdiatiques : un recadrage de lexprience 69

    III.1.3. Les recherches nord-amricaines : les media frames comme reconstructions

    biaises de la ralit sociale 71

    III.1.4. Media frames et framing effect : les cadres comme rfrents communs dun

    systme o interagissent sources, journalistes, textes et rcepteurs 75

    III.2. Les discours de presse : des contrats, des cadres et des

    stratgies dinteraction 80

    III.2.1. Le contrat comme partage de cadres 80

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    III.2.2. Lobjectivit ou la dissimulation du cadrage 82

    III.2.3. Discours rapports et stratgies de recadrage 84

    III.3. Cadrer les questions denvironnement : le combat des mots 86

    III.3.1. De lcologie la gestion environnementale 86

    III.3.2. Le dveloppement durable : consensus et dissidences 89

    III.3.3. Information mdiatique et modalits dinstitutionnalisation de

    l'enjeu cologique 91

    PARTIE 2

    La presse en recomposition : acteurs, pratiques et discours 95

    Chapitre I. La presse : entre dmocratie et march 95

    I.1. Le journalisme dans lespace dmocratique : libert et

    responsabilit de la presse 95

    I.1.1. Aux fondements de la presse contemporaine : le partage du pouvoir et

    la libert dexpression des opinions 95I.1.2. La presse contemporaine et sa responsabilit auprs du grand public 98

    I.2. Journalisme et march du discours 101

    I.2.1. La presse crite dans le march mdiatique 101

    I.2.2. Le double march de la presse crite et la logique du marketing 102

    I.2.3. Editorial et publicitaire : mariage forc dans les rdactions 105

    I.3. Journaliste : une profession fragilise 110

    I.3.1. De la littrature la manutention : les risques du mtier 110

    I.3.2. LAFP : de la politique lconomie 114

    I.3.3. La communication : de la contrainte lidologie 116

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    Chapitre II. Des modles conomiques aux contrats de communication :

    de nouveaux modes de structuration de lobjet journalistique 122

    II.1. Contrat de lecture et march de la discursiv it soc iale 122

    II.1.1. Linterdpendance de lconomique et de lditorial 122

    II.1.2. Vers des types de contrat 123

    II.2. La crise de la Presse Quotidienne Nationale : mutation des pratiques

    et apparition de modles conomiques et ditoriaux polariss 124

    II.2.1. Des titres de PQN la recherche dun modle conomique et ditorial viable 124

    II.2.2. Le contrat de la PQN : statut de linformation et lecteur idal 128II.2.3. Mutations et mergence de modles polariss 132

    II.3. La Presse Quotidienne Gratuite 134

    II.3.1. La Presse Quotidienne Gratuite ou la polarisation vers le produit presse 134

    II.3.2. La structuration financire de Metro et de 20 minutes 136

    II.3.3. De nouvelles pratiques de production hautement industrialises 137

    II.3.4. Le contrat de la PQG : statut de linformation et lecteur idal 139

    II.4. La Presse Indpendante en Ligne 142

    II.4.1. Internet et le projet de la contre-culture 142

    II.4.2. La Presse Indpendante en Ligne ou la polarisation vers un projet politique 144

    II.4.3. Les pure-players, entre professionnels et amateurs 146

    II.4.4. Le contrat de la PIL : statut de linformation et lecteur idal 148

    Chapitre III. Analyse dun corpus de presse sur la hausse du prix

    du ptrole 153

    III.1. Questions de recherche et pis tes danalyse 153

    III.1.1. Des modles socio-conomiques aux modles ditoriaux 153

    III.1.2. Des types de presse aux panoplies interprtatives 154

    III.1.3. Des stratgies diffrencies de construction des cadres 155

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    III.2. Mthodologie danalyse du corpus ptrole 155

    III.2.1. La constitution du corpus 155

    III.2.2. Mthodes et outils danalyse du discours 158

    III.3. Rsultats 162

    III.3.1. Des modles socio-conomiques aux modles ditoriaux : vers des typologies

    discursives 163

    III.3.2. Une reconstruction diffrencie des cadres dapprhension de la ralit 166

    III.3.3. Les stratgies de cadrage et le marquage-masquage de la construction

    discursive 184

    III.4. Discussion 190

    PARTIE 3

    La rception des discours dinformation : pratiques, traitements

    et appropriation de linformation par le lecteur 196

    Chapitre I. La rception : entre mcanique cognitive et slectivit des

    pratiques sociales 196

    I.1. Cadrage, amorage et processus cognit ifs 196

    I.1.1. La rception des cadres mdiatiques 196

    I.1.2. Les effets de cadrage : une diversit des traditions de recherche 198

    I.1.3. Amorage et effet de cadrage : vers les heuristiques de jugement 202

    I.1.4. Framing et priming comme thories des effets mdiatiques 205

    I.2. La slectivit, ou le retour dun rcepteur actif 210

    I.2.1. Vers lintgration de processus socio-cognitifs dans des pratiques slectives 210

    I.2.2. Le lecteur : du texte lusage du texte 212

    I.2.3. Pratiques, usages, et typologies de lectorats 214

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    I.3. Contrats de communication et traitement de linformation 223

    I.3.1. Les modles duaux du traitement de linformation : des dimensions cognitives et

    motivationnelles 223

    I.3.2. Le rle du contrat de lectorat dans le traitement de linformation en rception 229I.3.3. Mmorisation et comprhension des messages textuels 235

    Chapitre II. Reprsentations, traitement et appropriation de

    linformation : la rception des types de presse en question 240

    II.1. Une enqute sur les attentes et reprsentations des lectorats 240

    II.1.1. Questionnements et hypothses 240II.1.2. Mthodes et outils 241

    II.1.3. Rsultats 243

    II.1.4. Discussion 247

    II.2. Exprimentation : la nature du traitement du message est-elle

    contractuellement inst itue ? 250

    II.2.1. Ltude exprimentale de la rception dans le paradigme contractuel : points

    thoriques et mthodologiques 250

    II.2.2. Variables et indicateurs 254

    II.2.3. Hypothse gnrale 258

    II.2.4. Hypothses oprationnelles 260

    II.2.5. Procdure 262

    II.2.6. Rsultats 263

    II.2.7. Discussion 268

    II.3. Du cadrage au recadrage : une seconde analyse

    des restitut ions 271

    II.3.1. Questions de recherche et hypothses 271

    II.3.2. Mthode et oprationnalisation 272

    II.3.3. Rsultats 274

    II.3.4. Discussion 288

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    Conclusion 291

    Bibliographie 301

    Index des auteurs 320

    Annexes 324

    Annexe 1 : Questionnaire denqute Mdias et information 325

    Annexe 2 : Matriel pour lexprience Contrats et traitements 328

    Annexe 3 : Statistiques descriptives, validation des profils et rsultats

    complmentaires de lexprience Contrats et traitements 343

    Annexe 4 : Restitutions des lecteurs de chaque type de presse, issues delexprience Contrats et traitements 346

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    Introduction

    En 1910, Francfort, il y a exactement un sicle, le sociologue Max Weber prononce

    une allocution loccasion des Premires Assises de la Sociologie Allemande. Cette

    allocution, traduite par Gilbert Musy en 1992 dans la revue Rseaux, se rvle tre lexpos

    dun vritable programme dinvestigation sur la presse, que le sociologue naura

    malheureusement pas la possibilit de mener bien, stopp par la Premire Guerre Mondiale

    puis emport par la maladie quelques annes plus tard, en 1920. Le programme que Weber

    propose alors est celui dune tude globale de la presse, de sa production sa rception, en

    passant par ltude de son contenu jusque dans ses aspects quantifiants, comme le prcise

    Bastin (2001) dans un article consacr lanalyse et la traduction du Vorbericht1 du

    sociologue. Bastin (op. cit.) sest largement pench sur la porte du projet de recherche de

    Weber sur la presse, nous rappelant que luvre scientifique du sociologue est

    transversalement marque par un questionnement central : la problmatique de la

    rationalisation, avec la modernit et le capitalisme, des organisations et des comportements

    (Ibid. p.186). Cette question a anim une grande partie des travaux de Max Weber, et son

    projet dinvestigation sur la presse ny fait pas exception. Cette dimension est longuement

    dtaille et trs explicitement pose dans son Vorbericht (Weber, 1910).

    Un sicle de recherches plus tard, la voie ouverte par Weber a largement t investigue par

    les sciences humaines et sociales2. La presse sous toutes ses formes a t et demeure un objet

    de recherche privilgi, et la connaissance scientifique de cette dernire sest affine au sein

    de diffrentes disciplines, chacune delles menant ses recherches avec ses propres approches

    et outils. La recherche sur la presse sest donc souvent dveloppe dans des paradigmes

    spcifiques relevant dhritages disciplinaires segments. Cette spcialisation des recherches,

    1 Vorbericht ber eine vorgeschlagene Erhebung ber die Soziologie des Zeitungswesens ou Rapportprliminaire pour une proposition denqute sur la sociologie de la Presse . Il sagit dun plan crit et dtailldes hypothses et stratgies de recherche relatives au projet de Weber sur la presse. Lallocution de Webertraduite par Musy, datant elle aussi de 1910, est connue quant elle sous le nom de Geschftsbericht . Lesdeux documents sont troitement lis, lallocution (ou Geschftsbericht) constituant une synthse orale durapport (ou Vorbericht). Pour une traduction du Vorberichtet une analyse dtaille du projet, voir Bastin (2001).2 Le projet de Max Weber a contribu poser les fondements de ce travail, par sa richesse et son -propos. On adordinaire coutume dopposer thories Webriennes et thories Marxistes. Toutefois ce prtendu clivage desclassiques doit sans doute plus aux spculations des exgtes qu de relles et irrductibles divergences de vueentre Marx et Weber. Des auteurs tels que Pierre Bourdieu revendiquaient dailleurs une double filiation. Ontentera ici, sinon de dpasser le clivage, tout au moins de ne pas lentretenir. Sur le sujet, voirMax Weber et

    l'histoire de Catherine Colliot-Thlne (1990) aux Presses Universitaires de France, ou encore le concept de marxisme Webrien dvelopp par Merleau-Ponty (1955) dansLes aventures de la dialectique, rd. EssaisFolio.

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    si elle a permis dtablir une masse de connaissances dune grande richesse, comporte

    nanmoins un inconvnient, inhrent toute spcialisation : lclatement des connaissances.

    Cet clatement rend difficile la vision transversale de lobjet, laquelle serait pourtant de nature

    donner de la perspective aux diffrents champs de recherche.

    On peut alors se demander sil nest pas du ressort des Sciences de lInformation et de la

    Communication, en tant quinterdiscipline, doprer les ncessaires rapprochements

    thoriques et mthodologiques aptes dresser une sorte de panorama du fonctionnement de la

    presse comme systme mdiatique, en articulant ses diverses manifestations observables dans

    le monde social. Il sagit bien sr dun projet colossal ne pouvant se concevoir qu lchelle

    dune discipline et auquel le travail qui suit ne saurait tre autre chose quune contribution.

    Son ambition sur le plan thorique est nanmoins de jeter des ponts entre des approches

    parfois cloisonnes de la presse, tentant en cela dtre fidle la vocation globalisante du

    projet de Weber, en y injectant certaines des thories et mthodes contemporaines. Pour ce

    dernier, en effet, ltude de la presse devait passer dabord par lidentification des conditions

    socio-conomiques de production de son discours, ensuite par lanalyse de la nature

    linguistique de celui-ci et enfin par linterrogation de ce que ce discours est en mesure de

    susciter chez ses lecteurs. Ces points sont numrs dans son allocution et plus clairement

    dtaills encore dans son rapport prliminaire. Y sont voques les questions de linsertion

    des journaux dans des marchs structurs, du caractre largement industriel de leur activit, de

    la relation des journaux la langue, la science et au savoir, ainsi que le rle de la presse sur

    ses lecteurs, en termes dopinion et de morale, de modes de vie et de pense, de rapport la

    langue et la culture. Pour Weber, en effet, si lon en croit Bastin (2001), la presse exerce une

    influence globalisante , uniformisante et rifiante sur la culture et l tat sensitif

    de lhomme moderne.

    Cest aussi un sicle de presse qui nous spare de ces deux documents, et les interrogations

    souleves par Max Weber constituent des enjeux essentiels pour linformation mdiatiquecontemporaine, rsonant dune tonnante actualit lheure o la presse papier traditionnelle,

    en grande difficult, est la recherche de nouveaux modles, la fois conomiques et

    ditoriaux, dont dpend sa survie. La reconfiguration contemporaine du paysage de la presse

    dinformation et les problmes quelle pose ne sont trangers ni aux notions de march,

    dindustrie et de concurrence, ni celles dopinion, de langage et doutil sociopolitique. Ds

    1910, ces deux versants de la presse ont t identifis par Weber comme potentiellement

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    contradictoires, le sociologue pointant les difficults affrentes au double march3 de la

    presse.

    Plus rcemment, dautres approches ont tent de construire des passerelles entre diffrentes

    dimensions de ltude de la presse, notamment entre ses conditions socio-conomiques de

    production et ses conditions psychosociales de rception (Charaudeau & al. 1988), ou entre

    analyses conomique, sociotechnique et smiolinguistique de la production et de la

    consommation du discours dinformation, dans un contexte qui est alors dj celui de la

    redfinition des acteurs et des pratiques (Ringoot & Utard, 2005). Mais parce que ces

    ouvrages collectifs constituent avant tout des tentatives de croiser des regards diffrents sur

    un objet de recherche commun, et bien quelles aient effectivement favoris des mariages

    disciplinaires qui depuis ont montr leur pertinence, ces tudes nont pas ncessairement

    systmatis larticulation des diffrentes dimensions de la presse au sein dune seule et mme

    analyse. Loin dtre une critique, ce constat invite plutt suivre la voie trace par ces tudes

    en tentant, pour filer la mtaphore, den baliser les carrefours. Cest prcisment larticulation

    explicite de ces approches que la prsente tude souhaite apporter. Depuis la production du

    discours de presse, jusqu sa rception, en passant par le discours lui-mme, il sagit

    dtudier la manire dont peuvent se structurer les relations dinterdpendance entre une

    socit et sa presse. Cette question transversale constituera la colonne vertbrale de ce travail.

    Il sagira donc de dterminer dans quelles conditions socio-conomiques de production, sous

    quelles formes linguistiques dapparition et selon quelles modalits psychosociales de

    rception un support de presse peut construire son propre rapport au lecteur, ce rapport

    sorganisant lui-mme comme un certain mode de relation la socit. Dans ce que lon

    nomme le systme mdiatique, comment ces diffrents lments peuvent-ils sarticuler et

    sinter-dterminer ? Pour rpondre cette interrogation, lapproche synchronique comparative

    de plusieurs titres de presse diffremment structurs pourra tre riche denseignements. Elle

    permettra dtablir si des correspondances existent ou non de manire significative entre lesmodalits de production du discours, la nature de celui-ci et ses modes dappropriation en

    rception.

    La thmatique environnementale et nergtique constitue cet gard un terrain

    particulirement intressant. Elle suscite en effet de nombreux discours se donnant

    lapparence de la cohrence et du consensus, alors quune attention focalise sur les logiques

    auxquelles ces discours obissent, rvle la grande htrognit des valeurs et visions de la

    3 Voir Partie 2, paragraphe I.2.2. pour une dfinition dtaille du terme.

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    socit vhicules par ceux-ci, dont lidentification a fait lobjet dun prcdent travail (Marty

    & al., 2008). La thmatique de lenvironnement sest impose dans lagenda mdiatico-

    politique comme une urgence et un problme digne dtre trait par ces institutions (politiques

    et mdiatiques). Les questions dcologie, et particulirement les questions nergtiques lies

    la fois lpuisement des ressources et au rchauffement climatique, sont extrmement

    prsentes dans la presse contemporaine, parfois mme jusqu provoquer dans les esprits une

    certaine perplexit, voire une lassitude, face linflation des discours. Pourtant lenjeu est

    lourd. Si la communication sur lenvironnement est source dune grande diversit de discours

    porteurs de valeurs et de reprsentations htrognes, on est en droit de se demander ce quil

    en est du ct de linformation, et plus prcisment de la presse. La fonction sociale de cette

    dernire est en effet de servir non pas des buts et intrts particuliers (ce qui est lapanage de

    la communication), mais de concourir lintrt gnral en clairant les membres dune

    socit sur les faits qui surviennent dans le monde. Juridiquement, la presse quotidienne

    dinformation politique et gnrale4 a pour objet d apporter de faon permanente sur

    l'actualit politique et gnrale, locale, nationale ou internationale, des informations et des

    commentaires tendant clairer le jugement des citoyens , de consacrer la majorit de [sa]

    surface rdactionnelle cet objet et de prsenter un intrt dpassant d'une faon

    manifeste les proccupations d'une catgorie de lecteurs . La presse est dabord, au moins

    historiquement, une entit populaire, un quatrime pouvoir institu par les citoyens au

    moment o ceux-ci fondaient, lors de la Rvolution Franaise, la dmocratie moderne. Elle

    garde, depuis, son aura doutil dexpression du peuple au peuple.

    Mais compte tenu des volutions de la presse lors du sicle pass, on peut se demander dans

    quelle mesure elle peut, lheure actuelle, jouer son rle dinstitution dmocratique vis--vis

    de cette thmatique nergtique. Permet-elle au public daccder une information libre,

    diversifie et exhaustive, formulant et alimentant dans ses instances un dbat social

    contradictoire lchelle de son audience ? Quest aujourdhui devenue sa fonction sociale etcomment peut-elle contribuer la redfinir ? Quelle est la nature des cognitions offertes au

    public par la presse sur les questions nergtiques, dont il est certain que lenjeu est de

    constituer un matriau des communications inter-individuelles quotidiennes ? Une piste de

    rflexion, en guise dimmersion dans le rle dmocratique de la presse, peut tre lance par

    Barthes (1973) : La dmocratie est le lieu dune ambivalence insoluble : le contrat social, en

    principe, laisse vivre les diffrences. De plus il esquive les formes grossires et physiques de

    4 Dfinie larticle D.19-2 du Code des postes et tlcommunications.

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    la violence ; mais son ressort reste loppression de la Majorit, de la Masse, de la Loi, de la

    Normalit sur les minorits. (p.189). A travers le concept de contrat social, on peut avec

    Barthes questionner pareillement lambivalence de la dmocratie et celle de la presse.

    Quelles peuvent alors tre les manifestations et les consquences dune rationalisation de la

    presse annonce voil un sicle par Weber, presse dont linsertion dans un march industriel

    et hyperconcurrentiel est aujourdhui criante ? Comment cette rationalisation intervient-elle

    dans lorganisation de la production du discours de la presse ? Peut-elle se rpercuter dans son

    discours sur lenvironnement et, si oui, selon quelles modalits ? Exerce-t-elle, in fine, cette

    influence uniformisante, moins sur les opinions que sur les outils dapprhension du monde

    mis quotidiennement en uvre par les membres dune socit ? Concevoir la presse

    comme une entit une et indivisible semble cependant assez peu pertinent : ny a-t-il dans ce

    systme aucune place pour des dissidences ? Voil les questions auxquelles nous allons tenter

    de rpondre, en articulant les questions et les mthodes au sein dun paradigme mme de

    construire cette image globalisante du systme : celui du contrat. Il sagira dabord de le

    resituer dans les premires thorisations de ce quest la politique, et de le dfinir

    pistmologiquement dans le champ des thories sociales de la communication. Le concept de

    cadre dinterprtation, central pour lanalyse du produit mdiatique, sera galement

    questionn de manire dtaille, notamment dans ses relations avec le contrat. Cette dfinition

    des fondements thoriques sur lesquels repose notre dmarche sera lobjet dune premire

    partie de ce travail, qui sattachera ensuite tudier la presse dans les trois ples qui

    constituent linteraction sociale communicationnelle : la production du discours, ses formes

    en tant que cristallisation dun rapport commun au monde et sa rception par le public. Une

    revue de la littrature sur les conditions socio-conomiques de production du discours crit

    journalistique permettra daborder les mutations luvre dans le domaine de la presse

    quotidienne dinformation, et den saisir les enjeux. Plus prcisment, les rcentes volutions

    des modles conomique et ditorial de la Presse Quotidienne Nationale seront interroges auregard de lmergence de nouveaux modles polariss, qui sont ceux de la presse gratuite

    dune part et dune certaine presse en ligne dautre part. Les formes des discours

    journalistiques attenants ces modles seront apprhendes par l'analyse d'un corpus d'articles

    traitant de la hausse du prix du ptrole. En s'articulant, l'analyse des formes du discours et

    l'identification des conditions de sa production s'claireront mutuellement. Mais le discours

    mdiatique est avant tout destin tre reu et peru par un certain public, lequel est

    apprhend par les diffrents organes de presse. Ce public effectue quotidiennement unedmarche d'information dans laquelle il slectionne activement les sources et les messages

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    auxquels il se confronte. La rception de ces discours devra donc enfin tre apprhende par

    l'analyse des pratiques, des reprsentations et du traitement cognitif de l'information propres

    aux diffrents publics mdiatiques.

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    PARTIE 1

    Fondements pistmologiques et thoriques de la recherche

    Chapitre I. Thories de la communication, approches du discours et

    recherche du sens : la question fait la mthode

    Lambition de ce travail est dtudier un objet communicationnel particulier : le discours

    dinformation de la presse. Il sagit dapprhender ce qui motive le discours, pour circonscrire

    les modalits selon lesquelles le pour quoi de la communication, cest--dire ses buts, peut

    agir sur le commentdu discours. Il parait donc difficile de faire lconomie dune dfinition

    pralable du discours et de la communication. Par dfinition , nous entendons la fois

    clarifier notre apprhension des concepts de discours et de communication et valuer la porte

    que peut revtir ltude dun objet discursif particulier au sein des disciplines concernes par

    la communication. Comment faire parler le discours ?

    Ce premier questionnement thorique, autour duquel voluent beaucoup dautres, est celui de

    la valeur de lanalyse du discours dans ltude des communications mdiatiques. Cette valeur,

    lvidence, nest, lintrieur dune mme discipline, jamais fige et demeure toujours

    sujette dbat. Or lanalyse du discours nest pas lapanage dune discipline, mais le fruit de

    convergences disciplinaires, si bien quelle constitue elle seule une sorte dinterdiscipline

    informelle. Nous reviendrons de manire plus approfondie sur les diffrentes mthodologies

    danalyse. Retenons pour le moment que toutes les apprhensions du discours ne se

    ressemblent pas, car les questions qui motivent lanalyse sont souvent diffrentes, le discours

    noccupant alors pas le mme statut pistmologique.

    Est-il rvlateur dintentions ? Marqueur dune identit sociale? Vecteur de persuasion ? Face

    visible dinteractions plus complexes ? Est-il le fruit de la pense ou son support ? Est-il unoutil dexpression et dmancipation ou larme implacable des idologies dominantes ? Une

    rponse constructiviste consisterait dire quil est tout cela la fois, car seule la construction

    dun objet dtude est capable de lui donner un sens, lui aussi forcment reconstruit. Nous

    nous en contenterons pour le moment, en gardant lesprit la ncessit de trancher sur

    certains points fondamentaux au regard de la problmatique particulire qui est la ntre.

    Revenons aux diverses apprhensions du discours : certaines disciplines effectuent leur

    analyse de la communication depuis lextriorit du phnomne, dautres depuis lintrioritde ses protagonistes. Toutes traitent de lensemble des lments constitutifs de la

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    communication, et ce titre les mariages disciplinaires ont enrichi les diffrentes sciences de

    nouvelles mthodologies. Mais leurs ancrages respectifs demeurent par exemple le processus

    de communication dans sa dimension systmique pour les Sciences de lInformation et de la

    Communication5, lobjet discursif pour les Sciences du Langage et le sujet communiquant

    pour la Psychologie Sociale.

    Or, discours et communication sont deux concepts distincts mais troitement lis, si bien quil

    est pratiquement impossible de parler de lun sans parler de lautre. Cest pourquoi toutes les

    disciplines traitant soit de la communication soit du discours se sont intresses, des degrs

    divers, aux thories du contrat de communication. On peut essentiellement citer Rodolphe

    Ghiglione (1985, 1986) pour la psychologie sociale, Eliseo Veron (1983, 1988) pour les SIC

    et Patrick Charaudeau (1983, 1988, 1997a) pour les sciences du langage. Le contrat repose sur

    lide dune rciprocit norme entre les acteurs de toute situation de communication, agissant

    sur la teneur des discours qui y sont produits. Nous verrons par la suite de manire dtaille

    comment6. Pour donner du sens aux discours dans lanalyse globale de la communication, ces

    disciplines ont t amenes apprhender les autres composantes de la communication, celles

    dont elles ne sont pas spcialistes, avec plus ou moins de difficults et plus ou moins de

    succs. Or, la thorie du contrat, parce quelle est globalisante, a opr de ncessaires

    rapprochements disciplinaires, souvent prcieux, parfois problmatiques. Un des objectifs de

    cette premire partie est de resituer lapparition de ces thories dans les volutions thoriques

    de diffrents courants disciplinaires, principalement les SIC, la Psychologie Sociale et les

    Sciences du Langage. Cela dit, il ne sagit pas de dpeindre une histoire des diffrentes

    disciplines, mais plutt dinterroger ce qui a pu, dans celles-ci, prparer ou motiver

    lmergence dune sorte de paradigme contractuel, dans une relative convergence de leurs

    approches du discours. Ce qui est en jeu ici, rappelons-le, cest le statut de ce dernier dans

    ltude de linteraction communicative, et par consquent la porte de son analyse.

    I.1. Comprendre la communication : entre technique et socit

    I.1.1. Lhtrognit des premires modlisations

    Comment reprer, dans lvolution des thories scientifiques, la manire dont ceux qui ont

    uvr dans les diffrentes disciplines ont progressivement affin leur apprhension des

    5 Dornavant, les Sciences de lInformation et de la Communication seront toujours dsignes par le sigle SIC.6 Voir paragraphesII.2.1. II.2.5. dans cette mme partie.

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    multiples interactions entre les individus et le discours, la socit et les mdias ? Une

    premire piste pourrait tre emprunte : celle de lhistoire des SIC, qui dbute souvent avec la

    thorie cyberntique de Wiener (1948), systmique, et la thorie de linformation de Shannon

    (1948), plus linaire. On occulte par contre souvent lantriorit des travaux de lEcole de

    Chicago, dans laquelle figurent principalement Charles Cooley (1907), George-Herbert Mead

    (1934) et John Dewey (1922). Lazar (1992) prcise que leur tude est centre sur le rle de la

    communication dans la vie sociale. La notion dinteraction sociale est pour ces auteurs

    fondamentale, et ils seront lorigine du courant de linteractionnisme symbolique. La

    sociologie de Cooley (op. cit.), notamment via la notion centrale de social consciousness

    donne un clairage tout fait particulier larticulation individu-communication-socit : il

    suggre que le Moi individuel, comprenant des attitudes et des opinions, se forme comme

    une entit sociale au travers des communications . Il ajoute que la conscience de soi rsulte

    de lintuition des perceptions de soi par autrui, que permet notamment la communication.

    (Lazar, op. cit.). Sa thorie place donc la communication au centre du rapport entre lindividu

    et la socit. Cest une conception qui reste trs prgnante aujourdhui, et qui suscite de

    nombreuses recherches contemporaines, principalement en psychologie sociale de la

    communication. Mead (op. cit.) aura dvelopp cette approche dans une psychologie sociale

    qui donne au langage et la communication une place centrale en tant quobjet dtude.

    Jusquaux annes 1960, la modlisation de la communication est principalement le fait de

    psychologues, de sociologues, de mathmaticiens ou de politologues, dsireux de tester leurs

    thories dans le champ communicationnel (Lazar, op. cit.). Do le caractre extrmement

    htrogne des premires thorisations de la communication. Mais cest prcisment la

    collaboration des mathmatiques avec les sciences sociales qui aura t extrmement

    fructueuse dans les annes 1930 1950, avec les figures de pres fondateurs tels que

    Lazarsfeld le sociologue-mathmaticien, Hovland le psychologue exprimental et Lasswell le

    politologue. Leurs problmatiques fondamentales sont la question de linfluence, de lapersuasion et plus largement du rle des diffrents discours mdiatiques (politiques ou autres)

    dans la formation des attitudes et opinions, et par l mme leur place au sein de la socit. On

    peut considrer quici se situent les bases des thories de la communication et de leurs

    interrogations corollaires sur la place du discours publicis dans la socit.

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    I.1.2. Lmancipation des SIC : interroger grce au media la rencontre entre technique et

    socit

    Il semble ds prsent ncessaire de prciser que si lhistoire des SIC telle quelle est

    aujourdhui traditionnellement prsente nous renvoie au dbut du XXe sicle (si ce nest

    avant), la discipline nexiste en France de manire institutionnelle et autonome que depuis

    1975. Boure (2002) ne manque dailleurs pas de nous rappeler que Si Lazarsfeld, Katz,

    Habermas ou Luhmann peuvent tre considrs comme dincontestables thoriciens de la

    communication, [il faut] admettre quils ont puis une partie de leur inspiration et de leur

    savoir en dehors des sciences humaines et sociales (dans la philosophie, par exemple), et bien

    souvent en de de la priode des SHS. (p.29). Do le caractre problmatique de certaines

    filiations thoriques et mthodologiques entre les SIC et certaines disciplines mres . On

    pourrait voquer la thorie du dterminisme technologique de McLuhan (1970), thorie selon

    laquelle le mdia dominant dans une socit dtermine la manire de rflchir et de se

    comporter des individus qui la constituent. Les rapports entre techniques de communication et

    socits resteront au cur des interrogations fondamentales des SIC, et lintuition de

    McLuhan, dont on critiquera sans doute juste titre lexcessivit, donnera nanmoins

    naissance en France des courants de pense tels que la mdiologie, porte par Rgis

    Debray7.

    Il est certes difficile de circonscrire les thories de la communication du point de vue des SIC

    franaises, nombre dauteurs tant soit trangers, soit antrieurs 1972, ventuellement les

    deux, tout en ayant t (par le pass et pour certains aujourdhui encore) fort influents dans la

    discipline. Pour comprendre lvolution des thories de linformation et de la communication

    en France, il parat ncessaire de la mettre en perspective avec celle de linstitutionnalisation

    de la discipline. Sur ce dernier point, nous nous sommes appuys sur le travail de Boure (op.

    cit.), qui donne un clairage prcieux sur les origines et lmergence institutionnelle de celle-ci. Si nous dcidons dintroduire ici mme cet aspect, cest que lauteur prcise que la

    constitution des SIC en 1975 sest effectue dans le souci dinterroger les thories alors

    dominantes (empirico-fonctionnalisme, thorie de linformation, cyberntique.) . Ce qui

    signifie que ces thories, parmi dautres que nous voquerons galement, ont t mobilises

    par et intgres dans les SIC franaises, ne serait-ce que pour tre discutes, modifies,

    affines. Mais elles lui sont antrieures, et en un sens extrieures. Do le souci des SIC de se

    7 Pour une dfinition dtaille de la mdiologie, voir le texte fondateur : Debray, R. (1991). Cours de mdiologiegnrale. Bibliothque des Ides. 395p.

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    distinguer, que ce soit par le terrain, la mthode ou les objectifs, de disciplines la fois plus

    anciennes et plus visibles parmi lesquelles figurent les disciplines littraires, les sciences du

    langage ou encore les disciplines sociologiques.

    Le dveloppement de ce que lon nomme la smiotique est venu ajouter une dimension

    supplmentaire cette problmatique. De par son autonomisation progressive vis--vis des

    sciences du langage, la smiotique entretient avec les SIC des relations complexes et

    ambigus, lobjet discursif y tenant une place prpondrante. Car se distinguer ne signifie pas

    ncessairement se couper, et nombre de chercheurs sont aujourdhui daccord pour qualifier

    les SIC dinterdiscipline, de par la diversit dobjets et dapproches quelles rassemblent (les

    deux tant troitement lis) et la grande richesse de thories dont elles se nourrissent.

    Si les SIC peuvent prtendre un champ dinvestigation privilgi, cest naturellement celui

    des mdias, au sens large du terme, cest--dire tout support de production et de diffusion du

    sens. La question du rle des mdias est celle pose par la thorie fonctionnaliste voque

    plus haut, mene principalement par Merton, Wright et Lasswell. Mucchielli (2001) prcise

    que ce quils tudient alors, ce sont les "fonctions" et les "dysfonctions" remplies par les

    mdias : surveillance de lenvironnement, mise en relation des acteurs de la socit dans leur

    rponse lenvironnement, transmission de lhritage social, distraction . Lasswell

    dveloppe en 1945 une thorie de laction de communication et propose daborder toute

    communication par les questions suivantes : qui dit quoi, par quel canal, qui, avec quels

    effets ? (Mucchielli, op. cit.).

    Si basiques que soient ces thories fonctionnalistes, elles reposent sur le prsuppos dune

    lgitimit sociale des mdias. Quelles que soient les fonctions qui leur sont assignes (et

    indpendamment de ltude des dysfonctions), celles-ci sont conues comme des missions

    dont sont investis les mdias par et pour la socit. La notion de lgitimit sociale des mdias

    est tout fait centrale dans notre questionnement et nous aurons loccasion dy revenir.

    Notons quelle prsidait dj plus ou moins implicitement aux premires thorisationsrelatives loutil mdiatique, mis ds lors en rapport avec la constitution des socits

    dmocratiques contemporaines. Les SIC se sont dabord dveloppes sur la question du rle

    des mdias dans la socit, bien avant den analyser le discours. Tout un pan de lorigine

    historique des thories de la communication est constitu des thories critiques de lcole de

    Francfort, fonde en 1923, notamment par Horkheimer, Adorno, Lowenthal, Fromm, Pollock

    et Marcuse (Mucchielli, 2001). LEcole de Francfort entend tudier les mdias de masse, mais

    avec le souci constant de les insrer dans une thorie totale de la socit. Lcole dite critique , largement influence par la pense marxiste, pose la question du contexte social,

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    politique et conomique dans lequel a lieu cette communication (Lazar, op. cit.). Leurs

    interrogations sont celles de savoir Qui contrle la communication ? Pourquoi ? Au bnfice

    de qui ? (Ibid.). Lenjeu est didentifier les possesseurs des mdias et le contrle des

    institutions de communication.

    Aussi, on voit se profiler une certaine coexistence de deux paradigmes diffrents, celui des

    usages et celui des effets8. Dans tous les cas la psychologie sociale exprimentale est au cur

    de ces premires tudes sur la communication. Les deux paradigmes vont se dvelopper

    conjointement, dabord de manire conflictuelle avant de progressivement tenter une

    conciliation. Mais une chose est certaine : les rapports entre innovations techniques et

    transformations de lordre social sont au cur du questionnement des SIC. Mige (1989)

    considre quelles sont lintersection du technologique et du social.

    La notion dintersection nest pas anodine : elle signifie que les innovations technologiques

    constituent un phnomne, et que la vie sociale en est un autre. Mais si on peut fonder une

    discipline sur leur point dintersection, cest que ces deux phnomnes sont, bien que

    distincts, interdpendants. Comme ils sont distincts, toute approche scientifique doit en

    privilgier un ; comme ils sont interdpendants, cette mme approche ne peut pas ignorer

    lautre. Et lon retrouve la dualit des recherches en SIC, bien synthtise par Attalah (1991).

    Pour ce dernier, lobjet des SIC est dune part de sinterroger sur limpact social de formes de

    communication lies la technologie, dautre part dtudier les contextes sociaux et

    historiques qui donnent naissance ces appareils, () les intrts sociaux dont ils sont

    porteurs, les rapports et les relations de pouvoir quils prolongent et instituent. (p.313-314).

    Si la notion dimpact social relve principalement du paradigme des effets, la seconde est la

    fois plus riche et plus ambigu. Parler de contextes socio-historiques et dintrts sociaux,

    cest voquer clairement lusage, lutilit sociale des mdias. Mais interroger les rapports de

    pouvoir auxquels ils sont lis, cest rendre aux mdias leur statut central doutils sociaux en y

    introduisant lide dun pouvoir institu. Nous ne discuterons pas dans ce paragraphe lanotion de pouvoir (qui implique des dtenteurs et des asservis, ventuellement une lutte pour

    son obtention), nous contentant de remarquer que cette dernire dfinition a le mrite de

    replacer le mdia dans un rle central de facilitateur de linteraction humaine et sociale.

    Une telle conception interdit de placer, au niveau thorique, toute technologie de

    communication en bout de chane , cest--dire comme point de dpart ou comme rsultat

    dun phnomne. Cette conception est, prcisons-le, la base de la systmique prne par

    8 Voir Marchand (2004) pour des repres historiques dtaills.

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    Morin (1990), logique aujourdhui largement rpandue en SIC. Attalah (op. cit.) poursuit

    dailleurs sa rflexion en prcisant bien que la communication, technologie ou pas, reste une

    affaire dindividus. Les questions lies la communication peuvent alors tre celles de

    lidentit de ceux qui communiquent, des conditions de linteraction, de ses moyens ou de ses

    fins. Mais pour lauteur, ce quon interroge dans tous les cas, cest le statut de la subjectivit

    humaine. Les conditions de production du discours et la subjectivit humaine sont deux

    notions tout fait fondamentales pour quiconque veut interroger le rle du mdia et les

    discours qui le traversent (Pcheux, 1969). Elles seront centrales dans notre apprhension du

    discours de la presse. Mais prcisons demble que l encore, la lgitimit sociale des mdias

    apparat comme un prsuppos ncessaire ltude des enjeux sociaux dont ils sont porteurs.

    On passe en effet de la notion de fonction sociale celle de pouvoir institu. Cette lgitimit

    est donc acquise comme principe fondateur du mdia dans la socit, et il sera alors plutt

    question den tudier soit le fonctionnement interne (notamment les mcanismes luvre en

    production), soit le discours dans ses usages et ses effets en rception, ou encore ses relations

    avec dautres acteurs sociaux tels que les pouvoirs politiques et conomiques.

    Cest ainsi quen 1993 le Comit National dvaluation dfinit les SIC comme ltude des

    processus dinformation ou de communication relevant dactions organises, finalises,

    prenant ou non appui sur des techniques, et participant des mdiations sociales et

    culturelles . Mais, ajoute Mucchielli (op. cit.), le mme passage prend bien soin de prciser

    que les SIC ne concernent pas ltude spcifique de linteraction langagire ou sociale . Ni

    sciences du langage ni psychologie sociale, donc, mais sciences des processus de

    communication auxquels ces deux disciplines ne sauraient tre trangres.

    I.1.3. Etudier la communication de masse : des enjeux politiques

    Ltude de la communication de masse constitue un pan essentiel de la recherche encommunication, depuis son origine jusquaux thories contemporaines. Agenda-setting

    (McCombs & Shaw, 1993) ou encore spirale du silence (Noelle-Neumann, 1974), les

    chercheurs commencent modliser des processus sociaux entre mdias et individus en

    intgrant la notion de pouvoir. Car tout instrument de pouvoir contient deux faces : des

    potentialits dmancipation et des potentialits dasservissement. On peut se figurer la

    communication de masse comme une institution sociale, cest--dire un moyen par lequel les

    interactions sociales communicatives sorganisent grande chelle et acquirent le statutdentits collectivement et lgitimement construites. Cest une conception largement admise,

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    de lcole de Francfort Bourdieu en passant par les thories de Palo Alto. De nos jours,

    devant la diversification de loffre et des publics, lhtrognit et lhybridation des modes

    dexpression mdiatique, la notion de communication de masse est parfois conteste au motif,

    principalement, dun clatement des audiences et dune segmentation sociale croissante. Mais

    comment dfinir cette communication de masse, telle quelle aurait exist et nexisterait

    plus ?

    La massification ralise par les mdias, nous dit Mucchielli (op. cit.), cest

    lagrgation artificielle dindividus de divers origines sociales, sexes et ges, genres et

    niveaux de vie, professions, lieux dhabitation, cultures qui sont exposs la mme

    communication (quelle soit sociale, politique, publicitaire ou autre). . De ce point de vue,

    tout en concdant lexistence dune segmentation des audiences, et le risque quelle fait

    courir, on peut difficilement considrer que la communication de masse a disparu, ne serait-ce

    quen constatant laudience dun journal tlvis. Mais linterrogation sur son existence nest

    pas vaine, elle pose une question ne pas ngliger : celle de lrosion du lien social associ

    la segmentation des publics. Une des caractristiques de la communication de masse est

    quelle se droule dans lespace public. Son aspect marchand en est la deuxime

    caractristique fondamentale, quil est absolument ncessaire de garder lesprit, tant cette

    dimension est elle aussi constitutive du discours mdiatique, comme Weber la indiqu voil

    un sicle.

    Pour lheure, notre objectif thorique est double : circonscrire la place de la communication

    mdiatise dans la socit dune part, clarifier les rapports entre analyse de discours et thorie

    de la communication dautre part. Nous nous associons en cela la proposition de Mige

    (2000), pour qui ce que les SIC ont en propre cest de pouvoir appliquer des mthodologies

    inter-sciences des problmatiques transversales, permettant dapprhender linformation et

    la communication non de faon globale mais dans ses manifestations marquantes . La

    conception systmique de la communication un niveau thorique nexclut donc pas ltudeempirique de ses manifestations quotidiennes, empruntant une grande varit de mthodes

    danalyse.

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    I.2. Le discours dans la communication sociale

    I.2.1. Lapproche communicationnelle, linteraction sociale et le systme

    Nous lavons dj voqu, une thorie de la communication ne doit pas placer le

    mdia comme point de dpart ou comme rsultat dun processus, mais toujours dans une

    place centrale lintrieur dun systme, celui de la socit. Pour reprendre les termes de

    Flichy (1991), tout changement se situe ncessairement dans un cadre sociotechnique. Pour

    Mucchielli (op. cit.) comme pour beaucoup dautres, tels Louis Qur (1999) ou encore Edgar

    Morin (1990), les phnomnes communicationnels doivent tre apprhends par cette

    conception systmique. Cette approche a t adopte principalement pour se distinguer des

    analyses sociologiques et psychosociologiques, mais ces deux approches sont

    complmentaires et non exclusives, puisquelles se situent des niveaux dabstraction

    diffrencis. A ce propos, la mtaphore de Bateson (1988), qui rsume la position du

    chercheur pour le constructivisme de Palo Alto, est dune grande clart : On peut comparer

    sa position celle dun visiteur de muse qui ne parvient jamais voir en mme temps la face

    et le dos dune statue ; plac derrire la statue, par exemple, il ne sera pas capable de prvoir

    lexpression du visage jusqu ce quil lait vue de face. Pour obtenir une impression

    complte, il lui faut tourner autour de la statue et, tandis quil se dplace, une nouvelle

    perspective souvrira chaque pas jusqu ce que la combinaison de toutes les impressions

    mette ce visiteur en tat de construire en lui-mme un modle rduit du personnage en

    marbre. Les choses se compliquent si lon considre que tous les visiteurs ne vont pas au

    muse avec les mmes intentions. (p.39). Ds lors on peut considrer que toute

    apprhension de la matire empirique constitue un point de vue, au sens premier du terme, et

    que seule la combinaison mthodique et raisonne de ces diffrents points de mire peut

    aboutir une thorisation solide de lobjet dans son systme. La question est donc de parvenir articuler la notion dephnomne systmique (la communication dans la socit) et celle de

    subdivision raisonnablement observable (Bateson, Ibid.) de celui-ci (par exemple, le discours

    dun individu et dun support mdiatique). Dailleurs lapproche systmique des phnomnes

    communicationnels a t largement dveloppe par lEcole de Palo Alto (dite de la

    Nouvelle Communication ), dont deux des plus grandes figures sont Paul Watzlawick,

    psychiatre et sociologue, et Gregory Bateson, psychologue et anthropologue. La conception

    systmique du processus de communication revient, chronologiquement, la cyberntique deWiener. Cette thorie mathmatique de la communication, comme nous le rappellent Larame

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    et Valle (1991), considre que tous les lments de la chane communicationnelle sont

    interdpendants. Lorsquun maillon de cette chane se trouve modifi, cette modification se

    rpercute alors sur tous les autres lments. Cette conception, au fondement de lapproche

    communicationnelle, a en quelque sorte t transpose par Palo Alto dun univers

    mathmatique vers une conception sociale du systme. Pour ces auteurs, la communication

    est la matrice dans laquelle sont enchsses toutes les activits humaines. (Bateson &

    Ruesch, 1988). En effet, les phnomnes communicationnels sont avant tout des phnomnes

    sociaux, sinsrant toujours de manire complexe dans des contextes socio-historiques

    dtermins, comme le rappelle Boure (op. cit.). Citant ensuite Mattelart et Mattelart (1995), il

    souligne que la communication est une invention intellectuelle, pour ne pas dire une

    reprsentation qui parle la langue de plusieurs sciences, arts, et mtiers . Pour autant,

    lapplication de la thorie mathmatique des systmes semble extrmement fertile en SIC,

    menant lide que mdias et socit sont en co-dtermination rciproque.

    Parmi les pr-requis les plus importants des thories dveloppes par Palo Alto figure une

    mme ide-force, qui luttait lpoque contre une vision trop mcaniste ou technicienne du

    mdia : la communication, encore une fois, est une affaire dindividus. Pour Bateson (op. cit.),

    par exemple, la communication est une interaction fondamentalement sociale, prise en charge

    par des individus, et sa nature peut ds lors tre change. Cest encore le discours de

    Mucchielli (op. cit.), pour qui la dimension technologique ne doit pas tre tudie pour elle-

    mme, mais du point de vue de sa finalit sociale, de ses usages, des dispositifs dans lesquels

    elle sinsre. Pour lcole de Palo Alto, mme une discussion anodine entre deux personnes

    constitue une situation de nature sociale. Cest dautant plus vrai pour la communication de

    masse. Selon Bateson et Ruesch (op. cit.), la communication de masse sinsre dans un

    systme social complexe. Lindividu engag dans une communication de masse entre en

    interaction avec ce systme, prenant part une entit dont il sait quelle le dpasse et dont il

    ne peut que construire une reprsentation. Il a nanmoins gnralement conscience de fairepartie de cette entit lorsquil entre en contact avec un moyen de communication.

    I.2.2. Linteraction discursive dans les conventions sociales

    Bateson et Ruesch (1988) nous clairent ensuite sur la manire dapprhender la

    question du sens dans lanalyse de cette interaction : Connatre le rle dune personne dans

    une situation sociale permet de jauger correctement la signification de ses paroles et de sesactions. () Dans le contexte de la communication, on peut considrer les rgles comme des

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    directives qui orientent le flux des messages dune personne lautre. Dans la mesure o les

    rgles sont habituellement restrictives, elles limitent les possibilits de communication et, par-

    dessus tout, elles restreignent les actions des personnes qui y participent. (p.41-42). Les

    chercheurs dfendent donc la thse selon laquelle toute interaction communicationnelle est

    rgie par des rgles qui contraignent le champ daction des protagonistes. Ces rgles, issues

    du systme de valeurs sociales partages par une communaut, ne sont pas exclusivement

    discursives, mais le discours nen est pas moins la face visible et privilgie. Habermas

    (1984) parle ce propos de communaut intersubjective . Une prcision de Bateson le

    rapproche de Charaudeau, dont nous exposerons galement la thse : la ncessaire conscience

    partage quont les protagonistes de ces rgles en situation de communication. Cest

    uniquement parce que les protagonistes ont conscience de ces rgles et quils les appliquent (a

    priori) dans linteraction que celles-ci existent. Autrement, elles ne seraient que pures

    chimres. Voil pourquoi on peut chercher des traces discursives de lintriorisation

    rciproque des rgles de communication institues par la situation particulire dans laquelle

    les protagonistes sont engags. Bateson et Ruesch (op. cit.) nous disent que lhomme

    acquiert sa conception du monde par linteraction sociale et par la communication, et cette

    acquisition est le fondement sur lequel repose lorganisation ultrieure de son

    environnement. () A la racine de tous les vnements qui sont provoqus par lhomme se

    trouve son aptitude communiquer, base sur laquelle se construit la coopration. La

    coopration est en rapport troit avec les caractristiques qui font de lhomme une crature

    grgaire. Lhomme ne vit donc pas seul. (p.50-51). Cette conception de lhomme politique

    et du langage est directement inspire de la philosophie des Lumires, et notamment de la

    notion de contrat social, sur laquelle il sera ncessaire de revenir avec attention.

    Poursuivant la rflexion sur ce que peut tre la communication, on ne peut alors passer ct

    de son sens tymologique de mise en commun . Sur ce point, Bateson et Ruesch (op. cit.)

    mnent une rflexion sur le sens qui converge largement vers les sciences du langage. Poureux, la vrit dun nonc nest jamais tablie en soi, mais dpend toujours dun accord entre

    les interlocuteurs pour le considrer comme vrai. Le langage nest quun code, un ensemble

    de conventions, relevant de la phontique, du vocabulaire et de la syntaxe comme du rythme,

    du ton et des modalits plus larges de la communication verbale et non verbale. Lide de

    conventions partages dans la communication irrigue lensemble des recherches sur

    linteraction communicative. De ce point de vue, linteractionnisme de Goffman (1991) est

    riche denseignements. Ancien lve de lcole de Chicago, Goffman sappuie sur les travauxde Mead et de Cooley, pour dvelopper sa thorie des cadres. Pour lui, les cadres dfinissent

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    et rgulent les activits humaines, dont la communication. Goffman adhre la notion de

    systme, et pour lui tout comportement dun acteur social sinsre dans celui-ci et se plie donc

    des rgles de fonctionnement dtermines par lappartenance ce systme. Larticulation

    entre lindividuel et le social est explicitement lobjet de la psychologie sociale,

    particulirement lorsquelle sattache la communication. Goffman (Ibid.) dfinit dailleurs

    son travail de la manire suivante : Je ne moccupe pas de la structure de la vie sociale, mais

    de la structure de lexprience individuelle de la vie sociale. (p.22)

    On peut alors considrer que lobservation et lanalyse des interactions communicatives

    doivent se faire sur deux plans distincts et complmentaires : au niveau oprationnel,

    lapprhension, guide par les thorisations existantes, des matriaux discursifs et de leurs

    acteurs, pour effectuer des comparaisons, tablir des liens, mettre en lumire convergences et

    divergences des formes, intentions, dterminations et logiques ; au niveau thorique,

    lenrichissement (renforcement, nuanciation ou modification), par les donnes empiriques,

    des modles dj tablis pour figurer les rapports entre communications, individus et socits.

    Les plans empirique et thorique semblent donc bien, eux aussi, en co-dtermination

    rciproque, ncessitant un va-et-vient constant dun plan lautre. Ds lors, lexamen du

    discours et de son insertion dans le systme des conventions sociales prend une dimension

    centrale pour ltude de la communication lintrieur dune socit donne.

    I.3. Le discours et le sens

    I.3.1. La pragmatique : identifier les normes pour faire merger le sens

    Si lon devait rsumer lide force de la pragmatique, on pourrait dire quelle

    considre la parole ou le discours comme un acte, et qu ce titre elle considre celui-ci

    comme tant insr dans un espace-temps donn, ce dernier tant structurant. Il sagit de

    considrer que le contexte nest pas autour du message, mais fait partie du message. La

    pragmatique se situe donc dans le prolongement pistmologique des considrations voques

    plus haut. Le sens du message merge de la confrontation dun individu avec une situation

    donne. La situation pse sur le champ des possibles offerts lindividu, mais en contrepartie

    lindividu tend accrotre sa prise sur les situations, et la communication est le vecteur de ce

    double processus.

    La pragmatique nonce une loi fondamentale qui tend redfinir la communication du point

    de vue de lacte de discours. En dcoule lide que lon superpose un nonc rfrentiel une

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    mta-communication, portant sur la relation interpersonnelle que lon engage avec

    linterlocuteur et dans laquelle le contenu propositionnel dun nonc peut tre compris et

    accept. Cest le sens de la force illocutoire dAustin . Selon Qur (1984), cette mta-

    communication a pour fonction de rduire l'indtermination du contenu propositionnel du

    message en spcifiant la relation interpersonnelle dans laquelle les interlocuteurs s'engagent,

    c'est--dire, en dfinitive, en actualisant un jeu de rles socialement institu. (p.67). Pour

    lauteur, tout nonc est dialectique, faisant forcment intervenir une reconnaissance

    rciproque, une entente entre les interlocuteurs.

    La communication comme change social situ doit ds lors tre conue sous langle de la

    pragmatique. Les sujets sociaux n'accdent une comprhension rciproque

    qu'indirectement, par l'entremise de quelque chose d'objectif qui n'est pas eux-mmes (et qui

    n'est pas non plus simplement le langage en tant que systme de signes). En ce sens

    l'interaction sociale met ncessairement en jeu un "tiers symbolisant", le ple extrieurd'un

    neutre, qui, n'tant ni (pour) l'un, ni (pour) l'autre, et occupant une position de rfrence

    possible pour l'un et l'autre, les conjoint dans leurs diffrences. Bref, disons que ce

    mtaniveau correspond au ple institutionnel. (Qur, op. cit., p.69). Cette notion de mta-

    niveau institutionnel introduite par lauteur traduit lintervention dune sorte dentit sociale

    fondatrice dans lacte dchange.Qur prend la peine de prciser que ce mta-niveau nest ni

    fig, ni donn davance, mais construit en permanence dans lchange. Ces considrations

    sont trs proches des thories de la psychologie sociale de la communication, notamment des

    premires thorisations du contrat de communication de Ghiglione (1986), dans lesquelles

    toute communication sinscrit dans un contrat initial rengoci en permanence par les

    interlocuteurs dans linteraction langagire. Il sera par la suite ncessaire de sarrter plus

    longuement sur la notion de contrat et sur ses diffrentes variantes et acceptions. Pour lheure,

    retenons lide dune communication semblable un jeu de rle social.

    Tout jeu, quel quil soit, suppose des rgles communes. Cest lide dHabermas (1984), pourqui la tche de la pragmatique est prcisment de reconstruire le systme de rgles que les

    locuteurs doivent matriser pour communiquer de manire satisfaisante. Pour lui, la notion de

    comptence communicationnelle renvoie cette capacit des locuteurs de matriser la

    simultanit de la communication et de la mta-communication. La notion de comptence est

    charnire pour la pragmatique, cest autour delle qua pu se construire une relle mulation

    transdisciplinaire mlant SIC, linguistique, psychologie sociale, philosophie du langage ou

    encore smiologie. Ainsi, pour Qur (op. cit.), la comptence communicationnelle ne reposepas seulement sur la matrise dun ensemble de rgles linguistiques, mais aussi sur une

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    capacit dvaluation, donc dinterprtation des situations, laide dun certain nombre de

    moyens de classement et de repres extrieurs. (p.72). Charaudeau (1983) prfrera parler

    de comptence smio-linguistique , quil dfinira comme une aptitude

    reconnatre/manipuler la matire langagire en circonstances de discours . Si la terminologie

    diffre, lide est la mme : la matrise des outils linguistiques ne suffit pas au bon

    droulement de linteraction communicative, la prise en compte des lments de nature

    sociale mis en jeu dans lchange est une ncessit. Reste identifier ces lments, travail

    central de toute approche pragmatique du discours.

    I.3.2. Comptence et intention communicationnelles : la ncessit de cooprer, la libert de

    ngocier

    Prenons comme point de dpart cette assertion dHabermas (1984) : Jappelle

    intentionnel un comportement rgul par des normes ou qui soriente en fonction de rgles.

    Les rgles ou normes ninterviennent pas comme des vnements ; elles sont en vigueur en

    vertu dune signification intersubjectivement reconnue. Les normes ont un contenu

    smantique, autrement dit un sens, qui, chaque fois quun sujet se conforme elles, se change

    en raison ou mobile de comportement, et cest alors que nous parlons dune action. Au sens

    de la rgle correspond lintention dun acteur qui oriente son comportement en fonction

    delle. (p.8). Selon Habermas, les normes et rgles rgissant lchange nont lieu dtre que

    parce qutant intersubjectivement reconnues, on ne pourrait infrer lintention dun acte de

    parole que par rapport elles. Cette notion dintersubjectivit est centrale dans la pense de

    lauteur, car toute communication est rgie par des attentes de comportements rciproques,

    qui doivent tre mutuellement comprises et reconnues par les sujets. Cette rciprocit de

    lchange est le cur de la conception sociale de lacte de communication. En tant que

    dimension constitutive de la socit, elle suppose rciprocit et coopration. Si communiquerrevient mettre en commun, un jeu dattentes rciproques se met en place dans cet acte

    intrinsquement communautaire, selon des modalits quHabermas (op. cit.) qualifiera de

    co-originaires . Trs proche est la thorie des jeux de langage de Wittgenstein. Habermas

    nous dit que ce qui intresse Wittgenstein dans le modle du jeu, cest le consensus sur les

    rgles en vigueur qui doit exister entre les joueurs. () Dans la mesure o elles sont les

    lments dun jeu de langage, les nonciations linguistiques sont intgres des interactions.

    En tant que composantes de lactivit communicationnelle, les nonciations linguistiques sontelles aussi des actions. (p.66). Voil pourquoi on peut parler dacte de langage. Pour

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    Wittgenstein, les situations psent sur les formes expressives employes, linverse se produit

    galement puisque la nature des situations est toujours redfinie dans le langage. Les

    individus ne sont prisonniers des contraintes situationnelles que dans les limites quils

    simposent eux-mmes, ventuellement dans celles fixes par la rflexivit de leurs propos

    vis--vis de leur interlocuteur. Car tout manquement la coopration suppose (et attendue)

    peut entraner des sanctions, pouvant aller jusqu la rupture de communication, comme nous

    le verrons plus loin. Cest une des raisons pour laquelle la notion de contrat de

    communication a t dveloppe : la ncessit de cooprer simpose trs souvent avec la

    force dune loi.

    Lide dune ncessaire coopration nous vient de la philosophie du langage de Grice (1979),

    avec ses maximes conversationnelles, ayant pour fonction de veiller au respect du principe de

    coopration. Il dfinit son principe de la manire suivante : que votre contribution

    conversationnelle corresponde ce qui est exig de vous, au stade atteint par celle-ci, par le

    but ou la direction accepte de lchange parl dans lequel vous tes engag. (p.61). Ses

    maximes sont regroupes en quatre catgories : quantit, qualit, relation et modalit. A la

    quantit correspond la ncessit de ne donner ni plus ni moins dinformations que ce qui est

    requis par linterlocuteur. A la qualit, Grice rattache la notion de vridicit. A la relation

    correspond la recommandation de parler -propos. A la modalit, enfin, il raccroche la notion

    de clart dans la forme du discours. On voit bien comment, selon lui, toute conversation

    langagire reposerait sur un ventail de principes normatifs, les maximes, mutuellement

    connus du locuteur et de lauditeur. Le respect de cette morale conversationnelle, comme

    lappellent Ghiglione et Trognon (1993), est pos comme un pralable lchange parl, et

    tout cart ses principes normatifs pourra tre interprt, en vertu du principe de coopration,

    comme porteur dune intention particulire que le locuteur cherche faire comprendre son

    auditeur. En dautres termes, nul nest cens ignorer les lois communment adoptes vis--vis

    de la communication. Grice (op. cit.) fonde lexistence de ce principe de coopration sur unargument philosophique majeur : lexpression dune conscience rationnelle de lutilit

    rciproque quil y a, pour les individus, cooprer. Il affirme en effet que lobservance du

    principe de coopration et des autres rgles est raisonnable (rationnelle) dans la mesure o

    toute personne que les buts essentiels de la conversation/communication ne laissent pas

    indiffrents (par exemple, donner ou recevoir de linformation, influencer et tre influenc par

    les autres) est cense trouver de lintrt une participation des changes dont elle ne

    retirera profit qu condition que ceux-ci soient mens en accord gnral avec le principe decoopration et les autres rgles. (p.63-64).

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    On sait donc prsent que la communication est une affaire de coopration norme, un jeu de

    rle social, et que pour prendre part ce jeu, les participants doivent tre comptents pour

    celui-ci, cest--dire en connatre les diffrentes rgles. Mais alors quen est-il de la libert de

    lindividu ? Linteraction communicative nest-elle quun chemin balis ou une liste

    doprations ncessairement pr-codes ? On rpondra videmment par la ngative, mais une

    ngative nuance. Laspect ngoci et mouvant de cette normativit sociale a t voqu

    prcdemment. Aussi Charaudeau (1997a) pourrait-il rpondre que libert il y a, mais quil

    sagit dune libert surveille , en ce sens que toute stratgie de discours, tout espace de

    libert, ne peut se raliser, pour tre correctement peru, que dans un cadre de normes et de

    contraintes dordre social, cest--dire communment partages. Grice (op. cit.) a propos un

    modle de communication qui rpond une logique similaire : le modle infrentiel. Il sagit

    de considrer que communiquer revient produire et interprter des indices. Des indices de

    quoi ? De lintention communicationnelle qui nous a pousss dire ce quon a dit de la

    manire dont on la dit. Si lon suit la logique infrentielle de Grice (op. cit.), on peut

    considrer que vouloir dire quelque chose par un nonc revient avoir lintention que celui-

    ci produise un certain effet sur des interlocuteurs au moyen de la reconnaissance de cette

    intention. Emettre des indices pour exprimer son intention, interprter ces indices pour

    reconnatre lintention mise, voil une conception de la communication qui rend le jeu de

    coopration sinon plus risqu, tout au moins plus complexe, la fois pour les interlocuteurs et

    pour lventuel observateur ou analyste du discours. On conoit ds lors lvidente ncessit

    du tiers symbolisant de Qur (1984), de la reconnaissance intersubjective

    dHabermas (1984) ou encore de la comptence smiolinguistique de Charaudeau (1983).

    Il sagit l de terminologies diffrentes dsignant un mme phnomne : la manifestation

    quotidienne de la dimension profondment sociale de lhomme, de son langage et de sa

    capacit sadapter aux situations auxquelles il est confront.

    A ce titre, Bakhtine (1977) apparat comme un prcurseur de la vision pragmatique dudiscours avec sa philosophie dialectique du langage. Pour lui linteraction verbale constitue

    la ralit fondamentale de la langue. (p.136). Loutil linguistique est donc inconcevable sil

    est dissoci de ce qui lemplit de sa substance, savoir linteraction. Lauteur nonce ensuite

    des lois rsumant sa pense sur le statut de la langue. Il pose notamment que lide dune

    langue comme systme stable de formes nest quune abstraction savante , incapable de

    rendre adquatement compte de la ralit concrte de la langue . Il soppose en cela la

    linguistique Saussurienne, qui interdit selon lui le questionnement sur linfluence mutuelleentre le signe et ltre. Pour Bakhtine (op. cit.), cet tre , dans le signe, fait de la langue un

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    processus dvolution ininterrompu qui se ralise travers linteraction sociale verbale des

    locuteurs . Cette volution est ds lors lie des lois sociologiques et renferme

    obligatoirement une valeur idologique. Toute nonciation est intrinsquement sociale, et

    pour Bakhtine le fait de parole individuel est en soi une contradiction. Le sens dun nonc

    nest donc jamais ni donn, ni fig : Seul le courant lectrique de la communication verbale

    fournit au mot la lumire de sa signification. . Aussi, Ceux () qui sefforcent, pour

    dterminer la signification du mot, datteindre sa valeur infrieure, celle qui est toujours

    stable et gale elle-mme, cest comme sils cherchaient allumer une lampe aprs avoir

    coup le courant. (p.147). En cela, Bakhtine (op. cit.) doit tre considr comme un

    vritable prcurseur de la pragmatique, de par sa vision profondment dialectique de la langue

    et sa volont dapprocher au plus prs sa ralit concrte dans ses manifestations les plus

    simples et les plus quotidiennes. Mais la richesse de la dialectique Bakhtinienne ne sarrte

    pas l : en tant que phnomne interactif, la communication a t apprhende par lui jusque

    dans le processus de comprhension de la parole du locuteur et de son intention

    communicative. Pour lui, la comprhension est une forme de dialogue ; elle est

    lnonciation ce que la rplique est la rplique dans le dialogue. Comprendre, cest opposer

    la parole du locuteur une contre-parole. (p.146). Cette conception de la comprhension,

    mettant au premier plan lactivit psychique intense de linterlocuteur, sa dimension critique

    et crative, aurait confisqu toute validit aux thories bhavioristes qui se construisaient

    paralllement aux Etats-Unis9.

    Si la coopration parait tre une dimension ncessaire de la communication, on se rend

    prsent bien compte quelle nen est pas lunique. Si les individus engags dans linteraction

    communicative sont tenus de cooprer et de baser leur interaction sur des rfrents supposs

    communs (pour rendre cette communication possible), il nen demeure pas moins que chaque

    individu, dans cette mme interaction, possde un grand nombre de caractristiques qui lui

    sont propres et quil met en jeu dans celle-ci. Cette notion denjeu (de mise en jeu) dans lacommunication, est une notion centrale pour la pragmatique linguistique comme pour la

    psychologie sociale. Dailleurs, pour Ghiglione et Trognon (1993) lindividu ne sera en

    mesure de [] reconnatre [une intention] que sil a identifi lenjeu (ou les enjeux) qui

    le lie linterlocuteur. . Cet enjeu est lui-mme fortement li aux rles assums par les

    interlocuteurs et la relation qui se noue dans linteraction. Ces notions sont celles du contrat

    de communication de Ghiglione (1986), sur lequel nous reviendrons. Gardons pour linstant

    9 Louvrage de Bakhtine a t publi en 1929 Leningrad sous le nom de son lve Volochinov.

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    lesprit que lide dassocier le discours aux notions denjeu et didentit, au sein dun cadre

    situationnel normatif (fait de rgles et de conventions sociales) apparat extrmement fconde.

    Elle met en exergue le fait que communiquer est tout la fois un processus norm et un acte

    de libert, toujours risqu ; la fois un processus intrinsquement dialectique et une opration

    singulire porteuse de spcificits identitaires. Cest la dfinition de ces composantes

    antithtiques et ltude de leur point dintersection que travaillent des disciplines telles que

    la sociolinguistique et la psychologie sociale de la communication, sappuyant sur la

    pragmatique linguistique. Il sagit didentifier les liens et les nuds qui se forment entre

    lindividu, la socit et le langage, lequel se situe linterface des deux premiers. La notion

    dinterface dsigne une limite commune deux systmes, permettant des changes entre

    ceux-ci. Le langage, linterface entre groupe et individu, peut donc tre considr comme

    leur plus petit dnominateur commun. Indpendamment des diffrences de langues, il apparat

    comme le fondement de la capacit politique de lhomme, le lieu et le moyen de rencontre

    entre individus et groupes sociaux.

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    Chapitre II. La notion de contrat ou le fondement de la communaut

    politique, dans le discours et par la communication

    II.1. Le contrat soc ial ou la comptence polit ique

    II.1.1. Contrat, dmocratie et communication

    La thse que nous souhaitons dfendre ici est la suivante : le concept de contrat social,

    au fondement de lide de dmocratie, ne peut senraciner concrtement dans la socit que

    par le langage, permettant la communication de ses membres. A ce titre, ce que Charaudeau

    (1997a) notamment, a nomm contrat de communication, serait une manifestation visible et

    quotidienne du contrat social ; sa face discursive. On peut en effet avancer quil rsulterait du

    mariage entre une situation, correspondant lextrioritde linteraction communicationnelle

    (des interlocuteurs, des enjeux, un objet rfrentiel, des outils linguistiques, des circonstances

    matrielles) ; et la conscience dun contrat social. Cest ce dernier qui donne du sens aux

    lments situationnels, au sein de lintrioritde chacun des protagonistes, dans une socit

    constitue dans le langage et norme par la recherche dune entente rciproque. Barthes

    (1975) souscrit cette ide lorsquil nous dit que Le signe, le rcit, la socit fonctionnent

    par contrat, mais comme ce contrat est le plus souvent masqu, lopration critique consiste dchiffrer lembarras des raisons, des alibis, des apparences, bref tout le naturel social, pour

    rendre manifeste lchange rgl sur quoi reposent la marche smantique et la vie collective.

    (p.63). Cest bien parce que la plupart de ces rgles sont supposes tre communes tous,

    dans le cadre du contrat social, quune tierce personne (le chercheur ou lanalyste, par

    exemple), extrieure linteraction qui se droule ou sest droule, peut partir de

    lobservation de lextrioritde cette communication mettre des hypothses surlintriorit

    vcue de lun ou de lautre des protagonistes, en termes dintentions, de ractions, etc.Cest de ce prsuppos que dcoule la pertinence de notions telles que reconnaissance des

    enjeux, comptences linguistiques et communicationnelles, rgles et contraintes

    situationnelles et discursives, stratgie, intentionnalit et bien dautres encore, que nous

    avons voques, ou que nous utiliserons, et quil sagit prsent de considrer travers cette

    lucarne du mariage entre un contrat social et des situations de communication.

    La notion de contrat, bien avant le contrat de communication, renvoie aux grandes thories

    sociales issues du sicle des Lumires, qui a vu lmergence de lide dun contrat - ou pacte -

    social, fondateur de la civilisation rpublicaine. En ralit ce principe remonte, sous des

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    formes parfois embryonnaires, lAntiquit et aux philosophes grecs. Au del de leur seule

    proximit lexicale, rapprocher contrat de communication et contrat social nous semble une

    dmarche fertile. Nous postulons en effet que le second entretient avec le premier, dans sa

    nature et dans ses manifestations quotidiennes (voire dans les polmiques quil soulve), des

    rapports de continuit et dinclusion quil nous semble opportun de spcifier. En bref, il sagit

    de saisir pleinement, selon une formule qui serait chre Rousseau et ses

    contemporains, lesprit du contrat. En effet le contrat social a vocation conceptualiser les

    rapports sociaux, dans une perspective dapprhension de lhomme la fois comme entit

    individuelle autonome et comme membre dun tout, dans lequel il sinscrit et qui le

    surdtermine sans pour autant le priver de sa libert individuelle. Un projet pistmologique

    dlicat en cela quil se risque intgrer dans une mme modlisation deux facettes

    antithtiques de lhumain, rvlatrices de lapparent paradoxe de la vie en socit.

    II.1.2. Les origines du politique : laptitude cooprer dans labstraction du langage

    Lide du pacte remonte lantiquit grecque avec lthique politique dEpicure : La

    justice n'existe pas en soi. Elle n'existe que dans les contrats mutuels, et s'tablit partout o il

    y a engagement rciproque de ne point lser et de ne point tre ls. (in Janet, 1887). Ici

    apparat dj lide dun engagement de chacun vis--vis de chacun, une rciprocit

    garantissant lataraxie , labsence de trouble ou la tranquillit intrieure. Il affirmait

    encore : La justice est fonde par la convention et la convention a pour objet l'utilit

    rciproque. . Le contrat social se dfinit donc comme un ensemble de conventions cres par

    lHomme et lon voit apparatre les notions dutilit et de rciprocit. Dans ses maximes10,

    Epicure fait preuve dun pragmatisme dune tonnante actualit. Dune part, il introduit lide

    dune ncessaire pratique () conforme ce qui est utile la communaut mutuelle des

    hommes , lutile tant pour lui la mise en pratique du juste , dautre part, il voque lancessaire adaptation de lindividu aux diffrentes circonstances auxquelles il est confront.

    Ainsi lutile est-il toujours le juste en situation. Pour cela, il avance le concept de

    prnotion , sorte dempreinte sensorielle laisse en nous par lexprience, par la rptition

    de situations, et cense guider intuitivement laction. Le contrat dEpicure exige donc des

    individus mmoire et conscience, mme diffuses, de la nature des situations auxquelles ils

    sont confronts, qui doi