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Dans la longue nuit du désert, souffle rude et froid, claquement des étoffes sombres des veilleurs touaregs, mastication appliquée des dromadaires somnolant, la ligne d’horizon se perd dans le bleu cobalt du soir. Et c’est la peur. Comme jamais. Le Sahara. Burlandissimus Rex pressent qu’il va perdre le Sahara. Sa respiration, sa cour d’école aux infinies dunes de sable, son mont des oliviers sans olives. A l’aube du Printemps arabe, en automne 2010, son intuition lui sussure la fin d’un monde. La fin d’un cycle, la fin d’une façon de faire. L’apaisement n’est plus dans l’isolement circonscrit, dans la douce bascule bisannuelle de l’atelier du Mont-Pèlerin (VD) et de Djanet (Algérie). Etre libre ne signifie plus se mettre à l’écart. Burlandissimus Rex entre dans le monde, les bras de chemise re- montés à l’insu de son plein gré. Mais d’abord terminer l’ou- vrage. Il commence par récolter les broderies de poyas qu’il a confiées à ces femmes du désert algérien. Il emporte sa propre image- rie rejouée par une technique de broderie millénaire. Colonialisme inversé ? On s’en fout. La rose des vents tourne. Le travail collectif s’impose à Burlandissimus Rex. Des gravures maousses creu- sées et tirées par des collégiens, des jeunes en rupture, des immigrés. Un immense sous-marin dont prennent soin des dizaines de moussaillons de terre, débarquant de réalités aux antipodes de la soi-disant lisse Helvétie. Atomik Submarine est né. On en parle dans ce journal. S’ajoutent un tank, un zep- pelin, des fusées, un spoutnik, une bombe. Atomik Magik Circus est porté sur les fonds baptismaux en 2014, depuis il vit de sa belle vie sans cesse se métamorphosant. On en parle dans ce journal. Des slogans à hue et à dia, interférences de sens aimantées par le dessin et réciproquement, pure tradition dézinguée par l’ar- tiste qui n’a pas froid au burin. On en parle dans ce journal. Un sommaire, c’est ça que vous voulez…? Laissez-vous faire, embarquez. C’est un voyage. Florence Grivel Historienne de l’art et rédactrice en chef d’Atomik Bazar, le journal ATOMIK BAZAR Edito JOURNAL MANIFESTE AUTOUR DE FRANÇOIS BURLAND, ARTISTE INDISCIPLINÉ édité à l’occasion de l’exposition dans les galeries de Forum Meyrin production Service de la culture de la Ville de Meyrin février-mars 2015 · CHF 5.– JE SUIS UN TOURISTE DU TERROIR CO(S)MIQUE IL N’EST JAMAIS TROP TARD POUR VIVRE UNE ENFANCE HEUREUSE

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Dans la longue nuit dudésert, souffle rude et froid,claquement des étoffessombres des veilleurstouaregs, masticationappliquée des dromadairessomnolant, la ligned’horizon se perd dans le bleu cobalt du soir. Et c’est la peur. Comme jamais.

Le Sahara. Burlandissimus Rexpressent qu’il va perdre le Sahara.Sa respiration, sa cour d’écoleaux infinies dunes de sable, sonmont des oliviers sans olives.

A l’aube du Printemps arabe,en automne 2010, son intuitionlui sussure la fin d’un monde. Lafin d’un cycle, la fin d’une façonde faire. L’apaisement n’est plusdans l’isolement circonscrit, dansla douce bascule bisannuelle del’atelier du Mont-Pèlerin (VD)et de Djanet (Algérie).

Etre libre ne signifie plus semettre à l’écart.

Burlandissimus Rex entre dansle monde, les bras de chemise re -montés à l’insu de son plein gré.

Mais d’abord terminer l’ou-vrage. Il commence par récolterles broderies de poyas qu’il aconfiées à ces femmes du désertalgérien.

Il emporte sa propre image-rie rejouée par une technique debroderie millénaire. Colonialismeinversé ? On s’en fout.

La rose des vents tourne.Le travail collectif s’impose

à Burlandissimus Rex.Des gravures maousses creu-

sées et tirées par des collégiens, desjeunes en rupture, des immigrés.

Un immense sous-marin dontprennent soin des dizaines demoussaillons de terre, débarquantde réalités aux antipodes de lasoi-disant lisse Helvétie. AtomikSubmarine est né. On en parledans ce journal.

S’ajoutent un tank, un zep-pelin, des fusées, un spoutnik,une bombe.

Atomik Magik Circus est portésur les fonds baptismaux en2014, depuis il vit de sa belle viesans cesse se métamorphosant.On en parle dans ce journal.

Des slogans à hue et à dia,interférences de sens aimantéespar le dessin et réciproquement,pure tradition dézinguée par l’ar -tiste qui n’a pas froid au burin.On en parle dans ce journal.

Un sommaire, c’est ça quevous voulez…? Laissez-vous faire,embarquez. C’est un voyage.

Florence GrivelHistorienne de l’art et rédactrice

en chef d’Atomik Bazar, le journal

ATOMIK BAZAR

Edito

JOURNAL MANIFESTE AUTOUR DE FRANÇOIS BURLAND, ARTISTE INDISCIPLINÉ

édité à l’occasion de l’exposition dans les galeries de Forum Meyrin ! production Service de la culture de la Ville de Meyrin

février-mars 2015 · CHF 5.–

JE SUIS UN TOURISTE DU TERROIR CO(S)MIQUE

IL N’EST JAMAIS TROP TARD POUR VIVRE UNE ENFANCE HEUREUSE

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« En art la révolte s’achèveet se perpétue dans la vraiecréation, non dans lacritique ou le commentaire(…). Les deux questionsque pose désormais notretemps à une société dansl’impasse : la création est-elle possible, la révolutionest-elle possible, n’en fontqu’une. » (Albert Camus)

L’univers de François Burlandest à l’image d’un grand bazar.On y trouve toutes sortes d’œu-vres : papiers recyclés, collés,peints ou gravés, broderies quis’affichent comme des dessinscolorés, sculptures ou jouetsbricolés aux échelles brouillées.Le tout s’affranchissant descontraintes esthétiques pourpermettre le jeu libre des formeset la magie du désordre.

Ces authentiques créationsont de quoi surprendre. Ellesmêlent des représentations ver-naculaires à des images plusuniverselles qui s’associent auverbe, selon une propre logique.Ces œuvres possèdent donc unmot d’ordre : le slogan ou mieuxune parole qui attrape.

A l’origine, dans l’ancienneEcosse, le slogan signifiait le cride guerre d’un clan. Aujourd’huiil est devenu une forme privilé-giée de la communication demasse tant publicitaire que poli-tique ou culturelle et fait partieintégrante de notre environne-ment. Chez François Burland,le slogan est tout cela à la fois,un alliage qui réunit le proverbe,la devise, la sentence et le cri dela foule. Il accroche, il rallie, ildicte. Il est certes un acte verbalmais sa lecture reste inséparablede sa forme plastique.

Aussi pour comprendre l’es-prit libertaire de cet artiste et sacapacité à être dans une attitudeactive et non soumise, il faut en -visager la lecture de son œuvresous le signe de la résistance.

«Créer c’est résister » penseGilles Deleuze, qui établit «uneaffinité fondamentale entre l’œu-vre d’art et l’acte de résistance ».Il précise : « résiste à la mort soitsous la forme d’une œuvre d’art,soit sous la forme d’une lutte deshommes ». François Burlandl’artiste est-il un rescapé ? Sonhistoire, ses années en marge dela société, sa rencontre avec leSahara et son itinéraire artistiquele font tout simplement naître.« J’ai commencé à faire de lapeinture pour échapper à la vie.Au bout du compte c’est elle qui

François Burland: Atomik Bazar

CONSOMME POUR DEVENIR UN SURHOMME

m’a ramené à la vie…» Il peutprétendre à l’art.

Et sa pratique commence parun grand amusement. En té -moigne le choix des matériaux :il utilise des sacs kraft de farineanimale ou de traditionnels cabasen papier, il collecte des centainesde boîtes de conserve ou autresrésidus de notre monde consu-mériste. En travaillant de façonconstante avec ces matériauxpauvres, usagés et sans valeur(qui ont d’ailleurs une connotationencore plus forte aujourd’huipuisque ce sont ceux des exclus),il développe déjà un imaginairede la résistance. Comme les nou-veaux réalistes, il conteste la tra-dition du support de l’œuvre etopte pour des matériaux issus deson environnement immédiat.

Le ton de la révolte s’amorcedès 1993-1995 dans la série Les

Baleines du Ténéré qui évoque lalutte fratricide des peuples duSahara. Les paroles ici lancées,contestataires dans la forme, sontempruntées aux codes occidentauxd’une société de consommationet prônent sans différenciationla Toyota, l’appareil Kodak et laKalachnikov. Burland dénonceici l’absurdité du monde, le dé -calage d’un imaginaire rêvé avecles stéréotypes exotiques.

Son engagement auprès despeuples d’Afrique restera infail-lible puisque, vingt ans plus tard,il développera un projet participa-tif avec des femmes algériennes.A leur tour, elles s’empareront desslogans et images de FrançoisBurland qu’elles broderont surde longs tissus blancs.

François Burland ne s’arrêtepas là… Son besoin irrépressiblede slogans et de communication

va avec véhémence envahir sespoyas, représentations tradition-nelles de l’art populaire suisse.Le désordre, le renversement desvaleurs et la mise en scène sarcas-tique de situations quotidienneset spécifiquement helvètes amè-nent les armaillis, ces héros desalpages, à la révolution perma-nente. Les tanks, les zeppelins etles soucoupes volantes «Googlemap» s’invitent au cortège pourrailler le capitalisme sauvage etla débâcle des banques.

La lutte se propage et se radi-calise. Dans sa série Du Painpour les usines, la formule se ré -duit à un seul mot d’ordre pourune seule image. Celle-ci se pré-sente comme un ouvrage brodéou dessiné au stylo bille, se libé-rant à la fois des conventions del’art et du cliché publicitaire. Laméthode de l’artiste est ici des

plus efficaces et crée une situationnouvelle du slogan-titre.

François Burland prolongeencore son geste et sa formula-tion. Dans ses œuvres récentes, iljoue avec des formes familièreset urbaines évoquant l’affiche, lepamphlet placardé comme ledazibao de la Chine populaire1.La citation se fait plus politiqueet ouvre plus immédiatement audialogue. Elle permet ainsi d’ac-tiver des liens avec le public.Dans cette iconographie, où « lefond de l’air est rouge», les pro-tagonistes de la guerre froidesemblent bien décidés à refaireune révolution sur le principedu jeu et de la dérision. Burlandprépare le soulèvement sur fondd’images héroïques en interpel-lant Mao, Lénine et les autres…Il faut rappeler que l’artiste, néen 1958, a grandi au milieu desaventures de Tintin au pays desSoviets, au temps où les héros dela révolution russe et ceux duNouveau Monde se disputaientla conquête du ciel et de la terre.

Du prêt-à-penser à la pensée,les slogans exorcisent non seu-lement la grande histoire maisquestionnent aussi les enjeux denotre société contemporaine.Quand l’artiste harangue «Re -garde bien ta Rolex, il est l’heurede la révolte » ou « Je dépensedonc je suis », François Burlandinvente des manières d’agir et decréer. Sous forme de jeu et d’in-terpellation, il espère redonnerde l’envoûtement au quotidienet restaurer ainsi les conditionsde notre liberté.

Véronique Philippe-GacheCo-commissaire

de l’exposition Atomik Bazar

1 Le dazibao est, en Chine, un grandjournal mural écrit à la main, soit parles propagandistes du pouvoir, soit pardes contestataires.

Atomik Bazar Manifeste indiscipliné de François Burland du 5 février au 31 mars 2015Galeries de Forum Meyrin Place des Cinq-Continents 11217 Meyrinwww.meyrinculture.ch

et aussi :François Burland Propagandadu 28 février au 28 mars 2015Galerie LIGNEtreize Rue Ancienne 291227 Carougewww.galerielignetreize.ch

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ON NE PARLE PAS CUISINE AVEC UN CANNIBALE

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M

Le projet Du Pain pour les usines étonne leregardeur. Pre mièrement,bien qu’actuelles, les affiches de FrançoisBurland font une largeplace à une imageriecommuniste (notammentrusse et chinoise) datantde la guerre froide :femmes et hommes du peuple saisis dansd’impressionnantescontre-plongées (« De mainTF1… ») ou spécimens dupanthéon révolutionnaire :Marx, Lénine, Gagarine et Mao Tsé-toung,notamment. Deuxièmesurprise, sont associés à ces imprimés desslogans volontiersimpertinents, grivois et vernaculaires.

Notre premier constat doit êtrerelativisé et pas uniquement parcequ’il redouble les motifs desjouets de la série Space Cowboy.Tout artiste, peu ou prou, travaillede manière privilégiée sur lematériau de son enfance et sou-vent, depuis Lascaux et Chauvet,à la reproduction de ce qui le dé -passe, de ce qui lui paraît douéd’un pouvoir surnaturel. Or,Burland naît en pleine guerrefroide, trois ans avant la construc-tion du Mur de Berlin, à unmoment où les tensions sont sifortes que la perspective d’untroisième conflit mondial hanteles esprits. Les images qui pro-viennent alors de l’Est et del’Orient frappent l’imagination :parades ré glées au cordeau; ver-tigineuse façade du Kremlinponctuée d’une brochette dedirigeants minéralisés; bannièresgéantes de héros «gulliverisés » ;place Tian’anmen aux dimensionsprodigieuses ; etc. Ainsi, des dé -cennies plus tard, la rémanencede ces impressions chez l’artisterévèle – outre la prégnance desréminiscences enfantines – l’ef-ficacité de cette propagande. Ce -pendant – et là intervient notreseconde surprise –, cette puis-sance est captée et détournée.

Les analystes de la cultures’opposent traditionnellementsur l’évaluation des aptitudescritiques du peuple. Dévelop -pant – dans La Dialectique de laraison de 1947 – leur charge contreles « industries culturelles», com-parant la propagande et la diffu-sion de la culture de masse, lespenseurs allemands Adorno etHorkheimer annoncent la dé -chéance du citoyen (pas encoreémancipé) en consommateur allé-geant. C’est contre ce pessimismeque réagit, dix ans plus tard, LaCulture du pauvre de RichardHoggart. Suivant le littérateurbritannique, les couches populairesne s’en laissent pas conter : c’est lafameuse thèse du «regard oblique»1porté par les classes laborieusessur la télévision et les magazines.

Force est d’observer la présencede cette même ressource dans lesaffiches produites par Burland :l’imaginaire de l’artiste reprendla main et contrarie les rouagesde l’endoctrinement politiqueou commercial ; réagissant à desmessages standards, il localise par-fois expressément son propos, lesituant le plus souvent en Gruyère(par exemple dans «Gruériens,c’est une question de santé, etc.»)– créant de la sorte un effet co -mique2. Effet accru par la naturede ses slogans – qu’ils soient éman-cipateurs («Rebranche ton cer-veau » ; «Armaillis, ne travaillezjamais ») ou de second degré(«Consomme pour devenir unsurhomme» ; «Vous croyez quec’est facile de diriger le monde?»).

Comme souvent chezFrançois Burland, ces œuvresmêlent plasticité et langage. Laforme est stylisée : le trait tantôtprécis, tantôt lâche ; les figuresse détachant sur un fond neutreajoutant à l’impression de per-sonnages déconnectés du réel3,auréolés du prestige de ceux quiviennent d’un Ailleurs fantas-matique. Quant aux mots sou-vent reproduits dans un lettragemanuscrit, l’artiste les manie avecesprit éprouvant des techniquesvariées : allitération («Préavis deguerre. Grève ou crève»); contrac-tion («Faites l’amour, pas lesmagasins ») ; etc.

Le contenu des affiches jouesur des registres distincts. Pour«Demain TF1 sur toutes leschaînes » – affiche montrant unvigoureux prolétaire ponctuéd’une casquette à étoile et le petitlivre rouge au cœur – la pointe gîtdans l’intrication de deux lavagesde cerveaux: l’un ordinairementassocié à un régime autoritaire,l’autre à une société libérale.

L’affiche «Vous croyez quec’est facile de diriger le monde?Burland président » – illustréepar un homme engoncé dans ununiforme austère, la main droitesur un volant, l’index de la gauchesoulignant le slogan – amuse nonseulement par la mégalomaniefeinte de l’auteur, mais plusencore par la conduite du globe

rapportée à celle d’un simplevéhicule à moteur, le tout enappuyant sur l’ingratitude d’unexercice somme toute commun.Le pouvoir est subterfuge !

«Consomme pour devenir unsurhomme» associe, elle, légiti-mement la figure du cosmonauteGagarine à l’idée de surhuma-nité, mais pousse le vice en rap-prochant son éclatant sourire del’imagerie des plus ordinairesréclames consuméristes (l’Unionsoviétique ayant sacrifié la pro-duction de biens quotidiens à laconquête de l’espace, on mesurela profondeur ironique de cedétournement).

«Gruériens, c’est une questionde santé : choisissez l’oisiveté.Faites l’amour, pas les magasins»sort du porte-voix d’une jeunefemme serrant contre ses hanchesla hampe d’un drapeau rouge.La drôlerie vient, là, de l’écartentre l’éloge de l’oisiveté et del’amour, d’un côté, et, de l’autre,la réputation pudibonde et sta-khanoviste de la Russie commu-niste. On pourra disputer ce pointen rappelant l’attachement deMarx à la réduction du tempsde travail et celle de son gendre,Lafargue, au droit à la paresse,mais l’important est ailleurs, dansl’irradiation sulfureuse que gé -nèrent l’orifice du porte-voix etle solide baton empoigné par lajeune femme. La pose un peu

raide du personnage refroidittoutefois l’atmosphère et rap-pelle au spectateur gruérien qu’ilest avant tout question de sonimpérative « santé ».

L’une des plus énigmatiquespropositions de Burland tientprobablement dans son «Plusde police et moins d’artistes ».Non pas tant à cause de l’idéesous-jacente – laquelle résonneavec «L’éducation coûte cher.Essayez l’ignorance» –, mais parl’image qui l’illustre : un person-nage féminin dont le cadragecoupe hardiment tête et pieds,laissant apparaître une robe auxplissements qu’un papillon déli-catement corsette ainsi qu’unescie électrique ! Faut-il com-prendre que l’extension des forcesde l’ordre et la réduction dunombre d’artistes annoncent unmassacre délicat ? Faut-il inter-préter cette délimitation originaledu champ (accusée par la pré-sence de deux cadres) comme l’ef -fet même de cette réorientation :plus guère d’assise (les pieds) nid’intelligence (la tête) ? Ce mys-tère insoluble maintient long-temps le regardeur en tension.

Il nous faut dire un mot, en -fin, du contexte réservé à cesplacards. En les affichant dans desespaces muséaux et des galeries,Burland inverse une tendancecontemporaine: celle de l’appel dela rue – espace jouissant d’unemythologie telle qu’il décorechaque artiste abandonnant leslieux consacrés d’une certificationdémocratique. A contre-courantdonc, notre artiste impose, dansdes contextes privatifs ou phy -siquement réduits, la grandi lo -quence de ses interventions –impulsant non seulement ainsiun nouveau choc des codes établismais nous invitant, en sus, à réagirà cette esthétique du consente-

ment collectif en puisant dans legiron de notre subjectivité.

Cette dernière remarque –tout comme les déclarations deFrançois Burland se défendantd’être porteur d’un quelconquemessage – nous conduisent à ris-quer une hypothèse : le sens decette production ne se niche-t-ilpas dans l’éveil du Sujet enl’Homme? Sujet à la fois portépar un contexte large (la grandeHistoire – ici, la guerre froide)et précisément situé (la Gruyèreet la Suisse contemporaine) ;sujet estampé par le Temps maisqui imprime en retour sa marquepar la déviation – dans un grandrire – des forces qui l’étreignent.Sujet, enfin, qui sait qu’on ne s’af -franchit jamais seul et qui, de cefait, intègre autrui à sa production(par des actions de réinsertion4)et s’exprime dans une symboliquede l’appel. L’obliquité libertaire deFrançois Burland oppose un refletartisanal et un rebond narquoisaux représentations captieusesque fabriquent les puissants. Desa geste naît le Sujet.

Mathieu MenghiniHistorien et praticien de l’action culturelle

1 Ou celle de l’« attention flottante »selon les traductions.

2 La consultation de l’ouvrage SpaceCowboy (collection art&fiction, Niggli,2009) et notamment des photographiesde Murielle Michetti réalisées dans lapaisible campagne fribourgeoise faitnaître en nous un sentiment voisin.

3 Sauf naturellement dans le cas oùFrançois Burland s’intéresse à la science-fiction («La Gruyère, le contraire d’êtreseul au monde») et se doit, alors, d’ap -puyer la distinction entre environnementnaturel et apparition surnaturelle.

4 Des reproductions de l’AtomikMagik Circus (ouvrage édité, en 2014,à l’occasion de la réception du prixFEMS 2013) révèlent le procès émou-vant, partagé et artisanal du tiragedesdites affiches.

Le pouvoir et l’oblique

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L’ÉDUCATION COÛTE CHER ESSAYEZ L’IGNORENCE

Images extraites deDu Pain pour les usines,

éd. Hélice Hélas, 2014

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Territoires occupésFrançois Burland

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MNA : trois lettres poursignifier « mineurs non accompagnés ». Ces requérants ont traverséseuls plusieurs pays, dansdes conditions difficiles,avant d’aboutir en Suisse.Rencontre avec Mamadu et Alaï, petits protégés del’artiste François Burland,qui travaille avec eux.

Casquette estampillée «New York»et bras dans le plâtre – «un nerfa lâché à cause d’un bras de fer àl’école» –, Mamadu doit se conten-ter d’observer ses amis construireune bombe atomique géante enfibre de verre. L’artiste, FrançoisBurland, est là, deux de ses com-parses aussi. Et Alaï, venu avec unami. Tous s’activent à l’Entrepôt,dans le quartier lausannois duFlon, à assembler d’immensescoques translucides, au milieu d’unhall qui résonne. Comme Alaï,Mamadu est un «MNA». Ce qui,dans le jargon de l’asile, signifie«mineur non accompagné». Il estarrivé seul en Suisse, clandestine-ment, après des mois d’errance. Ety a déposé une demande d’asile.

Mamadu est un des petitsprotégés de François Burland.Cet artiste amateur de poyas etfasciné par la culture soviétique,qui construit fusées, spoutnik,bombes et autres soucoupesvolantes, l’a pris sous son aile.«C’est un petit gars formidable,tellement attachant. Il a traversé lamoitié de l’Afrique et de l’Europe,dans des conditions inimagina-bles », nous avait-il dit quelquesjours plus tôt, très volubile.L’homme a à son actif plus dequatre-vingts voyages dans leSahara ; s’il n’y va plus depuisquel ques années, c’est à cause desrisques sécuritaires liés à Al-Qaida.Mais quand il em menait des gensdu côté de l’oasis de Djanet, prin-cipale ville du Sahara algérien, ilavait toujours les drames de lamigration à l’esprit : « Je disaisaux touristes que de l’autre côtédes dunes mouraient peut-être desmigrants qui fuyaient leur pays.On trouve beaucoup de chosesdans le désert : des bouteilles enplastique, des bidons, mais aussides chaussures d’enfants…»

Un jour, en 1998, il assiste autabassage d’un clandestin à unposte de contrôle sur la piste entreIn Amenas et Illizi, alors qu’il pré-sentait les autorisations de circulerdu groupe qu’il accompagnait.« Je n’ai rien fait pour ce pauvretype, et n’en suis pas fier du tout.Cette image continue de me han-ter», commente-t-il.

Longue tresse grise effilée dansle dos, l’artiste a le contact facile.Et s’il aime notamment travailleravec des marginaux, c’est parcequ’il en a lui-même été un. Squat -ter, SDF, sans le sou. « J’ai vécuquelques années d’errance et dedérive. J’avais des amis “braquos”ou toxicos. Plusieurs sont mortsd’overdose », résume celui qui aremporté, en 2013, le Prix de laFondation Edouard et MauriceSandoz, doté de 100000 francs,pour son projet Atomik MagikCircus. C’est à ce projet, qui seraexposé cet automne [2014] à Vevey,que travaillent les deux MNA.

Nous voilà donc avec Ma -madu, pendant qu’Alaï s’activedans une grande sphère. Il estplutôt réservé. Mais il accepte,un peu à l’écart des autres, deraconter son parcours. Avec sesmots à lui. Il a 17 ans et vit àLausanne, dans le foyer pourMNA de l’Etablissement vau-dois pour l’accueil des migrants(EVAM), situé près du cimetièredu Bois-de-Vaux. Il va à l’école etcommencera bientôt un appren tis -sage. Il est arrivé en Suisse il y adeux ans.

Né au Mali, Mamadu estparti très jeune en Gambie avecson père. Il dit ne « jamais avoirvu» sa mère, morte au Mali. Sonpère décède à son tour – « jecroyais qu’il était parti en voyage,mais il n’est jamais venu et j’aicompris». Mamadu vit alors avecune sorte d’«oncle» et sa famille.«Mais je ne me sentais pas bienavec eux. Trop de souffrances.Parfois, je dormais dehors. Je nevoulais pas revenir. J’ai décidéun jour de partir, j’avais 13 ans.Eux s’en fichaient. » On ne l’in-terrompt pas. Il reste pudiquesur les raisons précises de sa fuite.Il a d’abord été au Sénégal, oùil a travaillé pendant quelquesmois avec un Tunisien qui tenaitun magasin, puis est parti aveclui jusqu’en Tunisie. «Le Tuni -sien m’a ensuite arrangé le trajeten bateau jusqu’en Espagne. Jene sais pas s’il a payé, mais moipas : je n’avais pas d’argent. »

Mamadu raconte la suite :sept jours en mer – « la machines’était cassée ; les passagers ontcommencé à avoir des attitudesbi zarres » –, l’Espagne – « je neconnaissais pas le nom du pays,je ne savais pas où j’étais » –, sarencontre avec une personne quil’a emmené jusqu’en France, sonpassage de la frontière en Suissecaché dans la voiture d’un «Blanc»– « il n’a pas voulu me dire qui ilétait vraiment, car il savait qu’iln’avait pas le droit de faire ça ».A Genève, Mamadu comprendqu’il doit aller à Vallorbe, où setrouve l’un des cinq centres d’en -

re gistrement pour requérantsd’asile. «Dans le train, j’ai vu unAfricain. Il allait au même en -droit que moi, cela m’a rassuré»,glisse-t-il.

Logé avec des adultes dansce centre de 240 places, on luidit après deux semaines qu’ildoit aller à Lausanne, dans lefoyer pour MNA. On lui donneun billet de transport, une carte,et voilà Mamadu lâché dans lanature. « J’ai fini par trouver l’en-droit, mais je ne savais pas lireune carte ! » lâche-t-il, un grossourire aux lèvres.

Mamadu a peu d’amis et sesent parfois « triste ». «Des fois, jeme pose trop de questions», dit-ilavec son accent chantant. «Pour -quoi je suis ici, pourquoi je n’ai pasde famille, comment ce serait auMali…». Il est passé rapidementsur ses pérégrinations, a occultécertains épisodes que l’on ima-gine glauques, n’a pas le mêmesouci chronologique que la jour-naliste qui l’interroge. Oui, il sefaisait battre dans la maison deson «oncle», finira-t-il par lâcher.

«C’est ça que j’ai fui. On neme laissait pas souvent à mangernon plus. Il y avait un grand platcommun et on m’appelait quandtout était fini. » Plus confiant, ilajoute: «Après, quand j’étais seul,on m’a encore tapé un milliardde fois. Parce que je dormais desfois dans les voitures des gens.Et que je volais pour manger.Mais c’est normal ! » Mamadurevient sur son départ du domi-cile « familial », l’air grave: «Il fal-lait que je parte avant que je blessequelqu’un avec un couteau. » Ilparle aussi de ses maux de têtequi ne le lâchaient pas pendantson errance. Des crises de malaria.Et dit, en évoquant Dieu, qu’iln’a pas peur de la mort. Elle arri-vera quand elle devra arriver.

Une tasse cassée, des accusa-tions jugées injustes et la bagarrepeut rapidement prendre aufoyer lausannois de l’EVAM pources jeunes déracinés. Mamadudétaille l’incident de la tasse sur-venu le matin même, qui l’a misen colère. Il nous tend son per-mis bleu: il est au bénéfice d’uneadmission provisoire. Mamadureçoit 21 francs d’argent de pochepar semaine et François Burlandlui donne quelques sous quand ilvient travailler avec lui. Le sculp-teur l’a aussi aidé dans ses dé -marches pour trouver une placed’apprentissage. «Ces petits gars-là, aux parcours atypiques, sontdoués, ce sont des petits rois dela survie. Ils apprennent tout trèsvite. Mais ils parlent très peu deleur passé ensemble », glisseFrançois Burland, le temps d’unepause. «C’est étonnant, non? »

Partis seuls d’Afrique en Suisse à 13 ans

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Après une heure et demie d’ef -forts, la bombe atomique en fibrede verre est montée. Alaï, coupe decheveux moderne, faux diamantdans l’oreille et jeans taille basse,peut se reposer. Regard noir depetit caïd, mais yeux doux.CommeMamadu, il a 17 ans. Mais contrai-rement à lui, il a reçu son permis deréfugié et est logé dans une struc-ture à Nyon. Il vient de Guinée-Bissau, est depuis deux ans enSuisse. Son histoire à lui est celled’un jeune élevé par son oncle, quin’a pas connu ses pa rents. Unjour, son oncle le met dans un busdirection Dakar, pour le confierà un maître coranique. Alaï : «Cen’est pas ce que je voulais faire. »Comme beaucoup de petits dis-ciples de maîtres coraniques séné-galais, il subit une éducationstricte, est forcé à mendier, se faitbattre s’il ne ramène pas d’argent.Alaï montre une cicatrice au bras:il a été brûlé à l’eau bouillante,à cause de la violence de son«maître». Il dé cide de fuir. CommeMamadu, il se débrouille, errependant des mois de pays en pays,trouve parfois des personnes quil’aident, l’hébergent, lui donnentà manger. Il parle peu des gensrencontrés. Il finira par partir enEspagne depuis le port maurita-nien de Nouadhibou, très prisépar les migrants prêts à tout pouratteindre « l’eldorado européen».

Combien de temps a duré latraversée ? Alaï ne le sait pas.« J’étais très malade, pas bien dutout. J’ai vu des choses que je nedevais pas voir. » Il reprend: « J’aiperdu conscience. Je ne sais pascombien de temps a duré cet enfer.Un jour, je me suis réveillé. J’aiouvert les yeux et j’ai vu de grandsimmeubles. J’étais en Espagne.Des gens de la Croix-Rouges’étaient occupés de moi.» CommeMamadu, il poursuivra sa route,une fois rétabli. « Jus qu’à ce que

je trouve quelqu’un qui m’aide. »Pour finir par se retrouver àGenève. «Quand j’ai entendu quel -qu’un parler portugais [la languenationale de Guinée-Bissau], jeme suis dirigé vers cette personne.Elle m’a dit où j’étais, qu’il fallaitpartir rapidement à Vallorbe,sinon les policiers allaient m’at-traper, car j’étais en situationillégale. C’est ce que j’ai fait. »

L’Office fédéral des migrations(ODM) ne traite pas les requé-rants mineurs avec plus d’in -dulgence que les adultes. Mais,comme le retour au pays peuts’avérer «problématique », «untrès grand nombre de MNA seretrouvent au bénéfice d’une ad -mission provisoire, alors mêmeque leur demande d’asile a étérejetée», précise l’office. L’ODMattend parfois que le requérantait plus de 18 ans pour rendre sadécision. Les conditions d’ac-cueil des MNA en Suisse sontrégulièrement dénoncées : cesjeunes sont souvent logés avecdes requérants adultes, sans en -cadrement spécifique, avec, par-fois, des tentatives de suicide etdes disparitions à la clé. Lesstructures exclusivement pourMNA, comme celle de Lausanne,restent rares. A part Vaud, ellesse comptent sur les doigts d’unemain. Il y a notamment le foyerdu Rados, en Valais, et un centrespécifique du côté de Zurich.

Dans quelques mois, Mamaduet Alaï auront 18 ans. FrançoisBurland: «Ces gosses ne me doi-vent rien. Je serai toujours là poureux, j’étais là à un moment deleur vie, mais je comprendrais toutà fait qu’ils finissent par s’éloi-gner. » Pour l’instant, cela nesemble pas vraiment faire partiedes plans des deux adolescents.

Valérie de GraffenriedLe Temps, 31 mai 2014

Photographie Nadja Kilchhofer & Romain Mader

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By Jove !, dans la familledes pactes faustienscontractés, je ne peux que me demander si le monde post-soviétique,en contrepartie d’avoirgagné la guerre froide, n’a pas négocié son sensde l’humour et son jeu de la dérision et de la nuance.

– Allez, je t’offre tout cela de boncœur (si si ça me fait plaisir), eten bonus, tu peux encore faire unvœu, demande-moi ce que tu veux!dut affirmer Méphistophélèshilare de savoir que ce vieuxcoup fonctionnait encore, qu’ilsuffisait de toucher l’orgueilpour convaincre les hommes.

– C’est vrai? Tu ferais renverser cesmal-lunés des Spoutniks? Top-là!Et pour le bonus, j’aimerais bienhonorer la mémoire de JosephMcCarthy et poursuivre sa «chasseaux sorcières », tu penses qu’onarriverait à faire que chacun resteà sa place et qu’un coco et qu’uncaca ne se mélangent pas ?

– Top, tu signes là mon lardon…

Je crois que c’est à peu prèscomme cela, – aux historiens depeaufiner les détails – que la scènea dû se produire. Dans l’odeurde soufre et de kérosène poivrée,quelques grues haut-perchées ontdû signer ce pacte de prétendue« lucidité ». Les imbéciles, ils nesavaient pas dans quels miasmesils nous emportaient. La pre-mière décennie suivant la chutedu Mur, ne fut pas si catastro-phique que cela. Le suicide deKurt Cobain en 1994 en est peut-être l’élément le plus marquant.Celui qui galvanisa une mélanco-lie profonde, esthétique, tirailléeentre la nostalgie et l’euphorie

de la victoire. Mais qui hélasperça l’abcès qui devint vacuumet importa dans le monde duvide venu de nulle part à prixsoldé ; c’était convenant en plusd’être convenu. Les décennies quisuivirent ne furent que tentativede tapisser le fond de poisse pourtenter de s’en sortir. On vit émer-ger ainsi la Télé-réalité et lesémissions de cuisine ad nauseam,les philosophies de la postmo-dernité devinrent des marquescommerciales, et surtout on in -venta sans brio le monde repola-risé de toutes pièces – montableet démontable à souhait commedes meubles Ikea, à chaque foisplus fragiles. Et dans ce sillageadvint fatalement le 11 septembrequi redéploya les frontières. Lafrontière, au sens premier, c’estl’armée que l’on a en face de soi.Et comme depuis lors la menacesemble être partout, jamais n’a-t-on été autant cloisonnés dansnos représentations de soi et del’autre.

Depuis?... Depuis, je crois quela machine s’est bien rôdée. Onfait mine de s’extasier, de s’inté-resser, on répète des slogans poli-tiques comme une vieille liturgie,un habitus de classe; il n’y a mêmeplus besoin de ficher les gau-chistes. François Burland et ledirecteur d’une grande banquesuisse implantée dans la place l’ontexpérimenté. Dans le régime du«couleur non nuance» qu’énon-çait Gaston Cherpillod, unebanque autant qu’un artiste nepeut sortir de son cadre pré-conçu. Les registres ne peuventtoujours pas se mélanger ouver-tement. Une banque se doit derester « sobre, bourgeoise et pro-tocolaire ». Un artiste étiqueté«Front de gauche », car il fautbien une catégorie à lui imposer,se doit de rester contestataire etne peut collaborer avec un des

symboles de l’économie de mar-ché globalisée. Dans cette optique,le monde des conceptions sedoit de rester figé. Personne nedoit se réinventer. En tout caspas le discours politique ni éco-nomique. Notre époque n’estautre que le Pompéi de la luttedes classes et de la lutte contrela lutte des classes ad aeternam.Pour se rassurer, il y a le proverbefixiste suivant : « chacun bien à saplace et tout restera à sa place», pro-verbe de vacuité dans un siècle oùles tautologies seront souveraines.

Mais après la conclusion, lesfaits, qu’en a-t-il été ? Que donca été cette « affaire » qui tend àprouver que nos rictus ne se sontpas soulevés depuis bien long-temps? Ce n’est rien de grandi-loquent, simplement en 2012 lagrande banque suisse en questioncommandite une exposition àBurland pour son hall d’entrée.Ce dernier accepte le projet et yvoit l’aubaine d’avoir le finance-ment pour la construction d’untank soviétique en boîtes deconserve grandeur presque na -ture ; il faut garnir son panthéonimaginaire.

Après une livraison épique etpunk dans une bétaillère lancéedepuis le Lot-et-Garonne, «unT-34 qui ressemble plutôt à unchar Renault» campe finalementdans le hall d’entrée de la banque.Une menace ? Une résurgencedu passé? Peut-être… Du moins,de la banque comme d’une four-milière, on ne sait qu’en faire. Ledirecteur, assumant sans impré-cations sa commande à Burland,donne ses instructions. Le tankse trouvera là, et puisque soncanon doit bien pointer quelquepart, il pointera vers la banquerivale de la place. A ce stade, latransgression comique devaits’emparer de la situation et nousfaire rire, ressentir et réfléchir.

Pourtant, les plus tenants d’uneligne anti-communiste des pre-mières heures affirmeront qu’ilsont vu de leurs yeux ces tanks – en Tchécoslovaquie, en Hon -grie, en Roumanie… –, qu’ils enont récité des rosaires pour fairetomber le Mur. Que la menacea été réelle. Ce n’est pas drôle !Les autres accuseront – à justetitre peut-être – l’artiste de s’êtrecorrompu, de s’être maqué avecla finance internationale, ces« chiens » et ces «matons » d’enface qu’il est de bon ton de dés-humaniser, cela aide la causeparaît-il…

La suite des événements don-nera malheureusement raison àces deux ténors. Là où des clientsde la banque y virent de l’art, oun’y virent rien d’intérêt, s’en amu-sèrent en se prenant en photo-graphie devant le tank, d’autress’en offusquèrent. Menacèrentde retirer leur argent. Des jour-nalistes trop heureux de pouvoir« casser de la banque» si facile-ment alors que celle-ci connais-sait des difficultés médiatiquesvoulurent faire de la polémique.Pris de panique, la fourmilières’agita elle-aussi. Il fallut quinze

jours d’exposition pour qu’il soitdécidé que le tank soit bâché etrangé. Son canon était désarmé,le symbole l’était un peu moins ;vingt-cinq ans après la chute duMur, toujours aussi vivace, lesatané symbole devenu archétype.

Dans ce bazar post-sovié-tique, tout le monde a-t-il chutédans le sérieux et le bienfondé?Non, quelque vingt-cinq ans aprèsce «pacte faustien », Burland etd’autres complices zélés font deleurs irréductibilités une insou-mission poétique. Ils ont tenté ettentent encore de décloisonnerles catégories. De décalotter lescertitudes et les imaginaires.D’user jusqu’à la rouille cesinlassables slogans et symbolescomme on use la semelle d’unechaussure jusqu’au trou. Deconcilier les inconciliables et depeupler le monde d’hybrides afinde nous permettre de penser àde nouveaux possibles floraux.

Le monde n’est que plus riched’avoir un diable, aussi longtempsqu’on se tient debout sur sa nuque.(William James)

Alexandre GrandjeanEditeur-anthropologue

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A Tank in a Bank

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LA CULTURE DONNE MAL À LA TÊTE

Le tank est à découvrir

à Meyrin

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Une caravane attend son heure, un sous-marinjaillit de la terre commeune taupe en furie, une flotte d’avions russesbourdonne dans le ciel. Le village de Castelmoron-sur-Lot n’est qu’un grandchantier. François Burlandvient de lancer comme une boutade le projet de fabriquer un sous-marin géant.

Par un enchaînement des plusimprobables, une équipe se formeautour du dément, un ancien dusommet de Davos lassé de cirerles pompes à l’oligarchie feral’armateur, un cousin français,paysan, spécialiste du ramassagedes fruits propose son savoir-faire pour la fabrication. S’ad -joint une armée de petites mainsmotivées par l’aventure autant

cathos, Arabes et Chinois ontposé leurs valises dans le Lot-et-Garonne. En 1956, plus de milleharkis indochinois et eurasiensont débarqué à Sainte-Livrade,après la signature des Accordsde Genève qui mettaient fin à laprésence française en Indochine.

La structure du sous-marin estmontée dans la ferme du cousinGeorges. Burland rend les armesdevant le génie manuel du pay-san et s’occupe des affaires col-latérales. Des photos sont prises,innocemment naturalistes. Lespersonnages posent à peine. Dé -ve loppées, puis collées, assem-blées, repeintes au Néocolor, re -photocopiées, recollées, parfoisdéchirées et jetées, les 40 pein-tures niquent les techniques infor-matiques les plus pointues. A peinesorti d’une série sur la guerre oùil a commencé d’explorer cesassemblages hybrides, Burlandpeaufine. Les coulisses du chan-tier sont un «chemin des Dames»post-photoshop. Georges est là,coiffé de son béret, la villa mau-resque transformée en mairie, leportail d’entrée du ranch lotois,les arrière-plans encombrés dela ferme, et l’escadrille des sous-marins volants. Il y a aussi Aminaet Adouma, les deux ou vrièresagricoles qui vont riveter, clouer,et assembler le squelette.

Burland cite toujours, renaîtde ses cendres, retombe sur ses

pattes, recycle, met en abyme etnourrit de ces processus conflic-tuels son tableau à effets. Spec -tateur attentif en marge de sonchantier naval, il assiste tétaniséaux logiques de désindustrialisa-tion et de croisade immobilière.Sentinelle furtive, ses errancesaccompagnent la nuit qui se dé -chire. Levé avant l’aube depuistrente ans, ses images sortent dulit. Très influencé par les collagesd’Henry Darger, le portier dévotd’un hôpital de Chicago dont ondécouvrira à sa mort les VivianGirls, 15000 pages d’une épopéeoù des petites filles sirènes herma-phrodites traversent une guerrede Sécession sanglante, Burlandreconnaît son tribut. «Darger m’ainfluencé, quasiment squatté pen-dant de longues années, commele peintre Louis Soutter.» Darger,le reclus américain, Soutter, lemusicien suisse aliéné qui finiten trempant ses doigts dans lapeinture, les filiations avec les au -teurs d’Art brut sont évidentes, etaussitôt contraignantes. «Ce n’estpas parce que je suis passé par làque j’y suis toujours» précise-t-il.Comme le chat d’Alice au paysdes merveilles, il est déjà ailleurs.

Burland a six ans et restemédusé devant l’installation deJean Tinguely dans le cadre del’Expo sition nationale, en 1964, àLausanne. «La machine à draînervers le haut», plus tard rebaptisée

Eurêka, est « totalement inutile,non digestible, et n’a d’autre ob -jectif que de faire rire ou pleurerle paysan, le prolo, ou le profane»dira Tinguely. «J’étais dans un étatde stupeur» se souvient Burland,« il arrivait en plein idéal moder-niste, dans un pays au sommetde son savoir-faire en matière demachines-outils, de montres, oude moteurs de bateaux, et il faisaittourner des roues de remonte-pentes dans le vide ».

Après Tinguely qui fabriquaitdes machines qui ne servaient àrien mais fonctionnaient, lui fa -brique des machines qui ne fonc-tionnent même plus. « Il n’y aaucun intérêt à fabriquer des trucsqui marchent. Tout le monde saitfaire ça en Suisse. C’est beaucoupplus dur pour nous de fabriquerquelque chose qui ne marche pas.»Après des siècles de progrès, lestanks, avions, fusées, bolides ter-restres et sous-marins atomiquesde François Burland ne se pro-pulsent pas à la même énergiefossile que leurs vieux frères. Re -haussés de sigles soviético-kitsch,leur message symbolique heurteplus que jamais la bien-pensancehelvète.

En visite à Bordeaux, «dernièreescale avant l’Afrique, l’Amériqueet le monde moderne», FrançoisBurland cherche un lieu abritéqui pourra accueillir la construc-tion du sous-marin, dont la struc-ture conçue par Georges Favreest facilement démontable. Gérépar une association d’insertiondans le cadre d’un partenariatavec la mairie de Bordeaux, leGarage Moderne répare les vélosmis en libre accès en ville. Lesmembres de l’association peuventaussi apprendre les rudiments dela mécanique, et entretenir leurspropres véhicules. Le lieu est im -mense, héritier d’un complexeindustriel du début du siècle.Au plafond d’énormes palansmontés sur des rails. Au sol delongues glissières traversent toutle bâtiment. Burland installe sesoutils, les plaques de métal qui

viendront enrober le squeletteen bois, et monte sa structure.Coutumier de la débrouillardise,il casse parfois un liteau sur songenou afin de l’amener à labonne dimension, dans la stupé-faction des ouvriers qualifiés etl’offense aux ajusteurs et fraiseursmorts sur l’autel du « travail bienfait ». L’Atomik Submarine ne dé -pareillera pas. Sur les pancartesd’une manifestation de 1934 on lit « contre la féodalité finan-cière » et « contre le chômage etla misère ». Burland sait, quandil assemble son sous-marin, quedes générations de chaudronnierset de métallos le surveillent.

Entouré de rues aux nomshérités de l’époque coloniale,l’atelier retrouve cent ans aprèssa vocation première de chantiernaval. La coque du sous-marinsera constituée d’un assemblagede rebuts et de chutes de fer blancprovenant d’une usine de boîtesde conserve du Lot-et-Garonne.Un Suisse construit un sous-marin près des bassins à flots.

Pendant les trois mois deconstruction du sous-marin, et laconstitution de son livre de bord,François Burland oscille entrepoétique géographique et remon-tée du temps, comme il l’a tou-jours fait, des Baleines du Ténéré auNouveau Palais du facteur Cheval.

Au printemps 2011, en pleineconstruction du sous-marin, eutlieu l’accident de Fukushima etBurland ainsi que tous ceux duquartier sortirent pour voir passer«le nuage». Seules des oies migra-trices remontant vers le nordcaquetaient dans le ciel. L’adjectif« atomique » du sous-marin eutpendant quelques heures moinsfière allure. «Les images sombres,les travellings très noirs ont étéréalisés après l’accident» indiquel’artiste, qui préparait au mêmemoment une autre expositionincroyablement prémonitoire :After the apocalypse.

Philippe LespinasseRéalisateur de documentaires

Le livre de bord de François Burland

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PRÉAVIS DE GUERREGRÊVE OU CRÈVE

que par la curiosité pateline vis-à-vis de la catastrophe inéluctable.Burland ne rassure personne, quiconfie à qui veut bien l’entendrequ’il est dans le couloir de la mort.Il est coutumier de ces déclara-tions. A peine évoqué, son projeta déjà pris corps, se nourrissantde sa propre énergie, renvoyantson concepteur à son propredéni, comme mû d’une frénésiede canard au cou tranché.

Posant ses petits sous-marinsrouges dans le ciel de Castel -moron, l’artiste imagine un débutde journal dessiné qui viendraaccompagner mezza voce l’épopéeferraillante de son U boat borde-lais. L’affaire est logique, Burlanda passé son enfance sur les rivesdu Lot, dans ce village autour du -quel 600 familles suisses se sontinstallées après la guerre de 14.Protestants, intégristes, parpail -lots, racistes anti-espagnols, cocos,

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Une aventure interstellaireà découvrir à La Chaux-de-Fonds sous forme d’installationsmonumentales, de photographies et de vidéos.

Au début des années 50, voyagerau-delà de la Terre semble tenirplus du fantasme que de la réa-lité. Pourtant, dès 1957, les gou-vernements de l’URSS et desEtats-Unis, en pleine guerrefroide, comprennent la conquêtespatiale comme un enjeu majeurpour démontrer leur supérioritéréciproque. Les années 60 marquent une forte compétitiontechnologique entre les deux gou-vernements. Débutant en 1957avec Spoutnik-1, le premier sa -tellite artificiel de l’Histoire, ellea rapidement pour enjeu les volshabités et l’envoi d’un hommesur la Lune. Si l’URSS renforceson prestige le 12 avril 1961 enenvoyant Youri Gagarine effec-tuer un vol autour de la Terre,c’est Neil Armstrong qui, le 20 juillet 1969, posera sa cap-sule dans « la Mer de la Tran quil -lité», faisant de lui le premierhomme à marcher sur la Lune.

En Suisse, le petit FrançoisBurland n’est pour sa part pastranquille du tout ; son imagina-tion circule à la vitesse Mach 18,et les images de la guerre froidelui parviennent comme une me -nace constante, cristallisant samémoire vive sur les images dela conquête de l’espace et desmers. Voulant avertir les gouver-nements de sa riposte soudaine,et fort d’une neutralité toutehelvétique, François Burland créedes fusées, des zeppelins, dessoucoupes volantes condamnésà ne jamais voler, puisqu’ils nesont que ses jouets construits àpartir de matériaux recyclés.

Mais l’artiste, une fois devenuadulte, n’a pas dit son derniermot : convaincu de l’ironie decette course spatiale, il se dédietrès vite à la réalisation du projetbien nommé Atomik Magik Circusqui ne comporte pas moins detrois fusées, une soucoupe vo -lante, un spoutnik, un zeppelinsilencieux ainsi qu’un sous-marinlong de 18 mètres.

Pris d’assaut par tant de tra-vail, le général Burland, commeen temps de guerre, appelle auxrenforts pour consacrer sonprojet pharaonique : faisant unesélection naturelle, c’est sanshasard qu’il associe les guerriers

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Atomik Magik Circus François Burland, Nadja Kilchhofer, Romain Mader, avec la complicité de Max Fontannaz, scénographedu 20 février au 30 avril 2015QUARTIER GÉNÉRALLes anciens abattoirsRue du Commerce 1222300 La Chaux-de-Fondswww.q-g.ch

de l’espace Romain Mader etNadja Kilchhofer qui veulent,quant à eux, offrir à la Russiel’exploit qu’elle s’est fait volerpar Neil Armstrong lors de sonalunissage en 1969. Inspirés par lapropagande américaine réaliséeaux USA durant la DeuxièmeGuerre mondiale, c’est sans appelqu’ils répondent positivement à ce nouvel allié. Soutenus parla société Baysersky, ils se ren-dent avec une vingtaine de sur-hommes et de surfemmes sur laplanète Aliona 3 pour y procréerune nouvelle civilisation. Maisils se trouvent être condamnés àséjourner sur cette planète auxpropriétés homéopathiques quiverra très vite le désintérêt de laso ciété. Dans ce contexte hostileet frustré par l’ab sence d’extra-terrestres, Dimitri devient fou !Il crée des vestiges d’une civili-sation passée et se dé guise enhomme vert comme pour serassurer et créer sa propre ren-contre du troisième type. Endirect d’Aliona 3, Sergeï raconte,pour sa part, son épopée et safacilité à séduire l’entièreté ducharter féminin qui erre désor-mais sur cette planète. « Je suisravi d’y habiter, c’est le paradisici ! » ra conte, décomplexé, l’éta-lon russe.

Corinna WeissDirectrice artistique de

QUARTIER GÉNÉRAL

Atomik Magik Circus

DÉBRANCHE LA TÉLÉREBRANCHE TON CERVEAU

Photographies Nadja Kilchhofer & Romain Mader

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Un aventurier de l’artL’artiste franco-suisse est né en 1958 à Lausanne.D’envergure internationale,il est connu pour sesnombreuses séries parmilesquelles ses paysages de début du monde, ses guerriers à cheval sur l’échine de l’histoire,ses poyas détournées avecarmaillis pas catholiques et enjeux cathodiques, etses jouets de haute voltigebricolés, bariolés deslogans post-guerre froide.Parallèlement à cettefoisonnante activité, le créateur développe des projets pharaoniques,associatifs et fédérateurs. Son travail a été denombreuses fois primé. Il a été le lauréat 2013 du Prix FEMS (FondationEdouard et MauriceSandoz) pour le projetAtomik Magik Circus ; cette même année il reçoit le Prix de laFondation Jaqueline Oyex.Bon nombre de catalogues, livres et filmspermettent d’approfondir la connaissance de son œuvre.

Bibliographie2014Atomik Magik Circus,catalogue, Prix FEMS 2013Du Pain pour les usines, éd. Hélice Hélas2011Poya, edition clandestin2009Space Cowboy, les jouets, collection art&fiction, éd. Niggli2003Erika Billeter, FrançoisBurland. Au royaume du mytheet de la magie, Benteli Verlag 1995Les baleines du Ténéré, éd. Rivolta

Filmographie2012Atomik Submarine, film de Philippe Lespinasse et Andres Alvarez, 35’2011Les poyas burlesques de François Burland, film de Philippe Lespinasse et Fabrice Ferrari, 35’Les 5 saisons de François Burland, film de Philippe Lespinasse et Andres Alvarez, 52’

R

1. As-tu une définition de l’art ?Je suis incapable de faire ça. Jene suis pas Thomas Hirschhorn.Je n’ai pas de baratin. Je n’en aiaucune. Surtout aujourd’hui. Ahoui, peut-être celle-ci : l’art, c’estune posture dans la vie.

2. Ton premier souvenir de slogan ? «Marche ou crève». Le slogan c’estcomme la boxe, ça marche commeune évidence. C’est un mondeen soi, une image. Ça peut êtreaussi un mensonge, de l’arnaquede saltimbanque. En fait, mêmesi tu ne comprends pas, tu com-prends.

3. Tu te sens un cannibalede l’art ?Oui, je me sers de tout, pour metirer de là. Là, c’est moi. Avec letemps, je n’ai même plus envie deme trouver. Je suis perdu et ça n’estpas grave. J’en reviens à CormacMcCarthy et son idée de fron-tière. Pour lui, le monde n’a pasde noms, c’est parce qu’on estperdu qu’on nomme les lieux,parce qu’on se sent perdu. Can -nibale oui, mais dans les deuxsens, je me laisse aussi dévorer !

4. Tu aimes la loi desséries, pourquoi ?C’est le confort d’une obsession.A chaque fois que je crée, ça n’estjamais comme je veux, la sériesert à des réajustements sans fin,je peux rectifier tout en créant,en produisant. Avec la série, jesuis tranquille pour un moment,

c’est une vraie respiration avantle prochain saut à l’élastique.

5. Atomik, tu mets ce motpartout, pourquoi ?On est dans l’ère atomique, et puisj’adore le film Docteur Folamour.Quand j’étais ado, j’étais plutôtbaba et les punks n’arrêtaient pasde nous narguer avec des sloganscomme « le nucléaire, c’est super».C’est quand même fou ce motAtomik, j’adore. Comme les skisAtomik.

6. L’enfance, un réservoird’inspiration sans fin ?On n’en sort pas de l’enfance, sansêtre nostalgique, ça n’empêchepas d’être un adulte. Je croisqu’on fait avec toute sa vie. Jesuis pour l’émerveillement.

7. Tu es un militantdéserteur ?Surtout un déserteur. Je ne mesuis jamais engagé dans unecause, je suis terrifié par les cha-pelles. Quand je vote à gauchej’ai honte, à droite je ne peux pas,les anarchies me gonflent.

8. L’art, une arme ? Oui, mais on ne peut pas tuerpour l’art.

9. A quoi rêves-tu encore ?Je rêve d’une cabane au hautd’une montagne, d’une source,d’un peu de forêt et de ma belle.Je n’ai plus de rêve, j’ai une vietellement géniale. Je ne me sou-haite rien d’autre que ce que jevis. En fait, pendant longtemps,

la peinture m’a aidé à me cacher,c’était un paravent pour me pro-téger du monde. Je me trouvaisen circuit fermé; aujourd’hui peum’importe d’avoir une œuvre àmoi, de laisser une trace, je pré-fère vivre des trucs; l’art du coupest un beau prétexte à ces aven-tures humaines.

10. Graver, dessiner, assembler. Et peindre alors ?J’ai complètement oublié, ça nem’intéresse plus. Je préfère au -jourd’hui travailler avec ce quiexiste. Je suis entré dans la planèteinternet, je m’y sens bien, parceque je suis perdu, ça m’emporte.J’ai l’impression de vivre uneépoque comme la Renaissance,même si j’appartiens au VieuxMonde, je goûte à ce qui se passe,et à comment les choses se fontavec les moyens et les liensd’aujourd’hui.

11. La tendance de l’air du temps, c’est le mariageentre le social et l’art, une solution pour toi ?C’est ma solution, c’est ce quime nourrit. Mais le mot socialne me correspond pas, s’il m’in-téressait je serais entré dans cetteprofession; là encore je me méfiedes cases. Ce qui m’aimante c’estde faire ensemble, c’est beau.Que se passe-t-il quand les gensn’ont rien à faire ensemble etqu’ils doivent tout de même l’être?C’est comme une caravane dansle désert, c’est miraculeux ou pas.

Entretien avec François Burland par Florence Grivel

11 questions à François Burland

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Meyrin, 5 février–31 mars 2015www.meyrinculture.ch

ATOMIK BAZARJournal manifeste autour de François Burland, artiste indisciplinéédité à l’occasion de l’exposition dans les galeries de Forum Meyrin, février-mars 2015Remerciements à la Collection de l’art brut à Lausanne pour le prêt d’œuvresCommissaires de l’exposition : Véronique Philippe-Gache, Thierry Ruffieux

Responsable de publication : Thierry RuffieuxRédactrice en chef : Florence GrivelOnt collaboré à ce journal : François Burland, Valérie de Graffenried,Alexandre Grandjean, Philippe Lespinasse, Mathieu Menghini, Véronique Philippe-Gache, Corinna WeissPhotographies des œuvres de François Burland :François Burland, Murielle Michetti, Thierry RuffieuxGraphisme : Pierre Lipschutz, promenade.chImpression : Moléson Impressions, MeyrinTirage : 600 exemplaires, dont 100 numérotés et signés par l’artiste

Exemplaire no

LE JEUNE MILITANTEST-IL SEXUELLEMENT TRANSMISSIBLE?