Journal du congrès - numero 1

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OPTIONS SPÉCIAL 16 e CONGRÈS • N° 1 • 30 MARS 2011 1 QUOTIDIEN DU 16 e CONGRÈS DE L’UGICT-CGT NUMéRO 1 30 MARS 2011 autre mode de gouvernance et de manage- ment où la démocratie et la citoyenneté ne soient pas laissées à la porte. C’est un autre tsunami ou séisme, politique celui-là, mais également de niveau 9 sur l’échelle de Richter de la démocratie, qui a secoué et secoue les pays arabes. Au Proche-Orient et au Maghreb, la jeunesse a réveillé des peuples entiers, leur faisant retrou- ver le chemin de la lutte et de la dignité, et la jeunesse diplômée s’est trouvée en première ligne. Ils portent les exigences de liberté et de démocratie, de reconnaissance et de justice sociale. Même s’ils s’opposent à des dictatures fortement armées, le caractère massif et déter- miné des mouvements en cours ouvre un che- min nouveau vers l’exigence d’un autre système d’organisation de la société. La montée de pays émergents dans la vie économique mondiale, la progression gé- nérale de l’instruction et des aspirations démocratiques, la diffusion et le partage des connaissances sur la planète créent une donne nouvelle. A l’heure où tout s’accélère, le pas- sage de la mondialisation financière à la mon- dialisation des luttes et de la démocratie devient le combat d’où naîtra l’avenir. Tandis que les contradictions de la logique de financiarisation capitaliste sont chaque jour plus fortes, monte un refus universel de payer la crise. Les Etats ont été mis à contribution pour sauver le système financier mondial, et notam- ment les banques privées, pendant que le Fmi ne trouve rien de mieux que de sanctionner les peuples en sacrifiant, comme en Grèce, les services publics que l’on était bien content de trouver comme amortisseur social quelques jours plus tôt. De son côté, l’Union européenne, avec son pacte pour l’euro, pratique la fuite en avant dans la compétitivité financière. Ses injonc- tions conduisent à la destruction des systèmes de protection sociale, à la baisse du prix du travail, à la réduction drastique des investisse- ments publics, à un démantèlement des ser- vices publics. Et les agences de notation internationales jouent les vautours. Partout en Europe, la montée des inégalités et la dégradation économique et sociale sont à la source de luttes. UN MONDE EN MUTATIONS L’année 2011 est celle de tous les dangers, mais aussi de tous les espoirs. Personne ne peut être indifférent à la catastrophe que connaît le Japon (séisme de niveau 9, tsunami, accident nucléaire), avec ses milliers de morts, pas plus qu’à l’irruption révolutionnaire des jeunes et des peuples au Proche-Orient et au Maghreb. Le monde bouge de plus en plus vite et l’His- toire s’accélère. Ce qui se passe au Japon interpelle l’humanité entière. D’une part, sur l’aspect des catastrophes naturelles et des nécessités de prévention et de solidarité ; d’autre part, sur la capacité humaine à maîtriser la nature. Les deux problèmes planétaires majeurs sont le risque de pénurie en eau et en énergie. Ces risques accentuent les conflits et sont sources de guerres. Pour y faire face, la solidarité entre tous les peuples est donc vitale. Quand on sait que le nucléaire couvre 75 % des besoins en France et 20 % à l’échelle de la planète, cantonner le problème à un débat franco-français sur le nucléaire apparaît déri- soire comme toute vision qui résumerait la ques- tion aux seuls pays développés. Aux plans scientifique, économique, écolo- gique et politique, le nucléaire fait aujourd’hui partie de la diversité énergétique. La question essentielle est d’agir pour parve- nir à la maîtrise sociale sur ce sujet. Dans cette industrie, la priorité doit être donnée à la sécurité sur le profit, au personnel formé avec des quali- fications reconnues sur la fuite en avant dans la sous-traitance, aux transferts des connais- sances, y compris entre pays, ainsi qu’aux retours sur expérience. La logique financière à bas coût doit être ban- nie. La maîtrise publique et démocratique doit être la règle, la notion de compétitivité qui conduit au « pas cher, pas sûr » disqualifiée. Des moyens doivent être injectés en permanence pour multi- plier les efforts de recherche et d’innovation. La transparence dans l’information doit régner. Il y va de la survie de l’humanité de franchir une étape décisive dans la démocratie. C’est d’un nouveau rapport science/société que nous avons besoin pour dépasser le scientisme comme l’obscurantisme ou l’électoralisme et pousser à un autre type d’entreprise avec un RAPPORT INTRODUCTIF La démocratie au cœur des défis MARIE-JOSÉ KOTLICKI SECRÉTAIRE GÉNÉRALE SORTANTE DE L’UGICT-CGT CLAUDE CANDILLE / OPTIONS

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Premier numéro du journal du congrès de l'UGICT CGT - Vichy - 29/03/2011

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options SPÉCIAL 16 e CONGRÈS • n° 1 • 30 MARS 2011 1

QUOTIDIEN DU 16e CONGRÈS DE L’UGICT-CGT NUméRO 1 30 mARS 2011

autre mode de gouvernance et de manage-ment où la démocratie et la citoyenneté ne soient pas laissées à la porte.

C’est un autre tsunami ou séisme, politique celui-là, mais également de niveau 9 sur l’échelle de Richter de la démocratie, qui a secoué et secoue les pays arabes.

Au Proche-Orient et au Maghreb, la jeunesse a réveillé des peuples entiers, leur faisant retrou-ver le chemin de la lutte et de la dignité, et la jeunesse diplômée s’est trouvée en première ligne. Ils portent les exigences de liberté et de démocratie, de reconnaissance et de justice sociale. Même s’ils s’opposent à des dictatures fortement armées, le caractère massif et déter-miné des mouvements en cours ouvre un che-min nouveau vers l’exigence d’un autre système d’organisation de la société.

La montée de pays émergents dans la vie économique mondiale, la progression gé-nérale de l’instruction et des aspirations démocratiques, la diffusion et le partage des connaissances sur la planète créent une donne nouvelle. A l’heure où tout s’accélère, le pas-sage de la mondialisation financière à la mon-dialisation des luttes et de la démocratie devient le combat d’où naîtra l’avenir.

Tandis que les contradictions de la logique de financiarisation capitaliste sont chaque jour plus fortes, monte un refus universel de payer la crise.

Les Etats ont été mis à contribution pour sauver le système financier mondial, et notam-ment les banques privées, pendant que le Fmi ne trouve rien de mieux que de sanctionner les peuples en sacrifiant, comme en Grèce, les services publics que l’on était bien content de trouver comme amortisseur social quelques jours plus tôt.

De son côté, l’Union européenne, avec son pacte pour l’euro, pratique la fuite en avant dans la compétitivité financière. Ses injonc-tions conduisent à la destruction des systèmes de protection sociale, à la baisse du prix du travail, à la réduction drastique des investisse-ments publics, à un démantèlement des ser-vices publics. Et les agences de notation internationales jouent les vautours.

Partout en Europe, la montée des inégalités et la dégradation économique et sociale sont à la source de luttes.

UN MONDE EN MUTATIONSL’année 2011 est celle de tous les dangers,

mais aussi de tous les espoirs. Personne ne peut être indifférent à la catastrophe que connaît le Japon (séisme de niveau 9, tsunami, accident nucléaire), avec ses milliers de morts, pas plus qu’à l’irruption révolutionnaire des jeunes et des peuples au Proche-Orient et au Maghreb.

Le monde bouge de plus en plus vite et l’His-toire s’accélère.

Ce qui se passe au Japon interpelle l’humanité entière. D’une part, sur l’aspect des catastrophes naturelles et des nécessités de prévention et de solidarité ; d’autre part, sur la capacité humaine à maîtriser la nature.

Les deux problèmes planétaires majeurs sont le risque de pénurie en eau et en énergie. Ces risques accentuent les conflits et sont sources de guerres. Pour y faire face, la solidarité entre tous les peuples est donc vitale.

Quand on sait que le nucléaire couvre 75 % des besoins en France et 20 % à l’échelle de la planète, cantonner le problème à un débat franco-français sur le nucléaire apparaît déri-soire comme toute vision qui résumerait la ques-tion aux seuls pays développés.

Aux plans scientifique, économique, écolo-gique et politique, le nucléaire fait aujourd’hui partie de la diversité énergétique.

La question essentielle est d’agir pour parve-nir à la maîtrise sociale sur ce sujet. Dans cette industrie, la priorité doit être donnée à la sécurité sur le profit, au personnel formé avec des quali-fications reconnues sur la fuite en avant dans la sous-traitance, aux transferts des connais-sances, y compris entre pays, ainsi qu’aux retours sur expérience.

La logique financière à bas coût doit être ban-nie. La maîtrise publique et démocratique doit être la règle, la notion de compétitivité qui conduit au « pas cher, pas sûr » disqualifiée. Des moyens doivent être injectés en permanence pour multi-plier les efforts de recherche et d’innovation. La transparence dans l’information doit régner.

Il y va de la survie de l’humanité de franchir une étape décisive dans la démocratie. C’est d’un nouveau rapport science/société que nous avons besoin pour dépasser le scientisme comme l’obscurantisme ou l’électoralisme et pousser à un autre type d’entreprise avec un

RAPPORT INTRODUCTIF

La démocratie au cœur des défis

MARIE-JOSÉ KOTLICKISECRÉTAIRE GÉNÉRALE

SORTANTE DE L’UGICT-CGT

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banalisent l’existence s’en font complices, donc coupables aux yeux de la République.

Une réhabilitation de la politique ne s’opérera pas sans que les questions du travail et du rap-port capital/travail soient au cœur du débat. N’est-ce pas le message prépondérant des urnes lors des élections cantonales ?

Les Ict et le mouvement des retraites

Au cœur de cette problématique de création et de répartition des richesses, le grand mouve-ment social sur les retraites fut un catalyseur des mécontentements, sur un fond de rejet global des réformes proposées.

Dans cette lutte que l’on peut qualifier d’his-torique, la participation des ingénieurs, cadres et techniciens a été remarquée.

Distants vis-à-vis des logiques de financiari-sation, ils rejettent les impasses d’une retraite par capitalisation ; aspirant à un équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ils revendiquent aussi une vie après le travail.

Etre en phase avec l’opinion publique d’un bout à l’autre de cette bataille, rassembler jusqu’à trois millions de personnes à travers différentes formes de mobilisation n’était pas gagné d’avance. La Cgt, grâce à sa démarche unitaire et ses contre-propositions, en est sortie grandie. Néanmoins, cette mobilisation n’a pas suffi. Il nous faut donc être en capacité de faire monter en puissance le rapport de forces pour pouvoir créer un mouvement durable plus important.

Nous nous sommes heurtés aux limites de notre présence syndicale et du taux de syndicali-sation, parfois même à nos pratiques syndicales.

Ainsi, les ingénieurs, cadres et techniciens sont parmi les salariés les plus syndiqués et orga-nisés collectivement dans les associations, syn-dicats professionnels ou encore syndicats autonomes, mais ils sont les moins nombreux dans le salariat à adhérer à la Cgt.

Pourquoi l’engagement significatif des Ict ne se traduit-il pas aussi directement sur le lieu de travail ? Pourquoi n’y retrouve-t-on pas non plus les jeunes ?

Si la sympathie des jeunes reste de loin la plus forte à l’égard de la Cgt, il n’y a pas de traduction significative en forces organisées, notamment parmi les jeunes diplômés, alors qu’ils sont 44 % à accorder leur confiance à la Cgt. Or, d’ores et déjà, l’inversion du rapport numérique entre Ict issus du rang et diplômés ainsi que la pyramide des âges dans les entreprises font de la syndicali-sation des jeunes diplômés un axe stratégique de notre activité. Comment prendre en compte les nouveaux rapports entre individu et collectif posés par la jeunesse, intégrer leur rapport natu-rel aux technologies de la communication et en particulier aux réseaux sociaux ?

Comment concrétiser cet espace de démo-cratie où ils puissent libérer leur esprit critique, leur rôle contributif, qui leur permette d’être acteurs et décideurs dans le syndicalisme – ce que leur refusent aujourd’hui les directions d’en-treprise – et, dans le même temps, que signifie alors assurer la cohérence de l’activité Cgt ? Ces questions ne renvoient-t-elles pas à notre capa-cité de mutualiser et de mobiliser l’expression des diversités ?

Comment, tout en répondant aux revendica-tions liées à la place et au rôle des Ict dans le tra-vail, contribuer à rassembler le salariat sans tomber dans les impasses, soit du tout globalisant, en postulant le « tous pareils », soit de la délégation

La France dans la criseEn France, la crise a fait émerger de nom-

breuses critiques contre la financiarisation, sa logique court-termiste, et a validé un de nos atouts majeurs : l’existence de services publics forts.

Elle a aussi permis de mettre en débat le rôle de l’Etat, sa capacité d’intervention dans la sphère économique et fait apparaître de nou-velles réflexions autour de la notion de « poli-tique industrielle ».

L’industrie sacrifiée aux dividendes actionnariaux

Avec la perte d’un quart de sa capacité de production industrielle, la France a été plus for-tement touchée que certains pays européens, notamment l’Allemagne.

Sa spécialisation dans des niches de haute productivité, sacrifiant les sites de production au détriment de toute cohérence économique, a profondément disloqué le socle de production.

Sortir de la crise implique de redonner à la France ses capacités de production de richesses, donc de refonder une politique industrielle. La question n’est pas plus de soutenir un intégrisme productiviste que de céder à un intégrisme éco-logique de la décroissance globale, mais de s’in-terroger sur les finalités et les moyens d’un développement industriel.

Il s’agit de reconstruire une industrie en inté-grant les impératifs de la reconnaissance de la qualification, de la démocratie sociale et de la préservation de l’environnement.

Cette ambition suppose de dépasser le principe « pollueur payeur » et celui des me-sures incitatives et d’intégrer l’impact et les besoins de l’environnement en amont de tout choix technologique d’innovation et indus-triel. Elle nécessite de resituer l’industrie dans une cohérence territoriale, car l’environne-ment c’est aussi le territoire.

Il convient enfin de rompre avec les credo mortifères de concurrence et de coût à court terme en intégrant la question de la finalité industrielle : la qualité des produits et des ser-vices, la réponse aux besoins des populations et des clients. Au lieu de les livrer au marché, il convient de considérer l’enseignement supé-rieur et la recherche comme des atouts à pro-mouvoir dans de nouvelles interactions avec l’industrie et la société.

Assurer le financement des entreprises indus-trielles par un pôle financier public, augmenter les efforts pour la recherche fondamentale et l’innovation sont les clefs pour un développe-ment industriel et des services nouveaux.

Les orientations qui ont prévalu jusqu’alors, essentiellement centrées sur la régulation des marchés financiers, ignorent toute alternative à la financiarisation.

La politique en discréditToute politique qui ne porte que sur la régu-

lation économique ou sur la seule gestion des conséquences de la crise ne peut que fermer le champ du social. La voie est alors ouverte au partage de la pénurie dans le salariat et à la chasse aux boucs émissaires.

N’est-ce pas là le fond de commerce de l’af-front national ? Ceux qui comptent prospérer sur la misère et les populations les plus fragilisées, avec pour seule solution la stigmatisation sécuri-taire et les restrictions du droit de grève, n’appar-tiennent pas à un parti comme un autre mais sont des charognards de la politique. Ceux qui en

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à une commission Ict, au risque d’une vision accessoire du spécifique dans la Cgt ? Ne faut-il pas donner une tout autre portée à la prise en compte par l’ensemble de la Cgt de la spécificité des Ict et développer la capacité politique de notre organisation, pour lier degré d’autonomie des syndiqués Ict, cohérence de l’activité Cgt et effica-cité du rapport de forces ?

Ces questions sous-tendent la complexité de la situation au même titre que le regard ambiva-lent des Ict sur notre syndicalisme. L’image ouvrière historique de notre organisation, le déséquilibre global entre nombre de syndiqués ouvriers-employés et Ict peuvent être un frein au développement de la Cgt parmi ces catégories : craignant la loi du nombre, estimant l’existence de la Cgt importante dans le paysage, mais glo-balement pas faite pour eux.

A contrario, la démarche de contestation et d’indépendance de la Cgt, de propositions alter-natives et de respect de la consultation des sala-riés, ses valeurs de solidarité et de justice sociale les interpellent. Globalement, les Ict ont un rap-port spécifique au syndicalisme (quand on sait que les coordinations naissent parmi les luttes de métiers des professions techniciennes et que les cadres sont embauchés par les entreprises pour régler les problèmes, pas pour en poser !).

Aujourd’hui, dans plus de 95 % des cas, l’acti-vité revendicative spécifique organisée n’existe pas dans l’entreprise ou sur le lieu de travail. L’activité spécifique est irriguée soit par le canal de l’union fédérale, soit par des dispositifs spéci-fiques interprofessionnels.

Or, dans certaines professions où le rapport numérique s’inverse entre ouvriers-employés et ingénieurs, cadres, techniciens, ces derniers devenant majoritaires, l’existence d’une activité spécifique organisée au sein même de la fédéra-tion est réinterrogée.

L’évolution sociologique dans une entreprise ou dans tout une profession permet-elle auto-matiquement à la Cgt de traiter la spécificité du salariat tel qu’il est ? Si la réponse est positive, alors pourquoi craindre pour notre score dans les sièges sociaux à dominante forte d’ingénieurs, cadres et techniciens ou pour la représentativité

de la Cgt dans les professions entières où l’enca-drement est majoritaire ?

Nous ne pouvons pas faire la politique de l’autruche et nous exonérer, quel que soit le nombre d’Ict, d’une activité revendicative spéci-fique organisée partout pour accroître le rapport de forces général et être la Cgt de tout le salariat.

Les enjeux de l’activité spécifique

Si un accord général semble se dessiner dans la Cgt pour développer une activité spécifique, plusieurs problématiques sont à traiter : le contour de cette activité ainsi que son contenu pour répondre aux attentes des Ict.

Prenant en compte leur niveau de qualifica-tion, d’autonomie, de responsabilité et l’impact significatif de leur travail sur les autres catégories du salariat, l’environnement de l’entreprise, cette activité concerne les salariés qualifiés à responsabilités.

Cependant, quel est, sous l’effet d’une élé-vation générale des qualifications et de l’évo-lution numérique des Ict, le contour exact de l’activité spécifique ? La crise et l’exploitation accrue du travail qualifié ont accentué le rap-prochement avec les autres catégories de sala-riés. Ainsi, les Ict connaissent comme les autres salariés une précarité croissante des qualifica-tions et de l’emploi et une recrudescence forte de la souffrance au travail.

Des convergences fortes émergent entre les Ict et les autres composantes du salariat. Mais, pour autant, cette banalisation des Ict au sein du salariat n’est que relative. Car ils vivent aussi une douloureuse crise identitaire.

Le mode de management en vigueur déstabi-lise ces salariés qualifiés à responsabilités dans la définition de leur rôle, dans la considération de leur place dans l’entreprise, dans le collectif de travail, jusqu’à leur utilité professionnelle et sociale où le lien entre responsables et cou-pables, voire justiciables, est fortement prégnant.

Leur attachement à l’éthique profession-nelle, au temps de travail et à la gouvernance d’entreprise renforce leur conviction d’être des

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salariés non pas comme mais au même titre que les autres.

N’est-ce pas ce que confirment de nom-breuses luttes d’Ict, centrées sur le sens et la finalité de leur travail, voire leur utilité sociale ou les moyens pour exercer leurs propres responsa-bilités ou encore des batailles pour la reconnais-sance de leur qualification ?

Pour autant, l’évolution au sein du salariat Ict n’est pas non plus sans conséquence sur le péri-mètre de l’activité spécifique Cgt. On assiste à une évolution interne importante du groupe des Ict.

Evolutions des cadresUne étude récente de l’Apec pointait une pro-

gression de 60 % en vingt ans des cadres du privé. La notion même de cadre dans l’entreprise n’est plus réduite à un petit nombre de cadres enca-drants ou hauts managers.

Elle s’est à la fois élargie et diversifiée, compte tenu de la mobilité et des polycompétences requises tout au long de la carrière dans le domaine financier, commercial, managérial, de la haute technicité ou de l’expertise dont ces cadres doivent faire preuve et du fait qu’ils pos-sèdent en commun un haut niveau de qualifica-tion et des responsabilités sociales étendues.

Notre définition du cadre doit donc intégrer ces différentes évolutions plurifonctionnelles.

Cette nouvelle approche nous impose aussi de sortir d’une posture purement idéologique ne considérant que le rapport des cadres au capital, c’est-à-dire à la hiérarchie de l’entreprise, et d’in-tégrer aussi le rapport des cadres au travail, c’est-à-dire à leur niveau de responsabilité, de qualification, d’utilité sociale et d’autonomie dans le travail.

Evolutions techniciennesCôté techniciens, nos états généraux du

13 janvier dernier ont illustré la très grande diver-sité de ces professions, à tel point que beaucoup ne se reconnaissent même pas dans l’appellation générique « techniciens », mais plutôt à travers une référence au métier (sages-femmes, infir-mières, travailleurs sociaux, géomètres…).

Ils constituent une catégorie charnière entre les ouvriers-employés et les cadres. Ce sont des « professions » pivots de l’évolution du travail, des métiers au cœur de la mise en place des nou-velles technologies, mais aussi des nouvelles procédures et des normes de travail.

Cette position n’est pas étrangère à une évolution forte et rapide des qualifications qui a traversé toutes les professions dans leur diversité. Beaucoup d’entre eux sont de plus en plus diplômés et désignés comme « techni-ciens supérieurs ».

Parmi les techniciens diplômés, une proxi-mité des aspirations avec les cadres s’affirme en matière d’exigences fortes de reconnaissance des qualifications, d’autonomie et de qualité du tra-vail, de maîtrise de son travail et de nouveaux droits pour exercer des responsabilités.

C’est à chaque profession de déterminer au sein de ces techniciens la proximité avec le per-sonnel dit d’exécution ou avec les salariés quali-fiés à responsabilités et d’affiner le périmètre d’affiliation.

Nous ne sommes pas dans une bataille de propriété, de savoir à qui appartiendraient les techniciens, le général, le spécifique ! Nous avons besoin d’une tout autre dimension dans l’action revendicative pour gagner une recon-naissance des qualifications des techniciens par toute la Cgt.

On ne peut en rester à une fron-tière d’affiliation, ni uniquement aux postes occupés, encore moins aux visions patronales « utilita-ristes » qui nient la notion même de qualification. Comme nous ne pouvons nous satisfaire des risques catégoriels dans des luttes seg-mentées de métiers, sans travailler de façon plus transversale les aspects qui les rassemblent : sens et finalité du travail, reconnais-sance des qualifications.

Si la Cgt, avec son Ugict, a fait le choix de ne pas réduire le spé cifique aux seuls cadres, c’est pour permettre de travailler la pro ximité revendicative des tech-niciens supérieurs et des cadres, de travailler les convergences transversales de l’identité techni-cienne, de se donner les moyens de contacts avec les cadres pour un déploiement de la Cgt parmi les techniciens, ingénieurs, cadres et maîtrises.

C’est donc ce choix pragma-tique qui conduit à réfuter toute norme globali-sante d’affiliation ou de non-affiliation de l’ensemble des techniciens à l’Ugict.

C’est pourquoi l’Ugict nationale propose de bien centrer son cœur d’activité sur techni-ciens supérieurs (Bts, Dut et plus ou expé-rience professionnelle équivalente), maîtrises, ingénieurs et cadres.

La stratégie du Medef

Ce choix doit nous permettre de gagner en cohérence, tant au regard de la stratégie du Medef que pour dynamiser une réponse aux attentes des Ict.

Fidèle à ses options ultralibérales, le Medef a depuis le début de la crise de 2008 pratiqué la fuite en avant dans la baisse du prix du travail.

Venant après la réforme de la retraite, la mise en cause des retraites complémentaires, et notamment de l’Agirc, est emblématique de sa volonté de parvenir à tout prix à un dévelop-pement significatif de la capitalisation dans notre pays.

Sur la question de l’emploi, alors que l’indem-nisation et le placement des chômeurs sont déjà contestés par la mise en coupe réglée de Pôle emploi, le Medef a décidé de s’attaquer à l’Apec, institution dont tous les acteurs louaient l’effica-cité, pour favoriser la mise sur pied d’une gestion privée de l’emploi en France.

Faire de l’argent avec le chômage, voilà un nouveau créneau économique dans lequel s’engouffre le Medef : offrir le marché de l’em-ploi des cadres aux grands groupes de l’inté-rim. Complétant les offensives sur les salaires et la Rtt, ces attaques contre l’Agirc et l’Apec concrétisent une mise en cause d’ensemble des garanties offertes par un statut cadre que le patronat ne supporte plus.

La reconnaissance du travail qualifié fait donc maintenant l’objet d’un affrontement d’ampleur. Elle participe en même temps d’une atomisation toujours plus importante de la société.

Derrière l’externalisation généralisée des compétences, se développent des formes d’emplois atypiques et non salariés. Contrats de missions, de prestataires, portage salarial, autoentrepreneuriat… une volonté claire

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apparaît : remplacer le contrat de travail par un contrat commercial. Ainsi, le patronat vise une précarisation de la main-d’œuvre qualifiée. Même les jeunes diplômés de grandes écoles sont aujourd’hui sollicités par des entreprises de prestation dès leur sortie d’études pour tra-vailler à la mission.

Cette stratégie s’articule avec de nouvelles violentes attaques contre les services publics, puisqu’il convient de faire disparaître tout obs-tacle à cette entreprise de déstructuration sociale. La France comptait cinq millions trois cent mille fonctionnaires en 2008, dont 20 % de non-titu-laires, et Sarkozy, en juin 2010, se félicitait de la suppression de cent mille postes. La collusion entre gouvernement et Medef est aujourd’hui totale pour tenter de mettre l’Etat au seul service des marchés financiers.

Contradictions et résistancesMais le refus du Medef de tirer les enseigne-

ments de la crise financière se cogne aussi à une dynamique de luttes revendicatives et butte sur des contradictions économiques fortes.

Ainsi, le Wall Street management mis en œuvre consacre la suprématie actionnariale contre le travail, sa valeur, sa réalité, sa finalité.

C’est parce que ce management tue le travail, qu’il tue au travail.

La recrudescence de la souffrance au travail chez les Ict, la perte de sens et de reconnaissance du travail fourni accroissent le hiatus entre le fort degré de motivation au travail et le faible degré d’implication, de mobilisation pour l’entreprise.

La surenchère dans la volonté de satisfac-tion des actionnaires – plus de 36 % des profits bruts (1) – et sa logique court-termiste exercent une pression sans précédent sur le prix du tra-vail, à tel point que la faible progression des salaires aboutit à ce que la part des revenus de la production distribuée aux salariés est à un point historiquement bas.

Nous sommes entrés dans un cercle vicieux où la chute du travail dans la valeur ajoutée plombe la croissance économique : – 2,6 % en 2009 (2). Celle-ci ralentit sous le double effet d’une demande de plus en plus atone, tandis que l’épargne s’investit de moins en moins dans l’ap-

pareil productif – moins dix points en 2008 (3) – et se porte sur les actifs patrimoniaux qui connaîtraient des bulles déstabilisantes.

L’Etat, roue de secours des banques et « dis-pensateur » d’exonérations aux entreprises (encore près de 30 milliards en 2009), aussi nombreuses qu’inefficaces, court après l’équi-libre budgétaire et sacrifie le financement de biens publics pourtant essentiels à une crois-sance potentielle.

En résumé, le sacrifice des salariés est préju-diciable à l’efficacité économique, environne-mentale et à l’avenir.

De plus en plus de personnalités diverses s’élè-vent pour le dire. Ainsi en est-il, par exemple, de Michael Porter, professeur à Harvard, prêcheur depuis trente ans de la concurrence et de la com-pétitivité, qui livre en mars 2011 : « le capitalisme est assiégé, et c’est la faute aux entreprise. Elles continuent de voir la création de valeur de manière étroite, optimisant la performance financière à court terme dans une bulle en oubliant les besoins plus fondamentaux, ceux de leurs clients, et igno-rant les influences plus larges qui déterminent leur succès à plus long terme. Le renouveau de l’entre-prise ne se fera pas sans le social ». Alors, si même les gourous ultralibéraux sont touchés par la grâce… A quand l’abdication de Mme Parisot !

Mais les voix les plus crédibles et les plus constantes, sur ce chapitre, sont bien celles des Ict eux-mêmes.

Après le tournant des années 2000 avec la Rtt, la plupart des luttes Ict portent sur l’exigence de reconnaissance des qualifications et les moyens d’exercer une responsabilité sociale.

Dans la dernière période, les magistrats défendant l’indépendance de la justice et les luttes des enseignants contre l’hémorragie des emplois dans l’Education nationale exigent des moyens suffisants pour travailler ; les ingénieurs et techniciens de l’aéronautique et de l’électro-nique débrayent sur les questions de salaires, et les infirmiers Iade et les travailleurs sociaux agis-sent pour la reconnaissance de leur qualification dans la catégorie A (cadre).

Face à cette logique financière, économique et politique, nous avons besoin d’une construc-tion alternative d’ensemble au plan social. C’est

(1) « Partage de la valeur ajoutée », rapport Insee, mai 2009.(2) « Tableau de l’économie française », 2011, Insee.(3) Idem.

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tout l’enjeu de la démarche de management alternatif que nous portons pour la reconnais-sance du sens et de la valeur du travail ainsi que pour le développement d’une réelle démocratie dans l’entreprise.

Pour un statut de l’encadrement et de l’expertise

Cette démarche suppose très concrètement, dans l’action générale pour un nouveau statut du travail salarié que revendique la Cgt, de conforter le statut cadre et de lui donner un nouveau contenu élargi et solidaire.

Ce sont les Ict instrumentalisés, chevaux de Troie du démantèlement des garanties collec-tives, qui sont in fine l’enjeu stratégique de trans-formation des entreprises.

Les garanties collectives perdues pour les cadres sont perdues pour tous les salariés. La remise en cause des droits et des garanties des Ict sape leur capacité de mobilisation, non seulement pour eux-mêmes, mais pour tout le salariat.

Un nouveau statut de l’encadrement et de l’expertise doit correspondre à la modernité de la notion de cadre d’aujourd’hui et s’adresser à l’ensemble des salariés qualifiés en responsabi-lités. Il doit participer à la revalorisation de la technicité et à la reconnaissance de l’expertise, à l’intégration de toute la polytechnicité de ces salariés dans leur diversité de fonctions : com-merciales, d’ingénierie, de management, d’enca-drement de proximité… Il doit favoriser les transitions professionnelles avec une transféra-bilité des droits appropriée.

Ce nouveau statut solidaire doit d’abord asseoir une solidarité dans l’ensemble de la composante Ict, en interdisant le dumping social par les jeunes diplômés, en levant les

oppositions entre Ict diplômés et Ict issus du rang, par une reconnaissance de tous les aspects de la qualification, qu’elle soit issue du diplôme ou de l’expérience.

Ce statut solidaire doit aussi promouvoir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en s’attaquant aux plafonds et aux parois de verre, à la disponibilité comme critère discriminatoire.

Nous avons besoin de pousser les questions d’égalité : « à travail de valeur comparable, salaire égal » ; « égalité d’accès aux postes à res-ponsabilités ».

Un statut de l’encadrement et de l’expertise solidaire est enfin un statut solidaire entre catégories de salariés, un statut qui donne aux Ict les moyens d’exercer leur activité, tout en étant responsables de l’impact sur les autres catégories de salariés et sur la marche de l’en-treprise. C’est donc un statut qui vise à modi-fier la conception même de la hiérarchie dans l’entreprise et à modifier les rapports sociaux. C’est une nouvelle place et un nouveau rôle pour l’encadrement dans les entreprises qui est en jeu.

Construire un management alternatif

Favoriser l’intervention des Ict pour conqué-rir et la reconnaissance de leur travail et des droits démocratiques effectifs dans l’exercice de leur responsabilité est la démarche syndicale offensive que nous voulons promouvoir.

Nous visons à transformer les finalités du management en articulant les dimensions éco-nomiques, sociales et sociétales, en restaurant le rôle contributif des Ict, en revalorisant l’exper-tise. Il s’agit de mettre à la portée de chacun des changements du mode de management.

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A cet effet, nous proposons de revoir les outils managériaux, tant au niveau des contrats d’ob-jectifs, de la charge de travail que de l’interven-tion dans la gestion et l’évaluation. Ce qui implique notamment, au niveau des CE, d’inter-venir dans la gestion et :• de poser, en matière d’organisation du travail, des droits de recours dans la définition et le contenu des contrats d’objectifs (et pas seule-ment sur la réalisation des résultats) ; de nou-veaux critères d’évaluation fondés sur le travail et non sur le comportement des salariés ;• de revendiquer une définition collective et transparente des indicateurs de gestion ;• de prendre en compte le développement durable et la Rse avec la présentation d’un rap-port annuel sur la façon dont l’entreprise gère ou non les répercutions sociales et individuelles de ses activités.

De même, au niveau des Chsct, il est im-portant d’intervenir en amont sur la santé au travail. Nous proposons la création de com-missions de suivi du temps de travail pour mesurer et surveiller l’intensification de la charge de travail, mais aussi l’utilisation effec-tive des jours de Rtt.

Il s’agit aussi de permettre l’exercice de la Rse avec l’introduction d’un droit de refus et d’alter-native en cas de problème d’éthique profession-nelle qui pourrait compléter le droit d’alerte sur la dangerosité des produits ou sur les questions de sécurité afin de se prémunir contre la souf-france psychique au travail.

Dans la fonction publiqueCe Wall Street management entre au forceps

dans la fonction publique.Au nom d’une pensée unique, il s’agit d’offrir

de nouvelles niches de productivité au privé par la privatisation des missions les plus rentables, ou encore, dans le cadre d’une restriction dras-tique des investissements publics, de privilégier les missions dites solvables et de mettre à mal la question de l’égalité de traitement des usagers.

On nie alors, sans le dire, la spécificité de la fonc-tion publique, sa finalité, au nom d’une pseudo-rationalité managériale et de sa vision comptable.

A contrario, viser une efficience sociale, éco-nomique et sociétale suppose de rompre avec la transposition du Wall Street management dans la Rgpp et implique d’innover sur plusieurs axes :• redimensionner la démocratie, permettant l’intervention et la prise en compte des apports et des attentes de toutes les parties prenantes.• Innover dans les critères d’évaluation des poli-tiques publiques en construisant des indicateurs qualitatifs.• Faire de l’exercice de la responsabilité sociale, économique et sociétale des services publics le moteur de la définition des contrats d’objectifs.• Assurer la cohérence et la cohésion des mis-sions en confortant un statut des personnels garant de leur indépendance, de la reconnais-sance de leurs compétences et de leur profes-sionnalisme.• Repositionner le rôle contributif de l’enca-drement à travers un droit de propositions alternatives.

Des formes d’organisation efficaces

Déployer une telle activité suppose de réflé-chir aux formes d’organisation. Le 49e Congrès a demandé à l’ensemble des syndicats de la Cgt de réfléchir à leurs périmètres d’activité. L’objectif

est d’adapter les formes d’organisation aux com-munautés effectives de travail qui dépassent souvent le seul périmètre statutaire de l’entre-prise et où interviennent de multiples sous-trai-tants ou travailleurs de statuts différents.

Il y a lieu de regarder également le périmètre effectif sur lequel rayonne chaque syndicat. Est-ce l’ensemble du salariat de l’entreprise ou seulement une fraction, une partie des collèges électoraux ?

Ces formes d’organisation ont un lien étroit avec le travail que la Cgt sera en capacité de mener, ou pas, dans les entreprises de sous-traitance, dans les sièges sociaux, dans les pôles de compétitivité, par exemple. Il n’y a, en ce domaine, ni modèle à appliquer, ni génération spontanée à attendre.

Une chose est sûre : les 4 % de syndicats ou sec-tions spécifiques aux Ict dans l’ensemble des bases syndicales Cgt sont une réalité insatisfaisante.

Même dans des sièges sociaux ou des entre-prises au personnel constitué quasi exclusive-ment d’Ict, une activité globalisante Cgt restera hors-jeu en termes de syndicalisation de masse et de rapport de forces. L’activité spécifique par-tant du vécu au travail et portant les revendica-tions transversales de reconnaissance et de responsabilité sociale des Ict est incontournable.

L’expérience conduit à préciser les conditions du développement d’une telle activité. Un degré d’autonomie suffisant en matière d’organisation, l’élaboration des revendications et des formes d’action sont nécessaires aux Ict pour qu’ils puis-sent être acteurs, décideurs et jouer pleinement leur rôle contributif.

A l’inverse d’une logique de clivage que cultive le capital, les formes d’organisations spécifiques Cgt portent des exigences de vie commune et de « travail ensemble ». C’est la capacité politique d’ensemble de l’organisation qui est interrogée en permanence pour savoir mutualiser les diver-sités et orchestrer une vie commune assurant une cohérence de l’activité de la Cgt.

La question est aussi posée aujourd’hui d’im-pliquer un maximum de syndiqués isolés dans l’activité syndicale : isolés soit parce qu’ils sont seuls syndiqués dans l’entreprise, soit qu’ils se retrouvent seuls comme cadres ou techniciens dans le syndicat.

Ces réflexions nous ont conduits à proposer quelques axes permettant de nourrir le débat général enclenché par la Cgt.

Premièrement, travailler à des formes d’orga-nisation permettant un syndicalisme de proxi-mité en collectifs, sections, syndicats sur le lieu de travail, l’entreprise ou le territoire. Plusieurs unions départementales réfléchissent à expéri-menter des syndicats spécifiques interprofes-sionnels de territoire, regroupant des syndiqués Ict isolés dans l’entreprise et leur permettant de s’impliquer dans une activité revendicative et de déploiement de la Cgt localement. Ce type de structure peut aussi servir de lieu d’échanges avec des syndiqués Ict appartenant déjà à des syndicats existants.

Deuxièmement, travailler à des dispositifs qui rassemblent les Ict syndiqués pour construire des revendications transversales et impulser le déploiement Cgt sur des zones d’activité où interviennent donneurs d’ordres et sous- traitants sur les nouveaux pôles de compétitivité, sur de grandes métropoles avec des commis-sions départementales…

Adapter les périmètres des syndicats existants au lieu de travail réel, organiser les isolés, mettre en place des dispositifs de travail revendicatif et de déploiement dans les territoires sont des

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aspects qui se conjuguent pour augmenter notre capacité à couvrir l’ensemble du salariat.

De nouveaux défis

De la même manière que les élections prud’homales ont montré comment les résultats Cgt dans l’encadrement ont été dopés autour des lieux où existe une activité spécifique, la diffé-rence est significative en matière de syndicalisa-tion et de résultats électoraux dans les fédérations où existent des unions fédérales.

A l’expérience, les formes de collectifs mis en place dans les organisations Cgt ont une effica-cité dès lors qu’ils se situent dans une volonté de faire naître et développer une activité spécifique durable et de rendre acteurs les Ict syndiqués.

Ces formes se révèlent négatives si elles cor-respondent à la formule « pour se débarrasser d’un problème, créons une commission Théo-dule », ou pire encore s’il s’agit d’une mise sous tutelle de l’activité spécifique.

Il nous faut penser des formes d’organisation qui n’opposent pas cohérence et diversité, ras-semblement et démocratie de l’organisation.

La sympathie envers la Cgt n’a cessé de pro-gresser ces dernières années. Ce mouvement est significatif dans la section cadres aux prud’homales, puisque l’Ugict-Cgt y a réalisé, avec 17 %, le meilleur score depuis l’origine de cette élection.

La loi sur la représentativitéLa loi du 20 août 2008 lie la représentativité

aux résultats électoraux ; les défis auxquels nous sommes confrontés sont clairement posés, que ce soit par rapport à notre implantation générale ou par rapport à une activité Cgt pérenne et orga-nisée dans l’encadrement.

Dans les résultats électoraux récents, un point d’attention apparaît concernant les diplômés. Ces derniers sont maintenant majoritaires dans le salariat, ce qui est loin d’être le cas dans la Cgt, et notamment chez les Ict syndiqués.

La problématique des jeunes diplômés

Les problématiques diplômés/non-diplô-més, celles des attentes des jeunes diplômés et celles qu’expriment les Ict, dans leurs inter-ventions individuelles et collectives, sont entièrement liées.

En recherchant dans le travail un lieu qui par-ticipe à l’accomplissement de soi, à son propre épanouissement, tout en demandant à ce même travail d’être utile socialement, les jeunes diplô-més veulent lui donner un sens qui suppose un autre système d’organisation du travail et de gouvernance des entreprises.

A l’instar de la formule selon laquelle « on ressemble plus à son époque qu’à son père », nous ne sommes pas avec les jeunes diplômés devant un changement d’âge, mais d’abord devant un changement de génération.

Cette génération a toujours connu la crise et a été mise en concurrence dès les circuits sco-laires. Elle a intégré le fait qu’elle ne fera pas car-rière dans une seule entreprise et que, même si le travail est un moyen de subsistance, il ne s’agit pas de perdre sa vie en la gagnant. Le travail est pour eux un enjeu pour gagner sa vie mais aussi pour la construire.

Ils considèrent le travail comme une moda-lité d’affirmation, donc de reconnaissance. C’est à partir de cet élément que prennent forme les luttes pour la reconnaissance de la

dignité, de la qualification, des aptitudes acquises progressivement.

La question de l’engagement des jeunes diplômés commence avec l’accomplissement de certaines valeurs, d’abord celle d’un travail bien fait au sein de l’entreprise.

Faire de la réponse aux besoins et aux attentes des jeunes diplômés un axe stratégique de notre activité syndicale revêt donc plusieurs enjeux pour lutter contre le dumping social avec les autres salariés, pour leur propre avenir, celui du syndicalisme Cgt et des transformations à opé-rer. Mais l’enjeu fondamental est de bien posi-tionner la Cgt au cœur des transformations du travail, des entreprises et de la société.

Conclusions

Nous sommes tous citoyens du monde, à l’aube de ces mouvements sociaux inédits qui traversent les frontières, rejetant les dictatures civiles, militaires, idéologiques, religieuses, refusant d’être les victimes de la crise de la finance, porteurs de dignité, de justice sociale, de reconnaissance.

Dans cette accélération de l’Histoire, il n’y a ni fatalisme ni déterminisme. Comment ces mécontentements profonds vont-ils s’exprimer durablement, pris dans une course de vitesse entre l’atomisation de la société, le repli sur soi, la chasse aux boucs émissaires et la soif de démo-cratie, de droits nouveaux, de recherche de sens et de valeurs de solidarité ?

Au cœur de ce bouillonnement, la modernité de la lutte de classe s’affirme. Contre le partage de la pénurie dans le salariat (entre ouvriers-employés/Ict, statutaires/précaires, actifs/chô-meurs), la Cgt pose la révision du rapport capital/travail en faveur du travail dans l’ensemble de ses propositions revendicatives.

Elle refuse une société du sacrifice tournant le dos au progrès social, économique, sociétal.

Le partage capital/travail interpelle le syndi-calisme comme le politique. A défaut, on ouvre les vannes au populisme, à la haine de l’autre, à l’ordre et au bruit des bottes contre la liberté et la démocratie.

Mais décréter la lutte des classes n’est pas la gagner. Cette volonté ne se concrétisera pas sans répondre aux exigences de la jeunesse – notam-ment des jeunes diplômés – de maîtriser son travail, de reconnaître son individualité dans le collectif, de recherche de sens et d’utilité sociale.

Réhabiliter le travail passe par la promotion de la citoyenneté, dans l’entreprise, dans la société, et suppose de franchir une étape quan-titative et qualitative pour le rassemblement du salariat, la démocratie syndicale et sociale.

Il ne peut y avoir aucun raccourci dans cette démarche.

Pour rendre plus lisible et plus efficace l’outil spécifique, pour être plus et mieux la Cgt de tout le salariat, ce n’est pas de moins mais de plus d’activité spécifique qu’il y a besoin, mieux com-prise, plus solidaire et mieux partagée.

Ne rien s’interdire en matière de forme d’or-ganisation, tirer les leçons de chaque expérience, rompre avec la loi du nombre pour que coexis-tent cohérence et spécificité, c’est faire preuve du sérieux nécessaire pour affronter l’avenir en innovant, pour prendre la main dans la construc-tion sociale, pour gagner une mondialisation des luttes et de la démocratie.

Nous voulons un congrès qui dessine des choix d’avenir.

A vous la parole ! n

Options-QuotidienCe journal quotidien est réalisé grâce à l’investissement des ouvriers et cadres de la Filpac-Cgt travaillant à l’Imprimerie du quotidien La Montagne. Qu’ils en soient remerciés au nom de tous les délégués.