Journal de l'Afrique

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n°17-Edition Spéciale- Janvier 2016

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Janvier 2016- Edition spéciale

Sommaire

Editorial : Nous ne voulons plus du franc CFA !

Carlos Sielenou & Olivier A. Ndenkop

Les arguments politiques et juridiques pour se débarrasser du franc CFA.

Par Hubert Kamgang

Franc CFA : 70 ans ça suffit !Par Demba Moussa Dembélé

« Aucun pays africain ne peut être Emergent avec le francCFA»*

Nicolas Agbohou & Olivier Atemsing Ndenkop

Quelles solutions pour le CFA ?

Par Dieudonné ESSOMBA

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Editorial

Nous ne voulons plus du franc CFA !

Dans l’histoire de l’humanité, aucun pays ne s’est développé avec une monnaie émise etcontrôlée de l’extérieur. Or en 2016, le franc des Colonies Françaises d‘Afrique, créé en décembre 1945 conformément à l’article 3 du décret 45/0136 signé par le général De Gaulle,reste utilisé par 15 Etats répartis entre l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. Cettemonnaie est entièrement contrôlée par la France qui l’émet sur son sol avant de l’achemineren Afrique pour usage contrôlé. Outre le fait qu’il prive de leur souveraineté monétaire lespays qui l’utilisent, ces derniers doivent en plus déposer 50% de leur réserve de devisesauprès du Trésor français. Pourtant, il est unanimement admis que « celui qui contrôle lamonnaie contrôle l’économie ».

Aujourd’hui âgé de 70 ans, le franc CFA semble vivre ses derniers jours. En effet, des voixs’élèvent de plus en plus pour appeler à la révision des accords monétaires entre la France etles Etats de la zone Franc. Les uns proposent une renégociation des termes de ces accords.Renégociation qui permettrait de mettre un terme à la parité fixe entre l’Euro et le CFA et lasuppression du compte d’opérations. Dans ce premier camp, on retrouve par exemplel’économiste et ancien ministre togolais de la Prospective, Kako Nubukpo. Le deuxièmecamp est constitué des radicaux qui appellent à la souveraineté monétaire de l’Afrique. Celle-ci passe par le rejet du franc CFA et la création d’une monnaie africaine. Ce courant a commedéfenseurs Joseph Tchundjang Pouemi, Hubert Kamgang, Nicolas Agbohou…

Aujourd’hui, la question du franc CFA n’est plus une exclusivité des universitaires et despolitiques. Les médias et les activistes de la société civile s’en sont saisis. Début 2015, unemarche contre le franc CFA a été organisée à Yaoundé avant d’être dispersée par la police.Dans plusieurs pays africains utilisant le franc CFA et sur les réseaux sociaux, sont créées desantennes du Mouvement pour la souveraineté économique et monétaire de l’Afrique(Mosema) avec un nombre croissant d’abonnés.

Le mouvement semble donc irréversible. Et la France semble l’avoir compris et se dit prête àla négociation. En effet, répondant à un journaliste de Radio France Internationale le lundi 05octobre 2015, Michel Sapin, Ministre français des Finances a déclaré: « La zone franc, cen’est pas une zone figée. C'est une zone qui est dynamique. Et s'il y a de la part des uns oudes autres, au niveau académique ou au niveau politique, des propositions d'évolution, ehbien nous en discuterons tous ensemble, avec cet esprit d'égalité».

En attendant l’ouverture de la discussion annoncée par le Ministre français, Le Journal del’Afrique propose une édition spéciale à ses lecteurs avec pour thème central : « Le francCFA et ses conséquences sur l’économie des Etats africains ».

Bonne et heureuse année 2016 !

Carlos Sielenou & Olivier A. Ndenkop

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Les arguments politiques et juridiques pour se débarrasser du franc CFA

Franc CFA signifie, on le sait, franc des Colonies Françaisesd’Afrique, c’est-à-dire franc créé par la France pour exploiter sesdépendances hors de son territoire national à son profit. Dès lors,l’accession desdites colonies ou autres dépendances à la souverainetéinternationale devait leur conférer le droit politique de battremonnaie.

Par Hubert Kamgang*

Spécimen de la monnaie nationale camerounaise proposée par Hubert Kamga

Nous allons nous appuyer sur le cas Cameroun pour traiter le sujetqui nous est soumis, entendu que cela est valable pour toutes les anciennescolonies ou dépendances d’Afrique de la France devenues toutesindépendantes en 1960. Les Comores ont acquis leur indépendance plustard, mais la monnaie qui y est émise, tout en ayant un statut analogue àcelui du franc CFA, s’appelle franc comorien n’ayant du reste pas le mêmetaux de change que le franc CFA par rapport à l’euro.

Le « Cameroun français » – oui c’est comme cela qu’on l’appelaitofficiellement parce qu’il y avait aussi le Cameroun britannique, voire lesCamerouns britanniques – proclame son indépendance le 1er janvier 1960.Et, le 13 novembre de la même année, est signé à Yaoundé entre le Franceet le nouvel État un traité de coopération auquel sont annexés des accordsdont celui qui nous intéresse s’intitule Accord de coopération en matièreéconomique, monétaire et financière. Nous y lisons ce qui suit : « Article 25– La qualité d’État indépendant et souverain acquise par le Cameroun lui

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confère le droit de créer une monnaie nationale et un institut d’émission quilui soit propre. Article 26 – Jusqu’à la création d’une unité monétairecamerounaise, la monnaie légale ayant pouvoir libératoire sur toutel’étendue du territoire du Cameroun est le franc CFA émis par la Banquecentrale des États de l’Afrique équatoriale et du Cameroun. » Notons que laBanque centrale des États de l’Afrique équatoriale et du Cameroun(BCEAEC) est créée en avril 1959 pour les besoins de la cause, les anciennescolonies de l’Afrique équatoriale française (AEF), à savoir, Oubangui-Chari(actuelle République centrafricaine), Congo, Gabon et Tchad, devantdevenir indépendantes en 1960 aussi. Notons aussi que CFA ne signifie pluscolonies françaises d’Afrique, mais communauté financière africaine. Queltour de force de conserver l’acronyme tout en modifiant l’intitulé complet !Il est également important de noter qu’au lendemain de leur indépendance,tous ces États se sont inspirés de la constitution de la Ve Républiquefrançaise pour écrire la leur. Or, l’article 34 de cette constitution précisait,entre autres, que la loi fixe les règles concernant le régime d’émission de lamonnaie.

On comprend donc pourquoi la France a dû se faire violence etreconnaître formellement le droit du Cameroun à battre monnaie, avant del’en spolier jusqu’au moment où nous écrivons ces lignes, soit plus de 55ans plus tard ! Car, bien qu’ayant reconnu en 1960 ce droit, la France aencore imposé par des pressions, pour ne pas dire des chantages politiques,sa tutelle monétaire.

Le 22 novembre 1972 à Brazzaville, en effet, elle a obtenu que leCameroun, la République centrafricaine, le Congo, le Gabon et le Tchadsignent une convention dite de coopération monétaire dans le cadre d’uneBanque centrale dénommée Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC).En soi, ce n’est pas une mauvaise chose que des États africains voisins sedonnent une Banque centrale commune émettant une monnaie commune.Mais là où le bât blesse c’est que le 23 novembre 1972, est signée une autreconvention dite de coopération monétaire entre la République française etles États membres de la BEAC. L’article 07 de cette convention stipuletextuellement que : « La Banque des États de l’Afrique Centrale prévue àl’article 3 est un établissement multinational africain, à la gestion et aucontrôle duquel participe la France en contrepartie de la garantie qu’elleapporte à sa monnaie. La Banque assumera à l’égard des tiers les droits etobligations de l’ancienne Banque Centrale des États de l’Afrique Equatoriale

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et du Cameroun. Les dispositions organiques de la Banque sont annexées àla présente Convention. » On y lit également ce qui suit : « Article 9. Lamonnaie émise par la Banque est le franc de la Coopération Financière enAfrique Centrale (franc C.F.A.) dont la convertibilité avec le franc françaisest illimitée. À cet effet, une Convention relative à un compte d’opérationsouvert au Trésor français sera signée entre le Président de la Banque et leMinistre de l’Économie et des Finances de la République Française. »

Pour la suite de notre propos, les articles 17 et 20 nous intéressent :« Article 17. Tout État signataire peut dénoncer la présente Convention.Cette décision prend effet à compter de la date de sa notification à l’Étatdépositaire. La négociation des arrangements nécessaires sera entrepriseimmédiatement entre les États signataires à la diligence de l’un quelconqued’entre eux. L’application de la Convention de Compte d’opérations prévueà l’article 9 ci-dessus est suspendue de plein droit à compter de la date decette notification, en ce qui concerne cet État… Article 20. La présenteConvention entrera en vigueur après notification de sa ratification par tousles États signataires à la République Populaire du Congo désignée commeÉtat dépositaire. »

Peu de Camerounais ont présent à l’esprit que la constitutionactuellement en vigueur – celle du 18 janvier 1996 procédant de la révisionde celle promulguée le 02 juin 1972 suite au référendum du 20 mai faisantpasser le Cameroun de la fédération à l’État unitaire –, stipule en son article26 que le régime d’émission de la monnaie est du domaine de la loi et que laloi est votée par le Parlement ! Mais alors, comment se fait-il que leParlement camerounais n’ait jamais voté une seule loi fixant le régimed’émission de la monnaie ? La raison en est toute simple : ce Parlement acommis par deux fois ce qu’il est convenu de qualifier d’actes de hautetrahison. Il a ratifié une première fois le traité du 13 novembre 1960 àYaoundé et les accords y annexés et une deuxième fois les conventions des22 et 23 novembre 1972, le tout abandonnant à chaque fois la souverainetédu Cameroun à une puissance étrangère. Nous disons bien qu’il s’agitd’actes de haute trahison, car l’allégeance à une puissance étrangère n’ajamais été autre chose qu’un acte de haute trahison ! Le peuple aurait dûêtre consulté par référendum. C’est ce qu’ont fait les autorités françaises,par exemple, quand il s’est agi d’abandonner le franc français pour l’eurodans le cadre du traité de Maastricht ; et c’est qui sera fait quand il faudraque le Cameroun devienne, sous la conduite d’un gouvernement dirigé par

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des panafricanistes, un État fédéré des États-Unis d’Afrique, dotés de leurmonnaie.

Juridiquement, il suffit d’écrire aux autorités de la République duCongo à Brazzaville, en application de l’article 17 de la convention du 23novembre 1972 citée ci-dessus, pour déclencher le processus qui va aboutirà la sortie du franc CFA. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures, c’estaussi simple que cela.

Pour cela, la volonté et la capacité politiques sont nécessaires. Et c’estlà tout le problème. La France n’a jamais voulu lâcher prise. Le président dela République française, François Hollande, a reconnu le 03 juillet 2015 àYaoundé que son pays a mené une guerre de répression au Cameroun, ycompris après la proclamation de l’indépendance. Ce qu’il n’a pas dit, maisque tout le monde sait, c’est que cette guerre était destinée à empêcherl’indépendance effective du Cameroun, laquelle n’a toujours pas eu lieu,comme nous venons de le voir à travers la question monétaire. PierreMessmer, ancien Haut-commissaire de la France au Cameroun ne fait pasmystère de sa décision prise en 1958 d’éliminer physiquement Ruben UmNyobè, figure emblématique de la lutte pour l’indépendance, effectivementabattu par l’armée française le 13 septembre 1958 dans la forêt de laSanaga Maritime. Après la proclamation de l’indépendance, la France, enplus de mener la guerre sur le territoire camerounais, a assassiné parempoisonnement au thallium, Félix-Roland Moumié, président de l’Uniondes populations du Cameroun en exil, décédé à Genève le 03 novembre1960, laissant la voie libre au fantoche Ahmadou Ahidjo de conclure letraité et les accords du 13 novembre 1960 que nous connaissons, ainsi queles conventions des 22 et 23 novembre 1972 à Brazzaville. La France a ainsiréussi à imposer à la tête de l’État camerounais « indépendant etsouverain » des gouvernants acquis au maintien de la mainmise de cetteFrance sur l’essentiel, à telle enseigne que l’écrasante majorité des hommespolitiques camerounais, surtout ceux qui croient avoir la moindre chanced’accéder au pouvoir, a intégré cette donnée dans sa démarche ! Posez laquestion à tel aspirant à la magistrature suprême au Cameroun sur le francCFA, il va étaler au grand jour sa gêne, avant de faire des déclarationsambiguës sous les pressions de l’opinion publique, désormais au fait de laquestion monétaire.

Il faut par conséquent un Mouvement politique, organisé et capablede prendre le pouvoir pour libérer et gouverner le Cameroun. Il ne peut

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alors s’agir que d’un Mouvement se réclamant de la tradition dupanafricanisme, car la solution définitive à la question monétaire résidedans la monnaie africaine dans le cadre des États-Unis d’Afrique. La crise del’euro a en effet montré qu’une monnaie unique et commune à plusieursÉtats ne peut fonctionner correctement que si ces États sont fédérés,soumis à un État fédéral, comme aux États-Unis d’Amérique. KwameNkrumah avait donc vu juste qui proposa en mai 1963 à Addis Abeba « uneunion politique basée sur la défense, les Affaires étrangères et ladiplomatie ; sur une citoyenneté commune, une monnaie africaine, unezone monétaire et une Banque centrale africaine », bref les États-Unisd’Afrique. Comme l’écrit Joseph Tchundjang Pouémi dans Monnaie,Servitude et Liberté – La répression monétaire de l’Afrique (Éditions JeuneAfrique, Paris, 1980), « l’Afrique se fera par la monnaie ou ne se fera pas ».La lutte sera longue et dure, mais « à cœur vaillant, rien d’impossible ».

Nous-mêmes avons créé l’Union des Populations Africaines (UPA) –Parti de l’Avant-garde panafricaniste, qui a présenté notre candidature àl’élection présidentielle en 1997, 2004 et 2011. Le titre de notre ouvrage,Le Cameroun au XXIème siècle – Quitter la CEMAC, puis œuvrer pour unemonnaie unique dans le cadre des États-Unis d’Afrique (ÉditionsRenaissance Africaine, Yaoundé, 2000), est suffisamment éloquent. Nousproposons d’appeler la monnaie camerounaise le Um (en hommage àRuben Um Nyobè comme la monnaie du Venezuela s’appelle bolivar enhommage à Simon Bolivar qui fut pour ce pays, toutes proportions gardées,ce que sera plus tard Um Nyobè pour le Cameroun). Nous avons égalementsigné une plate-forme du Front Progressiste et Panafricaniste avec d’autrespartis politiques, l’objectif étant de fondre tous les groupes s’en réclamantdans un Grand Mouvement panafricaniste. Ce Mouvement aura pourobjectif de prendre le pouvoir et de faire du Cameroun un véritable fer delance de la Révolution Africaine ayant pour apothéose la fondation dunoyau dur des États-Unis d’Afrique autour duquel les autres États viendrontadhérer au cours des décennies, voire des siècles à venir, au fur et à mesurede leur prise en main par des panafricanistes.

*Hubert Kamgang est le Président général de l’Union des Populations Africaines (UPA),Auteur entre autres livres, de Le Cameroun au XXIème siècle – Quitter la CEMAC, puisœuvrer pour une monnaie unique dans le cadre des États-Unis d’Afrique (ÉditionsRenaissance Africaine, Yaoundé, 2000).

Source : Investig’Action

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Franc CFA : 70 ans ça suffit !

Le 26 décembre 2015, le franc CFA a eu 70 ans ! Qui l’eut cru ?D’aucuns pensaient qu’avec la fin de l’empire colonial français, à partirde la fin des années 1950, tous les symboles de cet empire, avec en têtele franc des Colonies Française d’Afrique, disparaîtraient avec lui.

Par Demba Moussa Dembélé*

Photo DR

« La France est le seul pays au monde à avoir réussi l’extraordinaireexploit de faire circuler sa monnaie- rien que sa monnaie - dans despays politiquement libres »

Joseph Tchundjang Pouemi, auteur de Monnaie, servitude et liberté : larépression monétaire de l’Afrique

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Mais c’était sans compter avec le machiavélisme des partisans de l’empireet de leurs valets en Afrique. En effet, sentant le vent tourner, après lamémorable débâcle de Dien Ben Phu aux mains des révolutionnairesvietnamiens et le déclenchement de la lutte armée du peuple algérien, leGénéral de Gaulle et ses conseillers concoctèrent un Plan visant à garderl’Afrique « au sud du Sahara » dans le giron français. C’est dans ce contexteque fut proposée la « Communauté franco-africaine » dont le butfondamental était de préserver la domination de la France sur ses anciennescolonies, en leur accordant une « indépendance » formelle, encadrée par demultiples accords de « coopération » dont les accords monétaires.

I) La naissance de la Zone Franc et des francs CFA

L’histoire de la Zone Franc et du franc CFA est étroitement liée à celle del’empire colonial français en Afrique. En effet, à la veille de la deuxièmeGuerre mondiale, la France décida de renforcer son autorité sur lesterritoires qu’elle contrôlait outre-mer. C’est ainsi que les décrets du 28août et ceux des 1er et 9 septembre 1939 instituèrent un strict contrôle deschanges entre la France et ses colonies d’une part, et entre elle et le reste dumonde d’autre part. Le terme « Zone Franc » apparaît alors pour lapremière fois à cette occasion.

Mais la Zone Franc ne devint véritablement opérationnelle qu’après la findu deuxième conflit mondial, en 1945. En effet, c’est ce conflit qui a donnéune nouvelle cohésion à l’ensemble constitué par la France et ses colonies.L’inconvertibilité du franc métropolitain et la mise en place du contrôle deschanges en 1939 ont délimité un espace géographique à l’intérieur duquelles monnaies demeuraient convertibles entre elles et faisaient l’objet derègles de protection communes vis-à-vis de pays hors de la Zone. Sil’existence de la Zone Franc fut officialisée en 1939, c’est plus tard, avec laréforme monétaire du 26 décembre 1945 que furent créés les francs descolonies françaises d’Afrique (CFA) et les francs des colonies françaises duPacifique (CFP). Ces colonies avaient leurs propres pièces, distinctes dufranc métropolitain.

Le 26 décembre 1945 est également le jour où la France a ratifié les Accordsde Bretton Woods et procédé à sa première déclaration de parité au FondsMonétaire International (FMI).

En 1958, le franc CFA devient le « franc de la Communauté Française

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d’Afrique ». Après les indépendances, il prendra la dénomination de "francde la Communauté Financière Africaine" pour les Etats membres de l’UnionMonétaire Ouest Africaine (UMOA), et "franc de la Coopération Financière enAfrique Centrale" pour les pays membres de l’Union Monétaire de l’AfriqueCentrale (UMAC). Cependant, dans le système monétaire international, lesCFA de la BCEAO et ceux de la BEAC sont dénommés respectivement XOF etXAF.

Plus de 50 ans après les « indépendances », la Zone Franc et le franc CFAapparaissent aux yeux de nombreux Africains comme les symboles d’unesouveraineté monétaire confisquée et un obstacle majeur audéveloppement économique et social des pays africains.

II) La Zone Franc : négation de la souveraineté des pays africains

La dévaluation de 50% du franc CFA, imposée par la France et le FondsMonétaire International (FMI) en 1994, avait montré à l’opinion africaineque le sort du franc CFA se décidait ailleurs que dans les pays utilisant cettemonnaie. Cela illustre l’absence de souveraineté de ces pays sur le francCFA. Or la monnaie fait partie des attributs de souveraineté d’un pays,comme le drapeau et l’hymne national. L’ancien Premier ministre français,Edouard Balladur, dont le gouvernement avait imposé la dévaluation auxchefs d’Etats africains, n’a-t-il pas affirmé à juste raison que « la monnaien’est pas un problème technique mais politique, qui tient à la souverainetéet à l’indépendance d’un pays ». En décidant ainsi d’imposer la dévaluationde 1994, il a démontré aux chefs d’Etats africains qu’ils n’avaient niindépendance ni souveraineté en ce qui concerne le franc CFA.

III) La Zone Franc est un obstacle au développement

Cette absence de souveraineté explique pourquoi le franc CFA ne peut êtreun instrument de développement, parce que déconnecté des réalitéséconomiques et sociales des pays africains. En effet, les relationsinstitutionnelles entre les pays africains et la France, d’une part, et lesmécanismes de fonctionnement de la Zone Franc, d’autre part, constituentdes obstacles majeurs au développement des pays africains. Ces obstaclessont illustrés par les politiques monétaires des Banques CentralesAfricaines, le dépôt de la moitié des réserves de change en France et leprincipe de la libre circulation des capitaux entre celle-ci et les paysafricains.

A) Politiques monétaires des BCA

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Les politiques monétaires de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique del’Ouest (BCEAO) et de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) ontété depuis longtemps décriées comme n’ayant aucun rapport avec lespriorités de développement des pays membres. En effet, les deux banquesont calqué leurs politiques sur celles de la Banque Centrale Européenne(BCE), dont le credo monétariste donne la priorité à la lutte contrel’inflation. Selon l’Article 8 des nouveaux Statuts de la BCEAO : « L’objectifprincipal de la politique monétaire de la Banque Centrale est d’assurerla stabilité des prix. L’objectif d’inflation est défini par le Comité dePolitique Monétaire. Sans préjudice de cet objectif, la Banque Centraleapporte son soutien aux politiques économiques de l’Union Economiqueet Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA), en vue d’une croissance saine etdurable. ».

Dans ce passage, deux choses sont à noter. La première remarque est que lapriorité de la BCEAO est la lutte contre l’inflation (« stabilité des prix »), enapplication du credo monétariste, et cela au détriment des priorités dedéveloppement des pays membres. Mais plus grave encore, tous les autresobjectifs de politique économique, comme la croissance ou la lutte contre lechômage, sont subordonnés à la lutte contre l’inflation ! Comment uneBanque Centrale de pays parmi les plus « pauvres » du monde peut-elleavoir comme priorité la « stabilité des prix », au détriment del’investissement pour développer l’appareil productif dans le but defavoriser la croissance et la création d’emplois ?

Seule la subordination à des politiques dictées par des forces extérieures –la BCE, la France, le FMI- peut expliquer une telle orientation. Pour mettreen pratique cette nouvelle politique, la BCEAO a supprimé le financementjadis octroyé aux Trésors Publics des pays membres, à hauteur de 20% desrecettes budgétaires de l’année écoulée. Pour renforcer davantage lasubordination de la BCEAO, la réforme de 2010 a entériné la propositionfaisant de la Banque une entité « indépendante » des pays membres. Laconséquence de cette « indépendance » est que sa politique monétaire n’estplus définie par le Conseil des Ministres de l’UEMOA, comme auparavant.C’est désormais un Comité de politique économique (CPE) qui définit lapolitique monétaire. La France est représentée dans ce Comité, avec droit devote, alors que le président de la Commission de l’UEMOA n’a qu’une voixconsultative !

Cette politique d’inféodation à des institutions étrangères est également illustrée par l’obligation de déposer en France la moitié des réserves de change des pays membres.

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B) Dépôt des réserves de change et libre circulation des capitaux

En contrepartie de la « garantie de convertibilité » du franc CFA par la France, les Banques Centrales Africaines sont tenues de déposer la moitié de leurs réserves de change chaque année dans des comptes ouverts au niveau du Trésor français. Ce qui prive ainsi les pays africains d’importantesressources financières qui pourraient être investies dans leur développement économique et social.

Le dépôt de réserves de change et la libre circulation des capitaux entre lespays africains et la France favorisent une fuite massive des capitaux despays de la Zone Franc. Cette fuite est jugée plus importante par rapport auxautres pays africains, selon plusieurs économistes.[1] En effet, lesentreprises étrangères établies dans ces pays ont la possibilité de rapatrierla totalité de leurs bénéfices sans risques de change du fait de la fixité dutaux de change entre le CFA et l’Euro. Les expatriés qui travaillent pour cesentreprises peuvent également transférer sans restriction leurs revenusvers leurs pays d’origine dans les mêmes conditions.

En outre, ce système favorise l’assèchement de l’épargne domestique par lestransferts opérés par des résidents vers leurs comptes ouverts dans lesbanques françaises et européennes dans la zone euro. De là, ils peuvent lestransférer vers les paradis fiscaux.

Au vu de tout ce qui précède, il n’est dès lors pas étonnant que les pays quiutilisent le franc CFA soient parmi les plus « pauvres » du monde, selon lesclassifications internationales.

C) Le franc CFA facteur de pauvreté

En effet, dans la classification des Nations-Unies, 10 des 14 pays utilisant lefranc CFA se trouvent dans la catégorie des « pays les moins avancés » ouPMA. Ces derniers sont caractérisés par leur vulnérabilité économique etleurs faibles indicateurs de développement humain. C’est pour cela quedans les classements du Programme des Nations-Unies pour leDéveloppement (PNUD), les pays de l’UEMOA et de la CEMAC sont au bas del’indice de développement humain (IDH). Ces statistiques peu reluisantesmontrent que non seulement le franc CFA n’a pas été un « atout », comme leprétendent de façon mensongère ses partisans, mais qu’il constitue un desprincipaux obstacles au développement des pays africains.[2]

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IV) Conclusion

Au vu de l’analyse ci-dessus, le franc CFA a davantage servi à maintenir ladomination de la France sur ses anciennes colonies qu’à favoriser ledéveloppement de ces dernières. Aucun des « avantages » qu’il étaitsupposé apporter aux pays africains ne s’est matérialisé. Il n’a favorisé ni lacroissance, ni l’intégration sous-régionale. En réalité, le franc CFA symbolisela confiscation de la souveraineté de ces pays sur leur politiqueéconomique.

Donc, il est temps d’amorcer la rupture d’avec ce système et de recouvrerl’indispensable souveraineté monétaire sans laquelle il ne peut y avoir dedéveloppement. C’est pourquoi nous exhortons les pays membres del’UEMOA à s’engager de manière résolue et irréversibles dans le processusvisant à l’avènement de la monnaie unique dans la CommunautéEconomique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cela marquera uneétape décisive vers le démantèlement de la Zone Franc et la disparition duCFA.

*Demba Moussa Dembélé est Economiste/Chercheur, Président de l’ARCADE

Source : Investig’Action

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« Aucun pays africain ne peut être Emergent avec le francCFA»*

Le professeur d’économie Nicolas Agbohou, par ailleurs auteur dulivre Le franc CFA et l’Euro contre l’Afrique affirme sans ambages que lefranc CFA plombe irrémédiablement l’économie des 15 pays africainsqui utilisent cette monnaie de singe. Il explique le mécanisme ducompte d’opérations et propose les solutions réalistes pour parvenir àla souveraineté monétaire de l’Afrique.

Entretien mené par Olivier Atemsing Ndenkop

Pr. Nicolas Agbohou. Photo DR

Qu’est-ce qui vous motive à parcourir le monde pour dénoncer lesméfaits du franc CFA dans les économies africaines ?

Plusieurs raisons : D’abord, je suis un Africain et en tant que tel je me sensinterpellé par les problèmes de l’Afrique. Ensuite, je vois objectivement ledanger qui arrive. Dans 34 ans, en 2050, l’Afrique aura 2 milliards

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d’habitants à nourrir. Il faut préparer la vie de ces 2 milliards de personnes.En d’autres termes, il faut changer de politique économique.

Or nous ne pouvons pas faire une politique économique sans la maîtrise dela monnaie. Donc, conscient de ce problème, je me suis appesanti sur leFranc CFA et après étude je me suis rendu compte que « franc CFA » voulaittout simplement dire « franc des Colonies françaises d’Afrique (CFA) ».

Pour continuer à piller l’Afrique après les indépendances formelles de 1960,le colon français a redéfini le franc CFA comme : le « franc de laCommunauté Française d’Afrique). Mais c’est un simple maquillage !

Pourquoi estimez-vous dans votre livre que le Franc CFA et l’Euro[sont] contre l’Afrique ?

Tout simplement parce que le franc CFA est d’origine nazie. Il s’agit d’unmécanisme mis sur pied pour permettre à la France de tirer profit nonseulement des richesses naturelles, mais aussi du travail des Africains. Lefranc CFA a été créé le 26 décembre 1945, conformément à l’article 3 dudécret 45/0136 par le général De Gaulle. Et le franc CFA qui veut dire lefranc des Colonies françaises d’Afrique est une monnaie purement colonialeinventée par et pour les intérêts des colons pour dévaster l’Afrique. Lasurvivance du franc CFA n’est que la perpétuation de cet appauvrissement.

Il y a 30 ans, l’économiste camerounais Joseph Tchuidjang Pouemidans son livre intitulé Monnaie, servitude et liberté, affirmait déjà quele franc CFA n’est qu’un instrument de « répression monétaire del’Afrique ». A votre avis cette répression monétaire a-t-elle toujourscours ?

Elle a toujours cours car lorsqu’on regarde les institutions de la zone francCFA, notamment le conseil d’administration des trois banques centrales, onvoit que les Français y sont présents et disposent du droit de véto.Autrement dit ce n’est pas son utilisation qui fait problème, mais le francCFA lui-même.

Son fonctionnement appartient à la France qui l’utilise pour ses propresintérêts et donc contre les intérêts des Africains. Aussi bien à la Banque desEtats d’Afrique centrale (BEAC) qu’à la Banque des Etats d’Afrique de l’Ouest(BCEAO) qu’à la Banque centrale des Comores (BCC), la France nomme desreprésentants qui disposent d’un droit de véto.

Autrement dit, si les Africains présents aux conseils d’administration de cesdifférentes banques décident de prendre des décisions qui défendent lesintérêts de l’Afrique en touchant aux intérêts de la France, ces décisions nepourront pas être validées puisque les Français voteront « contre ». Ce

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d’autant plus qu’il est clairement mentionné dans les textes régissant cestrois banques centrales que « les décisions se prennent à l’unanimité ».

Lorsqu’on parle du franc CFA, on évoque toujours le mécanisme du« compte d’opérations ». De quoi s’agit-il exactement ?

La zone franc CFA a quatre principes de fonctionnement :

1-La centralisation des réserves de changes qu’on appelle le compted’opérations. 2-Le principe de la libre convertibilité des francs CFA en francsfrançais hier et aujourd’hui en Euros. 3- Le principe de la fixité des parités.4- Le principe de la libre transférabilité des capitaux de la zone franc CFAvers la France.

En ce qui est du compte d’opérations, disons qu’il est d’inspiration nazie. Il aété appliqué à la France par les nazis et après la Libération, le général DeGaulle a décidé de l’appliquer aux Africains depuis 1945. Conformémentaux accords monétaires entre la France et l’Afrique, le principe de lacentralité des réserves des changes fonctionne de la manière suivante lesAfricains doivent déposer, et ils le déposent effectivement, l’intégralité deleurs recettes d’exportation dans des comptes ouverts à la banque centralede France.

De 1945 à 1973, quand les Africains exportaient par exemple les matièrespremières pour 100 milliards de dollars, ils déposaient tous les 100milliards de dollars dans le Trésor français. De 1973 jusqu’en 2005, s’ilsexportaient pour 100 milliards de dollars, les Africains étaient obligés dedéposer 65 milliards au Trésor français dans le fameux compted’opérations.

Depuis le 20 septembre 2005 jusqu’à la seconde où nous parlons (2014), onest passé à 50%. Ce qui veut dire que si les Africains exportent à hauteur de100 milliards de dollars ou d’Euros, de Yuans, etc. ils sont tenus de déposer50 milliards en France. S’en suivent plusieurs conséquences majeures :

Première conséquence majeure. Puisque le compte d’opérations estd’origine nazie, la France s’en est servie et s’en sert encore pours’approvisionner gratuitement en matières premières africaines.

C’est-à-dire que la France dit aux Africains d’exporter les matièrespremières dont elle a besoin pour 100 millions d’euros par exemple.Lorsque les Africains ont exporté, au lieu de les payer, la France prend sonstylo et écrit un signe PLUS dans le compte. Elle ne débourse aucune devise.Or si ce sont les Nigérians ou les Ghanéens qui exportent, la France estobligée de sortir 100 millions d’euros des coffres forts pour les payer.

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Ce qui revient à dire que le jour où les Africains vont se débarrasser dufranc CFA, la France sera obligée de débourser de l’argent pour payerdirectement et immédiatement l’intégralité de la facture des exportations.

Deuxième conséquence majeure. Puisque les Africains déposent desdevises en France, celle-ci s’en sert pour combler son déficit budgétaire oupour amortir, c’est-à-dire payer sa dette.

Troisième conséquence majeure. En contrôlant leurs devises, la Francemet les dirigeants africains au pas. Si un dirigeant de la zone CFA n’obéitplus aux ordres de la France, Paris bloque ses réserves de devises et mieux,il ferme les banques dans ce pays devenu « rebelle ». C’est ce que nousavons vu tout récemment en Côte-d’Ivoire avec Laurent Gbagbo. Et quandles banques sont fermées, aucun ménage, aucun chef d’entreprise ne peutsortir de l’argent pour nourrir sa famille ou payer les employés. En un mot,en fermant les banques, la France organise le chaos socio-économique. Ettoute la population se rebelle contre le dirigeant.

C’est ce qui s’est passé avec Gbagbo. Ne pouvant plus prendre des devises àla France, il a décidé de créer la monnaie ivoirienne et à partir de là ladécision a été prise pour le bombarder. Gbagbo n’est pas le premier et nesera malheureusement pas le dernier. Avant lui, il y a eu Sylvanus Olympiodu Togo dont la monnaie devrait être mise en circulation le 15 décembre1963. Deux jours avant, exactement le 13 janvier 1963, il a été froidementassassiné.

Donc ces trois conséquences majeures ou plutôt ces trois avantages pour laFrance à savoir l’approvisionnement gratuit en matières premièresafricaines, l’utilisation des devises africaines pour son propredéveloppement, une arme de mise au pas des dirigeants africains,constituent un puissant instrument utilisé par la France pour bloquerl’industrialisation de l’Afrique.

Au regard de tout ce que vous venez de dire on peut conclure quel’Emergence annoncée par les présidents africains relève d’une simplepropagande politicienne…

Il s’agit d’une simple chimère. Aucun pays ne peut être émergent avec lefranc CFA.

Quand vous quittez votre quartier pour aller en zone périphérique parceque vous touchez 100 000 F CFA et que vous êtes entré dans une associationqui vous prend 50 000 F CFA chaque fin du mois, vous pensezraisonnablement que vous quitterez subitement ce quartier de pauvrespour entrer dans le quartier des riches ? Non. Tant que les pays africains

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continueront à payer un« impôt » de 50% de leurs revenus extérieurs à laFrance, l’émergence socio-économique ne sera jamais possible.

En 2013, dans un rapport commandé par le gouvernement de sonpays, l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrinea proposé l’élargissement de la zone franc CFA à d’autres paysafricains. Comment percevez-vous un tel projet et quelles en sont leschances de réussite ?

Disons qu’Hubert Védrine est dans son rôle puisque c’est celui qui contrôlela monnaie qui contrôle le pays. Ainsi, s’il y a 15 pays africains qui utilisentle franc CFA, ces pays sont tous sous le contrôle de la France. Et s’il y ad’autres pays qui, parce que mal informés entrent dans la zone CFA, ce seraune très bonne chose pour la France. C’est pourquoi M. Védrine invite lesNigérians, les Ghanéens et d’autres pays à entrer dans la zone CFA pourjustement mieux les contrôler et prendre leurs énormes richesses.N’oubliez-pas que lorsque ces pays vont entrer dans la zone CFA, ils serontobligés de donner 50% de leurs énormes richesses à la France. On voit bienque le Nigéria n’est pas dans la zone CFA mais se porte mieux. Ce n’est pasau Nigéria que l’on meurt de faim ! Une fois de plus, Hubert Védrine est dansson rôle. Et il revient aux Africains de ne plus se laisser tromper.

Les pays africains qui n’ont pas le même niveau économique peuvent-ilsavoir une monnaie commune ? Effectivement ils le peuvent parce que c’estla monnaie qui fait créer la richesse. Ce qui fait rouler la voiture c’est lecarburant. Le carburant lui-même n’est pas la voiture. Mais c’est un produitindispensable qui fait rouler la voiture. Donc les pays africains, développésou non développés peuvent avoir une monnaie commune. La monnaie estune pièce centrale dans le triangle de souveraineté. Vous avez lamonnaie/économie, la défense et le droit positif qui constituent les anglesde ce triangle de souveraineté.

Comment expliquez-vous la relative avancée économique desanciennes colonies anglaises sur le continent africain ?

Justement, ces pays travaillent pour eux-mêmes. Contrairement aux pays dela zone franc CFA, les pays anglophones ne travaillent pas pour l’Angleterre.C’est aussi simple que ça ! Les pays anglophones sont véritablement libresde l’Angleterre qui est partie après la décolonisation.

Comme vous le constatez très bien à l’échelle planétaire, tous les paysanciennement colonisés par l’Angleterre se portent nettement mieux queceux de la zone franc CFA. La France n’est jamais partie. Au contraire, au furet à mesure que le temps passe, la France est omniprésente dans leséconomies africaines ; toujours avec le même prétexte : « nous sommes là

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pour aider les Africains ». Et les Africains au lieu de se réveiller ne font ques’endormir…

Le franc CFA est-il la cause de la déliquescence du système éducatifafricain qui se caractérise par des effectifs pléthoriques ?

Très bien. L’exemple d’un ménage qui gagne 100 000 F CFA que nous avonspris plus haut est assez illustratif ici. Quand l’Etat se voit privé de 50 % desa richesse à travers le compte d’opérations, les dépenses sur l’éducationnationale et les hôpitaux diminuent. C’est ce compte d’opérations quiexplique les budgets squelettiques de l’éducation nationale dont vousparlez. Au lieu de construire beaucoup d’écoles, l’Etat en construit moins !

Vous comprenez maintenant pourquoi les hôpitaux deviennent desmouroirs en Afrique francophone. Lorsque vous regardez les moyens detransport collectif, les gens sont entassés les uns sur les autres comme dessardines dans une boite de conserve. Ce n’est pas un hasard parce que lesmoyens importants qui devraient être utilisés pour le transport sont donnésà la France.

Est-ce qu’il vous arrive de parler de ces méfaits du franc CFA avec deshommes d’Etat africains et qu’est-ce qui vous en disent ?

J’ai rencontré quelques dirigeants africains dont Mathieu Kerekou àl’époque président du Benin. Il m’a dit qu’il ne connaissait pas ce système. Ilen était totalement ignorant. J’en ai parlé avec le gouverneur de la BCEAO,Konan Banny qui m’a dit qu’il m’invitera pour que je puisse en discuter avecses collaborateurs. J’ai rencontré Mamadou Koulibaly à l’époque présidentde l’Assemble nationale de Côte-d’Ivoire. Sans oublier les présidents LaurentGbagbo et Jacob Zuma. Lorsque j’ai expliqué le fonctionnement du franc CFAau président sud-africain, Jacob Zuma, il n’en revenait pas. Et il a déclaréceci : « c’est exactement de la colonisation. Car c’est lorsque vous êtes unecolonie que vous payez des impôts au pays colonisateur ! ».

La plupart de pouvoir d’Etat obtenu dans la zone franc CFA, vientdirectement de Paris. Les dirigeants qui sont portés au pouvoir par cettevoie-là ne peuvent pas se révolter contre leur employeur. On va vous diredémocratie par-ci ; mais vous savez que ne vient pas au pouvoir qui veut.C’est Gbagbo qui a fait l’exception qui confirme la règle. Et on sait commentil a fini !

Comment sortir de cette situation qui a tout l’air d’une impassemonétaire pour les pays de la zone franc CFA ?

En prenant conscience que cette monnaie nuit gravement à leur bien êtresocio-économique, les Etats africains doivent tout simplement se retirer de

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la zone CFA. Et en lieu et place, battre une monnaie typiquement africaine,gérée par et pour les intérêts des Africains. Ainsi, les pays africains vontéliminer la France dans leur gestion et toutes les devises qu’ils vont gagnervont rester en Afrique. Elles seront utilisées pour pouvoir importer deséquipements dont les Etats africains ont besoin pour s’industrialiser. Ainsi,ils transformeront eux-mêmes les matières premières africaines en Afrique.

Je dois absolument préciser que pour créer une monnaie on a besoin detrois jours. Pas plus. Le premier jour, le gouvernement prend la décision decréer la monnaie et fait un projet de loi qu’il envoie au parlement. Lelendemain, c’est-à-dire de deuxième jour, les parlementaires approuvent. Letroisième jour, on déclenche les machines à l’imprimerie et la monnaie estcréée.

Il faut que les Africains se réveillent. Qu’ils comprennent que c’est celui quidomine la monnaie qui domine tout le pays. Il est temps que chaque jeune,où qu’il se trouve s’engage dans ce débat en intégrant le Mouvement pour laSouveraineté économique et Monétaire Africaine (Mosema). Créé en Côte-d’Ivoire, le Mosema installe ses sections partout en Afrique.Nous sommespersuadés que si les jeunes comprennent cela, un moment viendra où ilsvont déclencher un mouvement de contestation des institutions de la zonefranc CFA simultanément pendant une semaine dans tous les 15 pays de lazone CFA. Ce qui va aider ou contraindre les dirigeants à prendre la bonnedécision. Ils vont constater que partout on conteste le franc CFA et ilsn’auront plus d’autre choix que de créer une monnaie africaine.

Voulez-vous nous dire que le franc CFA n’est pas une fatalité pour les15 pays qui l’utilisent depuis tant d’années malgré sa nocivité ?

La force du franc CFA provient de l’ignorance des Africains. Je lescomprends. Le franc CFA n’est pas inscrit dans les programmes scolaires etmême universitaires.

Mais, dans la vie il faut retenir une chose : c’est l’esclave qui se libère lui-même de son esclavagisme. C’est l’opprimé qui se libère de son oppresseur.La liberté, peu importe qu’elle soit économique ou politique s’arrache. Ellene se donne pas. Donc il appartient aux Africains de prendre conscience desméfaits du franc CFA et de se révolter pour liquider cette monnaie de singe.

Il n’y a pas de fatalité. Chaque génération à sa lutte. Celle de la générationactuelle est de liquider le franc CFA et de mettre en place une monnaieafricaine contrôlée par les Africains et pour les intérêts des Africains. Poursortir, je tiens à préciser que pour créer une monnaie, je le répète, il fauttrois jours. Pas plus. Le premier jour, le gouvernement prend la décision decréer la monnaie et saisi l’Assemblée nationale à travers un projet de loi. Le

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deuxième jour, les députés examinent et approuve le projet de loi. Letroisième jour, la loi est promulguée et on actionne les machines àl’imprimerie. La monnaie est disponible. Le pays a sa monnaie et en usepour son développement.

Nous connaissons des pays africains qui ne sont pas dans la zone CFA,mais ne se portent pas mieux économiquement…

Vous avez raison. On vous dira d’ailleurs qu’un pays comme la GuinéeConakry par exemple a décidé de sortir de la zone CFA avec Sekou Tourémais n’a pas réussi à construire une économie forte. C’est un fait. Mais, pourle cas de la Guinée, on oublie toujours de dire que la France a inventé lafausse monnaie qu’elle a déversée au pays de Sekou Touré, l’homme qui aosé s’opposé au général De Gaulle en disant NON à la communauté françaiseen 1958. Il avait dit que les Guinéens préféraient la liberté dans la pauvretéà la richesse dans l’esclavage. Depuis lors la France a décidé de saboter sesactions.

Parlant des pays africains qui utilisent leur propre monnaie mais ne sontpas développés, il faut dire qu’ils n’appliquent pas le deuxième principe quiest la transformation locale des matières premières. Après la création de lamonnaie, les Etats africains doivent obligatoirement créer de la valeurajoutée en transformant les matières premières agricoles, minières eténergétiques sur le continent. Cette transformation conduira àl’industrialisation de l’Afrique et à la création des emplois pour les Africains.

Source : Investig’Action

*Interview parue dans Le Journal de l’Afrique n° 003, octobre 2014.

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QUELLES SOLUTIONS POUR LE CFA ? Les propositions pour sortir de la situation prennent

essentiellement quatre axes essentiels : la révision des Accords, lamonnaie souveraine, la monnaie commune africaine et la monnaiebinaire. Le présent article présente de manière synthétique ces quatresolutions, avec leurs avantages et leurs limites.

Par Dieudonné ESSOMBA*

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Le CFA ouvre les économies qui l’utilisent au-delà des limitesoptimales, empêchant la régulation des déficits commerciaux et ledéveloppement d’une industrie locale. Il s’agit là d’une importante limitequi paralyse les politiques économiques des pays concernés et vient ajouterune contrainte supplémentaire sur des pays déjà fortement affectés par despénalités multiples : marché local segmenté, faible industrialisation, etc.

I. La Révision des Accords Monétaires

La révision des Accords Monétaires vise à modifier certains paramètresdu fonctionnement de la Zone franc. C’est la solution vers laquelle sedirigent spontanément les pouvoirs publics des pays de la Zone, la France et

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les Banques Centrales qui ont en charge la gestion de cette monnaie. Ilsemble que cette position soit aussi, pour la majorité, celle des économistesuniversitaires.

Les propositions de modifications techniques portent essentiellementsur deux points. Le premier est la réduction des réserves obligatoires àdéposer au Trésor français. Cette solution récurrente, puisqu’ayant déjà eulieu en 1972, propose par exemple de passer de 50% à 35% des recettes endevises. Toutefois, nonobstant le seuil de 50% officiellement fixé, lesréserves déposées dépassent largement ce seuil, laissant suggérer unpotentiel de ressources oisives, volontiers imputées à la mauvaisegouvernance des dirigeants africains de la Zone.

En fait, c’est une mauvaise lecture des choses : il faut toujours avoir àl’esprit qu’étant une monnaie-devise, le CFA physique (billets et pièces)n’est émis qu’en contrepartie de ces réserves. En effet, ces réservesconstituent un impératif de garantie de la France et celle-ci ne peut garantirdes sommes situées au-delà de ces réserves, d’où l’identité absolue entre levolume de la monnaie centrale et les réserves.

Autrement dit, ce sont ces réserves qui garantissent les billets et piècesqui circulent dans la Zone. Réduire les réserves, c’est automatiquementréduire cette monnaie centrale et par ricochet réduire la masse monétaire,autrement dit, la liquidité de l’économie. D’un point de vue technique, il n’ya aucun avantage à réduire le stock de réserves gardées par le Trésorfrançais.

La seconde proposition est l’assouplissement de l’arrimage à l’Euro.Cette mesure s’impose notamment à cause d’un Euro qui obère lacompétitivité des économies africaines, d’où l’intérêt d’un taux de changeflottant permettant d’ajuster les balances courantes.

Mais une telle mesure enlèverait tout intérêt au CFA dont ellesignifierait la mort de fait. En effet, à quoi serviraient alors les devisesstockées par la France si la valeur de la monnaie qu’elles sont censéesgarantir peut fluctuer indépendamment de ce stock ? Toute fluctuation duCFA autour de l’Euro supposerait donc le décrochage de cette monnaie dustock qui la garantit et on ne voit pas logiquement comment la Zone Francpourrait survivre à une telle mesure, ni sur quoi on pourrait logiquement lafonder.

En définitive, il n’existe pas de réforme de la Zone Franc susceptible deréduire la contrainte qu’elle fait peser sur les économies africaines. C’est unsystème intrinsèquement irréformable et c’est ce qui fonde l’intérêt desautres solutions.

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II. La Monnaie Souveraine

La solution de la monnaie souveraine consiste, pour les pays de la zoneFranc , à adopter leur propre monnaie, à l’exemple du Ghana. L’AccordMonétaire qui lie 15 Etats africains à la France a prévu des révisions, voiredes dénonciations, et des pays comme la Guinée, la Mauritanie, Madagascarou le Mali en sont d’ailleurs sortis, même si ce dernier est revenu. Il n’existedonc pas d’entrave juridique particulière à ce qu’un pays dénonce cetaccord et prenne l’initiative de créer sa propre monnaie. En fait, le maintiendu CFA apparaît davantage lié à l’habitude, la peur de l’inconnu et lesyndrome de l’orphelin, les Africains y trouvant une sorte de totem communqu’il faut ménager après le départ de leur mère. On peut ajouter le doutelargement partagé sur la capacité des dirigeants politiques à gérer unemonnaie et la faible mobilisation des économistes nationaux, notammentuniversitaires, sur le sujet.

Mais peut-être le plus simple consiste à examiner l’intérêt d’unemonnaie nationale. Il faut savoir que toute monnaie nationale est assujettieà deux exigences contraires :

1. La stabilité : la première qualité d’une monnaie est sa stabilité dansle temps. Cette qualité est nécessaire pour les trois missions instrumentalesde la monnaie qui sont l’étalon de mesure (un étalon ne change pas du jourau lendemain), un instrument d’échange (qui doit être fiable) et uninstrument d’épargne (on n’épargne plus lorsque la valeur de l’épargne peutse dégrader à vue d’œil).

Les pays développés stabilisent leur monnaie par leur puissanceproductive. Ils contrôlent leur système intérieur qui produit l’essentiel desbiens manufacturés qu’ils consomment et, en plus, ils contrôlent lesmatières premières à travers leurs multinationales, les rapports coloniauxqu’ils ont pu établir et le fait qu’ils en soient des débouchés exclusifs.

Les choses changent pour un pays technologiquement dépendant. Dufait que ses approvisionnements viennent essentiellement de l’extérieur, il ne peut stabiliser sa monnaie qu’en l’alignant sur une monnaie étrangère,généralement celle de la puissance avec laquelle il commerce en priorité.Autrement dit, il doit accepter que sa monnaie ne soit qu’une variante localede la monnaie internationale qui lui sert de socle. C’est pour cette raisonque certains pays optent pour la monnaie-mère, en la spécifiant avec le nomde la nationalité : livre égyptienne, dollar zimbabwéen ( le pays de RobertMugabe a adopté le Yuan chinois comme monnaie nationale fin 2015), pesocubain, etc.

La monnaie nationale apparaît alors comme un sous-multiple de la

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monnaie dont elle copie ouvertement le nom, mais aussi un engagement àne pas se décrocher de cette valeur. D’autres pays opteront pour un nomlocal, mais la démarche restera la même. De ce point de vue, le Naira auraitpu s’appeler « dollar nigérian » que cela ne changerait rien à son mode defonctionnement.

2. La Flexibilité : Cependant, une monnaie nationale est confrontée àune autre exigence opposée à la stabilité. C’est sa flexibilité par rapport auxmonnaies étrangères, c’est-à-dire la possibilité de modifier son taux dechange. La flexibilité va s’imposer chaque fois que le pays importe plus qu’ilne vend. Il accumule alors des déficits dans sa balance courante, ce qui setraduit concrètement par des dettes qu’il devra bien payer un jour car lesautres pays ne sont pas ses esclaves et n’ont pas à lui donner leurs bienssans contrepartie. Pour éviter cette situation, le pays doit dévaluer samonnaie. La dévaluation rend les importations plus chères, ce qui réduitleur volume et limite la saignée des devises. En même temps, elle permetaux entreprises locales de gagner en compétitivité et d’import-substituercertains biens initialement importés et rendus trop chers par la dévaluation.

Comme on le voit, la stabilité et la flexibilité sont deux exigencesimpérieuses mais antagoniques qui s’imposent à toute monnaie nationale,et cet antagonisme va soumettre la gouvernance monétaire à très rudeépreuve. La contradiction se résout facilement si une dévaluation de faibleampleur a un grand impact dans la production locale. Par exemple, unedévaluation de 10% donne une importante possibilité aux entrepriseslocales de rattraper leur déficit de compétitivité par rapport à leurs rivalesétrangères. Dans ce cas, le pays gère son développement à travers desopérations permanentes de dépréciation-appréciation de sa monnaie qui luipermettent de stabiliser son équilibre extérieur tout en évitantd’importantes fluctuations des prix.

Mais il s’agit là d’une circonstance assez exceptionnelle qui neconcerne que les pays dont l’industrie est déjà assez diversifiée pour réagirà de petits mouvements de change de la monnaie nationale.

Quant aux autres pays dont le système productif n’a pas les capacitésd’agir, ils n’ont que deux destins possibles :

-soit le pays tente désespérément de combattre les déficits courants àtravers une spirale de dévaluations, auquel cas la valeur de la monnaie sedélite ;

-soit le pays prend acte que la politique monétaire n’a aucun effet etrecourt plutôt à l’austérité, ce qui est exactement la situation qu’impose leCFA.

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En définitive, l’adoption d’une monnaie souveraine pour un pays quin’a pas d’industrie aboutit toujours soit à une destruction de la monnaie sile pays s’acharne à jouer sur la politique monétaire, soit à une situationd’austérité permanente analogue au CFA.

La mise en place d’une monnaie souveraine dans un pays comme leCameroun par exemple ne peut pas être une solution dans sa situationéconomique actuelle. Déjà, l’énorme dévaluation de 50% du CFA en 1994avait certes réduit les importations et restaurer les équilibres, mais lesystème productif n’avait nullement réagi pour remplacer les importationspar la production locale. Bien au contraire, face à la baisse du pouvoird’achat, les Camerounais ont répondu par des importations toujoursmassives de biens davantage dégradés : brocante européenne plus uséeencore, pacotille chinoise plus mal faite encore, rebus de riz venant deThaïlande et destiné aux animaux, etc.

III. La Monnaie Commune Africaine

La troisième solution est la mise en place d’une monnaie souveraine,mais à l’échelle de l’Afrique. Initiée dès les Indépendances par lespanafricanistes, elle constitue l’un des thèmes les plus actifs et, auCameroun, elle connaît une résonnance particulière avec l’action d’HubertKAMGANG autour duquel se sont réunis d’autres économistes nationaux ouétrangers.

La Monnaie Commune a l’avantage de s’appliquer à l’échelle d’ungigantesque continent d’un milliard d’habitants, disposant d’importantesrichesses et donc de marges importantes d’ajustements internes pouréquilibrer ses déficits extérieurs et maintenir le cours de sa monnaie. Deplus, du fait de cette taille, le continent africain pourrait plus rapidementdévelopper une industrie compétitive pour produire une bonne partie desproduits manufacturés, limitant ainsi les besoins d’alignement de samonnaie sur les monnaies extérieures.

De ce point de vue, la Monnaie Commune serait une bonne solution, sielle n’était malheureusement confrontée à d’importantes difficultésopérationnelles pour sa mise en œuvre. Tout d’abord, le projet date de 1963et revient sporadiquement sous la forme de quelques conférencesmédiatisées, mais sans véritable avancée. Seul, feu le Président Kadhafi amarqué une grande volonté à le matérialiser, mobilisant à cet effetd’importantes ressources, mais après sa mort le projet a repris soncaractère essentiellement médiatique.

Mais au-delà de cette absence de volonté se pose le problème plusfondamental du type d’association des Etats requis pour cette monnaie

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commune. Techniquement, une telle initiative ne fonctionne qu’à l’intérieurd’une fédération, le pouvoir fédéral se chargeant alors de rééquilibrer lesdéficits des divers Etats fédérés par des transferts ou des opérationsd’aménagement du territoire. L’expérience des pays européens en fournitl’illustration : nonobstant le niveau de vie très élevé, lesintercommunications intenses et la petitesse géographique de l’UE, l’usagede l’Euro, monnaie commune appliquée à des Etats souverains, n’a paspermis d’éviter des crises sévères à quelques-uns d’entre eux, l’exemple leplus récent étant la Grèce. Une situation inenvisageable avec unefédération.

Or, l’Afrique est formée d’Etats indépendants, politiquement segmentéset économiquement divergents. Le niveau de vie est très faible, lesinterconnexions en transport et en communication pratiquementinexistantes. L’instauration d’une Monnaie Commune dans un ensembleaussi hétéroclite ne peut qu’aggraver la situation des pays les plus faibles,sans la possibilité de les redresser avec leur monnaie nationale, ni debénéficier des transferts compensatoires d’une fédération. Dans cesconditions, la Monnaie Commune devrait davantage s’inscrire comme unecomposante du projet plus général d’un Etat Fédéral Africain.

4. La Monnaie binaire

La monnaie binaire est une solution qui fait cohabiter, à l’intérieurd’un même système productif, une monnaie majeure totalementconvertible, comme le CFA, avec une monnaie mineure dont le pouvoird’achat est réduit aux produits locaux. Concrètement, il s’agit clairement decréer, à côté du CFA, une monnaie locale inconvertible représentant 20% dela masse monétaire.

Techniquement, la monnaie binaire participe de la catégorie desmonnaies complémentaires répandues en Europe tels que le WIR en suisse,le Chimgauer en Bavière, le Ries en Belgique, l’Ithaca aux USA ou le Palmasau Brésil. La différence essentielle est qu’à l’inverse de ces expériencescitoyennes et localisées, la monnaie binaire a un caractère institutionnel etnational.

L’efficacité de la monnaie binaire repose sur le raisonnement suivant :lorsqu’un Camerounais par exemple veut acheter des vêtements, il vapresque à coup sûr vers la friperie européenne ou les habits chinois, carceux-ci sont moins chers ou plus perfectionnés que les vêtements produitsau Cameroun. Comme tous les vêtements se vendent en CFA, les produitscamerounais sont battus, et le développement d’une industrie nationale del’habillement devient impossible.

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Mais, si le même Camerounais disposait en même temps du CFAnormal et du CFA local, il serait obligé de consacrer le CFA local aux produitslocaux et par suite, aux habits camerounais car il ne peut rien acheter àl’étranger avec cet argent. Comme il est déjà habillé, il ne trouvera plusintérêt à importer des vêtements ; il dépensera donc son CFA normal qui estconvertible à l’achat des biens difficiles à produire localement, du fait deleur technicité et de leurs coûts.

Ainsi, la monnaie binaire nettoie le marché intérieur de biens importésd’un niveau technique faible, au profit d’une production locale trèsdiversifiée portant sur l’agroalimentaire, l’ameublement, l’outillage,l’habillement, les médicaments génériques et l’électroménager, n’accueillantque les produits importés de haut niveau technique. De ce fait, elledéclenche un cercle vertueux du développement impossible autrement dansun pays sous-développé comme le Cameroun.

La technique de la monnaie binaire est peu coûteuse et facile à mettreen place, elle peut prendre plusieurs formes, y compris la forme d’unemonnaie citoyenne, créée et gérée par des associations. On peut doncconcevoir plusieurs formules pour les pays de la zone Franc. La formule laplus intéressante est la Monnaie-Trésor : elle consiste simplement àdonner aux obligations du Trésor un pouvoir monétaire sur les bienslocaux.

Les Obligations du Trésor qui sont des reconnaissances de dettes quel’Etat peut émettre au cours des emprunts obligataires ou lors de latitrisation de sa dette (Obligations à Coupons Zéro). Elles disposent d’undélai de règlement où l’Etat est obligé de racheter sa dette et, entretemps,l’Etat paie des intérêts au bénéficiaire. Mais si ce titulaire a besoin d’argentfrais, il doit aller vendre son obligation au marché financier, généralementavec une décote.

La Monnaie-Trésor consiste à supprimer l’étape de la vente au marchéfinancier et à utiliser directement ces obligations comme de la monnaielorsqu’il s’agit de biens locaux. Ainsi, une telle obligation permettrait derégler directement une facture d’électricité ou des frais d’hospitalisation,exactement comme s’il s’agissait du CFA lui-même.

La principale réforme est de lui conférer les mêmes coupons que leCFA, avec des billets de 500, 1000, 2000, 5000 et 10.000 FCFA.

Fonctionnement de la Monnaie-Trésor : La Monnaie-Trésor apparaît dupoint de vue financier, comme les obligations du Trésor et, du point de vueéconomique, comme un système de bons d’achat.

En tant qu’obligation du Trésor, l’Etat s’oblige à les rembourser à

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échéance en payant les intérêts dus. Cette précaution obligera l’Etat à êtretrès prudent dans leur émission. Mais en même temps, c’est un pouvoird’achat que l’Etat peut récupérer à travers ses impôts et ses autres recettes,ce qui lui permet d’éteindre directement ses dettes.

Le système est conçu de manière à rendre le recyclage des titres enMonnaie-Trésor plus attractif que leur conservation à échéance. Cetteattractivité est obtenue, non seulement à travers des taux d’intérêt et unterme judicieusement choisis, mais aussi à travers le volume de transactionsutilisant cette seconde monnaie. D’où la nécessité d’une plateforme de bienset services stratégiques où le pouvoir libératoire est obligatoire etéquivalent à la valeur faciale de la monnaie-Trésor.

Cette plateforme comprend d’abord toutes les recettes publiques, etnotamment les impôts, les factures des hôpitaux, les frais de scolarité, lepéage ou les amendes. S’y ajoutent les services d’hôtels à participationspubliques, les loyers de l’organisme national en charge des logementsociaux comme la SIC au Cameroun, le transport urbain, le transportferroviaire, la poste, le téléphone, les services de la Télévision, de la radionationales ainsi que des biens stratégiques sur lesquels l’Etat a une certaineemprise, tels que l’électricité, l’eau, les tôles, le ciment, le fer à béton, lesproduits en aluminium, l’huile de palme, le sucre, le pétrole, le gaz, etc. Apports de la Monnaie-Trésor : La Monnaie-Trésor dispose d’un grandnombre d’avantages parmi lesquels :

-la compatibilité avec les engagements internationaux : la Monnaie-Trésor vient du fait qu’elle s’intègre harmonieusement dans le paysage desinstruments financiers du pays, sans le moindre bouleversement ; elle restecompatible avec les règles de la BEAC, de la CEMAC, de la BCEAO et del’UEMOA puisqu’il ne s’agit que d’un système de bons d’achat. Elle ne violeaucun engagement vis-à-vis de l’Accord de Partenariat Economique et del’OMC.

-la sécurité : la Monnaie-Trésor est assurée d’une garantie absolue,puisqu’il s’agit des obligations du Trésor, c’est-à-dire, des engagements quel’Etat prend pour rembourser les créanciers à échéances et en CFA. Cesengagements sont encadrés par des mécanismes prudentiels et la BEAC parexemple. L’Etat ne peut donc pas les émettre en désordre, sans tenir comptedes risques que lui-même court.

-le coût : le seul coût de la Monnaie-Trésor se réduit à l’émission de cestitres dont le volume maximum représente 20% de la masse monétaire. Cevolume est suffisant pour nettoyer les 15 pays de la zone Franc de tous cesbibelots qui aspirent la substance productive;

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-la souplesse : comme toutes les expériences de monnaiescomplémentaires, la Monnaie-Trésor est réversible car, si des problèmesimportants surgissent, il suffirait de la retirer ; elle est également divisible,ce qui permet son expérimentation à l’échelle d’une région ou d’un secteurd’activité.

Impacts de la Monnaie-Trésor : Les principaux effets immédiats dela Monnaie-Trésor sont les suivants :

-le règlement de la dette de l’Etat : la dette intérieure de l’Etat estdirectement titrisée, sous la forme des Obligations à Coupon Zéro que lesbénéficiaires impatients vont utiliser comme monnaie. Celle-ci finit paratterrir, au cours de sa circulation, dans les caisses de l’Etat, entraînantautomatiquement l’annulation de la dette publique en CFA puisquepersonne ne se présentera plus à échéance pour la réclamer.

-la régulation du budget de l’Etat : la Monnaie-Trésor permet à l’Etat derégler tous ses engagements à échéances, par émission automatique de laMonnaie-Trésor en cas de déficit de la Trésorerie.

-une politique monétaire originale et nouvelle : la Monnaie-Trésordonne la possibilité aux pays de la zone Franc de mener une politiquemonétaire originale. Il peut équilibrer la balance courante, sans recourir àla dangereuse dévaluation compétitive qui peut basculer dans une spiralerécurrente et détruire la monnaie, mais en jouant simplement sur lamodification des deux masses monétaires. Par exemple, pour réduire ledéficit actuel, il suffit de retirer une partie de CFA normal en lui substituantune quantité équivalente de Monnaie-Trésor.

-une protection économique impossible à fracturer : à l’opposé desautres formules de protection, le titulaire de la Monnaie-Trésor ne peut rienfaire d’autre que l’utiliser pour les biens locaux, ce qui génère un marchécaptif totalement hermétique et capable de faire survivre une industrienationale viable, au milieu de la compétition la plus rude et la plusirrégulière. Contrairement à la monnaie souveraine, cette monnaie a uneefficacité même en l’absence d’une économie compétitive.

-une nouvelle politique de subvention agricole : l’Etat peutsubventionner massivement le secteur agricole, notamment en soutenantles prix et en les stabilisant, malgré les cours extérieurs. Il suffirait ainsi definancer le supplément du prix en Monnaie-Trésor, ce qui est impossibleavec le CFA qui a tendance à sortir et à déstabiliser l’équilibre du système.

-une politique de relance par la consommation : la situation actuelled’un pays utilisateur de franc CFA comme Cameroun par exemple ne luipermet pas d’agir sur la demande, en augmentant les salaires des agentspublics, ou en restaurant la bourse aux étudiants, car l’effet immédiat seraitle déversement de cet argent à l’extérieur en achats de riz thaïlandais, de

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jouets chinois ou de vieux vêtements européens. La Monnaie-Trésor permetde mener une telle politique, qui se révèle si importante pour la relance del’économie, car le pouvoir d’achat ainsi distribué est bloqué au profit desentreprises locales.

-les engagements extérieurs cessent d’être une préoccupation : l’un desplus grands apports de la Monnaie-Trésor est de contourner les menacesidentifiées par l’Accord de Partenariat Economique, ainsi que les autresengagements de l’OMC, tout en respectant scrupuleusement lesengagements. De même, la Monnaie-Trésor qui n’est qu’un système de bonsd’achat est parfaitement compatible avec la Zone CFA et les mécanismes defonctionnement de la BEAC et de la BCEAO.

En définitive, l’émission de la Monnaie-Trésor entraînel’amélioration de la liquidité de l’économie en même temps qu’elle crée unpouvoir d‘achat additionnel qui présente l’avantage d’être captif c‘est-à-dire de ne pouvoir s’écouler à l’extérieur. La conséquence est uneamélioration considérable de la compétitivité des PME/PMI locales quientraîne l’augmentation de la production locale. Tous les secteursindustriels ne réclamant pas une technologie trop évoluée deviennentviables et peuvent prospérer : habillement, outillage, petits enginsmotorisés, médicaments génériques, industries de montage, industrieslégères, etc.

En outre, les économies d’échelle qui imposent une taille minimalepour certaines unités industrielles n’agissent plus de manière radicale : despetites brasseries ou des petites cimenteries incapables de résister à lacompétition internationale fleurissent sur tout le territoire.

Les simulations confirment que la Monnaie-Trésor permettrait auCameroun d’atteindre rapidement une croissance supérieure à 8% pendantplus de vingt-cinq ans, sans déficit commercial.

* Ancien chargé d’Etudes au Ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, économiste, auteur de : Une Voie de Développement de l’Afrique, la Monnaie Binaire, Editions du CAES, 2010.

Source : Investig’Action

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