Journal d'automne

21
AU TOM NE

description

 

Transcript of Journal d'automne

Page 1: Journal d'automne

1

AuToMnE

Page 2: Journal d'automne

3

2

soMMairEtg sTan 10Mladen Materic - Théâtre Tattoo 12steven Cohen 13alexandre Tharaud & Les Eléments 17Janni Younge - Handspring Puppet Company 18Purcell / Candel - achache - Hubert 19Toshiki okada - Chelfitsch 22Pierre Henry / au Capitole 23Maguy Marin 24r.W. Fassbinder / Gwenaël Morin 26Novelum / festival proposé par éole 30Robert Ashley : 3 Works / avec Thomas Buckner 31romina Paula - Cie El silencio 32L'Instant Donné joue Stockhausen 33Trajal Harrel 35De Warme Winkel 36Cirque Trottola et Petit Théâtre Baraque 37Prokofiev / Maguy Marin / Ballet de l’opéra de Lyon / à odyssud

AuToMnEAprès la répétition / ingmar Bergman / tg sTanUn Autre nom pour ça / Mladen Materic - Théâtre TattooSans titre (pour raisons éthiques et légales) / steven CohenLe Visage - Le Cœur / alexandre Tharaud & Les Eléments / à odyssud

Ouroboros / Janni Younge - Handspring Puppet Company / au TnT

Le Crocodile trompeur - Didon et Enée / Purcell / Candel - achache - HubertGround and Floor / Toshiki okada - ChelfitschApocalypse de Jean / Pierre Henry / au Capitole

Umwelt / Maguy MarinAntiteatre / r.W. Fassbinder / Gwenaël MorinNovelum / festival proposé par éole

Robert Ashley : 3 Works / avec Thomas Buckner Fauna / romina Paula - Cie El silencioL'Instant Donné joue StockhausenAntigone Sr / Trajal Harrel We are your Friends / De Warme Winkel Matamore / Cirque Trottola et Petit Théâtre Baraque

HivErCendrillon / Prokofiev / Maguy Marin / Ballet de l'opéra de Lyon / à odyssud

Mirrors - Shadows / EXauDi Prises / Reprises & Minute papillon / Denis MariotteLa Belle et la Bête / Jean Cocteau / Philip Glass / à odyssud

Giù / Cia scimone sframeliPetit Eyolf / Henrik ibsen / Jonathan Châtel - Cie ElkBuilt to Last / Meg stuart - Damaged Goods iFEEL2 / Marco Berrettini - *MELK ProDPierrot Lunaire / arnold schönberg - Johannes schöllhorn / L'instant Donné Onomatopee / tg sTan, De Koe, Maatschappij Discordia, Dood Paard

PrinTEMPsSujet / le Gdra - Christophe rulhes & Julien CassierEcouter - Voir (la musique) / Pesson - Pattar - Gadenstätter / L' instant DonnéVision Disturbance / Christina Masciotti / richard Maxwell / new York Express

Seagull (Thinking of you) / anton Tchekhov / Tina satter / new York Express

Bronx Gothic / okwui okpokwasili / new York Express

Plexus / pièce d'aurélien Bory pour Kaori itoL’Homme au crâne rasé / De KoeLes Pigeons d'argile / Tanguy viel & Philippe Hurel / au Capitole

Le Capital / Karl Marx / sylvain CreuzevaultTrahisons / Harold Pinter / tg sTanMauricio, John, Dieter, Luciano et les autres / collectif BinooculaireFestival La Voix est Libre /

saison

Page 3: Journal d'automne

5

4

À la fin d’underground de Kusturica, le cinéaste et l’ami de Mladen Materic, une portion du pays se détache et s’éloigne en une lente dérive, emportant la terre, les arbres, l’herbe et le peuple qui naît ainsi à l’exil. Le théâtre que Mladen Materic promène depuis des années à travers l’Europe est ce pays errant, cette terre voyageuse qui doit tout emporter jusqu’à ses racines. L’exil, bien réel celui-là, qu’imposa le conflit yougoslave à Mladen Materic et au Théâtre Tattoo ressemble à s’y méprendre à ce destin d’errant dont son théâtre et le théâtre en général à depuis toujours l’intuition. on s’abrite aujourd’hui encore derrière les figures intimidantes, revêches et infertiles du théâtre engagé, « social ». on ne veut pas voir que c’est dans ces prémonitions poétiques les moins bavardes que le théâtre est véritablement politique. Les moins bavardes… Pas un mot justement n’est prononcé sur le plateau ciselé de Mladen Materic. Tout a lieu dans une précision fantomatique : le monde a-t-il vraiment lieu ? nous interrogent ses mises en scènes où chaque élément quotidien s’ajointe en autant de constellations lointaines. Le mariage, la guerre, le temps, l’enfance, le désir surgissent à travers des allégories graves ou naïves, laconiques. si la Grande ourse ressemble bel et bien à une casserole, c’est bien dans le théâtre de Materic qui cherche l’or dans la trivialité des jours et des heures, des conflits, des habitudes, des espoirs, des rites, des cuisines… Jour de fête, Le ciel est loin, la terre aussi, Petit spectacle d’hiver : les titres s’égrènent en une caravane tendre et brinquebalente. simple, mystérieuse et silencieuse comme la nuit, chacune des mises en scène du Théâtre Tattoo est une escale où quelque chose d’ailleurs nous est offert, où quelque chose de nous s’en va. Libéré comme chez Kantor de l’ordre de dire, occupé à faire apparaître, à montrer, le théâtre de Materic est à vif, fragile, sur le fil et si peu français… parce que décidément funambule entre la question qu’il pose et la réponse qu’il attend. Mladen Materic cherche depuis toujours un « passage du nord-ouest » : ni mime, ni danse, ni silence, ni texte, ni théâtre, ni installation. aujourd’hui, après l’errance d’ulysse et le ciel carrelé de la cuisine de Peter Handke dont Materic partage le souci poétique pour le détail quotidien, séquence 3 explore une voie nouvelle : un théâtre

tgSTAN

installation sans début, ni fin véritable, anneau de Moebius à travers lequel les spectateurs sont invités à entrer et à sortir, à leur gré. il fut un temps où l’on entrait à cheval à la messe, où le public parlait au théâtre, nicolas Bouvier décrit les amateurs de Kabuki sortant fumer une cigarette, boire une tasse de thé et entrant de nouveau, en se courbant pour ne pas déranger. Mladen Materic sait que le théâtre, l’art, se travaille aussi sur ses marches, ses rituels. il faut rendre l’œuvre et la vie perméable l’un à l’autre et pour cela atténuer la rampe qui les sépare. D’où cette séquence montée en boucle, cette scène bâtie sur le hors-champ et ce fusil, en guise de brigadier… Materic nous convie à regarder ce qui arrive. vision d’un monde quotidien dont la somme des gestes et des intentions de chacun entraînera la destruction ou la paix, l’amour ou la trahison. un quotidien fauteur de guerre d’où pourrait jaillir le pire ? où le théâtre va-t-il

«… tous écoutaient en silence la chanson jusqu’au bout et, patients et pleins de retenues, ne trahissaient en rien leurs états d’âme ; ils gardaient les yeux rivés sur le petit verre devant eux, où, à la surface brillante de la rakia, ils devinaient les victoires tant espérées, entrevoyaient des batailles et des héros, une gloire et un panache comme il n’en existait nulle part au monde. »

Le pont sur la Drina, Ivo Andric

Après larépétitiond'IngmarBergman

THéÂTRE2..6 oCToBRE

Page 4: Journal d'automne

7

6

À la fin d’underground de Kusturica, le cinéaste et l’ami de Mladen Materic, une portion du pays se détache et s’éloigne en une lente dérive, emportant la terre, les arbres, l’herbe et le peuple qui naît ainsi à l’exil. Le théâtre que Mladen Materic promène depuis des années à travers l’Europe est ce pays errant, cette terre voyageuse qui doit tout emporter jusqu’à ses racines. L’exil, bien réel celui-là, qu’imposa le conflit yougoslave à Mladen Materic et au Théâtre Tattoo ressemble à s’y méprendre à ce destin d’errant dont son théâtre et le théâtre en général à depuis toujours l’intuition. on s’abrite aujourd’hui encore derrière les figures intimidantes, revêches et infertiles du théâtre engagé, « social ». on ne veut pas voir que c’est dans ces prémonitions poétiques les moins bavardes que le théâtre est véritablement politique. Les moins bavardes… Pas un mot justement n’est prononcé sur le plateau ciselé de Mladen Materic. Tout a lieu dans une précision fantomatique : le monde a-t-il vraiment lieu ? nous interrogent ses mises en scènes où chaque élément quotidien s’ajointe en autant de constellations lointaines. Le mariage, la guerre, le temps, l’enfance, le désir surgissent à travers des allégories graves ou naïves, laconiques. si la Grande ourse ressemble bel et bien à une casserole, c’est bien dans le théâtre de Materic qui cherche l’or dans la trivialité des jours et des heures, des conflits, des habitudes, des espoirs, des rites, des cuisines… Jour de fête, Le ciel est loin, la terre aussi, Petit spectacle d’hiver : les titres s’égrènent en une caravane tendre et brinquebalente. simple, mystérieuse et silencieuse comme la nuit, chacune des mises en scène du Théâtre Tattoo est une escale où quelque chose d’ailleurs nous est offert, où quelque chose de nous s’en va. Libéré comme chez Kantor de l’ordre de dire, occupé à faire apparaître, à montrer, le théâtre de Materic est à vif, fragile, sur le fil et si peu français… parce que décidément funambule entre la question qu’il pose et la réponse qu’il attend. Mladen Materic cherche depuis toujours un « passage du nord-ouest » : ni mime, ni danse, ni silence, ni texte, ni théâtre, ni installation. aujourd’hui, après l’errance d’ulysse et le ciel carrelé de la cuisine de Peter Handke dont Materic partage le souci poétique pour le détail quotidien, séquence 3 explore une voie nouvelle : un théâtre installation sans début, ni fin véritable, anneau de Moebius à travers lequel les spectateurs sont invités à entrer et à sortir, à leur gré. il fut un temps où l’on entrait à cheval à la messe, où le public parlait au théâtre, nicolas Bouvier décrit les amateurs de Kabuki sortant fumer une cigarette, boire une tasse de thé et entrant de nouveau, en se courbant pour ne pas déranger. Mladen Materic sait que le théâtre, l’art, se travaille aussi sur ses marches, ses rituels. il faut rendre l’œuvre et la vie perméable l’un à l’autre et pour cela atténuer la rampe qui les sépare. D’où cette séquence montée en boucle, cette scène bâtie sur le hors-champ et ce fusil, en guise de brigadier… Materic nous convie à regarder ce qui arrive. vision d’un monde quotidien dont la somme des gestes et des intentions de chacun entraînera la destruction ou la paix, l’amour ou la trahison. un quotidien fauteur de guerre d’où pourrait jaillir le pire ? où le théâtre va-t-il chercher tout ça !

Didier Goldschmidt. Paris, octobre 2004

LESESCALESDEMLADENMATERIC

«… tous écoutaient en silence la chanson jusqu’au bout et, patients et pleins de retenues, ne trahissaient en rien leurs états d’âme ; ils gardaient les yeux rivés sur le petit verre devant eux, où, à la surface brillante de la rakia, ils devinaient les victoires tant espérées, entrevoyaient des batailles et des héros, une gloire et un panache comme il n’en existait nulle part au monde. »

Le pont sur la Drina, Ivo Andric

THéÂTRE3..12 oCToBRE

Un autrenom pour çaMladen Materic /Théâtre Tattoo

Page 5: Journal d'automne

9

8

PRéSENCES VOCALES« apporter de la lumière et supporter l’obscurité. »

Le Berceau de l’Humanité est un site archéologique célèbre en afrique du sud, inscrit sous ce nom au patrimoine mondial de l’unesco. Pourquoi avez-vous voulu évoquer ce site sur la scène ? steven Cohen : Dans ces grottes se trouvent les plus anciennes preuves de l’évolution humaine vers la bipédie, et de l’utilisation contrôlée du feu par l’homme. nous avons pu filmer ces lieux hautement protégés, d’une immense importance historique et paléoanthropologique, et aussi très beaux. Cet endroit est vraiment un point de rencontre entre l’art et la science, et c’est cet aspect que j’ai voulu mettre en avant dans la performance. Ce site est aussi la preuve que toute l’humanité provient d’afrique, nous sommes donc tous africains d’origine… vous êtes sur scène avec nomsa Dhlamini, âgée d’environ 90 ans. Elle fut votre nounou pendant votre enfance. Qui est-elle pour vous ?

s. C. : nomsa est mon cœur… notre amour et notre compréhension mutuelle ne peuvent s’exprimer, ni sur la

scène ni par des mots. Quand je touche nomsa, je crois que l’univers est bon et je crois en la vie. Quand je suis avec elle, je me sens protégé et protecteur, un peu comme l’enfant que j’étais et le parent que je ne serai jamais. voulez-vous confronter différentes théories sur la création de l’humanité dans cette pièce ? s. C. : nous ne confrontons pas et n’imposons pas de croyances dans la pièce. nomsa et moi ne croyons d’ailleurs pas aux mêmes hypothèses. La pièce parle d’amour, des difficultés, des joies et douleurs infinies d’être humain, elle parle de la vie, la vieillesse et la mort. Ce qui est en œuvre, c’est d’accepter ses limites et ses défauts, c’est de pouvoir trouver le bonheur de faire confiance à quelqu’un. C’est aussi une pièce sur le racisme, le viol colonial, l’eugénisme, et sur le passé, le présent et le futur coexistant simultanément.

votre autre œuvre concerne les juifs victimes des nazis en Europe. Elle a eu pour point de départ un document écrit. Quel est ce document ? s. C. : C’est le journal intime d’un jeune homme juif écrit entre 1939 et 1942. il contient

mille articles, rédigés à l’encre d’une minuscule écriture, et accompagnés de mille illustrations de plus en plus précises sur le thème de la nature. J’ai découvert ce journal sur le marché aux puces de La rochelle. Cette création n’est pas une pièce, c’est une expérience, sans narration, sans logique, sans aucun des éléments habituels d’une pièce de théâtre. Le journal a été comme un combustible pour une fusée, mais ne fonde pas l’œuvre. il rend compte du piège qui se referme sur les juifs, considérés de plus en plus comme de la vermine à exterminer. Et le journal guide le travail dans le sens où il est plein d’espoir, éclairé, personnel, et surtout poétique. Je l’utilise en contraste avec la pornographie de violence et le sommet de déshumanisation dont la shoah témoigne. Connaissez-vous l’identité de ce jeune homme qui a écrit son journal ? s. C. : après une recherche très longue et compliquée, et avec l’aide de l’actrice et productrice agathe Berman, j’ai pu prendre contact avec ses descendants, auxquels le journal va être rendu. J’ai voulu les rencontrer avant de créer l’œuvre. Ce moment de rencontre a été très fort… si l’auteur a survécu à la guerre, sa famille a été dénoncée, déportée et exterminée.

Comment utilisez-vous le journal sur la scène ? s. C. : si discrètement et

délicatement que la majorité des gens risque de ne pas savoir de quoi il s’agit, je n’utilise pas l’original, qui est pour moi comme un objet sacré. Ce n’est pas mon histoire : mon histoire est l’histoire à propos de l’histoire… et cela même ne sera pas lisible. Je ne souhaite pas raconter l’histoire de la shoah, qui est connue et que je n’ai pas vécue. avec cette expérience, je m’efforce de présenter des sentiments, idéalement insupportables, sur un sujet indicible. a propos de la torture, de la déshumanisation, de la mort, du génocide. a propos du mal, et aussi à propos du bien, car rien n’existe sans son versant complémentaire. il ne s’agit pas de représenter la torture ou le mal sur la scène, loin de là. Ce qui est en jeu, c’est apporter de la lumière et supporter l’obscurité. Je veux utiliser la vie pour parler de la mort. Comment cette histoire interfère-t-elle avec votre identité ? s. C. : Mon identité aurait à cette époque garanti ma persécution. Je suis juif à part entière, et quand je lis ce journal intime, je sais que cela aurait pu être mon histoire, que c’est celle de millions d’autres juifs, avec des variantes. Le fait que je sois né en afrique dans les années 60 m’a permis d’y échapper, mes grands-parents ont fui l’Europe de l’Est, qu’ils aimaient, afin d’éviter la mort. J’ai toujours entendu des histoires sur les camps. J’ai été élevé avec une conscience de la shoah au

niveau cellulaire, dans mon sang. La shoah est terminée mais ce qui l’a causée demeure. il y a toujours des Hitler attendant d’accéder au pouvoir. se souvenir du génocide permet de rendre la répétition des faits plus difficile à advenir. nous devons être vigilants. Exposer votre vie privée sur scène, est-ce un acte politique ? s. C. : c’est ma volonté d’exposer ma vie privée et ce faisant d’aller aussi loin que possible. Je ne peux par contre pas exposer la vie privée d’un individu que je ne suis pas, de quelqu’un qui en l’occurrence a laissé une trace écrite. Etre regardé, occuper l’espace, c’est déjà un acte politique. Je viens d’un pays où j’ai vécu une existence double, j’étais moqué, humilié, et parfois battu en tant que Juif et en tant qu’homosexuel, mais aussi à cause de la couleur de ma peau je faisais partie du système raciste de l’apartheid. Je n’oublie jamais qu’il est possible d’être à la fois victime et persécuteur. Je viens d’un pays où chaque action, et même non-action, est politique par nature. Mais je ne suis pas un politicien ou un activiste, je suis un artiste, parce que j’ai choisi de l’être.

Propos recueillis par agnès santi,La Terasse, 10 juillet 2012

Page 6: Journal d'automne

11

10

« apporter de la lumière et supporter l’obscurité. »

Le Berceau de l’Humanité est un site archéologique célèbre en afrique du sud, inscrit sous ce nom au patrimoine mondial de l’unesco. Pourquoi avez-vous voulu évoquer ce site sur la scène ? steven Cohen : Dans ces grottes se trouvent les plus anciennes preuves de l’évolution humaine vers la bipédie, et de l’utilisation contrôlée du feu par l’homme. nous avons pu filmer ces lieux hautement protégés, d’une immense importance historique et paléoanthropologique, et aussi très beaux. Cet endroit est vraiment un point de rencontre entre l’art et la science, et c’est

cet aspect que j’ai voulu mettre en avant dans la performance. Ce site est aussi la preuve que toute l’humanité provient d’afrique, nous sommes donc tous africains d’origine… vous êtes sur scène avec nomsa Dhlamini, âgée d’environ 90 ans. Elle fut votre nounou pendant votre enfance. Qui est-elle pour vous ?

s. C. : nomsa est mon cœur… notre amour et notre compréhension mutuelle ne peuvent s’exprimer, ni sur la scène ni par des mots. Quand je touche nomsa, je crois que l’univers est bon et je crois en la vie. Quand je suis avec elle, je me sens protégé et protecteur, un peu comme l’enfant que j’étais et le parent que je ne serai jamais. voulez-vous confronter différentes théories sur la création de l’humanité dans cette pièce ? s. C. : nous ne confrontons pas et n’imposons pas de croyances dans la pièce. nomsa et moi ne croyons d’ailleurs pas aux mêmes hypothèses. La pièce parle d’amour, des difficultés, des joies et douleurs infinies d’être humain, elle parle de la vie, la vieillesse et la mort. Ce qui est en œuvre, c’est d’accepter ses limites et ses défauts, c’est de pouvoir trouver le bonheur de faire confiance à quelqu’un. C’est aussi une pièce sur le racisme, le viol colonial, l’eugénisme, et sur le passé, le présent et le futur coexistant simultanément.

votre autre œuvre concerne les juifs victimes des nazis en Europe. Elle a eu pour point de départ un document écrit. Quel est ce document ? s. C. : C’est le journal intime d’un jeune homme juif écrit entre 1939 et 1942. il contient mille articles, rédigés à l’encre d’une minuscule écriture, et accompagnés de mille illustrations de plus en plus précises sur le thème de la nature. J’ai découvert ce journal sur le marché aux puces de La rochelle. Cette création n’est pas une pièce, c’est une expérience, sans narration, sans logique, sans aucun des éléments habituels d’une pièce de théâtre. Le journal a été comme un combustible pour une fusée, mais ne fonde pas l’œuvre. il rend compte du piège qui se referme sur les juifs, considérés de plus en plus comme de la vermine à exterminer. Et le journal guide le travail dans le sens où il est plein d’espoir, éclairé, personnel, et surtout poétique. Je l’utilise en contraste avec la pornographie de violence et le sommet de déshumanisation dont la shoah témoigne. Connaissez-vous l’identité de ce jeune homme qui a écrit son journal ? s. C. : après une recherche très longue et compliquée, et avec l’aide de l’actrice et productrice agathe Berman, j’ai pu prendre contact avec ses descendants, auxquels le journal va être rendu. J’ai voulu les rencontrer avant de créer l’œuvre. Ce moment

de rencontre a été très fort… si l’auteur a survécu à la guerre, sa famille a été dénoncée, déportée et exterminée.

Comment utilisez-vous le journal sur la scène ? s. C. : si discrètement et délicatement que la majorité des gens risque de ne pas savoir de quoi il s’agit, je n’utilise pas l’original, qui est pour moi comme un objet sacré. Ce n’est pas mon histoire : mon histoire est l’histoire à propos de l’histoire… et cela même ne sera pas lisible. Je ne souhaite pas raconter l’histoire de la shoah, qui est connue et que je n’ai pas vécue. avec cette expérience, je m’efforce de présenter des sentiments, idéalement insupportables, sur un sujet indicible. a propos de la torture, de la déshumanisation, de la mort, du génocide. a propos du mal, et aussi à propos du bien, car rien n’existe sans son versant complémentaire. il ne s’agit pas de représenter la torture ou le mal sur la scène, loin de là. Ce qui est en jeu, c’est apporter de la lumière et supporter l’obscurité. Je veux utiliser la vie pour parler de la mort. Comment cette histoire interfère-t-elle avec votre identité ? s. C. : Mon identité aurait à cette époque garanti ma persécution. Je suis juif à part entière, et quand je lis ce journal intime, je sais que cela aurait pu être mon histoire, que c’est celle de millions d’autres juifs, avec des

variantes. Le fait que je sois né en afrique dans les années 60 m’a permis d’y échapper, mes grands-parents ont fui l’Europe de l’Est, qu’ils aimaient, afin d’éviter la mort. J’ai toujours entendu des histoires sur les camps. J’ai été élevé avec une conscience de la shoah au niveau cellulaire, dans mon sang. La shoah est terminée mais ce qui l’a causée demeure. il y a toujours des Hitler attendant d’accéder au pouvoir. se souvenir du génocide permet de rendre la répétition des faits plus difficile à advenir. nous devons être vigilants. Exposer votre vie privée sur scène, est-ce un acte politique ? s. C. : c’est ma volonté d’exposer ma vie privée et ce faisant d’aller aussi loin que possible. Je ne peux par contre pas exposer la vie privée d’un individu que je ne suis pas, de quelqu’un qui en l’occurrence a laissé une trace écrite. Etre regardé, occuper l’espace, c’est déjà un acte politique. Je viens d’un pays où j’ai vécu une existence double, j’étais moqué, humilié, et parfois

STEVENCOHEN

Faire œuvre artistique

à partir del’existence

humaine

Steven Cohen présente deux œuvres,The Cradle of Humankind inspirépar un site archéologique célèbre d’Afrique du Sud… et par l’amour, et une création,Title Withheld (For Legal and Ethical Reasons), sous la scène de la Cour d’honneur, à propos de la possibilitéde l’horreur de la Shoah.

battu en tant que Juif et en tant qu’homosexuel, mais aussi à cause de la couleur de ma peau je faisais partie du système raciste de l’apartheid. Je n’oublie jamais qu’il est possible d’être à la fois victime et persécuteur. Je viens d’un pays où chaque action, et même non-action, est politique par nature. Mais je ne suis pas un politicien ou un activiste, je suis un artiste, parce que j’ai choisi de l’être.

Propos recueillis par agnès santi,La Terasse, 10 juillet 2012

Page 7: Journal d'automne

13

12

Sans titre(pour

des raisonséthiques

et légales)Steven Cohen

THéÂTrE - DaNsE17..19 oCToBRE

Page 8: Journal d'automne

15

14

JEANNECANDEL

BRICOLER L’OPÉRA /ÉCRIRE AU PLATEAU

« Dans son sens ancien, le verbe bricoler s’applique au jeu de balle et de billard, à la chasse et à l’équitation, mais toujours pour évoquer un mouvement incident: celui de la balle qui rebondit, du chien qui divague, celui du cheval qui s’écarte de la ligne droite pour éviter un obstacle ».(Claude Lévi-strauss, La pensée sauvage)nous souhaitons créer un opéra théâtral d’après l’opéra baroque de Purcell Didon et énée et d’autres matériaux glanés au fil des répétitions dans la littérature (énéide de virgile, sonnets de shakespeare par exemple) le cinéma, le documentaire ou la peinture. Cette œuvre que nous envisageons composite sera portée par une équipe de musiciens qui ne sont pas « faits » a priori pour jouer cette musique, qui ne sont pas des musiciens baroques, mais venant du jazz et des chanteurs qui sont avant tout acteurs. Les musiciens de jazz ont des méthodes de travail qui présentent des similitudes évidentes avec celles des acteurs tels que nous les envisageons lors d’une création collective (l’improvisation par exemple, l’arrangement d’une œuvre préexistante, l’utilisation des moyens du bord…) Méthodes que nous avons expérimentées au sein des collectifs D’ores et déjà (Le père tralalère, notre terreur) et La vie brève (robert Plankett) et que nous souhaitons réinterroger en nous appuyant sur l’opéra de Purcell. Tous les participants du projet sont considérés comme co-auteurs de cette création, qu’ils soient musiciens, acteurs / chanteurs ou scénographe ; le processus de répétition s’appuie sur les provocations, les contraintes et cadres formulés par les metteurs en scènes : les questions porteront tant sur la musique

que sur la représentation. (la posture de jeu/de chant, le rapport à l’espace, les transpositions et reformulations musicales, le rapport à la convention, le traitement de la tragédie, la réécriture du mythe et de ses thèmes (aimer-quitterdévorer- se laisser mourir) le traitement des danses mentionnées dans l’opéra... ). il n’y a pas de séparation entre la musique et l’action théâtrale, tout est mis en chantier dans le même temps et le même espace ; l’écriture, le montage de l’œuvre se feront « au plateau».

SUR LE LIVRET

Didon et Enée se prête parfaitement à ce type de reconstruction : à la lecture du livret de nahum Tate, on est frappé par sa simplicité voire sa pauvreté littéraire. Le texte fait tat des sentiments des personnages. il y a une certaine grossièreté des affects, leur subtilité ne se situe pas dans leur expression littéraire. Les personnages énoncent leurs passions comme des slogans, comme des titres, ils nous les signalent. il n’y a pas de « psychologie », de moments transitoires d’un sentiment à un autre, jusqu’à la mort de Didon, où elle annonce qu’elle meurt de chagrin, et meurt sans d’autres formes d’explication. Cette brutalité-là doit être traitée dans le jeu et dans l’action sur scène, c’est là aussi que réside la violence de l’opéra. il s’agira de garder le côté abrupt des mouvements passionnels, et d’inventer leurs transpositions au plateau en s’appuyant sur la suggestion plus que sur la « représentation réaliste » des actions. La difficulté est donc que la parole des personnages est plus descriptive qu’active. C’est la musique qui porte les subtilités de l’action. La maigreur du texte sera rejointe par la maigreur du jeu des acteurs/chanteurs, son essentialisation.La grandeur des passions des personnages et de la musique peut effrayer les acteurs, mais ce vers quoi nous voudrions tendre, c’est faire descendre lesrôles à notre hauteur, plutôt que de tenter de les atteindre, sans qu’ils perdent de leur beauté, mais peut-être de leur superbe.

MUSIC IS EUPHORIC

nous n’avons pas l’intention de chercher à être fidèle au style de l’époque ni à une quelconque origine. nous voulons interpréter une œuvre du Xviie qui est elle-même la réappropriation par Purcell d’éléments plus anciens. Le « semi-opéra » à l’anglaise et le théâtre élisabéthain qui ne sont pas loin nous invitent à cette plasticité dramaturgique. La musique baroque est une musique de service, elle repose sur une logique extra musicale, rhétorique, poétique ou cultuelle. Elle est euphorique (au sens étymologique où elle porte). nous reprendrons à notre compte cette conception d’une musique qui ne cherche pas systématiquement son niveau suprême (la « grande musique ») mais existe à tous les niveaux, du plus trivial au plus sacré, nous permettant d’osciller entre le spectaculaire et le minimalisme. Par exemple, il pourra être demandé à un chanteur de « rétrograder » du chant lyrique au simple chant voire au fredonnement, à la voix parlée. L’accompagnement pourra être réduit à son squelette donnant à l’ensemble un aspect d’air de cour sur instruments modernes. Les musiciens feront un travail de réappropriation de l’œuvre de Purcell pour pouvoir la jouer, en transformeront certains aspects, contracteront ou étireront certaines durées, infiltreront la partition, inséreront des commentaires musicaux, mettront au premier plan des aspects secondaires etc…La liberté d’interprétation doit avoir lieu non seulement sur scène mais aussi dans le traitement musical..

Le Crocodiletrompeur /

Didon et EnéeHenry Purcell /Jeanne Candel

Samuel Achache /Florent Hubert

THéÂTRE - MusiQuE6..9 novEMBRE

Page 9: Journal d'automne

17

16

Du THéÂTr E Mus i Ca La v E C D E sa P Pa r iTionsFanToMaTi Q u E s

Ground and Floor est un spectacle de théâtre musical. il s’agit d’une pièce assez directe au sens où elle se compose de deux éléments assez orthodoxes, à savoir la « musique » et le « théâtre ». notre tentative consiste à faire partager la dimension temporelle et spatiale de la scène par la musique et le théâtre (car ceci est notre propre définition du théâtre musical), à rendre ce processus de partage aussi surprenant que possible, et à le présenter au public sous la forme la plus vivante que nous puissions atteindre. ainsi formulée, cette tâche semble très simple. Cependant, elle a été très difficile à réaliser. nous n’avons jamais pensé à un autre groupe de musique que sangatsu pour relever ce défi avec nous. nous avons une confiance absolue en cette formation qui a déjà composé des musiques pour plusieurs productions précédentes de chelfitsch. sans doute en raison de ces partenariats antérieurs, sangatsu est en mesure de suivre avec aisance nos lignes de pensées les plus absconses. Cela pourrait être le fruit de nos affinités en matière de conception et d’aspiration. nous trouvons facilement des terrains d’entente. La musique est le catalyseur parfait pour créer une conscience du temps et de l’espace et pour inviter le public à partager ces deux dimensions. C’est probablement la raison principale qui nous a cette fois incités à monter une pièce de « théâtre musical ». Parvenir à utiliser pleinement le pouvoir musical, ou pas, dépend au bout du compte de la capacité des acteurs à partager avec succès la dimension temporelle et spatiale de la scène avec la musique, comme si celle-ci était leur colocataire. La seule cohabitation de ces deux éléments ne signifie pas qu’un tel partage ait déjà eu lieu pour autant. Leur relation finira par n’être que superficielle si le spectacle est trop fortement influencé par le rythme de la musique et l’atmosphère émotionnelle. inversement, si les deux se juxtaposent en strates isolées ou séparées, la pièce manquera de saveur, comme un assaisonnement de salade qui n’a pas été bien mélangé avant d’être versé (ce qui

serait très facile à réaliser). rien de véritablement magique ne se passera, peu importe à quel point les sons de sangatsu emplissent l’espace théâtral. Ce qui compte pour la relation entre la musique et le théâtre – et pour la pièce dans son ensemble – est avant tout que les acteurs écoutent les sons. En second lieu, il leur faut maintenir une relation de grande proximité avec les rapports qu’entretiennent la musique et le spectacle théâtral. Cette approche devrait permettre aux mots prononcés par les acteurs et à leurs corps physiques de coexister sur un pied d’égalité avec la musique et de partager la scène avec elle à un même niveau, sur le même plan. Bien que cette idée soit assez simple, son exécution ne relève en aucun cas de la routine et n’est pas simple du tout. Dans Ground and Floor apparaissent par exemple des fantômes. La métamorphose d’acteurs de chair et de sang en fantôme est, dans l’analyse finale, un événement qui se déroule à travers un changement subtil de ce genre. Le concept du théâtre musical comme un partage équitable de la scène entre théâtre et musique ne véhicule rien de neuf en soi. il remonte à la nuit des temps. au Japon, par exemple, le théâtre nô applique cette approche. Dans une certaine mesure, Ground and Floor s’inscrit dans son sillage. Comme mentionné précédemment, des fantômes apparaissent dans le spectacle, et comme bon nombre d’entre vous le savent sans doute, le théâtre nô est au fond interprété par les esprits des morts. Personnellement, je reste profondément marqué par le terrible séisme qui a frappé le Japon en 2011 et par l’impact considérable qu’il a eu sur la société japonaise dans son ensemble. Ce n’est certainement pas par hasard que Ground and Floor aborde la relation entre les vivants et les morts. Je ne pouvais pas plus longtemps éviter de penser aux liens avec les défunts. L’effet ne se limite pas à cela. Les diverses appréhensions laissées par le cataclysme ne se sont absolument pas atténuées dans mon esprit. appréhensions de la mort, de la société, de la politique, et du Japon lui-même. J’ai fini par en abreuver le spectacle. J’ai écrit Ground and Floor pour réfléchir au conflit d’intérêts entre les morts et les vivants. récemment, après réflexion, je me suis dit qu’il fallait absolument faire un plus grand « effort diplomatique » de

SebastianBreu & ToshikiOkada

(chelfitsch)

Groundand FloorToshiki Okada /Chelfitsch

THéÂTRE - MusiQuE6..9 NovEMBRE

Page 10: Journal d'automne

19

18

! e ouroboros is an ancient symbol of a serpent swallowing its own tail and forming a circle. it represents self-re»exivity or cyclicality, especially in the sense of something constantly re-creating itself, the eternal return, and other things perceived as cycles. in this production theouroboros represents the constant re-creation of self, and the stories in our lives beginning new asas soon as they end.

Director’s note When i gave birth to my $ rst child i felt closer to death than i ever had. itmade no sense but there it was - my experience. When i was writingouroboros , this powerful encounter with life was so present i could see onlythat, so i created this play. i am fascinated by the fragility of the human being,the moment of creation (of the self, of relationship and of art), the journeytowards trust and wholeness and also by the cup of tea or glass of whiskey thathappen along the way.ouroboros is not a conventional play. it is structured across space and time,across interior and exterior landscapes. Watch ouroboros as if you are readinga poem. Let the images and stories make connections and trust your own

interpretation. Here are some suggestions of what a few of the imagesrepresent for me:‘Death’ is about the absence of attachment. ! e representations of ‘Death’ asa skeletal $ gure are about the stripping down of identity and the absence ofthe personality. ! e woman is pursued by this sense of absence and loss untilshe is able to turn towards her fear.! e animals represent emotional states. ! e Gemsbok, for me, is an image ofthe great power of vulnerability. ! e Dog represents expressive emotion,sometimes enthusiasm, sometimes anger. ! e man holds within him a boywho is terri$ ed of the consequences of these ‘messy’ emotions. However it isonly through letting these loud and uncontrolled experiences through thedoor that he can $ nd his ability to connect. Janni Younge

ouroboros is inspired by the poetry of Billy Collins. it is unconventionallystructured and can to be viewed as a weaving of interaction between the twomain characters.!e production is essentially a love story between a poet, andre and a dancer,nokobonisa. Entering a relationship these characters struggle to commit dueto experiences in their past that make them afraid of relationship. We areintroduced to the characters as children. We see the young boy becomingafraid of emotion as he experiences his parents $ghting. !e young girl,separated from the old woman she loves, withdraws into the mythical worldshe feels safe in. as an adult andre struggles to creatively express himself ashe $nds himself separated from his heart. she, in turn, dances passionatelybut struggles with her fear of separation and her anxiety about death. it is onlythrough meeting each other that they are able to

learn to trust and $nd thecourage to commit.!e production is played out in a series of interactions between the two maincharacters, represented as three versions of themselves from birth to death. inthe beginning we seem to be following multiple stories or the stories of severalmembers of a family. However, as the play progresses, it becomes clear that weare in fact, watching only two characters interacting both with the variousaspects of themselves and of each other. as such the production forms a webof relationships capturing dynamics played out across the past, present andfuture.

OuroborosJanni Younge /

HandspringPuppet

Company

THéÂTRE MarionNETTEs

JanniYounge

Hands-pringPuppetCompa-ny

Page 11: Journal d'automne

21

20

Combien d’expressions faudra-t-il forger, de tiroirs étroits fabriquer, au trusquin maniaque du classement esthétique, avant de pouvoir entrer dans une salle et recevoir - toutes portesémotionnelles, sensorielles et intellectuelles ouvertes - un spectacle pour ce qu’il est, et non ce qu’on attend de lui ? Quel sens y a-t-il, du reste, à aller à la rencontre d’un artiste avec une idée préconçue de ce qu’il aurait familièrement dû (re)créer ? Perspective terrifiante : s’installer dans une salle de spectacle et s’estimer heureux de s’y sentir à l’aise, rassuré parmi ses repères. spectacle de momies conçu pour l’embaumeur.Qui prend la plume sur le sujet saisit rapidement et la difficulté, et l’absurdité de l’exercice. Durant la dernière décennie, nul terme ne semblait approprié aux créations de Maguy Marin : il fallutencore une fois recourir au génie de la langue (vite, du désignable !), secours indispensable à partir des années 90 face aux figures majeures de la danse contemporaine. on ne souhaitait pas appeler par son nom ce qui, pourtant, ne relevait ni du théâtre ni de la performance : comme fut un jour invoqué le non-mort dans les légendes transylvaniennes, on créa la non-danse. étrange posture refusant à un art la possibilité de se redéfinir de l’intérieur, de renier en lui tout ce qui prête à la définition figée.étrange, mais commode à l’égard du Public, lorquien que celui-ci sait être : on peut désormais déclarer sans trembler que Maguy Marin reprendra, la saison prochaine à Garonne, son premier spectacle de non-danse. on peut également plaindre la compagnie et les programmateurs qui avalèrent jadis, faute de bouée lexicale à jeter au Public, quelques gorgées de poison lors de la création d’umwelt. il y eut alors comme un vent de nervosité. « une première année très difficile »,

Ditesqu’ils chosent,si vouspréférez

résume pudiquement la chorégraphe, avant de faire le récit d’une interminable Bataille d’Hernani. Le plus étrange restant qu’elle n’a, pendant quarante années de création, pas travaillé dans l’optique d’un manifeste esthétique - ce serait encore là une étiquette de trop. « Je n’ai jamais pensé faire de la danse ou de la non-danse. a partir d’umwelt, alors que le concept existait déjà ils m’ont mise dans cette catégorie-là. Moi, je continue à me penser chorégraphe.»alors que le drame se poursuit en France, umwelt est récompensé à l’international (Bessie awards 2008), se prolonge en échos à travers d’autres créations, jusqu’à la toute dernière, nocturnes. serait-ce justement la signature d’une période à considérer comme close ? Là encore il faut craindre le manque de recul, l’envie de poser un calque sur l’œuvre d’une vie, aux ressorts partiellement inconscients. « Je ne sais pas si c’est une fin», précise Maguy, dans le refus de laisser un quelconque discours l’enfermer, le sien en particulier. « C’est seulement quand on fait la prochaine pièce que l’on sait si c’était terminé ou pas. »

Lorsqu’on lui demande à quoi tient cette «impression d’un point d’arrivée» qui rattacherait nocturnes à la litigieuse pièce de 2004, la chorégraphe prend des précautions. «Même si ce n’est pas systématique, il y a une tendance depuis umwelt - c’est pour ça que cette pièce est très importante - quelque chose qui a à voir avec la fragmentation, le montage : des vignettes, un dépôt de beaucoup d’images autour de pensées, du monde... Ensuite il faut les organiser, les faire dialoguer entre elles et construire une composition à partir de ces vignettes.» Maguy décrit sa manière d’aborder la création : on croit écouter une alchimiste évoquant des collusions mystérieuses d’ingrédients. D’autant plus étonnant qu’à l’exemple de nocturnes et umwelt, ses spectacles bénéficient d’un cadre d’une rigueur inouïe, résultant d’un travail d’assemblage qui intervient en fait tardivement, après bien des tâtonnements. Loin des écritures déterminées par des intentions préalables, chaque création trouve sa forme finale dans le «tamis» d’appropriations croisées, au fil d’ateliers auxquels se prêtent lesdanseurs. «Je montre, ils montrent, je montre, ils montrent... on n’arrête pas de faire des va-et-vient : ils proposent des choses, j’en fais aussi moi-même ; je ne suis pas du tout dans le concept fixé à l’avance. Quand on retient une proposition, tout le monde y passe : tout un travail d’appropriation, qui n’est pas une imitation mais une interprétation de ce que l’autre a proposé.»s’invite alors un questionnement auquel la chorégraphe préfère ne pas donner des airs de fatalité :infléchir son esthétique impliquera sans doute de changer un jour sa manière de travailler. «C’est une remise en question mais ça m’intéresse, je ne veux pas m’enfermer.» volonté de liberté absolue, de ne rien exclure, à l’exception du mille fois fait. «Peut-être la prochaine pièce sera-t-elle excessivement dansée... « May B, maybe not.Pour boucler cette possible illusion de boucle, donc, une reprise d’umwelt, avant de se lancer en 2014 vers un nouvel et total - on l’aura bien compris - inconnu. Pourquoi ce titre en allemand ? Maguy réfléchit. Parce qu’il y a un éthologue passionnant derrière le concept, Jakob von uexküll ; parce qu’elle trouve beaux l’assemblage

graphique des consonnes, et sa sonorité. Plaisir intime du baptême. «Cette pièce, son prénom c’est umwelt, comme si c’était un nom propre.» Et la chorégraphe d’ajouter, avec une innocence délicieuse : «comme on donne un prénom à un ouragan».

Manon ona,Le clou dans la planche

D’après un entretien avec Maguy Marin

MAGUYMARIN

Page 12: Journal d'automne

23

22

CendrillonMaguy MarinBallet de l’Opérade LyonDaNsE9..11 JaNviEr

UmweltMaguy Marin

DaNsE13..16 NovEMBRE

Page 13: Journal d'automne

25

24

Gwenaël Morin aborde l’œuvre théâtrale de Fassbinder, mû par la fascination que cette œuvre massive et son auteur incandescent exercent sur lui. Mettre en scène quatre pièces de Fassbinder (pour commencer…), c’est à la fois jouer avec et déjouer cette fascination par l’action : remettre en jeu la puissance et la nécessité d’une œuvre qui subjugue, afin de s’en faire le relais auprès d’un public qui puisse à son tour s’emparer activement de cette façon de se saisir du monde et de soi, « presque contraint de revenir sur soi-même, sur sa propre réalité, sur l’analyse de la réalité de chacun. une exigence, au demeurant, que je poserais pour toute œuvre d’art. »1 La démarche motrice du fondateur du Théâtre Permanent est en cela parente, pour ne pas dire, héritière directe, de ce qui a travaillé celui qui avait résolument accepté de « s’embarquer dans toutes les difficultés où il faut s’embarquer pour pouvoir travailler continuellement »2 , à la recherche pérenne de ce qui doit « rendre à chaque existence son sens dans la liberté de la décision et une grande force dans le combat pour quelque chose de merveilleux, de possible, pour quelque chose qui, de manière constructive, donne du sens là où il n’y a pas de sens. »3

Elsa rooke

Anarchie en Bavièret Liberté à Brême

une utopie qui tourne mal : ça pourrait être le résumé d’anarchie en Bavière comme de Liberté à Brême – l’histoire d’une révolution dans une région d’allemagne où on veut supprimer l’argent et ne plus travailler que deux heures par jour, et l’histoire d’une femme qui tente de s’émanciper de l’oppression sous toutes ses formes ; mais ces deux utopies versent, l’une comme l’autre, dans un chaos meurtrier. rainer Werner Fassbinder ne dénonce pas ces utopies elles-mêmes mais bien les moyens utilisés dont la brutalité barbare est inappropriée et fatalement catastrophique. son utopie à lui, elle repose sur la force de toute œuvre d’art à inviter, voire à contraindre, « à revenir sur soi-même, sur sa propre réalité, sur l’analyse de la réalité de chacun » par ce détour symbolique. Pour peut-être commencer à penser autrement… Pour peut-être commencer à penser, simplement.Pour Gwenaël Morin, il s’agit de poursuivre cette utopie. Le travail qu’il mène avec sa compagnie depuis des années est fondé sur l’autorité de la parole en tant qu’acte : une autorité soutenue par une adhésion totale au texte et par un refus radical de recourir à tout autre effet – ni décor ni costume ni éclairage qui viendraient « truquer » les corps agis par les mots. Dans cette mise en scène / mise à nu, de l’anarchie et de la liberté, c’est le texte seul de Fassbinder qui fait la loi et c’est à sa puissance non négociable que Gwenaël Morin entreprend de se soumettre, et avec lui, ses interprètes et leur public.

GwenaëlMorin

ANTITEATRE

Gouttes dans l’océan :un coup d’essai

Gouttes dans l’océan met en scène la relation du jeune Franz avec un homme plus âgé. interviewé sur la question de l’homosexualité dans son film Le Droit du plus fort, Fassbinder précise: « Dès que l’homosexualité apparaît quelque part dans l’art, elle devient toujours le sujet le plus important. Dans ce cas-là, soit on met l’accent sur l’oppression des homosexuels, soit on présente une vision romantique de la vie heureuse des homosexuels. Personne n’a jamais signalé que la vie des homosexuels est soumise aux mêmes mécanismes que la vie des gens soi-disant normaux. » De fait, Gouttes dans l’océan n’est pas une pièce sur l’homosexualité, mais déjà, comme Les larmes amères de Petra von Kant quelques années plus tard, une pièce sur le fait que « l’être humain (…) a

besoin de l’autre, mais il n’a point appris à être deux », réflexion que Fassbinder met dans la bouche de Petra et qu’il commente par ailleurs : « l’homme (…) n’est pas éduqué de manière à pouvoir plus tard appliquer le principe d’égalité dans ses rapports avec les autres. (…) si bien qu’il y a toujours quelqu’un qui domine. En amour, celui qui est le plus fort ne doit pas exploiter l’amour du plus faible. (…) il est plus facile de se laisser aimer que d’aimer. C’est plus facile pour ceux qui sont aimés et ils en profitent la plupart du temps sans le moindre remords. »

Fassbinder n’a jamais monté Gouttes dans l’océan. L’auteur la considérait-t-il inaboutie ? Ce coup d’essai emprunte sa facture classique à un certain théâtre bourgeois, que le tout jeune Fassbinder tente de revisiter et de détourner par la fabrication d’une matière textuelle d’une pauvreté absolue en chargeant la moindre phrase d’une violence extrême et en finissant par s’envoyer dans le décor « de cette

Page 14: Journal d'automne

27

26

comédie avec fin pseudo tragique » qui vire au grand guignol. un coup d’essai, comme pour fourbir ses armes pour la suite en somme.Pour Gwenaël Morin, cette première pièce constitue dans le répertoire de Fassbinder « une archéologie de la violence » : « comment on la subit et comment on l’exerce sur l’autre et sur soi-même, avec un principe d’imitation qui est à l’origine de la chaine de la violence, (…) ou comment l’allemagne opprimée se met à opprimer le monde et donc à se suicider, (…) même s’il n’y a pas de méga et de micro structure dans la pièce, simplement la mécanique de l’humanité inscrite dans la dynamique du couple. » un enchaînement et une mécanique que Fassbinder exhibe dans toutes ses œuvres par la suite, en aspirant toujours à aider à « élaborer du théorique sans être théorique » et à « accepter le banal comme essentiel, comme sacré, sans être banal ou même sacré… »

Elsa rookeDramaturge / assistante

Le village en flammes : lecture d’une fresque / lecture en forme de fresque

avec la réécriture de la pièce Fuente ovejuna de Lope de vega qu’est Le village en flammes, c’est sa propre lecture de l’œuvre originale que Fassbinder nous livre. Et sa lecture (réécriture) condense et accentue, parfois jusqu’à la distorsion, les situations pour en faire saillir ses préoccupations perpétuelles : l’entente entre les puissants pour asservir les faibles (le napalm est alors en train d’incendier le vietnam) ; « l’occasion d’édifier un état qui aurait pu être plus humain et plus libre qu’aucun autre auparavant, et la façon dont en fin de compte ces occasions ont été manquées » ; ou encore le paradoxe des mécanismes d’oppression où la victime est toujours suspecte : « la plupart des femmes ont eu une éducation telle qu’elles sont totalement satisfaites quand elles sont prises dans ces mécanismes d’oppressions. Ce qui ne veut toutefois pas dire qu’elles n’en souffrent pas – évidemment qu’elles en souffrent. (…) Je connais quelques femmes assez

émancipées qui jouissent d’être opprimées mais qui luttent en même temps contre cette oppression. C’est un état extrêmement contradictoire. (…) Dans l’ensemble, je trouve que les femmes se comportent de manière aussi abominable que les hommes, et j’essaie d’en expliquer les raisons : c’est que notre éducation et la société dans laquelle nous vivons nous ont fait faire fausse route. » À partir de la grande tragi-comédie à l’espagnole, telle que la fonde Lope de vega, Fassbinder dresse une fresque au trait forcé, où, entre deux stéréotypes, il fait surgir des visions cinglantes – sa façon à lui de débusquer l’horreur tapie dans le maquis du quotidien.

Elsa rooke pour Gwenaël Morin, 2013.

Metteur en scène, Gwenaël Morin fonde sa compagnie en 2003. il impose très vite sa marque de fabrique dans des mises en scène épurées, portées par l’énergie des acteurs au service d’un texte. En 2009, accompagné de cinq acteurs, Gwenaël Morin initie le projet utopique du Théâtre Permanent aux Laboratoires d’aubervilliers. une immersion quotidienne entremêlant répétitions, représentations ateliers. En un an, la compagnie a créé Lorenzaccio d’après Lorenzaccio d’alfred de Musset, Tartuffe d’après Tartuffe de Molière, Bérénice d’après Bérénice de racine, antigone d’après antigone de sophocle, Hamlet d’après Hamlet de shakespeare et Woyzeck d’après Woyzeck de Büchner. nommé à la direction du Théâtre du Point du Jour à Lyon en janvier 2013, Gwenaël Morin et sa troupe l’inaugurent le 1er septembre 2013 avec l’antithéâtre de Fassbinder.

19 NovEMBRE

23 NovEMBRE

15..16 & 22 NovEMBRE

DiPTYQuE

Anarchieen BavièreLibertéà Brême

Gouttesdans l’océan

inTéGraLE Anarchieen Bavière Libertéà Brême Gouttesdans l’océan Le Villageen flammes

Page 15: Journal d'automne

29

28

EnTrETiEn avECroMina PauLa

Comment le personnage de Fauna vous est-il venu à l’esprit ?

Fauna est une pièce qui s’est écrite toute seule, je ne saurais dire d’où elle vient.il y a tout de même une chose dont je me souviens : j’étais intriguée par le nom d’une rue de Buenos aires, la rue Concepción arenal. une rue dont je m’étais habituée à prononcer le nom sans forcément faire attention au fait que c’était celui de quelqu’un, et que ce quelqu’un devait avoir fait suffisamment de choses dans sa vie pour qu’on donne son nom à une rue. un jour, j’ai fait des recherches sur cette fameuse Concepción arenal. J’ai appris que c’était une auteure féministe du XiXe siècle qui, entre autres, avait pour habitude de s’habiller en homme pour pouvoir suivre des cours à l’université, entrer dans les cercles de poètes ou, tout simplement, avoir accès à la vie culturelle de son pays. une femme se glissant incognito parmi les hommes : cette image m’a non seulement émue mais elle a également ouvert la porte à bien d’autres. Combien de ces hommes, jeunes ou moins jeunes, étaient-ils en fait des femmes se faisant passer pour autre ? Je pense par exemple à George sand, ou à Claude Cahun, à Flora Tristan, à virginia Woolf… et la liste est

Romina Paula

longue. Je pense également à la mère d’une amie de ma mère : fille d’immigrés allemands, elle a grandi en Patagonie et, depuis des années, elle vit à sierra de la ventana, dans les montagnes de la province de Buenos aires. Elle est une sorte d’amazone et, aujourd’hui encore, alors qu’elle est âgée de quatre-vingt-dix ans, elle continue à monter à cheval. Elle aussi, elle a inspiré le personnage de Fauna.

Le personnage qui donne son titre à votre pièce porte un prénom et un nom symboliquement chargés : Fauna Forteza, c’est à la fois le faune, la faune et la force…

Ce n’était pas mon intention au départ mais, comme toujours, le hasard a bien fait les choses. En fait, tout l’imaginaire qui entoure la famille dont il est question dans la pièce est inspiré de la vie d’Horacio Quiroga, écrivain uruguayen qui s’était installé en argentine ; il a vécu et écrit durant une grande partie de sa vie dans la forêt vierge, et il a beaucoup écrit sur cette forêt. Forteza, c’était le nom de sa mère. Bref, c’était au départ un choix totalement arbitraire, mais il finit par avoir une charge symbolique importante. Par ailleurs, les questions du genre sont au coeur de cette pièce. Mais je ne voulais pas tenir un discours figé sur le sujet, je voulais juste poser des questions. Qu’est-ce que le féminin ? Qu’est-ce qui définit le masculin ? Je nourris le fantasme ou l’ambition de pouvoir m’éloigner toujours un peu plus de la pensée binaire, car les choses ne sont pas comme ci ou comme ça,

elles ne s’opposent pas forcément. Je m’efforce d’avancer dans des territoires rocailleux, difficiles à nommer, à définir.

Comme El tiempo todo entero, votre précédent spectacle présenté il y a deux ans au Festival d’automne à Paris, Fauna évoque la relation entre des enfants et leur mère ou, plus exactement ici, la mémoire de leur mère… Comment avez-vous abordé ce thème dans Fauna ?

Je n’ai pas du tout imaginé une pièce sur le thème de la famille. D’ailleurs, bien au-delà du fait qu’il y a un frère et une sœur parmi les personnages, ce groupe de quatre personnes est plutôt conçu comme un groupe de travail et non comme une cellule familiale. La contingence qui les réunit dans un même espace et dans un même lieu, c’est le travail, le film qu’ils veulent réaliser ensemble. Cette pièce est avant tout une réflexion sur le travail d’un groupe qui finit, certes, par ressembler à une famille, mais une famille qu’ils se sont choisie, une famille qui se dissout quand le travail est fini. Ces quatre personnages répètent des scènes pour un film à venir et ils discutent à propos de ce qui pourrait être représenté ou pas, à propos de la véracité de l’histoire et de l’importance ou non de cette vérité. Chacun est confronté à des émotions inéluctables, presque comme les acteurs pendant les répétitions. Les personnages de Fauna s’exposent émotionnellement. ils veulent créer de la fiction, mais cette fiction les expose-t-elle ou les protège-t-elle ?

La pièce s’ouvre sur des vers de rainer Maria rilke. Quel sens ont-ils pour vous ?

une fois de plus, je m’en remets à l’arbitraire et au hasard : ce poème se trouve dans une édition des poèmes de rilke en allemand, un très vieux livre qui a atterri entre mes mains je ne me souviens plus comment… un héritage, je suppose. Je suis littéralement subjuguée par ce poème : « Expérience de la mort ». En langue originale, surtout, il est d’une beauté sans nom. alors, comme bien des choses qui m’émeuvent à ce point, j’ai envie de le partager. C’est un poème où le théâtre, la scène est métaphore de la vie, mais son rythme et sa beauté vont bien au-delà de ce lieu commun. Et puis finalement, comme un hasard supplémentaire, il fait sens avec le reste de la pièce.

Dans votre spectacle, la vie de Fauna Forteza va faire l’objet d’un film. Quel est le rôle du cinéma dans la pièce ?

Le cinéma est l’une de mes images de départ. Faire du cinéma. Je pensais écrire une pièce sur le cinéma et, d’une certaine façon, c’est le cas, bien que les procédés employés soient ceux du théâtre. Depuis que nous avons débuté les répétitions, le cinéma est là, je l’ai toujours en tête. Le chemin est tracé par la phase de Dorothea Lange qui figure en épigraphe de la pièce : « L’objectif est un instrument qui enseigne aux gens comment voir quand ils ne sont

pas derrière l’objectif ». C’est une idée qui me fascine. on peut bien sûr l’appliquer à l’art en général, mais, pour moi, cette pièce est un film sans caméra, sans écran. Quand je regarde les acteurs, je vois des plans, des échelles de plans : moyens, rapprochés, gros plans ou plans d’ensemble. Les yeux, le regard posé sur l’autre, c’est la caméra, l’oeil est la caméra : elle coupe, elle choisit, elle balaie. Par ailleurs, j’aurais tendance à comparer l’expérience d’un tournage avec le processus de répétitions d’une pièce de théâtre. C’est un temps de cohabitation. sauf que, dans le premier cas, cela a lieu sur une plus courte période. au sein de la compagnie, nous sommes habitués à cohabiter durant des mois, pendant les répétitions, même si ce temps est plus diffus. Mais, dans les deux cas, le lien qui s’établit entre ces personnes réunies pour travailler est très intense. J’avais envie d’aborder ce sujet dans la pièce : observer un groupe de gens en train de cohabiter car ils ont un projet commun, un projet qui parfois se confond avec la vie, qui prend sa place ; voir comment ces forces cohabitent et s’équilibrent.

Le travail avec les comédiens a-t-il été différent pour ce spectacle ?

Chaque spectacle requiert un processus de répétitions bien à lui, chaque texte porte la façon dont il doit être abordé, que l’on ne découvre et comprend qu’au moment des répétitions. Fauna exige la présence de tous les comédiens, toujours. impossible de répéter partiellement : s’il manque

un des comédiens, la répétition est annulée. il n’est pas envisageable de répéter des parties isolées du texte, car il faut parcourir, traverser l’ensemble de la pièce. En ce sens, Fauna est une pièce très exigeante : elle se présente comme un tout, comme une traversée, où chaque partie a besoin de celle qui précède et de celle qui suit pour exister. C’est comme un organisme. C’est là que réside la contradiction : je pense au cinéma, qui est avant tout fragmentation, mais nous ne pouvons travailler que dans la totalité, la totalité des acteurs, la totalité du texte.

Pensiez-vous déjà aux comédiens qui allaient jouer la pièce quand vous en avez écrit le texte ?

J’ai écrit la pièce pour les comédiens de la compagnie El silencio : Pilar Gamboa, susanaPampín, Esteban Bigliardi y Esteban Lamothe. Ce dernier a commencé les répétitions, puis il a dû quitter la compagnie, pour des raisons personnelles. sur le moment, le départ d’Esteban a résonné comme une tragédie pour la compagnie, il symbolisait la fin d’une époque. nous n’imaginions pas quelqu’un d’autre interpréter ce rôle que j’avais écrit pour lui. Puis nous avons commencé à

FaunaRomina PaulaCie El Silencio

THéÂTRE27..30 NovEMBRE

Page 16: Journal d'automne

31

30

INSTANTDONNé #1

extrême et en finissant par s’envoyer dans le décor « de cette comédie avec fin pseudo tragique » qui vire au grand guignol. un coup d’essai, comme pour fourbir ses armes pour la suite en somme.Pour Gwenaël Morin, cette première pièce constitue dans le répertoire de Fassbinder « une archéologie de la violence » : « comment on la subit et comment on l’exerce sur l’autre et sur soi-même, avec un principe d’imitation qui est à l’origine de la chaine de la violence, (…) ou comment l’allemagne opprimée se met à opprimer le monde et donc à se suicider, (…) même s’il n’y a pas de méga et de micro structure dans la pièce, simplement la mécanique de l’humanité inscrite dans la dynamique du couple. » un enchaînement et une mécanique que Fassbinder exhibe dans toutes ses œuvres par la suite, en aspirant toujours à aider à « élaborer du théorique sans être théorique » et à « accepter le banal comme essentiel, comme sacré, sans être banal ou même sacré… »

Elsa rookeDramaturge / assistante

Le village en flammes : lecture d’une fresque /lecture en forme de fresque

avec la réécriture de la pièce Fuente ovejuna de Lope de vega qu’est Le village en flammes, c’est sa propre lecture de l’œuvre originale que Fassbinder nous livre. Et sa lecture (réécriture) condense et accentue, parfois jusqu’à la distorsion, les situations pour en faire saillir ses préoccupations perpétuelles : l’entente entre les puissants pour asservir les faibles (le napalm est alors en train d’incendier le vietnam) ; « l’occasion d’édifier un état qui aurait pu être plus humain et plus libre qu’aucun autre auparavant, et la façon dont en fin de compte ces occasions ont été manquées » ; ou encore le paradoxe des mécanismes d’oppression où la victime est toujours suspecte : « la plupart des femmes ont eu une éducation telle qu’elles

19 NovEMBRE

23 NovEMBRE

15..16 & 22 NovEMBRE

DiPTYQuE

Anarchieen BavièreLibertéà Brême

Gouttesdans l’océan

inTéGraLE Anarchieen Bavière Libertéà Brême Gouttesdans l’océan Le Villageen flammes

Gwenaël Morin aborde l’œuvre théâtrale de Fassbinder, mû par la fascination que cette œuvre massive et son auteur incandescent exercent sur lui. Mettre en scène quatre pièces de Fassbinder (pour commencer…), c’est à la fois jouer avec et déjouer cette fascination par l’action : remettre en jeu la puissance et la nécessité d’une œuvre qui subjugue, afin de s’en faire le relais auprès d’un public qui puisse à son tour s’emparer activement de cette façon de se saisir du monde et de soi, « presque contraint de revenir sur soi-même, sur sa propre réalité, sur l’analyse de la réalité de chacun. une exigence, au demeurant, que je poserais pour toute œuvre d’art. »1 La démarche motrice du fondateur du Théâtre Permanent est en cela parente, pour ne pas dire, héritière directe, de ce qui a travaillé celui qui avait résolument accepté de « s’embarquer dans toutes les difficultés où il faut s’embarquer pour pouvoir travailler continuellement »2 , à la recherche pérenne de ce qui doit « rendre à chaque existence son sens dans la liberté de la décision et une grande force dans le combat pour quelque chose de merveilleux, de possible, pour quelque chose qui, de manière constructive, donne du sens là où il n’y a pas de sens. »3

Elsa rookeAnarchie en Bavièret Liberté à Brême

une utopie qui tourne mal : ça pourrait être le résumé d’anarchie en Bavière comme de Liberté à Brême – l’histoire d’une révolution dans une région d’allemagne où on veut supprimer l’argent et ne plus travailler que deux heures par jour, et l’histoire d’une femme qui tente de s’émanciper de l’oppression sous toutes ses formes ; mais ces deux utopies versent, l’une comme l’autre, dans un chaos meurtrier. rainer Werner Fassbinder ne dénonce pas ces utopies elles-mêmes mais bien les moyens utilisés dont la brutalité barbare est inappropriée et fatalement catastrophique. son utopie à lui, elle repose sur la force de toute œuvre d’art à inviter, voire à contraindre, « à revenir sur soi-même, sur sa propre réalité, sur l’analyse de la réalité de chacun » par ce détour symbolique. Pour peut-être commencer à penser autrement… Pour peut-être commencer à penser, simplement.Pour Gwenaël Morin, il s’agit de poursuivre cette

utopie. Le travail qu’il mène avec sa compagnie depuis des années est fondé sur l’autorité de la parole en tant qu’acte : une autorité soutenue par une adhésion totale au texte et par un refus radical de recourir à tout autre effet – ni décor ni costume ni éclairage qui viendraient « truquer » les corps agis par les mots. Dans cette mise en scène / mise à nu, de l’anarchie et de la liberté, c’est le texte seul de Fassbinder qui fait la loi et c’est à sa puissance non négociable que Gwenaël Morin entreprend de se soumettre, et avec lui, ses interprètes et leur public.

Gouttes dans l’océan :un coup d’essai

Gouttes dans l’océan met en scène la relation du jeune Franz avec un homme plus âgé. interviewé sur la question de l’homosexualité dans son film Le Droit du plus fort, Fassbinder précise: « Dès que l’homosexualité apparaît quelque part dans l’art, elle devient toujours le sujet le plus important. Dans ce cas-là, soit on met l’accent sur l’oppression des homosexuels, soit on présente une vision romantique de la vie heureuse des homosexuels. Personne n’a jamais signalé que la vie des homosexuels est soumise aux mêmes mécanismes que la vie des gens soi-disant normaux. » De fait, Gouttes dans l’océan n’est pas une pièce sur l’homosexualité, mais déjà, comme Les larmes amères de Petra von Kant quelques années plus tard, une pièce sur le fait que « l’être humain (…) a besoin de l’autre, mais il n’a point appris à être deux », réflexion que Fassbinder met dans la bouche de Petra et qu’il commente par ailleurs : « l’homme (…) n’est pas éduqué de manière à pouvoir plus tard

Page 17: Journal d'automne

33

32

TRAJALHARREL

À la fin d’underground de Kusturica, le cinéaste et l’ami de Mladen Materic, une portion du pays se détache et s’éloigne en une lente dérive, emportant la terre, les arbres, l’herbe et le peuple qui naît ainsi à l’exil. Le théâtre que Mladen Materic promène depuis des années à travers l’Europe est ce pays errant, cette terre voyageuse qui doit tout emporter jusqu’à ses racines. L’exil, bien réel celui-là, qu’imposa le conflit yougoslave à Mladen Materic et au Théâtre Tattoo ressemble à s’y méprendre à ce destin d’errant dont son théâtre et le théâtre en général à depuis toujours l’intuition. on s’abrite aujourd’hui encore derrière les figures intimidantes, revêches et infertiles du théâtre engagé, « social ». on ne veut pas voir que c’est dans ces prémonitions poétiques les moins bavardes que le théâtre est véritablement politique. Les moins bavardes… Pas un mot justement n’est prononcé sur le plateau ciselé de Mladen Materic. Tout a lieu dans une précision fantomatique : le monde a-t-il vraiment lieu ? nous interrogent ses mises en scènes où chaque élément quotidien s’ajointe en autant de constellations lointaines. Le mariage, la guerre, le temps, l’enfance, le désir surgissent à travers des allégories graves ou naïves, laconiques. si la Grande ourse ressemble bel et bien à une casserole, c’est bien dans le théâtre de Materic qui cherche l’or dans la trivialité des jours et des heures, des conflits, des habitudes, des espoirs, des rites, des cuisines… Jour de fête, Le ciel est loin, la terre aussi, Petit spectacle d’hiver : les titres s’égrènent en une caravane tendre et brinquebalente. simple, mystérieuse et silencieuse comme la nuit, chacune des mises en scène du Théâtre Tattoo est une escale où quelque chose d’ailleurs nous est offert, où quelque chose de nous s’en va. Libéré comme chez Kantor de l’ordre de dire, occupé à faire apparaître, à montrer, le théâtre de Materic est à vif, fragile, sur le fil et si peu français… parce que décidément funambule entre la question qu’il pose et la réponse qu’il attend. Mladen Materic cherche depuis toujours un « passage du nord-ouest » : ni mime, ni danse, ni silence, ni texte, ni théâtre, ni installation. aujourd’hui, après l’errance d’ulysse et le ciel carrelé de la cuisine de Peter Handke dont Materic partage le souci poétique pour le détail quotidien, séquence 3 explore une voie nouvelle : un théâtre

installation sans début, ni fin véritable, anneau de Moebius à travers lequel les spectateurs sont invités à entrer et à sortir, à leur gré. il fut un temps où l’on entrait à cheval à la messe, où le public parlait au théâtre, nicolas Bouvier décrit les amateurs de Kabuki sortant fumer une

cigarette, boire une tasse de thé et entrant de nouveau, en se courbant pour ne pas déranger. Mladen Materic sait que le théâtre, l’art, se travaille aussi sur ses marches, ses rituels. il faut rendre l’œuvre et la vie perméable l’un à l’autre et pour cela atténuer la rampe qui les sépare. D’où cette séquence montée en boucle, cette scène bâtie sur le hors-champ et ce fusil, en guise de brigadier… Materic nous convie à regarder ce qui arrive. vision d’un monde quotidien dont la somme des gestes et des intentions de chacun entraînera la destruction ou la paix, l’amour ou la trahison. un quotidien fauteur de guerre d’où pourrait jaillir le pire ? où le théâtre va-t-il chercher tout ça !

«… tous écoutaient en silence la chanson jusqu’au bout et, patients et pleins de retenues, ne trahissaient en rien leurs états d’âme ; ils gardaient les yeux rivés sur le petit verre devant eux, où, à la surface brillante de la rakia, ils devinaient les victoires tant espérées, entrevoyaient des batailles et des héros, une gloire et un panache comme il n’en existait nulle part au monde. »

Le pont sur la Drina, Ivo AndricAntigone Sr.Twenty Looks Or Paris Is BurningAt The JudsonChurch (L)Trajal Harrell

DaNsE13..14 DéCEMBRE

Page 18: Journal d'automne

35

34

on se rappelle encore L’entresort du bossu Bitor, une histoire de marin criminel de Tristan Corbière dont la violence expressionniste s’épanouissait au fond de ce qui était déjà Le Tonneau, un petit théâtre itinérant que Branlo et nigloo posaient au hasard des rencontres sur les places de villages. on ne distinguait pas les forains du théâtre, alors. Le montant des subventions arrivait en dernier dans la conversation, quand il arrivait… Ce qui n’arriva jamais. il y avait eu auparavant la création du Cirque aligre avec igor (qui imaginera plus tard la volière Dromesko avec Lily), et rejoints par Bartabas, la naissance de Zingaro et puis, pfuitt…. la fuite. L’échappée en caravane vers l’inconnu plutôt que le semi sur les autoroutes. un bout de chemin avec le Foostbarn, puis le radeau, et des spectacles comme des retrouvailles - Coude à coude, une case provisoire et augustes - bricolés avec les moyens du bord, pour quelques spectateurs perchés et penchés qui n’en perdaient pas une miette, les yeux scotchés à ce qui allait surgir du trou : des créatures goyesques, des envolées lyriques d’escogriffes tourmentés par la vie, des ombres chinoises, des tours, des pantins et des clowns… Et tant pis pour ceux qui n’ont jamais vu un équipage de petits rats lever les voiles d’un navire.

CIRqUETROTTOLA

PETITTHéâTREBARAqUE Cirque de prouesse, Trottola a vu le jour avec

le spectacle éponyme joué plus de 300 fois par Laurent Cabrol, Titoune et Bonaventure. une toute petite piste et une brochette de musiciens passés par l’orchestre dont Branlo avec son violoncelle et son chat… Hercule à la barbe rousse, Bonaventure est porteur (de Titoune) et acteur de fort tempérament. apprenti au cirque saltimbanque, puis à l’école de rosny et de Châlon sur Marne, il crée le Cirque Désaccordé, traverse le Cirque Plume et la compagnie Pierre Doussaint avant un premier numéro de main à main avec Titoune, « Le convoi exceptionnel » ! il joue encore son solo Par le Boudu qui fait frissonner de peur et de rire.Titoune apprend à marcher vers un an, se spécialise dans l’art de la grimace et fait vite le cochon pendu, tête en l’air et tête par terre. Depuis la voltigeuse n’a pas trop grandi mais a passé un bon moment à l’école de Montréal où elle a appris le trapèze. Elle remporte une médaille d’argent au cirque d’hiver, puis monte le cirque Pocheros et plus tard, le cirque Klotz, le cirque Plume. après quelques années de cirque classique au Danemark, Mads le jongleur, quitte son pays pour la France et le Centre national des arts du Cirque d’où il sort en 1993. il passe ensuite une bonne poignée d’années dans le cirque Pocheros dont il est co-fondateur. Etudie le comique des situations dans L’histoire d’auguste avec la compagnie de cirque de Hueli Hierzel pour dernièrement mettre ses objets au service du burlesque avec la compagnie de l’Ebauchoir.

MatamoreCirque Trottola &Petit Théâtre Baraque

CirQuE14..21 DéCEMBRE

Page 19: Journal d'automne

37

36

Gwenaël Morin aborde l’œuvre théâtrale de Fassbinder, mû par la fascination que cette œuvre massive et son auteur incandescent exercent sur lui. Mettre en scène quatre pièces de Fassbinder (pour commencer…), c’est à la fois jouer avec et déjouer cette fascination par l’action : remettre en jeu la puissance et la nécessité d’une œuvre qui subjugue, afin de s’en faire le relais auprès d’un public qui puisse à son tour s’emparer activement de cette façon de se saisir du monde et de soi, « presque contraint de revenir sur soi-même, sur sa propre réalité, sur l’analyse de la réalité de chacun. une exigence, au demeurant, que je poserais pour toute œuvre d’art. »1 La démarche motrice du fondateur du Théâtre Permanent est en cela parente, pour ne pas dire, héritière directe, de ce qui a travaillé celui qui avait résolument accepté de « s’embarquer dans toutes les difficultés où il faut s’embarquer pour pouvoir travailler continuellement »2 , à la recherche pérenne de ce qui doit « rendre à chaque existence son sens dans la liberté de la décision et une grande force dans le combat pour quelque chose de merveilleux, de possible, pour quelque chose qui, de manière constructive, donne du sens là où il n’y a pas de sens. »3

Elsa rooke

Anarchie en Bavièret Liberté à Brême

une utopie qui tourne mal : ça pourrait être le résumé d’anarchie en Bavière comme de Liberté à Brême – l’histoire d’une révolution dans une région d’allemagne où on veut supprimer l’argent et ne plus travailler que deux heures par jour, et l’histoire d’une femme qui tente de s’émanciper de l’oppression sous toutes ses formes ; mais ces deux utopies versent, l’une comme l’autre, dans un chaos meurtrier. rainer Werner Fassbinder ne dénonce pas ces utopies elles-mêmes mais bien les moyens utilisés dont la brutalité barbare est inappropriée et fatalement catastrophique. son utopie à lui, elle repose sur la force de toute œuvre d’art à inviter, voire à contraindre, « à revenir sur soi-même, sur sa propre réalité, sur l’analyse de la réalité de chacun » par ce détour symbolique. Pour peut-être commencer à penser autrement… Pour peut-être commencer à penser, simplement.Pour Gwenaël Morin, il s’agit de poursuivre cette utopie. Le travail qu’il mène avec sa compagnie depuis des années est fondé sur l’autorité de la parole en tant qu’acte : une autorité soutenue par une adhésion totale au texte et par un refus radical de recourir à tout autre effet – ni décor ni costume ni éclairage qui viendraient « truquer » les corps agis par les mots. Dans cette mise en scène / mise à nu, de l’anarchie et de la liberté, c’est le texte seul de Fassbinder qui fait la loi et c’est à sa puissance non négociable que Gwenaël Morin entreprend de se soumettre, et avec lui, ses interprètes et leur public.

DeWarmeWinkel

Gouttes dans l’océan :un coup d’essai

Gouttes dans l’océan met en scène la relation du jeune Franz avec un homme plus âgé. interviewé sur la question de l’homosexualité dans son film Le Droit du plus fort, Fassbinder précise: « Dès que l’homosexualité apparaît quelque part dans l’art, elle devient toujours le sujet le plus important. Dans ce cas-là, soit on met l’accent sur l’oppression des homosexuels, soit on présente une vision romantique de la vie heureuse des homosexuels. Personne n’a jamais signalé que la vie des homosexuels est soumise aux mêmes mécanismes que la vie des gens soi-disant normaux. » De fait, Gouttes dans l’océan n’est pas une pièce sur l’homosexualité, mais déjà, comme Les larmes amères de Petra von Kant quelques années plus tard, une pièce sur le fait que « l’être humain (…) a

besoin de l’autre, mais il n’a point appris à être deux », réflexion que Fassbinder met dans la bouche de Petra et qu’il commente par ailleurs : « l’homme (…) n’est pas éduqué de manière à pouvoir plus tard appliquer le principe d’égalité dans ses rapports avec les autres. (…) si bien qu’il y a toujours quelqu’un qui domine. En amour, celui qui est le plus fort ne doit pas exploiter l’amour du plus faible. (…) il est plus facile de se laisser aimer que d’aimer. C’est plus facile pour ceux qui sont aimés et ils en profitent la plupart du temps sans le moindre remords. »

Fassbinder n’a jamais monté Gouttes dans l’océan. L’auteur la considérait-t-il inaboutie ? Ce coup d’essai emprunte sa facture classique à un certain théâtre bourgeois, que le tout jeune Fassbinder tente de revisiter et de détourner par la fabrication d’une matière textuelle d’une pauvreté absolue en chargeant la moindre phrase d’une violence extrême et en finissant par s’envoyer dans le décor « de cette

We are your FriendsDe Warme WinkelTHéÂTRE18..20 DéCEMBRE

Page 20: Journal d'automne

39

38

Les partenairesLe théâtre garonne est subventionné par

le Ministère de la Culture et de la Communication,Direction régionale des affaires Culturelles Midi-Pyrénées,

la ville de Toulouse, le Conseil régional Midi-Pyrénées au titre du fonctionnement, le Conseil Général de la Haute-Garonne au titre du soutien à certains spectacles

et bénéficie du concours de l'onDa (office national de Diffusion artistique) pour la diffusion de certains spectacles

ils accompagnent la saison 2013- 2014

ils soutiennent la saison 2013-2014

Le théâtre Garonne est membre du réseau House on Fire,financé avec le soutiendu Programme Culture de la Commission EuropéenneHouse on Fire est : LiFT Festival (Londres), Hau (Berlin), Kaaitheater (Bruxelles), BruT (vienne), archa Theatre (Prague), Teatro Maria Matos (Lisbonne), Frascati (amsterdam), Malta Festival (Poznan), Théâtre Garonne (Toulouse) and BiT-teatergarasjen (Bergen).

FRENCHAMERICANCULTURAL EXCHANGE

PANTONE 485 M100Y100

CoMMEnT sE REnDrE au THéÂTRE ?

situé en bord de Garonne, rive gauche, à proximité du Pont des

CatalansEn métro : ligne a station st Cyprien

/ république, puis 10 min à piedEn bus : n01 et n045 arrêt Les abattoirs ou n066 Fontaines

En voiture : parking gratuit au théâtre et aux alentours

À vélo : station vélôToulouse devant le théâtre

Toutes les salles de Garonne sont accessibles aux personnes à mobilité

réduite.

CoMMEnT ACHETEr sa PLaCE ?

au théâtre : accueil billetterie ouvert

du lundi au vendredide 13h30 à 18h30 et sans

interruption les soirs de spectacle. Les samedis de représentation à

16h00. Par téléphone : 05 62 48 54 77

Par internet : www.theatregaronne.com

(paiement sécurisé par carte bancaire)attention, toute annulation ou

changement de votre part doit nous être

communiqué la veille du spectacle au plus tard.

nous acceptons les chèques Culture, Toulouse Jeunes et vacances

CoMBiEn ça CoûTE ?

22€ entrée générale 20€ plus de 65 ans, Toulouse

Culture 15€ moins de 30 ans, demandeurs

d’emploi 11€ moins de 22 ans, rsa

GuIDE DuSPECTATEuR

TaRiFs sPECiauX

Certains spectacles font l’objet de tarifications spéciales, de

supplémentsou de réductions applicables à tous

les tarifs. Merci de consulter les pages

des spectacles, le bulletin de réservation ou le site internet.

tarifs spéciaux Cendrillon, Présences vocales #5,

novelum

supplément 3€ Le Crocodile trompeur – Didon et

Enée / antiteatre intégrale / umwelt /

antigone sr.

supplément 5€ soirées 2 spectacles new York

Express les 27 et 29 mars

réduction 3€ pour les 2 cycles new York Express

et in Extremis (XL) : 1er spectacle de chaque cycle au tarif

normal puis réduction de 3 euros dès le 2ème

spectacle de chaque cycle

CoMMEnT PaYER Moins CHEr ?

ADHésion ET CArnETs GAroNnE

avEC L’aDHésion (10 € ou 15 € En

Duo) ET un CarnET

carnet partageable de 4 à 9 places 15 € la place

carnet partageable 10 places ou + 13 € la place

carnet individuel 3 spectacles ou + 10 € la place / -30 ans /

demandeurs d’emploi

sans aDHésion ET un CarnET

(éTuDianT ET LYCéEn)

carnet étudiant 3 spectacles ou plus 7€ la place / nominatif /

étudiants de - de 26 ans (offre limitée aux 500 premiers carnets)

carnet lycéen 3 spectacles ou plus 9€ la place / nominatif

validité de l’adhésion et des carnets : saison 2013-2014

+ d’infos www.theatregaronne.com

Nous aFFiCHoNs CoMPLET ?

nouveau ! Dernière minute : nous conservons 10 places à la vente

uniquement le jour du spectacle (à l’accueil ou par téléphone)

Vous souHaiTEZ REnCoNTrER

LEs ArTisTEs ?

Pour en savoir plus sur la création d’un spectacle, le théâtre Garonne

vous convie à divers temps d’échanges avec les équipes

artistiques.Ces rencontres sont mises à jour sur

le site internet au fil de la saison.

Vous souHaiTEZ VEniREN GRouPE au THéÂTRE

?

Le service du développement des publics est là pour vous conseiller dans vos choix de spectacles et

organiser votre venue. Cécile Baranger 05 62 48 56 59 –

[email protected] Marie Brieulé 05 62 48 56 57 –

[email protected] Ginisty 05 62 48 56 81 –

[email protected]

LEs AMis Du THéÂTRE

spectateurs passionnés, curieux, ou récemment séduits

par la programmation de Garonne, vous pouvez soutenir le projet du

théâtre et participer à son développement.

vous partagerez également questionnements, moments de

création

Page 21: Journal d'automne

40