Joseph Moreau - Approche de Hegel

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  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

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    Revue Philosophique de Louvain

    Approche de HegelJoseph Moreau

    Citer ce document Cite this document :

    Moreau Joseph. Approche de Hegel. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrime srie, tome 80, n45, 1982. pp. 5-34;

    doi : 10.3406/phlou.1982.6171

    http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_45_6171

    Document gnr le 25/05/2016

    http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_45_6171http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_175http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1982.6171http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_45_6171http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_45_6171http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1982.6171http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_175http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1982_num_80_45_6171http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/
  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

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    Approche

    de

    Hegel

    Dans la

    premire partie de notre sicle, Hegel n tait pas tout fait

    inconnu

    en

    France, mais il

    n'tait pas

    reconnu

    dans

    l Universit;

    ses

    ouvrages

    ne figuraient

    point

    dans les programmes des

    examens

    et

    concours; il est vrai qu ils taient

    d accs

    difficile, cause

    de

    l obscurit

    du

    texte

    et

    en

    l absence de

    traductions dignes

    de

    foi.

    En

    outre,

    en

    un

    temps

    o

    la

    philosophie tait enseigne moins des fins spculatives

    que

    pour

    son rle pdagogique,

    les crits hgliens

    paraissaient

    peu propres

    la clarification

    de l'intelligence

    et

    la direction mthodique

    de

    l'esprit.

    Eh

    ce temps-l,

    l'histoire tait

    considre

    comme

    une

    recherche, capable

    de

    nous

    dlivrer

    des

    illusions propres

    un

    temps

    et

    un

    lieu, et

    particulirement aux

    ntres;

    elle n'tait pas conue comme

    un

    devenir

    dterminant

    les

    activits

    de

    l'esprit,

    comme

    un

    facteur

    d explication et

    de

    justification des vnements et des uvres humaines. Ce

    point de

    vue,

    d inspiration hglienne,

    a

    paru

    au contraire s imposer au lendemain de

    la seconde guerre mondiale le

    choc

    des vnements avait t si rude,

    de

    tels changements taient

    survenus, et

    d autres semblaient

    encore

    devoir

    s'instaurer

    en

    consquence, qu il

    paraissait

    oblig que nos faons de

    penser

    elles-mmes se plient

    au

    mouvement de

    l'histoire. Le

    sens

    prsum

    *

    Divisions

    de

    l'article

    I. La Phnomnologie de

    l'Esprit

    1

    . L'esprit et ses fonctions

    2. L'esprit et

    ses

    manifestations historiques

    II.

    Le

    projet du systme

    1

    . Les

    systmes

    post-kantiens et

    le

    modle spinoziste

    2.

    Les sciences de l'esprit et

    le

    savoir

    absolu

    III.

    Logique

    et dialectique

    1.

    La

    dialectique hglienne et

    ses antcdents

    2.

    Le dveloppement

    de

    la logique hglienne

    IV.

    Les

    cycles du

    savoir

    1

    . La gnalogie de la

    conscience

    2. L'accomplissement du savoir absolu

    V. L'hrdit

    hglienne

    1. Les

    sources d'inspiration dtournes

    2.

    L'ternit

    rpudie

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    6

    Joseph

    Moreau

    de l'histoire

    allait devenir le critre

    universel

    des valeurs, le

    signe

    infaillible

    de

    la

    vrit.

    Il

    n'est

    pas inutile de

    remarquer que

    c'est

    d une

    situation

    analogue

    qu tait

    ne

    la

    pense

    philosophique

    de

    Hegel.

    Lorsqu clata

    la

    Rvolution franaise,

    il

    tait en cours d tudes

    au sminaire

    protestant

    de

    Tubingen,

    le Stift,

    o il

    ne recevait pas un enseignement proprement

    philosophique,

    mais thologique

    et historique. L histoire se prsentait

    lui sous

    deux

    aspects,

    l'histoire

    sacre

    et l'histoire

    profane; l une

    servait

    de

    base l ducation religieuse, l'autre la culture

    humaniste

    et c tait un

    problme

    pour

    le jeune

    tudiant,

    le

    futur

    pasteur,

    d accorder

    entre elles

    ces

    deux traditions, l apport

    de

    la

    rvlation

    judo-chrtienne et

    l hritage de

    la

    civilisation grco-romaine. Le problme

    classique des

    rapports

    de

    la

    raison

    et

    de

    la

    foi

    se

    posait

    lui

    dans

    une perspective

    historique,

    o

    devaient se

    dfinir

    les

    rles

    respectifs

    d Athnes et

    de

    Jrusalem.

    Mais cette

    orientation

    historique de

    la rflexion du jeune

    Hegel devait se confirmer

    sous

    l'impact

    de

    l actualit.

    Il

    avait

    dix-neuf

    ans lorsque retentit,

    en

    1789, l cho des

    premires

    journes

    rvolutionnaires qui souleva chez lui

    un

    enthousiasme auquel

    ne

    se peut comparer

    que

    celui

    des premiers

    sectateurs de la rvolution sovitique. La Rvolution

    franaise marquait

    ses yeux

    la fin de l Ancien rgime, l'avnement

    d une

    re

    nouvelle,

    l'ouverture

    d une

    priode qui devait

    conduire,

    aprs

    les

    excs

    de la

    Terreur,

    la

    constitution

    de

    l tat

    moderne,

    fond

    par

    Bonaparte et propos

    comme modle

    l Europe par les armes

    impriales. Hegel demeura toujours, mme aprs Ina,

    un

    fervent admirateur

    de

    Napolon.

    C est

    dans

    cette situation motionnelle,

    dans

    cet tat

    d'effervescence

    intellectuelle, que

    Hegel avait

    rdig

    ses crits de jeunesse,

    composs

    de

    rflexions

    sur l actualit politique, mles

    l examen

    de

    problmes thologiques,

    et

    relies

    des

    considrations sur l'histoire

    universelle.

    Ces crits n'taient

    pas

    destins

    la

    publication, proposs

    la

    discussion,

    un contrle objectif; ils taient communiqus seulement

    un

    petit

    cercle

    d amis,

    runis

    dans

    une

    ambiance

    d adulation

    rciproque.

    De

    l

    leur caractre, qui est moins celui

    de

    la

    recherche thorique

    que

    de

    la

    mditation

    existentielle;

    ils annonaient par

    l le grand

    ouvrage

    que

    Hegel

    devait

    publier

    en 1806, la Phnomnologie

    de

    l'Esprit,

    qui

    nous

    apparat comme

    un

    tableau

    historique des

    progrs de l'esprit humain,

    une histoire dramatique

    de

    la civilisation,

    capable de

    sduire, par

    son

    foisonnement

    d ides et ses montages ingnieux d'vnements, les

    intelligences

    exaltes, les esprits

    non

    mthodiques.

    Cependant, si cet ouvrage a pu captiver l'attention des philosophes,

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    Approche

    de

    Hegel 7

    c'est qu il

    offre,

    outre

    sa

    fascination

    romantique,

    une

    structure

    rationnelle

    Cet aspect dnote que l'auteur

    avait

    d

    acqurir,

    apparemment

    en

    autodidacte,

    une

    culture

    philosophique

    propre

    encadrer

    ses

    premires

    mditations; il avait tudi de manire approfondie

    la philosophie

    critique

    de Kant,

    discut les

    interprtations

    et les dveloppements qu elle

    avait

    reus

    chez

    ses premiers successeurs. C est ainsi qu il avait publi en

    1801 un essai sur la Diffrence

    des

    systmes philosophiques de Fichte et de

    Schelling; ses crits de jeunesse devant demeurer indits jusqu aux

    premires

    annes de notre sicle (1907)1,

    cet

    essai tait

    la premire

    publication (erste

    Druckschrift)

    de Hegel2, sa manifestation comme

    crivain

    philosophique; elle

    atteste

    un

    effort d assimilation,

    d laboration

    et

    de

    dpassement

    de

    la

    philosophie

    kantienne,

    par

    lequel

    est

    impose

    la

    Phnomnologie de

    l'Esprit

    une structure, qui

    servira

    de

    fondement

    au systme hglien.

    I. La

    Phnomnologie

    de l Esprit

    La

    Phnomnologie

    de

    l'Esprit est

    l tude descriptive

    des

    phnomnes

    de

    l'esprit, des manifestations

    de

    l'activit consciente, qui

    s exerce

    non

    seulement

    dans

    la connaissance,

    mais

    aussi

    dans

    l action

    humaine

    sous

    tous ses

    aspects: la technique, l conomie, la

    politique,

    la morale,

    l'art,

    la

    religion.

    Cette

    description

    se

    traduit

    en

    un

    panorama

    historique

    o toutes les expressions de la

    vie spirituelle,

    toutes les

    formes

    de

    la

    conscience,

    sont exposes dans leur varit et leur

    succession

    en

    vue d en

    expliquer l enchanement.

    Cette explication

    ne peut

    tre

    demande

    des

    considrations

    empiriques, comme celles des

    sciences humaines

    ; la vie

    de

    l'esprit

    n'est

    pas le produit de facteurs objectifs; elle

    ne trouve

    pas ses

    conditions

    effectives

    parmi les objets de

    la

    reprsentation scientifique,

    qui est au

    contraire son ouvrage.

    La cl

    de cette

    explication ne peut tre

    livre que par la rflexion sur la connaissance, sur ses conditions a priori,

    sur

    ses principes fondamentaux,

    dgags

    par

    la

    critique kantienne.

    C est

    seulement par l analyse

    de

    la

    fonction cognitive

    que l on

    peut

    s lever

    une

    thorie gnrale

    des

    activits de l'esprit

    et

    de ses manifestations

    historiques

    c'est

    partir

    de

    la philosophie

    transcendentale,

    reprise par

    Hegel et

    conduite

    par lui au del

    de

    son rle critique,

    jusqu

    des

    conclusions systmatiques, que

    l on

    peut dcouvrir

    la

    structure rationnel-

    1 Hegels theologische Jugendschriften, hrsg. von Hermann Nohl, 1907.

    2

    G.W.F. Hegel,

    Prem ires publications

    (Diffrence

    des

    systmes..., Ina

    1801; Foi

    et savoir,

    Tubingen,

    1802). Trad.,

    introd.

    et notes par

    Marcel

    Mry,

    Paris, 1952.

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    8

    Joseph

    M

    reau

    le

    de la Phnomnologie de

    l'Esprit et

    tenter de

    voir clair

    dans

    le systme

    hglien.

    1.

    L esprit

    et

    ses

    fonctions

    Au regard

    de

    la philosophie transcendentale, la connaissance

    a

    son

    point

    de dpart

    dans la sensation, qui est la

    manifestation

    premire

    de

    l'esprit, la

    forme

    immdiate

    de

    la

    conscience.

    Immdiate en ce sens qu elle

    recouvre l'indistinction

    du

    sujet et de l'objet,

    du sentant et du senti

    (je

    suis

    odeur de

    rose,

    dit la

    statue de Condillac), ainsi

    que

    l'indistinction

    de

    son contenu

    : j embrasse

    d un

    seul

    regard

    toute l tendue

    d une

    campagne; mais pour y distinguer des objets, je dois

    en

    parcourir

    successivement

    toutes

    les

    parties.

    La

    perception,

    remarquait

    encore

    Condillac,

    suppose Y

    analyse du

    contenu

    de

    la

    sensation;

    elle requiert,

    pour Kant,

    la

    synthse des impressions sensibles, groupes

    en

    objets

    rciproquement

    distincts, et s opposant

    comme des choses

    au sujet qui les peroit3.

    Mais les objets de

    la

    perception sensible ne demeurent pas identiques

    eux-mmes

    dans le

    temps;

    ils

    subissent

    des

    changements perptuels; ils

    se dfont

    et

    se

    refont

    sans cesse. La diversit successive des phnomnes

    ne

    peut

    fournir la

    connaissance

    des objets stables

    que

    si

    leur varit est

    ramene

    des relations constantes,

    des rapports universels et

    ncessaires

    sur

    lesquels repose

    l'objectivit

    de

    la

    reprsentation scientifique.

    Mais

    cette objectivit

    de

    la reprsentation, qui rsulte des dterminations

    de l'entendement appliques aux phnomnes, rduit

    en

    quelque sorte

    la

    ralit des objets.

    Les

    objets de

    la science sont des constructions de

    l'activit intellectuelle;

    leur objectivit est

    indpendante de la

    ralit des

    choses4. Dans une thorie

    idaliste de

    la

    connaissance, comme celle de

    Kant, la

    chose en soi, si

    elle n'est

    pas

    absolument

    exclue, n en

    est pas

    moins

    tenue pour inconnaissable; l'entendement ne peut conclure

    de

    la

    reprsentation

    la ralit

    de l'objet, de

    l essence

    l'existence,

    de l ide

    l'tre.

    Hegel se spare sur ce point de Kant. Le point de vue de

    Y entendement,

    qui nous ramne du

    ralisme

    de

    la

    perception sensible

    3

    Condillac,

    Logique,

    lere

    partie, chap.

    2;

    Kant, Analytique transe. (2e d.)

    26.

    Voir aussi notre

    article: Intuition et apprhension,

    dans Kant-Studien,

    1980, p.

    282-283.

    4 Cette

    remarque, avance

    par Malebranche,

    Recherche de

    la Vrit, vi

    2,

    VI (OE.

    C,

    II

    377)

    est

    la base

    de

    la

    distinction

    marque

    par Kant entre

    la ralit empirique des

    objets

    dans l'espace et leur idalit

    transcendentale (Esth. transe,

    3 Conclusions: 2e

    d.,

    B 44).

    Les

    lettres A

    ou

    B,

    suivies

    du

    numro

    de

    la

    page, renvoient respectivement

    la

    premire

    ou

    la

    seconde dition

    de

    la Critique

    de la

    raison pure.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    6/31

    Approche de Hegel 9

    l idalisme

    de

    la reprsentation

    scientifique, doit tre dpass

    par la

    raison,

    dfinie par Kant comme

    la facult

    qui conoit les

    ides,

    qui

    labore

    des

    concepts

    transcendants,

    comme

    ceux

    de

    l me,

    du monde

    et

    de Dieu, auxquels l exprience ne peut fournir

    un contenu

    adquat.

    Aux

    ides de

    la raison correspondent des objets hyperboliques,

    qui

    ne

    peuvent

    se

    rduire

    des

    dterminations strictement objectives,

    applicables des

    phnomnes, mais dont le concept se

    rfre

    l'activit de l'esprit

    et

    son

    exigence d absolu, d inconditionn5. Kant accorde par

    l un

    rle aux

    ides

    de

    la raison:

    c'est de relier entre elles les connaissances de

    l'entendement, de

    porter le

    savoir sa plus haute

    unit6. Les

    ides de

    Dieu, de

    l me et du monde expriment

    autant de points de

    vue

    d o

    l exprience peut tre

    regarde comme

    une totalit; mais

    cette

    fonction

    d unification

    est purement spculative, elle n quivaut pas

    une

    extension

    de

    la connaissance, ne

    permet

    pas

    de

    saisir des objets transcendants.

    La raison

    est

    une

    facult

    dialectique, c est--dire procdant par concepts

    purs, qui

    faute

    de s appliquer des phnomnes, de dterminer des objets

    d exprience, ne peuvent produire

    aucune

    connaissance vritable;

    la

    pense

    dialectique

    est gnratrice

    d illusion7.

    Hegel retient

    de

    Kant la

    distinction

    entre

    l'entendement, dont les

    dterminations,

    appliques aux phnomnes,

    produisent la

    connaissance

    objective,

    et la raison,

    facult

    dialectique, dont la

    fonction

    est

    d'unifier

    la

    connaissance; mais il

    veut

    rhabiliter

    la

    fonction

    dialectique,

    en

    montrant

    qu en

    elle s achve le progrs

    de

    l'esprit

    vers

    la connaissance; son

    rle ne

    se rduit

    pas

    l'unification,

    mais

    aboutit

    la promotion

    suprme

    du

    savoir.

    Le

    progrs de

    la connaissance s'effectue, on l a

    vu,

    par

    tapes

    successives:

    de

    l indistinction des impressions

    sensibles,

    l'esprit s lve

    d abord

    la

    distinction de l objet

    et du

    sujet, qui s accomplit au niveau de

    la

    perception; mais cette

    distinction

    implique l opposition entre

    la

    vrit,

    qui se rapporte l objet,

    et la certitude,

    qui

    est inhrente

    au sujet. C est

    pour surmonter cette

    opposition,

    pour ramener la vrit dans le

    sujet

    et la

    faire

    concider

    avec la

    certitude,

    que

    l'esprit

    s lve

    la

    reprsentation

    intellectuelle,

    l objectivit

    de

    la science;

    mais

    par l, c'est la ralit

    de

    l objet,

    la

    chose

    en soi, qui lui

    chappe;

    le rle

    de

    la

    raison, de

    la

    facult

    dialectique, c'est,

    pour

    Hegel, de

    rcuprer la ralit en faisant rentrer

    les

    5 Kant, Dial,

    transe,

    I, sect.

    2 (B

    383-384).Ibid.,

    Introduction, II

    B

    (B 361).

    Ibid., I

    (B

    349

    sq.): De

    l'illusion transcendantale; cf.

    Appendice

    la Dial,

    transe:

    De

    l'usage rgulateur des ides de la raison pure.

    (B

    670).

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    7/31

    10 Joseph Moreau

    objets connus

    dans

    l'unit du Tout, o se ralise

    la

    concidence

    du

    sujet et

    de

    l objet.

    La succession

    de

    ces

    tapes nous

    permet

    de

    voir

    comment

    s'effectue

    le

    passage de

    l une

    l'autre,

    et

    de

    reconnatre ainsi

    les dmarches

    de

    la

    pense dialectique. La dialectique

    tait

    regarde traditionnellement

    comme une partie de

    la

    logique, ct de l analytique; mais elle apparat

    ici comme

    une logique

    largie, dont

    la fonction

    dpasse

    la logique

    formelle, qui

    est

    une logique de l'identit, qui conclut

    du

    mme au mme,

    du tout

    la partie8;

    la

    dialectique est,

    au contraire,

    pour

    Hegel

    une

    logique

    de

    l opposition; elle procde du mme

    l'autre, d une

    dtermination son oppos. De l'indistinction immdiate

    du

    sensible l'esprit s lve

    la position

    de

    l objet

    en

    face du

    sujet;

    mais le

    progrs

    de

    la

    connaissance

    exige

    que

    soit

    surmonte

    cette

    opposition,

    propre

    au

    niveau

    de

    la

    perception. Ce

    rsultat

    est obtenu par les dterminations de

    l'entendement,

    qui

    nie la

    position de

    l objet

    comme chose en soi, distincte

    de

    l esprit; la ngation du ralisme empirique, lequel

    correspond

    au

    niveau

    de

    la

    perception, conduit l idalisme transcendental, pour qui

    l'tre

    est

    ramen

    la

    reprsentation; mais cette ngation idaliste doit

    tre

    nie

    son tour, par une seconde ngation, qui suspend la

    prcdente,

    qui surmonte

    le repli idaliste, en faisant concider l objet et le sujet dans

    l unit absolue

    du

    Tout, o ils trouvent

    leur

    fondement9.

    Mais

    ces

    oppositions,

    que

    doit

    surmonter

    l'esprit

    dans

    son progrs

    vers

    la connaissance,

    se rvlent

    aussi

    comme les conditions de son

    activit morale et

    de ses

    attitudes

    religieuses;

    c est

    travers ces

    oppositions

    en

    effet, qu il prend conscience de ses rapports

    avec ses

    semblables

    et avec Dieu. L accs

    de

    la conscience au niveau

    de

    la perception,

    opposant

    l objet

    et le sujet, rend possible

    la

    rflexion

    du

    sujet sur lui-

    mme, la conscience

    de

    soi ou

    autoconscience

    (Selbstbewufitsein),

    grce

    laquelle le sujet ou le moi s oppose non seulement aux objets extrieurs,

    aux

    choses,

    mais aux autres moi10. Il

    rencontre

    autour de

    lui

    d autres

    sujets

    comme

    lui,

    avec

    qui

    il

    peut

    entrer

    en

    communication;

    mais

    il

    s aperoit

    alors qu ils

    n'ont

    pas

    les mmes

    sentiments que lui, la

    mme

    vision

    du

    monde;

    chacun

    d eux a sa

    subjectivit propre, lie

    sa

    8 Cf. Leibniz (Foucher

    de

    Careil, Nouvelles lettres et opuscules indits

    de L.,

    p. 181),

    pour

    qui

    la

    vrit d'une

    proposition

    repose sur l'identit

    (totale ou partielle) du

    sujet et

    du

    prdicat, c'est--dire la concidence

    de

    l'un

    et

    de l'autre ou Yinclusion

    du

    second dans le

    premier.

    9

    Hegel, Phnomnologie

    de l Esprit, I-III

    (La conscience).

    10

    Ibid.,

    IV A

    i

    et

    h (La

    conscience de soi).

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    8/31

    Approche

    de

    Hegel 1 1

    situation,

    aux

    conditions particulires

    de son

    existence. Dans

    l exprience

    de

    l 'intersubjectivit, il

    dcouvre,

    travers l opposition

    de

    l objet et du

    sujet,

    une

    opposition

    l'intrieur

    de

    lui-mme,

    entre

    la

    subjectivit

    sensible

    et

    l objectivit

    du

    savoir:

    opposition

    qui implique celle de

    la

    certitude et

    de

    la

    vrit,

    et o

    se

    marque la

    distance entre

    notre esprit fini

    et l idal transcendant quoi il aspire11.

    Ainsi

    l opposition du

    sujet

    et

    de

    l objet, du

    moi

    et des choses, se

    redouble d abord

    dans

    celle

    du

    moi

    et des autres ; le rejet des choses dans

    l'extriorit,

    YEntufierung,

    trouve

    sa rplique

    dans

    YEntfremdung,

    l exclusion

    de l Autre comme tranger12. Puis,

    travers

    cette opposition

    redouble,

    aprs

    ces deux

    formes d objectivation,

    l une ralisante, l autre

    alinante,

    se

    dcouvre

    une

    opposition

    intrieure

    au

    sujet lui-mme,

    entre

    sa

    condition

    empjrique

    et son

    aspiration

    idale,

    entre

    son

    existence

    finie

    et son exigence d'infini.

    Cette

    dualit intrieure, ce ddoublement

    (Entzweiung) ou scission, est

    cause

    de l inquitude de

    la

    conscience, de

    son

    effort pour

    dpasser

    sa

    condition empirique et

    s lever au

    divin13;

    mais cette

    dualit intrieure elle-mme est saisie d abord sous la forme

    d une opposition

    ralisante, qui s exprime

    dans les

    reprsentations de

    la

    conscience religieuse, sous l aspect

    d une transcendance

    oppressive, qui

    devra

    tre dpasse par

    le progrs

    de

    la spiritualit.

    2. L esprit

    et

    ses manifestations historiques

    C est en fonction

    de ces

    formes

    d opposition ralisante

    et par

    leur

    dpassement

    dialectique, dont

    le

    dveloppement de

    la

    connaissance

    fournit le

    modle,

    que s explique dans la Phnomnologie

    de

    l Esprit

    l enchanement des

    manifestations historiques de

    la

    conscience, le

    dveloppement

    de

    la

    civilisation sous

    ses aspects divers, ceux

    de

    la morale,

    de

    la

    politique, de

    l'art,

    de

    la religion.

    Ce mode

    d explication est mis en

    uvre tout

    au long de

    l ouvrage;

    il

    est illustr par

    ses

    applications

    avant

    mme d'tre

    analys dans

    ses principes,

    ce qui

    ne

    facilite

    pas la

    lecture

    de

    ce

    livre,

    et en favorise au

    contraire l'interprtation superficielle

    et

    fantaisiste.

    Ainsi, l une des formes

    de

    l opposition ralisante, celle qui

    spare les consciences et les rend trangres les unes aux autres, celle que

    11

    Ibid.,

    V:

    Certitude

    et vrit de la Raison.

    12

    Ibid.,

    IV

    A

    i, p. 141-143

    Hoffmeister

    :

    l'objectivation extriorisante

    ou

    extrana-

    tion s'ajoute Yalination proprement

    dite,

    qui spare les consciences, et qui est surmonte

    dans leur reconnaissance rciproque (Anerkennung).

    13

    Ibid., IV B m: La

    conscience

    malheureuse, p.

    158

    sq.

    Hoffm.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    9/31

    12

    Joseph Moreau

    l on

    appelle X alination,

    trouve

    son expression historique dans la relation

    du matre et

    de l esclave: thme

    rhtorique plutt que philosophique, et

    dont Hegel

    est tent

    de faire

    abus dans ses analyses phnomnologiques.

    La relation matre-esclave a

    son origine dans la guerre: l esclave,

    c'est le

    vaincu, celui

    qui a prfr l'assujettissement la mort, qui a

    accept

    la

    loi du vainqueur. Mais de cette

    dpendance

    impose par

    la

    force

    n'est pas

    exclue toute rciprocit; si l esclave

    subit la

    loi

    du matre,

    celui-ci

    en

    retour a besoin de

    l esclave;

    son

    loisir

    repose

    sur le travail

    de

    l esclave,

    qui tire de

    l un

    moyen de revanche;

    le matre peut tre

    rduit

    merci par

    l esclave,

    et

    les esclaves coaliss peuvent imposer leur

    domination

    la classe dirigeante.

    C est

    dans ce renversement

    du rapport de

    dpendance, dans cette ngation du pouvoir

    tabli,

    dans

    un

    retournement

    dialectique,

    que

    consiste, selon Marx,

    la

    rvolution

    sociale;

    mais,

    au

    regard

    de Hegel,

    ce retournement ne suffit

    pas

    instaurer la paix

    sociale; il faut

    que

    l opposition mme soit surmonte par une ngation

    qui supprime l alination, l antagonisme des classes, et les rconcilie

    dans

    l unit de l tat14.

    L opposition du matre et de l esclave ne doit pas, en effet, tre

    considre seulement sous son aspect extrieur, celui

    de

    l alination

    rciproque; elle se reflte dans l'intriorit, o elle approfondit la scission

    et

    aggrave le malheur de la conscience. Aperue travers cette

    opposition,

    la

    distance

    de

    la

    subjectivit

    empirique

    l idal

    spirituel

    ne suscite

    pas

    l'effort

    de dpassement; elle

    touffe,

    au

    contraire,

    l aspiration morale

    et

    fait apparatre

    le

    devoir comme

    une contrainte,

    qui

    crase la libert du

    sujet

    sous l'autorit

    de

    la loi. Par l l individu est port se dtourner

    de

    l tat,

    regard

    comme

    une

    puissance

    oppressive; les exigences

    de

    la vie en

    commun, de

    la

    lgalit sociale et

    politique,

    apparaissent comme tyranni-

    ques; la conscience religieuse elle-mme s'en trouve pervertie; elle se fait

    de la

    Divinit une

    image despotique, qui contrarie la

    nature

    humaine au

    lieu de l exalter15.

    Ce

    malaise

    de

    la

    vie

    politique

    et

    religieuse,

    qui

    marque,

    aux

    yeux

    de

    Hegel,

    la

    socit de

    son temps, contraste avec le

    mirage

    hellnique,

    l image

    qu il se fait de

    la

    Grce antique, partir des travaux de

    Winckelmann, et qui sduisait galement le pote Hlderlin, son

    condisciple

    du

    Stift. A travers

    le rayonnement

    de

    l'art

    grec,

    des chefs

    d uvre de

    l'architecture, de

    la statuaire,

    de la

    tragdie,

    il se reprsentait l Antiquit

    14

    Ibid.,

    IV

    A

    m,

    p. 145-150.

    5

    Ibid., VII A i, p. 483.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    10/31

    Approche

    de Hegel

    13

    hellnique comme un ge

    d or,

    antrieur au malaise

    de

    la

    civilisation,

    et

    correspondant

    la

    condition primitive de

    la

    conscience, son

    sentiment

    immdiat

    de

    bonheur,

    que

    ne

    menacent

    pas

    encore

    les

    activits

    d objectivation, d o

    rsultent

    l alination et la

    scission. Dans

    la

    cit

    grecque,

    l individu est

    spontanment accord avec

    l tat;

    non seulement

    la cit est la

    gardienne

    des lois,

    qui garantissent

    la libert du citoyen, mais

    le dpositaire des valeurs d o il tire son excellence (arte), son mrite

    moral

    et son panouissement spirituel; elle est une communaut

    laquelle il

    est

    naturellement

    intgr et

    prt sacrifier sa

    vie;

    les Dieux du

    paganisme offrent

    ses yeux le modle

    de

    la perfection et

    de

    la flicit

    humaines, n imposent l homme

    aucune servitude, ne lui inspirent

    aucune terreur16. Cette organisation

    politique, cette

    attitude religieuse

    ont fait

    de

    la cit grecque le paradis

    de

    l'esprit humain, alors que

    l Eden

    biblique

    tait

    seulement,

    au dire de Hegel, celui

    de la nature

    humaine. La Phnomnologie de

    l'Esprit

    a pour tche de montrer par

    quelles mdiations,

    par quelle

    suite

    d oppositions,

    nes de l objectivation,

    puis retournes et

    surmontes dialectiquement,

    la conscience s loigne

    graduellement de

    son immdiatet sereine et s achemine

    douloureusement vers la

    pleine

    possession

    de

    soi dans son unit reconquise, dans son

    union avec le

    Tout.

    Cette

    histoire

    du

    progrs

    de l'esprit

    ne

    peut

    tre

    retrace ici

    que

    sommairement; mais

    cette

    simplification

    est

    ncessaire

    et

    conduit

    des

    conclusions

    suffisantes. La ruine de

    la

    cit

    grecque

    a t, aux

    yeux

    de

    Hegel,

    le rsultat

    de

    la croissance conomique, du

    dveloppement de

    la

    richesse, qui, attachant le

    citoyen

    la

    gestion

    de

    ses biens matriels, l a

    dtourn

    des

    fins idales de

    la

    cit, dont

    la

    principale

    est son

    indpendance

    politique, garantie

    des liberts

    civiques.

    C est le

    dveloppement de

    l conomie

    qui a

    dissoci

    de l'tat, de

    la

    socit politique,

    ce qu on peut

    appeler

    la

    socit

    civile, la rgle des

    rapports entre

    les intrts

    particuliers17

    et cette

    scission

    dans

    la

    vie

    sociale a conduit remettre les affaires

    publiques

    un

    pouvoir

    despotique,

    celui

    des

    monarchies

    hellnistiques,

    puis celui de l'empire romain.

    C est dans cet tat d assujettissement

    politique que

    s'est rpandue

    une religion

    nouvelle, porteuse

    d un message

    d'affranchissement,

    mais

    tranant

    aussi

    avec elle

    l hritage du

    judasme,

    16 Voir

    ce

    sujet

    l crit intitul:

    Diffrence entre l'imagination

    religieuse des

    Grecs

    et

    la religion

    positive

    chrtienne, in

    Nohl,

    op. cit., p.

    214-231 =

    Frhe Schnften (Hegel. Werke

    in

    20 Bnden,

    Suhrkamp Verlag, I) p. 202 sq., et notamment p. 205.

    17 Sur

    cette

    opposition de l'tat et de la

    socit

    civile, voir

    particulirement

    Hegel,

    Principes de la philosophie du

    droit

    (1821) * 258.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    11/31

    14 Joseph

    Moreau

    d une

    conception qui consacrait la servitude de l homme devant

    la toute-

    puissance divine18.

    Or, avant

    l expansion du

    christianisme,

    la

    philosophie avait tent de

    ragir

    l assujettissement

    politique

    en

    invitant

    l'esprit

    se

    dtacher

    des

    biens extrieurs, qui

    ne dpendent pas de nous, et dcouvrir

    la libert

    intrieure; telle tait

    l'attitude stocienne,

    regarde

    par

    Hegel comme

    une

    forme du

    repli intellectualiste, par o le sujet se dtache

    du

    monde,

    renonce

    l action dans l'histoire,

    de mme

    que l idalisme

    transcendental

    renonce la connaissance des choses en soi19. De cette attitude

    ngative,

    Hegel voit

    un

    autre exemple dans

    le scepticisme,

    contemporain

    du

    stocisme;

    de

    l'incertitude universelle, le sceptique aboutit

    la

    mme

    pratique

    d abstention que le

    dogmatisme

    stocien,

    proclamant

    l infaillibilit

    du

    sage20.

    Mais

    ces

    deux

    formes

    du renoncement

    ne

    sont

    pas,

    aux

    yeux

    de Hegel,

    l quivalent

    d une libration,

    elles ne dlivrent pas la

    conscience

    du

    conflit intrieur du

    matre et

    de

    l esclave.

    La libert et

    la

    rconciliation des hommes,

    la

    dsalination

    que la

    philosophie, la rflexion

    abstraite,

    n avait pas russi procurer, voil ce

    qu annonait l'enseignement du Christ, qui voulait, de l avis de Hegel,

    affranchir

    la

    conscience

    religieuse

    de l asservissement aux dogmes

    et

    la

    loi judaques.

    Devant le Dieu

    crateur, l'homme, comme toute

    crature,

    est

    rduit

    au rang

    de

    chose;

    mais le

    Christ est

    venu

    manifester que Dieu

    s est

    fait homme.

    Celui

    qu on

    appelait

    le

    Fils

    de

    l Homme

    s'est

    proclam

    lui-mme Fils de Dieu; il a aboli

    ainsi la

    sparation entre l humain et le

    divin

    et nous a appris dcouvrir

    dans notre

    existence finie, dans

    l'intriorit spirituelle,

    l immanence de l Esprit

    infini, la

    prsence

    en

    nous

    de

    l'infini, du divin21.

    Tandis

    que la conscience

    tait ainsi

    dlivre

    de

    la

    scission,

    le Christ prchait

    aux

    hommes l amour

    universel, les

    affranchissait par l

    de

    la servitude et

    de l alination. Il

    invitait

    chaque

    sujet

    conscient,

    chaque homme,

    reconnatre en

    son semblable un autre soi,

    18 Voir l crit intitul:

    La

    posit vit de la Religion

    chrtienne (Nohl,

    p. 152-213 =

    Frhe Schriften, p.

    104

    sq.) notamment p.

    105

    tat de

    la religion juive. Jsus. Cf.

    Concept

    fondamental

    de l esprit du

    christianisme (Nohl. p.

    385-398 =

    Frhe Schriften, p. 297-312),

    et

    notamment

    p. 298: La

    racine du

    judasme,

    c'est

    l'objectiv, c'est--dire le service,

    l'assujetissement un tranger. De

    quoi

    on

    rapprochera

    la remarque sur les

    Juifs dans

    la

    Phnomnologie

    de l Esprit, V A 3, p. 250.

    19

    Phnom.

    de l Esprit, IV B

    I, p. 152-154.

    20

    Ibid., IV B ir p.

    154-158.

    21

    Voir

    l crit intitul L'esprit

    du

    christianisme (Nohl, p. 261-342

    =

    Frhe

    Schriften,

    p. 317-418, notamment p. 370,

    375-376).

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    12/31

    Approche de

    Hegel 15

    rompre

    les barrires

    de

    l individualit,

    s'unir

    avec tous les autres

    hommes

    dans la

    communaut de l'esprit divin22.

    La

    religion

    du

    Christ

    n a

    pas

    russi,

    observe Hegel,

    s imposer

    dans

    sa

    puret; la communaut chrtienne

    s est

    transforme en une

    institution

    autoritaire, l glise, qui, allie

    au

    pouvoir

    politique, a cependant

    contribu,

    avec

    l ordre

    fodal,

    l dification de

    la

    civilisation

    mdivale, et

    apport ensuite

    un appui

    l tablissement

    des

    tats

    monarchiques23.

    Ce

    rle politique

    de

    l glise, son

    pouvoir

    spirituel et sa fonction

    dogmatique, ont contribu

    l organisation du monde

    moderne, au

    dveloppement de

    la

    raison

    dans

    l histoire; ils rpondaient aux besoins de l poque,

    jusqu au jour

    o

    ils

    ont

    provoqu

    une

    double

    raction, celle de

    la

    Rforme sur le plan religieux, et sur le plan politique

    celle de

    la

    Rvolution

    franaise24.

    De

    ces deux mouvements, les consquences

    sont

    envisages par

    Hegel, non

    seulement

    travers la rflexion philosophique,

    mais au niveau de l actualit.

    Si la Rvolution franaise a chou, si elle a conduit la

    Terreur,

    c'est que, inspire par

    un

    rationalisme

    abstrait,

    elle n a pas su intgrer les

    composantes

    d un

    tat

    moderne, l'esprit civique,

    idal de

    la

    Cit

    antique,

    et les ralits

    de

    la vie conomique. En exaltant la libert, elle

    a

    suscit

    l enthousiasme

    populaire, l hrosme

    des soldats

    de l an

    Deux;

    mais

    en

    voulant supprimer

    l'ingalit,

    elle a

    non seulement

    fait tomber des

    ttes,

    mais

    elle

    a

    branl les bases de

    la

    socit civile;

    c'est

    ainsi qu elle

    a

    rendu

    ncessaire

    une

    restauration de

    l'autorit politique. Hegel

    voit

    en

    Napolon le

    fondateur de l tat moderne, rejetant l Ancien rgime,

    la

    monarchie

    de

    droit divin,

    mais refusant galement

    la

    dmocratie gali-

    taire.

    L tat franais

    restaur

    est

    le modle

    de l tat

    moderne,

    de

    la

    monarchie

    constitutionnelle, capable de

    concilier les ralits

    de

    la socit

    civile avec les aspirations au droit et

    la libert25.

    L idal

    universaliste

    qui

    inspirait le

    Contrat social ne peut se

    raliser

    que

    dans

    une socit

    particulire, sur

    la

    base d une solidarit de fait, entre les membres d une

    22

    Le dpassement de la loi rationnelle,

    de

    l'individualisme

    moral, dans l'amour

    universel est mis en

    relief

    dans le second

    des

    crits

    mentionns ci-dessus (n. 18),

    particulirement p.

    385

    Nohl, p.

    302

    Fr. Schr.: La rflexion (Gesinnung)

    supprime la

    positivit,

    l'objectivit

    des

    commandements;

    l'amour

    dpasse

    les limites

    de la

    rflexion,

    la

    religion

    les limites

    de

    l'amour. Ces textes

    ont t

    traduits par

    J. Martin sous le

    titre:

    L'esprit du christianisme et son destin, et

    comments

    par J.

    Bourgeois, Hegel

    Francfort,

    p. 35 sq.

    23 Cf. Hegel,

    Leons sur la philosophie de

    l histoire, 4e

    partie,

    2e sect.,

    chap.

    1

    et

    3.

    24 Ibid., 3* section.

    25

    Ibid., et

    Phnom.

    de l'Esprit,

    VI

    B

    m

    :

    La

    libert absolue et la

    Terreur,

    notamment

    p.

    414-422.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    13/31

    16

    Joseph

    Moreau

    communaut

    forme

    par l'histoire.

    L tat,

    s appliquant raliser

    l'intrieur d un

    groupe

    particulier

    les valeurs universelles de

    la

    raison,

    doit

    tre tenu pour l'universel concret; il

    requiert la

    mdiation de

    la

    sagesse

    politique par

    quoi

    s'effectue

    la

    conciliation

    du

    droit

    idal

    et

    de

    la

    positivit sociale26.

    C est

    encore un

    dfaut

    du rationalisme

    abstrait,

    de

    YAufklrung

    ou

    philosophie des

    lumires,

    qui se montre dans son aversion

    l gard de

    la

    religion

    tablie, notamment

    dans les

    pays

    catholiques, et plus

    gnralement

    l gard des religions positives, dont il rejette les croyances

    particulires

    pour ne

    retenir

    que la

    profession des vrits universelles

    (Dieu, l me, l'immortalit), qui forment le contenu

    de

    la religion

    naturelle. En

    rejetant la religion

    rvle, o s exprime

    le divin

    travers

    une institution historique,

    le

    rationalisme

    mconnat

    que

    toute religion

    positive

    traduit

    sa manire

    la

    relation

    vcue

    de l homme

    avec la

    nature,

    avec

    les autres hommes,

    et

    l inquitude de

    la

    conscience devant l objet de

    son

    aspiration infinie27.

    Le judasme,

    le

    paganisme expriment

    respectivement l angoisse du peuple juif ou la conscience sereine

    de

    l homme grec

    en face

    de

    l Univers et

    de

    son destin28.

    Pareillement

    les dogmes

    du

    christianisme, interprts selon l'esprit

    de

    la

    Rforme,

    expriment

    symboliquement l union, dans la

    conscience, du

    fini et

    de

    l'infini; tel serait le

    sens de

    l Incarnation.

    La

    mort

    du

    Christ marque la

    ncessit de sacrifier

    la

    vie

    empirique

    pour

    atteindre,

    travers

    la

    mortification,

    la

    glorification

    c est--dire

    l union

    de notre

    me avec la vie

    divine

    et la

    rconciliation

    de

    toutes

    les

    consciences dans

    l unit de l'esprit; cette

    glorification

    est

    la

    signification des

    mystres

    de

    la Rsurrection,

    de l Ascension, de

    la

    Pentecte.29.

    Les

    rvlations de

    la religion

    chrtienne correspondent ainsi

    la

    vrit

    suprme o tend la rflexion rationnelle, la raison philosophique,

    26 Hegel, Principes

    de la

    Philosophie

    du

    droit, 258,

    o

    est reproch

    Rousseau sa

    conception

    purement

    rationaliste

    de

    l'tat.

    Il

    convient

    d'observer

    toutefois

    que

    l'auteur

    du

    Contrat

    social

    (lere version; I 2, p.

    287, t.

    III de

    l'dition

    de la Pliade)

    rpudie

    le

    cosmopolitisme

    abstrait. Cf.

    l'article de Hegel

    Sur

    le droit naturel

    (S.W.,

    Lasson,

    VII,

    p. 371):

    Le

    positif

    de

    l'ordre

    thique rside

    en ceci

    que la

    totalit

    thique

    absolue

    n est

    pas

    autre chose qu'un peuple.

    27 Voir

    Systemfragment

    (1800) Nohl, p. 346-347, Fr. Schr., 421-423: L'lvation de

    l'homme...

    de la vie

    finie

    la vie infinie est Religion, ainsi que Phn. de l'Espr.,

    VII,

    p. 473.

    28 Cf. ci-dessus, n.

    16 et

    18.

    29 Voir Phn. de l'Espr.,

    VII

    C: La Religion rvle (offenbare,

    c'est--dire

    se

    dcouvrant

    ncessairement

    l'esprit),

    p. 521 et

    suiv., avec

    les

    notes

    de

    J.

    Hyppolite

    sa

    traduction,

    t.

    II, p.

    258

    sq.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    14/31

    Approche

    de Hegel

    17

    s appliquant dpasser

    l objectivit

    abstraite

    de

    l entendement pour

    atteindre la certitude

    absolue; mais ces

    vrits, la religion nous les

    prsente

    sous

    un

    aspect

    objectif,

    travers

    la

    reprsentation

    d un

    tre

    qui

    est le

    sujet

    absolu, l Esprit universel ( Weltgeisi), pos comme distinct du

    ntre.

    Or, une telle reprsentation

    n'est

    pas, selon Hegel, adquate sa

    vise30. L Esprit

    universel

    ne

    peut

    tre conu que

    comme

    un

    sujet qui

    comprend

    en

    soi toutes choses, comme une conscience de soi s tendant

    la totalit

    de l'tre les esprits

    finis,

    les sujets

    particuliers,

    doivent

    donc

    aussi tre

    compris

    en

    lui,

    ne

    peuvent tre conus

    sans lui. Notre

    esprit,

    de

    son ct,

    ne

    conoit

    vraiment Dieu

    que s il parvient lui-mme

    la

    comprhension

    du

    Tout, l embrasser

    dans la

    conscience

    de

    soi,

    concider

    ainsi

    avec

    Dieu,

    l'Esprit

    absolu,

    dans la

    plnitude

    du

    savoir

    absolu31. Suivant

    cette vue

    hglienne,

    il

    ne

    suffit

    donc pas

    de dire

    avec

    la thologie traditionnelle et

    l idalisme

    philosophique

    que

    c'est

    en

    Dieu

    seulement que

    nous apercevons la vrit; il faut ajouter

    que

    c'est en notre

    esprit que s actualise la

    vrit,

    apprhende

    en

    toute certitude, et que

    s accomplit

    Dieu dans la perfection

    de

    la

    connaissance.

    Or,

    il nous est apparu que

    cette plnitude

    du savoir n'est

    acquise

    qu au

    terme

    d un

    itinraire, d une odysse de

    la

    conscience, qui

    nous est

    dcrite

    dans la

    Phnomnologie de l Esprit.

    Hegel prsume en

    consquence que si c est dans le

    savoir

    absolu que l Esprit universel

    atteint

    en

    mme

    temps

    que

    nous

    la

    plnitude

    de

    la

    conscience de

    soi,

    il

    a d

    suivre

    le

    mme

    itinraire. En

    Dieu

    lui-mme

    la parfaite

    conscience

    de

    soi est

    un

    rsultat,

    dont

    notre

    conscience

    philosophique

    doit

    dcouvrir la

    ncessit.

    Aprs la

    description de

    l'itinraire, qui est la

    manifestation de

    l'esprit, s impose

    Hegel la tche

    de

    montrer comment cette gense

    progressive

    du

    savoir

    rpond

    une

    exigence

    radicale d achvement

    de

    la connaissance,

    d accomplissement total

    de

    l'esprit,

    suivant

    une ncessit qui

    s exprime

    dans

    l unit absolue d un

    systme.

    H. Le projet du

    systme

    La Phnomnologie de

    l'Esprit nous est

    apparue comme une

    histoire

    30 Ibid., VIII,

    p. 549:

    L'esprit,

    dans la religion rvle, atteint

    sans

    doute la

    conscience de soi;

    mais celle-ci,

    dans son

    effectivit,

    n est pas encore l'objet de sa

    conscience.

    31

    Ibid., p. 558-559

    Dans

    le

    savoir

    absolu s'achve le mouvement

    de

    la

    connaissance,

    par

    lequel

    Y

    objet de la

    conscience, le contenu de l'exprience, est transform en objet

    de

    la

    conscience

    de soi,

    c'est--dire supprim en tant qu'objet

    et absorb

    dans le concept.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    15/31

    18

    Joseph

    Moreau

    romance

    de

    la

    civilisation,

    issue

    des

    mditations

    romantiques

    du

    jeune

    Hegel sur la

    politique,

    l'art, la

    religion,

    contenues dans

    ses

    premiers crits

    demeurs indits pendant plus d un sicle; mais c'est aussi une histoire

    raisonne,

    ayant

    une

    structure

    rationnelle,

    issue

    de

    son

    ct

    d une

    tude

    approfondie de

    la philosophie critique

    de

    Kant et des systmes qui en

    drivent,

    ceux

    en

    particulier de

    Fichte et

    de Schelling.

    1

    . Les systmes

    post-kantiens

    et le

    modle spinoziste

    Ce que

    Hegel

    reproche

    Kant, c'est

    de

    partir d une critique

    de

    la

    connaissance qui s attache en marquer les

    limites

    et lui

    interdit de

    s achever en

    systme;

    elle

    rduit

    le monde extrieur

    la

    reprsentation

    et

    ne

    permet

    pas

    la

    raison

    de

    dpasser

    les

    dterminations

    de

    l'entendement,

    de rejoindre

    la ralit des

    choses32.

    C est cet

    inachvement

    que

    les successeurs de Kant ont voulu pallier,

    et

    le premier qui

    s'y

    est appliqu, c'est Fichte, pour

    qui

    le

    mrite de l idalisme

    kantien, c'est

    d avoir sauv la

    libert

    humaine, rendue impossible

    dans le

    systme de

    Spinoza,

    o

    tous les

    effets

    qui se produisent

    dans le monde

    s ensuivent

    ncessairement de

    la nature

    ternelle de

    Dieu,

    l tre

    absolu. Pour

    Kant,

    au contraire, les lois

    de

    la nature ne sont

    pas l expression

    d une ncessit

    absolue;

    elles

    rpondent seulement aux conditions a priori d une

    reprsentation

    objective;

    le

    dterminisme

    des

    causes

    ne

    s applique qu aux

    phnomnes, aux objets dtermins de

    la

    pense, mais non l'activit

    du

    sujet pensant33. Kant n exclut pas cependant

    une ralit

    extrieure

    l'esprit, qui en reoit l'impression travers les phnomnes;

    car

    il ne peut

    y

    avoir de

    phnomne

    ou

    apparition

    sans quelque

    chose

    qui apparaisse;

    le phnomne renvoie ainsi

    la

    chose

    en soi, qui est

    ncessairement

    pense, mais

    ne

    saurait tre connue3*. C est cette lacune

    de

    la

    connaissance qui ne permet pas la philosophie critique

    de

    s achever

    en

    systme;

    l'unification des

    connaissances

    de l'entendement, laquelle tend

    la

    raison

    dans

    sa

    recherche

    de

    l'inconditionn,

    n aboutit

    qu

    une systmatisation

    symbolique, l unit

    d un

    idal, mais

    n quivaut

    pas

    un

    savoir

    absolu,

    une prise

    de

    possession du

    rel35.

    Or, c'est un tel

    savoir

    que vise l ambition

    de Hegel;

    c'est pourquoi

    32 Hegel,

    Encyclopdie

    des sciences philosophiques, 3e

    d.

    (1830) ^ 45 Addition.3

    Kant,

    Dial, transe, II, sect. 9 m : Solution des ides

    cosmologiques...

    (B 562).

    34 Id., Critique de

    la

    raison pure (2e d.) Introduction (B xxvi-xxvii).

    35 Ibid., Appendice

    la

    Dial, transe:

    Du but

    final de

    la dialectique

    naturelle

    de la

    raison humaine.

    (B

    697

    sq.).

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    16/31

    Approche de Hegel

    19

    il

    ne

    peut se contenter du systme

    de Fichte.

    Celui-ci

    ne russit

    s achever qu condition d exclure toute

    ralit extrieure

    l'esprit : il n'y

    a

    pas,

    proprement

    parler,

    d'tre

    en

    dehors de

    Y

    acte;

    tout

    se

    ramne

    l'activit

    spirituelle

    qui s exerce dans

    la

    connaissance

    et dans

    les

    dmarches de

    la volont. Les

    objets

    extrieurs ne sont

    rien

    en

    dehors de

    la

    reprsentation, au del

    des

    dterminations que

    pose le

    sujet ou

    le

    moi

    pour

    servir

    de base, d appui

    objectif

    son action,

    la

    ralisation de ses

    fins. Le non-moi n'est

    que

    le reflet

    de

    la

    ngation qui

    fixe

    les limites

    du

    moi; il

    n'est

    d absolu que l'activit du je pur et son exigence

    de

    libert,

    d'affranchissement spirituel36. C est

    en

    fonction de cette exigence que se

    dfinit l idal

    pratique;

    et si l'unit systmatique

    du

    savoir se drobe

    la

    raison spculative,

    c'est

    que

    celle-ci

    cherche

    l inconditionn au

    del

    des

    objets,

    dans la

    chose en soi. Or,

    l absolu ne peut

    se

    trouver du ct

    de

    l objet, de

    ce

    qui

    est

    donn

    la

    connaissance; il se dcouvre seulement

    dans

    l exigence

    qui la rgle, qui est aussi la

    norme de

    l action, et qui

    se

    dtermine systmatiquement au

    regard

    de

    la raison pratique37. Si donc le

    systme fichten est

    capable de

    s'achever, si la connaissance y peut tre

    unifie

    sans

    lacune, c'est parce

    qu il

    n admet d autre ralit

    que

    celle

    de

    l acte mme de connatre;

    le

    non-moi

    n'est

    rien d autre que

    le

    reflet

    dans

    la

    conscience de

    son dficit

    d'tre, de

    ce

    qui fait dfaut au

    moi empirique

    pour

    s galer

    au

    je

    pur. Ce

    n'est

    pas

    dans Y tre que

    rside l absolu, mais

    dans l'activit spirituelle et

    l exigence

    qui lui commande, dans l idal qui

    l'clair,

    dans

    le devoir-tre (Solleri); l absolu n'est

    un

    principe

    ontologique que parce

    qu il

    est

    d abord

    et

    essentiellement

    axiologique38.

    Or, une pareille vue, caractristique

    du

    systme de Fichte, rpugne

    foncirement au

    projet

    de Hegel;

    ce n'est pas en

    se

    rfugiant dans

    un

    idalisme subjectif qu il entend dpasser la philosophie critique

    de

    Kant, l achever en un systme.

    Il

    est

    vigoureusement oppos cette

    sparation du rel et

    de

    l idal, de l'tre (Sein) et du devoir-tre (Solleri),

    qui ferait

    de

    la ralit une

    vaine

    apparence et

    de

    l idal une

    chimre;

    il

    veut

    assurer

    un

    contact

    troit

    entre

    l ide

    et

    la

    ralit

    ;

    seul

    le

    rationnel

    est

    pour

    lui pleinement

    rel39

    :

    point

    de

    rationalit

    vide, et

    point

    d exprience

    36

    Fichte,

    Fondement

    de

    l'ensemble

    de la

    Doctrine

    de la

    science (1794-1795), lere

    partie,

    1-3.

    37 Ibid., 8 3.

    38 Id.,

    System der Sittenlehre (1798), chap.

    I, 3;

    chap, m,

    15 (Smtliche

    Schriften,

    IV53sq., 57,

    172).

    39 Cette formule

    clbre, nonce

    par

    Hegel

    dans

    la Philosophie

    du droit, Prface,

    p.

    xix

    de l'dition originale, est explique dans

    l

    Encyclopdie (1830), Introduction, 6. On

    en trouvera l'illustration dans

    l'expos

    qui sert

    d'Introduction

    aux Leons sur

    la

    philosophie

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    17/31

    20

    Joseph Moreau

    effective o ne

    se montre

    la

    raison l'uvre.

    Ce

    qui

    est

    exclu de

    la

    sorte,

    c'est la transcendance pure,

    qui

    n'est aux yeux

    de Hegel,

    qu une

    abstraction

    mtaphysique; il n'est d absolu que celui qui

    sous-tend

    l exprience

    et

    qui transparat dans

    l'histoire.

    Une

    telle vue,

    dans

    laquelle

    se

    rallient

    tous ceux qui se disent hgliens, semble tre

    la

    propagation de

    la commotion

    intellectuelle prouve

    par

    Hegel devant

    la Rvolution

    franaise, o

    il a cru

    discerner

    la prsence de l Absolu

    dans

    l actualit

    historique.

    On conoit que

    dans ces conditions

    Hegel se soit dtourn de

    l idalisme pur

    de Fichte,

    son an, et qu il ait prfr le systme

    de

    Schelling, son ancien compagnon

    de

    Tubingen. Celui-ci

    avait

    subi,

    comme

    Fichte,

    la fascination du systme, dont le spinozisme offrait le

    modle

    parfait; mais

    au

    lieu de

    le

    vider du

    ralisme

    de

    la

    substance, de

    le

    convertir en un idalisme

    de l acte pur, il avait

    cru pouvoir accorder ces

    deux aspects en

    montrant

    que la

    substance, l'tre absolu

    et

    par soi, ne

    peut

    se

    concevoir

    que comme sujet

    ou esprit.

    Il

    est

    contradictoire

    que

    l Absolu, l inconditionn (das Unbedingte), soit un objet dtermin,

    comme une chose

    (ein

    Ding); il est la condition suprme en

    dehors de

    laquelle il

    ne

    saurait y avoir

    d objet;

    il

    ne

    peut donc tre pos

    que

    comme

    sujet40.

    Cependant,

    il ne

    s'identifie pas avec le

    moi

    empirique; il

    ne

    se

    confond pas avec les sujets particuliers, qui

    ne

    s aperoivent eux-mmes

    qu en

    prsence

    des

    objets

    et

    en relation

    avec

    d autres

    sujets;

    il

    ne

    peut

    tre

    que

    le

    sujet

    absolu, au niveau duquel s abolit l opposition

    du moi

    et du

    non-moi,

    la

    distinction entre

    la libert

    de

    l'esprit et le dterminisme

    de

    la

    nature. Alors que Fichte rejetait totalement le ralisme,

    Schelling

    veut

    concilier le ralisme

    et

    l idalisme, montrer

    leur

    concidence au niveau de

    l absolu. Le ralisme, qui

    veut saisir

    l absolu

    dans

    l objet, s aperoit

    que

    l objet

    absolu

    ne

    fait qu un

    avec

    le sujet; l idalisme reconnat

    que le

    sujet

    ne

    s gale

    pas

    l absolu

    tant

    qu il

    ne comprend pas en lui la totalit

    de

    l objet41.

    De

    telles

    conclusions

    concordent

    assez

    exactement

    avec

    la

    conception que

    se fera Hegel du

    savoir absolu;

    aussi comprend-on

    que

    dans son

    essai sur

    la

    Diffrence des systmes philosophiques de

    Fichte et

    de

    de l histoire, et qui a fait l'objet d'une dition augmente sous le titre:

    La

    raison dans

    l histoire, 2e

    projet

    (1830) B a fin, p. 78 Hoffmeister.

    L'interprtation

    de cette formule par

    Hegel

    revient faire

    de

    l'histoire universelle

    l'quivalent

    d'une thodice

    (Ibid.

    A fin. p. 48).

    40 Schelling, Du

    Je

    comme

    principe de la

    philosophie, 3

    et

    suiv.

    41 Id., Lettres philosophiques sur le dogmatisme et le criticisme, 9e

    lettre.

    Voir

    notre

    petit livre: Spinoza et le spinozisme, p. 116-118.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    18/31

    Approche

    de Hegel

    21

    Schelling (1801), il acquiesce au

    second,

    qui

    rpondait

    son projet42.

    Cependant, dans la Prface

    de

    la

    Phnomnologie de

    l'Esprit, crite

    aprs

    la

    rdaction de

    l ouvrage, publi

    en

    1

    806,

    il

    prend ses

    distances

    l gard

    de son ancien

    compagnon,

    qui il reproche:

    1

    d avoir laiss

    dans

    l'indtermination le concept de l absolu, de n avoir pas expliqu

    comment

    l'tre absolu

    et

    total se diversifie, s articule

    en

    essences distinctes

    et

    s'exprime

    dans les

    choses singulires43;

    2

    de n avoir

    pas

    non

    plus

    montr

    comment l'tre

    en

    soi,

    la substance,

    qui

    est conue

    par soi,

    accde

    la conscience

    de

    soi, par

    quelle

    mdiation elle se

    constitue

    en

    sujet

    ou

    pour

    soi4*. L absolu

    de Schelling

    est

    comme

    la nuit, o

    tous

    les

    chats

    sont

    gris; son Univers

    n'est

    pas dcrit

    en dtail,

    mais

    montr

    seulement

    sous

    deux

    aspects, celui

    de

    la

    Nature et celui de l Esprit; il apparat comme

    en

    un tableau

    dont

    le

    peintre n aurait

    eu

    sa disposition que

    deux couleurs,

    le vert des

    paysages

    et le

    rouge

    des

    batailles45.

    Pour apprcier

    exactement la porte

    de

    ce double

    reproche adress

    au systme

    de

    Schelling, il convient

    de

    remarquer qu il concide avec la

    critique

    que

    Hegel fera du spinozisme. Spinoza, selon lui, a eu

    le

    mrite

    de

    s'lever au-dessus

    de

    la

    connaissance immdiate, d'effacer

    toutes

    les

    diffrences du sensible, de faire

    rentrer

    les objets perus, les choses

    singulires, dans l homognit

    de

    la

    substance

    unique; c'est dans

    cette

    ngation

    de

    tout ce

    qui

    est particulier que consiste le premier pas

    de

    la

    philosophie46.

    Mais

    cette

    ngation ne peut

    tre

    que

    provisoire;

    elle doit

    tre nie son tour, dpasse, afin

    de

    saisir

    comment

    les

    tres

    particuliers, finis,

    trouvent leur

    raison d'tre

    et le fondement

    de

    leur

    existence

    dans l'tre absolu, infini. C est cette

    rcupration de

    l Univers

    aboli, de

    la

    diversit des tres singuliers absorbs dans l unit

    de

    la substance infinie,

    que

    n a pas su

    effectuer

    Spinoza, attach strictement

    la

    conception

    latique

    de

    l'tre comme substance; pour y parvenir, pour atteindre

    au savoir absolu dans

    lequel

    tous les objets sont compris comme

    des

    moments de

    la

    conscience de

    soi, il lui

    a manqu

    le concept

    moderne

    de

    l absolu

    comme

    sujet; il

    n a pas

    reconnu

    par

    quelle

    dialectique

    ncessaire l'tre en

    soi

    et par soi se

    constitue comme

    esprit47.

    42 Hegel, Diffrence...

    Trad.

    M. Mry, p. 150-154 (p. 89-93 Hoffm.).

    43 Id., Phnomnologie

    de l Esprit,

    Prface I, p. 18-19

    Hoffm.

    ** Ibid., II 1 p.

    19-24.

    45 Ibid., p. 19

    et

    III 3 p. 43.

    46 Id.,

    Leons

    sur

    l histoire de

    la

    philosophie,

    3* partie

    Philosophie

    moderne, 2e sect.,

    chap.

    I

    A 2.

    47 Id.,

    Encyclopdie

    (3e d.)

    151 Additions (Trad. B. Bourgeois, p. 584-586 et

    notes).

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    19/31

    22

    Joseph

    Moreau

    C est au cours

    de

    l enqute rapporte

    dans

    la Phnomnologie

    de

    l'Esprit

    que Hegel estime avoir dcouvert les voies

    de

    cet panouissement

    rationnel par o se ralise l'esprit absolu; c'est pourquoi, dans

    la

    Prface

    de

    cet

    ouvrage,

    il

    dirige

    contre

    le

    systme

    de

    Schelling

    les

    critiques

    qu il

    opposera plus tard au

    spinozisme.

    Mais si nous

    voulons apprcier

    la

    valeur de ces

    critiques et prciser le

    sens du

    projet

    hglien, il

    nous faut

    examiner dans quelle mesure

    sont

    fonds les

    reproches

    adresss au

    spinozisme. Spinoza met

    en

    question les objets immdiats de

    la

    perception sensible,

    ceux de

    l exprience commune,

    de

    ce qu il appelle la

    connaissance

    du

    premier genre; mais ils

    ne

    sont pas

    abolis

    pour

    autant:

    les donnes confuses

    des

    sens sont

    labores en une reprsentation

    objective par l'activit

    de

    l'entendement

    qui

    les

    compare,

    les distingue, les

    runit

    ou

    les

    spare.

    Ce

    que Spinoza

    appelle

    la

    connaissance

    rationnelle

    ou

    du

    second genre est l uvre

    de

    l'entendement discursif,

    de

    la dianoia,

    qui procde par

    relations,

    qui dcouvre des rapports ncessaires, tablit

    des lois

    gnrales

    et abstraites,

    mais

    qui

    ne

    peut saisir l essence des choses

    singulires48. Si

    la

    connaissance sensible, du premier genre, est mutile

    et

    confuse,

    la connaissance rationnelle, du

    second genre,

    est

    abstraite

    et

    superficielle49 ; et le

    reproche de

    Hegel serait justifi,

    Spinoza n aurait

    pas

    russi

    rcuprer la diversit des

    choses

    singulires,

    fonder leur

    existence

    dans

    celle

    de

    l'tre absolu, montrer

    en

    chacune d elles la

    ralisation

    d une

    forme

    individuelle,

    une

    expression

    distincte

    et

    dtermine

    de

    l essence ternelle

    de Dieu,

    le

    concept de l absolu

    resterait

    chez

    lui,

    comme chez

    son mule Schelling, dans

    l'indtermination,

    s il n'y

    avait

    dans le

    spinozisme

    un troisime

    genre de connaissance, celle qui

    procde

    de l ide

    adquate

    de

    Dieu, aperu dans

    son

    essence infinie,

    la

    distinction des choses

    singulires

    considres

    dans leur individualit,

    chacune

    dans

    son essence

    actuelle,

    o les attributs de

    Dieu

    s'expriment

    certo et

    determinato

    modo50.

    Ce troisime genre de connaissance est dsign par Spinoza sous

    le

    nom de

    Science

    intuitive:

    non

    en

    ce

    sens

    qu elle

    serait

    une

    connaissance

    immdiate,

    rception

    pure et simple d un objet donn,

    mais

    en

    ce sens

    qu elle

    est

    synoptique;

    elle nous

    fait apercevoir

    dans

    son

    unit le systme

    des relations sur lequel

    repose

    l'ordre

    de

    l Univers; elle nous dcouvre

    une hirarchie d essences,

    l ordre

    des choses fixes

    et

    ternelles, auquel

    48 Spinoza, thique,

    II

    29, scol.; 44, cor. 2, dm. fin.9 Ibid.,

    II

    29 cor.

    50 Ibid.,

    II

    40,

    scol. 2; cf. I

    25,

    cor.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    20/31

    Approche

    de Hegel 23

    est subordonne la succession des choses changeantes, le droulement des

    causes et des

    effets51;

    elle

    nous

    ouvre une vision

    de

    l Univers dans

    laquelle la

    ralit

    des

    tres

    n'est

    pas

    entirement

    rductible

    aux

    dterminations objectives de

    l'entendement, et le

    cours

    des

    vnements aux effets

    d un

    dterminisme

    mcanique. L Univers est

    alors conu comme une

    hirarchie

    d individus,

    relis entre

    eux

    dans l'unit du Tout,

    qui apparat

    lui-mme

    comme

    un Individu suprme,

    l tre total

    et absolu, se posant

    lui-mme comme esprit52.

    La Science intuitive semble donc, par

    son

    objet comme par sa

    fonction, rpondre parfaitement au vu de Hegel, qui

    est

    de dpasser les

    conclusions

    de

    la

    critique

    kantienne: le savoir ne

    doit

    pas pour lui

    se

    rduire

    la reprsentation objective,

    aux dterminations de

    l entendement;

    la

    raison, facult

    dialectique, est

    capable non seulement dpenser

    les

    objets comme rels, mais de

    les

    connatre

    dans leur ralit.

    Aprs

    avoir

    t poss devant le sujet

    dans un

    horizon d objectivit, ils

    peuvent

    tre

    encore apprhends avec

    la

    mme certitude,

    avec la

    mme conviction de

    prsence immdiate

    que le sujet

    de

    la connaissance lui-mme, tre

    ramens ainsi de

    la sphre

    intentionnelle au centre de

    l'activit

    cognitive,

    tre

    compris

    dans la conscience

    de soi.

    La

    raison,

    dont la tche est

    de

    ramener l'unit

    la

    diversit des

    connaissances

    de

    l'entendement, labore

    une

    vision hirarchique de l Univers qui

    ne

    peut

    s accomplir que dans

    un

    sujet

    absolu, auquel chaque

    esprit

    fini

    aspire

    s'identifier.

    Le

    savoir

    absolu

    requiert l'esprit

    absolu; telle

    tait la

    suggestion de Schelling, qui

    rpondait

    au vu

    de Hegel, mais qui restait ses

    yeux un desideratum

    dans

    la

    philosophie

    de

    Spinoza. Hegel n aurait-il pas reconnu le rle

    de

    la

    Science

    intuitive,

    dans laquelle notre me

    s'lve,

    par une sorte

    de

    ncessit,

    la

    connaissance simultane de soi-mme, de

    Dieu et

    des

    choses?53

    Hegel ne

    saurait sans doute

    tre rang parmi

    ces

    lecteurs

    htifs

    qui

    ngligent la Ve

    partie de Ythique

    et auxquels

    Spinoza

    donnait

    l'avertissement

    de

    ne

    point juger

    de

    l ouvrage

    avant

    de

    l avoir

    lu jusqu au

    bout54. Comment donc s expliquer qu il n ait pas saisi

    la

    fonction de

    la

    Science intuitive, qui rpond si

    exactement

    la

    vise

    hglienne,

    qui

    remplit un

    rle

    dont

    il

    dplore

    l absence dans le systme

    spinoziste,

    51

    Id., De emendatione

    Intellectus,

    100.

    52

    Id.,

    thique,

    II 13, scol.;

    Lemme 7, scol.

    Ibid.,

    V 31,

    scol.; 39, scol.;

    42,

    scol.

    54 Ibid.,

    II

    11, scol.: donec omnia perlegerint.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    21/31

    24

    Joseph Moreau

    comme

    dans

    sa version schellingienne? Le rle

    de

    la

    Science intuitive,

    c'est

    de

    montrer, en effet, comment le concept

    de

    l absolu sort

    de

    l'indtermination, comment de la

    ncessit

    de

    la nature

    divine doivent

    s'ensuivre

    en

    une

    infinit

    de modes

    une

    infinit

    de

    choses55,

    autrement

    dit

    la diversit des

    choses

    singulires

    considres

    dans

    leur essence. Car

    (ne

    nous y

    trompons pas),

    ce

    qui se dduit

    en premier

    lieu de

    l essence

    absolue

    de

    Dieu, ce

    n'est

    pas le cours

    ordinaire de

    la

    nature,

    la

    succession

    sans fin des causes et des effets temporels, mais l ordre des choses fixes

    et ternelles, la

    hirarchie

    des modes finis, des choses

    singulires

    considres

    dans leur

    essence, en

    tant que

    comprises ternellement dans

    l'Intellect de

    Dieu

    ou

    dans l'unit

    organique de

    la Nature.

    Cette

    conception hirarchique de l Univers comme

    l Individu

    total, o sont

    compris tous

    les

    tres

    particuliers

    dans

    leur

    individualit

    formelle, est

    un

    aspect souvent

    nglig

    du spinozisme; elle

    parat

    combattue par les

    invectives

    de Spinoza

    contre le

    finalisme, qui n en

    visent

    cependant

    que

    l expression

    anthropomorphique Dieu n'agit pas par dcrets, comme les

    rois, ni

    par

    combinaison de

    moyens,

    la

    faon

    d un

    artisan56. Une

    conception

    organique

    de

    la

    nature

    est

    cependant sous-jacente

    l explication mcaniste

    des affections du

    corps humain,

    servant

    de

    base

    la

    psycho-physiologie de

    la

    IIe partie de Y thique; elle

    est explicitement

    professe

    dans la

    srie des lemmes

    prparatoires

    l tude

    de

    l me

    humaine

    dans

    sa condition

    empirique,

    dans

    son

    existence

    spatiotemporelle. Ces lemmes prcisent

    dans

    quelles conditions

    un

    corps

    compos, dont les parties sont rciproquement

    en

    mouvement ou

    en

    repos, peut tre affect

    de

    diffrentes manires, subir des modifications

    multiples, tout en retenant

    son unit

    formelle57,

    celle

    d un

    individu dont

    l essence est

    un

    mode qui se dfinit

    ternellement

    dans la

    nature

    infinie

    de

    Dieu.

    Cette

    distinction

    dans

    l absolu,

    ces

    dterminations particulires

    de

    l essence divine, de ses attributs infinis

    (l tendue et la

    pense),

    s'effectuent

    suivant

    un

    ordre

    ternel,

    dont

    les

    degrs

    sont

    marqus

    dans

    Y

    thique:

    1 modes infinis immdiats,

    tels

    que le

    mouvement

    et le repos

    dans l'attribut

    de l tendue,

    et dans l'attribut

    de

    la pense l horizon

    illimit

    de

    l'entendement, ce qui quivaut la capacit d un entendement

    absolument infini, au contenu indfini

    d une

    ide

    infinie en

    Dieu58;

    2

    Ibid., I 16.

    56 Ibid., II 3, scol., et I,

    Appendice.

    Cf.

    Spinoza et le spinozisme, p. 56-58.

    57

    thique II, aprs la

    Prop.

    13: Dfinition et Lemmes 4-7.

    38 Ibid., I 21. Cf. Id., Lettre

    64,

    Schuller: in

    Cogitatione intellectus

    absolute

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    22/31

    Approche de Hegel 25

    modes infinis

    mdiats, savoir,

    dans

    l'attribut de

    l tendue, la

    Facis

    totius universi,

    l unit

    organique

    de

    la Nature, et dans l'attribut

    de

    la

    pense,

    Y

    Intellect

    infini

    de

    Dieu,

    en

    qui

    sont

    compris

    et

    runis

    harmonieusement tous les esprits59. Ces deux degrs

    de

    la dduction spinoziste

    peuvent

    tre compars, le premier

    la

    procession de

    la

    diversit infinie,

    ou plus exactement

    de

    l'altrit indfinie, partir

    de

    l Un absolu

    en

    sa

    surabondance, comme l explique

    le

    noplatonisme;

    le

    second

    est

    comparable

    la

    conversion de

    cette diversit

    vers sa

    source60.

    C est par

    la

    subordination aux

    exigences

    de l Un

    des

    possibilits

    indfinies drives

    de

    sa. puissance infinie

    que

    se

    constituent

    d une part la

    hirarchie

    des formes

    qui s'expriment

    dans

    l organisation

    de

    la nature, dans

    l ordre

    ternel des

    choses, d autre

    part

    le

    concert

    des

    esprits,

    des

    sujets pensants,

    accords

    entre eux

    dans

    l unit de l'Intellect

    divin,

    comme les objets penss

    dans

    celle de l Univers.

    Cette

    construction

    noplatonicienne, reflte

    dans la Science

    intuitive

    n a

    pas t aperue par

    Hegel

    dans le spinozisme;

    mais encore qu elle

    rpondt

    sa

    requte de dtermination de

    l abolu, il

    n'est

    pas dit

    qu il

    l'et

    ratifie.

    Il faut

    convenir

    d abord

    que

    cette

    construction

    reste

    dans

    l' thique l'tat d esquisse;

    la

    dduction, partir de l unit absolue de

    la

    Substance, de

    la

    diversit des modes finis,

    est

    une

    opration

    que l'esprit

    humain

    est incapable d accomplir dans le

    dtail;

    elle ne peut s'effectuer

    parfaitement que dans l entendement

    divin. Il

    suffit

    toutefois

    d en

    discerner

    la

    dmarche

    et

    d en

    apercevoir

    la

    fonction pour se convaincre

    que notre me

    ne

    se rduit

    pas

    une collection d ides

    partielles

    et

    muables, correspondant aux affections de

    notre

    corps61, mais qu elle

    est

    en Dieu

    une ide ternelle, qui

    constitue

    notre

    essence singulire, celle

    d un

    individu compris

    dans

    l Univers non comme un compos divisible

    en

    parties,

    mais comme

    un

    mode

    fini, li organiquement au Tout, une

    partie

    infinitus

    (cf. th.,

    II

    4 :

    Idea Dei, ex

    qua infinita

    infnitis

    modis sequuntur), in Extensione

    autem

    motus

    et

    quies

    (cf.

    Eth. I 32,

    cor.

    2).

    59 Eth., I 22-23, et Lettre 64: Facis totius universi, quae quamvis

    infinitis

    modis

    variet,

    manet

    semper eadem (cf.

    Eth.,

    II,

    lemme

    7), laquelle correspond l'Intellect ternel

    et infini de

    Dieu, voqu

    Eth.,

    V 40,

    scol.

    60 Cf. Plotin, Ennades, V 2, 1 (8-13). Voir notre ouvrage:

    Plotin

    ou la

    gloire

    de

    la

    philosophie antique,

    p. 96-99.

    61 A

    la conception psycho-physiologique de Eth.

    II

    15, selon

    laquelle l'me,

    ide du

    corps, non

    est

    simplex, sed ex

    plurimis

    ideis composita,

    s'oppose

    le point

    de vue de

    Eth. V

    40,

    scol. quod

    mens nostra, quatenus

    intelligit,

    aeternus cogitandi modus

    sit. Cf. Leibniz,

    De

    rerum originatione

    radicali

    (G. Phil.,

    VII

    307)

    ita

    ut dici possint (se. mentes) esse partes

    totales. Voir notre article: Nature et individualit chez Spinoza et Leibniz, dans Revue phil.

    de Louvain,

    1978,

    p. 453-455.

    U.C.L.

    NSTITUT

    SUPERIEUR

    DE PHILOSOPHIb

    Bibliothque

    College

    D

    Mercier

    Place

    du Cardinal

    Mercier. 14

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    23/31

    26

    Joseph Moreau

    totale; c est ainsi que

    nous accdons

    la

    conscience

    de nous-mme, de

    Dieu

    et des

    choses62. Il faut remarquer ensuite que

    la

    construction

    dans

    laquelle s'inscrit cette ascension de

    l me

    rpond au

    modle

    de

    la

    thologie traditionnelle:

    si

    l'Intellect

    divin

    auquel

    correspond

    l'univers

    des

    Ides,

    des objets intelligibles,

    n'est pas

    le

    principe

    absolu,

    comme

    dans la Mtaphysique

    d Aristote,

    s'il est

    seulement,

    dans l'attribut

    de

    la

    pense, un mode

    infini

    mdiat, auquel correspond,

    en

    d autres attributs,

    l ordre

    ternel

    de

    la nature, il

    n en occupe

    pas

    moins

    une

    position

    primordiale;

    s il

    n'est

    pas l absolu en lui-mme, il

    n'est

    distant

    de lui

    que

    par une

    seule

    mdiation,

    celle de

    l'altrit indfinie, qui procde

    immdiatement

    de

    l Un pour se retourner

    aussitt

    vers lui;

    et

    c'est

    dans la

    lumire

    de

    l Un que se constituent la fois l'Intellect et les intelligibles.

    Ainsi,

    le

    monde

    des

    Ides,

    l ordre

    des

    choses

    fixes

    et

    ternelles,

    s il

    merge

    d un niveau immdiat

    d indtermination, n en

    suppose pas

    moins

    la primaut

    de

    l Un et le

    rle primordial de l Intellect. La hirarchie

    des

    intelligibles

    exprime

    la srie des conditions

    travers lesquelles la diversit

    infinie

    peut tre unifie en

    un

    Tout, rentrer dans une

    organisation

    unique,

    celle

    d un Individu qui comprend

    tous

    les

    autres;

    et cette srie

    peut tre parcourue en un

    sens

    descendant,

    partir

    de

    l'unit, et en

    procdant par degrs vers des

    dterminations

    plus complexes et

    particulires.

    Or, cette dialectique descendante suppose

    la

    transcendance

    ternelle

    de

    l Ide, la

    priorit

    de

    l essence

    l gard

    de

    ses

    ralisations

    empiriques; elle

    s oppose aussi

    la tentative

    de

    rechercher

    comment

    l absolu se produit lui-mme partir de sa seule possibilit, comment

    Ytre-en-soi,

    l objet

    de pense

    le

    plus

    abstrait,

    s lve de lui-mme au

    rang

    de

    sujet,

    d tre

    pour

    soi. Cette recherche, qui est

    l ambition

    suprme

    et la

    caractristique de l hglianisme,

    apparat extravagante

    au

    regard

    de

    la

    philosophie et

    de

    la thologie

    traditionnelle:

    une telle prtention est issue

    des rflexions du jeune Hegel au temps

    de ses

    premiers crits, en son ge

    prcritique, et s est confirme au cours

    de

    l enqute

    historique rapporte

    dans la

    Phnomnologie

    de

    l'esprit.

    2.

    Les

    sciences

    de

    l esprit et le savoir absolu

    Dans cet ouvrage est retrace la succession des formes

    de

    la

    conscience,

    nous est dcrit le progrs

    de

    la

    vie spirituelle; mais cette

    description

    historique,

    nous

    l avons indiqu,

    reoit

    sa structure ration-

    62

    Eth., V

    31 scol.:

    eo melius sui et Dei conscius est.

    63

    Cf.

    ci-dessus (n. 35), et

    particulirement

    Dial, transe,

    (B

    724-725).

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Approche de Hegel

    24/31

    Approche de

    Hegel

    27

    nelle

    d une

    rflexion sur

    la

    philosophie critique

    de

    Kant. Cependant,

    lorsqu il s agit

    pour

    Hegel de

    dpasser

    les

    conclusions

    de

    la

    critique

    kantienne, en niant

    le

    caractre

    dfinitif

    de

    l idalisme

    transcendental,

    qui rduit les

    objets

    de

    la

    connaissance aux dterminations de

    l entendement,

    l objectivit

    de

    la

    reprsentation,

    et tient pour

    inconnaissable

    la

    chose

    en

    soi, alors c'est vers

    la

    connaissance

    historique qu il

    se

    tourne pour en

    considrer

    et mettre

    profit les caractres propres.

    Si

    la

    raison,

    facult

    dialectique, est

    incapable,

    selon Kant,

    d tendre

    notre

    connaissance au-del

    des

    phnomnes,

    en

    dehors

    du champ

    de

    l exprience, elle n en a pas moins une

    fonction

    ncessaire d unification,

    qui s exerce d abord

    dans le domaine

    spculatif;

    en

    ramenant

    l'unit

    les

    diverses

    connaissances

    de

    l'entendement, elle

    labore

    une

    conception

    tleologique

    de l Univers,

    dans

    laquelle