Jorge Semprun n'a pas dit la vérité
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Jorge Semprun n’a pas dit la vérité
Monique Antelme est la veuve de Robert Antelme. En dénonçant notre « groupe », Semprun a trahi
Robert Antelme
FEMME de Robert Antelme pendant quarante-deux années, je confirme que Jorge Semprun était
présent, contrairement à ce qu’il vient d’affirmer dans votre page « Débats », à la réunion du 7
mars 1950 du Parti communiste, réunion au cours de laquelle nous avons été exclus, Robert
Antelme, Bernard Guillochon et moi-même.
Je confirme que Perlican, secrétaire de la section du 6e arrondissement du PC, a lu, au
cours de cette réunion, un rapport infamant, dirigé principalement contre Robert
Antelme, et présenté comme ayant pour auteur Jorge Semprun.
J’aurais souhaité ne pas intervenir dans cette histoire sordide qui a tant fait souffrir Robert
Antelme, mais les propos de Semprun, dans Le Monde du 26 juin, m’y obligent.
En dénonçant ce qu’on appelle abusivement « le groupe de la rue Saint-Benoît », Semprun a trahi
Robert, il a trahi l’amitié.
Dans cette histoire, il faut distinguer deux choses. Dans sa décIaration peu claire, Semprun fait
l’amalgame, sans doute pour mieux se disculper. L’une est le désaccord de Robert Antelme et de
Dionys Mascolo sur la méthode de critique qui régnait alors dans le PC, désaccord exprimé par eux,
clairement, à l’intérieur du Cercle des critiques du PC (voir la revue Lignes, no 33, mars 1998).
L’autre est une conversation de bistrot qui s’est tenue en mai 1949, à la suite d’une réunion de
cellule, au cours de laquelle ont été évoquées les questions de la littérature, de la méthode de
critique dans le PC, et où nous avons tous joyeusement (et Jorge Semprun avec nous) tapé
sur la tête de certains dirigeants du PC.
La phrase, jamais répétée par nous pour que notre ami Eugène Mannoni, qui l’a prononcée, ne
perde pas son travail il était journaliste à Ce soir , et par ceux de la section du 6e , parce qu’ils
n’osaient pas : « Casanova est un grand mac », a cependant mis le feu aux poudres.
C’est cette conversation, dont les termes ont été répétés par Semprun à Jacques
Martinet, alors secrétaire de notre cellule et membre de la section, puis répétés par ce
Martinet à Arthur Kriegel, secrétaire de cette section du PC du 6e arrondissement, puis
confirmés par Semprun à Kriegel, qui a entraîné l’exclusion du Parti communiste de
Robert Antelme, Bernard Guillochon et moi-même.
Marguerite Duras et Dionys Mascolo ont été exclus avant nous, car ils avaient envoyé
l’un et l’autre des lettres à la cellule : Marguerite, une lettre d’insultes au secrétaire
Martinet ; Dionys, une lettre de démission pour raisons personnelles. « Exclus », car on
ne quitte pas le Parti. Comme le dit très justement, et en soulignant, Dionys Mascolo
dans son « mémoire justificatif » : « Ce sont les discussions ouvertes alors, auxquelles
se sont mêlées des calomnies (…), qui ont abouti à l’exclusion de tous ceux qui avaient
pris part à la conversation de mai 49, excepté Jorge Semprun lui-même et Eugène
Mannoni. »
Robert Antelme ayant considéré, avec nous tous, que Semprun était un « mouchard »,
ce dernier a demandé que nous nous réunissions en une sorte de « jury d’honneur » afin
qu’il puisse s’expliquer. Cette réunion (qualifiée de « fractionnelle » par les instances du Parti, ce
qui aida à nous exclure !) eut lieu le 2 juin 1949 rue Saint-Benoît. Elle fut d’une violence
terrible et n’aboutit à rien de nouveau, chacun restant sur ses positions.
Il faut lire, au sujet de ce qui précède, les deux « mémoires justificatifs » de Robert Antelme et de
Dionys Mascolo. Je rappelle que celui de Robert me fut dicté moins de trois semaines après notre
exclusion. Sa mémoire ne peut donc être prise en défaut. Maintenant, ils sont tous morts,
Robert, Marguerite Duras, Bernard Guillochon, Dionys Mascolo, Eugène Mannoni. Je reste le seul
témoin témoin bien insuffisant certes, mais qui n’invente rien.
Je voudrais ajouter que Robert Antelme a demandé, après notre exclusion, à deux reprises, à Jorge
Semprun de le voir en tête à tête afin qu’il s’explique. Ils se sont vus deux fois. Jamais il ne s’est
expliqué. Et, la seconde fois, ils se sont quittés sans se serrer la main.
Robert s’est toujours demandé : pourquoi ? La seule raison qu’il ait trouvée, je ne la dirai pas ici car
ce n’est qu’une supposition de sa part. Mais leurs relations s’étaient dégradées, ou tout au moins
espacées à la suite de l’affaire de la traduction du Stalingrad de l’écrivain allemand Théodore
Plievier (1946). Les Editions de la Cité universelle (dirigées par Robert Antelme et Marguerite
Duras) souhaitaient publier ce livre et avaient demandé à Jorge Semprun de se charger de la
traduction. Il accepta volontiers, n’ayant pas de travail à cette époque, mais ne parvint pas à mener
à bien cette tâche. Il avait été rémunéré à l’avance, et les Editions de la Cité périclitèrent. Ce n’est
pas grave en soi de ne pas parvenir à exécuter un travail déjà payé, mais, apparemment, il le
supporta mal.
Je voudrais dire, pour finir, que le ton du « mémoire justificatif » de Robert Antelme peut
paraître un peu servile vis-à-vis du PC. Mais ce mémoire date de presque cinquante ans.
Robert souhaitait se laver des horreurs qui lui étaient injustement imputées. Il souhaitait
aussi être réintégré, ce qu’il refusa, cependant, un an plus tard (avril 1951), lorsque le nouveau
secrétaire de notre cellule vint nous annoncer qu’avait été prise contre nous une mesure d’un an
d’exclusion et que nous pouvions revenir.
Et puis il avait peur de perdre « les copains », « les copains » au coeur du Parti communiste j’en
appelle à Jean-Pierre Vernant, qui sait ce que cela signifie , « les copains » du camp de
concentration, sans lesquels il n’aurait pu survivre.
MONIQUE ANTELME