Jolle Losfeld, Frdric Beigbeder, Georges Moustaki, MichelPiccoli (film de Sophie Leys, 2005)Le G.R.E.C. prsente Une vie dans la journe d'Albert Cossery

Un film de Sophie Leys (2005)

Trois tmoignages dcrypts : Jolle Losfeld, Frdric Beigbeder, Michel Piccoli

Jolle Losfeld, ditrice (ses paroles dans le film,dcryptage artisanal)

J'avais repris les ditions qu'avaient cres mon pre, quis'appelaient Le terrain vague, Eric Losfeld et j'avais dcid dereprendre toute l'oeuvre d'Albert Cossery, qui tait alorsvacante. Et je l'ai rencontr, je l'ai appel la Louisiane, o iltait toujours et o il est toujours d'ailleurs, et puis nous nous

sommes fixs rendez-vous au Flore, qui est un lieu qu'il affectionne particulirement. Et l-bas, auFlore, je lui ai dit, trs simplement "Voil, je voudrais rditer vos oeuvres. Je trouve qu'il ne faut pasque vos livres manquent dans les librairies, c'est impensable" et il m'a dit "Ben trs bien, j'acceptevolontiers" et on a sign les contrats sur un bout de table au Flore, on a sign un accord qui s'estconcrtis par des contrats. Voil, a a t d'une facilit absolument dconcertante avec nous. Ca atoujours t emblmatique pour moi de publier Albert Cossery. Il y avait chez Albert une telledtermination dire les choses, une telle exigeance et une telle criture que quand j'ai refond mamaison d'dition, j'ai tenu ce que ce soit le premier auteur qui paraisse au sein de cette maison. Il y aquelque chose de trs trs consolateur dans la lecture d'Albert Cossery - je ne sais pas si ce n'est pas unnologisme ce mot consolateur, peu importe - et qui fait que a donne beaucoup d'espoir aux jeunes."Retirez-vous de la vie mondaine, retirez-vous des richesses, de l'appt des richesses, maisenrichissez-vous intellectuellement et sachez rflchir" C'est vraiment quelque chose qui a sduit unjeune public, et qui sduit d'autres - pas qu'un jeune public, moi-mme, c'est un discours qui me sduitbeaucoup.

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Il y a des gens qui rejettent l'oeuvre d'Albert Cossery. Et tant mieux qu'il n'y ait pas de consensusd'ailleurs sur l'oeuvre d'Albert. Je pense que a le chagrinerait assez que certaines personnes aimentson oeuvre. Mais quand on aime l'oeuvre d'Albert Cossery, on n'en ressort pas de la mme manirequ'avant. Il y a l'avant lecture d'Albert et l'aprs lecture d'Albert. Et c'est rconfortant dans la mesureo a ouvre effectivement un champ d'ouvertures et de penses norme et que n'ont pas tous les

crivains - non, plutt que les crivains ont, et pas tous les romanciers.

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Alores voil une chose qui est particulirement prcieuse, en tous cas pour nous, c'est Une ambitiondans le dsert, c'est un manuscrit qui est assez extraordinaire. C'est vrai qu'Albert ne tape pas lamachine, et encore moins l'ordinateur maintenant, et quand il a crit Une ambition dans le dsert onne tapait pas l'ordinateur de toute faon. C'est un cadeau qui m'meut beaucoup parce que c'est unmanuscrit, c'est un vrai manuscrit. Il vient signer tous les salons du livre depuis trs longtempsmaintenant et il ne laisse personne indiffrent quand il marche dans les traves, en tous cas je connaisbeaucoup d'diteurs... Pour eux, c'est une espce de boue de sauvetage de se retrouver dans ce Salondu Livre, cet espce de grand bazar, mais tout d'un coup, la personnalit d'Albert Cossery vient rendresa dignit ce grand bazar. Et pour eux c'est l'crivain qui vient signer, et ce n'est pas tous ces gens quine sont pas crivains, parce que a s'est perverti comme a, le Salon du Livre, mais au moins c'est ledernier crivain de cette gnration et c'est assez mouvant.

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Sur son nouveau manuscrit, il y a deux mois peu prs, il m'a montr cinq pages de ce manuscrit. J'ailu la premire page, le premier feuillet.

Frdric Beigbeder, crivain (ses paroles dans le film,dcryptage artisanal)

Entre Henri Miller et Albert Camus, je pense qu'on a deuxparrainages qui expliquent l'importance de Cosseryaujourd'hui, sans doute l'crivain vivant en France pour moi leplus important, en tous cas depuis la mort d'Antoine Blondin.

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Alors l je suis prs d'une statue pharaonique, et ce qui est amusant c'est qu'on n'est pas du tout auMuse du Louvre, avec de vieilles momies. On est devant une statue assez kitsch rue de Svres et aaussi, je trouve que a ressemble bien Albert Cossery. C'est dire surtout pas de srieux, pas degravit, pas de prtention. Quand on doit le dfinir, on peut presque prendre tous les titres de sesromans et puis on a un portrait d'Albert Cossery, "un fainant dans la valle fertile", "mendiant etorgueilleux", c'est un peu lui. Il a une sorte de laconisme exotique, je ne sais pas comment on pourraitdire, un ton assez sarcastique parfois, et provocateur que j'aime bien. C'est vrai qu'il y a souvent desprostitues, il y a souvent des voleurs, il n'y a jamais de morale, il n'y a pas de jugement de valeur, cesont des anti-hros, un peu comme justement le Meursault de l'Etranger. Dans un monde qui est deplus en plus un monde de consommation, de communication, de vitesse, de bruits, voil un crivainqui parle de tout le contraire. Qui parle de lenteur, de silence, de solitude, d'oisivet, et au fond il nous

donne un exemple. Je ne dis pas que ce soit un saint, mais c'est peut-tre un modle, en tous cas c'estpeut-tre un contre-exemple au monde tel qu'il va.

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C'est quelqu'un qui a compris que le vritable hdonisme, le vritable plaisir de la vie, c'est deslectionner ses besoins. Finalement, avec quelques livres, une ou plusieurs jolies femmes, un rayon desoleil et une chambre d'htel, on peut trs bien se suffire soi-mme et passer une cinquantained'annes tout fait dcentes sur cette terre.

J'tais pas content du film, un peu cause de moi, un peu cause des autres, et par contre Albert quin'a pas t trs prsent sur le terrain, il est venu pour les reprages, pour la partie plaisante comme ilsait le faire, et puis aprs quand on tait dans le travail proprement dit il nous a abandonns notresort et il a manqu parce que c'tait intressant de voir sa vision, scne aprs scne. J'tais fascin parle talent, par la reconstitution concrte ou imaginaire d'un pays que j'aime, dont j'apprcie l'humour,dont j'apprcie l'art de vivre et des personnages aussi qu'il a trs bien su restituer, et je trouve que seslivres sont trs denses et racontent bien la vision de Cossery propos de l'Egypte et qui ressemble trsfort la mienne.

Adaptation de "Mendiants et Orgueilleux" dessin : Golo 1991

Michel Piccoli, comdien (ses paroles dans le film,dcryptage artisanal)

Il ne faut surtout pas rendre hommage Albert Cossery de sonvivant, parce qu'il est au-dessus des hommages. C'est unhomme qui est tellement secret, tellement indpendant,tellement soit-disant solitaire. C'est peut-tre le plus secret etl'homme dont on tait tous le plus amoureux peut-tre. Jamais

aucune comptition avec lui, jamais d'affrontement, sauf quand il dteste les choses. L, quand il semet tre virulent, violent, cet homme trs lgant et trs doux, a peut aller trs trs loin. Il vit hlastrs seul - je dis hlas pour ceux qui n'ont pas, comment je dirais ? je ne sais pas la grce de l'avoirconnu depuis trs longtemps. Parce que si on fait sa connaissance de lui, maintenant, on ne peut pascomprendre quel point c'est un homme de son vivant mythique, mme quand il tait jeune, ungyptien mythique, un de plus. Il ne parle plus parce qu'il a t malade, mais il s'est habitu ne plusparler, il sort des petits carnets et les personnes qui vivent trs souvent avec lui le comprennent, parcequ'il y a des mouvements de lvres et des sons qui apparaissent, qui sont tout fait reconnaissables. Ilvit dans un monde dans lequel il est n, il raconte la vie des personnages du monde dans lequel il estn. Il a vcu dans un autre monde et l il n'a jamais crit sur le personnage dans lequel il vit. il vit dans

une Alexandrie ancienne, dans une Egypte de rve, dans une Egypte d'aristocratie, de tout le Moyen-Orient. J'aimerais beaucoup l'entendre parler gyptien. Pourquoi je le lui ai jamais demand ?

(...)

C'est une contiunuit de rves, et pas d'abandon de la vie mais qui supporte avec beaucoup d'humour lavie qui l'abandonne. La vie qui l'abandonne, lui, Albert. Mais lui n'a pas abandonn la vie, pas du tout,absolument pas.