JJ Wittezaele La question du « sens » en thérapie stratégique · Jean-Jacques Wittezaele Dans...
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La question du « sens » en thérapie stratégique Jean-Jacques Wittezaele
Dans le cadre de ce bilan global de 20 années d'IGB — ce qui fait
presque 25 ans de pratique de la thérapie brève — , je voulais aborder
un aspect de mon travail qui a beaucoup évolué depuis les débuts : il
s’agit de la manière de répondre aux demandes de mes patients qui
touchent à la « compréhension » de leurs difficultés. Compréhension des
« causes » du problème qui les amène à venir me voir, de leur origine,
de leur construction (« je ne comprends pas pourquoi j’ai ce problème »
où, souvent est incluse un doute quant à leur état : « mais qu’est-ce qui
ne va pas chez moi qui fait que je retombe toujours dans les mêmes
erreurs ? » Compréhension de leurs symptômes (qui leur paraissent
parfois étranges), compréhension de ce qui leur arrive parfois, tout
simplement.
Ces questions me paraissaient être des questions « parasites » en
quelque sorte pour la thérapie. Et j’y répondais donc de façon radicale
en les mettant devant un choix illusoire : « si vous deviez choisir entre
la recherche des causes de votre problème ou faire en sorte d’y trouver
des solutions, que choisiriez-vous ? »
Bien entendu, confrontés à ce choix, la plupart répondaient qu’ils
préféraient la recherche d’une solution. Mais j’ai pu constater que, dans
pas mal de cas, cela ne faisait pas pour autant disparaître leur
préoccupation de la recherche d’un « sens » à leur problème. J’ai
également pu constater que certains d’entre eux, qui avaient suivi
d’autres approches de leur problème, analytiques par exemple,
semblaient plus apaisés par cette compréhension même s’ils
recherchaient néanmoins des solutions plus concrètes.
J’ai donc réalisé que cette question du sens que je refusais
d’aborder pouvait gêner le processus thérapeutique justement parce que
je ne voulais pas y consacrer du temps ou de l’attention. Et que,
finalement, c’étaient mes propres a priori méthodologiques qui me
retenaient (vous savez, le principe d’équifinalité qui dit qu’on ne peut
jamais connaître les causes d’un phénomène et qu’il vaut donc bien
mieux s’intéresser à la question du « comment ? » plutôt qu’à la question
« pourquoi ? »).
Mais si notre façon de concevoir les situations est avant tout
interactionnelle, une thérapie, c’est aussi la rencontre de 2 « visions du
monde »… Il m’a semblé que je faisais une confusion entre une position
épistémologique, des principes idéologiques en quelque sorte (je
défendais mon modèle théorique) et ma position de thérapeute qui
cherche à aider ses patients le mieux possible. ; j’en oubliais, en effet, la
vision constructiviste de la « vérité » et me coupais, ce faisant, de la
vision du monde de mon patient, ce qui entravait mon travail clinique et,
en particulier, la relation thérapeutique. En effet, nous avons tous grandi
dans une culture — influencée par Descartes et par Freud — qui
considère que la seule façon de vraiment régler un problème consiste à
en rechercher les causes pour éviter que cela ne se reproduise.
Or, on sait à quel point les patients, comme tous les individus
d’ailleurs tiennent à leur vision du monde. « Il n’y a pas de plus grand
voleur au monde que celui qui nous vole notre liberté de penser. Privés
d’elle, nous pouvons tout aussi bien nous remettre à quatre pattes. C’est
pourquoi, selon les paroles de Mencius, les gens seront irrités par ce
voleur, en proportion de son mépris pour eux. Ils le haïront d’autant plus
qu’il leur ôtera plus. Et comme rien n’est aussi précieux, personnel et
intime que nos croyances intellectuelles, morales ou religieuses, il n’est
pas de plus grande haine que celle provoquée par l’homme qui nous ôte
le droit de croire ce que nous croyons. » (Lin Yutang)
Il est vrai que, lorsqu’on voit Giorgio Nardone travailler, par
exemple, il peut maintenir une relation complémentaire d’aide en
balayant ces questions par un cinglant : « dites-vous qu’à des questions
stupides on ne peut apporter de réponses intelligentes ! » Et voilà, c’est
réglé. En tout cas, ça semble être le cas.
Et puis je me suis dit que tous les hommes de science devaient donc
être stupides puisqu’ils se posaient toujours cette question du pourquoi.
Mais alors comment comprendre le développement des sciences
actuelles ?
Je me suis alors posé la question : « pourquoi ne voulons-nous
pas répondre à la question du pourquoi ? » Et je me suis dit que j’allais
aborder les choses non pas en choisissant entre pourquoi et comment
mais en cherchant « le pourquoi du comment ! »
Le problème du « sens » Alors, finalement quel est le problème ? Plutôt que de me focaliser
sur le contenu de cette question (contenu qui s’avère vite vertigineux :
qu’est-ce que le sens d’un phénomène ? On se rend vite compte du fait
que les définitions renvoient à d’autres en une espèce de périple
récursif)), j’ai compris qu’il valait mieux l’aborder de façon
« stratégique » et m’occuper de ses aspects pragmatiques: « Qu’est-ce
qui motive cette question et surtout quelles sont les attentes du
patient lorsqu’il la pose ?»
J’ai ainsi pu repérer différents aspects de cette question :
1. La question du rôle ou de la fonction de l’ « explication causale »:
c’est le passé qui détient les clés du présent.
— D’abord, bien sûr, le désir d’être réellement débarrassé du
problème formulé sur base de l’épistémologie dominante dans
notre culture, à savoir : ce n’est que si on trouve les causes,
qu’on pourra faire en sorte que cela ne se reproduise plus.
Avec son corollaire : si même on change sans mettre le doigt sur
les causes, le problème risque de réapparaître à l’avenir.
— Ensuite la croyance — d’origine freudienne et elle aussi
profondément ancrée dans notre culture — selon laquelle la prise de conscience des causes d’un problème nous en libère.
Deux prémisses fausses en grande partie, quoique, comme je le
montrerai tout à l’heure, la première n’est pas infondée, le tout est
de s’entendre sur le type d’explication causale utilisé.
2. Le besoin de compréhension (pour lutter contre le sentiment
d’insécurité personnelle ?) — Percevoir leur propre vie d’une façon « cohérente » : intégrer d’une
façon « logique » les différents événements importants de leur
histoire personnelle en un tout qui est « eux-mêmes », leur vie.
Comme le disait Bateson : « Que se passe-t-il quand, par exemple,
je me rends chez un psychanalyste ? […] J’arrive avec des
histoires ; non pas seulement avec une provision d’histoires à livrer
au psychanalyste, mais bien avec des histoires faisant partie
intégrante de mon être. Les patterns et les séquences de mon
expérience d’enfant sont imbriquées en moi : mon père faisait telle
et telle chose ; ma tante faisait ceci ou cela. Ce qu’ils ont fait se
situe en dehors de moi, mais, quel que soit ce que j’ai appris, mon
apprentissage s’est produit à l’intérieur de l’expérience que j’ai eue
des actes de ces autres qui ont pour moi une importance
essentielle, mon père ou ma tante.
Me voici chez le psychanalyste, ce nouvel autre, désormais
essentiel pour moi, et que je peux voir comme un père (ou peut-
être un anti-père), parce que rien n’a de sens qui n’est vu dans un
contexte. Cette vision s’appelle le transfert, c’est un phénomène
général dans les relations humaines. C’est une caractéristique
universelle de toute interaction, puisque, après tout, la tournure
des événements qui se sont produits entre vous et moi donne sa
forme à la façon dont nous réagissons l’un vis-à-vis de l’autre
aujourd’hui. Ce report est, dans son principe, un transfert de notre
apprentissage passé.1 »
— Retrouver une cohérence entre l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et
des symptômes qu’ils trouvent « bizarres » ou qui « leur tombent
dessus » et qui entraînent donc une insécurité. J’ai eu une
patiente, une dame de 40 ans, intelligente, cultivée qui est venu
ma voir pour un problème de phobie. Après quelques séances, elle
m’avoua avoir des pensées obsessionnelles récurrentes : elle était
irrésistiblement attirée par les excréments de chiens et devait
réprimer la pulsion de se jeter dessus et de les manger. Après
avoir dépassé sa phobie et ses pensées obsédantes, elle restait
perplexe et m’a demandé : « mais comment ai-je pu avoir de telles
idées ? »
3. Les risques de laisser ces questions sans réponse
Toute cette réflexion m’a conduit à remarquer que notre réticence
à donner des explications était sans doute également liée à notre parti
pris non normatif et non pathologisant. Je me suis longtemps fait l’avocat
de la thérapie brève comme « résolution de problèmes » : notre boulot
consiste à permettre au patient de trouver des solutions et non à lui
apprendre comment il faut vivre ; nous ne sommes ni des gourous ni des 1 G. Bateson : La nature et la pensée, p. 21-23
directeurs de conscience, ni des représentants de l’ordre établi chargés
de « normaliser » les personnes qui nous consultent. A chacun donc de
trouver la façon de vivre qui lui paraît la meilleure.
J’en suis toujours intimement persuadé.
Mais alors, si nous défendons une diversité de points de vue,
pourquoi ne pas tenir compte des souhaits de nos patients qui sont
préoccupés par la persistance des changements qu’une thérapie brève
peut leur apporter ?
— d’abord, les patients qui se posent la question du pourquoi
continuent à s’en préoccuper malgré notre positionnement et — ce
qui me paraît encore plus important — même si le problème a été
résolu. Ils ne sont pas satisfaits des changements qu’ils trouvent
magiques ou incompréhensibles car ils ont le sentiment d’être
encore sous l’emprise de leurs problèmes. « Ce qu’on ne comprend pas nous a capturés.2» comme disait Richard Moss.
— Les patients n’ont pas ont trouvé eux-mêmes « le mécanisme de
la solution », on le leur a soufflé, en quelque sorte. Ils ne se
sentent donc pas en état de l’éviter à l’avenir s’il devait survenir à
nouveau. « Ils » n’ont pas changé puisqu’ils pensent toujours
pareil ! On oublie parfois que les ressources de la pensée sont
aussi des ressources qu’on peut stimuler chez les patients.
— Ensuite, l’absence de réponse de la part du thérapeute signifie que
le patient continue à chercher dans la même direction que
précédemment, ce qui risque de nuire au travail car, comme il
continue à y réfléchir de la même manière, il risque d’arriver aux
2 Richard Moss : « Oui à la vie, la voie du laisser être » , in Frankl : La quête du sens, p. 126.
mêmes conclusions, avec, pour conséquences la tentation de
recourir aux tentatives de solution habituelles.
— La souffrance engendrée par l’absence de compréhension : les
interrogations, l’incompréhension, les énigmes, sont douloureuses
ou en tout cas constituent une sorte d’ « attracteur » qui focalise
l’attention de l’individu et mobilise donc des circuits récurrents de
pensées morbides.
— La mise en question de la crédibilité du thérapeute. Si on élude
la question du sens ou du pourquoi en général, on risque de faire
en sorte que le patient doute des compétences techniques ou
méthodologiques du thérapeute. Si on banalise l’importance du
passé, on peut créer une image de thérapeute désinvolte, peu
fiable.
De plus, les prémisses sur lesquelles notre travail clinique repose
véhicule des implications qu’il est illusoire de croire « neutres ». Aussi,
j’ai réalisé que plutôt que faire « comme si » nous n’exercions aucune
influence philosophique et de faire passer ces idées clandestinement, il
pouvait être intéressant d’expliquer plus ouvertement comment nous
voyons les choses et laisser le patient se situer par rapport à ce qu’on lui
dit.
Un jour, en formation, alors que j’établissais un lien entre la vision
du monde taoïste et la thérapie interactionnelle et stratégique, un
stagiaire profondément chrétien s’est écrié : « mais faut-il croire à tout ça
pour faire de la thérapie brève ? » Non, bien sûr. Nous ne voulons pas
que nos patients — ou nos stagiaires — croient en quoi que ce soit. Mais
on sait aussi que ce qui nous relie tous autour de la thérapie brève de
Palo Alto, c’est qu’elle véhicule un certain mode de vie qui émerge de
notre façon de concevoir la vie psychologique, la genèse et la résolution
des problèmes de nos patients… mais aussi des problèmes que chacun
d’entre nous peut rencontrer dans sa vie. Pour en citer certaines
composantes: l’importance des relations, la relativité des points de vue
et la non normativité qui l’accompagne, l’acceptation de soi-même, la foi
dans la capacité d’évolution des individus, dans leurs ressources, la
reconnaissance et l’acceptation de nos émotions, le souci de la liberté
individuelle pour pouvoir profiter des bonnes et belles choses de la vie et
traverser cette condition humaine en en acceptant les joies et les peines,
et trouver du plaisir aux petites choses du quotidien, à manger et à boire,
à rire et à pleurer, à se déchirer et à s’aimer…
Alors, pourquoi ne pas leur faire part de notre avis sur la question ?
Pas notre avis personnel sur leur façon de vivre mais nos explications
sur la source de leurs difficultés. Pourquoi ne pas leur donner une
explication qui les apaise et qui, en plus, les aide à sortir de leurs
difficultés et à avoir des repères au cas où ils y retomberaient ?
Bref, je pense qu’il n’est pas nécessaire que nos patients adhèrent
à nos prémisses mais je pense qu’il est utile que le thérapeute explique
en quoi ces prémisses peuvent lui permettre de sortir de son problème.
Je pense que ces explications favorisent l’établissement d’une bonne
relation thérapeutique, plus transparente, qu’elles rendent le patient
plus impliqué dans le travail, qu’elles permettent de le traiter de façon
plus responsable et donc de le rendre plus autonome, moins
dépendant des techniques du thérapeute. La plupart des patients ne
veulent pas qu’on leur impose des solutions comme si on cherchait à
leur faire avaler un corps étranger mais souhaitent avoir le sentiment
d’intégrer vraiment l’évolution du travail à ce qu’ils identifient comme
étant eux-mêmes, à leur vie. Cela a à voir avec le sentiment de liberté et
d’autonomie, sentiment essentiel pour la qualité de la relation
thérapeutique.
Je peux faire le parallèle avec la difficulté que j’ai moi-même
ressentie lorsque j’ai pris connaissance des protocoles de traitement ou
du « dialogue stratégique » élaborés par Giorgio Nardone. On me disait :
« faites comme ça avec les patients et ils iront mieux » mais en fait cela
me paraissait risqué. Peut-on vraiment faire des choses dont on ne voit
pas le sens — à moins, bien sûr, qu’on soit déjà persuadé que l’on peut
faire une confiance aveugle à celui qui nous l’affirme ; mais cela
témoigne alors d’un renoncement à utiliser sa propre réflexion… , ce
que, heureusement, beaucoup de patients ne sont prêts à faire.
Les explications du thérapeute visent à orienter le mode de raisonnement des patients de façon qu’ils ne retombent plus dans
les mêmes conclusions. Tout comme nous-mêmes, en tant que thérapeutes, devons régulièrement nous référer à notre modèle
théorique dès que nous sommes submergés par des informations
que nous n’arrivons pas à comprendre le problème de notre patient, ce dernier a lui aussi besoin de référence pour s’y retrouver
ou pour savoir comment il réagira, à l’avenir, lorsqu’il sera lui-
même de nouveau confronté à une difficulté de ce type. Alors, si l’explication retrouve des droits en thérapie stratégique,
faut-il y voir un retour à une vision plus analytique ? Non, bien sûr, mais
bien à une utilisation stratégique de la question de la causalité, de
l’explication, donc des questions se rapportant au « sens » de manière
générale.
Un approche stratégique du « sens »
1. Remarques générales sur la notion de « sens »
a) c’est le contexte qui détermine le sens d’un événement. On
ne peut pas changer un événement mais on peut en modifier le contexte qui nous permet de lui donner un autre « sens »
Les explications, comme les théories, ne sont que des moyens qui
permettent d’aller de l’avant, des repères momentanés, elles ne sont pas
« vraies ». La science ne prouve jamais rien, comme le souligne
Bateson. Elles sont toujours susceptibles d’évoluer lorsque nous
pouvons percevoir une « gestalt » plus large qui englobe la précédente.
Les explications modifient le contexte de décodage d’une situation, d’un
phénomène, d’une question donnée. Or, le sens dépend du contexte. Un
contexte explicatif différent amène donc à une perception différente,
propose un sens différent aux éléments auxquels il se rapporte.
Il n’est donc pas question de revenir à une position « pré-
constructiviste » et de laisser sous-entendre à nos patients que nos
explications sont vraies et définitives mais simplement formuler des
explications susceptibles de rendre compte de leur réalité et de leur
donner les moyens d’aller mieux.
Les explications stratégiques sont en fait des recadrages de prémisses.
Etre systémicien, ne veut pas dire que nous avons renoncé à
l’explication causale ; la différence concerne le fait que les phénomènes du vivant requièrent une explication causale non pas
linéaire (une cause du passé entraîne une conséquence dans le présent) mais bien une causalité de type circulaire, voire plus
complexe.
Nous expliquons les choses selon les propriétés des systèmes, comment les chaînes d’échange d’informations sont contrôlées par les
systèmes (donc, par exemple, comment le modèle d’une mère anxieuse
peut entraîner, chez un patient, une tendance à considérer le monde
comme hostile) , comment un changement mineur, s’il est amplifié
par une réaction donnée (un feed-back positif), peut conduire un
système loin de sa position d’équilibre, etc. Comment, par exemple, une
attitude d’évitement ou une demande d’aide peuvent amplifier un
problème. En ce sens, l’explication de la thérapie brève, « ce sont les
tentatives de solution qui renforcent le problème » est bien une explication causale circulaire.
Mais souvent, la question de l’origine du problème (c’est-à-dire la
mise en relation d’événements du passé avec le problème présenté) est
d’un autre ordre. Elle sous-entend le recours à une explication causale
linéaire : « montrez-moi le lien entre mon problème actuel et mon passé
pour que je puisse savoir ce que je ne dois plus faire. » Aujourd’hui, je
réalise que si je ne propose pas une vision alternative à la leur, les
patients continuent de chercher, avec leurs propres outils de réflexion, la
« cause passée » de leurs problèmes, ce qui peut nuire au travail
thérapeutique.
2. Précautions concernant l’usage des explications en
thérapie stratégique
1. Parfois, il ne faut pas expliquer ! D’abord, il y a des situations
dans lesquelles il est préférable de ne pas expliquer.
Notamment, dans les situations où les tentatives de solution
vont justement dans le sens de conjurer la peur par un contrôle
de la pensée. Toutes les explications du thérapeute seront dès
lors décortiquées et perdront leur effet thérapeutique. Elles sont
même contre-productives.
2. La recherche personnelle des causes peut nuire à la santé
mentale. Tant que le patient cherche lui-même à trouver les
causes du problème, il oriente ses réflexions et ses
comportements vers le passé et retarde donc le moment de
prendre en considération sa façon de gérer le présent. «Mais
pourquoi diable ai-je encore réagi de la sorte?», qui ne s'est
jamais posé cette question? Et quelle réponse peut-on y
apporter sinon la mise en évidence d'une lacune, d'une
faiblesse, d'un trait de notre personnalité que nous n'apprécions
pas? Et à quoi cela aboutit-il généralement? A la bonne
résolution de changer cela à l'avenir, c'est-à-dire à tenter
d'exercer un contrôle volontaire sur soi-même, avec les résultats
qu'on connaît.
Alors, lorsque cette recherche des causes débouche sur des
hypothèses organiques ou héréditaires, le résultat peut même
être catastrophique. On sait les dégâts que peuvent entraîner
les prophéties auto-réalisantes de ce type .
3. Les explications et les expériences vécues par les patients. L’acceptation du sens n’est sans doute pas une décision
aussi rationnelle qu’il y paraît. Elle dépend probablement des
expériences antérieures et comporte donc une composante émotionnelle. Bref, il faut que le sens d’un événement ou d’une
situation corresponde ou éclaire autrement une ou des
impressions antérieures. Par exemple, dire aux parents d’une
anorexique que l’évocation de la nourriture est anxiogène pour
leur fille, ne pourra être accepté qu’à la condition que cela
rendre compte de parties d’expériences antérieures qui
corroborent cette affirmation. Des expériences qui ont été
ignorées précédemment car ne trouvant pas place dans le
schéma de décodage rationnel. On avait vaguement ressenti
quelque chose de cette sorte mais ne sachant le relier à
d’autres éléments de connaissance ou d’autres expériences,
cela était resté « indécidable» en quelque sorte. Donc, les
éléments rajoutés doivent être cohérents, congruents avec les
autres.
4. Les explications et les émotions
Un problème est une sorte d’« attracteur de sens », de
générateur de « mauvaises pensées ». Surtout l’émotion qui
l’accompagne. La peur, la colère, la jalousie, etc., créent un
cadre qui limite la cognition, un peu comme des œillères, de
façon autovalidante : la personne réfléchit à sa situation de
façon à justifier son comportement : « on cherche les indices qui
justifient l’émotion : tout ce que fait quelqu’un qu’on déteste ne
fait que confirmer notre colère (voir ce qui se passe lors des
divorces difficiles), toutes les réactions de l’autre apparaissent
comme suspectes aux yeux d’une personne jalouse, comme
tous les actes de presque n’importe qui apparaissent comme un
indice supplémentaire de complot aux yeux d’un parano.
Il s’agit probablement d’une sorte de conduite d’évitement,
une sorte de justification de la peur ou de l’émotion par la
rationalisation : tous les indices concordent et justifient qu’on a
raison d’avoir peur, de se méfier ou lui en vouloir… il s’agit de la
création d’une « prophétie auto-accomplissante ». Ce qui
renforce généralement les tentatives de solution. Il est vain
de vouloir convaincre quelqu’un qui est envahi par les émotions
qu’il n’a aucune raison d’avoir peur, de se méfier, de lui en
vouloir,… bref, d’essayer d’en recadrer le sens. C’est même
contre-productif ! Dans ce cas, c’est l’émotion qu’il faut d’abord
travailler. En général en l’affrontant bien sûr (affronter ses
fantômes) ou plutôt en la laissant nous traverser, en la laissant
« nous égarer ». Le sens changera alors de lui-même, une fois
tarie la source des « mauvaises pensées ».
Voilà donc une explication de l’émotion !
3. L’explication dans le processus thérapeutique Même si les explications constituent une trame pour l’intervention
en général et que c’est justement la cohérence théorique ou
épistémologique du thérapeute qui permet une construire une
« histoire » thérapeutique qui se déploie de façon intégrée pour le
thérapeute et son patient, il y a des moments particuliers du processus
pour lesquels l’explication s’avère importante.
— L’adhésion du patient par le « sens », par la
compréhension Plutôt que l’idée un peu belliqueuse de « capture » du patient, je
préfère celle, plus relationnelle d’« adhésion » du patient au mouvement
thérapeutique.
J’ai signalé que répondre à la demande du patient concernant la
compréhension de son problème facilite l’établissement d’une bonne
relation thérapeutique en ne provoquant pas de résistance d’entrée de
jeu. On ne doit pas fournir une explication immédiate, bien sûr, mais
signaler qu’on a entendu cette demande et que l’évolution du travail
pourra permettre d’y voir plus clair en effet.
Beaucoup de patients rechignent à « entrer » dans le travail thérapeutique parce que le thérapeute n’a pas perçu l’écart entre ce
qu’il propose et la vision du problème par le patient. (Exemple :
proposer de travailler avec des parents qui viennent consulter pour leur
adolescent rebelle qui ne veut pas venir en thérapie). Que le patient
sente que le thérapeute a bien compris la nature et l’étendue de son
problème tout en devenant le « guide » de la thérapie : celui qui impose
le sens prend le pouvoir. Dans la même lignée, l’acceptation de la
demande de compréhension du problème diminue les réactions de
crainte du patient.
— La construction des tâches thérapeutiques
Reprendre les éléments explicatifs morcelés du patient, en faire
une « histoire » logique qui conduit à la réaction inadéquate et l’amener
à trouver lui-même ce qui pourrait être une façon plus constructive
d’aborder son problème. (Voir exemple plus loin)
— La présentation des tâches au patient
De plus, il arrive que des patients rechignent à faire les tâches ou à
entrer dans le mouvement proposé par le thérapeute parce qu’ils ne
comprennent pas où ce dernier « veut » les emmener.
De même lorsque le patient n’arrive pas lui-même à découvrir une
attitude à 180° de ses tentatives de solution, on pourra amener nous-
mêmes la conclusion sous forme de rituels à effectuer et bien expliquer
pourquoi il est nécessaire de les faire régulièrement.
— La phase de « consolidation » du changement
Focaliser la pensée du patient sur le mode de régulation à
changer. Les « explications » données par le thérapeute doivent servir à
orienter la recherche des causes pour expliquer le recours à ce mode de
régulation particulier. « Les modèles appris dans votre famille vous
incitent à… », ou encore, « le fait que vous ayez vécu ce traumatisme
explique le fait que vous ayez tendance à éviter ». Toutes questions du
patient doivent permettre au thérapeute de consolider le fait que, face
aux stimuli environnementaux qui amènent la personne à recourir à ses
tentatives de solution habituelles, on l’amène à y réfléchir autrement.
Donc, progressivement, le thérapeute va relier les éléments
marquants du passé pour former une gestalt globale intégrée, bref
raconter leur histoire d’une façon qui « explique » pourquoi la personne
a tendance à recourir à ses tentatives de solution habituelles (et non pas
son « état » actuel qui est plutôt la conséquence des tentatives de
solution).
Par exemple, on pourrait dire à une patiente: « Les éléments dont vous
m’avez parlé (une mère anxieuse, la crainte de la découverte d’une
conduite « honteuse » — par exemple une homosexualité mal vécue à
l’adolescence —, des attouchements, un viol, … ) tout cela vous a
conduit à imaginer que vous étiez « mauvaise », qu’il fallait vous méfier
de ce que vous pourriez faire, à avoir peur de vos propres pensées et
donc à chercher à les fuir plutôt que de les affronter. Or, quand on fuit la
peur, elle se transforme en panique et le monde se rétrécit de plus en
plus. Par conséquent, pour sortir du carcan de votre histoire familiale et
personnelle, il est important de pouvoir affronter ces « fantômes ». Je
vais donc vous proposer un moyen d’entamer ce travail de fond : chaque
jour, de préférence à la même heure, vous vous installerez dans un
endroit confortable et là, pendant une demi-heure, vous allez évoquer
vos pires craintes et ressentir vos pires peurs…
4. Comment expliquer ? La forme de l’explication Pour éviter le piège de nouvelles explications utiles pour la
résolution du problème, certes, mais susceptibles elles aussi de se
rigidifier et donc de nuire éventuellement au patient par la suite, il est
bon que les explications nouvelles suggérées par le thérapeute
répondent, idéalement, aux critères suivants :
— Élaborer des « explications utiles » (vs « vraies »), c’est-à-dire
offrant des ouvertures vers des solutions ;
— Élaborer des explications souples et dynamiques, évolutives ;
— Élaborer des explications interactionnelles : construire des liens
causaux reliant le contexte et le problème (boucles de perception –
réaction, raconter des histoires)
— Élaborer des explications « constructives », reliant la situation –
problème à une nouvelle façon de les aborder et mobilisatrices
pour l’action future ;
— Élaborer des explications apaisantes en fonction de son passé,
c’est-à-dire capables de mettre un terme à un questionnement
récurrent ;
— Élaborer des explications cohérentes avec les émotions et les
éléments de connaissance reliés au problème.
— Donner des explications qui orientent le patient vers l’action
plutôt que vers la réflexion. Ex : quand vous avez des idées noires,
il serait bon qu’elles puissent être exprimées pour que votre esprit
en soit libéré : conclusion, écrivez-les !
Ou encore, quand quelqu’un a tendance à chercher les causes de
son mal être et à partir en vrille dans une introspection
douloureuse et stérile, on peut lui suggérer : « quand vos idées
noires apparaissent, demandez-vous : qu’est-ce que je peux faire,
là, tout de suite, qui me permettrait de me sentir soulagé ? Même
si cela ne dure pas ».
— Élaborer des explications bloquant les tentatives de solution.
En résumé : toutes les explications concernant le passé doivent concourir à justifier « logiquement » le recours aux
tentatives de solution et donc, implicitement ou explicitement,
donner des outils de réflexion qui éloigneront le patient de la
tendance à recourir à ces mêmes tentatives de solution.
CONCLUSIONS
Nietzsche a dit : « Celui qui a un « pourquoi » qui lui tient lieu
de but, de finalité, peut vivre avec n’importe quel « comment ».3 »
C’est une citation que les thérapeutes stratégiques pourraient méditer…
J’ai voulu montrer, aujourd’hui, que, pour la plupart de nos patients, une thérapie est bien plus qu’une simple résolution de
problèmes…
J’insiste auprès de mes stagiaires et de mes étudiants sur le fait
que faire de la thérapie brève ne consiste pas à aller le plus vite
possible. Même si la considérons surtout comme une résolution de
problèmes, pour la plupart de nos patients, c’est bien plus que ça. Ils
attendent d’y voir plus clair dans leur vie, de découvrir des moyens de
mieux gérer leur quotidien, d’être apaisés de leurs craintes de folie ou de
lacunes intrinsèques, d’être libérés des démons qui les rongent, de sortir
des cercles vicieux qui leur gâchent la vie. Et ils souhaitent faire partie
du processus de changement, de participer à l’évolution qu’ils attendent.
Voilà, j’espère que mon explication de la question du sens et de
l’explication, ma petite « histoire » sur la question du sens vous aura plu.
Il me tient à cœur de veiller à ce que nous, les thérapeutes, soyons
respectueux de nos patients, en cherchant à les aider, bien sûr, le plus
vite possible, mais aussi en accordant de l’attention à ce qui en a pour
eux. Cela ne retarde pas la résolution des problèmes, au contraire, 3 Cité par V. Frankl
puisque, en améliorant la qualité de la relation thérapeutique, nous
augmentons la collaboration du patient. Nous les aiderons peut-être, en
plus, à retrouver plus vite de l’apaisement lorsqu’ils seront confrontés à
des moments difficiles à l’avenir, donc à mieux vivre.
Et puis, comme c’est le cas de beaucoup de choses dans la vie, si
on s’en occupe, il n’est plus nécessaire de s’en préoccuper. Et, comme
vous le savez tous, quand on se sent bien et qu’on est capable de
participer au « grand banquet de la vie », toutes ces questions
existentielles, pfff…, elles disparaissent !
Pour qu’une tâche ait une chance d’être efficace, il faut qu’elle soit
réalisée et donc réalisable. Il ne faut donc pas se contenter d’élaborer
une tâche qui permette de mettre un terme aux tentatives de solution
mais il faut surtout la concevoir d’une manière telle qu’elle puisse être
implémentée par le patient, sinon, elle est tout simplement inutile, même
si elle peut nous paraître « géniale ».
Je me souviens d’une situation où la naïveté dont j’ai fait preuve me fait
sourire aujourd’hui. J’étais face à un père de famille nombreuse
extrêmement autoritaire. A mesure que les enfants grandissaient, la
révolution se préparait dans la famille et ce père perdait de plus en plus
son pouvoir. Il y répondait par un surcroît d’autorité qui l’excluait
progressivement de la dynamique familiale. J’avais donc repéré que ses
tentatives de solution visaient toutes à reprendre le contrôle de la
situation. Afin de couper ce processus, et présumant qu’il ne pouvait pas
ne pas réagir lorsqu’il voyait quelque chose qui lui déplaisait, je lui avais
proposé de quitter la pièce lorsque les choses commençaient à devenir
insupportables pour lui. Malgré toutes les précautions oratoires que
j’avais prises, je n’avais pas capté que, dans la vision du monde de ce
papa, ce que je lui demandais était tout simplement impossible. Poli, il
avait accepté ma proposition mais n’avait jamais pu la mettre en place,
et c’est par son épouse que j’ai appris, quelque temps plus tard, qu’il
avait trouvé ma proposition totalement délirante.
Pour conclure, je dirais que cette liste n’est malheureusement pas
exhaustive, elle n’est que le reflet de mon expérience et de celle de
l’équipe. J’espère que cela vous permettra d’éviter certains pièges qui ne
manqueront pas de jalonner votre parcours de thérapeute.