Jean Racine ESTHER

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ESTHER de Jean Racine PERSONNAGES : ASSUERUS, roi de Perse. ESTHER, reine de Perse. MARDOCHEE, oncle d'ESTHER. AMAN, favori d'ASSUERUS. ZARES, femme d'AMAN. HYDASPE, officier du palais intérieur d'ASSUERUS. ASAPH, autre officier d'ASSUERUS. ELISE, confidente d'ESTHER. THAMAR, Israélite de la suite d'ESTHER. GARDES DU ROI ASSUERUS. CHOEUR DE JEUNES FILLES ISRAELITES. La scène est à Suse, dans le palais d'ASSUERUS. LA PIÉTÉ fait le Prologue. PROLOGUE LA PIÉTÉ Du séjour bienheureux de la Divinité Je descends dans ce lieu, par la Grâce habité. L'Innocence s'y plaît, ma compagne éternelle, Et n'a point sous les cieux d'asile plus fidèle. Ici, loin du tumulte, aux devoirs les plus saints Tout un peuple naissant est formé par mes mains. Je nourris dans son cœur la semence féconde Des vertus dont il doit sanctifier le monde. Un roi qui me protège, un roi victorieux, A commis à mes soins ce dépôt précieux. C'est lui qui rassembla ces colombes timides, Éparses en cent lieux, sans secours et sans guides. Pour elles, à sa porte élevant ce palais, Il leur y fit trouver l'abondance et la paix. Grand Dieu, que cet ouvrage ait place en ta mémoire! Que tous les soins qu'il prend pour soutenir ta gloire Soient gravés de ta main au livre où sont écrits Les noms prédestinés des rois que tu chéris! Tu m'écoutes. Ma voix ne t'est point étrangère. Je suis la Piété, cette fille si chère,

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  • ESTHERde

    Jean RacinePERSONNAGES :ASSUERUS, roi de Perse.ESTHER, reine de Perse.MARDOCHEE, oncle d'ESTHER.AMAN, favori d'ASSUERUS.ZARES, femme d'AMAN.HYDASPE, officier du palais intrieur d'ASSUERUS.ASAPH, autre officier d'ASSUERUS.ELISE, confidente d'ESTHER.THAMAR, Isralite de la suite d'ESTHER.GARDES DU ROI ASSUERUS.CHOEUR DE JEUNES FILLES ISRAELITES.

    La scne est Suse, dans le palais d'ASSUERUS.

    LA PIT fait le Prologue.

    PROLOGUELA PITDu sjour bienheureux de la Divinit Je descends dans ce lieu, par la Grce habit. L'Innocence s'y plat, ma compagne ternelle, Et n'a point sous les cieux d'asile plus fidle. Ici, loin du tumulte, aux devoirs les plus saints Tout un peuple naissant est form par mes mains. Je nourris dans son cur la semence fconde Des vertus dont il doit sanctifier le monde. Un roi qui me protge, un roi victorieux,A commis mes soins ce dpt prcieux. C'est lui qui rassembla ces colombes timides, parses en cent lieux, sans secours et sans guides. Pour elles, sa porte levant ce palais, Il leur y fit trouver l'abondance et la paix.Grand Dieu, que cet ouvrage ait place en ta mmoire! Que tous les soins qu'il prend pour soutenir ta gloire Soient gravs de ta main au livre o sont crits Les noms prdestins des rois que tu chris! Tu m'coutes. Ma voix ne t'est point trangre.Je suis la Pit, cette fille si chre,

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  • Qui t'offre de ce roi les plus tendres soupirs. Du feu de ton amour j'allume ses dsirs.Du zle qui pour toi l'enflamme et le dvore La chaleur se rpand du couchant l'aurore.Tu le vois tous les jours, devant toi prostern, Humilier ce front de splendeur couronn. Et confondant l'orgueil par d'augustes exemples, Baiser avec respect le pav de tes temples. De ta gloire anim, lui seul, de tant de rois,S'arme pour ta querelle et combat pour tes droits. Le perfide intrt, l'aveugle jalousie S'unissent contre toi pour l'affreuse hrsie; La discorde en fureur frmit de toutes parts ; Tout semble abandonner tes sacrs tendards;Et l'enfer, couvrant tout de ses vapeurs funbres, Sur les yeux les plus saints a jet ses tnbres. Lui seul, invariable et fond sur la foi, Ne cherche, ne regarde et n'coute que toi; Et bravant du dmon l'impuissant artifice,De la religion soutient tout l'difice. Grand Dieu, juge ta cause, et dploie aujourd'hui Ce bras, ce mme bras qui combattait pour lui, Lorsque des nations sa perte animes Le Rhin vit tant de fois disperser les armes.Des mmes ennemis je reconnais l'orgueil : Ils viennent se briser contre le mme cueil. Dj, rompant partout leurs plus fermes barrires, Du dbris de leurs forts il couvre ses frontires.Tu lui donnes un fils prompt le seconder, Qui sait combattre, plaire, obir, commander;Un fils qui, comme lui, suivi de la Victoire,Semble gagner son cur borner toute sa gloire;Un fils tous ses vux avec amour soumis.L'ternel dsespoir de tous ses ennemis. Pareil ces esprits que ta Justice envoie,Quand son roi lui dit : Pars , il s'lance avec joie,Du tonnerre vengeur s'en va tout embraser,Et tranquille ses pieds revient le dposer.Mais tandis qu'un grand roi venge ainsi mes injures, Vous qui gotez ici les dlices si pures,S'il permet son cur un moment de repos,A vos jeux innocents appelez ce hros.Retracez-lui d'Esther l'histoire glorieuse,Et sur l'impit la foi victorieuseEt vous, qui vous plaisez aux folles passionsQu'allument dans vos curs les vaines fictions,Profanes amateurs de spectacles frivoles,

  • Dont l'oreille s'ennuie au son de mes paroles,Fuyez de mes plaisirs la sainte austrit. Tout respire ici Dieu, la paix, la vrit.

    ACTE PREMIER(Le thtre reprsente l'appartement d'ESTHER.)SCENE PREMIERE.ESTHER, ELISEESTHEREst-ce toi, chre Elise? O jour trois fois heureux!Que bni soit le ciel qui te rend mes vux,Toi qui de Benjamin comme moi descendue,Fus de mes premiers ans la compagne assidue, Et qui d'un mme joug souffrant l'oppression,M'aidais soupirer les malheurs de Sion !Combien ce temps encore est cher ma mmoire!Mais toi, de ton Esther ignorais-tu la gloire ?Depuis plus de six mois que je te fais chercher, Quel climat, quel dsert a donc pu te cacher?ELISEAu bruit de votre mort justement plore, Du reste des humains je vivais spare, Et de mes tristes jours n'attendais que la fin, Quand tout coup, Madame, un prophte divin : C'est pleurer trop longtemps une mort qui t'abuse, Lve-toi, m'a-t-il dit, prends ton chemin vers Suse.L tu verras d'Esther la pompe et les honneurs, Et sur le trne assis le sujet de tes pleurs. Rassure, ajouta-t-il, tes tribus alarmes,Sion : le jour approche o le Dieu des armesVa de son bras puissant faire clater l'appui; Et le cri de son peuple est mont jusqu' lui. Il dit. Et moi, de joie et d'horreur pntre, Je cours. De ce palais j'ai su trouver l'entre.O spectacle! O triomphe admirable mes yeux, Digne en effet du bras qui sauva nos aeux! Le fier Assurus couronne sa captive, Et le Persan superbe est aux pieds d'une Juive. Par quels secrets ressorts, par quel enchanementLe ciel a-t-il conduit ce grand vnement?ESTHERPeut-tre on t'a cont la fameuse disgrce De laltire Vasthi, dont j'occupe la place, Lorsque le Roi, contre elle enflamm de dpit, La chassa de son trne, ainsi que de son lit. Mais il ne put sitt en bannir la pense. Vasthi rgna longtemps dans son me offense.

  • Dans ses nombreux Etats il fallut donc chercher Quelque nouvel objet qui l'en pt dtacher.De l'Inde l'Hellespont ses esclaves coururent. Les filles de l'Egypte Suse comparurent.Celles mme du Parthe et du Scythe indomptY brigurent le sceptre offert la beaut.On m'levait alors, solitaire et cache,Sous les yeux vigilants du sage Mardoche. Tu sais combien je dois ses heureux secours.La mort m'avait ravi les auteurs de mes jours.Mais lui, voyant en moi la fille de son frre,Me tint lieu, chre Elise, et de pre et de mre.Du triste tat des Juifs jour et nuit agit, Il me tira du sein de mon obscurit;Et sur mes faibles mains fondant leur dlivrance,Il me fit d'un empire accepter l'esprance.A ses desseins secrets tremblante j'obis.Je vins. Mais je cachai ma race et mon pays. Qui pourrait cependant t'exprimer les cabalesQue formait en ces lieux ce peuple de rivales,Qui toutes, disputant un si grand intrt,Des yeux d'Assurus attendaient leur arrt ?Chacune avait sa brigue et de puissants suffrages :L'une d'un sang fameux vantait les avantages;L'autre, pour se parer de superbes atours,Des plus adroites mains empruntait le secours.Et moi, pour toute brigue et pour tout artifice, De mes larmes au ciel j'offrais le sacrifice. Enfin on m'annona l'ordre d'Assurus. Devant ce fier monarque, Elise, je parus. Dieu tient le cur des rois entre ses mains puissantesIl fait que tout prospre aux mes innocentes, Tandis qu'en ses projets l'orgueilleux est tromp. De mes faibles attraits le Roi parut frapp. Il m'observa longtemps dans un sombre silence; Et le ciel, qui pour moi fit pencher la balance, Dans ce temps-l sans doute agissait sur son cur. Enfin avec des yeux o rgnait la douceur : Soyez reine, dit-il; et, ds ce moment mmeDe sa main sur mon front posa son diadme. Pour mieux faire clater sa joie et son amour, Il combla de prsents tous les grands de sa cour; Et mme ses bienfaits, dans toutes ses provinces,Invitrent le peuple aux noces de leurs princes.Hlas ! durant ces jours de joie et de festins, Quelle tait en secret ma honte et mes chagrins ! Esther, disais-je, Esther dans la pourpre est assise,

  • La moiti de la terre son sceptre est soumise,Et de Jrusalem l'herbe cache les murs ! Sion, repaire affreux de reptiles impurs, Voit de son temple saint les pierres disperses, Et du Dieu d'Isral les ftes sont cesses !ELISE N'avez-vous point au Roi confi vos ennuis ?ESTHERLe Roi, jusqu' ce jour, ignore qui je suis. Celui par qui le ciel rgle ma destine Sur ce secret encor tient ma langue enchane.ELISEMardoche? H! peut-il approcher de ces lieux?ESTHERSon amiti pour moi le rend ingnieux.Absent, je le consulte; et ses rponses sages Pour venir jusqu' moi trouvent mille passages. Un pre a moins de soin du salut de son fils. Dj mme, dj par ses secrets avis J'ai dcouvert au Roi les sanglantes pratiquesQue formaient contre lui deux ingrats domestiques. Cependant mon amour pour notre nation A rempli ce palais de filles de Sion, Jeunes et tendres fleurs, par le sort agites, Sous un ciel tranger comme moi transplantes.Dans un lieu spar de profanes tmoins, Je mets les former mon tude et mes soins; Et c'est l que fuyant l'orgueil du diadme, Lasse de vains honneurs, et me cherchant moi-mme, Aux pieds de l'ternel je viens m'humilier,Et goter le plaisir de me faire oublier.Mais tous les Persans je cache leurs familles. Il faut les appeler. Venez, venez, mes filles, Compagnes autrefois de ma captivit, De l'antique Jacob jeune postrit.SCENE II. ESTHER, ELISE, LE CHOEURUNE ISRAELITE chante derrire le thtre. Ma sur, quelle voix nous appelle?UNE AUTREJ'en reconnais les agrables sons. C'est la Reine.TOUTES DEUX

    Courons, mes surs, obissons. La Reine nous appelle : Allons, rangeons-nous auprs d'elle.TOUT LE CHUR, entrant sur la scne par plusieurs endroits diffrents.

  • La Reine nous appelle :Allons, rangeons-nous auprs d'elle.ELISECiel! quel nombreux essaim d'innocentes beauts S'offre mes yeux en foule et sort de tous cts! Quelle aimable pudeur sur leur visage est peinte! Prosprez, cher espoir d'une nation sainte. Puissent jusques au ciel vos soupirs innocents Monter comme l'odeur d'un agrable encens ! Que Dieu jette sur vous des regards pacifiques !ESTHERMes filles, chantez-nous quelqu'un de ces cantiques O vos voix si souvent, se mlant mes pleurs, De la triste Sion clbrent les malheurs.UNE ISRAELITE, seule, chantant. Dplorable Sion, qu'as-tu fait de ta gloire ?Tout l'univers admirait ta splendeur : Tu n'es plus que poussire; et de cette grandeur Il ne nous reste plus que la triste mmoire. Sion, jusques au ciel leve autrefois, Jusqu'aux enfers maintenant abaisse,Puiss-je demeurer sans voix, Si dans mes chants ta douleur retraceJusqu'au dernier soupir n'occupe ma pense'!TOUT LE CHURO rives du Jourdain ! champs aims des cieux ! Sacrs monts, fertiles valles, Par cent miracles signales ! Du doux pays de nos aeux Serons-nous toujours exiles?UNE ISRALITE, seule.Quand verrai-je, Sion ! relever tes remparts, Et de tes tours les magnifiques fates ?Quand verrai-je de toutes parts Tes peuples en chantant accourir tes ftes ?TOUT LE CHURO rives du Jourdain! champs aims des cieux! Sacrs monts, fertiles valles, Par cent miracles signales!Du doux pays de nos aeux Serons-nous toujours exiles?SCENE III. ESTHER, MARDOCHEE, ELISE, LE CHUR ESTHERQuel profane en ce lieu s'ose avancer vers nous?Que vois-je ? Mardoche ? O mon pre, est-ce vous ?Un ange du Seigneur, sous son aile sacre,

  • A donc conduit vos pas et cach votre entre ?Mais d'o vient cet air sombre, et ce cilice affreux, Et cette cendre enfin qui couvre vos cheveux?Que nous annoncez-vous ?MARDOCHEE

    O Reine infortune!O d'un peuple innocent barbare destine ! Lisez, lisez l'arrt dtestable, cruel. Nous sommes tous perdus, et c'est fait d'Isral.ESTHERJuste ciel! tout mon sang dans mes veines se glace.MARDOCHEEOn doit de tous les Juifs exterminer la race. Au sanguinaire Aman nous sommes tous livrs. Les glaives, les couteaux sont dj prpars. Toute la nation la fois est proscrite.Aman, l'impie Aman, race d'Amalcite,A pour ce coup funeste arm tout son crdit;Et le Roi, trop crdule, a sign cet dit.Prvenu contre nous par cette bouche impure,Il nous croit en horreur toute la nature. Ses ordres sont donns; et dans tous ses tatsLe jour fatal est pris pour tant d'assassinats.Cieux, clairerez-vous cet horrible carnage ?Le fer ne connatra ni le sexe ni l'ge;Tout doit servir de proie aux tigres, aux vautours; Et ce jour effroyable arrive dans dix jours.ESTHERO Dieu, qui vois former des desseins si funestes, As-tu donc de Jacob abandonn les restes?UNE DES PLUS JEUNES ISRALITESCiel, qui nous dfendra, si tu ne nous dfends ?MARDOCHEELaissez les pleurs, Esther, ces jeunes enfants.En vous est tout l'espoir de vos malheureux frres. Il faut les secourir. Mais les heures sont chres : Le temps vole, et bientt amnera le jour O le nom des Hbreux doit prir sans retour. Toute pleine du feu de tant de saints prophtes,Allez, osez au Roi dclarer qui vous tes.ESTHERHlas ! ignorez-vous quelles svres loisAux timides mortels cachent ici les rois ? Au fond de leur palais leur majest terrible Affecte leurs sujets de se rendre invisible; Et la mort est le prix de tout audacieux Qui sans tre appel se prsente leurs yeux,

  • Si le Roi dans l'instant, pour sauver le coupable, Ne lui donne baiser son sceptre redoutable. Rien ne met l'abri de cet ordre fatal, Ni le rang, ni le sexe, et le crime est gal. Moi-mme, sur son trne, ses cts assise, Je suis cette loi comme une autre soumise; Et sans le prvenir, il faut, pour lui parler, Qu'il me cherche, ou du moins qu'il me fasse appeler.MARDOCHEEQuoi? Lorsque vous voyez prir votre patrie,Pour quelque chose, Esther, vous comptez votre vie ! Dieu parle, et d'un mortel vous craignez le courroux! Que dis-je? Votre vie, Esther, est-elle vous? N'est-elle pas au sang dont vous tes issue?N'est-elle pas Dieu dont vous l'avez reue? Et qui sait, lorsqu'au trne il conduisit vos pas, Si pour sauver son peuple il ne vous gardait pas ? Songez-y bien : ce Dieu ne vous a pas choisie Pour tre un vain spectacle aux peuples de l'Asie,Ni pour charmer les yeux des profanes humains. Pour un plus noble usage il rserve ses saints.S'immoler pour son nom et pour son hritageD'un enfant d'Isral voil le vrai partage : Trop heureuse pour lui de hasarder vos jours !Et quel besoin son bras a-t-il de nos secours ? Que peuvent contre lui tous les rois de la terre ? En vain ils s'uniraient pour lui faire la guerre : Pour dissiper leur ligue il n'a qu' se montrer; Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer.Au seul son de sa voix la mer fuit, le ciel tremble ; Il voit comme un nant tout l'univers ensemble; Et les faibles mortels, vains jouets du trpas, Sont tous devant ses yeux comme s'ils n'taient pas. S'il a permis d'Aman l'audace criminelle,Sans doute qu'il voulait prouver votre zle. C'est lui qui m'excitant vous oser chercher, Devant moi, chre Esther, a bien voulu marcher; Et s'il faut que sa voix frappe en vain vos oreilles, Nous n'en verrons pas moins clater ses merveilles.Il peut confondre Aman, il peut briser nos fers Par la plus faible main qui soit dans l'univers. Et vous, qui n'aurez point accept cette grce, Vous prirez peut-tre, et toute votre race.ESTHERAllez. Que tous les Juifs dans Suse rpandus, A prier avec vous jour et nuit assidus,Me prtent de leurs vux le secours salutaire,

  • Et pendant ces trois jours gardent un jene austre. Dj la sombre nuit a commenc son tour : Demain, quand le soleil rallumera le jour, Contente de prir, s'il faut que je prisse, J'irai pour mon pays m'offrir en sacrifice. Qu'on s'loigne un moment.(Le chur se retire vers le fond du thtre.)SCENE IV. ESTHER, ELISE, LE CHOEURESTHER

    O mon souverain Roi!Me voici donc tremblante et seule devant toi.Mon pre mille fois m'a dit dans mon enfance Qu'avec nous tu juras une sainte alliance,Quand pour te faire un peuple agrable tes yeux,Il plut ton amour de choisir nos aeux.Mme tu leur promis de ta bouche sacreUne postrit d'ternelle dure. Hlas! ce peuple ingrat a mpris ta loi;La nation chrie a viol sa foi;Elle a rpudi son poux et son pre,Pour rendre d'autres dieux un honneur adultre.Maintenant elle sert sous un matre tranger. Mais c'est peu d'tre esclave, on la veut gorger.Nos superbes vainqueurs, insultant nos larmes, Imputent leurs dieux le bonheur de leurs armes, Et veulent aujourd'hui qu'un mme coup mortel Abolisse ton nom, ton peuple et ton autel.Ainsi donc un perfide, aprs tant de miracles, Pourrait anantir la foi de tes oracles, Ravirait aux mortels le plus cher de tes dons, Le saint que tu promets et que nous attendons ? Non, non, ne souffre pas que ces peuples farouches,Ivres de notre sang, ferment les seules bouches Qui dans tout l'univers clbrent tes bienfaits; Et confonds tous ces dieux qui ne furent jamais.Pour moi, que tu retiens parmi ces infidles, Tu sais combien je hais leurs ftes criminelles,Et que je mets au rang des profanationsLeur table, leurs festins et leurs libations; Que mme cette pompe o je suis condamne, Ce bandeau dont il faut que je paraisse orne Dans ces jours solennels l'orgueil ddis,Seule et dans le secret je le foule mes pieds; Qu' ces vains ornements je prfre la cendre, Et n'ai de got qu'aux pleurs que tu me vois rpandre. J'attendais le moment marqu dans ton arrt,

  • Pour oser de ton peuple embrasser l'intrt.Ce moment est venu : ma prompte obissanceVa d'un roi redoutable affronter la prsence. C'est pour toi que je marche. Accompagne mes pas Devant ce fier lion qui ne te connat pas; Commande en me voyant que son courroux s'apaise, Et prte mes discours un charme qui lui plaise. Les orages, les vents, les cieux te sont soumis : Tourne enfin sa fureur contre nos ennemis.SCENE V. (Toute cette scne est chante.) LE CHURUNE ISRALITE, seule.Pleurons et gmissons, mes fidles compagnes.A nos sanglots donnons un libre cours. Levons les yeux vers les saintes montagnesD'o l'innocence attend tout son secours.O mortelles alarmes ! Tout Isral prit. Pleurez, mes tristes yeux.Il ne fut jamais sous les deux Un si juste sujet de larmes.TOUT LE CHURO mortelles alarmes!UNE AUTRE ISRALITEN'tait-ce pas assez qu'un vainqueur odieux De l'auguste Sion et dtruit tous les charmes, Et tran ses enfants captifs en mille lieux ?TOUT LE CHURO mortelles alarmes!LA MME ISRALITEFaibles agneaux livrs des loups furieux, Nos soupirs sont nos seules armes.TOUT LE CHURO mortelles alarmes!UNE ISRALITEArrachons, dchirons tous ces vains ornements Qui parent notre tte.UNE AUTRERevtons-nous d'habillements Conformes l'horrible fte Que l'impie Aman nous apprte.TOUT LE CHURArrachons, dchirons tous ces vains ornements Qui parent notre tte.UNE ISRALITE, seule.Quel carnage de toutes parts ! On gorge la fois les enfants, les vieillards, Et la sur et le frre,

  • Et la fille et la mre, Le fils dans les bras de son pre.Que de corps entasss! Que de membres pars,Privs de spulture ! Grand Dieu! tes saints sont la pture Des tigres et des lopards.UNE DES PLUS JEUNES ISRALITESHlas ! si jeune encore,Par quel crime ai-je pu mriter mon malheur? Ma vie peine a commenc d'clore. Je tomberai comme une fleur Qui n'a vu qu'une aurore.Hlas ! si jeune encore,Par quel crime ai-je pu mriter mon malheur?UNE AUTREDes offenses d'autrui malheureuses victimes, Que nous servent, hlas ! ces regrets superflus ? Nos pres ont pch, nos pres ne sont plus, Et nous portons la peine de leurs crimes.TOUT LE CHURLe Dieu que nous servons est le Dieu des combats ; Non, non, il ne souffrira pas Qu'on gorge ainsi l'innocence.UNE ISRALITE, seule.H quoi ? dirait l'impit, O donc est-il ce Dieu si redoutDont Isral nous vantait la puissance?UNE AUTRECe Dieu jaloux, ce Dieu victorieux,Frmissez, peuple de la terre,Ce Dieu jaloux, ce Dieu victorieuxEst le seul qui commande aux cieux.Ni les clairs ni le tonnerreN'obissent point vos dieux.UNE AUTREIl renverse l'audacieux.UNE AUTREIl prend l'humble sous sa dfense.TOUT LE CHURLe Dieu que nous servons est le Dieu des combats : Non, non, il ne souffrira pas Qu'on gorge ainsi l'innocence.DEUX ISRALITESO Dieu, que la gloire couronne, Dieu, que la lumire environne, Qui voles sur l'aile des vents,Et dont le trne est port par les anges !

  • DEUX AUTRES DES PLUS JEUNESDieu qui veux bien que de simples enfants Avec eux chantent tes louanges !TOUT LE CHURTu vois nos pressants dangers : Donne ton nom la victoire; Ne souffre point que ta gloire Passe des dieux trangers.UNE ISRALITE, seule.Arme-toi, viens nous dfendre : Descends, tel qu'autrefois la mer te vit descendre. Que les mchants apprennent aujourd'huiA craindre ta colre.Qu'ils soient comme la poudre et la paille lgre Que le vent chasse devant lui.TOUT LE CHURTu vois nos pressants dangers : Donne ton nom la victoire;Ne souffre point que ta gloire Passe des dieux trangers.

    ACTE II(Le thtre reprsente la chambre o est le trne d'ASSUERUS.)SCENE PREMIERE.AMAN, HYDASPEAMANH quoi ! lorsque le jour ne commence qu' luire, Dans ce lieu redoutable oses-tu m'introduire?HYDASPEVous savez qu'on s'en peut reposer sur ma foi, Que ces portes, Seigneur, n'obissent qu' moi. Venez. Partout ailleurs on pourrait nous entendre.AMANQuel est donc le secret que tu me veux apprendre?HYDASPESeigneur, de vos bienfaits mille fois honor, Je me souviens toujours que je vous ai jurD'exposer vos yeux par des avis sincresTout ce que ce palais renferme de mystres.Le Roi d'un noir chagrin parat envelopp.Quelque songe effrayant cette nuit l'a frapp. Pendant que tout gardait un silence paisible,Sa voix s'est fait entendre avec un cri terrible.J'ai couru. Le dsordre tait dans ses discours.Il s'est plaint d'un pril qui menaait ses jours :Il parlait d'ennemi, de ravisseur farouche; Mme le nom d'Esther est sorti de sa bouche.

  • Il a dans ces horreurs pass toute la nuit.Enfin, las d'appeler un sommeil qui le fuit,Pour carter de lui ces images funbres,Il s'est fait apporter ces annales clbres O les faits de son rgne, avec soin amasss,Par de fidles mains chaque jour sont tracs.On y conserve crits le service et l'offense,Monuments ternels d'amour et de vengeance.Le Roi, que j'ai laiss plus calme dans son lit, D'une oreille attentive coute ce rcit.AMANDe quel temps de sa vie a-t-il choisi l'histoire ?HYDASPEIl revoit tous ces temps si remplis de sa gloire, Depuis le fameux jour qu'au trne de Cyrus Le choix du sort plaa l'heureux Assurus.AMANCe songe, Hydaspe, est donc sorti de son ide ?HYDASPEEntre tous les devins fameux dans la Chalde, Il a fait assembler ceux qui savent le mieux Lire en un songe obscur les volonts des cieux. Mais quel trouble vous-mme aujourd'hui vous agite? Votre me, en m'coutant, parat tout interdite. L'heureux Aman a-t-il quelques secrets ennuis ?AMANPeux-tu le demander dans la place o je suis, Ha, craint, envi, souvent plus misrableQue tous les malheureux que mon pouvoir accable ?HYDASPEH! qui jamais du ciel eut des regards plus doux ? Vous voyez l'univers prostern devant vous.AMANL'univers? Tous les jours un homme... un vil esclave, D'un front audacieux me ddaigne et me brave.HYDASPEQuel est cet ennemi de l'tat et du Roi ?AMANLe nom de Mardoche est-il connu de toi?HYDASPEQui ? ce chef d'une race abominable, impie ?AMANOui, lui-mme.HYDASPE

    H ! Seigneur, d'une si belle vie Un si faible ennemi peut-il troubler la paix ?AMAN

  • L'insolent devant moi ne se courba jamais. En vain de la faveur du plus grand des monarques Tout rvre genoux les glorieuses marques. Lorsque d'un saint respect tous les Persans touchsN'osent lever leurs fronts la terre attachs,Lui, firement assis, et la tte immobile, Traite tous ces honneurs d'impit servile,Prsente mes regards un front sditieux,Et ne daignerait pas au moins baisser les yeux.Du palais cependant il assige la porte :A quelque heure que j'entre, Hydaspe, ou que je sorte, Son visage odieux m'afflige et me poursuit;Et mon esprit troubl le voit encor la nuit.Ce matin j'ai voulu devancer la lumire :Je l'ai trouv couvert d'une affreuse poussire,Revtu de lambeaux, tout ple. Mais son il Conservait sous la cendre encor le mme orgueil.D'o lui vient, cher ami, cette impudente audace?Toi, qui dans ce palais vois tout ce qui se passe,Crois-tu que quelque voix ose parler pour lui ?Sur quel roseau fragile a-t-il mis son appui?HYDASPESeigneur, vous le savez, son avis salutaireDcouvrit de Thars le complot sanguinaire. Le Roi promit alors de le rcompenser. Le Roi, depuis ce temps, parat n'y plus penser.AMANNon, il faut tes yeux dpouiller l'artifice. J'ai su de mon destin corriger l'injustice.Dans les mains des Persans jeune enfant apport, Je gouverne l'empire o je fus achet.Mes richesses des rois galent l'opulence.Environn d'enfants, soutiens de ma puissance, Il ne manque mon front que le bandeau royal.Cependant, des mortels aveuglement fatal!De cet amas d'honneurs la douceur passagreFait sur mon cur peine une atteinte lgre;Mais Mardoche, assis aux portes du palais, Dans ce cur malheureux enfonce mille traits;Et toute ma grandeur me devient insipide,Tandis que le soleil claire ce perfide.HYDASPEVous serez de sa vue affranchi dans dix jours : La nation entire est promise aux vautours.AMANAh! que ce temps est long mon impatience! C'est lui, je te veux bien confier ma vengeance,

  • C'est lui qui, devant moi refusant de ployer, Les a livrs au bras qui les va foudroyer. C'tait trop peu pour moi d'une telle victime :La vengeance trop faible attire un second crime. Un homme tel qu'Aman, lorsqu'on l'ose irriter, Dans sa juste fureur ne peut trop clater. Il faut des chtiments dont l'univers frmisse; Qu'on tremble en comparant l'offense et le supplice;Que les peuples entiers dans le sang soient noys. Je veux qu'on dise un jour aux sicles effrays : Il fut des Juifs, il fut une insolente race; Rpandus sur la terre, ils en couvraient la face;Un seul osa d'Aman attirer le courroux, Aussitt de la terre ils disparurent tous. HYDASPECe n'est donc pas, Seigneur, le sang amalcite Dont la voix les perdre en secret vous excite?AMANJe sais que, descendu de ce sang malheureux,Une ternelle haine a d m'armer contre eux; Qu'ils firent d'Amalec un indigne carnage;Que, jusqu'aux vils troupeaux, tout prouva leur rage;Qu'un dplorable reste peine fut sauv.Mais, crois-moi, dans le rang o je suis lev,Mon me, ma grandeur tout entire attache, Des intrts du sang est faiblement touche.Mardoche est coupable; et que faut-il de plus?Je prvins donc contre eux l'esprit d'Assurus :J'inventai des couleurs; j'armai la calomnie;J'intressai sa gloire; il trembla pour sa vie. Je les peignis puissants, riches, sditieux;Leur dieu mme ennemi de tous les autres dieux. Jusqu' quand souffre-t-on que ce peuple respire,Et d'un culte profane infecte votre empire?trangers dans la Perse, nos lois opposs, Du reste des humains ils semblent diviss,N'aspirent qu' troubler le repos o nous sommes,Et, dtests partout, dtestent tous les hommes.Prvenez, punissez leurs insolents efforts;De leur dpouille enfin grossissez vos trsors. Je dis, et l'on me crut. Le Roi, ds l'heure mme,Mit dans ma main le sceau de son pouvoir suprme.Assure, me dit-il, le repos de ton Roi;Va, perds ces malheureux : leur dpouille est toi.Toute la nation fut ainsi condamne. Du carnage avec lui je rglai la journe.Mais de ce tratre enfin le trpas diffr

  • Fait trop souffrir mon cur de son sang altr.Un je ne sais quel trouble empoisonne ma joie.Pourquoi dix jours encor faut-il que je le voie ?HYDASPEEt ne pouvez-vous pas d'un mot l'exterminer ? Dites au Roi, Seigneur, de vous l'abandonner.AMANJe viens pour pier le moment favorable. Tu connais comme moi ce prince inexorable. Tu sais combien terrible en ses soudains transports, De nos desseins souvent il rompt tous les ressorts. Mais me tourmenter ma crainte est trop subtile. Mardoche ses yeux est une me trop vile.HYDASPEQue tardez-vous ? Allez, et faites promptement lever de sa mort le honteux instrument.AMANJ'entends du bruit; je sors. Toi, si le Roi m'appelle...;HYDASPEIl suffit.SCENE II. ASSUERUS, HYDASPE, ASAPH, SUITE D'ASSUERUSASSUERUS

    Ainsi donc, sans cet avis fidle, Deux tratres dans son lit assassinaient leur roi ? Qu'on me laisse, et qu'Asaph seul demeure avec moi.SCENE III. ASSUERUS, ASAPHASSUERUS, assis sur son trne. Je veux bien l'avouer, de ce couple perfideJ'avais presque oubli l'attentat parricide; Et j'ai pli deux fois au terrible rcit Qui vient d'en retracer l'image mon esprit. Je vois de quel succs leur fureur fut suivie, Et que dans les tourments ils laissrent la vie;Mais ce sujet zl qui, d'un il si subtil, Sut de leur noir complot dvelopper le fil, Qui me montra sur moi leur main dj leve, Enfin par qui la Perse avec moi fut sauve, Quel honneur pour sa foi, quel prix a-t-il reu ?ASAPHOn lui promit beaucoup : c'est tout ce que j'ai su. ASSUERUSO d'un si grand service oubli trop condamnable !Des embarras du trne effet invitable!De soins tumultueux un prince environnVers de nouveaux objets est sans cesse entran.

  • L'avenir l'inquite, et le prsent le frappe;Mais plus prompt que l'clair, le pass nous chappe;Et de tant de mortels, toute heure empresss A nous faire valoir leurs soins intresss, Il ne s'en trouve point qui, touchs d'un vrai zle, Prennent notre gloire un intrt fidle, Du mrite oubli nous fassent souvenir, Trop prompts nous parler de ce qu'il faut punir. Ah! que plutt l'injure chappe ma vengeance, Qu'un si rare bienfait ma reconnaissance ! Et qui voudrait jamais s'exposer pour son roi ? Ce mortel qui montra tant de zle pour moi Vit-il encore?ASAPH

    Il voit l'astre qui vous claire.ASSUERUSEt que n'a-t-il plus tt demand son salaire? Quel pays recul le cache mes bienfaits ?ASAPHAssis le plus souvent aux portes du palais, Sans se plaindre de vous ni de sa destine, Il y trane, Seigneur, sa vie infortune.ASSUERUSEt je dois d'autant moins oublier la vertu Qu'elle-mme s'oublie. Il se nomme, dis-tu?ASAPHMardoche est le nom que je viens de vous lire.ASSUERUSEt son pays ?ASAPH

    Seigneur, puisqu'il faut vous le dire,C'est un de ces captifs prir destins,Des rives du Jourdain sur l'Euphrate amens.ASSUERUSIl est donc Juif? O ciel! Sur le point que la vie Par mes propres sujets m'allait tre ravie,Un Juif rend par ses soins leurs efforts impuissants? Un Juif m'a prserv du glaive des Persans ? Mais, puisqu'il m'a sauv, quel qu'il soit, il n'importe. Hol! quelqu'un.SCENE IV. ASSUERUS, HYDASPE, ASAPHHYDASPE

    Seigneur?ASSUERUS

    Regarde cette porte. Vois s'il s'offre tes yeux quelque grand de ma cour.

  • HYDASPEAman votre porte a devanc le jour.ASSUERUSQu'il entre. Ses avis m'claireront peut-tre.SCENE V. ASSUERUS, AMAN, HYDASPE, ASAPHASSUERUSApproche, heureux appui du trne de ton matre. Ame de mes conseils, et qui seul tant de foisDu sceptre dans ma main as soulag le poids. Un reproche secret embarrasse mon me. Je sais combien est pur le zle qui t'enflamme, Le mensonge jamais n'entra dans tes discours, Et mon intrt seul est le but o tu cours.Dis-moi donc : que doit faire un prince magnanime Qui veut combler d'honneurs un sujet qu'il estime ?Par quel gage clatant et digne d'un grand roi, Puis-je rcompenser le mrite et la foi ? Ne donne point de borne ma reconnaissance : Mesure tes conseils sur ma vaste puissance.AMAN, tout bas.C'est pour toi-mme, Aman, que tu vas prononcer; Et quel autre que toi peut-on rcompenser ?ASSUERUSQue penses-tu ?AMAN

    Seigneur, je cherche, j'envisageDes monarques persans la conduite et l'usage.Mais mes yeux en vain je les rappelle tous :Pour vous rgler sur eux, que sont-ils prs de vous ?Votre rgne aux neveux doit servir de modle. Vous voulez d'un sujet reconnatre le zle; L'honneur seul peut flatter un esprit gnreux :Je voudrais donc, Seigneur, que ce mortel heureux, De la pourpre aujourd'hui par comme vous-mme, Et portant sur le front le sacr diadme, Sur un de vos coursiers pompeusement orn, Aux yeux de vos sujets dans Suse ft men;Que, pour comble de gloire et de magnificence, Un seigneur minent en richesse, en puissance, Enfin de votre empire aprs vous le premier, Par la bride guidt son superbe coursier; Et lui-mme, marchant en habits magnifiques,Crit haute voix dans les places publiques : Mortels, prosternez-vous : c'est ainsi que le Roi Honore le mrite et couronne la foi. ASSUERUS

  • Je vois que la sagesse elle-mme t'inspire. Avec mes volonts ton sentiment conspire.Va, ne perds point de temps. Ce que tu m'as dict, Je veux de point en point qu'il soit excut. La vertu dans l'oubli ne sera plus cache. Aux portes du palais prends le Juif Mardoche : C'est lui que je prtends honorer aujourd'hui.Ordonne son triomphe, et marche devant lui. Que Suse par ta voix de son nom retentisse, Et fais son aspect que tout genou flchisse. Sortez tous.AMAN

    Dieux!SCENE VI. ASSUERUS, seul.

    Le prix est sans doute inou : Jamais d'un tel honneur un sujet n'a joui.Mais plus la rcompense est grande et glorieuse, Plus mme de ce Juif la race est odieuse, Plus j'assure ma vie, et montre avec clat Combien Assurus redoute d'tre ingrat. On verra l'innocent discern du coupable.Je n'en perdrai pas moins ce peuple abominable. Leurs crimes...SCENE VII. ASSUERUS, ESTHER, ELISE, THAMAR, PARTIE DU CHUR(ESTHER entre, s'appuyant sur Elise ; quatre Isralites soutiennent sa robe.)ASSUERUSSans mon ordre on porte ici ses pas ?Quel mortel insolent vient chercher le trpas ? Gardes... C'est vous, Esther? Quoi? sans tre attendue?ESTHERMes filles, soutenez votre Reine perdue.Je me meurs.(Elle tombe vanouie.)ASSUERUS

    Dieux puissants ! quelle trange pleur De son teint tout coup efface la couleur? Esther, que craignez-vous ? Suis-je pas votre frre ? Est-ce pour vous qu'est fait un ordre si svre? Vivez, le sceptre d'or que vous tend cette main, Pour vous de ma clmence est un gage certain.ESTHERQuelle voix salutaire ordonne que je vive, Et rappelle en mon sein mon me fugitive ?ASSUERUSNe connaissez-vous pas la voix de votre poux ?

  • Encore un coup, vivez, et revenez vous.ESTHERSeigneur, je n'ai jamais contempl qu'avec crainte L'auguste majest sur votre front empreinte : Jugez combien ce front irrit contre moi Dans mon me trouble a d jeter d'effroi. Sur ce trne sacr, qu'environne la foudre,J'ai cru vous voir tout prt me rduire en poudre. Hlas ! sans frissonner, quel cur audacieuxSoutiendrait les clairs qui partaient de vos yeux ? Ainsi du Dieu vivant la colre tincelle...ASSUERUSO soleil! flambeaux de lumire immortelle ! Je me trouble moi-mme, et sans frmissementJe ne puis voir sa peine et son saisissement.Calmez, Reine, calmez la frayeur qui vous presse.Du cur d'Assurus souveraine matresse,prouvez seulement son ardente amiti. Faut-il de mes tats vous donner la moiti ?ESTHERH! se peut-il qu'un roi craint de la terre entire, Devant qui tout flchit et baise la poussireJette sur son esclave un regard si serein, Et m'offre sur son cur un pouvoir souverain?ASSUERUSCroyez-moi, chre Esther, ce sceptre, cet empire, Et ces profonds respects que la terreur inspire, A leur pompeux clat mlent peu de douceur, Et fatiguent souvent leur triste possesseur. Je ne trouve qu'en vous je ne sais quelle grceQui me charme toujours et jamais ne me lasse. De l'aimable vertu doux et puissants attraits ! Tout respire en Esther l'innocence et la paix. Du chagrin le plus noir elle carte les ombres, Et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres.Que dis-je ? sur ce trne assis auprs de vous,Des astres ennemis j'en crains moins le courroux, Et crois que votre front prte mon diadme Un clat qui le rend respectable aux Dieux mme. Osez donc me rpondre, et ne me cachez pas Quel sujet important conduit ici vos pas.Quel intrt, quels soins vous agitent, vous pressent ? Je vois qu'en m'coutant vos yeux au ciel s'adressent. Parlez : de vos dsirs le succs est certain, Si ce succs dpend d'une mortelle main.ESTHERO bont qui m'assure autant qu'elle m'honore!

  • Un intrt pressant veut que je vous implore.J'attends ou mon malheur ou ma flicit;Et tout dpend, Seigneur, de votre volont.Un mot de votre bouche, en terminant mes peines, Peut rendre Esther heureuse entre toutes les reines.ASSUERUSAh! que vous enflammez mon dsir curieux !ESTHERSeigneur, si j'ai trouv grce devant vos yeux, Si jamais mes vux vous ftes favorable, Permettez, avant tout, qu'Esther puisse sa table Recevoir aujourd'hui son souverain seigneur, Et qu'Aman soit admis cet excs d'honneur. J'oserai devant lui rompre ce grand silence, Et j'ai, pour m'expliquer, besoin de sa prsence.ASSUERUSDans quelle inquitude, Esther, vous me jetez!Toutefois qu'il soit fait comme vous souhaitez.(A ceux de sa suite.)Vous, que l'on cherche Aman; et qu'on lui fasse entendre, Qu'invit chez la Reine, il ait soin de s'y rendre.HYDASPELes savants Chaldens, par votre ordre appels, Dans cet appartement, Seigneur, sont assembls.ASSUERUSPrincesse, un songe trange occupe ma pense. Vous-mme en leur rponse tes intresse. Venez, derrire un voile coutant leurs discours, De vos propres clarts me prter le secours. Je crains pour vous, pour moi, quelque ennemi perfide.ESTHERSuis-moi, Thamar. Et vous, troupe jeune et timide, Sans craindre ici les yeux d'une profane cour, A l'abri de ce trne attendez mon retour.SCENE VIII. ELISE, PARTIE DU CHUR (Cette scne est partie dclame sans chant., et partie chante.)ELISEQue vous semble, mes surs, de l'tat o nous sommes?D'Esther, d'Aman, qui le doit emporter ? Est-ce Dieu, sont-ce les hommesDont les uvres vont clater ? Vous avez vu quelle ardente colre Allumait de ce roi le visage svre.UNE DES ISRALITESDes clairs de ses yeux l'il tait bloui.UNE AUTREEt sa voix m'a paru comme un tonnerre horrible.

  • ELISEComment ce courroux si terrible En un moment s'est-il vanoui ?UNE DES ISRAELITES chante.Un moment a chang ce courage inflexible. Le lion rugissant est un agneau paisible. Dieu, notre Dieu sans doute a vers dans son cur Cet esprit de douceur.LE CHOEUR chante.Dieu, notre Dieu sans doute a vers dans son cur Cet esprit de douceur.LA MEME ISRAELITE chante.Tel qu'un ruisseau docile Obit la main qui dtourne son cours, Et laissant de ses eaux partager le secours,Va rendre tout un champ fertile, Dieu, de nos volonts arbitre souverain, Le cur des rois est ainsi dans ta main.ELISEAh ! que je crains, mes surs, les funestes nuagesQui de ce prince obscurcissent les yeux! Comme il est aveugl du culte de ses dieux!UNE ISRALITEIl n'atteste jamais que leurs noms odieux.UNE AUTREAux feux inanims dont se parent les cieux Il rend de profanes hommages.UNE AUTRETout son palais est plein de leurs images.LE CHOEUR chante.Malheureux! vous quittez le matre des humains Pour adorer l'ouvrage de vos mains!UNE ISRAELITE chante. Dieu d'Isral, dissipe enfin cette ombre. Des larmes de tes saints quand seras-tu touch?Quand sera le voile arrachQui sur tout l'univers jette une nuit si sombre ? Dieu d'Isral, dissipe enfin cette ombre : Jusqu' quand seras-tu cach?UNE DES PLUS JEUNES ISRALITES.Parlons plus bas, mes surs. Ciel! si quelque infidle, coutant nos discours, nous allait dceler !ELISEQuoi ? fille d'Abraham, une crainte mortelleSemble dj vous faire chanceler? H! si l'impie Aman, dans sa main homicide Faisant luire vos yeux un glaive menaant,

  • A blasphmer le nom du Tout-Puissant Voulait forcer votre bouche timide ?UNE AUTRE ISRALITEPeut-tre Assurus, frmissant de courroux,Si nous ne courbons les genoux Devant une muette idole,Commandera qu'on nous immole. Chre sur, que choisirez-vous ?LA JEUNE ISRALITEMoi! je pourrais trahir le Dieu que j'aime? J'adorerais un dieu sans force et sans vertu, Reste d'un tronc par les vents abattu, Qui ne peut se sauver lui-mme ?LE CHUR chante.Dieux impuissants, dieux sourds, tous ceux qui vous implorentNe seront jamais entendus. Que les dmons, et ceux qui les adorent, Soient jamais dtruits et confondus.UNE ISRAELITE chante.Que ma bouche et mon cur, et tout ce que je suis, Rendent honneur au Dieu qui m'a donn la vie.Dans les craintes, dans les ennuis, En ses bonts mon me se confie. Veut-il par mon trpas que je le glorifie ?Que ma bouche et mon cur, et tout ce que je suis, Rendent honneur au Dieu qui m'a donn la vie.ELISEJe n'admirai jamais la gloire de l'impie.UNE AUTRE ISRALITEAu bonheur du mchant qu'une autre porte envie.ELISETous ses jours paraissent charmants;L'or clate en ses vtements; Son orgueil est sans borne ainsi que sa richesse;Jamais l'air n'est troubl de ses gmissements; Il s'endort, il s'veille au son des instruments; Son cur nage dans la mollesse.UNE AUTRE ISRALITEPour comble de prosprit, Il espre revivre en sa postrit; Et d'enfants sa table une riante troupeSemble boire avec lui la joie pleine coupe.(Tout le reste est chant.)LE CHURHeureux, dit-on, le peuple florissantSur qui ces biens coulent en abondance!Plus heureux le peuple innocent

  • Qui dans le Dieu du ciel a mis sa confiance !UNE ISRALITE, seule.Pour contenter ses frivoles dsirs, L'homme insens vainement se consume : Il trouve l'amertume Au milieu des plaisirs.UNE AUTRE, seule.Le bonheur de l'impie est toujours agit; Il erre la merci de sa propre inconstance. Ne cherchons la flicitQue dans la paix de l'innocence.LA MEME, avec une autre. O douce paix! O lumire ternelle! Beaut toujours nouvelle! Heureux le cur pris de tes attraits!O douce paix! O lumire ternelle! Heureux le cur qui ne te perd jamais !LE CHOEURO douce paix! O lumire ternelle! Beaut toujours nouvelle!O douce paix! Heureux le cur qui ne te perd jamais!LA MEME, seule.Nulle paix pour l'impie. Il la cherche, elle fuit, Et le calme en son cur ne trouve point de place. Le glaive au-dehors le poursuit; Le remords au-dedans le glace.UNE AUTRELa gloire des mchants en un moment s'teint. L'affreux tombeau pour jamais les dvore.Il n'en est pas ainsi de celui qui te craint : Il renatra, mon Dieu, plus brillant que l'aurore.LE CHOEURO douce paix! Heureux le cur qui ne te perd jamais!ELISE, sans chanter.Mes surs, j'entends du bruit dans la chambre prochaine. On nous appelle : allons rejoindre notre Reine.

    ACTE III(Le thtre reprsente les jardins d'ESTHER, et un des cts du salon o se fait le festin.)SCENE PREMIERE.AMAN, ZARESZARES

  • C'est donc ici d'Esther le superbe jardin; Et ce salon pompeux est le lieu du festin. Mais tandis que la porte en est encor ferme, coutez les conseils d'une pouse alarme.Au nom du sacr nud qui me lie avec vous, Dissimulez, Seigneur, cet aveugle courroux, claircissez ce front o la tristesse est peinte : Les rois craignent surtout le reproche et la plainte. Seul entre tous les grands par la Reine invit,Ressentez donc aussi cette flicit.Si le mal vous aigrit, que le bienfait vous touche. Je l'ai cent fois appris de votre propre bouche : Quiconque ne sait pas dvorer un affront, Ni de fausses couleurs se dguiser le front,Loin de l'aspect des rois qu'il s'carte, qu'il fuie. Il est des contretemps qu'il faut qu'un sage essuie. Souvent avec prudence un outrage endurAux honneurs les plus hauts a servi de degr.AMANO douleur! supplice affreux la pense! O honte, qui jamais ne peut tre efface! Un excrable Juif, l'opprobre des humains,S'est donc vu de la pourpre habill par mes mains? C'est peu qu'il ait sur moi remport la victoire; Malheureux, j'ai servi de hraut sa gloire.Le tratre! Il insultait ma confusion; Et tout le peuple mme avec drision, Observant la rougeur qui couvrait mon visage, De ma chute certaine en tirait le prsage. Roi cruel! ce sont l les jeux o tu te plais.Tu ne m'as prodigu tes perfides bienfaits Que pour me faire mieux sentir ta tyrannie, Et m'accabler enfin de plus d'ignominie.ZARESPourquoi juger si mal de son intention ?Il croit rcompenser une bonne action. Ne faut-il pas, Seigneur, s'tonner au contraireQu'il en ait si longtemps diffr le salaire ?Du reste, il n'a rien fait que par votre conseil.Vous-mme avez dict tout ce triste appareil.Vous tes aprs lui le premier de l'Empire. Sait-il toute l'horreur que ce Juif vous inspire ?AMANIl sait qu'il me doit tout, et que pour sa grandeur J'ai foul sous les pieds remords, crainte, pudeur; Qu'avec un cur d'airain exerant sa puissance, J'ai tait taire les lois et gmir linnocence ;

  • Que pour lui, des Persans bravant l'aversion, J'ai chri, j'ai cherch la maldiction; Et pour prix de ma vie leur haine expose, Le barbare aujourd'hui m'expose leur rise!ZARESSeigneur, nous sommes seuls. Que sert de se flatter? Ce zle que pour lui vous ftes clater,Ce soin d'immoler tout son pouvoir suprme,Entre nous, avaient-ils d'autre objet que vous-mme ?Et sans chercher plus loin, tous ces Juifs dsols,N'est-ce pas vous seul que vous les immolez ? Et ne craignez-vous point que quelque avis funeste...Enfin la cour nous hait, le peuple nous dteste.Ce Juif mme, il le faut confesser malgr moi,Ce Juif, combl d'honneurs, me cause quelque effroi.Les malheurs sont souvent enchans l'un l'autre, Et sa race toujours fut fatale la vtre.De ce lger affront songez profiter.Peut-tre la fortune est prte vous quitter;Aux plus affreux excs son inconstance passe.Prvenez son caprice avant qu'elle se lasse. O tendez-vous plus haut ? Je frmis quand je voiLes abmes profonds qui s'offrent devant moi :La chute dsormais ne peut tre qu'horrible.Osez chercher ailleurs un destin plus paisible.Regagnez l'Hellespont et ces bords carts O vos aeux errants jadis furent jets,Lorsque des Juifs contre eux la vengeance allumeChassa tout Amalec de la triste Idume.Aux malices du sort enfin drobez-vous.Nos plus riches trsors marcheront devant nous. Vous pouvez du dpart me laisser la conduite;Surtout de vos enfants j'assurerai la fuite. N'ayez soin cependant que de dissimuler. Contente, sur vos pas vous me verrez voler : La mer la plus terrible et la plus orageuse Est plus sre pour nous que cette cour trompeuse. Mais grands pas vers vous je vois quelqu'un marcher. C'est Hydaspe.SCENE II. AMAN, ZARES, HYDASPEHYDASPE

    Seigneur, je courais vous chercher. Votre absence en ces lieux suspend toute la joie, Et pour vous y conduire Assurus m'envoie.AMANEt Mardoche est-il aussi de ce festin?

  • HYDASPEA la table d'Esther portez-vous ce chagrin? Quoi? toujours de ce Juif l'image vous dsole ? Laissez-le s'applaudir d'un triomphe frivole. Croit-il d'Assurus viter la rigueur ? Ne possdez-vous pas son oreille et son cur? On a pay le zle, on punira le crime ; Et l'on vous a, Seigneur, orn votre victime. Je me trompe, ou vos vux par Esther seconds Obtiendront plus encor que vous ne demandez.AMANCroirai-je le bonheur que ta bouche m'annonce ?HYDASPEJ'ai des savants devins entendu la rponse : Ils disent que la main d'un perfide tranger Dans le sang de la Reine est prte se plonger, Et le Roi, qui ne sait o trouver le coupable, N'impute qu'aux seuls Juifs ce projet dtestable.AMANOui, ce sont, cher ami. des monstres furieux; Il faut craindre surtout leur chef audacieux. La terre avec horreur ds longtemps les endure; Et l'on n'en peut trop tt dlivrer la nature. Ah! je respire enfin. Chre Zars, adieu.HYDASPELes compagnes d'Esther s'avancent vers ce lieu. Sans doute leur concert va commencer la fte. Entrez, et recevez l'honneur qu'on vous apprte.SCENE III. ELISE, LE CHOEUR (Ceci se rcite sans chant.)UNE DES ISRALITESC'est Aman.UNE AUTRE

    C'est lui-mme, et j'en frmis, ma sur.LA PREMIREMon cur de crainte et d'horreur se resserre.LAUTREC'est d'Isral le superbe oppresseur.LA PREMIREC'est celui qui trouble la terre.ELISEPeut-on en le voyant ne le connatre pas ? L'orgueil et le ddain sont peints sur son visage.UNE ISRALITEOn lit dans ses regards sa fureur et sa rage.UNE AUTREJe croyais voir marcher la Mort devant ses pas.

  • UNE DES PLUS JEUNESJe ne sais si ce tigre a reconnu sa proie; Mais en nous regardant, mes surs, il m'a sembl Qu'il avait dans les yeux une barbare joie, Dont tout mon sang est encore troubl.ELISEQue ce nouvel honneur va crotre son audace!Je le vois, mes surs, je le voi : A la table d'Esther l'insolent prs du Roi A dj pris sa place.UNE DES ISRALITESMinistres du festin, de grce dites-nous, Quels mets ce cruel, quel vin prparez-vous ?UNE AUTRELe sang de l'orphelin,UNE TROISIME

    Les pleurs des misrables,LA SECONDESont ses mets les plus agrables.LA TROISIMEC'est son breuvage le plus doux.ELISEChres surs, suspendez la douleur qui vous presse. Chantons, on nous l'ordonne; et que puissent nos chants Du cur d'Assurus adoucir la rudesse, Comme autrefois David par ses accords touchants Calmait d'un roi jaloux la sauvage tristesse ! (Tout le reste de cette scne est chant.)UNE ISRALITEQue le peuple est heureux, Lorsqu'un roi gnreux,Craint dans tout l'univers, veut encore qu'on l'aime! Heureux le peuple! heureux le roi lui-mme!TOUT LE CHURO repos! tranquillit! O d'un parfait bonheur assurance ternelle,Quand la suprme autorit Dans ses conseils a toujours auprs d'elle La justice et la vrit !(Ces quatre stances sont chantes alternativement par une voix seule et par tout le chur.)UNE ISRALITERois, chassez la calomnie. Ses criminels attentatsDes plus paisibles tats Troublent l'heureuse harmonie.

    Sa fureur, de sang avide,

  • Poursuit partout l'innocent. Rois, prenez soin de l'absent Contre sa langue homicide.

    De ce monstre si farouche Craignez la feinte douceur. La vengeance est dans son cur, Et la piti dans sa bouche.

    La fraude adroite et subtileSme de fleurs son chemin; Mais sur ses pas vient enfin Le repentir inutile.UNE ISRALITE, seule.D'un souffle l'aquilon carte les nuages,Et chasse au loin la foudre et les orages. Un roi sage, ennemi du langage menteur, carte d'un regard le perfide imposteur.UNE AUTREJ'admire un roi victorieux,Que sa valeur conduit triomphant en tous lieux; Mais un roi sage et qui hait l'injustice, Qui sous la loi du riche imprieux Ne souffre point que le pauvre gmisse,Est le plus beau prsent des cieux.UNE AUTRELa veuve en sa dfense espre.UNE AUTREDe l'orphelin il est le pre;TOUTES ENSEMBLEEt les larmes du juste implorant son appui Sont prcieuses devant lui.UNE ISRALITE, seule.Dtourne, Roi puissant, dtourne tes oreilles De tout conseil barbare et mensonger.Il est temps que tu t'veilles; Dans le sang innocent ta main va se plonger,Pendant que tu sommeilles. Dtourne, Roi puissant, dtourne tes oreilles De tout conseil barbare et mensonger.UNE AUTREAinsi puisse sous toi trembler la terre entire!Ainsi puisse jamais contre tes ennemisLe bruit de ta valeur te servir de barrire!S'ils t'attaquent, qu'ils soient en un moment soumis; Que de ton bras la force les renverse; Que de ton nom la terreur les disperse;

  • Que tout leur camp nombreux soit devant tes soldats Comme d'enfants une troupe inutile;Et si par un chemin il entre en tes tats, Qu'il en sorte par plus de mille.SCENE IV. ASSUERUS, ESTHER, AMAN, ELISE,LE CHOEURASSUERUS, ESTHER.Oui, vos moindres discours ont des grces secrtes : Une noble pudeur tout ce que vous faites Donne un prix que n'ont point ni la pourpre ni l'or. Quel climat renfermait un si rare trsor ?Dans quel sein vertueux avez-vous pris naissance? Et quelle main si sage leva votre enfance? Mais dites promptement ce que vous demandez : Tous vos dsirs, Esther, vous seront accords, Dussiez-vous, je l'ai dit, et veux bien le redire,Demander la moiti de ce puissant empire.ESTHERJe ne m'gare point dans ces vastes dsirs. Mais puisqu'il faut enfin expliquer mes soupirs, Puisque mon Roi lui-mme parler me convie,(Elle se jette aux pieds du Roi.) J'ose vous implorer, et pour ma propre vie, Et pour les tristes jours d'un peuple infortun, Qu' prir avec moi vous avez condamn.ASSUERUS, la relevant. A prir ? Vous ? Quel peuple ? Et quel est ce mystre ?AMAN, tout bas. Je tremble.ESTHER

    Esther, Seigneur, eut un Juif pour son pre. De vos ordres sanglants vous savez la rigueur.AMANAh, Dieux!ASSUERUS

    Ah! de quel coup me percez-vous le cur! Vous la fille d'un Juif? H quoi? tout ce que j'aime, Cette Esther, l'innocence et la sagesse mme, Que je croyais du ciel les plus chres amours, Dans cette source impure aurait puis ses jours? Malheureux !ESTHER

    Vous pourrez rejeter ma prire.Mais je demande au moins que pour grce dernire Jusqu' la fin, Seigneur, vous m'entendiez parler, Et que surtout Aman n'ose point me troubler.

  • ASSUERUSParlez.ESTHER

    O Dieu, confonds l'audace et l'imposture. Ces Juifs, dont vous voulez dlivrer la nature,Que vous croyez, Seigneur, le rebut des humains,D'une riche contre autrefois souverains,Pendant qu'ils n'adoraient que le Dieu de leurs pres,Ont vu bnir le cours de leurs destins prospres. Ce Dieu, matre absolu de la terre et des cieux,N'est point tel que l'erreur le figure vos yeux.L'ternel est son nom. Le monde est son ouvrage;Il entend les soupirs de l'humble qu'on outrage,Juge tous les mortels avec d'gales lois, Et du haut de son trne interroge les rois.Des plus fermes tats la chute pouvantable,Quand il veut, n'est qu'un jeu de sa main redoutable.Les Juifs d'autres dieux osrent s'adresser :Roi, peuples, en un jour tout se vit disperser : Sous les Assyriens leur triste servitudeDevint le juste prix de leur ingratitude.Mais pour punir enfin nos matres leur tour, Dieu fit choix de Cyrus, avant qu'il vt le jour, L'appela par son nom, le promit la terre,Le fit natre, et soudain l'arma de son tonnerre, Brisa les fiers remparts et les portes d'airain, Mit des superbes rois la dpouille en sa main, De son temple dtruit vengea sur eux l'injure. Babylone paya nos pleurs avec usure.Cyrus, par lui vainqueur, publia ses bienfaits, Regarda notre peuple avec des yeux de paix, Nous rendit et nos lois et nos ftes divines; Et le temple dj sortait de ses ruines. Mais de ce roi si sage hritier insens,Son fils interrompit l'ouvrage commenc, Fut sourd nos douleurs. Dieu rejeta sa race, Le retrancha lui-mme, et vous mit en sa place.Que n'esprions-nous point d'un roi si gnreux ? Dieu regarde en piti son peuple malheureux,Disions-nous : un roi rgne, ami de l'innocence. Partout du nouveau prince on vantait la clmence. Les Juifs partout de joie en poussrent des cris. Ciel! verra-t-on toujours par de cruels esprits Des princes les plus doux l'oreille environne,Et du bonheur public la source empoisonne? Dans le fond de la Thrace un barbare enfantEst venu dans ces lieux souffler la cruaut.

  • Un ministre ennemi de votre propre gloire...AMANDe votre gloire? Moi? Ciel! le pourriez-vous croire? Moi, qui n'ai d'autre objet ni d'autre Dieu...ASSUERUS

    Tais-toi.Oses-tu donc parler sans l'ordre de ton Roi ?ESTHERNotre ennemi cruel devant vous se dclare : C'est lui. C'est ce ministre infidle et barbare, Qui d'un zle trompeur vos yeux revtu,Contre notre innocence arma votre vertu.Et quel autre, grand Dieu! qu'un Scythe impitoyable Aurait de tant d'horreurs dict l'ordre effroyable ? Partout l'affreux signal en mme temps donn De meurtres remplira l'univers tonn.On verra, sous le nom du plus juste des princes, Un perfide tranger dsoler vos provinces, Et dans ce palais mme, en proie son courroux, Le sang de vos sujets regorger jusqu' vous. Et que reproche aux Juifs sa haine envenime ?Quelle guerre intestine avons-nous allume? Les a-t-on vus marcher parmi vos ennemis ? Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis? Adorant dans leurs fers le Dieu qui les chtie, Pendant que votre main sur eux appesantieA leurs perscuteurs les livrait sans secours, Ils conjuraient ce Dieu de veiller sur vos jours, De rompre des mchants les trames criminelles, De mettre votre trne l'ombre de ses ailes. N'en doutez point, Seigneur, il fut votre soutien.Lui seul mit vos pieds le Parthe et l'Indien,Dissipa devant vous les innombrables Scythes, Et renferma les mers dans vos vastes limites. Lui seul aux yeux d'un Juif dcouvrit le dessein De deux tratres tout prts vous percer le sein. Hlas! ce Juif jadis m'adopta pour sa fille.ASSUERUSMardoche ?ESTHER

    Il restait seul de notre famille. Mon pre tait son frre. Il descend comme moi Du sang infortun de notre premier roi. Plein d'une juste horreur pour un Amalcite,Race que notre Dieu de sa bouche a maudite, Il n'a devant Aman pu flchir les genoux, Ni lui rendre un honneur qu'il ne crot d qu' vous.

  • De l contre les Juifs et contre Mardoche Cette haine, Seigneur, sous d'autres noms cache.En vain de vos bienfaits Mardoche est par. A la porte d'Aman est dj prpar D'un infme trpas l'instrument excrable. Dans une heure au plus tard ce vieillard vnrable, Des portes du palais par son ordre arrach,Couvert de votre pourpre, y doit tre attach.ASSUERUSQuel jour ml d'horreur vient effrayer mon me? Tout mon sang de colre et de honte s'enflamme. J'tais donc le jouet... Ciel, daigne m'clairer. Un moment sans tmoins cherchons respirer. Appelez Mardoche : il faut aussi l'entendre.(Le Roi s'loigne.)UNE ISRALITEVrit que j'implore, achve de descendre.SCENE V. ESTHER, AMAN, LE CHOEURAMAN, ESTHER.D'un juste tonnement je demeure frapp.Les ennemis des Juifs m'ont trahi, m'ont tromp.J'en atteste du ciel la puissance suprme, En les perdant j'ai cru vous assurer vous-mme.Princesse, en leur faveur employez mon crdit :Le Roi, vous le voyez, flotte encore interdit.Je sais par quels ressorts on le pousse, on l'arrte;Et fais, comme il me plat, le calme et la tempte. Les intrts des Juifs dj me sont sacrs.Parlez : vos ennemis aussitt massacrs,Victimes de la foi que ma bouche vous jure,De ma fatale erreur rpareront l'injure.Quel sang demandez-vous ?ESTHER

    Va, tratre, laisse-moi.Les Juifs n'attendent rien d'un mchant tel que toi. Misrable, le Dieu vengeur de l'innocence, Tout prt te juger, tient dj sa balance. Bientt son juste arrt te sera prononc. Tremble. Son jour approche, et ton rgne est pass.AMANOui, ce Dieu, je l'avoue, est un Dieu redoutable. Mais veut-il que l'on garde une haine implacable? C'en est fait : mon orgueil est forc de plier; L'inexorable Aman est rduit prier.(Il se jette ses pieds.)Par le salut des Juifs, par ces pieds que j'embrasse,

  • Par ce sage vieillard, l'honneur de votre race,Daignez d'un roi terrible apaiser le courroux. Sauvez Aman, qui tremble vos sacrs genoux.SCENE VI. ASSUERUS, ESTHER, AMAN, ELISE, LE CHUR, GARDES ASSUERUSQuoi? le tratre sur vous porte ses mains hardies ?Ah! dans ses yeux confus je lis ses perfidies; Et son trouble, appuyant la foi de vos discours,De tous ses attentats me rappelle le cours.Qu' ce monstre l'instant l'me soit arrache;Et que devant sa porte, au lieu de Mardoche,Apaisant par sa mort et la terre et les cieux, De mes peuples vengs il repaisse les yeux.(AMAN est emmen par les gardes.)SCENE VIL ASSUERUS, ESTHER, MARDOCHEE, ELISE, LE CHURASSUERUS continue en s'adressant MARDOCHEE. Mortel chri du ciel, mon salut et ma joie, Aux conseils des mchants ton Roi n'est plus en proie. Mes yeux sont dessills, le crime est confondu. Viens briller prs de moi dans le rang qui t'est d. Je te donne d'Aman les biens et la puissance : Possde justement son injuste opulence.Je romps le joug funeste o les Juifs sont soumis; Je leur livre le sang de tous leurs ennemis; A l'gal des Persans je veux qu'on les honore, Et que tout tremble au nom du Dieu qu'Esther adore. Rebtissez son temple et peuplez vos cits. Que vos heureux enfants dans leurs solennits Consacrent de ce jour le triomphe et la gloire. Et qu' jamais mon nom vive dans leur mmoire.SCENE VIII.ASSUERUS, ESTHER, MARDOCHEE, ASAPH, ELISE, LE CHOEURASSUERUSQue veut Asaph ?ASAPH

    Seigneur, le tratre est expir,Par le peuple en fureur moiti dchir. On trane, on va donner en spectacle funesteDe son corps tout sanglant le misrable reste.MARDOCHEERoi, qu' jamais le ciel prenne soin de vos jours. Le pril des Juifs presse, et veut un prompt secours.ASSUERUSOui, je t'entends. Allons, par des ordres contraires, Rvoquer d'un mchant les ordres sanguinaires.

  • ESTHERO Dieu, par quelle route inconnue aux mortels Ta sagesse conduit ses desseins ternels!SCENE IX. LE CHURTOUT LE CHURDieu fait triompher l'innocence : Chantons, clbrons sa puissance.UNE ISRALITEIl a vu contre nous les mchants s'assemblerEt notre sang prt couler. Comme l'eau sur la terre ils allaient le rpandre : Du haut du ciel sa voix s'est fait entendre;L'homme superbe est renvers,Ses propres flches l'ont perc.UNE AUTREJ'ai vu l'impie ador sur la terre.Pareil au cdre, il cachait dans les cieux Son front audacieux.Il semblait son gr gouverner le tonnerre,Foulait aux pieds ses ennemis vaincus. Je n'ai fait que passer, il n'tait dj plus.UNE AUTREOn peut des plus grands rois surprendre la justice. Incapables de tromper,Ils ont peine s'chapper Des piges de l'artifice. Un cur noble ne peut souponner en autruiLa bassesse et la maliceQu'il ne sent point en lui.UNE AUTREComment s'est calm l'orage?UNE AUTREQuelle main salutaire a chass le nuage?TOUT LE CHURL'aimable Esther a fait ce grand ouvrage.UNE ISRALITE, seule.De l'amour de son Dieu son cur s'est embras; Au pril d'une mort funesteSon zle ardent s'est expos. Elle a parl. Le ciel a fait le reste.DEUX ISRALITESEsther a triomph des filles des Persans. La nature et le ciel l'envi l'ont orne.L'UNE DES DEUXTout ressent de ses yeux les charmes innocents. Jamais tant de beaut fut-elle couronne?

  • LAUTRELes charmes de son cur sont encor plus puissants. Jamais tant de vertu fut-elle couronne?TOUTES DEUX, ensemble. Esther a triomph des filles des Persans. La nature et le ciel l'envi l'ont orne.UNE SEULETon Dieu n'est plus irrit. Rjouis-toi, Sion, et sors de la poussire. Quitte les vtements de ta captivit,Et reprends ta splendeur premire. Les chemins de Sion la fin sont ouverts. Rompez vos fers, Tribus captives; Troupes fugitives,Repassez les monts et les mers : Rassemblez-vous des bouts de l'univers.TOUT LE CHURRompez vos fers, Tribus captives; Troupes fugitives, Repassez les monts et les mers : Rassemblez-vous des bouts de l'univers.UNE ISRALITE, seule.Je reverrai ces campagnes si chres.UNE AUTREJ'irai pleurer au tombeau de mes pres.TOUT LE CHURRepassez les monts et les mers : Rassemblez-vous des bouts de l'univers.UNE ISRALITE, seule.Relevez, relevez les superbes portiquesDu temple o notre Dieu se plat d'tre ador. Que de l'or le plus pur son autel soit par, Et que du sein des monts le marbre soit tir. Liban, dpouille-toi de tes cdres antiques.Prtres sacrs, prparez vos cantiques.UNE AUTREDieu descend et revient habiter parmi nous. Terre, frmis d'allgresse et de crainte; Et vous, sous sa majest sainte, Cieux, abaissez-vous !UNE AUTREQue le Seigneur est bon! que son joug est aimable !Heureux qui ds l'enfance en connat la douceur !Jeune peuple, courez ce matre adorable.Les biens les plus charmants n'ont rien de comparable

  • Aux torrents de plaisirs qu'il rpand dans un cur. Que le Seigneur est bon! que son joug est aimable!Heureux qui ds l'enfance en connat la douceur!UNE AUTREIl s'apaise, il pardonne. Du cur ingrat qui l'abandonneIl attend le retour. Il excuse notre faiblesse;A nous chercher mme il s'empresse, Pour l'enfant qu'elle a mis au jour Une mre a moins de tendresse. Ah! qui peut avec lui partager notre amour ?TROIS ISRALITESIl nous fait remporter une illustre victoire.L'UNE DES TROISIl nous a rvl sa gloire.TOUTES TROIS, ensemble. Ah! qui peut avec lui partager notre amour?TOUT LE CHURQue son nom soit bni; que son nom soit chant! Que l'on clbre ses ouvragesAu-del des temps et des ges, Au-del de l'ternit !

    FIN