Jean-Francois Lyotard - La Logique Qu'Il Nous Faut

download Jean-Francois Lyotard - La Logique Qu'Il Nous Faut

of 57

Transcript of Jean-Francois Lyotard - La Logique Qu'Il Nous Faut

Jean-Franois Lyotard La logique qu'il nous faut 7 fvrier 1975 Si on reprenait le problme de cet espace et de ce temps qui a t labor partir d'une tradition qui, du reste, n'est pas romaine, mais grecque, peut-tre qu'on pourrait prciser un peu ce qu'il en est de cet espace, et donc aussi ce qu'il en est de ce temps. Au fond, notre objet ce serait prcisment de restituer un type de raisonnement, un type de vie, et aussi probablement un type de politique., et donc aussi un type de temps historique qui sont sophistiques. En ce moment, je serais prt dire que ce qui nous intresse, c'est de nous restituer, nous-mmes, les moyens qui ont t effectivement ceux de la sophistique. Du reste, il rgne sur cette sophistique une trs mauvaise rputation qui date de Platon et peut-tre qu'il serait intressant de se dire, qu'au fond, ce qu'on cherche, ce que par exemple Nietzsche cherchait quand il parle des sophistes, c'tait prcisment, je ne dirais pas cette pratique, mais cette manire des sophistes. J'appelle a Rtorsion. Je pars d'un premier point qui est la question de la dcadence telle que Nietzsche l'labore, les notes des annes 1885-1887. Nous avons dj t amens parler du problme de la dcadence propos de l'empire romain et que, sous le problme de la dcadence, dans le problme de la dcadence, se trouve impliqu celui de la limite du capital. Je ne reviens pas l-dessus. Sur la dcadence, Nietzsche a premire vue une position qui est ambivalente, c'est dire que sa position consiste dire qu'au fond, il n'y a pas de dcadence, ou plutt qu'il y a dcadence et que, par le fait mme qu'il y a dcadence, il n'y a pas dcadence. C'est dire que toute dcadence est ambivalente, et donc a veut dire que les mmes caractres qu'on peut pointer comme signes de dcadence sont aussi simultanment des caractres qui vont dans l'autre sens, dans un sens inverse de la dcadence, tant bien entendu que quand Nietzsche parle de la dcadence, il l'entend, non pas exactement en terme de systme, mais en terme de forces. Dcadence, a veut dire affaiblissement des forces. Affaiblissement de la puissance. Quand il dit que toute dcadence est ambivalente, il veut dire que les mmes processus par lesquels les forces s'affaiblissent, sont des processus par lesquels les forces peuvent se renforcer. On va lire le texte. 3me partie de la VP, mauvaise traduction, 1885, 15 paragraphe 109 : "En principe, il y a de la dcadence dans tout ce qui signale l'homme moderne, mais ct de la maladie, se montrent des symptmes de forces vierges et de puissance de l'me. Les mmes raisons qui causent l'amenuisement de l'homme, haussent jusqu' la grandeur les mes plus fortes et plus rares". 15, paragraphe 69, ed. Kroner 14, 1re partie, paragraphe 441 : "Le vingtime sicle a deux visages dont l'un de dcadence. Toutes les raisons qui peuvent produire dornavant des mes plus puissantes et plus comprhensives que jamais, plus libres de prjugs, plus immorales, agissent dans le sens de la dcadence. Il natra peut-tre une sorte de chinoiserie europenne avec une douce croyance bouddhiste et chrtienne et la pratique picurienne et prudente qui est celle des chinois. Des rductions d'hommes." Alors les homme qui produisent ces rductions d'hommes peuvent produire, dornavant, des mes plus puissantes et plus libres de prjugs, plus immorales. Donc, ambivalence, mais il semble, premire vue, que, dans toute dcadence, il y a une espce de dualit de courants, a marche dans les deux sens. Cette ide qu'il y a deux sens me parat elle-mme sommaire, a veut dire qu'il y a deux

sens de l'histoire. Je crois qu'on peut proposer une lecture plus complexe o justement va entrer en cause la question de la rtorsion. Il n'y a pas deux courants, c'est une hypothse que je propose, et je me mfie de ce terme parce que a veut dire que, finalement, il y aurait une espce d'entrelacs de sens de l'histoire et que cette expression est mauvaise parce que quand on dit qu'il y a des courants, a veut dire qu'il y a des sens, que a va quelque part et il n'y a rien de plus tranger Nietzsche que cette ide d'un sens, mme si il est ddoubl et si les deux sens sont contraires. Plus intressante serait l'hypothse qui consisterait dire : il y a effectivement une dcadence, c'est dire un affaiblissement, par rtorsion de cet affaiblissement mme, on peut rendre ces forces plus fortes. L'affaiblissement des forces suggre une espce de rtorsion qui va faire que le plus faible peut l'emporter sur le plus fort. Autrement dit, attention : le courant le plus fort, enfin la tendance, le processus trs fort, c'est celui de l'affaiblissement; la rtorsion consisterait faire que le courant le plus fort qui est celui de l'affaiblissement devienne en fait faible, et que l'emporte un contre courant qui, je ne dis pas marcherait dans l'autre sens, mais qui marcherait dans le mme sens avec une espce de dcalage en forme de came qui ferait que le procs mme par lequel a tourne conduit un renforcement. Sans aller plus loin, on pourrait citer des textes de la mme priode o Nietzsche emploie une expression assez singulire, o il parle d'une justification de la modernit et de la socit. Nietzsche est en train de faire la justification de la modernit, ce qui est assez paradoxal parce que si on a faire une dcadence au sens nietzschen, qui est un affaiblissement de forces, justifier ce processus est contre courant de tout ce qu'il veut faire. Or il parle bien de "justification". Je cite, texte de 1883-88, 15-113, partie 268 de la troisime partie de l'dition franaise : "Partir d'une JUSTIFICATION complte et courageuse de l'humanit d'aujourd'hui; ne pas se laisser tromper par l'apparence. Cette humanit "fait moins d'effet", mais elle donne de toutes autres garanties de DURE, son allure est plus lente, mais le rythme en est plus riche. La SANT est en progrs, on connat les conditions vritables de la robustesse physique et on les ralise peu peu, l'asctisme" est un objet d'ironie. La crainte des extrmes, une certaine confiance dans le "bon chemin", pas d'exaltation, une accoutumance temporaire aux valeurs troites (comme la "patrie", ou la "science", etc.) "Mais tout ce tableau reste quivoque; ce pourrait tre une tendance soit ascendante, soit une tendance dclinante de la vie. "La croyance au "progrs" - dans la sphre infrieure de l'intelligence, il semble que ce soit de la vie descendante; mais nous nous faisons illusion; dans la sphre suprieure de l'intelligence, c'est de la vie dclinante. Description des symptmes. Unit du point de vue : incertitude au sujet des mesures de la valeur. Crainte d'en venir proclamer que "Tout est vain". "Nihilisme". Autrement dit, mme si il y a une ressource dans la vie dclinante de l'Europe, elle ne peut en aucun cas tre pense dans la catgorie du progrs. La seconde partie est important parce qu'elle dit : nous nous leurrons pas, il ne s'agit pas de parler de progrs. En somme, critique par Nietzsche lui-mme, de ce qui pourrait apparatre de progressiste dans sa description de la modernit et dans sa justification, mais cette justification consiste relever un certain nombre de traits, des traits tranges car ce sont des traits, effectivement nihilistes, des traits d'affaiblissement : la crainte des extrmes, une certaine confiance

dans le bon chemin, pas d'exaltation, une accoutumance temporaire aux valeurs troites. Dans la mme partie, un texte de 1887, 15-117. "Progrs du dix-neuvime sicle par rapport au dix-huitime. Au fond, nous autres bons europens, nous faisons la guerre au dix-huitime. 1/ Le "retour la nature", compris de plus en plus l'inverse de ce que Rousseau entendait par l, aussi loin que possible de l'idylle et de l'opra. 2/ Sicle de plus en plus anti-idaliste, plus concret, plus intrpide, plus laborieux, plus modr, plus mfiant l'gard des transformations brusques, anti-rvolutionnaires. 3/ Plaant de plus en plus le problme de la sant du corps avant la sant de l'me, considrant celle-ci comme un tat conscutif au premier, la sant du corps tant tout le moins la condition de la sant de l'me. Le retour la nature, on va en reparler, mais dans le deuxime point, on retrouve les mmes traits que ceux qu'on a trouvs dans le premier texte. Description des amricains presque parfaite. Texte 280 dans l'dition franaise, 1888, 15-63. "En somme, notre humanit prsente s'est prodigieusement humanise. Le fait qu'en gnral on n'en a pas conscience en est dj la preuve. Nous sommes devenus si sensibles aux moindres maux que nous mconnaissons injustement les rsultats acquis. Il faut ici objecter que la dcadence est gnrale et que, vu de ce biais, notre monde ne peut offrir qu'un aspect misrable et lamentable. Mais on a vu de tout temps des choses semblables : 1/ Une certaine surexcitation de la susceptibilit morale; 2/ La dose d'amertume et de tristesse que le pessimisme entrane dans les jugements; les deux ensemble ont aid faire triompher cette ide oppose, que l'tat de notre moralit est piteux. Le crdit, le commerce universel, les moyens de communication expriment une immense et misricordieuse confiance dans l'homme ... 3/ A cela, il faut joindre que la science s'est affranchie de toute intention morale et religieuse; signe excellent mais gnralement mal compris. Je tente ma faon une justification de l'histoire". Vous avez l une esquisse de quelque chose qui va tre la rtorsion. C'est dire qu'il y a, en somme, de l'amertume et de la tristesse, cette amertume et cette tristesse, cette absence de valeur, se retourne dans un jugement sur justement un monde dans lequel il n'y a pas de ************. Le 2me c'est l'aspect positif du capitalisme. Le terme de justification revient. Texte 15, paragraphe 115. "Si il est une chose qui rvle notre humanisation, notre progrs effectif, c'est que nous n'avons plus besoin de conflits intrieurs excessifs, ni mme de conflit du tout. Nous sommes libres d'aimer nos sens quand nous les avons spiritualiss et rendus artistes. Nous avons le droit d'user de toutes les choses jusqu'ici mal rputes." Et il ajoute dans un autre paragraphe, 15-118 :

"Si il est un rsultat que nous ayons atteint, c'est une faon plus innocente d'envisager la vie des sens, une attitude plus joyeuse, plus bienveillante, plus goethenne envers la sensualit; de mme un sentiment plus fier de la connaissance. Si bien que ..." L, il y a un problme de traduction. Texte 15-114 : "Le fait est que nous n'avons plus si grand besoin d'un remde contre le premier nihilisme. La vie n'est pas ce point incertaine, hasardeuse, absurde dans notre Europe; la vie n'est pas telle que nous avons besoin du grand nihilisme c'est dire du nihilisme qui conduit la religiosit -. Il n'est plus ncessaire de grossir ce point la valeur de l'homme, la valeur du mal, etc. Nous supportons que l'on rduise - vous voyez que c'est trs tonnant parce que finalement ce sont les caractristiques d'affaissement des intensits -, notablement ces valeurs, nous pouvons accepter beaucoup d'absurdits et de hasard. La puissance que l'homme a atteint permet prsent que l'on attnue les moyens de slection parmi lesquels l'interprtation morale tait le plus fort. Dieu est une hypothse ..." Ca veut dire que l'on est dans une situation o l'ancien nihilisme donne matire effectivement la religiosit, il n'y a pas de prises plus de raisons, ou plutt il n'y a plus de passions et du mme fait cela veut dire que : pour autant que l'ancien nihilisme tait un moyen de slection, pour autant que l'asctisme, que prconisait ce nihilisme religieux, et dont Nietzsche fait l'loge par ailleurs, pour autant que cet asctisme ne marche plus, ne fonctionne plus, cela veut dire effectivement que les moyens de slection, c'est dire de slectionner des mes fortes, qui tait aux yeux de Nietzsche la fonction de cet asctisme, et bien ces raisons d'usage de cet ancien asctisme disparaissent. Cette espce de destruction des moyens de slection prcdents est prsente ici comme quelque chose, je ne dis pas que c'est un progrs, mais comme quelque chose de positif, affirmatif. Tous ces traits d'affaiblissement des forces sont trs intressants, et le fait que les moyens de slectionner les forces pour produire les mes fortes, le fait que ces moyens sont en dcrpitude, ce fait est considr par Nietzsche comme bnfiques. Fragments 16-747 : "Il y a aujourd'hui, diffuse dans la socit, une grande somme de mnagement, de tact et d'gards, de respect bienveillant envers les droits d'autrui, voire envers les prtentions d'autrui. Ce qui est plus prcieux c'est cette faon bienveillante d'apprcier la valeur de l'homme en gnral, telle qu'elle se traduit dans la confiance et dans le crdit sous toutes ses formes". Le crdit, c'est au sens conomique. Suite : "Le respect de l'homme, et non pas du tout de l'homme vertueux seulement, - perte de la slection -, est peut-tre ce qui nous spare le plus d'un systme de valeurs chrtien. - Parce que ce respect de l'homme ne fonctionne pas dans l'asctisme -. Nous ne pouvons couter une prdication morale sans une bonne dose d'ironie. On se rabaisse nos yeux en prchant la morale, etc." Le fragment le plus intressant est celui-ci, 1887, 15-120 : "La "naturalisation" de l'homme du dix-neuvime sicle. Non pas le retour la nature car il n'y a jamais eu d'humanit naturelle. La croyance scolastique aux valeurs non naturelles et anti naturelles est de rgle l'origine. L'homme ne parvient la nature qu'aprs une longue lutte. Jamais

il n'y retourne. La nature c'est d'oser tre immoral comme la nature. Nous sommes plus grossiers, plus directs, pleins d'ironie envers les sentiments gnreux, mme quand nous y succombons. Notre bonne socit, celle des riches, des oisifs, est plus naturelle, On se donne la chasse, l'amour sexuel est une sorte de sport dans lequel le mariage sert d'obstacle et de stimulant; on se distrait et on vit pour l'amour du plaisir. On estime par dessus tout les avantages corporels, on est curieux et oss. Notre attitude envers la connaissance est *********, nous pratiquons en toute innocence le libertinage de l'esprit, nous hassons les manires pathtiques et hiratiques, nous faisons nos dlices des choses les plus dfendues; peine si nous prendrions encore un intrt quelconque la connaissance si nous devions y parvenir par un chemin ennuyeux". Je pense que tout le monde se reconnat l-dedans. Suite : "Notre attitude envers la morale est plus naturelle; les principes sont devenus ridicules. Personne ne se permet plus de parler sans ironie de son devoir, mais on estime une humeur secourable, bienveillante, on trouve la morale dans l'instinct et on mprise le reste. Sauf deux ou trois notions de points d'honneur. Notre attitude en politique est devenue plus naturelle. Nous apercevons des problmes de puissance et de quantits de puissance, en balance avec d'autres quantits. Nous ne croyons plus en un droit qui ne reposerait pas sur la force de se faire respecter, nous ressentons les droits comme des conqutes. Nos apprciations des grands hommes et des grandes choses sont devenues plus naturelles; nous comptons la passion comme un privilge, nous trouvons rien de grand qui n'implique un grand crime, et nous conservons toute grandeur comme une volont de se placer en dehors de la morale. Notre attitude envers la nature est devenue plus naturelle. Nous ne l'aimons plus pour son innocence, sa raison, sa beaut, nous l'avons joliment endiable et abtie, mais au lieu de l'en mpriser, nous nous sentons dsormais plus proche d'elle et plus familier qu'elle. Elle n'inspire nullement la vertu ********. Notre attitude envers l'art est devenue plus naturelle, nous n'exigeons plus de lui de beaux mensonge, etc. .... Un positivisme brutal rgne et constate sans s'mouvoir. En somme il y a des signes que l'europen du dix-neuvime sicle a moins honte de ses instincts, il a fait un pas important vers l'aveu de son naturel absolu, c'est dire de son immoralit, sans amertume, au contraire, il est assez fort pour supporter seule cette vue. Il semblera certaines oreilles que tout cela signifie un progrs en corruption, et il est sr que l'homme se s'est pas rapproch de la nature dont parle Rousseau et qu'il a fait un pas de plus dans cette civilisation qu'il abominait. Nous sommes fortifis, nous nous sommes rapprochs du dix-septime sicle, du got du dix-septime sicle finissant, tout le moins ..." Il cite Dancourt, Lesage et Renard. Vous voyez ce qu'il dit dans ce passage trs important. L, il montre la dcompression des valeurs, c'est dire la perte de puissance slective de l'ancien asctisme, a veut sire qu'il y a dcompression et que donc, a peut tre prsent effectivement comme dcadence de ces valeurs slectives de l'ancienne morale. Maintenant, cette dcompression, c'est ce que dit le texte, laisse place la nature, tout le temps, une mise en garde contre le rousseauisme. Il est vident que cette nature qui merge dans la dcompression des valeurs n'est absolument pas la nature de Rousseau, ce n'est pas une nature innocente premire que l'on retrouvera ici, elle est, au contraire, tout l'inverse, puisque cette nature ne peut paratre que grce cette dcompression des valeurs, qui est elle-mme un phnomne de civilisation; c'est donc une nature qui n'apparat que dans un procs de civilisation, lorsque justement les anciennes valeurs se dcompriment, et dcompriment ce qu'elles masquaient. Qu'est-ce que c'est que cette nature ? Cette nature c'est ce qu'il appelle les instincts et la production de ces instincts exige effectivement la dcompression des valeurs slectives, c'est pourquoi ces instincts, prsents comme nature,

sont simultanment des faits de civilisation. Il y a ici une relation trange entre ce processus de civilisation, qui, du fait mme de la dcadence permet le surgissement d'une sphre que les anciennes valeurs masquaient. Mais ce n'est pas tout. Il faut encore indiquer que ce que dcrit Nietzsche, c'est premire vue, un processus encore relativement simple, savoir : les valeurs traditionnelles de l'asctisme, en perdant de la force, laissent merger cette nature instinctuelle ou pulsionnelle, et aprs ? Aprs, a veut dire qu'on va avoir cette espce de nihilisme doux, de bienveillance gnrale, de chinoiserie chrtienne. Est-ce que c'est a ? Non, pas simplement parce que du fait qu'on a faire des instincts, on peut supposer qu'il y a, au sein mme de ce qui se dcouvre dans la dcadence des valeurs, qu'il y a une puissance de rtorsion possible, c'est dire qui possiblement agira. Autrement dit, il est suppos que de nouvelles valeurs, qui ne sont pas des valeurs mais la reconstitution d'une humanit intense, donc allant exactement contre courant de cette espce de douceur, et pourtant en manant, procdant prcisment de la capacit des instincts de se mettre fonctionner autrement. En mme temps que les instincts se dgagent, apparaissent du fait de la dcompression des anciennes valeurs, d'un ct on peut dcrire tout cela comme affaiblissement, raideur, chinoiserie, et simultanment, parce que ce sont les instincts; puissance de produire de la puissance, de la force, de l'intensit. Il faut donc suggrer que cette description, que dans cette description du procs de dcadence, et qui la soutient, non pas simplement l'ide qu'il y a deux courants comme a, et que, par exemple, puisque les valeurs tombent, alors les instincts montent, ce n'est pas vrai, Nietzsche ne dit pas a, il dit seulement qu'on est de plus en plus naturels, dans ce sens l, c'est dire qu'on est beaucoup plus ce qu'on appelle aujourd'hui l'impulsion, et ce qu'il appelle l'immoralit, on ne peut pas continuer couter sans rire les discours de moralit, mais cette simple description ne suffit absolument pas rendre compte du fait que la dcadence peut tre pense comme autre de la dcadence. Cette description l, elle seule, conduit simplement un tat de civilisation qui, pour Nietzsche, est celui de la Chine, le bouddhisme, c'est dire quelque chose qui sera sans asctisme, mais qui sera tranquille, "ne nous nervons pas", et qui sera, ses yeux, typiquement, une civilisation de masse dans sa profonde mdiocrit. Seulement, comme il s'agit d'instincts, il faut supposer que cette chose l qui entrane avec force l'ensemble de l'humanit, cet tat que, en termes de thermodynamique, on pourrait dcrire comme tat le plus probable, et o donc les diffrences d'intensit, de chaleur tendent s'estomper, la machine sociale, la machine humanit produira plus rien, il faut supposer que sous cette description, que dans cette description, autre chose est requis qui est la capacit de ces instincts pour se mettre fonctionner autrement. C'est dire finalement produire une nouvelle polarisation, un tat considrable entre des ples de l'humanit, ou entre des ples sociaux. Il est vident que, quand il parle des barbares, dans ce contexte, c'est dire sans fantasme de l'origine, c'est dire que, quand dans le contexte de la dcadence, il demande : quels sont nos barbares ? Il est clair qu'il parle de gens qui vont le plus loin, qui vont le plus fort dans ce processus de dveloppement des instincts, enfin d'mergence des instincts. Ce n'est que si on y va trs fort que le procs se rtorquera. Une parenthse, un texte de 1881 : "Quand un quelconque jugement du got, son stade infrieur, est incorpor de sorte que, maintenant, il s'veille spontanment de lui-mme et n'a pas besoin d'attendre les excitations, d'avoir en soi sa croissance, lui procure aussi la signification de son activit en tant qu'elle se heurte au dehors. Stade intermdiaire : le demi-instinct qui ne ragit qu'aux excitations et qui, sans cela, est mort".

Instinct est ici pris au sens de capacit de slectionner activement le got. Activement, c'est dire, non pas en ragissant une excitation. Dans le texte de 1881 que je viens de vous lire, instinct signifie en effet puissance active et non ractive. Par contre, dans les descriptions de la modernit (cites plus haut), il est clair que trait actif/ractif n'est pas pertinent. Il y a autant de traits ractifs que de traits actifs. Tant qu'on reste dans une attitude qui est simplement ractive par rapport au procs de dcadence, c'est dire qu'on l'enregistre et qu'on essaye d'y rpondre, par exemple, par le scepticisme, par le libralisme, comme il le dit, par une conomie de crdit, pourquoi pas, on est encore dans le ractif, donc on est dans le demi-instinct au sens de 1881. Et c'est pour cela, parce qu'on est encore dans le demi-instinct qu'on est dans un processus de dcadence. Il y a un texte qui va tout fait dans ce sens, 1887-88, 15-71 : "La modernit compare la digestion et la nutrition. Sensibilit infiniment plus excitable, sous un dguisement moral. Augmentation de la piti. Abondance des impressions disparates plus grande que jamais. Cosmopolitisme des aliments, des littratures, des **********, des formes ****************. Allure de cette invasion **************. Les impressions s'effacent l'une l'autre. On se dfend instinctivement d'accueillir quoi que ce soit, de l'assimiler profondment, de le digrer. Il en rsulte un affaiblissement de la capacit digestive. Il se produit une sorte d'adaptation cette accumulation des impressions; l'homme dsapprend d'agir. Il se contente de ragir - voil aux excitations du dehors. Il dpense sa force soit dans l'assimilation, soit dans la dfense, soit dans la riposte - voil du ractif -. Profonde baisse de la spontanit. L'historien, le critique, l'analyste, l'interprte, l'amateur, le collectionneur, le lecteur, rien que des talents de raction. Et toute la science !" L, on touche du doigt la rtorsion. C'est dire que cette mergence des instincts se fait effectivement et c'est trs bien, mais cette mergence des instincts se fait dans la sphre de la ractivit, c'est dire sous les catgories essentielles de la riposte, de la dfense et de l'assimilation. En fait, les valeurs s'effondrent, les systmes de slection et le grand asctisme des sicles prcdents disparaissent et, par rapport a, l'homme moderne se laisse pntrer, non pas du tout en profondeur, il se laisse envahir vite et en surface par cette destruction et il rpond. C'est la riposte, la dfense et aussi l'assimilation. Dans tous ces cas l, a veut dire que l'initiative de la nouvelle immoralit ne vient pas des mes elles-mmes. Et, par consquent, cela veut dire que ce qui est pertinent, c'est quand les instincts ne sont pas simplement des demi-instincts, mais quand ils vont jusqu'au bout, c'est alors que la rtorsion peut se faire, et en quoi se fait-elle ? Elle se fait simplement du fait d'aller jusqu'au bout alors que a n'est pas exig par la dcadence, on pourrait mme dire l'inverse : la dcadence exige qu'on n'aille pas jusqu'au bout de cet immoralisme, la dcadence demande au contraire qu'on se tienne dans la tideur. Alors, aller jusqu'au bout, a veut dire effectivement passer du demi-instinct l'instinct, et par consquent, a veut dire : rendre la capacit de juger qui est impliqu dans ce qu'il appelle l'instinct, c'est dire sa capacit slective. Il y a donc l une espce de phnomne de rtorsion qui n'a absolument aucun rapport avec la dialectique. Il faut bien voir que le plus faible va devenir le plus fort, or c'est exactement de cette manire l, sous cette forme, faire que le plus faible soit le plus fort, c'est exactement sous cette forme que, par exemple, Aristote dfinit l'oeuvre des sophistes. Il parle videmment des arguments, des raisons.

L, dit-il, on touche du doigt ce qu'est la sophistique. Autrement dit, pas de sophistique sans cette rtorsion, cette inversion du rapport de forces. Plusieurs procds sont possibles pour que le plus faible devienne le plus fort; vous lirez dans un ouvrage savant de Susanne de Romilly, "Histoire et raison chez Thucydide", dans le chapitre 3 qui s'appelle "les discours antithtiques", vous verrez la structure mme de la parole sophistique. Ca veut dire que Gorgias, Protagoras, Prodicos taient des gens qui enseignaient soutenir publiquement une thse, sur le sujet que vous voulez, et soutenir la thse contraire. Par exemple, dire : telle chose est blmable, voici pourquoi, et puis, la mme chose est louable, voici pourquoi. Ce sont des disoi logoi, des discours qui sont la fois parallles et de sens inverses, ils sont toujours doubles. Lorsque on est plus dans la pdagogie, mais dans la techn elle-mme, dans l'art, il y a un type en face de vous, que ce soit dans une dlibration politique, que ce soit dans un jugement, vous avez un adversaire qui soutient une thse sur un sujet prcis, en qualit de sophiste, vous allez soutenir la thse inverse. Quels sont les moyens par lesquels on passe d'une thse l'autre ? J. de Romilly dit qu'il y a tout d'abord la rfutation, c'est dire montrer que l'argumentation de l'adversaire repose sur des donnes fausses ou sur un raisonnement erron. On peut avoir une autre mthode qui est la compensation, c'est dire que l'adversaire a raison sur ceci, mais il a oubli cela, et j'ai raison l-dessus. Ca c'est la social-dmocratie. Mais il y a encore deux autres procds trs radicaux qui consistent retourner l'argument lui-mme de l'adversaire; le retourner contre lui. C'est dire qu'on montre que ce que l'adversaire croyait tre favorable sa thse, est en fait dfavorable, et non seulement c'est dfavorable sa thse, mais c'est aussi favorable notre thse. Premier cas : renversement, deuxime cas : rtorsion. La rtorsion vritable : un type dit : voil pourquoi telle chose est louable, et moi, sophiste, je vais dire : en effet, vos arguments sont trs merveilleux car ils dmontrent parfaitement quel point cette chose est blmable. Je vous ferai remarquer que nous employons constamment ce procd : une discussion politique ne peut pas se faire sans rtorsion. Ce qui est intressant dans son livre, c'est que J. de Romilly montre que c'est de cette manire que, se dplaant du problme du discours au problme militaire, Thucydide dcrit la guerre du Ploponnse. Ce qui est en cause entre les cits grecques au moment de la guerre du Ploponnse, c'est ni plus ni moins qu'une sophistique. On a un exemple de rtorsion parfaite que donne Aristote lui-mme. A la fin de La Rhtorique, il dit : voil en quoi consistait la techn sophistique, la techn rhtorique d'un type qui s'appelait Coras, il s'agit de renverser le sens de la vraisemblance. Aristote fait une numration complte de dductions apparentes appuyes sur la vraisemblance, et donc sur le vraisemblable et non sur le vrai, qui appartiennent donc la rhtorique et pas la logique, et la fin, il dit : voil un exemple de la techn, de l'art, qu'employait Coras en ce qui concerne le sens de la vraisemblance : soit le cas d'un homme qui ne donne pas prise l'accusation. De faible constitution, il est accus d'avoir exerc des svices sur quelqu'un; sa culpabilit n'est pas vraisemblable. Si maintenant il donne prise l'accusation, parce qu'il est fort, sa culpabilit n'est pas davantage vraisemblable, rpond la sophiste, car il tait vraisemblable qu'on le croit coupable, c'est dire que, comme il est fort, il pouvait tre souponn de svices et donc il est vident qu'il n'a pas pu se livrer cette activit vraisemblable. Il est invraisemblable qu'il s'y livre. L, vous avez un exemple parfait de rtorsion que nous utilisons trs souvent en politique, qui est du type : mais c'est justement parce que ... que ... et Aristote rapporte a avec la plus totale indignation et qu'il commente en disant que c'est l typiquement le travail sophistique, c'est dire rendre ce qui est faible, une argumentation trs trs faible, savoir que le type qui est fort comme un turc n'a pas cass la gueule l'autre; et bien c'est justement pour a qu'il ne l'a pas fait. Aristote dit que c'est l'ignominie de la techn de Coras.

Trs bon exemple de deux discours qui sont en tat de dissemblance, au plus proche si l'on puisse dire, puisqu'ils suivent le mme fil, et simplement la rtorsion consiste prendre l'argument et le faire marcher dans l'autre sens. Le problme c'est de savoir qui dcide de qui a gagn. Qui a raison ? Les sophistes disent que le problme de savoir qui a raison est un problme stupide, grossier. Le problme est de savoir qui a gagn. C'est trs diffrent. Les sophistes se posent simplement la question des effets de chacune des thses. Ca se tient toujours devant un public, et c'est le public, par les effets qu'il ressentira de telle ou telle manire - et vous voyez que les effets peuvent tre trs sophistiqus : a peut tre simplement que le public trouve que le type s'en est tir merveille, a peut tre des effets artistes, des mta-effets, qui ne concernent pas du tout la conviction. Les gens peuvent trouver que le type qui rpond a est un chef, et que mme si il n'a pas raison, il a gagn. Ce sont ces effets qu'ils visent. Vous voyez dans quelle position de parole invraisemblable pour nous, on travaille. On travaille le discours en vue de produire des effets. Est-ce que les gens le contrlent ? Les sophistes cherchent effectivement produire ces effets, ils font donc des prsuppositions de la manire dont a va fonctionner sur les auditeurs, mais videmment le plus gros effet sera toujours obtenu par un supplment d'art, c'est dire, par exemple, par la capacit de produire une rtorsion l'endroit o on ne l'attendait pas. Donc, on ne cherche pas dire le vrai, a n'a aucun intrt. Voil un type de discours qui procde par les effets. C'est exactement comme a que leur position de parole s'appelle techn. C'est un art. Dans le cas du sophisme, les deux sophistes sont face face, il n'est pas question de les rconcilier. Ca n'a aucune importance, il n'est pas du tout question de parvenir un accord. Ils ont toujours besoin, au contraire, d'tre dans une situation de disoi logoi, donc il ne s'agit pas de convaincre l'autre sophiste, il s'agit d'obtenir sur le public des effets tels que on dira : c'est machin qui a gagn. L aussi il ne s'agit pas de savoir si il y en a un qui est le meilleur, il s'agit de savoir qui a gagn. il y a un trs beau texte dans Homre : Antilope se bat avec des chevaux trs poussifs contre je ne sais plus quel gros type qui a de trs trs bons chevaux, alors il est dans une position o il est plus faible, alors qu'est-ce qu'il fait ? Il utilise une ruse qui est en gros une queue de poisson. Apparemment, a ne se faisait pas et l'autre lui dit : espce d'idiot, tu n'es plus matre de ton char, et lui, comble de la ruse, il fait semblant de ne pas l'entendre, et c'est comme a qu'il triomphe. Il a gagn d'une faon typiquement sophistique, c'est dire en utilisant une procdure qui fait que les chevaux les plus faibles arrivent les premiers. Bon, ils sont peut-tre les plus faibles, mais ils sont les gagnants. De mme un argument plus faible peut tre gagnant. Ce qui est important, c'est qu'on parle pour obtenir des effets. il est vident que les gens prsents ne peuvent pas tre convaincus, quand on est dans une position pour couter les sophistes, pour couter les disoi logoi, on ne peut pas tre convaincus. Les gens qui viennent l ne viennent pas l pour se faire convaincre, ils ont, par rapport au langage une position artiste, de dgustation. Au fond, ils traitent le langage comme un jeu, un jeu trs serr, on ne peut pas dire n'importe quoi, a s'apprend, et ce qu'on apprend, c'est une certaine sorte d'attitude; le sophiste c'est quelqu'un qui a, par rapport l'argumentation de l'adversaire, une certaine attitude; c'est exactement comme le coureur de char, le joueur de tennis ou d'checs, c'est dire qu'il va falloir qu'il saisisse le bon moment pour intervenir, pour riposter, qu'il sache quel endroit il va pouvoir faire sa rtorsion; c'est pour a que c'est un art. Il va falloir raffiner un certain sens du temps. on est dans le jeu et dans un certain rapport au temps qui n'est pas dfini. Les effets. Disons, pour schmatiser, que l, partir de Platon, il va y avoir

une espce de permutation trs trange de cet espace et de ce temps et o le problme va tre pos de savoir, dans les gens qui discutent, qui a raison, c'est dire qui parle au nom du vrai, o est le vrai, a c'est la question de Socrate, et il s'agira ***********. Tout d'un coup apparat quelque chose qui est compltement absente du sophisme : la pdagogie, c'est dire : vous tes dans le faux, vous tes ct de la plaque, vous tes des malheureux, vous tes des choses de la nature, vous confondez la ralit et les illusions, on va vous prendre par la main et vous montrer le vrai. Il est vident que, partir de ce moment l, il va falloir trouver un tiers. Il y a une trs grande diffrence entre ce tiers qu'est le public et ce tiers que le philosophe exige. Le tiers que la philosophie exige n'est pas ncessairement un juge extrieur, et en fait, ce ne sera pas un juge extrieur, ce sera un juge commun. Il faudra que l'un et l'autre tombent d'accord. L'objet de la discussion sera de parvenir un accord. A partir de l, la place du disoi logoi, vous allez avoir la dialectique; d'abord du dialogue platonicien et de la dialectique aristotlicienne qui consiste prcisment obtenir la conviction de l'un et de l'autre. D'un seul coup, la position de discours est bascule. D'un seul coup, ce discours se met avoir prtention au vrai, et le dsir du vrai devient dsir prdominant, et donc le dsir de la connaissance. Chose qui est compltement absente de la position sophistique qui est une position ddouble, sans solution. Vous avez donc un espace trs trange avec deux forces - les descriptions, y compris celles d'Aristote, sont toutes en termes d'nergie -, vous avez donc deux positions (parallles inverses), qui se mettent circuler, qui se rencontrent en paroles et qui vont produire un certain effet. Si ce n'est pas du trs bon spectacle, le plus fort l'emportera; si c'est du trs bon spectacle, c'est le plus faible, et c'est a qui les intresse; est-ce qu' la fin quelqu'un est convaincu ? Personne n'est convaincu. Est-ce qu'il faut essayer de rsorber cette espce de fissure, de blessure qui passe dans le langage et qui fait qu'une fois pour toutes, il est convenu que sur n'importe quelle thse, il y aura le pour et le contre, pas du tout : on maintient tout a. Au fond, on a une re de langage qui est traverse par un lims infranchissable; une espce de discours qui a sa frontire dans son milieu, simplement les positions, de part et d'autre de la frontire, ne sont pas tablies puisque la position la plus faible peut devenir la plus forte. Pour nous, tout cela est compltement effac, oubli. Vous avez donc, la fois, l'ide de quelque chose qui spare une fois pour toutes le discours de lui-mme, et il n'est pas question de rconcilier les morceaux, pas question de faire une grande unit discursive. C'est les philosophes qui vont faire a et nous mettre a dans le crne ... Fin de la bande. ... Ce qui est intressant avec la sophistique, c'est qu'on ne sort pas de la vraisemblance, mais on peut la renverser; on peut la retordre, c'est dire faire changer les rapports de forces. Donc, pas d'unit de champ, pas question de supprimer cette frontire, a c'est le travail des philosophes : unit du champ au nom du vrai; l, pas du tout question de a, mais pas non plus la guerre, avec le massacre, non, pas la guerre, mais le jeu, c'est dire une chose qu'on avait dj trouve; le fait qu'il y a une joute, et aprs on annule tout, on recommence avec un autre sujet. Donc, un certain temps segmentaire, avec, au milieu de ce temps, toujours le Kairos, le moment sur lequel il faut sauter si on veut gagner. L, il faut tre trs raffin. C'est un type de discours qui est probablement le plus refoul de ceux que nous connaissons. il ne se donne jamais comme tel : quand Marchais et Giscard discutent la tl, en fait, on a faire aux procds de rhtorique sophistique, et il est vident que ce qui est important, ce n'est pas si ils disent vrai ou faux - certains gards, tout le monde s'en fout -, ce qui est important, c'est les effets. Donc a existe trs bien et a fonctionne trs fort, mais c'est refoul, c'est dire que ni l'un ni l'autre se prsente comme des gens qui sont des sophistes, dont c'est le boulot de faire a, et par exemple, ils ne peuvent pas faire ce que les

sophistes faisaient, c'est dire changer de thse en cours de route alors qu'il est vident que lorsqu'ils sont dous, ils pourraient le faire. Il suffit de ne pas tre trop convaincu, pas trop corrompu par l'ide du vrai. Je dirais que cette prsence du lims au milieu, c'est simul, et en gnral, la position mme du discours sophistique, avec cette extraordinaire grandeur - on voit bien l ce que c'est qu'un usage artiste du langage, totalement dbarrass de l'angoisse de la responsabilit du vrai. Donc, un discours gai et irresponsable. En fait profondment non terroriste, il n'y a aucune terreur ldedans, de la violence certes, car il est vident que les effets sont en proportion de la violence; violence dans l'acuit et l'opportunit des arme de discours employs dans la discussion. Donc, plein de violence et pas de terreur. Cette espce de ligne qui fait qu'on a toujours faire des disoi logoi, c'est une ligne que nous connaissons dj. On a dj un stock de parois, en matire affective par exemple, en matire scientifique (gomtrie), je crois qu'avec les disoi logoi des sophistes, on a la logique de a. Est-ce que nous ne devons pas, du reste, laisser tomber toute logique ? Et est-ce que la dcadence dont parle Nietzsche, la dcadence du discours logique aujourd'hui, qui est en mme temps sa force, c'est dire de devenir simplement une axiomatique, est-ce qu'elle ne va pas dans le sens d'une sophistique de la logique ? L'ide, par exemple, qu'on puisse produire un mtalangage clos, si bien qu'on pourrait se demander si ces discussions entre savants ne sont pas comprendre comme des discussions de disoi logoi, dont le grand intrt et le seul intrt n'est pas du tout de savoir si c'est vrai ou faux, mais "qui gagne". On va tre oblig de ressortir la catgorie du "beau". Ca peut tre laid, mais c'est beau parce que a marche. Mathieu : Je crois que l'effet est produit si j'arrive interrompre l'autre au moment o l'instant (peut-tre instinct ?) de son discours baisse; o la force de l'instant de son discours baisse, et non pas la logique. C'est deux niveaux diffrents. J-F. L : Dans le sens de la course d'Antilope dans Homre, Antilope prend prtexte, pour faire ce qu'on a appel une queue de poisson, il prend prtexte de ce que la piste a t un peu ravine par les pluies et est devenue un peu plus troite. C'est ce moment qu'il se rabat. Ca, a implique que l'autre ne pourra pas passer ct de lui, bien qu'il ait des chevaux plus rapides. Ca, c'est le Kairos, et il faut aller vite parce que a dure trs trs peu de temps, non seulement pour passer, mais pour se dcider passer. Il y a quelque chose comme a qui est un rapport au temps dont nous sentons tous que c'est une chose fondamentale, dans ce qu'on appelle le politique. Il est vident que un politique est quelqu'un qui a ce flair dans la ruse. 6 mars 1975 Nous allons essayer de dgager de ce texte sur le nihilisme, et de quelques autres textes qui vont avec, et que nous devons la bonne volont de Kyril, de dgager ce qui, ce dont on a besoin pour retourner la sophistique. Ce n'est pas encore bien articul, mais a ne fait rien. Le problme est celuici : on est parti d'une faon un peu arbitraire de l'Empire Romain. On est parti de l'ide que le labyrinthe tait au centre de l'empire et puis on s'est demand ce qui se passe au centre et ce qui se passe au bord, labyrinthe du centre, labyrinthe du bord. On s'est mis rflchir sur les religions orientales et sur la dcadence. L-dessus, on relit les textes de Nietzsche sur la dcadence et paralllement Gorgias, avec un effet de retour qui est : Nietzsche disant : les sophistes c'est eux qui ont lutt prcisment contre la philosophie, qui n'ont pas accept ce que la philosophie acceptait, Socrate a fait sa carrire sur la

base : la maladie est en train de gagner la Grce et je vais tre le gurisseur de cette maladie, les sophistes reprsentant au contraire ce par o - aux yeux de Nietzsche en tout cas -, la Grce restait saine et parfaitement vivante. Il y a un texte du Crpuscule des Idoles qui est tout fait impressionnant; dans le chapitre qui s'appelle "Ce que je dois aux Anciens", et o Nietzsche dit que les Grecs ne lui ont jamais fait beaucoup d'effet, les Romains, a c'est quelqu'un; on ne peut pas se mettre l'cole des Grecs, a n'a aucun sens, les Romains, pour nous, a reprsente quelque chose. C'est trs important parce que, comme par hasard, tout le courant de la philosophie, Heideggerien prcisment et prheideggerien, va chercher sa rfrence du ct des Grecs. Il demande ce qu'il y a chez les Grecs, ce qui l'a intress : une page d'reintage de Platon, et aprs : "Mon dlassement, ma prdilection, mon traitement contre tout platonisme fut, de tous temps, Thucydide - Thucydide, troitement li Gorgias, son lve -. Thucydide et peut-tre le Prince de Machiavel - en plein dans le mille -, me sont particulirement proches par leur volont absolue de ne pas s'illusionner et de voir la raison dans la ralit, non pas dans la "raison" et encore moins dans la "morale". Rien ne gurit plus radicalement que Thucydide de la lamentable et fallacieuse idalisation moralisante des Grecs, que tout jeune homme qui a reu une formation "classique" emporte dans la vie en rcompense du dressage subi au lyce". Il y a aussi de trs belles choses sur la culture. "Il faut ne pas en sauter une ligne et savoir dchiffrer ses arrires penses aussi distinctement que ses paroles. Il est peu de penseur aussi riche en arrires penses. En lui, c'est la culture des sophistes, je veux dire la culture des ralistes - trs tranges mots : ralit et ralistes, vous voyez dans quel sens : il ne peut videmment s'agir que de ralit pulsionnelle, a crve les yeux -, qui atteint sa plus haute expression. Ce mouvement inapprciable au milieu de l'escroquerie morale et idaliste des coles socratiques qui se dchanaient de toutes parts. La philosophie grecque conue comme dcadence de l'instinct grec. Thucydide comme la vaste somme, la dernire manifestation de ce sens vigoureux, svre et dure des ralits, qui tait au fond l'instinct des antiques hellnes. C'est en fin de compte le courage devant la ralit qui marque la diffrence de temprament entre un Thucydide et un Platon. Platon est lche devant la ralit, par consquent il se rfugie dans l'idal; Thucydide se matrise, par consquent il matrise aussi les choses". C'est formidable. Il y a cette chose qu'il faut articuler qui est la perception de la philosophie comme quelque chose qui nat dans la dcadence, d'autre chose, d'un autre type de discours et d'un autre type de pratiques que Nietzsche incarne sous le nom de Thucydide. Ces textes impliquent une autre logique que la logique des philosophes et ils impliquent une autre histoire que celle d'Augustin. Quand on pense Histoire, d'Augustin jusqu' ... Krivine, et bien on pense Augustin, en fait, c'est dire un processus diachronique, avec une dialectique et avec des retournements, des renversements, et tout ce que vous voudrez, avec une cumulation, une capitalisation et une fin. Ici le texte commence par dire qu'il n'y a pas de fin. Premier point : dans le premier paragraphe : la morale c'est une interprtation, ou encore c'est une hypothse, mais simultanment, cette morale a une fonction trs prcise qui est justement ce fameux moyen de contrer, ou moyen de soutenir, de se soutenir. De contrer quoi ? Bien l'absence de morale, c'est dire l'absence de valeurs. Autrement dit, l'hypothse de dpart est en fait vicieuse au sens o l'hypothse de Nietzsche lui-mme est qu'il n'y a pas de valeur et que la morale n'existe que pour autant qu'elle essaye de cacher cette absence de valeur, de mentir sur l'absence de valeur; et c'est un moyen pour les gens faibles de se soutenir devant ce "Rien, devant ce "en vain". Or il y a - dit Nietzsche (et c'est a qui peut prter une certaine lecture) -, il y a dans la morale elle-mme une certaine valeur qui va produire un premier effet de rtorsion, parce que, en fait, c'est une rtorsion double dtente. Premire dtente : cette valeur est une valeur de vracit (c'est une force, souligne Kyril), c'est une force qui va se mettre agir l'intrieur mme de la morale. La Vracit, c'est dire qu'il faut dire le vrai et faire le vrai. C'est une

chose qui appartient au systme de la morale. Or, dit Nietzsche, c'est prcisment cette exigence l qui "finit" par se rtorquer, c'est dire que prcisment on dit : alors, il faut tre vrace, et les gens qui veulent tre vraces disent, aux prtres, aux philosophes, tous les tenants d'une orthodoxie politique, ils disent : vous mentez, qu'est-ce que c'est que votre truc, qu'est-ce que c'est que vos valeurs, qu'est-ce que c'est que votre criture rvle, qu'est-ce que c'est que ce discours rvl dont vous parlez; justement rien de a n'est vrace. Tout ce que vous nous dites est en fait mensonge. En fait, il y a un procs qui est dcrit ici, mme pas dcrit, indiqu, qui fait que cette valeur de vracit se tourne contre la morale. Cette valeur de vracit qui appartient la morale devient une force qui se tourne contre la morale. Ils dnoncent la morale comme une habitude de mentir dit Nietzsche; ici, vous voyez qu'on a l'impression d'avoir faire une dialectique. Vous trouvez dans le bouquin de Fink une lecture de ce passage qui est une lecture compltement dialectique, et il cite mme des passages de Nietzsche (je ne les ai mme pas vrifis car il ne donne pas les rfrences), o il dit : Hegel, c'est vraiment quelqu'un de formidable parce que, dans Hegel, d'une certaine faon, tout est vrai. Laissons cela. Ce qui est certain, c'est qu'on peut lire ce passage en disant : bien, voil, la vracit, quand elle va au bout d'ellemme, elle se transforme en son contraire qui est, non plus la vracit dans le sein de la morale idologique, mais une vracit contre l'idologie (pour employer les vieux mots). Ici, il y a deux rponses, dans notre texte, cette version. Il y en a une qui est trs indirecte et trs latrale, au paragraphe 7; cette rponse vise Spinoza; c'est propos de l'extrme du nihilisme, c'est dire du retour ternel, mais nanmoins on peut lire ce paragraphe tout de suite o Nietzsche dit : "on saisit alors qu'ici il y a tendance vers le contraire du panthisme, car l'affirmation : tout est parfait, divin, ternel, contraint galement une croyance en l'ternel retour. Question : est-ce qu'avec la morale, cette affirmation panthiste de toute chose est aussi rendue impossible ?" Autrement dit se poser la question : bon, on balance les valeurs, trs bien, mais est-ce qu'on va balancer le panthisme ?" Au fond, c'est seulement le Dieu morale qui a t vaincu. Est-ce que a a un sens de se reprsenter un Dieu par del le bien et le mal ? Un panthisme en ce sens serait-il possible ? Supprimons-nous la reprsentation d'une fin, et malgr cela affirmons-nous le processus ?" Autrement dit, hop, il y a un dplacement, on dit : bien d'accord, il n'y a pas de fin, mais le processus lui-mme, et bien ? "Cela serait le cas si quelque chose, l'intrieur du processus, en chacun de ses moments, tait atteint, et toujours le mme. Spinoza tint une telle position affirmative, pour autant que chaque moment est une ncessit logique, et avec son fondamental instinct logique, il triomphait d'une telle constitution du monde." Qu'est-ce que a veut dire ? Ca veut dire : bon, vous balancez les valeurs, trs bien; mais vous allez pouvoir vous rcuprer un autre endroit, c'est dire qu'il y a un procs, par exemple le procs lui-mme par lequel la valeur de vracit dtruit les valeurs morales traditionnelles, et les surmontent. C'est ce procs lui-mme qui est intressant. Ici, a vise explicitement Spinoza. rponse de Nietzsche : attention, pour pouvoir dire a, il faut qu'on arrive dire qu'il y a une unit, travers tous ces moments, il y a une unit, ce procs est un processus; mme si on ne sait pas o il va, on affirme, on suppose, dans une espce d'ontologie, on suppose que ce procs qui parcourt des figures, ou des configurations, pour parler comme Hegel, les unes aprs les autres, est un procs unitaire, c'est dire quelque chose qui est toujours le mme se trouve impliqu l-dedans. Alors ce mme, vous pouvez l'appeler comme vous voulez, Nietzsche vise ici une philosophie de l'tre en mouvement, mais a peut trs bien tre, dans une certaine conception du marxisme, un quelque chose qui fait que toutes les figures que prennent les rapports de production ou les socits, appartiennent au mme, d'une certaine faon.

Franois : sous le terme de moment, ce que vise Nietzsche c'est les modes ? J-F.L : peut-tre les modes. Franois : Donc, a ,ne peut pas tre diachronique. J-F. L : Bien sr que ce n'est pas diachronique, pas forcment l'un aprs l'autre, mais ventuellement tous ensemble. Trs bien, et c'est ce qu'il pense pour Spinoza, et il a videmment raison puisque ce qui est cause dans Spinoza, c'est bien a, et ce n'est pas du tout une diachronie, et c'est pourquoi il dit : chez Spinoza, l'unit est une unit logique, elle sera donne logiquement et il dit que c'est comme a que Spinoza s'en sort. Visiblement, dans le noyau de ce passage qui m'intresse c'est : pour qu'on puisse affirmer que, par exemple, la rtorsion de la valeur de vracit en destruction de la vracit, de la pseudo-vracit des morales chrtiennes; pour que cette rtorsion soit prise comme un retournement dialectique, il faut pouvoir affirmer que avant et aprs, si je puis dire, logiquement parlant, que on ait toujours faire la mme chose, que il y ait toujours quelque chose qui soit toujours la mme chose qui est en jeu, d'abord sous la forme de la vracit morale, et ensuite sous la forme d'une vracit nihiliste qui va prcisment dtruire les valeurs. Vous voyez ? Ce qui est impliqu l-dedans, c'est que, au fond, c'est ce mme lui-mme qui fait dfaut, je veux dire que nous avons lire ce texte qui dbouche sur l'ternel retour, comme un texte dans lequel il est indiqu, mme si c'est d'une faon latrale, que justement on ne peut pas s'en tirer avec une conception du retournement qui serait simplement une conception dialectique. Toute dialectique reste subordonne en fait une logique de l'identit; c'est une logique de l'identit qui est mdiatise par une logique de l'altrit, mais c'est une logique de l'identit, et donc a nous indique que ce qui va tre vis, sous le nom d'ternel retour, sera quelque chose qui n'est pas pensable sous la catgorie du mme, qui, certains gards n'est pas un tre. Qui n'est pas un tre. Franois : Mais chez Spinoza, il n'y a pas d'altrit. J-F. L : Non, mais dans le cas de la dialectique ... Ce qui m'intresse, c'est la rtorsion de la valeur de vracit dans son contraire. Ce texte vise Hegel, mais Hegel ici s'appelle Spinoza. Et si tu remplaces la logique de Spinoza par la logique de Hegel, si tu remplaces la logique de Hegel par celle de Spinoza, peu importe, dans la perspective o Nietzsche parle, a ne fait pas de diffrence. C'est trs important parce que c'est un scandale de dire a, pour les philosophes; mais pour Nietzsche, c'est une vidence, de mme que pour lui c'est une vidence de pouvoir remplacer Spinoza par Platon. Il y a un texte dans "Le crpuscule des Idoles" o vous trouvez : "Comment, pour finir, le monde "vrai" devint fable", a c'est le titre du chapitre, et en sous-titre vous trouverez : "histoire d'une erreur". C'est des propositions : "Le monde vrai, accessible l'homme sage, pieux, vertueux, il vit en lui, il est ce monde", et ici, une parenthse qui est le commentaire satyrique de Nietzsche : "Forme la plus ancienne de l'ide relativement habile, simplette, convaincante. Paraphrase de la formule : Moi, Platon, je suis la vrit." Or, on a les variantes, et dans la premire rdaction on a : "Moi, Spinoza, je suis la vrit". Ce passage s'applique explicitement au panthisme. On peut sous ce nom impliquer soit Spinoza, ce qui est le cas, soit viser Hegel, qui, lui-mme, se reconnat, par exemple, dans la prface de la phnomnologie de l'esprit, comme panthiste. Ca ne s'applique pas Platon qui n'est pas panthiste, mais l, on a faire un texte qui remplace Spinoza par Platon. Franois : Une logique de l'identique, moi je veux bien, mais a ne veut pas

dire que chez Platon et chez SPinoza a veuille dire la mme chose, et je ne suis mme pas sr que chez Spinoza et chez Hegel ce soit la mme chose. J-F. L : Bien sr que a ne veut pas dire la mme chose. Je t'accorde tout ce que tu viens de dire, mais ce qui nous intresse, ce n'est pas de savoir si Nietzsche a raison de les confondre, a veut dire que la possibilit pour lui, par exemple, de viser Spinoza et de viser Hegel, en mme temps sans le dire, ou de viser Platon aprs avoir vis Spinoza, signifie quelque chose de trs important qui est l'endroit d'o, lui-mme, essaye de parler. Il est clair qu'il ne parle plus dans le discours philosophique o ces diffrences l sont trs pertinentes et trs indispensables, ou alors, tout est dans tout et c'est la merde. Or, justement, ce qu'il pointe ici, c'est que, au fond, partir du moment o on peut produire une logique, quelle qu'elle soit, et rien de plus diffrent que celle de Spinoza de celle de Hegel. Ds l'instant que tu te donnes une logique, a veut dire que tu peux t'en tirer; dans le cas du platonisme dont il dit satit que c'est le christianisme ... l, on est avant que la valeur de vracit ne se retourne, mais mme quand elle s'est retourne, alors mme ce moment l, on va pouvoir finalement continuer un dieu, qui ne va plus tre le dieu moral, mais qui va tre l'essentiel des choses sous le nom d'une certaine identit. Toutes les considrations sur le jeu du monde tombent en plein sous cette rubrique : ce sont des formes de panthismes qui, tout simplement ... bon, c'est Parmnidien ou Hracliten, si vous prfrez, avec, comme l'a admirablement montr Beaufre dans son article fameux, c'est la mme chose Parmnide et Hraclite. Un trs beau texte. J'ai insist parce que a donne, toute allure, une petite indication sur l'endroit o est Nietzsche : forcment, il ne peut pas tre l'endroit o on discute de la nature de l'identit, on ne discute pas de la nature des identits; du mme qui constitue l'unit du monde. Alors non seulement on balance les valeurs, mais il faut balancer avec la croyance dans une identit du monde, de l'objet, qui est la chose qui, mme quand il n'y a plus de valeurs, peut continuer soutenir le discours du philosophe. Ca veut dire que Nietzsche parle un endroit o le discours du philosophe ne peut pas tre tenu. La question est de savoir quel discours il tient, et c'est prcisment le discours du sophiste. videmment, vous m'avez vu arriver avec mes sabots. Autre passage : "Mais parmi les forces qui faisaient crotre la morale, il y avait la vracit". Finalement, celle-ci se tourne contre la morale, elle en dcouvre la tlologie, la considration intresse. Et maintenant, le regard port sur cette habitude de mentir qui s'est faite chre depuis longtemps, et dont on dsespre de se dbarrasser, agit exactement comme un stimulant au nihilisme. Nous constatons en nous, maintenant, des besoins, ce qu'a implant depuis longtemps la morale en tant qu'interprtation (ou la morale en tant qu'elle est interprtation), qui nous apparaissent maintenant comme besoin du non vrai. D'un autre ct, ce sont eux (ces besoins mmes qui nous apparaissent comme non vrais, comme besoin du non vrai, qui d'ailleurs sont trs vrais), les besoins du non vrai sont les besoins d'un autre monde, de valeurs ... (fin de la bande). "Ce sont eux (ces besoins) auxquels parat suspendue la valeur grce laquelle nous supportons de vivre. Cet antagonisme -(vous voyez, d'un ct on ne croit plus ces trucs, on pense que c'est des besoins de faux ou de non vrai, et de l'autre, c'est ces besoins qui nous permettent de supporter de vivre) -, cet antagonisme, avec les deux cts : premirement, pas d'estime pour ce que nous reconnaissons, c'est dire que nous sommes en train de reconnatre que c'est des trucs qui sont non vrais et nous n'avons pas d'estime pour cela, et de l'autre ct : plus besoin d'avoir de l'estime pour ce dont nous pourrions nous leurrer; et bien "cet antagonisme fournit un processus de dissolution" dit Nietzsche.

Qu'est-ce que a veut dire ? Voil les effets de la rtorsion par la vracit; on ne peut plus avaler les valeurs, a ne marche pas, mais d'un autre ct, on n'est pas content de ne plus en avoir; on n'a pas d'estime pour l'absence de valeurs. On a donc un antagonisme qui fournit un processus de dissolution, qu'est-ce que c'est que cette dissolution ? Ce terme revient plusieurs reprises, vous avez "auflosung", "ablosung" et aussi "losung" tout court; il est bien vident que "auflosung" a n'est pas "aufhebung", c'est dire que le processus en question n'est pas un processus dans lequel ce qui vient d'tre dpass va tre conserv et capitalis. L, vous avez un processus qui vient d'un antagonisme et cet antagonisme n'a pas de rsolution, c'est dire de salvation. On a d'un ct des forces qui ont pouss la production des valeurs, et de l'autre ct, une partie de ces mmes forces qui dtruisent ces valeurs, et on a les deux ensemble qui forment un antagonisme, et ces deux ensemble, a fait que le truc se dissout. Vous avez des pulsions qui fonctionnent d'une faon qui, justement, n'arrivent pas se runifier, et la dissolution, c'est la dissolution de l'apparent organisme socio-moral-culturel qui faisait une civilisation avec ses valeurs; dissolution de cet organisme. Dissolution de cet organisme sous des pulsions qui se mettent "jouer" antagoniquement. Alors, non seulement il faut dire qu'il n'y a pas a, mais il faut dire en plus, au dbut du paragraphe 4 : "Cependant, des positions extrmes ne sont pas relayes ("ablosung" c'est le mot qui tait employ pour dsigner la relve d'une garde militaire. La vraie traduction de la relve, tout au moins au sens militaire, ce n'est pas "aufhebung", c'est "ablosung"; mais gardons le mot relay. C'est aussi le sens d'enlev, il n'y a rien de conserv dans la relve de la garde)-, par des positions modres, mais de nouveau par des extrmes, inverses nanmoins; (je tiens souligner cette chose importante : c'est qu'on va retrouver le mme extrmisme dans le nouveau nihilisme, si je puis dire, que dans l'ancienne morale. Autrement dit, on est bien loin d'un processus de capitalisation qui se rglerait lui-mme en s'accumulant, mais tout simplement, il y avait des pulsions trs fortes dans la moralit et il y a une partie de ces pulsions, aussi fortes, contre la moralit; et c'est pour cela qu'il y a un antagonisme et que cet antagonisme ne donne pas du tout lieu une espce de rconciliation, d'une manire ou d'une autre, mais au contraire une bataille de forces extrmes. J'insiste sur ce point parce que, vous voyez que quand il dit a, Nietzsche s'empche de faire ce que ferait n'importe quel philosophe fait devant un truc de ce genre, qui est de dire : d'accord, on a souffert, mais on est libr; a va mieux. Lui, va dire exactement le contraire, il va dire que le christianisme tait une force trs puissante, cette force se retourne contre les valeurs, elle donne lieu une nouvelle attitude trs puissante aussi, trs extrme, c'est une attitude qui est inverse mais qui est trs forte, et les deux sont l, ensemble, peut-tre chez les mmes personnes, mais ce n'est pas un problme de personnes, ces forces sont l et elles se bataillent avec la plus grande extrmit. Mois, je trouve que a, a veut dire que dj il lude une espce de rationalisation des processus pulsionnels qui sont en jeu dans cette affaire, il dit qu'il y a des pulsions qui se mettent fonctionner de faon divergente et mme antagonique, et ces deux groupes de pulsions sont l, ensemble, dans une guerre qui n'a pas de sens au sens de bonne fin, conclusion, car l "auflosung" est tout le contraire d'une conclusion, c'est dire que cette bataille va ronger, parcourir et dtruire les identits, commencer par l'identit du corps social. Autrement dit, on a faire une "logique" pulsionnelle dont, probablement, le modle le plus proche serait Freud. Ce serait le renversement de la pulsion en son contraire, c'est une espce de processus de remplacement, c'est dire que, d'une certaine manire, l'ancienne pulsion n'est pas conserve dans la nouvelle, mais d'un autre ct, elle n'a pas non plus disparu; Freud va dire qu'elles sont l, ensemble, et absolument antagoniques, et avec la mme force, et c'est un procs de dissolution, l aussi.

Richard : J'ai l'impression, mais c'est peut-tre une intuition compltement fausse, que, lire ces fragments de textes, quand le mot de dissolution est prononc, il semble avoir une toute autre porte, beaucoup plus forte et profonde, que l'usage qu'en fait Klossovski. La dissolution de Klossovski semble tre centre sur le paradigme du moi et de l'identit. La "logique" va beaucoup plus loin. J-F. L : Oui, il ne faut pas se contenter de dire : ce qui est important dans cette dissolution, c'est que le moi ou que tout corps identitaire ou organique, clate, ce qui est important, c'est que, pour pouvoir la dcrire comme Nietzsche la dcrit, comme passage d'une position extrme une autre position extrme qui est aussi violente que la premire, a veut dire qu'on est dj plus intress par la position de l'identit, du moi ou du corps social, mais on est intress au mouvement pulsionnel lui-mme; c'est dire qu'on essaye de sortir de ce qu'il pourrait y avoir de dconstructur dans ce procs pour essayer de le dcrire affirmativement. C'est a qui est important. Richard : C'est a, mais c'est formul beaucoup plus clairement. Mais est-ce que, par rapport aux textes que cite Klossovski, - et tu vois l'interprtation qu'il donne de ces textes -, est-ce qu'il y a une porte du terme dissolution qui est totalement diffrente ? J-F. L. : Il faudrait apporter les textes. J'avance. Cette valeur de vracit permet donc un truc comme a que je persiste traduire par rtorsion, rtorsion des positions, et aprs, rtorsion des puissances. La rtorsion des positions consiste en ceci que il y avait un nonc qui tait : il faut tre vrace; Dieu ou je ne sais pas quoi, le bien, le vrai, etc. veut que nous soyons vraces. Premire position. Position qui se rtorque : et bien, justement, soyons vraces jusqu'au bout, c'est dire : il n'y a pas de Dieu, il n'y a pas de bien, vous voyez que c'est vraiment le prototype de la rtorsion. Et bien, parlons en de votre vracit, c'est dire que je reprends la position de l'adversaire et la retourne contre lui. Aucun rapport avec une logique dialectique, avec un retournement dialectique, car dans le retournement dialectique, et c'est a que veut dire Nietzsche propos de Spinoza, c'est toujours le mme qui parle ! Mme si c'est 46 bonshommes diffrents, c'est nanmoins toujours le mme qui parle, c'est dire qui commence par dire A, puis non c'est B, et qui dit que B c'est bien parce que a contient A et la ngation de A. Ici, pas du tout. Dans la rtorsion de type sophistique, on l'avait regard dans ce petit texte de La Rhtorique o Aristote attaque je ne sais plus quel rhteur, en s'indignant de ce spcialiste de la rtorsion, on a tout fait autre chose qu'un retournement dialectique, ici, on a une chose horriblement violente qui consiste dire : bon, vous dites a, et moi je dis le contraire, tout a c'est des pulsions trs trs fortes et il n'est pas question qu'on puisse s'entendre. Un processus positionnel vient de l'autre par rtorsion, c'est dire l o justement la position tait la plus forte, disons celle du christianisme pour aller vite, soyez vrace, cette position va devenir faible du fait que justement elle va tre reprise contre elle-mme. Cette rtorsion des positions implique une rtorsion des puissances, de ce que Nietzsche appelle les instincts. Ce sont les paragraphes 9, 10, 11, 12 et 14. Je vais y revenir, mais d'abord, voyez bien que cette rtorsion que je viens de dcrire aprs Nietzsche, cette rtorsion qui porte sur des extrmes, videmment des extrmes pulsionnels, c'est dire que ce sont des positions extrmement investies, cette rtorsion, je dis que c'est la grande rtorsion, c'est la premire grande rtorsion. Je veux dire que ce qui est impliqu dans cette rtorsion, c'est que justement on ne va pas opposer une position l'autre l'intrieur d'un dialogue philosophique ou d'une dialectique; ce qui est rtorqu l-dedans, c'est la position philosophique tout court, en tant que telle. On ne traite pas des philosophes en philosophes. Les gens qui vont tre

pris dans ce procs de nihilisme, qui vont tre pris de rage, de haine et de colre dans ce procs de nihilisme, ces gens l ne traitent pas le monde des valeurs, le discours des valeurs et la position des valeurs, en philosophes; la faon dont ils se retournent contre tout a n'est pas la faon d'un retournement philosophique, elle n'est pas engage dans un procs de dialogue avec l'autre position, et de dialectique avec rsolution ou conclusion finale. Kyril : Je voudrais dire un mot, parce que justement cette chose que tu viens de dire l se trouve dans le paragraphe 2 et que la traduction que tu donnais tout l'heure me semblait la faire sauter. Quand tu as traduit par "besoin de non vrai", tu avais l'air de dire que a voulait dire un besoin de non vrit, autrement dit un besoin de Dieu. Or, tel que je le comprends, c'est que justement la vracit, en se retournant, pose une exigence sur le concept de Dieu lui-mme et justement le fait sauter. J-F. L : C'est a, c'est dire fait apparatre ce truc comme non vrai. C'est a. C'est l o, du reste, il faudrait songer de nouveau Thucydide. Quand on regardera de prs la Guerre du Ploponnse, on s'apercevra, ce que J. de Romilly a fait, trange parce que c'est une ennemie, elle indique une chose qui tait connue du reste, que Thucydide tait entirement dpendant de Gorgias, et que la description mme des conflits entre les cits grecques, c'est dire prcisment, une guerre qui est une guerre entre des positions politiques (celles des cits), doit tre pense sous les catgories de la logique sophistique, et c'est comme a que Thucydide le dcrit. On peut montrer que le discours de Thucydide sur cette guerre est un discours sophiste et donc, l, nous avons une logique et une histoire sophistes, qui est dj l, toute prte. Quand Nietzsche dcrit ces antagonismes entre les pulsions, il est bien vident que ce quoi il pense, c'est des forces qui sont en jeu sans totalisation, pour leur donner une identit finale, une unit finale, une conclusion, quelque chose qui fasse corps. C'est exactement ce qui se passe dans les discours sophistes : je soutiens telle thse, tu soutiens l'inverse et a ne fait pas corps, il n'y aura pas de conclusion. L non plus, mais il y aura peut-tre des effets d'Auflosung". Question : Est-ce que la position ultime de Nietzsche est celle de l'antagonisme ? J-F. L : Pas du tout, sa position ultime c'est la slection. Plus difficile et pas pour ce soir. J'en viens la rtorsion des pulsions, proprement dit; les paragraphes 9, 10, 11, 12 et 14. Il y a donc : les nouvelles positions sont aussi extrmes que les anciennes, les anciennes taient extrmes parce que c'tait l'asctisme, en gros. Ce sont des positions de courage, il y a tout un loge de l'asctisme (voir humains, trop humain), c'est une position de vertu parce que les gens qui imposent des valeurs sont des gens qui procdent une slection, des slections qui sont des slections arbitraires, et qui sont donc des gens qui se tiennent devant le rien, en face, et qui disent : voil ce qu'il faut faire. Voir "Gnalogie de la morale". Donc, positions extrmes de part et d'autre. Et l dessus, deux bonds : paragraphe 9 - texte trs trange et trs difficile : "Contre le dsespoir et le saut dans le nant, la morale a prserv la vie d'hommes et de groupes qui taient tyranniss et opprims par des hommes, car c'est l'impuissance face aux hommes, non l'impuissance face la nature, qui engendre l'amertume la plus dsespre contre l'existence. La morale a trait, en gnral, les puissants, les violents, les "matres" comme ces ennemis contre lesquels l'homme du commun devait tre protg, c'est dire, en premier lieu, encourag, fortifi. La morale, par suite, a enseign har et mpriser du plus profond ce qui tait le trait caractristique et fondamental des dominants". Ce trait caractristique fondamental c'est la volont de puissance. Abolir, nier, dissoudre cette morale, a serait pourvoir la pulsion la plus hae

- c'est justement la VP -, d'un sentiment et d'une valorisation inverse; c'est dire que c'est formidable : aprs avoir dit : c'est des salauds, dire : il n'y a que a. "Si le souffrant, l'opprim, perdait la croyance d'avoir un droit son mpris de la volont de puissance, il entrerait dans l'tat d'une dsesprance sans espoir." Imaginez une seconde que l'opprim dise : je n'ai pas de raison de mpriser les dominants, alors dsespoir total, alors il n'y a rien faire, alors tout est bien; on en est exactement l. Ca serait le cas - c'est l que le texte est difficile - "si ce trait - de la VP -, tait essentiel la vie; si il s'avrait que, dans cette volont de morale mme - celle qui vient d'tre renverse -, ne se camoufle que cette volont de puissance, que cette haine et ce mpris eux aussi sont encore un vouloir de puissance, l'opprim s'apercevrait qu'il se tient sur le mme terrain que l'oppresseur et qu'il n'a aucun privilge, aucune position suprieure devant lui" - devant le dominant. Ca c'est le premier bond; il conduit tout droit au dsespoir. Au fond, la morale, pour les opprims, et non pour ceux qui la fabriquent, la morale c'est ... Ce qui est important, dans ce petit bond sur place qui mne droit dans le dsespoir, c'est la dcouverte de cela : que la morale elle-mme tait faite de la haine et du mpris des puissants, des dominants, que cette haine et ce mpris, dans cette morale mme, c'tait la volont de puissance dj, elle-mme. Justement parce que la valeur de vracit a dtruit toutes les valeurs, les opprims, tout d'un coup, dcouvrent que leur haine et leur mpris pour les dominants, peut-tre bien que c'tait dj la volont de puissance elle-mme. Ruth : C'est exactement, point par point, le discours de Pricls. J-F. L : Oui, mais il emploie des irrels, et c'est important. Je continue : et donc, si cette haine et ce mpris, qui alimentaient en fait la moralit des opprims, se dcouvrent, l'un et l'autre, comme la volont de puissance, a veut dire que les opprims et les dominants sont sur le mme terrain ... Fin de la bande ... ... Une partie des types le comprendra et ce sont ceux qui vont sombrer dans le dsespoir, et mme dans un dsespoir trs actif, et c'est ce dont il s'agit dans ce texte, c'est dire du nihilisme actif. Donc ils vont tomber dans le dsespoir actif, et ce dsespoir n'est pas actif par lui-mme, il est au contraire - dit Nietzsche -, la conscience gnralise, vanit des vanits, et dit Nietzsche -, rien n'est plus paralysant qu'un "en vain" qui ne mne rien, qui n'a pas de fin. Quand un "en vain" mne un autre monde, c'est dire quand il est rcupr par un autre lieu, qui lui, ne sera pas un "en vain", et bien a aura t une longue preuve et sera rcupr comme a, mais si le "en vain" est vraiment en vain et dure interminablement, alors dit Nietzsche il n'y a rien de plus terrible qu'une vanit sans fin, et rien de plus paralysant - mot qui revient souvent pour dcrire cette situation d'un dsespoir paralysant. A ce moment l, ceux qui s'en tirent mal sombrent, ils sombrent dans le dsespoir (paragraphe 10), mais a, c'est simplement ce que Nietzsche lui-mme appelle le premier nihilisme, c'est exactement contre ce dsespoir du "en vain" interminable que la morale a t le contrepoison, l'antidote. Alors, fous le camp et les types sombrent dans le dsespoir, premier nihilisme. Il est vident que pour Nietzsche, il y a un deuxime bond, plus extrme, et c'est le nihilisme actif qui n'est pas simplement ractif comme le nihilisme que je viens de dcrire (ractif) : dissolution des valeurs = nihilisme ractif. Le nihilisme actif, ce qu'il appelle le bouddhisme europen, l vous trouvez immdiatement aprs le texte que je viens de lire, au paragraphe 1, vous trouvez : "Encore beaucoup plus retourn", ou si vous voulez, encore plus de rtorsion, allons encore plus loin dans la rtorsion : ne nous contentons pas de sombrer, mais coulons nous. C'est le mme mouvement, mais lorsque le nihilisme devient actif, c'est alors que le sombrer - qui appartient au premier nihilisme -, se prsente diffremment; ce moment l, le sombrer ne se prsente plus comme un mouvement de dpression, mais au contraire comme une violence nouvelle.

Alors, ceux qui s'en tirent mal, se font sombrer. Au paragraphe 12, il dit : "Qu'est-ce qu'ils veulent ? Ils veulent la puissance ...Qu'ils se placent sur le terrain du principe oppos, et veulent aussi, de leur ct, la puissance". Ils veulent la puissance, non pas au sens o ils veulent le pouvoir, ils veulent la puissance en contraignant les puissants tre leurs bourreaux, c'est dire qu'ils veulent la puissance pour que cette puissance les dtruise." Le sombrer se prsente comme un s'envoyer par le fond, comme un choix instinctif de ce qui doit dtruire." Vous voyez qu'ils sont sur le terrain de la puissance, ils choisissent la puissance qui dtruit, l'occasion de quoi, l'occasion de cette rtorsion. Qu'est-ce que c'est que cette puissance ? C'est cette mme puissance qui a commenc se donner jour dans le dsir de vracit, et dans le dsir de vracit pouss ses extrmes qui donne lieu aussi la dsesprance. Donc il vient bien un moment o mme ceux qui s'en tirent mal, constatent qu'en effet, ceux l au moins qui vont au-del de la dsesprance et dans le nihilisme actif, ils constatent qu'ils sont sur le mme terrain que les puissants puisqu'ils vont sur ce terrain l, ce nihilisme, et que sur ce terrain l, ils choisissent ce qui dtruit, c'est dire la puissance en tant qu'elle dtruit, y compris eux-mmes; et a, dit Nietzsche, c'est un choix instinctif. Mathieu : Dans le texte allemand, on rencontre dj le terme de slection. J-F. L : Oui, il y a une slection par expulsion, il y a une espce de tri. Cette espce de chose est extrmement violente, et c'est prsent au paragraphe 14 : "La croyance en l'ternel retour est sentie comme une maldiction par laquelle, touch, on ne recule plus de peur devant aucune action, non pas teindre passivement, mais faire teindre tout ce qui est, ce degr, dnu de sens et de but." On a faire, dans le nihilisme actif, une procdure extrmement violente, dans le mme passage, Nietzsche dit que c'est un spasme et un accs de fureur pour qui sait que tout tait l depuis des ternits, c'est dire pour celui qui est dj dans l'ide de l'ternel retour, et qui la supporte, paisiblement, pour celui-l, cette espce de violence dans le nihilisme, ce cri que rien ne vaut, apparat comme un spasme et accs de fureur en un sens reconnaissable, a c'est dj fait. C'est une premire indication sur la froideur, le classicisme du rapport l'ternel retour qui n'a rien voir avec le cri. Le cri, Artaud, a n'est que le nihilisme actif. Bravo, mais a n'est que a, c'est un spasme et une fureur qui prend sa place l et simplement l, c'est dire avant l'entre dans l'espace logique et historique qui est celui de l'ternel retour. Donc, c'est bien la volont de puissance qui agit dans cette rtorsion, sous la forme du nihilisme actif, mais comme le dit Nietzsche au paragraphe II, c'est la volont de puissance dans le rien, dans le nant; c'est dire que c'est la volont de puissance en tant que nihiliste (active parce que c'est une puissance, mais dans le rien). On pourrait dire, du reste, que c'est en gnral de cette manire l que les philosophes conoivent les sophistes comme des nihilistes, or justement la rtorsion que j'indiquais tout l'heure fait que ce n'est pas vrai. Alors, aprs a, mais tout a est ensemble, ces moments ne dcrivent absolument pas une histoire linaire, il est bien vident que si vous prenez les positions occupes aujourd'hui, vous allez avoir toutes ces positions, c'est dire : la morale, le nihilisme du dsespoir passif et puis le nihilisme actif. Il y a encore autre chose, c'est l'extrme force du nihilisme. Paragraphe 6, l'ide d'ternel retour :

"Cette pense, sous sa forme la plus redoutable - (cette pense c'est celle du "en vain" qui n'en finit pas) -, l'existence, telle qu'elle est, sans sens ni but mais revenant inluctablement, sans un final, dans le nant : l'ternel retour. C'est la plus extrme forme du nihilisme. Le nant, le sans sens ternel. C'est la forme europenne du bouddhisme - (c'est l qu'il ramne sa petite camelote) -, la vertu active du savoir et de l'nergie, contraint, compulse une telle croyance. C'est la plus scientifique de toutes les hypothses possibles." C'est norme. Je crois qu'il faut prendre a comme une merveilleuse parodie : ah, vous voulez de la science ! L'ternel retour du rien. "Nous nions qu'il y ait des objectifs finaux. L'existence en aurait-elle qu'elle devrait les avoir atteints." Ca, c'est 25 sicles d'histoire balays. La chose la plus frappante c'est : la forme la plus extrme du nihilisme, l'ternel retour. Pourquoi extrme ? Parce que l la rien est ce qui est ternel, c'est dire que justement ce qui est extrme, c'est qu'il n'y ait pas de fin; le rien ici ne se prsente pas comme la fin du processus, ce n'est pas un terme, le terme d'une histoire ou d'une pense. L, ce n'est pas la volont de puissance qui va vers le rien, qui dsire le rien, mais la volont de puissance qui se baigne dans le rien. L'ide de l'ternel retour c'est que la musique ne cesse pas. C'est dire que si les units qu'on considre, si on peut parler d'units, si les pulsions dont il s'agit sont des pulsions sonores, la combinaison de ces pulsions les unes avec les autres est interminable. Deux autres choses encore. En ? En ceci que l'on n'a plus chaque, du cas singulier. Ici enchane propos de Spinoza, quoi consiste l'extrmisme de l'ternel retour ici faire une logique du tout, mais une logique du c'est le paragraphe 8 qu'il faut lire : il et il dit :

"Mais son cas est seulement un cas particulier ... Chaque trait caractristique fondamental se trouvant au fond de chaque vnement devrait, si il est ressenti par un individu, comme son trait caractristique fondamental, pousser cet individu acquiescer, triomphant chaque instant de l'existence universelle, a ne dpendrait mme que du fait de ressentir avec plaisir, en soi-mme, comme bon, comme prcieux, ce trait caractristique fondamental." Ca veut dire qu'au fond, la logique de l'ternel retour n'est absolument pas la logique d'une adhsion des propositions universellement valables, qu'on tiendrait pour vraies. On voit bien la rupture avec le discours de vrit et donc avec le discours thorique. Cette logique consiste acquiescer chaque trait qui apparat dans chaque situation, dans chaque vnement. Et quel est le critre pour savoir s'il faut acquiescer ou pas ? Le plaisir ! "Ressentir comme bon, comme prcieux, ce trait ..." Ca veut dire que vous avez une logique de chaque vnement, de chaque instant. Quand on dit "chaque", a veut dire au coup par coup, au singulier, et que le critre ce n'est justement pas d'atteindre une identit; il s'agit au contraire d'acquiescer chaque singularit, et avec comme seul critre cette chose trange qui est que on est content parce que on trouve a bien, parce que a marche. Quand on se branche l-dessus, a marche. L, Nietzsche emploie le mot "Trieben" (remarque de Kyril rappelant l'emploi de ce mot), pousser . Richard : Est-ce qu'aprs cette analyse, un moment ou un autre, on va arriver une conomie des forces, des quantits limites ou non limites ?

J-F. L : Je le garde en rserve. Une dernire remarque : ce nihilisme de l'ternel retour est extrme pour une troisime raison encore. Qui jugera si a marchera ou a ne marchera pas ? Personne. Ca marchera ou a ne marchera pas, et l'ide de l'ternel retour est troitement lie cette ide que nous n'avons aucun critre pour dire comment a doit marcher. Autrement dit, pas d'ternel retour sans Kairos. Encore une remarque, le paragraphe 15 : sur l'extrmisme de ce nihilisme. Quand Nietzsche demande : "lesquels se montreront les plus forts" dans cette aventure ? Il rpond : les plus modrs, ceux qui n'ont pas besoin de credo extrme. C'est l qu'on est au comble de l'extrmisme. 17 avril 1975 "La logique qu'il nous faut" Nietzsche, les sophistes, l'ternel retour Je voudrais reprendre ce texte de Nietzsche sur la science, l'aphorisme 344 du Gai Savoir, "en quoi sommes-nous encore pieux", qui ouvre le champ d'une logique qui est la logique qu'il nous faut. Ce texte va nous servir dblayer le champ de cette logique qu'il nous faut, c'est dire qu'il ouvre un certain type d'espace dans lequel le problme de ce que c'est qu'une logique se trouve diffremment de ce qu'il est dans le terrorisme du vrai ou du faux. Le champ du vrai et du faux est un champ qui commence par ne pas admettre ... Enfin, on voudrait un champ logique dans lequel on ne soit pas tout de suite, avant mme de commencer parler, tenus par l'exigence du vrai et du faux. Ce texte ouvre ce champ logique, en dehors de cette exigence, et c'est videmment son intrt. Premier point : La conviction scientifique n'est admise dans la science que comme non conviction ou bien encore comme fiction rgulatrice. "Dans la science les convictions n'ont pas droit de cit, ainsi parle-t-on juste titre : ce n'est que lorsqu'elles se dcident s'abaisser jusqu' la modestie d'une hypothse, d'un point de vue exprimental provisoire, d'une fiction rgulatrice, que l'on peut accorder une certaine valeur au sein du rgne de la connaissance", et un peu plus loin, " y regarder de plus prs, cela ne signifie pas d'abord que la conviction ne doit pas accder la science que en cessant d'tre conviction". Autrement dit, il y a un certain type de rapport de l'nonc scientifique avec l'affect thorique qu'est la conviction. Cet affect thorique est en vrit un affect juridique : la conviction est obtenue par des pices conviction. Nietzsche dit que cette conviction ne peut entrer dans la science que si elle se supprime comme conviction, i.e que si elle n'arrte pas l'enqute; il faut bien qu'il y ait des pices conviction, mais il faut que ces pices conviction maintiennent une espce d'absence de conviction. Il faut que les gens qui dposent ces pices ne soient pas vraiment convaincus. Il y a un affect un peu bizarre, propre la science qui fait que, mme lorsque vous tes convaincus, votre conviction on s'en fout, vous tes pris de la garder et de ne pas l'exhiber, votre conviction n'est pas convaincante. On ne veut pas en entendre parler et c'est pour a qu'on parlera de votre nonc, de votre thorie, de votre hypothse comme d'une fiction rgulatrice. Elle rgle le discours scientifique, nouveau rglement du discours scientifique avec votre hypothse. Mais il est entendu que c'est une fiction, i.e que vous avez les pices qu'il faut, donc votre histoire a droit de cit, mais on ne s'intresse pas savoir si vous, vous tes convaincus, ni mme si vous suscitez la conviction chez les autres. Donc, c'est un trange tribunal puisque dans un tribunal, lorsque l'avocat de la dfense, ou au contraire le procureur dpose ses pices, il suscite une conviction et on va tenir compte de cette conviction dans le

jugement. L, non. C'est un tribunal sans conviction, pas convaincu et d'une certaine faon, il ne sera jamais convaincu, il est essentiel que l'enqute ne finisse pas, Nietzsche ne le dit pas, mais a va de soi. Ce qui est important c'est que cette suspension de la conviction, dans le cas du discours de sciences, tel que Nietzsche le suggre ici, fait apparatre le discours de sciences comme produisant effectivement des noncs, et ces noncs qui sont donc appuys par des pices - je laisse de ct la nature de ces pices -, ces noncs au fond sont intressants parce qu'ils sont des fictions rgulatives, mais est-ce qu'ils sont intressants parce qu'ils sont rgulateurs ou parce qu'ils sont des fictions ? Voil un problme. Les partisans d'une science intressante, nouvelle et pop diront : ce qui nous intresse dans la science c'est la production d'noncs qui sont des fictions merveilleuses, i.e qu'on avait jamais entendu, les autres diront qu'il y a des conditions. Dans ce premier dblayage, ce que Nietzsche suggre, en mettant l'accent sur l'absence de conviction dans la science, c'est qu'effectivement, le discours de science, produit des noncs et que ce qui est intressant dans ces noncs, c'est que ce sont des fictions, c'est dire que le scientifique est comme un artiste. Ca veut dire qu'il y a, dans le mouvement mme de la science, en tant que production d'noncs fictifs, dbarrasss de la croyance, il y a un champ d'affects, trs bizarre, avec une espce d'apathie par rapport aux noncs, par cette proprit l, la science rompt avec la thologie. Dans la thologie, on a des convictions, il y a fondamentalement des noncs qui sont convaincus et convaincants. Autrement dit, la science est quelque chose qui se prsente dans le registre de Dieu est mort, il n'y a pas de Dieu de la science, pas de dernier mot, alors que dans la thologie, c'est Dieu qui a parl en dernire instance, c'est dire au dbut, dans la science il n'y a pas a, le discours se dveloppe dans l'atmosphre : il y a beaucoup de dieux possibles. Il faudrait rattacher a au texte sur le nihilisme. Nietzsche disait que l'ternel retour c'est l'hypothse la plus scientifique. C'tait assez tonnant, Nietzsche ne s'appuie videmment pas sur la science pour affirmer l'ternel retour. Maintenant on peut comprendre cet aphorisme en disant : oui, c'est l'hypothse la plus scientifique si la science consiste effectivement dgager un champ dans lequel il y a des tas de dieux possibles, il y a des tas d'noncs possibles dont aucun n'a de prtention l'exclusivit. Donc, si la science est ce champ dans lequel des tas d'noncs, qui sont incompatibles, se dveloppent sur la base donc, d'un : on verra, moi je dis ceci et vous dites a, on va voir - alors l'ternel retour, d'une certaine faon, est l'hypothse la plus scientifique parce que l'ternel retour appartient entirement ce champ logique que Nietzsche commence par dgager sur le cas de la science. L'ternel retour ne peut exister que si, d'abord, on a abandonn compltement l'hypothse thologique, c'est dire l'exclusivit d'un nonc. Deuxime point : Nietzsche ajoute : "Avec la restriction que ce n'est que lorsqu'elles - les convictions -, se dcident s'abaisser jusqu' la modestie d'une hypothse, d'un point de vue exprimental provisoire, d'une fiction rgulatrice, que l'admission mme de certaines valeurs au sein du rgime de la connaissance doivent leur revenir, avec cette restriction, toutefois, de rester sous garde vue policire". Puis, " y regarder de plus prs, cela ne signifie-t-il pas d'abord, que la conviction ne doit tre axe vers la science qu'en cessant d'tre conviction. La discipline de l'esprit scientifique ne dbute-t-elle pas par le fait de ne plus se permettre de conviction ? Il en est probablement ainsi. Reste se demander - et l est la rtorsion -, s'il ne faut pas, pour que cette discipline puisse dbuter, qu'il y ait dj l une conviction, et, en vrit, tellement imprative et inconditionnelle, qu'elle s'offre en sacrifice toutes autres convictions."

Donc, une autre version : pas si simple parce qu'on s'aperoit que cette absence de conviction est exige, que le scientifique n'est pas convaincu de son hypothse mais il est convaincu qu'il ne doit pas tre convaincu. Pourquoi doitil tre convaincu qu'il n'est pas convaincu ? Si jamais il tait convaincu de l'hypothse elle-mme, cela voudrait dire qu'il cesserait de discuter, il aurait le dernier mot, et si il cessait de discuter, ayant le dernier mot, cela voudrait dire que la recherche de la vrit est termine. En fait, sa conviction de ne pas tre convaincu, sa conviction qu'il ne faut pas tre convaincu, est une conviction de la recherche de vrit. Le scientifique est quelqu'un qui, d'une certaine faon, apparat comme un artiste, mais ce n'est pas un vrai artiste parce que, bien sr, il ne croit pas une hypothse, mais il croit un certain champ dans lequel toutes ces hypothses se prsentent et qui est le champ de la recherche de la vrit; autrement dit, la conviction de base reste la conviction du vrai, simplement elle est toujours reporte. C'est trs intressant parce qu'on pourrai