Jean Christophe Le Buisson Ardent

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w n I <- LE BUISSON ARDENT 6Ù MFMË AUTEUR LIBRAIRIK OLLENDOHfF JEAN-CHRISTOPHE, lo vo» Tean-Ohristophe, 4 roi. L'Aub* — L* Matin — L'Adolescent ~- la /lêMUê, Jean-Christophe A Paris, 8 vol. La foire tur U Place — Antoinette — Dmne la Maieon^ La fin du Voyage, 8 roi. Les Amies — Le Buisson ardent — La nouvelle Journée, LIBRAIRIE HACHETTE Théâtre de la Révolution (J^ f$ Juillet, Dantem, Les Lou^s) Los Tragédies de la Foi (Saint-Louis, Airt, Le Triompha de la Raison). Lie Théâtre du Peuple (Eseaie d'eethétiqua d'tm théâtre nouveau). Musiciens d'autrefois. Musiciens d'aujourd'hui.

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Romain Rolland

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I rairie OllendorffJ.

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S'adresser, vomr traiter, A Im libraint Paol Ollskdo' iO, Ohaues dPAntin, Parie,

ROMAIN ROLLAND

JEAN-CHRISTOPHE LA FIN DU VOYAGE

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BUISSON ARDENT

TRENTE-HUITIME DITION

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PARIS

Socit d'ditions Littraires et Artistiques LIBRAIRIE PAUL OLLENDORFF 5o, CHAUSSE d'antin, 5o

Tous droits rservs.

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IL

ti, si : il tait peupl d'ombres des vivants. An v-ivois d'une motion, elles surgissaient; et Olivier s'tonnait, les reconnaissait sans les avoir connues, parfois tendait les mains pour les saisir... Trop tard.

Un jour, en sortant de chez lui, il vit un rassemblement devant la porte de la maison, autour de la concierge qui prorait. Il tait si peu curieux qu'il et continu son chemin sans s'informer; mais la concierge, dsireuse de recruter un auditeur de plus, l'arrta, pour lui demander s'il savait ce qui tait ar- riv ces pauvres Roussel. Olivier n savait mme pas qui taient ces pauvres Rous- sel ; et il prta l'oreille, avec une indiff- rence polie. Quand il apprit qu'une famille d'ouvriers, pre, mre et cinq enfants venait de se suicider de misre, dans sa maison, il resta comme les autres regarder les murs de la btisse, en coutant la narratrice qui ne se lassait pas de recommencer l'histoire. A mesure qu'elle parlait, des souvenirs lui revenaieiit, il s'apercevait qu'il avait vu ces gens; il posa quelques questions... Oui, il les reconnaissait : l'homme (il entendait sa respiration sifflante dans l'escalier) un ou-

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LA FIN DU VOYAGE

vrier boulanger, au teint blme, le sang bu par la chaleur du four, les joues creuses, mal ras; il avait eu une pneumonie, au com- mencement de l'hiver; il s'tait remis la tche, insuffisamment guri; une rechute tait survenue; depuis trois semaines, il tait sans travail et sans forces. La femme , tranant d'in- cessantes grossesses, percluse de rhuma- tismes, s'puisait faire quelques mnages, passait les journes en courses, pour tcher d'obtenir de l'Assistance Publique de maigres secours qui ne se pressaient pas de venir. En attendant, les eiifants venaient, et ne se las- saient point : onze ans, sept ans, trois ans, sans parler de deux autres qu'on avait per- dus sur la route; et pour achever, deux jumeaux qui avaient choisi ce moment pour faire leur apparition ; ils taient ns, le mois pass.

Le jour de leur naissance, racontait une voisine, l'ane des cinq, la petite de onze ans, Justine pauvre gosse! s'est mise san- gloter, en demandant comment elle vien- drait bout de les porter tous les deux.

Olivier revit sur-le-champ l'image de la fillette, un front volumineux, des cheveux ples tirs en arrire, les yeux gris trouble, fleur de tte. On la rencontrait toujours. portant les provisions, ou la sur plus petite;

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OU bien elle tenait par la main le frre de sept ans, un garon au minois fin et chlif, qui avait un il perdu. Quand ils se croi- saient dans l'escalier, Olivier disait, avec sa politesse distraite :

Pardon, mademoiselle.

Elle, ne disait rien; elle passait, raide, s'ef- faant peine; mais cette courtoisie illu- soire lui faisait un secret plaisir. La veille au soir, six heures, en descendant, il l'avait rencontre pour la dernire fois; elle montait un seau de charbon de bois. 11 n'y avait pas pris garde, sinon ce que la charge semblait bien lourde. Mais c'est chose natu- relle, pour les enfants du peuple. Olivier avait salu, comme d'habitude, sans regarder. Quelques marches plus bas, levant machina- lement la tte, il avait vu, penche sur le palier de Ftage, la petite figure crisne, qui le regardait descendre. Elle s'tait aussitt dtourne et avait repris sa monte. Savait- elle o cette monte la menait? Olivier n'en doutait pas, et il tait obsd par la pense de cette enfant, qui rapportait dans son seau trop lourd la mort, comme une dli- vrance, -^ les malheureux petits, pour qui ne plus tre voulait dire ne plus souffrir! Il ne put continuer sa promenade. Il rentra dans sa chambre. Mais l, sentir ces morts*

LA UN DU YOTAOM

prs de lui Quelques cloisons l'en spa- raient... Penser qu'il avait vcu ct de ces angoisses!

Il alla voir Christophe. Il avait le cur serr; il se disait qu'il est monstrueux de s'absorber, comme il avait fait, dans de vains regrets d'amour^ lorsque tant d'tres souf- fraient de malheurs mille fois plus cruels, et qu'on pouvait les sauver. Sou motion tait profonde; elle n'eut pas de peine se communiquer. Christophe, facilement im- pressionnable, fut remu son tour. Au rcit d'Olivier, il dchira la page qu'il venait d'crire, se traitant d'goste qui s'auiuse des jeux d'enfant. Mais ensuite, il rauiassa les morceaux dchirs. Il tait trop pris par sa musique ; et son instinct lui disait qu'une uvre d'art de moins ne ferait pas un heureux de plus. Celle tragdie de la misre n'tait pour lui rien de nouveau; de- puis l'enfance, il tait habitu marcher sur le bord de tels abmes, et n'y pas tomber. Mme, il tait svre pour, le suicide, ce moment de sa vie o il se sentait en pleine force et ne concevait pas qu'on put, pour quelque souffrance que ce ft, renoncer la lutte. La souffran