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Institut de Formation en Soins Infirmiers De Beauvais JE VOUS DIS TU ? Le tutoiement et la distance thérapeutique en psychiatrie BOURSIER Marie Travail de fin d’études Diplôme d’état infirmier 2015

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Institut de Formation en Soins Infirmiers De Beauvais

JE VOUS DIS TU ?

Le tutoiement et la distance thérapeutique en psychiatrie

BOURSIER Marie

Travail de fin d’études Diplôme d’état infirmier 2015

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REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à remercier l’équipe de Biondi, pour leur accueil, et leur

encadrement durant mon stage.

Je remercie les formatrices de l’IFSI pour leur accompagnement pendant ces 3

ans, et plus particulièrement ma référente de SPI pour son soutien et ses conseils

lorsque j’ai eu des moments de doute pendant la formation.

Je tiens ensuite à adresser toute ma reconnaissance à mes parents pour le

soutien inconditionnel dont ils ont fait preuve. Si je suis ici c’est grâce à vous.

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SOMMAIRE INTRODUCTION 1 I - QUESTION DE DEPART 4 1 - Description de la situation d’appel 4 2 - Questionnement 4 3 - Question de départ 5 II – EXPLORATION THEORIQUE ET DE TERRAIN 6 1 - Cadre théorique 6

1-1. Le tutoiement 6 A) Le tutoiement dans le temps et espace 6 B) Le tutoiement de nos jours 8

1-2. La distance thérapeutique 10 A) Définition et concept 10

A) La particularité du soin relationnel en psychiatrie 11

1-3. Troubles de l’identité et du langage chez

les psychotiques 12 A) Le processus d’individuation 12 B) Personnalité psychotique et trouble de

l’identité 14 C) Psychose et troubles du langage 15

2- Exploration de terrain 17 2-1. Présentation du lieu de stage 17 2-2. Modalités de réalisation de l’enquête 18

A) Choix de la population 18 B) Choix de l’outil 18

2-3. Observations et témoignages 18

A) Les raisons de l’usage du tutoiement 19 B) Le tutoiement, un manque de respect ? 20 C) Les dangers du tutoiement 21 D) Et l’avis du patient dans tout ça ? 22 E) Les patients à qui on dit le plus « tu » 22

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III – ANALYSE DES RESULTATS 24

1- Analyse des données recueillies 24 1-1. Comment le tutoiement peut favoriser certaines

prises en soin 24 A) Quand les mots se font maux 24 B) Quand l’hôpital devient domicile 26 C) Quand les mots rendent parano’ 27

1-2. Influence néfaste du tutoiement sur certaines

prises en soin 28 A) Quand le « tu « manque de respect 28 B) Quand la barrière est franchie 29 C) Quand le « tu » persécute 30

1-3. Quand le vous s’impose… Ou pas 31

2- Ecart entre résultats attendus et résultats obtenus 32

3- De la question de départ à la problématique 33

4-1. Elaboration de la problématique 33 4-2. Hypothèses 34 CONCLUSION 35 ANNEXES 39 Annexe 1 – La grille d’entretien 39 BIBLIOGRAPHIE 40

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INTRODUCTION

Le langage, la communication sont des éléments importants dans le domaine du

soin, et plus spécifiquement encore en psychiatrie. C’est pourquoi j’ai décidé de

consacrer mon Travail de Fin d’Etude à la question de l’usage du tutoiement en

psychiatrie, notamment son influence sur la distance thérapeutique qui lie le soignant et

le soigné, et sur la prise en soin d’un patient porteur de troubles psychiatriques.

C’est lors de mon premier stage en santé mentale que j’ai constaté la facilité

avec laquelle les soignants tutoyaient les patients, différemment de ce que j’avais pu

observer dans d’autres unités de soins. Cela semblait aller à l’encontre de tout ce que

l’on m’avait enseigné en tant qu’étudiante infirmière, sur la relation soignant/soigné, la

notion de distance thérapeutique et le respect que l’on doit au patient. Alors que l’on

m’avait toujours interdit de tutoyer les patients car cela représentait un manque de

respect, la cadre du pavillon m’autorisait au tutoiement « si je le sentais », chose que je

n’ai jamais faite, même à la demande des patients, car je ne m’en sentais pas la

légitimité, sans aller plus loin dans la réflexion.

J’ai alors ressenti le besoin de clarifier cette question afin d’adapter ma pratique

en tant que future professionnelle. Mon projet étant de travailler dans le domaine de la

santé mentale, la recherche effectuée pour ce travail me permettra d’adopter la meilleure

des attitudes face aux personnes que j’aurais à prendre en soin, afin de tisser avec ces

malades une relation soignant-soigné de qualité, fondée sur l’altérité de chacun, une

confiance mutuelle et une distance thérapeutique juste et adaptée.

En effet, en psychiatrie, plus encore que dans les autres spécialités, la

communication constitue le premier soin que l’on prodigue à ces personnes en

souffrance. Le langage, les mots peuvent être de véritables outils thérapeutiques pour

ces patients atteints de psychose, mais peuvent aussi constituer un danger pour leur

équilibre psychique, car les mots ont un sens particulier pour ces malades à la

personnalité fragile. Pour permettre au patient d ‘exprimer sa souffrance, la rencontre

avec celui ci et la recherche de sa confiance sont fondamentales.

Cependant, la question du tutoiement est délicate car elle touche les valeurs tant

personnelles que professionnelles, ainsi que les principes et les représentations de

chacun. De plus il n’existe pas de texte officiel règlementant l’usage du tutoiement ou

du vouvoiement dans la fonction infirmière mais il convient tout de même de respecter

certains principes dans la relation au patient.

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Afin de répondre à ces problématiques, j’ai décidé de placer mon exploration de

terrain au sein d’une unité d’hospitalisation du CHI de Fitz-James ou j’ai pu observer

pendant 10 semaines le savoir être des soignants vis à vis de malades atteints de

pathologie psychiques, et la réaction de ces derniers. J’ai ainsi pu interroger un panel de

professionnels avec des expériences différentes sur leur avis et leurs pratiques.

L’objet de ma recherche s’ancre dans la profession infirmière et par conséquent

dans le référentiel d’activité et de compétences : - La compétence 1 – Evaluer une situation clinique et établir un diagnostic dans le domaine

infirmier, car il s’agit d’adapter sa pratique pour parvenir à communiquer efficacement dans le

but d’établir un diagnostic infirmier.

- La compétence 2 – Concevoir et conduire un projet de soins infirmiers car c’est en

communiquant, entre autre, que l’infirmier va accompagner et guider la personne dans son

parcours de soins.

- La compétence 4 – Mettre en œuvre des actions à visée diagnostic et thérapeutique, en

conduisant une relation d’aide thérapeutique, en utilisant des techniques à visées

thérapeutiques et psychothérapeutiques, la communication est importante dans ce genre

d’action

- La compétence 5 – Initier et mettre en œuvre des soins éducatifs et préventifs, il s’agit de

soins primordiaux en psychiatrie et qui passeront une fois encore par une communication

adaptée et efficace ainsi qu’une relation basée sur la confiance du soignant.

- La compétence 6 – Communiquer et conduire une relation dans un contexte de soins

- La compétence 7 – Analyser la qualité et améliorer sa pratique professionnelle

- La compétence 8 – Rechercher et traiter des données professionnelles set scientifiques

- La compétence 9 – Organiser et coordonner les interventions soignantes

Le cadre règlementaire sur lequel je vais m’appuyer pour réaliser mon Travail de

Fin d’Etude en tenant compte de la législation est le suivant : - La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unis du 10 décembre 1948

- La loi n°2002 – 303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système

de santé, notamment l’article L1110-2 du code de la santé publique selon lequel « La personne

malade a droit au respect de sa dignité »

- Le code de la déontologie médicale

- Le décret n°2004-802 du 29 juillet 2004 du code de la santé publique

- La circulaire du 2 mars 2006 relative au droit des personnes hospitalisées et comportant une

charte de la personne hospitalisée

- L’article 4311-6 du code de la santé publique

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Différentes approches vont me permettre de répondre à ma problématique, en

effet le tutoiement et ses usages dans le milieu psychiatrique couvre différents prismes :

Législatif, éthique, anthropologique, psychologique, philosophique, ainsi que

linguistique.

Afin de mener à bien ce travail de recherche, je suis partie de ma situation

d’appel pour développer les différentes questions que je me posais sur mon thème afin

de définir ma question de départ et les différents concepts s’y rapportant.

J’ai ensuite développé mon cadre théorique, avec les concepts de tutoiement, de

distance thérapeutique et de troubles de l’identité et du langage chez les psychotiques.

J’ai tout d’abord défini le tutoiement puis ai placé le concept dans le temps et dans

l’espace afin de définir son évolution dans le temps et son usage en dehors de la France.

J’ai ensuite défini la distance thérapeutique, j’en ai développé le concept avant de parler

de la particularité du soin relationnel en psychiatrie.

J’ai ensuite décrit le processus d’individuation, qui participe à la construction psychique

de l’individu et fait défaut chez les psychotiques, engendrant chez eux des troubles de

l’identité et du langage, deux concepts que j’ai développés afin d’expliquer pourquoi les

psychotiques ont parfois des difficultés dans leurs relations interpersonnelles et l’usage

de la langue Française.

Par la suite, j’ai développé mon exploration de terrain, présenté mon lieu de

stage et d’enquête, ainsi que les modalités de réalisation de cette enquête. J’ai ensuite pu

exploiter les données recueillies sur le terrain afin d’en faire une synthèse et

d’agrémenter mes recherches.

Dans l’analyse des résultats, j’ai d’abord présenté mon analyse des données

recueillies dans mes recherches et sur le terrain. Cela s’articule autour de trois parties :

La première partie traite du tutoiement en tant que facteur favorisant de certaines prises

en soin, la seconde insiste sur l’influence néfaste du tutoiement sur certaines prises en

soin, et la dernière partie traite de la possibilité ou non d’imposer le « tu » ou le

« vous » aux soignants.

J’ai ensuite confronté les résultats obtenus aux résultats que j’attendais de mes

recherches afin d’en mesurer l’écart. J’ai ainsi pu élaborer ma problématique et mes

hypothèses quant à cette problématique avant de conclure mon travail sur une ouverture.

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QUESTION DE DEPART

1 – Description de la situation d’appel

Dans le cadre de ma formation, j’ai effectué l’année dernière un stage de 10

semaines, dans une unité d’admission du CHI de Clermont. L’établissement accueillait

des patients atteints de toutes pathologies psychiatriques, notamment en phase aigue de

leur pathologie, en rupture de soins, de traitement, atteints de psychoses, ou victime

d’une addiction alcoolique ou toxique. Bien que le pavillon accueillait des entrants et

constituait une étape dans la parcours de soin des patients, les durées d’hospitalisation

variaient d’un malade à l’autre, selon le contexte et la pathologie, de quelques semaines

à plusieurs années.

L’équipe était essentiellement constituée de jeunes diplômés, à 2 exceptions

près. J’ai été rapidement interloquée par la facilité avec laquelle les soignants tutoyaient

les patients, que ce soit des malades présents depuis plusieurs années dans l’unité, ou

depuis seulement quelques semaines. Cela créait une certaine convivialité au sein de

l’unité, mais j’ai aussi pu constater que cette relation « chaleureuse » pouvait abolir la

distance thérapeutique, et constituer un frein à la prise en charge de certains patients qui

ne distinguaient plus la distance entre le soignant et le soigné, et pouvaient même se

montrer irrespectueux envers les professionnels qui ne parvenaient plus à maintenir le

cadre nécessaire à la prise en soin de certains patients psychotiques. J’ai aussi pu

constater, à contrario, que de mettre une distance trop importante entre le soignant et le

soigné pouvait aussi limiter la prise en charge de ce dernier dans la mesure ou certains

patients ont du mal à entrer en communication avec Autrui, à moins de laisser tomber

quelques barrières. Le tutoiement fait partie de ces barrières qui séparent le

professionnel du patient et assurent une relation basée sur le respect et l’égalité.

2 – Analyse, questionnement

Cette constatation m’a amenée à me poser plusieurs questions :

Le tutoiement constitue-il un manque de respect du soignant envers le patient ?

Le tutoiement abolit-il ou met-il à mal la distance thérapeutique ?

Peut on tutoyer tous les patients (Pathologie, mode de fonctionnement psychique,

compréhenstion)?

Quels sont les dangers du tutoiement ? Pour le soignant ? Pour le soigné ?

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En quoi le tutoiement peut il favoriser certaines prises en soins ? Favoriser la relation

soignant-soigné ?

Le tutoiement favorise t-il l’alliance soignant-soigné ? La relation de confiance ?

La vouvoiement peut il constituer une limite à certaines prises en soin ?

Pourquoi quand et comment, les soignants en viennent-ils à tutoyer un patient ? Y’a t-il

concertation en équipe ? Est-ce forcément à la demande du patient ? Le consentement

du patient à se faire tutoyer est-il forcément recherché ?

Peut-on imposer aux soignants de vouvoyer leurs patients ?

Afin d’apporter des réponses à ces interrogations, j’ai dégagé plusieurs concepts clefs

qui me permettront d’avancer dans ma réflexion et de définir mon cadre théorique et

ma question de départ : Le tutoiement, la distance thérapeutique et les troubles de

l’identité et du langage chez les psychotiques.

3 –Question de départ

Toutes ces interrogations m’ont permis de dégager ma question de départ :

En quoi le tutoiement influe t-il sur la distance thérapeutique dans la prise en soin

d’un patient porteur de troubles psychiatriques ?

En partant de cette question de départ, je mettrai en évidence les avantages et les

limites du tutoiement, et délimiterai dans quelle mesure il est acceptable, ou non, de

tutoyer certains patients.

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EXPLORATION THEORIQUE ET DE TERRAIN

1 – Cadre théorique

1 – 1. Le tutoiement

Le tutoiement est un concept grammatical et linguistique défini par le CNRTL1 comme

le fait de « s ‘adresser à quelqu’un en lui disant tu »2.

Son utilisation est définie par le Robert comme ci-après : « L’emploi du tutoiement est

variable selon les variantes régionales, nationales du Français, et selon les milieux :

Cette pratique est beaucoup plus courante, surtout dans les milieux jeunes et

professionnels, depuis les années 1950. Le tutoiement semble plus normal et plus étendu

en Français du Canada qu’en Français d’Europe (France, Belgique, Suisse). Sa nature

est différente en Français d’Afrique où il s’agit d’une seconde ou tierce langue. (…) Le

tutoiement comme signe de supériorité sociale tend à disparaître. En revanche, le

tutoiement l’emporte dans les affrontements verbaux »3

Le passage du « tu » au « vous » est lié à des conditions socio culturelles et historiques

extrêmement variées. De plus, son usage a évolué depuis son apparition. Ce sont ces

conditions que je vais chercher à définir ici.

1 – 1. A) Le tutoiement dans le temps et l’espace

Sous l’Empire Romain, de 285 à 326 après Jésus-Christ, il existait 4 empereurs.

Le peuple utilisait « vous » lorsqu’il s’adressait à l’un d’entre eux car il s’adressait en

réalité à l’ensemble des quatre empereurs. Cette formule est alors restée pour marquer le

respect dans l’usage. C’est ainsi que serait apparu le vouvoiement en premier lieu.

Durant l’antiquité Latine, le tutoiement constituait la norme. L’usage du

tutoiement était une règle de politesse conseillée mais non profondément ressentie dans

la langage courant.

Durant l’époque Carolingienne on retrouve une utilisation égale du « tu » et du

« vous », mais on retrouve avec la renaissance Carolingienne un désir de rétablir la

1 Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales 2 http://www.cnrtl.fr/definition/tutoyer 3 REY, Alain, Le Robert, Edition 2005, 2844 pages 6

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pureté de la langue française par le latin Classique. Le « vous » devient alors le pronom

d’adresse normal, et on utilise le « tu » pour exprimer des inflexions plus intimes.

A l’époque féodale, le vouvoiement est utilisé pour des questions de disciplines,

des affaires officielles tandis que le tutoiement est réservé aux sujets amicaux, plus

intimes, ou dans un but de réconfort. Ainsi, on retrouve même parfois l’usage des 2

pronoms pour s’adresser à la même personne, selon que l’objet de l’échange soit officiel

ou intime.

En 1793, la Convention Nationale introduit un Décret sur le tutoiement

obligatoire, imposant le tutoiement entre tous les citoyens Français afin de supprimer

les distinctions hiérarchiques. Cette pratique disparaitra un an plus tard.

Au niveau religieux, on s’adressait auparavant à Dieu en le vouvoyant.

Cependant, Jean XXIII lors du concile du Vatican II, entre 1962 et 1965, dans son désir

de moderniser l’église et d’unifier la communauté chrétienne, préconise le « tu »

comme pronom d’adresse à Dieu. Ainsi, cela place Dieu et les hommes sur un pied

d’égalité.

L’usage du tutoiement et du vouvoiement varie aussi selon la zone géographique, et

notamment au sein des pays Francophones.

Au Québec, bien que les règles étaient les mêmes que les nôtres au départ, le

vouvoiement est de moins en moins utilisé au profit du « tu ». Ainsi, le vous utilisé dans

les pays Francophones d’Europe sera remplacé par le « tu » au Québec. Même dans les

relations professionnelles, c’est le tutoiement qui prévaut.

A l’inverse, en Wallon, c’est le vouvoiement qui prévaut, notamment pour

s’adresser à des jeunes enfants ou aux animaux. Le tutoiement est perçu comme

grossier.

En Espagnol, le tutoiement est la plus habituelle des formes de dialogues et l’on

passe plus facilement du vouvoiement au tutoiement qu’en France. Le « tu » s’y

généralise de plus en plus, notamment entre personnes d’une même génération ou

appartenant au même groupe, social, idéologique, sportif…

En Allemand, le tutoiement se retrouve plus fréquemment qu’en France, et le

passage d’une formule à l’autre (du « vous » au « tu ») peut se faire naturellement

lorsque les locuteurs s’appellent par leurs prénoms, cela sous-entend l’introduction du

tutoiement.

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Quant à la langue Anglaise, elle ne distingue pas le « tu » du « vous ». La 2ème

personne du singulier et du pluriel sont semblables. Auparavant, le « Thou » était utilisé

pour marquer le respect mais il est en train de disparaître, et on ne le retrouve plus

aujourd’hui que dans des poèmes ou des prières.

1 – 1. B) Le tutoiement de nos jours

Ainsi, tous ces éléments diachroniques ont influés sur l’usage que nous faisons

aujourd’hui en France du tutoiement, et, à contrario du vouvoiement, et nous montrent

aussi que les règles régissant ce concept sont subjectives et subtiles et qu’elles

dépendent de différentes normes et variables sociales.

De nos jours, le « vous » est une formule de politesse, une règle de bienséance,

qui induit une certaine formalité dans le contact. En général, on vouvoie les personnes

que l’on rencontre pour la première fois, son supérieur hiérarchique et les personnes

plus âgées que soi. Le vouvoiement exprime le respect, la distance et garantit l’intimité

ainsi que l’égalité et la réciprocité. Mais le refus du tutoiement peut aussi être perçu

comme un refus d’engagement, un manquement à l’altérité ou une absence de

reconnaissance de la personne en tant qu’individu. Il peut être utilisé pour mettre une

personne à distance afin de lui exprimer son indifférence, son dédain. Chez le soignant,

le vouvoiement stricte peut aussi être le témoin d’une trop grande mise à distance, d’une

fuite du patient et de sa souffrance, un refus de l’écouter et de le prendre en compte, et

donc de le soigner. Le vouvoiement peut aussi être source de mécompréhension, sur le

nombre de personnes à qui l’on s’adresse notamment. En effet, l’usage du vouvoiement

requiert certaines compétences sociolinguistiques, c’est à dire la « capacité de

reconnaître et de produire un discours socialement approprié en contexte. » 4 .

Autrement dit, cela demande de s’adapter aux circonstances, à la situation, aux

interlocuteurs. Cela n’est pas à la portée de tout le monde, notamment pour les étrangers

dont le pays d’origine ne pratique pas le vouvoiement comme cela a été mis en évidence

par Mougeon et Al qui sont arrivés à la conclusion que les apprenants non Français

maitrisaient modestement la variation sociolinguistique, ou chez des personnes aux

fonctions cognitives et intellectuelles limitées, ou encore chez les personnes atteintes de

Troubles Envahissants du développement et les grands psychotiques qui sont atteints de

4 DEWAELE, Jean Marc : Vouvoiement et tutoiement en français natif et non natif : une approche sociolinguistique et interactionnel, La chouette, 2002 8

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graves troubles du langage et ne maitrisent pas toutes les subtilités de la langue

Française de part leur mode de fonctionnement psychique.

Aujourd’hui, l’usage du tutoiement est de plus en plus répandu, notamment chez

les jeunes. On l’utilise pour les proches, les pairs (notamment dans la vie

professionnelle). Tutoyer marque l’acceptation d’un rapport à l’intime, l’expression

d’une certaine sympathie. Utiliser le « tu » créé une certaine familiarité, non entachée

d’irrespect, qui permet d’accéder davantage à une personne, pour la réconforter, la

réassurer, lui assurer sa solidarité, ou encore de la compassion. Attention cependant à ne

pas tomber dans l’infantilisation ou la condescendance, ce qui constituerait alors un

manque de respect vis à vis de l’interlocuteur, de même qu’un tutoiement de pseudo-

camaraderie peut être mal perçu, notamment dans le domaine du soin ou les limites

doivent être évidentes entre le soigné et le soignant. Le « tu » permet aussi d’accéder

plus facilement à l’Autre avec un impact plus important, d’établir un contact plus

immédiat, par exemple dans des situations de souffrance extrême, de violence ou de

passage à l’acte.

Il est évident que ces normes sociales et linguistiques sont davantage des

principes que des obligations strictes, et ne construisent pas à elles seules une relation.

PRAYEZ Pascal l’exprime parfaitement dans cette citation : « On peut tutoyer, faire

semblant qu’on est dans le même bateau, alors qu’on en est loin, comme on peut

vouvoyer quelqu’un tout en restant proche de la personne. »5. L’usage de ces pronoms

d’adresse ne se substitue donc pas aux autres paramètres qui déterminent la nature et la

qualité d’une relation : La proxémie, l’empathie, le ton, le regard, la position, le degré

d’attention, la mesure du temps passé avec la personne.

De plus, le langage est quelque chose de personnel qui appartient à chacun,

selon sa personnalité, ses particularités. Ainsi, l’usage sera différent selon l’âge, le sexe

de la personne, le contexte de la rencontre, l’éducation reçue, la culture, les valeurs, tant

personnelles que professionnelles si elles sont différentes.

5 PRAYEZ, Pascal, Julie ou l’aventure de la juste distance thérapeutique, une soignante en formation, Broché, 2009, p 115 -119 9

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1 – 2. La distance thérapeutique

1 – 1. A) Définition et concept

Dans un métier de communication tel que celui d’infirmière, le concept de

distance thérapeutique est primordial et constitue une base à l’élaboration d’une relation

soignant-soigné.

Selon Martin M.W., la distance thérapeutique est définie comme « la limite

morale et psychologique à l'expression des valeurs personnelles dans le cadre de

l'activité professionnelle. Examinant trois fonctions de cette distance: 1) s'occuper des

difficultés des clients, 2) respecter l'autonomie du client, 3) maintenir l'objectivité.

Celles-ci sont compatibles avec les idéaux personnels du soin »6 Cette définition met

bien en avant le caractère protecteur et la nécessité de mettre une distance entre 2

interlocuteurs dans le domaine professionnel afin de maintenir un équilibre entre les

deux personnes et de rester objectif quand à son travail afin de rester efficace.

Pour le site SERPSY, la distance thérapeutique dans le soin « correspond au

positionnement du soignant par rapport au patient permettant la continuité et la

stabilité de la relation tout en gardant une approche suffisante. Celle-ci évolue en même

temps que la relation soignant-soigné. Elle passe par l’usage du vouvoiement, la

position hiérarchique, la tenue vestimentaire, le niveau socio-professionnel. »7

En effet, la relation de soin est une relation professionnelle et se doit donc d’être

cadrée, tout au moins réfléchie afin d’adopter un comportement adéquat.

La relation soignant soigné est asymétrique, basée sur un déséquilibre

bienveillant de la part du soignant. En effet, le patient est en situation de dépendance, de

faiblesse (à ne pas confondre avec infériorité) de part la méconnaissance de sa

pathologie, son état, physique ou mental, son manque d’autonomie. Créer un espace

relationnel est alors primordial pour garantir au patient le respect et l’intégrité qui lui

sont dus.

Etre dans la distance thérapeutique juste implique, selon Florence Michon, de se

connaître, de posséder une intelligence émotionnelle, des compétences relationnelles, du

savoir être et de maitriser l’art de la communication. « Savoir communiquer et soigner

tout en étant dans une juste distance professionnelle, est particulièrement indispensable

6 MARTIN, M. W., Professional distance = La distance professionnelle, The international journal of applied philosophy, vol 11 n°2, p 39-50 7 http://www.serpsy.org/etudiants/ecriture/distance_dorsaf.html

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au soignant. Il s’agit d’un art qui s’apprend, s’entretien et se cultive ».8 En effet, la

relation de soin est une relation professionnelle, cette distance doit donc être pensée,

réfléchie, auto-critiquée. Il ne s’agit pas seulement de se laisser porter par la relation qui

nous unit au patient mais de savoir la délimiter. Plusieurs éléments permettent de mettre

de la distance entre un patient et un soignant. Le plus visible est la blouse, barrière

protectrice du psychisme et du physique, mais qui confère aussi, surtout en psychiatrie,

un certain pouvoir, une autorité. Le vouvoiement fait aussi partie de ces barrières qui

cadrent une relation professionnelle. Le « vous » permet de mettre une certaine distance

entre le soignant et le soigné, cela permet aussi au soignant de se positionner en tant que

tel et de poser un cadre.

La juste distance thérapeutique induit une réciprocité dans la relation, un respect

mutuel. L’empathie, l’authenticité, la congruence, la compréhension, l’altruisme, la

bienveillance doivent toujours primer dans cette relation. Ce n’est qu’en respectant ces

principes, en choisissant les mots justes, en ajustant son ton, sa façon de parler que l’on

atteindra le niveau de communication le plus chaleureux et le plus efficace possible,

afin de rencontrer la patient, d’obtenir sa confiance, dans le but de soulager sa

souffrance en tenant compte de sa singularité.

1 – 1. B) La particularité du soin relationnel en psychiatrie

« Le soin en psychiatrie a cette caractéristique particulière : l’infirmier représente un

véritable « outil de soin » »9

Le soin relationnel est le soin de base dispensé en santé mentale. En effet, la

psychiatrie est un lieu de souffrance aigue, où se mêlent angoisse, anxiété, délire,

agitation. Le rôle des soignants est de trouver du sens à ces éléments de souffrance afin

de soulager le malade de ses affects négatifs. Pour ce faire, le soignant doit favoriser des

moments d’échange thérapeutique, plus ou moins formels. Ces échanges informels

induisent une implication personnelle du soignant, et nécessitent de sa part, une attitude

moins formel et plus ouverte. Cela implique une proximité avec l’intimité psychique

des patients qui créé un lien particulier entre le soignant et le soigné. Ce lien est

d’autant plus particulier que dans le contexte d’une prise en soin psychiatrique, un

8 MICHON, Florence, Les relations interpersonnelles avec la personne soignée et la notion de juste distance, Soins, n°773, mars 2002, p 32-34 9 MERCKLING, Jacky ;LANGENFELD, Solange, Processus psychopathologique, Masson, Les essentiels en IFSI (tome9), p242 11

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soignant peut être amené à s’occuper d’un même patient pendant des années, parfois 20

ou 30 ans. Ainsi le patient et l’infirmier partagent une histoire commune, des victoires

communes sur la maladie. De plus, ces patients sont souvent en très grande difficulté,

avec un vécu difficile, une histoire compliquée, les soignants son amenés à les

accompagner dans tous les actes de leur vie, au plus près de leur quotidien, de leur

intimité. Certains d’entre eux n’ont plus personne et les soignants représentent leur seul

lien vital, ils constituent un semblant de famille, l’établissement en santé mentale, un

semblant de domicile. Le pavillon de psychiatrie et ses infirmiers représentent pour le

patient protection, stabilité, normalité. La relation soignant/soigné se doit alors, au vu

du contexte d’être différente de ce qu’elle est dans un service de soin général, moins

formelle, plus ouverte, mais aussi plus chaleureuse. La distance thérapeutique semble

alors mise à mal, mais comme le dit bien PRAYEZ Pascal, « La juste distance ne coupe

pas d’autrui, elle construit au contraire un lien de qualité, point essentiel de la relation

d’aide » 10. Le plus important dans cette relation entre le soignant et le soigné est

l’alliance thérapeutique, tendre ensemble vers, sinon la guérison, l’accompagnement de

la personne souffrante dans le but de rendre plus supportable son état de santé. Ces

soins relationnels n’étant ni standardisés, ni protocolisés, la prise en soin dépend de

l’individualité du soignant, de son expérience, de son vécu et de ses valeurs, tant

personnelles que professionnelles.

1 – 3. Troubles d’identité et de langage chez le psychotique

J’ai tenté dans cette partie de mettre en avant les difficultés des psychotiques à

intégrer certaines formes de langage, notamment les plus élaborées, et leur rapport

compliqué aux mots qui rend parfois la communication si infructueuse. Si je me suis

davantage penchée sur la psychose, plutôt que sur n’importe quelle autre pathologie

psychique ou psychologique, c’est que j’ai pu affiner mes recherches suite à mon

enquête sur le terrain qui m’a révélé que les patients psychotiques étaient les plus

tutoyés par les soignants, j’ai alors chercher à en connaître les raisons.

1 – 3. A) Le processus d’individuation

10 PRAYEZ, Pascal, Julie ou l’aventure de la juste distance thérapeutique, une soignante en formation, Broché, 2009, p 115 -119 12

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Selon le psychiatre Suisse Carl Gustav JUNG, l’individuation est le « Processus par

lequel un être devient un individu psychologique, c’est à dire une unité autonome et

indivisible, une totalité. » 11 Pour Margueret MAHLER, psychiatre et psychanalyste

Américaine, « La différentiation du soi du non soi est concomitante de la capacité de

penser » 12

Le processus d’individuation constitue la première structuration psychique de

l’être humain, le premier investissement de la représentation de soi, qui va nous

permettre de disposer de toutes les potentialités qui nous caractérisent en tant

qu’individu. C’est durant cette phase que se développent entre autres, la parole,

l’imagination, la fonction sémiotique et une construction de la réalité plus stable. C’est

aussi durant cette période que peuvent apparaître les premiers troubles de la

personnalité.

Patrick Juignet s’appuie sur la théorie de la sexualité infantile Freudienne pour

décrire cette phase structurante de l’enfance et de l’adolescence. Selon lui, le processus

d’individuation intervient de 5 à 6 mois jusqu’aux 2 ans de l’enfant et a lieu à la fin du

stade oral décrit par Freud. Durant ce stade oral, la zone buccolabiale est la zone de

prédilection de l’enfant, zone de plaisir, d’assouvissement des pulsions. La bouche est

source d’apaisement du besoin alimentaire, et constitue les premières expériences de

plaisir.

Le processus d’individuation intervient lors du sevrage de la mère en frustrant

l’enfant de la satisfaction orale de téter. Cela favorise la défusion avec la mère, et le

détournement de la zone buccale pour un autre usage : Celui de la parole. Il s’agit d’une

phase éducative importante durant laquelle l’enfant va apprendre à se maîtriser, à

contrôler ses affects, ses pulsions qu’il va devoir canaliser, limiter ; il découvrira aussi

la fonction réalitaire, et la symbolisation. Le rôle des parents et de tout autre adulte

responsable de l’éducation de l’enfant, est alors primordial. Les parents devront apaiser

11 JUNG, Carl Gustav, Psychiatric Studies. The collected words of CG Jung, ed. Michael Fordham, 1953, p255 12 Cramer Bertrand, Nouveaux traité de psychiatrie, chapitre 62 : Les psychoses infantiles et les étapes du développement de la séparation et de l’individuation chez Margaret Mahler, Presses unitaires de France, 2004

13

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l’enfant, lui inculquer le respect d’autrui, lui apprendre à modérer sa violence, sa

volonté de domination, de haine, de jalousie, et refreiner ses pulsions agressives sans

empêcher leur manifestation. Ainsi l’enfant commence à exister pour lui, dans la

conscience de soi et le respect de l’Autre, avec ses propres pensées, ses propres

sentiments, son corps à lui, de nouvelles capacités, celles de maitriser ses conduites,

mais aussi de s’opposer aux autres, d’éprouver de la haine, de la jalousie. L’enfant est

désormais capable d’avoir une image/représentation de la mère, qui tient alors le rôle de

fonction auxiliaire du moi, et d’être réconforté même en son absence.

Cependant, Patrick Juignet précise dans son ouvrage que « Si cette première

structuration n’a pas lieu correctement, le psychisme va s’organiser sur un mode

psychotique »13. Dans les psychoses symbiotiques, le soi de l’enfant reste fusionné à la

mère qui continue de participer à l’illusion de son omnipotence. Les symptômes de cette

psychose apparaissent alors vers 2 ans après un évènement vécu comme traumatisant.

Apparaissent alors une angoisse massive de mort, d’anéantissement, un effondrement de

soi avec une désorganisation de la personnalité, une perte du langage.

La personnalité peut aussi s’organiser autour d’un fonctionnement autistique.

L’enfant ne parvient pas à utiliser la fonction auxiliaire du moi qu’est la mère. Cela

entraine une difficulté à donner du sens à ce qu’il ressent, ce qu’il perçoit, le soi et le

non soi se confondent, l’enfant se renferme sur lui dans un univers restreint, un lieu figé

qui lui est propre. Il devient alors intolérant au moindre changement qui le sortirait de

son univers inanimé.

1 – 3. B) Personnalité psychotique et troubles de l’identité

Je me suis posée la question de savoir si un psychotique, ou un patient atteint de TED,

était capable, étant donné ce trouble de l’individuation, cette profonde angoisse de

morcellement, cette difficulté à différentier le soi du non soi, de comprendre la subtilité

de langage que représente le vouvoiement, et qui peut poser le doute sur le nombre de

personnes auxquelles on s’adresse en employant le « vous ».

13 JUIGNET, Patrick, Psychisme, 2011 14

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La psychose est définie par psychiatrieinfirmière.com comme étant « une

perturbation de la réalité affective. Elle se traduit par un désinvestissement de la réalité

extérieure et un surinvestissement de soi-même ».14

En effet, dans la psychose, l’angoisse est majeure, envahissante, avec ces impressions

d’éparpillement physique, ces sensations de corps éclaté, de fragmentation du moi. « Il

est généralement admis que, dans la psychose, cette opération (La phase

d’identification) se révèle défectueuse, voir inexistante, ce qui laisse le sujet dans un

climat confusionnel quant aux limites de sa propre identité ». 15

Le patient psychotique n’a pas de sentiment d’identité individuelle, il y’a même

une perte d’identité : Le patient n’a pas conscience que ses pensées n’appartiennent qu’à

lui, que chacun à une pensée propre et différente, qu’il est unique. On retrouve aussi

dans la psychose des symptômes autistiques : Le patient voit en l’autre ce qui est en lui

et vice-versa, son moi est complètement fragmenté.

Il est alors difficile d’entrer en communication avec ces personnes, d’autant plus

que la maladie amène une pauvreté des contacts sociaux et des affects, une inadaptation

sociale, une tendance à l’isolement, au clivage et à la projection, ce qui complique les

relations interpersonnelles.

L’ambivalence, la dissociation, ces angoisses de morcellement,

d’anéantissement massives sont autant d’éléments qui empêchent la personne atteinte de

psychose de manifester son individualité psychique. « Le sujet est en proie à un trouble

profond du sentiment de sa propre identité avec une crainte terrifiante d’une disparition

du moi et d’un retour au néant ».16

1 – 3. C) Psychose et troubles du langage

Selon LARCAN, psychiatre et psychanalyste Français, « La structure psychotique est

déterminée par l’échec du processus de symbolisation 17 . Le langage des sujets

psychotiques témoigne de cet échec de symbolisation car le langage est caractérisé par

le système du signifiant18 »19

14 http://psychiatriinfirmiere.free.fr/definition/psychose/psychose-theorie.htm 15 CRAMER Bertrand, Nouveaux traité de psychiatrie, Chp62 : Les pcyhoses infantiles et les étapes du développement de la séparation et de l’individuation chez Margaret Mahler, Presses unitaires de France, 2004 16 IDEM 17 Désigne la capacité à développer des représentations 18 Désigne la représentation mentale de la forme et de l’aspect matériel d’ 15

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Dans la psychose, les mots sont soumis à un processus inconscient et primaire,

les mots prennent alors un sens spécial, propre au patient, articulé selon sa propre

logique, souvent interprétative.

Bien que ces malades aient un rapport bien spécifique avec les mots et le sens

qu’ils y attribuent, il existe dans la psychose une réelle importance des mots, comme le

prouvent par exemple les écrits compulsifs. On retrouve aussi, surtout dans la psychose

paranoïaque, des interprétations erronées et inébranlables où un mot seul peut être à

l’origine de toute une chaine de pensée, et faire monter le patient en phase aigue de sa

pathologie dans un mode de fonctionnement interprétatif. On le retrouve aussi, et même

davantage, dans les états délirants où le patient est encore plus loin de la réalité et fait

découler d’un mot toute une chaine de mots, de propos délirants, selon sa propre

logique, sans aucune symbolisation. Parfois même un mot n’est pas perçu à l’oral

comme il le devrait. Ainsi « Médecin » peut se rapporter au Docteur mais aussi à « Mes

deux seins ». Le patient, incapable de déduire du contexte le sens du mot, en produit un,

propre à son fonctionnement psychique.

On retrouve aussi dans la pathologie psychotique, une incapacité à saisir les

subtilités de la langue Française, comme par exemple les métaphores ou l’ironie, ou

encore la rhétorique ou la dialectique. Le psychotique ne saisit pas ces subtilités dans la

bouche d’un Autre mais ne peut pas non plus utiliser ces figures de style qui demandent

une personnalité plus construite, une compréhension des mots basée sur le signifiant et

le signifié.

LACAN explique très bien ce phénomène dans un ouvrage qu’il a consacré aux

psychoses : « Le psychotique n’a pas la capacité d’utiliser le langage, la parole ou le

discours en tant que mécanismes de structure signifiante. Pour le psychotique, le

langage fonctionne comme une machinerie. Son rapport au corps échappe à la

médiation du signifiant, et il ne peut bénéficier de la fonction modélatrice de

l’énnonciation. »20

Cela nous ramène au vouvoiement, sans doute l’une des plus grande subtilité de

la langue Française qui se trouve difficile à maitriser, même pour des personnes

Françaises en bonne santé mentale. Raymond MOUGEON, en 2009, a mis en évidence

lors de recherches sur l’appropriation de la compétence sociolinguistique par des

19 Lacan,J, Le séminaire, Les psychoses, p 149 20 Lacan,J, Le séminaire, Les psychoses, p 149 16

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apprenants avancés du Français, que la maitrise de la variation sociolinguistique, et par

conséquent le vouvoiement n’était que modestement maitrisé. En effet, il arrive souvent

que l’on se demande si notre emploi est correct, que l’on se trompe, engendrant selon la

situation une grande gêne. Cela pose une fois encore la question de la compréhension

qu’ont les malades psychotiques du « vous » et de ce à quoi il se réfère.

2 – Exploration de terrain

2 – 1 – Présentation du lieu de stage

J’ai choisi d’effectuer ce stage préprofessionnel au sein de l’unité Biondi du secteur de

Fitz James VI du CHI de Clermont. Il s’agit d’une unité d’admission de moyen séjour

comprenant 22 lits dont 3 chambres seules, et une CSSI.

L’unité comporte 12 infirmiers, 4 aides soignants, 1 médecin chef, 2 psychiatres dont 1

interne, 1 somaticien ainsi qu’1 assistante sociale et 1 psychologue.

Le service assure des soins éducatifs, préventifs, ainsi que curatifs.

L’établissement accueille les patients atteints de toute pathologie psychiatrique évoluant

dans un contexte socio-culturel très varié, il prend en charge toutes les pathologies en

lien avec la santé mentale de secteur V, les patients en rupture de soins, de traitement,

les psychoses, les addictions alcooliques ou toxiques.

L’hospitalisation dans cette unité de psychiatrie constitue une étape dans le parcours de

soins où il est mis en place des stratégies thérapeutiques et où le patient peut avoir

recours à d’autres intervenants : Assistants sociaux, psychologues, médecins spécialisés.

Selon le projet de soin du patient, des prises en charges spécifiques pourront être

indiquées : CMP, hospitalisation de jour, Centre Post Cure, Unité des Sports et Loisirs

etc.

Certains patients atteints de pathologies psychotiques chroniques peuvent aussi se

retrouver hospitalisés à Biondi car il est le seul pavillon du secteur à posséder un

ascenseur. Ainsi, les personnes dépendantes ne pouvant prendre les escaliers peuvent se

retrouver au sein de l’établissement.

Les admissions se font sous différents modes : Les soins psychiatriques libres, Les soins

psychiatriques à la demande d’un tiers, Les soins psychiatriques à la demande d’un

représentant de l’Etat.

17

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2 – 2 – Modalités de réalisation de l’enquête

2 – 2. A) Choix de la population

Le sujet de mon TFE portant sur la psychiatrie, les professionnels interrogés sont

10 soignants exerçant en psychiatrie, 9 au sein du pavillon d’ « entrants » dans lequel

j’ai effectué mon stage, 1 exerçant dans le pavillon de « chroniques » du même secteur.

4 d’entre eux sont titulaires du diplôme d’Infirmier de Secteur Psychiatriques et

ont donc une expérience plus importante dans le domaine de la santé mentale et ont

connu une époque différente où les valeurs et les normes n’étaient pas forcément les

mêmes.

5 des personnes interrogées sont des femmes, les 5 autres sont des hommes. Cela

me semblait important d’avoir l’avis des 2 genres, dans le sens où le sexe peut avoir une

influence sur la façon de conduire une relation de soins.

2 soignants ont entre 21 et 35 ans, 2 ont entre 36 et 49 ans, les 6 autres

professionnels ont plus de 50 ans. Cela me permet de recueillir les opinions de

différentes générations, et une fois encore l’âge est un critère qui peut jouer dans la

relation à l’autre.

2 – 2. B) Choix de l’outil

J’ai choisi de réaliser des entretiens semi-directifs afin de recueillir les

témoignages des soignants. J’ai ainsi pu orienter les réponses des personnes interrogées

autour des différentes questions définies au préalable. Ainsi les réponses apportées sont

plus riches, plus précises, et plus fournies qu’avec un questionnaire, car j’ai pu relancer

et intervenir au cours de l’entretien.

De plus, cela me permettait d’être face aux réactions des soignants, face à mes

questions et d’enrichir davantage mon travail grâce à cela.

2 – 3 – Observations et témoignages

Afin de rendre compte des résultats de mon enquête sur le terrain, j’ai d’abord consigné

les mots clefs dans un tableau afin de faire ressortir les éléments les plus importants

pour la suite de mon analyse. Les résultats de mon enquête seront qualitatifs, plutôt que

quantitatifs, à part quand la pertinence me le suggère.

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2 – 3. A) Les raisons de l’usage du tutoiement

J’ai demandé aux soignants interrogés s’ils tutoyaient certains patients et les raisons

pour lesquelles ils se le permettaient.

2 soignants seulement m’ont affirmé ne tutoyer aucun patient :

- Une jeune infirmière de 26 ans, exerçant en psychiatrie depuis 5 ans : Cette

dernière affirme cependant comprendre tout à fait l’usage du tutoiement en

psychiatrie, mais ne pas le pratiquer pour se protéger. Elle se sent vulnérable par

son âge, son sexe, son manque d’expérience. Elle craint de perdre une crédibilité

qu’elle a mis du temps à acquérir vis à vis des patients, et a peur de leur

renvoyer un mauvais message en les tutoyant. Elle observe cependant que le

tutoiement participe à l’élaboration d’une relation de confiance, et permet de

tisser un lien différent avec les patients, facilitant parfois leur prise en charge.

Elle se permet cependant de les appeler par leur prénom pour tisser ce lien

différent.

- Un jeune aide soignant, travaillant en psychiatrie depuis 1 an et pour qui la

distance thérapeutique est primordiale et passe, entre autre, par le vouvoiement

stricte des patients. C’est, selon lui, une manière de maintenir le cadre.

Tous les autres soignants tutoient quelques patients, ce sont souvent les mêmes patients

qui sont tutoyés par le personnel, à quelques exceptions près.

La chronicité de la pathologie (Psychotique, TED) a été évoquée par tous les

soignants pratiquant le tutoiement. Cette chronicité induit un vécu commun, une

connaissance de longue date, mentionnés par les soignants expérimentés.

Le CHI constituant un lieu de vie, certains patients y étant parfois hospitalisés

plusieurs années, le tutoiement est utilisé pour créer une certaine convivialité pour le

patient, d’autant que certains souffrent de carences affectives, n’ont pas de visites, plus

de famille, ou sont en conflits avec ces derniers. Toutes ces raisons sont abordées, une

infirmière rajoute que l’équipe a parfois un rôle de famille de substitution, étant le seul

lien vital, vers l’extérieur, pour certains patients. Elle évoque un patient qui s’entoure de

mauvaises fréquentations dès qu’il n’est plus hospitalisé. Pour ce dernier l’équipe a

comme rôle de « lui monter le droit chemin », de l’aider à différencier le bien du mal.

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Les hommes ont tous mentionné que le tutoiement aidait à faire passer des

messages, était plus directif et avait plus d’impact dans des situations de violence ou de

mise en danger des patients. Cela permet d’éviter certaines conduites auto ou hétéro

agressives, notamment dans des contextes de patients délirants, difficiles à atteindre.

Les personnes interrogées ont aussi évoqué les difficultés qu’éprouvent certains

patients à différencier les distances socio-relationnelles, à comprendre ce à quoi se

réfère le « vous », de part leur pathologie, leur mode de fonctionnement psychique et

parce que tout le monde n’a pas accès à la compréhension de certaines subtilités du

langage. Le tutoiement permet alors de s’adapter au niveau de compréhension du

patient, qu’il soit déficient intellectuel, atteint d’autisme ou d’une haute forme de

psychose. L’un des infirmiers interrogé me rapporte que le « vous » peut confronter un

psychotique ou un autiste dans son altération du moi.

L’âge et l’expérience ont été évoqués par tous les soignants de plus de 40 ans.

Certains patients ont l’âge de leurs enfants, il est alors naturel pour eux de les tutoyer

comme ils le feraient dans leur vie personnelle avec des jeunes de cet âge. De plus

l’expérience et la connaissance clinique des pathologies, leur permet de mieux jauger

les patients, d’évaluer leur mode de fonctionnement, et donc de déceler si le tutoiement

est adapté. Un infirmier a aussi mis en avant l’importance de la séquence éducative,

notamment chez les patients jeunes, un autre évoque la nécessité du paternalisme pour

la construction de certains patients, toujours jeunes.

Plusieurs soignants m’ont aussi fait part de l’importance de la culture dans le fait

de tutoyer. Certains patients ont une culture qui n’a qu’un seul pronom d’adresse. Un

infirmier m’affirme tutoyer très facilement dans sa vie personnelle, de par sa culture,

son éducation. Ainsi, il est naturel pour lui d’en venir à tutoyer les patients, bien qu’il

fasse attention à ne pas tutoyer tous les patients, notamment ceux dont cela gênerait la

prise en soin.

2 – 3. B) Le tutoiement, un manque de respect ?

Après que je leur aie posé la question, aucun des soignants interrogés ne considère le

tutoiement comme un manque de respect, 4 ont tout de même insisté sur la nécessité de

pouvoir justifier les raisons de son usage pour ne pas tomber dans le manque de respect.

Cependant, aucun soignant ne tutoie les personnes âgées, par respect des aïeux.

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2 infirmiers m’ont affirmé la même chose : On peut tutoyer une personne et avoir un

profond respect pour elle et en vouvoyer une autre tout en la méprisant. Cela fait écho à

une citation de PRAYEZ Pascal que j’avais auparavant découverte en effectuant mes

recherches : « On peut tutoyer, faire semblant qu’on est dans le même bateau alors

qu’on en est loin comme on peut vouvoyer quelqu’un tout en restant proche de la

personne ». A ce titre, un infirmier m’a donné l’exemple d’une cadre qu’il a toujours

vouvoyée pour la mettre à distance parce qu’il ne l’appréciait pas tandis qu’il tutoie

l’actuelle cadre qu’il respecte bien davantage.

2 – 3. C) Les dangers du tutoiement

Lorsque je lui ai demandé quels pouvaient être les dangers du tutoiement dans

une prise en charge psychiatrique, une infirmière évoque le danger d’abolition de la

distance thérapeutique de renvoyer un mauvais message au patient, celui de « copains-

copains », la crainte de perdre le contrôle, de ne plus être crédible aux yeux des patients.

Une autre infirmière aborde la difficulté de cadrer certains patients après les

avoir tutoyer.

Un jeune soignant me fait part d’une expérience néfaste qu’il a vécue dans un

autre pavillon que celui ci : Il s’est mis à tutoyer une patiente, par affinité mais a finit

par perdre le contrôle de la relation soignant-soigné, avec une abolition totale de la

distance thérapeutique. Voyant le soignant comme un ami, la patiente ne le respectait

plus, et il n’avait pas d’incidence sur elle lors des situations d’agitation.

Tous s’entendent pour être particulièrement vigilents avec les personnes

suivantes :

- Les patients étant dans la manipulation, le charme, tels que les pervers, les

maniaco-dépressifs, les toxicomanes non sevrés, prêts à tout pour obtenir ce qu’ils

veulent.

- Les psychopathes/sociopathes qui manquent d’empathie et d’altruisme, et cherchent

à nuire

- Les patients paranoïaques, fonctionnant de façon interprétative, ou ayant tendance à

se sentir persécutés

- Les patients trop dans la familiarité, le « copinage » dès le début de la relation, il

s’agit alors de les recadrer, de rappeler les règles de respect et de l’institution.

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Trois des hommes interrogés m’ont aussi fait part de leur méfiance vis à vis des

femmes, avec l’expérience, qui peuvent avoir tendance à charmer, à faire des

propositions mal placées. Ainsi, ils se protègent en évitant de tutoyer les femmes, pour

des raisons juridiques aussi, de fausses accusations ou des interprétations erronées

pouvant conduire à un délire érotomane pouvant aller jusqu’à la plainte.

2 – 3. D) Et l’avis du patient dans tout ça ?

J’ai demandé aux professionnels interrogés si le passage du « vous » au « tu » se

faisait à la demande du patient. Il est ressorti de leur réponse que cela pouvait être le cas

mais que souvent cela se passait de façon implicite, comme cela arrive dans la vie de

tous les jours.

2 – 3. E) Les patients à qui l’on dit « tu »

Mr L. est un patient psychotique dysthimique d’une cinquantaine d’années,

connu du CHI depuis 1992, où il est régulièrement hospitalisé. Il n’a pas de famille,

aucun contact à l’extérieur. Il a été suivi de longues années au CMP, notamment par

une des infirmières interrogées. Celle ci connaît Mr L et le suit depuis 20 ans, ce

dernier se montre très protecteur avec elle lorsqu’il la sent agressée, il se montre aussi

protecteur avec les autres soignants et les patients vulnérables, le soir quand il est bien,

il arrive souvent qu’il lave les tables. Le pavillon, c’est un lieu de vie pour lui,

rassurant, cadrant, protecteur, même si parfois il aimerait mieux « se casser d’ici ».

Mme M est une patiente psychotique, connue aussi depuis plusieurs années par

l’équipe qui la connaît bien. Ils l’ont vue dans des périodes très difficiles, ont du la

contentionner, l’isoler souvent lors de violentes décompensations. Stabilisée, c’est une

femme pleine de vie, généreuse, qui aime partager, cuisiner, chanter. En phase aigue

de sa pathologie, et de façon compulsive, Mme L est omniprésente dans la journée des

soignants, cherchant à participer activement à la vie du pavillon en aidant dans tous les

domaines, elle s’occupe des patients les plus dépendants ; et cherche toujours à

entamer une conversation avec les soignants auprès desquels elle a de multiples

demandes. Elle partage beaucoup avec l’équipe, notamment sa culture, les soignants

connaissent sa fille, très présente pour elle. Lorsqu’elle est à son domicile, elle revient

même sur le pavillon, apporter de la nourriture, des vêtements pour les soignants, ou

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les patients. Biondi, c’est un lieu de vie pour elle aussi, c’est là qu’elle vient quand elle

ne se sent pas bien, qu’elle a besoin de soutien, de cadre, de réassurance.

Mr R, 36 ans, est une personne schizophrène hospitalisée depuis 2 ans suite à un

délire en milieu carcéral où il a séjourné 12 ans. Il souffre d’une dissociation grave de

la personnalité, et n’est pas facile d’accès mais est très courtois. Il a une certaine

réticence, une froideur, il porte un lacet autour de la tête pour « ne pas laisser échapper

ses pensées ».

Mr C, 28 ans, est en SPDRE depuis 6 ans. Il souffre d’un trouble grave de la

personnalité, avec conduites addictives. Sa famille est présente pour lui mais il rentre

régulièrement en conflit avec elle. C’est tout de même une personne agréable, qui

respecte actuellement le cadre de l’hospitalisation et qui a déjà su demander à être ré-

hospitalisé car il n’arrivait pas à gérer correctement sa vie à l’extérieur.

L’hospitalisation a un rôle contenant pour lui, et protecteur.

Mr B, 35 ans est un patient atteint de psychose lui aussi, connu du CHI depuis

2005. Il souffre aussi d’un déficit sur le plan intellectuel, et a un vécu très difficile et

traumatique, abandonné à la naissance par sa mère, il a vécu 10 ans au Congo où il a

connu l’horreur des massacres et de la guerre. Il est ensuite retourné en France mais

ses tentatives d’insertion se sont toujours soldées par des échecs. Thierry n’a plus de

famille, aucun contact vers l’extérieur si ce n’est de mauvaises fréquentations qui

finissent toujours par lui faire réintégrer le pavillon. L’équipe partage des combats, des

victoires communes avec ce patient dont l’extrême souffrance est très perceptible.

Mme L, femme atteinte de trisomie 21, a été hospitalisée en psy en phase aigue

de sa pathologie. Elle présente des troubles importants de la communication verbale,

une difficulté dans la relation à l’Autre, la présence de conduites ritualisées et une

tendance à l’automutilation.

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ANALYSE DES DONNEES

1 – Analyse des données recueillies

1 – 1. Comment le tutoiement peut favoriser certaines prises en soin

1 – 1. A) Quand les mots se font maux

La structure psychique d’un psychotique est déterminée par l’échec du processus

de symbolisation. Or, le langage se base sur ce processus, c’est ce qui donne du sens à

nos discours et nous permet de communiquer, de comprendre et de se faire comprendre.

C’est le manquement de ce processus qui confère une bizarrerie aux discours des

personnes psychotiques. En l’absence de signifiant, les mots prennent un tout autre sens

pour eux, ce qui entraine un discours décousu, et en apparence dénué de logiques. En

réalité, les psychotiques ont un rapport particulier avec les mots, auxquels ils attribuent

un sens spécial, articulé selon leur propre logique. On peut retrouver dans le discours de

ces personnes malades des associations libres, des néologismes, des passages du coq à

l’âne, des interprétations erronées.

Ces altérations du langage rendent inaccessible aux psychotiques les

compétences sociolinguistiques qui leur permettraient d’accéder aux concepts les plus

subtils de la langue Française, comme la rhétorique, la dialectique, la compréhension du

second degré, et par conséquent la distinction entre le « vous » et le « tu ». Il s’agit

d’une norme difficile à appliquer, nous même avons parfois du mal à savoir quel

pronom d’adresse utiliser selon le contexte. De plus, il est difficile pour un psychotique

de distinguer les différentes distances socio relationnelles. Avec tous ces éléments, il

semble évident que certains psychotiques, d’après leur fonctionnement psychique, leur

désinvestissement de la réalité, aient du mal à saisir les nuances qui opposent le

tutoiement au vouvoiement. Cependant, il ne s’agit pas de faire une généralité de cette

affirmation, certains malades sont capables d’utiliser les formes les plus simples du

vouvoiement.

Il est important de préciser que le vouvoiement correspond davantage à une

formalité, une règle de courtoisie, reflet de nos normes sociales, qu’à une règle stricte et

obligatoire. Il y a alors peu d’intérêt à obliger un patient à vouvoyer un soignant, à

continuer à le vouvoyer si cela entrave sa compréhension, d’autant que la personne

24

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psychotique souffre déjà suffisamment de son inadaptation. L’importance de la

communication, c’est la compréhension. La souffrance et la difficulté relationnelle sont

le quotidien de ces personnes psychotiques, y rajouter une difficulté supplémentaire irait

à l’encontre du principe de bientraitance qui dicte nos actes de soignants. Il s’agit alors

de s’adapter au patient, dans une démarche des plus respectueuse, allant dans le sens du

prendre soin.

Ces altérations du langage confèrent aux mots une importance primordiale pour

le patient qui est comme hanté par eux, notamment lors des états délirants aigus, où le

malade est alors complètement habité par des voix auto générées qui envahissent

totalement son psychisme. Dans ces moments d’angoisse extrême, qui peuvent parfois

s’accompagner d’auto/hétéro-agressivité, entrer en contact avec le patient relève du

défi, les mots, les voix se mêlent, provoquant un désinvestissement de la réalité encore

plus important. Il est alors plus facile d’accéder à la personne en la tutoyant. Le « tu »,

qui vient d’ailleurs naturellement dans les situations d’urgence, abolit une barrière à la

communication, percute davantage, et permet un contact plus immédiat. Cela se vérifie

aussi lorsque l’on veut éviter une conduite dangereuse, un passage à l’acte violent sur

autrui, ou pour empêcher un passage à l’acte suicidaire.

On observe des patients dont le sentiment d’identité individuelle est inexistant,

la réalisation du moi incomplète. Cela s’observe dans les troubles envahissants du

développement, mais aussi dans la psychose : L’absence d’individuation entraine une

difficulté à définir ce que la personne ressent et perçoit, le soi et le non soi se

confondent, ce qui entraine le malade à un repli complet sur soi, dans un univers qui lui

est propre.

Durant mon stage, j’ai rencontré Séverine, patiente atteinte de Trisomie 21 pour

qui la communication était très difficile et parasitée par des conduites ritualisées qui

entravaient nos tentatives de communication. Je n’avais jamais eu de patients porteurs

de trisomie durant mes précédents stage, et prendre soin de cette patiente m’a demandé

beaucoup de temps et de patiente, ainsi qu’un réajustement permanent de mon

approche, car il est très difficile d’entrer en communication avec elle, de la détourner de

l’univers dans lequel elle est enfermée, et ensuite de maintenir son attention et d’obtenir

sa confiance afin qu’elle accepte de nous laisser prendre soin d’elle. J’ai cependant pu

observer que je parvenais mieux à entrer en contact avec elle en utilisant le « tu »,

25

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pronom qu’elle a d’ailleurs toujours utilisé à mon encontre, son déficit intellectuel ne lui

permettant pas de distinguer les différentes distances socio-relationnelles, et encore

moins la distinction entre « tu » et « vous ».

Chez les psychotiques, on retrouve aussi une angoisse de morcellement, une

impression de corps éclaté, éparpillé. Chercher à vouvoyer un patient envahi par cette

angoisse risquerait de le conforter dans son altération du moi. En effet, lorsque l’on ne

maitrise pas les nuances des 2 pronoms d’adresse, le doute peut se poser quant à

l’utilisation du « vous » : S’adresse t-il à moi ou à plusieurs personnes. Alors, vouvoyer

un patient à l’identité si fragile, représenterait une entrave à la communication, une

barrière qui empêcherait finalement le prendre soin de la personne.

1 – 1. B) Quand l’hôpital devient le domicile

Il ne faut pas oublier que pour beaucoup, l’hôpital n’est pas seulement un lieu de

soin, mais aussi un lieu de vie. Certains patients sont hospitalisés depuis plusieurs

années dans le même pavillon, ou y font des séjours réguliers, plus ou moins longs.

Même si les services de psychiatrie sont un lieu où certains séjournent sous contrainte,

il représente aussi, pour des patients chroniques, une structure rassurante, cadrante et

protectrice, ou ils sont entourés de soignants qu’ils finissent par connaître, et qui les

connaissent eux, avec leur pathologie, leur mode de fonctionnement et qui sont là pour

les aider, les accompagner, les écouter tout en s’adaptant du mieux possible face à leurs

difficultés.

J’ai moi même été frappée lors de mon premier stage de la façon dont on pénètre

dans l’intimité des patients en psychiatrie, plus que dans les autres services, avec une

impression d’omniprésence. Les soignants participent à tous les actes de la vie

quotidienne des patients, du lever au coucher, lors des repas, de la toilette. Les soignants

connaissent tous les aspects des personnes qu’ils soignent : Il les ont vues délirantes,

violentes, vulnérables, dans leurs défaites ou leurs victoires face à la maladie. Ils ont

une connaissance importante du vécu des patients: Leur histoire, Leur enfance, Leurs

rapports avec leurs familles, les évènements marquants de leur vie, les faits les plus

privés et les plus traumatiques qu’ils ont confié en entretien avec le psychiatre ou lors

de confidences, de façon moins formelle.

Certains patients ressentent d’eux même le besoin de se faire hospitaliser,

lorsqu’ils ont peur de rechuter, lorsqu’ils n’arrivent plus à gérer leur quotidien à

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l’extérieur, lorsque l’angoisse se fait trop forte, ils ressentent les effets thérapeutiques

du cadre institutionnels sur eux. De plus, la relation à l’Autre est plus simple dans le

pavillon : Les autres patients ont les mêmes troubles qu’eux, ce qui favorise la

communication, et les autres patients (sevrage alcoolique, dépression…) ont conscience

d’être confrontés à des personnes psychiquement malades et acceptent mieux leurs

bizarreries, les soignants acceptent sans mal leur discordance, leur inadaptation, leur

souffrance et leurs manifestations, qui peuvent parfois se révéler gênantes à l’extérieur

face à des personnes incompréhensives qui leur renvoient des affects négatifs.

Tous ces éléments démontrent qu’un pavillon peut être, plus qu’un lieu de soins

et de contraintes, un lieu de vie où les patients ont un vécu commun avec les soignants

qui représentent le seul lien sein pour certains patients, le seul lien vers l’extérieur.

Certains patients sont complètement coupés de la réalité extérieure à l’Hôpital, et

n’entretiennent aucune relation interpersonnelle si ce n’est les relations, souvent

superficielles, avec les autres patients. Cela entraine une carence affective ainsi que le

sentiment de n’exister pour personne, ce qui ne participe pas à la conscience de sa

propre identité.

Il paraît alors difficile de maintenir le vouvoiement dans un contexte tel, afin de

conférer une certaine convivialité au séjour de ces personnes, de les considérer, de les

assurer du lien spécial qui unit un soignant et un patient luttant ensemble contre la

maladie afin d’obtenir une alliance solide, une relation de parfaite confiance.

1 – 1. C) Quand les mots rendent paranos

Parfois, ce ne sont ni les troubles du langage ni les capacités intellectuelles qui

rendent la communication difficile, mais la méfiance.

Nombre de patients, par leur vécu difficile, les difficultés rencontrées dans leurs

relations interpersonnels, ont du mal à faire confiance, à s’ouvrir à l’Autre, et par

conséquent à se laisser soigner, puisqu’en psychiatrie, le soin c’est la communication.

De plus, certains patients sont hospitalisés contre leur gré, dans un lieu contraignant, et

où les soignants peuvent parfois apparaîtrent comme des bourreaux, avec leurs clés pour

enfermer, leurs contentions et leurs injections parfois musclées. Or il est de notre ressort

de pousser ces personnes à entrer en relation avec nous, dans un but thérapeutique, de

tout faire pour obtenir leur confiance afin de s’allier contre la maladie. En effet, je me

répète mais les pathologies mentales sont à l’origine de beaucoup de souffrances. Notre

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rôle est de trouver du sens à cette souffrance, d’en limiter les manifestations et de la

rendre supportable. Mais parfois on peut se heurter à un mur, la confiance se gagne plus

ou moins facilement, au bout de plus ou moins de temps. Tutoyer alors en patient peut

constituer un gage de confiance de la part du soignant grâce à un effet de contre

transfert. De plus, ce mode de communication plus convivial, intimiste a davantage le

ton informel des confidences et de la confiance mutuelle, cela met le patient sur un pied

d’égalité et lui assure notre considération.

Le tutoiement peut aussi servir pour réconforter, apaiser ou rassurer un patient.

Le « tu » est moins formel, plus doux et encore une fois plus impactant que le « vous ».

Ainsi, l’affect est atteint plus facilement, l’empathie est plus perceptible.

Je conclurais cette partie par cette citation d’Armelle Rivalain : « C’est au

soignant (…) de trouver les clés des verrous : Trouver la porte d’entrée de la

souffrance et accéder ainsi à la compréhension commune, pour construire ou

reconstruire. La rencontre avec le patient est ainsi primordiale et la recherche de sa

confiance, fondamentale »21. Ici l’auteur rappelle bien le but de cette juste distance

thérapeutique : La communication, l’alliance, et la confiance à tout prix. Le soignant

doit toujours chercher à entrer en relation avec son patient, et cela passe par

l’adaptation. Le vouvoiement, comme dans la vie civile (en dehors du contexte de soin)

n’est pas une chose immuable, cela peut changer comme les relations évoluent. Tutoyer

n’est pas un manque de respect, si le patient ne le considère pas comme tel, tant qu’on

est capable de justifier cette pratique, de la remettre en question, et d’être en accord

avec ses principes. Le vouvoiement n’est rien d’autre qu’une formule de politesse, il

n’est qu’apparence, le respect, l’empathie et l’altruisme se situent dans l’éthique, la

manière de penser le soin, de considérer l’autre.

1 – 2. Influence néfaste du tutoiement sur certaines prises en soin

1 – 2. A) Quand le « tu » manque de respect

Le « vous », garant de la distance thérapeutique, protège le soignant comme le patient :

Il garantit respect, égalité et distance professionnelle à la relation soignant soigné.

21 RIVALAIN, Armelle, La relation soignant-soigné en psychiatrie, Soins, n°773, mars 2013, p41-43 28

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Aucun texte de loi ne règlemente l’obligation de vouvoyer, cependant, on peut retirer

certains principes de quelques textes règlementaires : La loi n°2002-303 du 4 mars 2002

relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé énonce que « la

personne malade a droit au respect de sa dignité », la circulaire du 2 mars 2006 relative

aux droits des personnes hospitalisées stipule que « La personne hospitalisée est traitée

avec égard ». Cela permet de respecter quelques principes.

J’en suis arrivé à la conclusion plus haut que le tutoiement ne constituait pas un

manque de respect. Cependant, comme plusieurs soignants l’ont précisé, on doit être

capable de se justifier quant à l’usage du tutoiement. Je pense en effet que c’est

primordial si l’on veut rester dans le respect et la bientraitance. En EHPAD, une aide

soignante m’avait dit tutoyer une patiente « parce qu’elle est vieille et ne comprend rien,

elle s’en fiche », dans ce cas, le tutoiement constitue en effet un irrespect total, un rejet

de l’intégrité du patient, loin de la bientraitance. Savoir justifier, c’est être en accord

avec ses valeurs morales, et être capable de prendre du recul et de réajuster ses

pratiques pour les améliorer.

Le tutoiement peut aussi servir à marquer la supériorité, comme le maitre

d’école tutoyait ses élèves pour marquer son autorité. La relation soignant soigné repose

sur une asymétrie : Le patient est en état de dépendance et le soignant est tout puissant,

surtout en psychiatrie. Il faut alors faire attention à ne pas utiliser le tutoiement dans un

but condescendant, infantilisant, afin de faire la morale, de rabaisser. Il s’agirait alors de

maltraitance et cela irait à l’encontre du principe de soin.

1 – 2. B) Quand la barrière est franchie

Si le vouvoiement permet de délimiter le cadre de la relation soignant soigné, c’est qu’il

est primordial que le soignant comme le patient soient bien conscients de la barrière qui

les sépare et de leurs « rôles » respectifs. Rompre cette barrière modifie totalement le

rapport de l’un à l’autre.

Le tutoiement, à mauvais escient, peut faire passer le soignant « de l’autre coté

de la barrière », en glissant insidieusement vers une relation de pseudo-camaraderie

avec le patient. Cela peut témoigner d’un refus d’entendre la souffrance du patient, on

n’est alors plus dans la relation de soin. Mais cela créé surtout une ambiguïté quant au

rôle de chacun, la relation soignant soigné ne doit pas être d’ordre amical. Il est alors

difficile de conserver sa crédibilité de soignant, de maintenir le cadre, de légitimer ses

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actes lorsque le patient considère l’infirmier comme un copain. L’un des soignants

interrogé m’a fait part d’une expérience de distance thérapeutique abolie avec une

patiente qu’il tutoyait ; celle ci n’a plus vu le soignant comme la personne qui prenait

soin d’elle de façon professionnel, mais comme un proche. Après cela, il est difficile de

maintenir un cadre, de négocier, de faire respecter les consignes médicales, les règles

institutionnelles.

De plus, il est difficile de comprendre, pour un patient qui vous considère

comme un pair, la mise en isolement ou la contention qui est alors vécue comme un

drame, une trahison, le soignant qui tutoie n’a alors plus aucune autorité, aucun poids

sur le patient qui ne le respecte plus. La prise en soin est donc limitée, et il est difficile

de faire marche arrière, de se remettre à vouvoyer un patient pour maintenir la distance,

et de revenir vers lui pour recadrer la situation. Cette ambivalence soignante n’a rien de

bienveillant et risque davantage d’aller à l’encontre d’un mieux pour l’état clinique du

patient.

1 – 2. C) Quand le « tu » persécute

Le tutoiement peut parfois mettre le soignant dans le rôle du persécuteur.

Je parlais plus haut de la mise en isolement et de la contention d’un patient par

un soignant « amicale ». En plus de ne pas respecter ce soignant, le patient risque de

l’intégrer dans son délire de persécution, le soignant en question sera alors l’élément

déclencheur d’une série d’affects négatifs qui contribueront à la souffrance du patient et

empêcheront sa stabilisation.

Le « tu » est aussi assez souvent le pronom utilisé, à la forme impérative, par la

voix intérieure des patients délirants souffrant d’hallucinations acoustico-verbales. Ces

hallucinations ont des objets diverss et variés mais il arrive souvent qu’elles persécutent

le patient, l’insultent ou lui ordonnent de faire des choses qu’il n’a pas envie de faire.

Ces patients ayant un rapport singulier au langage, le danger du tutoiement serait alors

d’amplifier le délire, de fournir de la substance aux éléments délirants, voire de

s’intégrer dans le délire du patient, de devenir encore une fois persécuteur. Difficile

alors de trouver un sens, une signification à ce délire afin de soulager la souffrance du

patient halluciné.

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Le tutoiement est donc à prendre avec précaution, car il peut rapidement mettre à

mal la distance thérapeutique, et interférer de façon néfaste avec la prise en soin du

patient, parfois même en éjecter le soignant tutoyant. La relation au patient doit être

pensée, autocritiquée afin d’éviter de tomber dans l’irrespect, la pseudo camaraderie ou

la persécution.

1 – 3. Quand le « vous » s’impose … Ou non.

Un soignant m’a confié qu’un cadre lui a déjà demandé de cesser de tutoyer les patients,

et de se mettre à les vouvoyer tous. Lui n’a rien dit mais n’a pas pu changer sa façon de

faire. S’il n’est pas facile parfois de passer du « tu » au « vous », le contraire semble

encore plus compliqué, et manquerait cruellement de sens aux yeux des patients … De

plus, pour le soignant, c’est comme si on lui avait demandé de changer ce qu’il était.

Les relations interpersonnelles sont propres à chacun, bien qu’il faille, dans toute

situation, respecter l’autre. Il en est de même pour la relation de soin, elle est différente

d’un soignant à l’autre mais se doit de respecter quelques principes de base : Le respect

de la personne soignée, de son intimité, de son intégrité, de ses choix… Tous ces

principes apparaissent dans les textes qui règlementent l’exercice de notre profession, et

même dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Cependant, aucun texte ne codifie l’usage d’un pronom d’adresse plutôt qu’un autre que

ce soit dans le domaine du soin, ou en général.

Chaque professionnel est alors libre de mener ses relations de soin comme il le

souhaite tant qu’il respecte ses grands principes humains. Une relation n’est pas

uniquement définie par l’usage ou non du tutoiement, la distance thérapeutique ne se

mesure pas à un « tu » ou un « vous ». Nombre d’autres paramètres entrent en compte

lorsqu’il s’agit de définir une relation, mais surtout, elle est propre à chacun, dépend de

la personnalité, de la sensibilité de la personne, de sa culture, son éducation, ses valeurs,

ses représentations, son expérience. L’humain est un être intelligent doté d’une grande

sensibilité, il irait à l’encontre du caractère humain de vouloir imposer un langage plutôt

qu’un autre.

Pour tous les soignants interrogés, la décision de tutoyer un patient ne se prend

pas en équipe, c’est une décision personnelle. Tous les soignants n’entretiennent pas la

même relation avec tous les patients, cela passe mieux avec certains que d’autres selon

ce que l’autre nous renvoie, ce que l’on revoie à l’autre.

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Le langage nous est propre, il n’appartient qu’à nous, il paraît alors périlleux

d’imposer à quelqu’un une façon de s’exprimer, que ce soit dans la vie professionnelle

ou personnelle. Bien que la communication soit un soin, cela n’est pas une science

exacte, cela ne s’apprend pas dans les livres, c’est la relation à l’autre qui nous apprend

comment cela marche. Les soignants se doivent de rester professionnels, de limiter leurs

affects mais ils restent humains, singuliers et sensibles, tout le monde à un rapport

différent à l’autre, c’est d’ailleurs ce qui fait la force d’une équipe.

« La codification de cette relation si particulière qui unit un soignant et ses

patients irait à l’encontre du caractère humain, de l’individualité des personnes et des

rapports humains. »22

2 – Constatation des écarts obtenus

Suite aux recherches et à l’enquête effectuées pour répondre à ma question de départ,

j’ai pu mesurer l’écart entre les réponses auxquelles je m’attendais et celles fournies par

l’analyse de mon travail.

L’envie de travailler sur le tutoiement m’est venue lors de mon premier stage en

psychiatrie. Comme je le disais, les soignants tutoyaient beaucoup de patients, qu’ils les

connaissent depuis plusieurs années ou qu’ils ne soient hospitalisés que depuis quelques

semaines. C’est ce qui m’avait amenée à me questionner. Lors de mon enquête sur le

terrain à Biondi, j’ai pu constater que les soignants tutoyaient beaucoup moins qu’à mon

précédent stage. L’équipe n’est pas la même, lors de mon ancien stage, les soignants

étaient de jeunes diplômées avec une expérience limitée en psychiatrie, j’ai découvert à

Biondi des soignants plus expérimentés avec une meilleure connaissance clinique des

pathologies psychiatriques.

Je ne m’attendais pas non plus à ce que l’âge du soignant et son expérience en

santé mentale soient des critères déterminants dans le tutoiement. Je constate

maintenant à quel point ce point est important. L’âge constitue une barrière naturelle

dans la relation au patient jeune, ce qui explique la proportion de soignants qui tutoie les

patients ayant l’âge de leurs enfants, et l’expérience amène une connaissance clinique

plus précise qui permet de cerner plus rapidement et sans erreur, le mode de

fonctionnement des patients afin de s’y adapter.

22 Comité d’éthique de l’hopital Esquirol, Avis n°3, Avril 2010 32

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Je pensais aussi pouvoir amener une notion de collégialité dans la prise de

décision du tutoiement d’un patient. Je me suis rendue compte, par mes lectures et les

entretiens professionnels, que cela irait à l’encontre même de la nature singulière de la

relation soignant soigné, aucun des professionnels interrogés n’a jugé cette proposition

applicable.

En commençant les recherches pour ce travail, je pensais chercher à codifier

l’usage du tutoiement dans la relation soignant soigné, mais au même titre que la

collégialité, cela n’est pas envisageable, la relation qui unit deux êtres ne peut être

codifiée si elle se veut authentique.

3 – De la question de départ à la problématique

3 – 1. Elaboration de la problématique

Ma question de départ était la suivante : En quoi le tutoiement influe t-il sur la

distance thérapeutique dans la prise en soin d’un patient porteur de troubles

psychiatriques ? Je cherchais alors à codifier l’usage du « tu » et du « vous » dans la

relation soignant/soigné, à savoir si le tutoiement était une bonne ou une mauvaise

pratique, et surtout si il influait sûr la distance thérapeutique. J’ai alors cherché à définir

la distance thérapeutique afin de déterminer si le tutoiement avait sa place dans la

relation de soin et de quelle façon il l’affecte, puis j’ai cherché à déterminer les

différents usages du tutoiement pour voir s’ils s’appliquaient au contexte de la prise en

soin, j’ai défini les difficultés que pouvaient rencontrer les patients face à cette relation,

à la communication, au langage, toujours dans le but de savoir si le tutoiement pouvait

se justifier dans la relation au patient. Mais je me suis aperçue au cours de mon analyse

qu’on ne pouvait codifier des capacités relationnelles, ni imposer un certain type de

langage, et que le tutoiement pouvait être aussi facilitant que néfaste selon l’usage qu’il

en est fait, mais surtout que son usage ou non est propre à chacun, à condition d’être

dans le prendre soin, le respect. J’ai aussi pu constater que le tutoiement seul influe

rarement sur la distance thérapeutique, qui découle d’un ensemble d’éléments, le port de

la blouse, la posture, la proxémie, l’empathie, le ton, le regard, la position, le degré

d’attention porté, la mesure du temps passé avec la personne, la façon d’aller vers

l’autre, d’appréhender ses demandes, de gérer ses problèmes, de recadrer, de considérer

l’autre.

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A partir de ces écarts j’ai pu élaborer ma problématique : Quels sont les

éléments à prendre en compte avant de tutoyer un patient afin de favoriser sa prise

en soin dans le contexte d’une relation soignant/soigné singulière ?

3 – 2. Hypothèses

A partir de cette problématique et des recherches effectuées dans le cadre de ce

travail, j‘ai pu dégager deux hypothèses :

- Un grand nombre de critères détermine cette relation au malade et sont à prendre

en compte avant de passer au tutoiement ; L’âge, du soignant, du patient,

l’expérience du soignant en psychiatrie, sa connaissance des pathologies, des

comportements, sa capacité à comprendre le fonctionnement psychique des

patients, leur rapport à l’Autre, sans oublier la personnalité du soignant comme

du patient, leur singularité, leur rapport au « tu », à l’autre, leurs valeurs.

- Le passage du « vous » au « tu » se justifie à condition d’avoir une certaine

expérience en psychiatrie, et dans le domaine de la communication avec des

personnes malades psychiquement, d’être sur du professionnel que l’on est,

d’avoir clairement conscience de sa position, et donc de savoir maintenir un

cadre, se faire respecter.

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CONCLUSION

Pour conclure, ce Mémoire de Fin d’Etude a fait l’objet d’un travail passionnant

sur la relation au malade, la communication, les pathologies psychiatriques, qui m’a

permis de m’enrichir. En effet, curieuse d’approfondir ce sujet, j’ai effectué beaucoup

de recherches qui m’ont permis d’accroître mes connaissances et de me questionner sur

un sujet qui me passionne. Cela m’a fait changer d’opinion et a lever le voile sur

beaucoup de questions que je me posais.

« Par convention sociale, le vouvoiement est souvent associé aux relations

professionnelles. Il apparaît donc logique de l’utiliser dans la relation de soin »23. Ce

point marqué par PRAYEZ Pascal démontre que le vouvoiement et le tutoiement

correspondent à une notion de courtoisie, d’usage, qui dictent les règles de bonnes

conduites et reflètent les normes de notre société. Dans la relation thérapeutique, le

vouvoiement participe à garantir la distance professionnelle, qui permet de maintenir le

cadre nécessaire à la prise en soin du patient, d’assurer la respect et la crédibilité du

soignant, et d’assurer au patient respect et égalité.

Le vouvoiement constitue donc la règle de base dans la relation au malade. Mais

la relation à l’autre n’est pas immuable, elle est amenée à changer, selon l’évolution

clinique du malade, la temporalité de sa prise en soin, la personnalité irréductible du

soignant comme du patient. Le vouvoiement non plus n’est pas immuable, dans la vie

civile, on passe du « vous » au « tu » dans nos relations privées, il est alors

compréhensible que cette opération puisse être amenée à se produire aussi dans un

contexte de soins, à condition que cette exception soit le fruit d’un choix réfléchi et

justifié.

Il est généralement admis que les infirmiers doivent maitriser leurs émotions et

ne pas se perdre dans leurs affects, mais nous sommes humains, dotés de sensibilité,

forts de notre singularité, de notre propre façon de penser, de communiquer. Cela doit

être pris en compte dans la relation au malade, qui ne peut être codifiée, règlementée

sans aller à l’encontre d’une relation sincère et authentique. Un infirmier n’est pas une

machine à dispenser des soins mais bien un être à part entière. Aussi, l’éducation reçue,

la culture, la personnalité, la sensibilité du professionnel, interviennent forcément dans

sa relation au malade, et donc dans sa façon de communiquer. De plus le contexte de la

23 PRAYEZ, Pascal, Julie ou l’aventure de la juste distance thérapeutique, une soignante en formation, Broché, 2009, p 115 -119 35

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psychiatrie est particulier : Le patient est atteint dans son fonctionnement psychique, il

convient alors de s’adapter à lui, à sa façon de nous percevoir, et de percevoir la parole.

De plus, en prenant en soin ces personnes en souffrance, nous accédons à leur plus

profonde intimité, physique ou mentale, avons connaissance de leur vécu souvent

compliqué, nous les accompagnons dans tous les actes de la vie quotidienne, civile,

sociale, parfois même juridique. La temporalité de la prise en charge intervient

également dans cette relation, certains patients sont connus par les soignants depuis 20,

30 ans, et parfois soignant et patient se sont ligués ensemble contre la maladie, on

atteint des victoires communes. Tous ces éléments créent une spécificité à cette relation

thérapeutique, et cela peut parfois justifier le tutoiement.

Cette notion de justification est à garder en tête, c’est elle qui garantit le bien

fondée de l’usage du tutoiement afin de ne pas altérer la relation thérapeutique. En tant

que professionnels il est de notre devoir de justifier nos pratiques et de les remettre en

question. Car effectivement, tutoyer peut être dangereux, son mésusage peut détériorer

les rapports du patient avec l’équipe, ou intercéder avec sa prise en soin, mettant alors

en péril sa guérison, ou tout du moins l’atténuation de sa souffrance. On risque de

tomber dans l’irrespect en tutoyant si l’on ne se questionne pas sur sa pratique, ou de

perdre sa légitimité de soignant et le respect du patient en instaurant une relation de

pseudo camaraderie qui peut engendrer une perte du contrôle de la relation et de la prise

en soin. Comme on ne tutoie pas tout le monde, on ne peut pas tutoyer tous les patients,

certains ont un mode de fonctionnement psychique manipulateur, pervers, paranoïaque,

charmeur qui impose de maintenir une distance accrue afin de ne pas les laisser prendre

le contrôle de la relation et perdre le cadre institué.

La relation à l’autre, la distance thérapeutique vont bien au delà du « vous » ou

du « tu », un nombre incalculable de critère définissent la relation à l’autre, et donc au

patient. Michel Geoffroy affirme qu’ « Il faut bien d’autres conditions que la simple

simultanéité d’existence de deux êtres vivants pour que ce croisement devienne relation,

et d’autres conditions encore pour que cela devienne rencontre. » Car le plus important

dans la relation de soin, c’est l’alliance, la confiance, la rencontre de l’autre pour tendre

ensemble vers un même but thérapeutique. L’infirmier en psychiatrie est un outil de

soin à part entière, il se doit alors de développer toutes les stratégies possibles pour

créer cette relation si particulière qui l’unit au patient, même si cela implique parfois de

laisser tomber quelques barrières, comme le « vouvoiement ».

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Ce travail de recherche passionnant m’a permis de me questionner sur ma

pratique en tant que future infirmière en psychiatrie. Et bien que je ne considère

absolument pas le tutoiement comme néfaste, une fois encore si la pratique est justifiée

et réfléchie, les différents témoignages recueillis ont mis en avant l’importance que joue

l’expérience dans cette légitimité à tutoyer. Il faut pour se permettre cela, avoir une

connaissance approfondie en psychopathologie clinique, percevoir le mode de

fonctionnement des patients, les barrières à la communication, être sûr de soi. La

crédibilité et le respect se gagnent avec le temps et l’expérience, de même que le

maintien d’un cadre face à des adultes malades n’est pas chose aisée, surtout lorsque

l’on est jeune.

Je ne pense donc pas que je tutoierai les patients en tant que jeune diplômée, j’ai encore

du mal à asseoir ma position de soignante vis à vis d’eux et manque de confiance en

moi et de connaissances cliniques pour pouvoir apprécier le bien-fondé ou non du « tu »

dans mes prises en soin.

Mais j’ai acquis grâce à ce travail des connaissances nouvelles que je pourrai exploiter

sur le terrain, afin d’adapter ma relation aux malades pour tendre vers la distance

thérapeutique la plus juste.

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« L’essentiel dans la relation soignant-soigné

est de tendre ensemble vers un même but qui est, sinon guérir, au moins

accompagner et rendre plus supportable l’état de santé du patient »24

24 Comité d’éthique de l’hopital Esquirol, Avis n°3, Avril 2010 38

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Annexe 1 – La grille d’entretien

1 – Quel age avez vous ?

- Entre 21 et 35 ans

- Entre 36 et 49 ans

- Plus de 50 ans

2 – Depuis combien de temps exercez vous en psychiatrie ?

3 – Depuis combien de temps exercez vous dans ce pavillon ?

4 – Tutoyez-vous certains patients ?

Si oui, lesquels ?

5 – Tutoyer un patient est-ce, pour vous, un manque de respect ?

6 – Quels sont les dangers du tutoiement ? (Pour la distance thérapeutique, la prise

en soin)

7 – En quoi le tutoiement peut-il favoriser la prise en soin d’un patient ?

8 – Selon vous le tutoiement doit il être instauré à la demande du patient ?

9 – Peut-on tutoyer tous les patients ? Si non, quels sont les patients qu’il ne faut

pas tutoyer ?

10 – Pensez-vous que cela soit utile de se concerter en équipe afin de prendre la

décision de tutoyer ?

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BIBLIOGRAPHIE - ARTICLES DE REVUE THOMINET Patrick : Les valeurs en devenir, Soins n°754, Avril 2011, p 35 à 37 RAVALLAN, Armel : La relation soignant-soigné en psychiatrie, Soins, n°773, Mars 2013, p 41 à 43 MICHON, Florence : Les relations interpersonnelles avec la personne soignée et la notion de juste distance, Soins, n°773, Mars 2013, p 32 à 34 BERGEZ, Jean Louis ; DORIAN, Jeannine ; COMBRET, Michel : Le « tu » et le « vous » dans la relation thérapeutique, Soins psychiatrique, n°205, 1999, p 14 à 18 MICHON, Florence : Pour aller à la rencontre d’autrui, Soins, n°773, Mars 2013, p 23 GODART, Elsa : L’empathie, un juste milieu entre la clinique et l’éthique du quotidien, Soins psychiatrie, Vol 30, n°264, octobre 2009, p 35 à 38 NARDIN, Roland : Trouver la juste distance thérapeutique, Aide soignante, n°134, Février 2012, p 9 à 10 ALBERNHE, Thierry : Peut-on concevoir une « clinique du tutoiement ?, Psychologie médicale, Vol 22, n°14, 1990, p1449-1452 DEWAELE, Jean Marc : Vouvoiement et tutoiement en français natif et non natif : une approche sociolinguistique et interactionnel, La chouette, 2002 MARTIN, M. W., Professional distance = La distance professionnelle, The international journal of applied philosophy, vol 11 n°2, p 39-50 - SITES INTERNET

http://www.serpsy.org/psy_levons_voile/acteurs/inf_psy.html http://www.psychologies.com/Dico-Psycho/Infirmier-psychiatrique http://www.serpsy.org/etudiants/ecriture/distance_dorsaf.html http://fr.wikipedia.org/wiki/Tutoiement_et_vouvoiement#Vari.C3.A9t.C3.A9s_de_la_distinction http://www.francaisfacile.com/exercices/exercice-francais-2/exercice-francais-11009.php http://www.cnrtl.fr/definition/tutoyer http://psychiatriinfirmiere.free.fr/definition/psychose/psychose-theorie.htm - OUVRAGES PRAYEZ, Pascal, Julie ou l’aventure de la juste distance thérapeutique, une soignante en formation, Broché, 2009, p 110 -125 MERCKLING, Jacky ;LANGENFELD, Solange, Processus psychopathologique, Masson, Les essentiels en IFSI (tome9), p242 JUNG, Carl Gustav, Psychiatric Studies. The collected words of CG Jung, ed. Michael Fordham, 1953, p255 Cramer Bertrand, Nouveaux traité de psychiatrie, chapitre 62 : Les psychoses infantiles et les étapes du développement de la séparation et de l’individuation chez Margaret Mahler, Presses unitaires de France, 2004 Lacan,J, Le séminaire, Les psychoses, p 149 - AUTRES Comité d’éthique de l’hopital Esquirol, Avis n°3, Avril 2010

JUIGNET, Patrick, Psychisme, 2011

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