‘Je’ Est Une Porte, Partie 2- Nisargadatta Maharaj

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14/03/2014 21:31 'Je' est une porte – Partie 2: Nisargadatta Maharaj Page 1 sur 9 http://www.advaya.nl/deur2_fr.htm ‘Je’ est une porte – Partie 2: Nisargadatta Maharaj par Philip Renard Dans la première partie de ‘Je est une porte’, je décrivais un phénomène frappant : le fait que l’Advaita Vedanta conserve le terme ‘Je’ pour désigner les degrés de réalité les plus élevés, ceux qui transcendent la personne. Le maintien de cette cohérence constitue une aide pour le chercheur à comprendre que la notion ‘Je’, évidente dans l’expérience de la personne en tant que telle, est en fait plus profonde que ce que la personne temporaire peut en dire. La notion ‘Je’ existe déjà maintenant et s’établit sans discontinuité. Le contact avec Cela que vous êtes vraiment ne nécessite aucun préalable d’élimination ou d’exclusion de quoi que ce soit. Dans la première partie, j’ai examiné l’approche de Shri Ramana Maharshi. Cette fois-ci, je souhaite étudier la façon dont Sri Nisargadatta Maharaj (1897- 1981) aborde la question. Selon moi, Nisargadatta Maharaj fut un des plus grands enseignants du 20 e siècle. Ce qui, en particulier, le rend si important est sa remarquable capacité à montrer que tout ce qui pouvait lui être demandé n’était fait que de concepts. Puis il annihilait ces concepts en mettant en évidence leur inutilité. Quelle que soit la question, ou la réponse, avec laquelle se présentait le visiteur, Nisargadatta démontrait qu’elle se réduisait à un attachement à des schémas de pensées ou des concepts. Il se référait alors à leur origine, et il renvoyait à cette origine, à la source. Tout, absolument tout, était miné par le fait même d’être un concept, et était donc faux, y compris ce qu’il venait de dire. Il insistait sur le fait que seul le vrai est dénué de tout concept. Le seul moyen d’apprendre de lui est, puisqu’il n’est plus de ce monde, de lire ses livres (on peut aussi y ajouter quelques extraits de darshan visibles par vidéo). Lors de cette lecture, il devient évident, voire amusant, de constater que lui-même, grand démineur de concepts s’il en fut, a recours en permanence à des concepts. Dans ses passages de niveau en niveau, il emploie de nombreux termes sanskrit pour décrire un niveau, puis ressert les mêmes ou à peu près pour un autre niveau, et enfin dissout l’ensemble dans ce qu’il appelle « l’état profond bleu et noir de la non expérience. » Malheureusement, de ce fait, de nombreux chercheurs ayant déjà un aperçu de la réalité de qui ils sont, poursuivent leur quête à cause du message « vous n’êtes que l’Absolu ». Ils soutiennent assidûment qu’ils « connaissent déjà la conscience », mais ils expriment en même temps leur frustration d’avoir manqué« l’étape suivante ».

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‘Je’ est une porte – Partie 2: Nisargadatta Maharaj

par Philip Renard

Dans la première partie de ‘Je est une porte’, je décrivais un phénomènefrappant : le fait que l’Advaita Vedanta conserve le terme ‘Je’ pour désignerles degrés de réalité les plus élevés, ceux qui transcendent la personne. Lemaintien de cette cohérence constitue une aide pour le chercheur àcomprendre que la notion ‘Je’, évidente dans l’expérience de la personne entant que telle, est en fait plus profonde que ce que la personne temporairepeut en dire. La notion ‘Je’ existe déjà maintenant et s’établit sansdiscontinuité. Le contact avec Cela que vous êtes vraiment ne nécessiteaucun préalable d’élimination ou d’exclusion de quoi que ce soit. Dans lapremière partie, j’ai examiné l’approche de Shri Ramana Maharshi. Cettefois-ci, je souhaite étudier la façon dont Sri Nisargadatta Maharaj (1897-1981) aborde la question.

Selon moi, Nisargadatta Maharaj fut un des plus grands enseignants du 20esiècle. Ce qui, en particulier, le rend si important est sa remarquable capacitéà montrer que tout ce qui pouvait lui être demandé n’était fait que deconcepts. Puis il annihilait ces concepts en mettant en évidence leur inutilité.Quelle que soit la question, ou la réponse, avec laquelle se présentait levisiteur, Nisargadatta démontrait qu’elle se réduisait à un attachement à desschémas de pensées ou des concepts. Il se référait alors à leur origine, et ilrenvoyait à cette origine, à la source. Tout, absolument tout, était miné par lefait même d’être un concept, et était donc faux, y compris ce qu’il venait dedire. Il insistait sur le fait que seul le vrai est dénué de tout concept.

Le seul moyen d’apprendre de lui est, puisqu’il n’est plus de ce monde, delire ses livres (on peut aussi y ajouter quelques extraits de darshan visiblespar vidéo). Lors de cette lecture, il devient évident, voire amusant, deconstater que lui-même, grand démineur de concepts s’il en fut, a recours enpermanence à des concepts. Dans ses passages de niveau en niveau, ilemploie de nombreux termes sanskrit pour décrire un niveau, puis ressert lesmêmes ou à peu près pour un autre niveau, et enfin dissout l’ensemble dansce qu’il appelle « l’état profond bleu et noir de la non expérience. »

Malheureusement, de ce fait, de nombreux chercheurs ayant déjà unaperçu de la réalité de qui ils sont, poursuivent leur quête à cause dumessage « vous n’êtes que l’Absolu ». Ils soutiennent assidûment qu’ils« connaissent déjà la conscience », mais ils expriment en même temps leurfrustration d’avoir manqué« l’étape suivante ».

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J’ai l’audace d’affirmer qu’il n’y a pas d’étape suivante.Tout ceci se rapporte aux limites de ce qui peut être expérimenté, et au fait

de demeurer totalement là. Nul ne devrait être induit en erreur par unquelconque commentaire sur l’Absolu, ni être séduit par la recherche del’Absolu.

Néanmoins, pourrait-on objecter, Nisargadatta fait des commentaires surl’Absolu à longueur de temps, et souligne encore et toujours que rien d’autren’est réel ! Ceci est à coup sûr une impasse : entendre que nous sommesCela, et être en même temps incapable de l’expérimenter, a pour effet denous faire rechercher cette expérience. Tel est le constant paradoxe auquelMaharaj nous expose. Comment faire avec ce paradoxe ?

Maharaj répondit lui-même à la question – et ceci par un concept particulier,qu’il décrivit par les termes ‘la connaissance Je Suis’, ou encore l’état ‘JeSuis’. Plus avant dans cet article, Nisargadatta Maharaj était qualifiéd’important parce qu’il déminait sans crainte, l’un après l’autre, tous lesconcepts. Mais nous pouvons aussi le qualifier d’important pour avoir à sontour introduit ce concept, l’état ‘Je Suis’, qu’il considérait comme devantêtre digéré, avalé et dissous. Il le décrivait comme la « remède ultime ». Ilest vrai qu’il l’appela aussi « la maladie elle-même » , ou « la souffranceelle-même », au moins aussi souvent. Cependant, avec la même insistance, ilindiqua souvent que ce concept précis est le parfait remède, et pointe vers laliberté. Ainsi, nous voici à nouveau face à un paradoxe : quelque chose quiest la maladie, se trouve être en même temps, dans sa nature essentielle, leremède.

Une citation donne les clefs permettant de pénétrer dans ce paradoxe. Ames yeux, il s’agit là de la plus belle citation qui puisse être. En effet, lecomplet mystère de l’existence y est décrit en quelques phrases, jusqu’à lamanœuvre permettant de pénétrer ce mystère. Tout s’y trouve, et tous lestextes qui suivent de Maharaj peuvent être interprétés depuis cetteperspective.

« Ce contact avec l’état ‘Je Suis’ est en chaque être ; cet état d’êtrepossède ce contact d’amour pour l’Absolu, et il s’agit d’une représentationde l’Absolu. […] L’Absolu prédomine seul. La vérité est Brahman (ParaBrahman) dans son unique totalité, rien d’autre que Brahman. Dans l’état deBrahman absolu, le contact avec l’état d’être, le ‘Je Suis’ commença, et aveclui sont apparus la séparation, le sentiment de l’autre. Mais cet état ‘Je Suis’est plus qu’un petit principe ; il est le Mula-Maya lui-même, l’illusionprimordiale […]. Le grand principe Maya vous fait passer par tous ses tours,tous ses pièges, et vous êtes aussi soumis à tout ce qu’elle dit. Enfin, cettelumière qui est vôtre, cette état d’être, s’éteint […] Cette Maya est sipuissante qu’elle vous enveloppe totalement. Maya veut dire ‘je Suis’,‘j’aime être’. Elle n’a aucune identité en dehors de l’amour.

Cette connaissance du ‘Je Suis’ constitue en même temps l’adversaire leplus redoutable et le meilleur ami. Même s’il s’agit de votre plus grandennemi, si vous l’apaisez de la bonne façon, elle se transformera et vousguidera vers les états les plus élevés. »1

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Le sens du ‘Je Suis‘ est un principe universel, présent d’une façonexactement semblable chez tout être humain, précédant toute interprétationdu type « je suis Jean » ou « je suis Anne » ; ou, en d’autres termes, « je suistelle ou telle personne ». Nisargadatta (ou plutôt ses traducteurs) avaitl’habitude d’utiliser ce sens du ‘Je Suis’ conjointement au terme‘conscience’ (chetana). Il est justifié de s’attarder sur la significationattribuée par Nisargadatta à ce terme, pour la simple raison qu’il qualifiaitsouvent cette conscience d’illusoire, et aussi du fait que d’autres enseignantsutilisent le mot « conscience » pour témoigner précisément de l’Ultime(c’est d’ailleurs ainsi que se traduit le mot chit, au lieu de chetana ; voir parexemple ‘Je est la porte’, partie I). Il le remplaçait par de nombreuxsynonymes, comme « connaissance », « état de Krishna », « conscienceenfantine », « germe », « témoin », « Dieu », « être », « état d’être »,« sattva », « la chimie », « Saguna Brahman », « le manifesté », « leprincipe suprême »: tous ces termes reviennent au même. Ils évoquent tousun contact. Sans raison aucune, quelque chose apparaît spontanément, ausein de quelque chose qui est hors de toute expérience, de tout savoir, detoute forme, et qui n’est finalement pas une ‘chose’. C’est seulement aumoment où vous le constatez, que vous pouvez dire que ‘quelque chose’arrive, mais pas avant. La manifestation et la constatation de cela sont uneseule et même chose, appelée ‘contact’. Il s’agit de la toute premièrevibration, la forme la plus subtile de contact appelée ‘conscience’ parNisargadatta, le principe ‘Je Suis’.

L’élément fondamental de cette citation doit être trouvée dans le dernierparagraphe : « Cette connaissance du ‘Je Suis’ constitue en même tempsl’adversaire le plus redoutable et le meilleur ami ». Tout s’y trouve – et il enrésulte que vous pouvez être abandonné ici avec une accablante sensation dedésorientation. Celle-ci, bien souvent, se renforce à la lecture d’autrespassages, du fait de l’accent mis sur l’illusion (« l’adversaire le plusredoutable »). En effet, ce qui est réellement vrai, l’Absolu, est décritcomme « quelque chose qui ne peut être expérimenté ». Pourtant, il estnettement affirmé ici que même s’il est votre plus grand ennemi, vous seriezbien avisé de le révérer. Illusion ou non, là où nous sommes, peu importe carultimement il n’y a que Dieu, le principe créateur éternel à la source de toutechose. Il est vrai que vous pouvez être séduit par la forme au point de vous yattacher, mais c’est également par ce même principe que vous pouvez êtrelibéré de cet attachement.

Dans un des Puranas, les ‘vieux livres’ de l’hindouisme, on peut trouver unpassage ressemblant à notre citation : « Quand Elle est heureuse, Elledevient propice et la cause de la liberté de l’homme. »2 Ce texte relève del’adoration de ce principe, qui doit être aussi totale que possible ; il s’agit delui accorder toute notre attention, de lui plaire. Le sens de « vous êtes » estsi commun, si ordinaire, que vous le négligez aisément, et c’est pourquoiNisargadatta insiste tant sur le contraire, c’est-à-dire d’honorer pleinementce sens : le révérer comme le Dieu le plus élevé. Il martèle cela sans cessepour que le calme se fasse là où nous sommes, et ce afin que nous puissionsadorer pleinement cette conscience, ce contact.

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« Adorez atman (‘vous êtes’) comme un Dieu ; il n’y a rien d’autre. Vousadorez ce principe seul ; rien d’autre ne doit être fait. Cette connaissance‘vous êtes’ vous conduira au plus haut, à l’Ultime. Ce ‘vous êtes’ seraprésent en vous aussi longtemps que votre respiration. En adorant ce ‘vousêtes’ comme l’unique Brahman manifesté (Saguna Brahman), vousatteignez l’immortalité. […] Vous devez vous souvenir continuellement,‘ruminer’ […] vous devez y penser en permanence »3[…]

La signification exacte de cette ‘adoration’ nous interroge. En effet, onassocie automatiquement à ce mot l’apparition d’une prière verbale. Enréalité, adorer consiste à ‘porter son attention sur quelque chose de tout soncœur’. Dans ce monde, être amoureux en constitue le meilleur exemple.Votre attention se projette totalement sur l’être aimé, que vous le‘vouliez’ ou non. Vous en êtes empli et tout ce qui va dans la direction de cetamour se fait sans effort. Cela, nous pouvons l’appeler ‘adoration’. Etmaintenant, nous voici invités à pratiquer cette adoration : être amoureux denotre conscience ordinaire elle-même, l’expérimenter formellement en tantque telle, ‘le contact avec l’état d’être’, ‘e sentiment d’être’. Commentsommes-nous donc supposés mettre en pratique une telle adoration ?

C’est par la fusion totale avec votre état d’être, avec votre vibrationprimordiale. Projettez dans votre passion dans ce ‘lieu’ inlocalisable,encouragez cette vibration, et ne vous inquiétez pas du fait qu’il s’agittoujours d’une forme de dualité, d’une forme d’énergie ou de ‘corporalité’.Adorez-la, chérissez-la, ne vous retenez pas, donnez-vous pleinement à Elle,et ainsi vous vous dissoudrez en Elle. Alors Elle vous montre, dans cettefusion, que ‘deux’ cesse d’exister. Elle ne peut être votre ennemi que si vousvous laissez être emporté par Sa tentation. « La première source de toutejoie est votre être ; soyez là. Si vous êtes emportés par le flot de la Maya,vous serez dans la souffrance. […] Demeurez toujours dans votre étatd’être. » 4

Nisargadatta met ici en évidence la façon dont, au sein du ‘principesuprême’, le principe ‘Je Suis’, l’élément libérateur, peut être distingué del’élément de séduction, d’attachement. Parfois, je compare cela à unefontaine au milieu d’un bassin. Le principe ‘Je Suis’ est la bouche de lafontaine. C’est de là que l’eau jaillit vers le haut avec force, créant desmilliers de gouttes et la forme globale qui en résulte est appelée ‘fontaine’.C’est à peine si le bouche de la fontaine est matérialisée, il n’y a quel’expérience de la force de propulsion qui est à être, ce qui va faireapparaître la forme. Le conseil est alors : restez dans la bouche de lafontaine, demeurez-y, et abandonnez-vous à sa vibration sans forme.N’essayez en aucun cas de manipuler la force elle-même. « Quel processusnaturel pouvez-vous arrêter ? Tout est spontané. Vous êtes maintenant dansla conscience, qui est mouvante, vibrante. Ne pensez pas que vous êtesséparé de cette conscience mouvante et vibrante »5 En restant dans la bouchede la fontaine, adorant Cela qui génère tout ce déploiement, vous êtes rendulibre.

« La ferme détermination du dévot, et l’attrait de Dieu pour cettedévotion, les font s’attirer mutuellement. Le moment de leur rencontre face

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à face est celui où ils se fondent l’un en l’autre. Le dévot perdautomatiquement sa conscience phénoménale, et lors de son retour à lui-même, il découvre qu’il avait perdu son identité – perdu dans ce qui en Dieune peut être séparé à nouveau »6 ; rajoutons : « Je suis le Dieu, je suis ledévot, et je suis l’adorateur ; tout est pareil, un seul principe commun . »7

Le caractère divin de Maya, la Séductrice, s’atténue dès lors que vouscomprenez la nécessité de ne pas vous laisser entraîner par Elle dans Sesformes de création. Vous devez simplement noter Ce qui La voit. « Méditersur ce qui est averti que vous êtes assis ici. La sensation que votre corps estici est l’identification au corps, mais ce qui est averti que votre corps estassis ici est l’expression de l’Absolu . » 8

Le caractère libérateur du principe ‘Je Suis’ est tout autant présent dans laconnaissance que dans le renoncement. Ici l’approche du jnana (laconnaissance, la compréhension) et de la bhakti (dévotion) sont fonduestotalement l’une dans l’autre. Il en résulte parfois que la discrimination dansl’abandon n’est plus nécessaire, et parfois que la compréhension évitel’erreur d’un abandon qui ne serait en fait que soumission à la manifestationelle-même, aux formes transitoires. L’abandon n’est juste que dansl’abandon à Cela qui est permanent. « Tout d’abord, j’ai été séduit parMaya, puis quand la Maya m’a abandonné, je n’ai plus eu besoin de Maya,et je l’ai ainsi rejetée. »9

Notons, par exemple, que le corps assis ici pourrait être appelé« connaissance ». Cette connaissance est en fait connaître en tant que tel, etc’est là l’élément libérateur, car la connaissance est littéralementl’expression de l’Absolu, comme nous l’avons précisé précédemment dansnotre citation (note 8). La Conscience Absolue ou le Connaître 10 s’exprimeelle-même dans le fait de « connaître quelque chose ». La ‘conscience’ et‘l’Absolu’ ne sont donc pas deux choses différentes, comme il est souventimaginé sur la base de beaucoup de formulations de Nisargadatta. Il n’y aqu’une Conscience. Elle a la nature de l’Absolu, et un caractère dynamique,vivant, expérientiel, le ‘contact’. Voir nécessite une seule chose : la présenced’une certaine vibration est en fait toujours la connaissance de cettevibration, et cette connaissance elle-même est la Connaissance Absolue ; iln’y a aucune séparation en cela. Au sein de l’Absolu, il n’y a simplementrien à Connaître, et c’est pourquoi Nisargadatta appelle cela ‘l’état de non-connaissance’, ou ‘non-mental’, état dans lequel l’attention se dissout enelle-même.

« Il n’y a qu’un seul état, pas deux. Quand l’état ‘Je Suis’ est présent, vousconnaîtrez beaucoup d’expériences, mais le ‘Je Suis’ et l’Absolu ne sont pasdeux. Dans l’Absolu, l’état de ‘Je Suis’ survient, et l’expérience se faitalors » 11

Nous pourrions dire que ‘se laisser être entraîné par la Séductrice’ revient àdonner du poids à votre passé, à la puissance de vos tendances, aux vasanas,au lieu d’endurer la souffrance de ne pas dépasser la forme présente, le

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‘contact actuel’. La nature d’attachement du principe ‘Je Suis’ se situe dansla création de l’histoire personnelle, la création d’un ‘corps subtil’, uneimage ‘Je’, une forme devant persister. La force d’attachement elle-mêmepourrait être appelée le ‘corps causal’, un entrepôt contenant toutes nostendances latentes et le tout premier commencement de l’individualité, et unjiva 12. Le ‘corps causal’ définit le principe qui est en nous, maintenant, lacause de la création de la forme, et qui nous séduit pour le maintien et laconsolidation de cette forme. Il nous séduit en ne reconnaissant pas cetteforme comme la ‘pure forme actuelle de la Conscience’, mourant à chaqueinstant et immédiatement remplacée par une autre forme. C’est ce que leterme ‘corps causal’ signifie. Le corps causal vous fait perdre la vision quevous êtes toujours neuf, non-né, maintenant, maintenant, maintenant. Etcette ‘perte’ se produit par l’intermédiaire des tendances latentes qui, aussilongtemps qu’elles existent, vous accrochent aux formes manifestées defaçon à faire se perpétuer l’existence de la forme. Du fait de sa nature devoile de la réalité et d’attachement, le corps causal est assimilé, dans latradition de l’Advaita, à l’ignorance (ajnana ; et aussi avidya).

Très influencé dans sa sémantique par la tradition Samkhya, ancienne écoleindienne dualiste, Nisargadatta, pour expliquer comment naît l’attachement,utilise parfois les termes sattva, rajas et tamas, tous empruntés du Samkhya.Ce sont les trois gunas, qualités colorant et déterminant chacunes de nosactions (rajas est la stimulation, l’agitation, ce qui pousse à l’activité ; tamasest l’inerte, le solide, l’obscur ; et sattva est la qualité d’équilibre,d’existence, de connaissance, et de lucidité).

Nisargadatta décrivait la transition générée par sattva de la façonsuivante :« Pendant l’état de veille, savoir que vous êtes (sattva) est en soi unesouffrance ; mais comme vous êtes préoccupé pour tant d’autres choses,vous pouvez le supporter. Cette qualité d’être (sattva), cette connaissance‘Je Suis’, se peut se tolérer elle-même. Elle ne peut demeurer elle-même,seule, simplement se connaissant elle-même. C’est pourquoi le guna rajasest là. Il emmène l’être se promener dans des activités variées, de façon à cequ’il ne demeure pas en lui-même. Il est très difficile de supporter cet état.Le guna tamas est la qualité la plus inférieure. Son action consiste à ouvrirla voie à ce que l’on se prenne pour les auteurs de nos actes – le sentiment‘je suis celui qui agit’. Le guna rajas nous pousse dans l’activité, et le gunatamas nous attribue la paternité de tous nos actes. »13

Nous pourrions voir le caractère originel de rajas comme étant plutôtlibre. Il n’a en effet, par lui-même, nul besoin de s’accrocher à quoi que cesoit. C’est sous l’effet de tamas que tout se coagulera ensemble. Cettequalité nous rigidifie, elle est la cause de nos attachements, de notreisolement, de nos soucis, etc. Notre attachement à une histoire personnelleest dû à tamas, histoire surimposée à une activité spontanée.

Le conseil de Nisargadatta pourrait être interprété comme suit : vous nepouvez rien faire d’autre que laisser rajas apparaître, car il est propre àl’énergie de création spontanée. Cependant, accueillez-le et continuez àreconnaître le point de départ, le tout premier ‘contact’. Nisargadatta

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appelait aussi ce contact une « piqûre d’épingle ». Ceci est sattva. C’estaussi le terme ‘conscience’ dans le sens où l’utilise Nisargadatta, la piqûred’épingle, ‘l’expérience du contact’. J’ai appelé cela ‘la bouche de lafontaine’ : en ce lieu, vous êtes témoin du mariage de sattva et de tamas.Demeurez conjointement dans le silence (sattva) et l’éclatante énergie(rajas).

En vous dédiant à cela, en honorant cette piqûre d’épingle, cette‘conscience’ , votre quête cesse son existence. A ce point vous laissez le« faire » vous quitter, ainsi que la tentative de passer au-delà de cetteconscience car, réellement, ceci ne peut être d’aucune aide. « Vous nepouvez jamais vous séparer de cette conscience, à moins que la consciencene soit satisfaite de vous, et se débarrasse de vous. La conscience ouvre lesportes pour vous permettre d’aller au-delà de la conscience. Il y a deuxaspects : l’un est la conscience conceptuelle, dynamique, pleine de concepts,et l’autre est la conscience transcendante. Même le concept ‘Je Suis’ n’estplus là. Le Brahman qualitatif, conceptuel (Saguna Brahman), celui qui estplein de concepts et de qualités, est généré par [la réflexion de la Conscience(Nirguna Brahman) dans] le corps dans son fonctionnement. »14

Même si au départ il est important et juste de distinguer entre la consciencerelative (chetana) et la Conscience (chit), il est pertinent à un moment donnéd’ouvrir les bras à la conscience en tant que ‘contact’ . Toute les résistancese dissolvent alors, et avec elles toute dualité. Le contact est l’Assistant quivous consacre dans votre abandon et Son abandon. Elle vous montre quevous êtes toujours demeuré non affecté et non altéré, libre et non séparé,sans besoin de vous mettre en quête. Ainsi, d’un côté, Maharaj insiste : « Je,l’Absolu, ne suis pas cet état ‘Je Suis’ » 15, mais, d’un autre côté, « lacompréhension que ce ‘Je’ n’est pas différent sur des niveaux différents. Demême que l’Absolu, c’est le ‘Je’ qui en se manifestant a besoin de la forme.Le même ‘Je’ Absolu devient le ‘Je’ manifesté, et le ‘Je’ est la conscience,source de toute chose. L’Absolu-avec-conscience se situe dans l’étatmanifesté. »16

De façon étonnante, ici comme en beaucoup d’autres endroits, Maharajpersiste à utiliser le mot ‘Je’ pour désigner l’Ultime. En plus de s’appelerlui-même très souvent « Je, l’Absolu », il dit par exemple : « Rien n’existeen dehors de moi. Je suis seul à exister »17, et « quand l’état d’existence esttotalement ingurgité, ce qui reste est ce ‘Je’ éternel. »18

Ainsi, ‘Je’ apparaît pour être adéquat sur les trois niveaux : la personnepense et éprouve ‘Je’, le contact avec l’état d’être est l’expérience du ‘Je’sans pensée (sans appropriation « mon », « mien »), et l’Ultime est ‘Je’, sansl’expérience de celui-ci. Ceci implique que la Réalité que nous sommes, esttoujours présente en tant que telle, est déjà maintenant. Par conséquent, ausein même de l’identification à une certaine forme, se trouve une invitation àreconnaître le plus proche, c’est-à-dire ‘Je’, dans sa nature essentielle.‘Je’ est-il une porte ? L’Enseignant répond : « Cher enfant, il n’y a pas deporte pour entrer dans Parabraham. »19

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Revue 3e Millénaire, Automne 2004, No. 73; p. 36-41. Traduction française,à partir de la traduction anglaise: http://www.revue3emillenaire.com

NOTES1. Prior to Consciousness (édité par Jean Dunn). Durham, NC: Acorn, 1985 ; p. 12-13.La majuscule est rajoutée à Maya conformément à l’usage dans d’autres citations. 2. Chandi (=Devi-mahatmya ; il s’agit d’un extrait de Markandeya Purana), I.57; etaussi IV.9. Cité par Vivekananda: The Complete Works of Swami Vivekananda, Vol.VII. Calcutta: Advaita Ashrama, 1986 (10th ed.); p. 216.3. The Experience of Nothingness (édité par Robert Powell). San Diego, CA: BlueDove, 1996; p. 51-52.4. Prior to Consciousness; p. 21.5. Consciousness and the Absolute (édité par Jean Dunn). Durham, NC: Acorn, 1994;p. 78.6. Self-knowledge and Self-realisation (Adaptation du livre Atmajnana Ani ParamatmaYoga). Traduit par V.M. Kulkarni. Bombay: Ram Narayan Chavhan, 1963; p. 35.7. Prior to Consciousness; p. 54.8. Prior to Consciousness; p. 103.9. The Experience of Nothingness; p. 86.10. Il est difficile de traduire le ‘ connaître-en-tant-que-tel’, cette connaissance enlaquelle « rien » n’est connu. Le terme « Connaissance » semble être toujours associé àun contenu. Il en ressort que le meilleur terme pour ce connaître-en-tant-que-telpourrait être « Non-savoir ». La paradoxe est que cet état de non-savoir ou de non-être« connaît ». Dans le langage (celui du traducteur) de Nisargadatta, on trouve : « L’étatde non-être, état de non-conscience connaît lui seul la présence de la conscience. »(Seeds of Consciousness; ed. par Jean Dunn; New York: Grove Press, 1982; p. 27). Voiraussi la discussion sur la terminologie dans The Experience of Nothingness, p. 18-21.Nisargadatta met l’accent sur l’importance de voir comment le mot Connaissances’accorde aux gunas.11. Prior to Consciousness; p. 42.12 Le terme ‘corps causal’, qui fur utilisé dans les textes de la Tradition de l’Avaita (etaussi par Ramana Maharshi, par exemple dans Vichara Sangraham et Maharshi’sGospel), pointe vers la source de toutes les formes, même dans leur état le plus latent.Selon ce qu’en dit Ramana : « La source est un point sans dimension. D’un part, elles’étend en tant que cosmos, et d’autre part en tant qu’Infinie Béatitude. Ce point est lepivot. A partir de lui, une seule vasana commence, et se multiplie commeexpérimentateur ‘Je’, l’expérience, et le monde. » Talks; No. 616.13. The Ultimate Medicine (édité par Robert Powell). San Diego, CA: Blue Dove,1994; p. 22. 14. Consciousness and the Absolute; p. 97. Ce qui est entre crochets a été rajouté afind’insister sur la connexion entre la conscience relative et la Conscience, sur la base denombreux commentaires de l’ancienne tradition de l’Advaita, et sur la base de I amThat, p. 65: ‘la conscience (chetana) apparaît par réflection de la Conscience dans lamatière’. Voir aussi I am That; p. 274; et Seeds of Consciousness; p. 170.15. Prior to Consciousness; p. 27, ainsi qu’en beaucoup d’autres endroits.16. Prior to Consciousness; p. 114.17. The Ultimate Medicine; p. 29.18. The Nectar of the Lord’s Feet (edité by Robert Powell). Longmead, Shaftesbury(Dorset): Element, 1987; p. 43.19. The Nectar of the Lord’s Feet; p. 57.Le lecteur pourra se référer aux ouvrages en français de Nisargadatta Maharaji :

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Je Suis, Ed. Les Deux Océans(1982)Graines de Conscience, Ed. Les Deux Océans(1983)Sois !, Ed. Les Deux Océans(1983)Ni ceci ni cela, Ed. Les Deux Océans(1986)A la Source de la Conscience, Ed. Les Deux Océans(1982)Conscience et Absolu, Ed. Les Deux Océans(1997)L’Ultime Guérison, Ed. de Mortagne (1997)Philip Renard enseigne à la Fondation Advaya, en Hollande. Né en 1944, ildécouvrit la spiritualité au travers d’une méthode d’enseignement d’origineJavanaise, appelée Subud, dans laquelle un exercice appelé Latihan luidonna la base d’une vision pénétrante (insight), libre de tout concept et detoute méthode. La non-dualité est au centre de l’enseignement de PhilipRenard, et le but de la Fondation Advaya est de mettre la non-dualité aucentre de l’attention.