“Jacques Maritain et les non-conformistes des années 30.”

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Jean-Louis Loubet del Bayle Historien des idées et sociologue de la police Professeur émérite de Science politique à l'Université des Sciences sociales de Toulouse-Capitole (2001) “Jacques Maritain et les non-conformistes des années 30.” Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, Professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi Page web. Courriel: [email protected] Site web pédagogique : http://jmt-sociologue.uqac.ca/ Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales" Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

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Jean-Louis Loubet del BayleHistorien des idées et sociologue de la police

Professeur émérite de Science politiqueà l'Université des Sciences sociales de Toulouse-Capitole

(2001)

“Jacques Maritainet les non-conformistes

des années 30.”

Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole,Professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi

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Jean-Louis Loubet del Bayle

“Jacques Maritain et les non-conformistes des années 30.”

In revue Cahiers Jacques Maritain, no 42, juin 2001, pp. 2-18. Communica-tion au Colloque “Jacques Maritain et la France des années 30”, organisé àl’Institut catholique de Toulouse par Yves Floucat, les 6 et 7 juin 1998.

[Autorisation formelle accordée par l’auteur, le 24 novembre 2015, de diffu-ser ce livre en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales.]

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Jean-Louis Loubet del BayleHistorien des idées et sociologue de la police

Professeur émérite de Science politiqueà l'Université des Sciences sociales de Toulouse-Capitole

“Jacques Maritainet les non-conformistes des années 30.”

In revue Cahiers Jacques Maritain, no 42, juin 2001, pp. 2-18. Communica-tion au Colloque “Jacques Maritain et la France des années 30”, organisé àl’Institut catholique de Toulouse par Yves Floucat, les 6 et 7 juin 1998.

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Table des matières

Introduction [2]

1. Maritain et la Jeune Droite [4]

2. Maritain et Esprit [10]

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Jean-Louis Loubet del BayleHistorien des idées et sociologue de la police

Professeur émérite de Science politiqueà l'Université des Sciences sociales de Toulouse-Capitole

“Jacques Maritainet les non-conformistes des années 30.”

In revue Cahiers Jacques Maritain, no 42, juin 2001, pp. 2-18. Communica-tion au Colloque “Jacques Maritain et la France des années 30”, organisé àl’Institut catholique de Toulouse par Yves Floucat, les 6 et 7 juin 1998.

INTRODUCTION

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Évoquer l'influence de Maritain sur les "non-conformistes des an-nées 30" suppose d'abord de rappeler ce que l'on entend par cette ex-pression. On peut dire qu'aujourd'hui on tend à désigner par ce termeune nébuleuse de jeunes intellectuels et de jeunes revues qui, apparusautour de 1930, s'accordèrent sur un ensemble de thèmes suffisam-ment caractéristiques pour que l'on ait pu parler à leur propos del'existence d'un véritable "esprit de 1930" 1.

En étant quelque peu schématique, on peut dire que ce que Denisde Rougemont désignait comme "une communauté d'attitude essen-tielle" se traduisait par cinq orientations principales. Tout d'abord uneattitude de révolte et de rupture à l'égard de ce que Mounier allait ap-peler le "désordre établi". Ensuite une attitude de révolte qui s'enraci-nait dans le sentiment de vivre une crise dépassant le seul domainepolitique ou économique, une crise totale qu'ils définissaient commeune "crise de civilisation". Face à cette crise de civilisation ils en ap-pelaient à une "révolution spirituelle", transformant non seulement lesstructures de la société, mais aussi l'homme lui-même, aussi bien dans

1 J. Touchard, in Tendances politiques dans la vie française depuis 1789, Paris,Hachette, 1960.

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ses rapports avec le monde que dans ses rapports avec lui-même. Parlà se manifestait aussi leur préoccupation de rechercher une "troisièmevoie" pour dépasser des alternatives perçues comme sclérosantes :idéalisme/matérialisme sur le plan philosophique, individua-lisme/collectivisme sur le plan social, libéralisme/socialisme sur leplan économique, droite/gauche sur le plan politique. Enfin, ils pen-saient trouver [3] dans la notion de "personne" les bases anthropolo-giques de l'ordre nouveau qu'ils souhaitaient voir se substituer àl'ordre établi. De ce fait, ces intellectuels et ces revues se qualifiaientde "personnalistes", en usant d'un vocabulaire qui, à cette époque,n'était pas le seul apanage d'Esprit 2.

Dans cette nébuleuse on pouvait distinguer trois courants. Le plusconnu aujourd'hui est celui du mouvement Esprit, fondé par Emma-nuel Mounier et Georges Izard, dont la revue commence à paraître enoctobre 1932, mais qui était en gestation depuis 1930. Le second cou-rant était celui du groupe Ordre Nouveau, qui se constitue, lui aussi,autour de 1930 et disposera de sa propre revue en 1933. Enfin, le troi-sième courant s'organisera autour de jeunes intellectuels évoluant auxmarges de l'Action Française, qui s'exprimeront à partir de 1930 dansplusieurs publications, constituant ce que Mounier appellera la JeuneDroite.

Pour ce qui est de l'influence de Jacques Maritain sur l'apparition etl'évolution de cette nébuleuse, il faut noter immédiatement que, con-trairement à ce qui s'est passé pour les deux autres courants, on netrouve aucune trace de l'influence de Maritain sur le développementde l'Ordre Nouveau.

Ceci peut étonner dans la mesure où trois de ses membres les plusactifs étaient engagés dans un processus de conversion ou de retour aucatholicisme. Ainsi d'Arnaud Dandieu, le théoricien de l'ON, qui,avant sa disparition brutale, en 1933, eut le temps de réaffirmer sonadhésion au catholicisme. Tel était aussi le cas de l'organisateur etanimateur du groupe, Alexandre Marc Lipiansky, un jeune juif d'ori-gine russe, qui allait se convertir au catholicisme et se faire un nomavec ses deux prénoms, Alexandre Marc, avant de devenir en 1935 lesecrétaire de rédaction de Sept puis le collaborateur de Temps présent.

2 Pour plus de précisions cf. J.L. Loubet del Bayle, Les non-conformistes desannées 30, 2e édition, Paris, Seuil, 1987.

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Enfin, c'était le cas du vulgarisateur des thèses de l'0N, le futur histo-rien Daniel Rops, qui, lui aussi, sera un collaborateur de Sept et deTemps présent. L'absence de Maritain dans la genèse de l'ON est d'au-tant plus surprenante que le groupe qui fut à son origine en 1929-30,le Club du Moulin Vert, était initialement un cercle organisant desrencontres œcuméniques, réunissant juifs, catholiques, protestants etorthodoxes pour discuter de questions religieuses avant de s'orientervers une réflexion à caractère social et politique.

Si on ne rencontre pas de traces d'une influence de Jacques Mari-tain dans l'histoire de l'Ordre Nouveau, tel n'est pas le cas pour lesdeux autres courants, la Jeune Droite et Esprit. Dans les deux cas soninfluence est incontestable et assez facilement repérable. Ceci dit,cette influence n'est [4] pas exactement celle du même Maritain. Surla Jeune Droite, c'est surtout l'influence du Maritain des années 20-26,d'avant la condamnation de l'Action Française, le Mari tain d'Antimo-derne et des Trois Réformateurs. Sur Esprit, c'est plutôt l'influence duMaritain des années 30-35 qui, après avoir pris ses distances par rap-port à tout engagement politique ou social, se réintéresse à ces ques-tions à partir du début des années 30, dans une perspective qui abouti-ra à la publication d'Humanisme intégral en 1936. Quoi qu'il en soit,dans les deux cas, l'influence de Maritain va laisser des traces pro-fondes aussi bien dans l'histoire de ces groupes que dans celle deshommes qui en étaient les animateurs, comme on va le voir en évo-quant successivement les rapports de Maritain avec la Jeune Droitepuis avec Esprit.

1. Maritain et la Jeune Droite

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À partir de 1928-30 la Jeune Droite va s'organiser autour de troispersonnalités : Jean de Fabrègues, Jean-Pierre Maxence et ThierryMaulnier 3. Si Thierry Maulnier, qui était agnostique, n'a eu aucunerelation avec Maritain, tel ne fut pas le cas de Fabrègues et Maxence,

3 Cf. J. Julliard, M. Winock, Dictionnaire des intellectuels français, Paris,Seuil, 1996.

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dont les premiers engagements étaient autant des engagements reli-gieux que politiques.

Le vecteur de l'influence de Maritain a été ici une publication assezpeu citée par ses biographes, La Gazette Française. Ce bimensuel, quidevint ensuite hebdomadaire, fut créé par deux jeunes journalistesPaul Gilson et Amédée d'Yvignac. Le premier numéro s'ouvrait surdeux éditoriaux, un du rédacteur en chef, A. d'Yvignac, l'autre deJacques Maritain, intitulé "Retour de la métaphysique". Cette publica-tion entendait être l'instrument d'une "politique chrétienne" s'attaquantau laïcisme des sociétés modernes, tandis que ses choix politiquesconcrets rejoignaient les orientations de l'Action Française. On peutconsidérer que la fondation de cette publication a traduit l'existenced'un malaise latent chez certains catholiques d'Action Française qui,tout en restant fidèles à la politique maurrassienne, entendaient cepen-dant affirmer leur identité catholique. Ceci étant, la coexistence avecl'Action Française ne semblait pas soulever de difficultés du côté dumouvement maurrassien, d'Yvignac étant appelé à plusieurs reprises àcollaborer au quotidien L'Action Française entre 1924 et 1926. Quantà Maritain, il présida en janvier 1926 la journée de rentrée de la Ga-zette Française, qui fut aussi mêlée à la fondation de la collection [5]du "Roseau d'Or", ses rédacteurs les plus jeunes subissant, de ce fait, àcôté de l'influence de Maurras et de Maritain, celle de Massis, co-directeur du Roseau d'Or avec Maritain, et celle de l'écrivain qui allaitbientôt être un des auteurs-vedette de la collection Georges Bernanos.

C'est dans ce milieu que vont faire leurs premières armes de mili-tants et de journalistes plusieurs jeunes gens que l'on retrouvera plustard parmi les collaborateurs des revues de la Jeune Droite, et, parmieux, deux des futurs leaders de celle-ci : Jean de Fabrègues et Jean-Pierre Maxence. Ceci dit, leurs comportements entre 1926 et 1930témoignent de la confusion créée par la condamnation romaine de1926. En effet, alors que la Gazette Française va s'aligner sur les posi-tions de Maritain, le groupe de jeunes qui s'était créé autour de la pu-blication va, lui, se disloquer et cet éclatement va se répercuter sur lesitinéraires divergents de Fabrègues et Maxence.

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Jean de Fabrègues 4, à peine âgé de 18 ans et déjà adhérent de l'Ac-tion Française, a été mêlé - sous son nom ou sous celui de Guy deMontferrand - aux tout débuts de la Gazette Française dès 1924, pu-bliant de nombreux articles sur des sujets religieux - une quarantaineen 1925. En 1926, il deviendra même le Président d'un groupe de ré-flexion et d'action, les Chevaliers de Saint Michel, que les dirigeantsle la Gazette Française rattachèrent à la Ligue Apostolique des Na-tions, qui avait été créée en 1918, à l'instigation de Benoît XV, "pourrestaurer la paix entre les nations et combattre le laïcisme". Ce groupeeut pour aumôniers deux ecclésiastiques alors très proches de Mari-tain, les abbés Ghika et Lallement.

Lorsqu'éclate la crise romaine, les hésitations de Fabrègues sontrévélatrices de la confusion que celle-ci crée dans son environnement.Cette confusion tient d'abord aux ambiguïtés de la position du Vati-can, qui se reflètent d'ailleurs dans les flottements de l'analyse que faitMaritain lui-même de la situation, avec l'évolution qui va le conduireen quelques mois d'une attitude de médiation entre l'AF et le SaintSiège - dans Une opinion sur Charles Maurras et le devoir des catho-liques - à une attitude de rupture avec l'Action Française - avec Pri-mauté du Spirituel. Cette confusion tint aussi aux divergences appa-rues dans le milieu du Roseau d'Or entre Maritain d'un côté et Massiset Bernanos de l'autre, dont Fabrègues était proche. A quoi s'ajouta, en1929, pour des raisons privées, une brouille entre Massis et Bernanos,qui éloigna Fabrègues de Massis.

Dans ce contexte, la première réaction de Fabrègues qui s'appa-rente à [6] celle de Massis, et aussi à la première réaction de Maritain,c'est l'idée que l'avertissement romain reposait sur un malentendu etqu'il ne concernait pas ceux qui, comme lui, avaient une conscienceclaire de la hiérarchie à respecter entre les finalités religieuses et lesfinalités politiques. Campé sur cette position, Fabrègues va y resterlorsque la Gazette française suit Maritain dans sa rupture avec l'AF et,en 1927, il cesse sa collaboration. Pourtant, en octobre I927 dans unarticle, qui semble avoir été écrit après la publication de Primauté duSpirituel, et qui paraît dans le Bulletin de la Ligue Apostolique des

4 Sur J. de Fabrègues, on pourra se reporter à la thèse de Véronique Auzepy-Chavagnac, Jean de Fabrègues. Persistance et originalité d'une tradition ca-tholique de droite pendant l'entre deux guerres, Paris, Institut d'Etudes Poli-tiques, 1993.

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Nations, Fabrègues continue de se référer à Maritain, qu'il saluecomme "un maître de la renaissance catholique, (qui) est aussi notremaître à tous".

En fait, malgré son éloignement par rapport à la ligne de la GazetteFrançaise, Jean de Fabrègues restera marqué par cette expérience dejeunesse et par les inflexions qu'elle pouvait comporter par rapport àla stricte orthodoxie maurrassienne. C'est ainsi que s'il reste nationa-liste, son nationalisme se veut "un nationalisme ouvert à la dimensionuniverselle du christianisme", selon la formule de la Gazette Fran-çaise. De même, peut être considéré comme un héritage de la Gazettel'attention qu'il porte aux questions économiques et sociales 5, qui leconduira à fréquenter, en 1927-28, l'Union des Corporations Fran-çaises et le Cercle La Tour du Pin. Enfin, il reste fidèle à l'héritagephilosophique du thomisme et il est significatif que, licencié en philo-sophie, il ait suivi les cours de Gilson à la Sorbonne et préparé sous sadirection un mémoire sur "La notion de juste valeur chez Saint Tho-mas".

Ceci explique que, tout en gardant des liens avec l'Action Fran-çaise, notamment avec l'Association des Etudiants d'Action Française,Fabrègues commence, à partir du printemps 1928, à penser à la créa-tion d'une revue qui, tout en restant politiquement maurrassienne, in-tégrerait les préoccupations spirituelles, philosophiques et sociales quiavaient été les siennes dans son engagement à la Gazette Française.En fait, ce projet, tout en restant en gestation, ne verra le jour qu'enavril 1930, retardé notamment par le départ au service militaire deFabrègues. Lorsque le projet commence [7] à se concrétiser durantl'hiver 1930, Jean de Fabrègues n'a, apparemment, jamais été aussi

5 Témoigne de cette orientation l'article écrit par Maritain en 1925 sur un livrede G. Valois où il écrivait, dans un style que l'on retrouvera dans les revues dela Jeune Droite : "Nous ne devons pas avoir peur du mot révolution. Il y a desrévolutions nécessaires. Il (Valois) nous apporte une analyse admirablementlucide du rôle social de la bourgeoisie, du caractère à la fois mercantile et ju-ridique de l'esprit bourgeois, de la matérialisation de la vie publique imputableà cet esprit. La réfection de l'ordre, si elle se produit comme nous l'espérons,devra être, c'est une des conclusions de Valois, une révolution complète, insti-tuant l'Etat national à la place de l'Etat bourgeois, révolution encore plus pro-fonde que ne l'indique l'auteur de La Révolution Nationale en ce sens qu'elledevra comporter une reconnaissance publique de la royauté du Christ" ("En li-sant Georges Valois", Gazette Française, n°4, 28 mai 1925).

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proche de l'AF, puisqu'il est le secrétaire de Maurras, de janvier à avril1930. Il pense alors que sa revue, comme cela avait été le cas de laGazette Française, pourra coexister pacifiquement avec l'AF, tout enexprimant sa différence. Mais, lorsqu'il fait part de son projet à Maur-ras, il se heurte, au cours de plusieurs entretiens, à l'opposition de ce-lui-ci, une opposition sans doute d'autant plus intransigeante que l'AFse trouve alors secouée par plusieurs crises internes. Si bien que larevue de Fabrègues - Réaction - se créera en avril 1930 dans un con-texte de rupture avec l'AF.

Cet éloignement de Fabrègues allait être un éloignement sans re-tour, même si, sur le plan strictement politique, il reste monarchiste etfidèle au "réalisme" de l'empirisme organisateur 6. En revanche, saconviction que la crise n'est pas seulement "dans" les institutions mais"dans l'homme" - pour reprendre une formule de Thierry Maulnier -l'amène à relativiser le "politique d'abord" maurrassien et à militer,comme les autres non-conformistes des années 30, pour une "révolu-tion spirituelle". L'engagement de Fabrègues dans les années 30 peutse définir comme un engagement chrétien, qui s'inspire du thomismesur le plan philosophique, du maurrassisme sur le plan politique, et ducatholicisme social sur le plan économique. Des orientations que l'onretrouvera sous sa plume dans les publications dont il assurera la di-rection jusqu'en 1939 : Réaction, La Revue du Siècle, La Revue duXXe siècle, Combat, Civilisation.

En résumé, l'influence spirituelle et philosophique de Maritain surFabrègues est incontestable, même si cette influence est plutôt celledu Maritain d'avant 1926 et même si Fabrègues reproche au Maritainde Primauté du spirituel un "surnaturalisme" trop oublieux, selon lui,de l'importance spirituelle des réalités temporelles. Ceci apparaît par

6 En fait, tout en s'éloignant de l'Action Française institutionnelle, Fabrèguesgardera des liens personnels avec Maurras, prenant même son parti contreBernanos lors de la rupture de celui-ci avec l'AF, en 1932-33, du fait de sacollaboration au Figaro de F. Coty (Cf. les lettres de Fabrègues à Maurras inDeschodt P.J. (ed.), Cher maître... Lettres à Charles Maurras, Paris, C. deBartillat, pp. 113-140). Cette attitude à l'égard de Maurras n'est pas sans rap-peler celle adoptée par Fabrègues à l'égard de Maritain après Primauté du Spi-rituel, les désaccords sur certains problèmes n'impliquant pour lui ni la rupturedes liens personnels ni le reniement de tout ce qu'il estimait devoir par ailleursà chacun de ses "maîtres".

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exemple dans une note de la rédaction de Réaction, en 1931, dont onpeut penser qu'elle est de la plume de Fabrègues, qui déclare : "Nousqui gardons à l'égard de l'auteur des Trois Réformateurs, d'Antimo-derne, et des Réflexions sur l'intelligence la même reconnaissante ad-miration, nous ne pouvons souscrire à telles pages de Primauté du spi-rituel qui méprisent la "recherche [8] des causes" 7. Une partie de l'hé-ritage maritainien est donc assumée par Fabrègues, comme on peut sedemander si Maritain n'a pas influencé le choix du titre même de larevue créée en 1930, dont l'intitulé complet, Réaction pour l'ordre,rappelle un texte des dialogues de Théonas, dans lequel Maritain écri-vait, en 1920, en entendant évidemment, comme Réaction, le terme"ordre" dans son sens métaphysique : "Nous n'avons pas peur de larévolution, cher Philonous. C'est même nous qui finalement la ferons.Car ce sera une fameuse révolution que le retour du monde àl'ordre". 8

L'itinéraire de Pierre Godmé, qui se fera connaître sous le pseudo-nyme de Jean-Pierre Maxence, est plus simple à résumer que celui deFabrègues. Comme celui de Fabrègues, cet itinéraire passe par la Ga-zette Française et les Chevaliers de Saint Michel. Toutefois, contrai-rement à Fabrègues, Maxence n'a pas à cette époque de liens directsavec l'Action Française, son seul contact avec ce milieu étant une col-laboration à une revue seulement sympathisante, La Revue Fédéra-liste. De ce fait, au moment de la condamnation, en 1926, c'est sansdifficulté qu'il s'aligne, comme la Gazette française, sur les positionsde Maritain et sur les thèses de Primauté du spirituel. Son engagementest alors essentiellement un engagement chrétien et catholique, qui leconduit d'ailleurs à entrer en 1926 au séminaire d'Issy les Moulineaux.Mais, après son service militaire, il renonce à cette vocation et, àpeine revenu à la vie civile, il crée en 1928 une publication explicite-ment catholique, Les Cahiers, dont le tiers du premier numéro étaitoccupé par un commentaire approbateur de Primauté du spirituel, enindiquant par là quelles étaient les orientations et les fidélités de lanouvelle revue. Attachés à "réintégrer la vie de l'âme dans l'art commedans la pensée", Les Cahiers sont alors très sarcastiques à l'égard del'Action Française et se définissent comme une revue catholique,

7 Réaction, mai 1931, n°7, p. 34.8 Théonas, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1921, p. 153.

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proche de l'esprit du Roseau d'or et des dominicains qui viennent defonder La Vie Intellectuelle.

Une première évolution va s'amorcer lorsque, à partir de 1929, LesCahiers vont se réclamer avec de plus en plus d'insistance de Péguy,en mettant en avant l'idée de révolution spirituelle pour signifier leurvolonté de rompre avec ce qu'on n'appelait pas encore le désordre éta-bli. Cette volonté de rupture et cette commune référence à Péguy, quel'on retrouvera dans l'histoire d'Esprit, permettent de comprendrepourquoi, en 1939, Mounier pourra écrire : "Les Cahiers 1928 deMaxence sont un des essais à [9] travers lesquels Esprit se cherchaavant de se réaliser".

Cette référence à Péguy et son insistance sur "l'incarnation du spi-rituel" vont contribuer à "temporaliser" les préoccupations des Ca-hiers en les amenant à confronter l'humanisme chrétien dont ils se ré-clamaient avec ce qu'ils percevaient comme le matérialisme grandis-sant des sociétés modernes, que celui-ci soit le matérialisme théoriquedes communistes ou le matérialisme pratique des sociétés bour-geoises. Cette évolution va s'accélérer en 1930 lorsque Maxence de-vint le rédacteur en chef d'une autre revue La Revue Française, d'au-tant que parallèlement, Massis lui fait rencontrer de jeunes intellec-tuels proches de l'Action française, Thierry Maulnier et Robert Brasil-lach notamment. Ainsi, parti d'une position très maritainienne en1926, Maxence va se retrouver en 1930-31 dans les parages de l'Ac-tion Française, même si ce qu'il considère comme le conservatismesocial de l'AF le tient éloigné de toute velléité d'adhésion formelle. Entout cas, cette évolution a traduit une politisation de ses préoccupa-tions, tandis que les références chrétiennes et spirituelles vont s'es-tomper, une évolution dont témoignera le livre Demain la France,qu'il écrira avec Thierry Maulnier et son frère Robert Francis au len-demain des émeutes de Février 34.

Comme on le constate, les itinéraires de Fabrègues et Maxencesont des itinéraires croisés. Fabrègues, tout en s'interrogeant, restedans un premier temps fidèle à l'Action Française, avant de s'éloignersans retour avec la fondation de Réaction. Inversement, après avoirsuivi Maritain dans sa rupture avec l'AF, l'itinéraire de Maxence secaractérisera par une politisation croissante, avec une orientation trèsviolemment antiparlementaire et anticapitaliste. De ce fait, lorsque,entre 1936 et 1939, Fabrègues et Maxence se retrouveront dans la re-

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vue Combat, dirigée conjointement par Fabrègues et Thierry Maul-nier, Maxence y représentera une aile activiste, tendant à donner lapriorité au combat politique et social, tandis que Fabrègues, tout enrestant monarchiste, y représentera une position soucieuse de concilierla rigueur de son engagement intellectuel et chrétien avec les exi-gences de l'engagement politique. Témoigne notamment de cette di-vergence, en 1936, une lettre de Fabrègues à Thierry Maulnier, oùFabrègues dira son irritation devant "le même Maxence qui, de 1927 à1932, lançait feux et flammes pour les hommes de La Vie catholiqueet de La Vie Intellectuelle (qu'il vomit aujourd'hui) contre l'ActionFrançaise (dont il reprend aujourd'hui tous les mots d'ordre et tous lesslogans)" 9.

[10]

Ceci dit, si on peut à juste titre penser que, sur le plan spirituel etphilosophique, l'influence initiale de Jacques Maritain a contribué àl'originalité de certaines des orientations intellectuelles de la JeuneDroite des années 30, il est bien évident cependant que les choix poli-tiques concrets de Fabrègues et de Maxence face aux événements del'époque seront très éloignés de ceux de Maritain, qu'il s'agisse desréactions à l'invasion de l'Ethiopie en 1935, à la guerre d'Espagne en1936, aux accords de Munich en 1938. Cette divergence se retrouveraaussi face au régime de Vichy, que Maritain condamnera sans appel,alors que Fabrègues et Maxence seront favorables aux principes dontse réclamait la Révolution Nationale.

Néanmoins, sur le plan philosophique et spirituel, Fabrègues etMaxence resteront marqués par leurs années d'apprentissage à l'ombredu Roseau d'Or. C'est ainsi que Maxence, exilé en Suisse après 1945,y fondera un Centre d'Etudes Thomistes qu'il animera jusqu'à sa morten 1956. Quant à Fabrègues, devenu après la guerre le rédacteur enchef puis le directeur de La France catholique, sa fidélité au tho-misme et son intérêt pour l'oeuvre philosophique de Maritain conti-nueront de se manifester. En 1956, répondant à une enquête de l'heb-domadaire Arts sur les années 30, il pourra dire, en résumant son itiné-raire, de façon schématique mais significative : "À seize ans j'étaismaurrassien, puis j'ai suivi Maritain et j'ai été amené à St Thomas

9 Lettre reproduite dans les annexes de la thèse de V. Auzepy-Chavagnac, op.cit.

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d'Aquin". Enfin, cette fidélité de Fabrègues au "maître" de sa jeunessese manifestera aussi par l'accueil qu'il réservera à la publication duPaysan de la Garonne en 1966 10.

2. Maritain et Esprit

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Dans l'histoire de la Jeune Droite, Maritain a joué un rôle non né-gligeable, mais un rôle dans une certaine mesure indirect, à traversl'empreinte qu'avait laissée dans certains milieux proches de l'AF soncompagnonnage des années 1920-26. En revanche, dans l'histoired'Esprit, son rôle a été beaucoup plus direct et ce sont les orientationsdu Maritain des années 30 qui vont se répercuter pour une part dans lacréation d'Esprit.

Jacques Maritain a été associée à la création d'Esprit dès sa périodede gestation entre 1930 et 1932. Mounier avait rencontré Maritaindans le courant de l'année 1928, malgré les réticences que pouvaitavoir un élève de Jacques Chevalier pour le néo-thomisme anti-bergsonien de Maritain. En [11] 1929, les liens entre Mounier et Mari-tain se resserrèrent avec le projet de Mounier d'écrire, en collaborationavec J. Daniélou, bientôt remplacé par G. Izard, un livre sur Péguyque Maritain s'engagea à publier dans la collection du Roseau d'Or.Alors que se déroulaient les dernières réunions pour la mise au pointdu livre, Mounier et Izard firent part à Maritain, à la fin de l'année1930, de leur intention de créer une revue. Maritain accueillit très cha-leureusement cette idée et jusqu'à la parution du premier numéro, enoctobre 1932, il va s'employer activement à aider l'entreprise de sesjeunes amis, tant sur le plan matériel - recherche d'un éditeur, de sous-cripteurs, de collaborateurs - que sur le plan intellectuel. Comme il lerappellera plus tard à Mounier, "Vous savez que j'ai beaucoup faitpour la revue, que j'ai payé de ma personne" 11

10 Sur la Jeune Droite, on pourra se reporter à Nicolas Kessler, Histoire politiquede la Jeune Droite (L'Harmattan, 2001).

11 Correspondance Jacques Maritain-Emmanuel Mounier 1929-1939, Paris,Desclée p. 46.

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Ceci dit, l'attitude de Maritain était un peu ambiguë, dans la me-sure où il tenait à souligner que l'essentiel de son engagement se si-tuait au niveau philosophique, même s'il soutenait et conseillait l'ac-tion d'Esprit : "Mon affaire à moi, écrivait-il à Mounier, est d'aller à ladécouverte, en taillant les notions aussi exactement que possible et entâchant de suivre le fil de la vérité dans les questions difficiles et nonde prendre part à des manifestations collectives où la pureté des no-tions risque d'être toujours quelque peu bousillée" 12. Dans cette pers-pective, Maritain veillera à ce que ses contributions à la revue soientprésentées comme des contributions intellectuelles traduisant une ré-flexion individuelle convergeant avec celle d'Esprit, mais sans impli-quer un embrigadement dans une "manifestation collective", fut-ellecelle d'Esprit 13. Jacques Maritain conçoit alors son rôle comme celuid'un mentor, d'un conseiller, d'un tuteur, dont Mounier accepte en1931 sans réticence le principe puisqu'il lui écrit alors : "Voulez vousvous engager dès aujourd'hui à ne jamais me voiler votre avis sur quoique ce soit ? (...) Ce me sera une sécurité de sentir cette transparencede notre amitié" 14.

[12]

De fait, même s'il reste volontairement à l'arrière plan, la vigilancede Maritain ne fera pas défaut à Mounier et va se traduire par des con-séquences importantes tant sur l'histoire quelque peu tourmentée desdébuts d'Esprit que sur ses orientations intellectuelles.

C'est ainsi qu'en ce qui concerne l'histoire d'Esprit, Maritain va pe-ser sur l'issue d'un débat qui se pose dès les débuts de la revue. Lors-qu'Esprit fut fondé, en août 1932, il était convenu entre les principaux

12 Ibid. p. 54.13 Cette façon de se situer par rapport à Esprit n'est pas sans rappeler la façon

dont Maritain définissait son rôle par rapport aux milieux d'Action Françaiseavant 1926, et ceci même par rapport à La Gazette Française. C'est ainsi qu'àl'occasion de la "journée de rentrée" de La Gazette Française, en janvier 1926,celle-ci rendait compte en style indirect de l'intervention de Maritain en cestermes : "S'il est ici, c'est dans la mesure où La Gazette Française occupe uneposition supérieure aux partis politiques. Il fait en effet remarquer qu'il estprofondément attaché à son rôle de philosophe et qu'il entend ne pas se mêleractivement au mouvement politique proprement dit" (La Gazette Française,n°39, 28 janvier 1926).

14 Correspondance, op. cit. p. 43.

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responsables que serait créé, en même temps que la revue, un mou-vement destiné à mobiliser des militants pour une action politiqueconcrète. Le mouvement fut baptisé la IIIe Force et sa direction assu-rée par Georges Izard. Assez rapidement il apparut que les préoccupa-tions d'action immédiate des animateurs de la IIIe Force étaient assezéloignées de l'effort de recherche intellectuel et spirituel que Mounierentendait développer dans Esprit. Ces divergences se concrétisèrentavec un texte de la IIIe Force publié par Esprit, dans lequel la IIIeForce envisageait la possibilité de participer à une action communeavec les communistes pour réaliser une révolution collectiviste, aprèsquoi serait possible la révolution personnaliste dont se réclamaientEsprit comme la IIIe Force. Ce texte provoqua une violente réactionde Maritain qui, dénonçant ce qu'il appelait "les niaiseries kérens-kystes de la IIIe Force", menaça Mounier de rompre toute relationavec Esprit. Mounier, déjà réticent devant l'évolution de la IIIe Force,fut renforcé dans cette conviction par l'admonestation de Maritain et,en juillet 1933, un texte commun signé de Mounier et d'Izard consacrale divorce et l'indépendance réciproque de la revue et du mouvement.

De même, Maritain se montra aussi réticent devant la collaborationaux premiers numéros d'Esprit de certains représentants de l'OrdreNouveau, Dandieu, A. Marc, Denis de Rougemont, René Dupuis no-tamment. Mettant en cause "l'allure sommaire des articles venant del'ON", Maritain écrivait ainsi à Mounier : "Il est immoral du simplepoint de vue de l'éthique du travail, de remplacer le respect de la véritépar une violence verbale et un dogmatisme insolent couvrant la misèred'une pensée invertébrée" 15. Là encore, l'intervention de Maritain nefut sans doute pas étrangère à la rupture qui intervint entre Esprit etl'Ordre Nouveau au début de 1934, Denis de Rougemont maintenantseul un lien entre les deux groupes.

Enfin, de manière plus souterraine, Maritain apportera sa cautionmorale à Mounier et à Esprit lorsque des bruits de mesures discipli-naires [13] commencèrent à se répandre dans les milieux ecclésias-tiques, d'abord en 1933, au niveau de l'archevêché de Paris, puis en1937 au Vatican. Dans les deux cas Jacques Maritain s'attachera à ex-pliquer les positions d'Esprit et à utiliser son réseau de relations ecclé-siastiques pour défendre l'action de Mounier.

15 Correspondance, op. cit. p. 67.

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En fait, derrière ces péripéties événementielles se profilent des dé-bats intellectuels qui conduiront Maritain à adopter progressivement àl'égard d'Esprit une attitude de sympathie critique, dans la mesure oùil apparut assez rapidement que l'entreprise de Mounier ne correspon-dait pas exactement à ce qu'en attendait Maritain, même s'il continuaità en approuver l'orientation générale. Il écrira ainsi à Mounier : "entreles premiers projets dont vous m'aviez parlé et les premières réalisa-tions, trop de différences ont surgi qui pouvaient m'inquiéter" 16. Cecidit, ces débats sont loin d'être sans intérêt car ils portaient sur desquestions importantes et aident à cerner aussi bien la pensée de Mari-tain que celle de Mounier durant cette période.

Le premier débat, qui s'est reflété dans l'affaire de la IIIe Force, aporté sur l'orientation "révolutionnaire" d'Esprit, alors qu'Esprit,comme les autres groupes non-conformistes des années 30, mettait enavant la notion de "révolution spirituelle". Maritain se montra très in-quiet des confusions que le terme de révolution était susceptible decréer, dans un contexte - celui de la fin des années 20 et le début desannées 30 - où ce terme était synonyme de révolution sociale et poli-tique d'inspiration marxiste et communiste. À de nombreuses reprises,Maritain met en garde Mounier contre les ambiguïtés de ce vocabu-laire et contre une attitude qui conduirait "à flagorner les "révolution-naires" sans aucune dignité" 17, en donnant à la révolution une valeurpar elle-même. "À mon avis, écrit-il alors à Mounier, il importe beau-coup qu'on sache explicitement que vous placez le christianismeavant 18 la révolution et que ce que vous proposez c'est de préparer lesconditions d'une révolution chrétienne et non pas - ce qui serait tout lecontraire - un accord sur une "révolution" équivoque, prise pour fin ensoi, ce qui n'aurait pour effet que de décomposer la conscience chré-tienne, en la rendant complaisante à la révolution destructrice etathée" 19. De fait, dans un "programme pour 1933", Mounier seraamené à reprendre les formules de Maritain, en insistant sur le fait quela référence d'Esprit à l'idée de "révolution spirituelle" n'impliquaitpas "une sympathie systématique pour [14] tout ce qui est révolution-naire", ajoutant : "La révolution n'est pas pour nous la valeur première

16 Ibid., p.88.17 Ibid., p. 60.18 Souligné par Maritain.19 Lettre du 10/11/32, Ibid., p. 66.

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(...) Nous sommes du parti de l'esprit avant d'être du parti de la révolu-tion".

Cette attitude de Maritain n'était pas une mise en cause des consé-quences révolutionnaires de ce qu'Esprit allait appeler bientôt "la rup-ture de l'ordre chrétien avec le désordre établi", elle visait surtout àéviter les confusions avec la tradition révolutionnaire "anthropocen-trique" et athée dont le communisme lui paraissait être la manifesta-tion la plus achevée. Ce débat est d'ailleurs révélateur des connota-tions qui étaient liées au terme révolution au début des années 30, etde sa banalisation à partir de 1933-34, qui va résulter, pour une part,de l'usage que vont en faire les non-conformistes des années 30 20. Parailleurs, du côté de Maritain, on peut se demander si la fermeté intran-sigeante de ses avertissements à Mounier en 1932-33 n'est pas un peudécalé par rapport à son attitude ultérieure, notamment dans Huma-nisme intégral. A ce moment, c'est lui qui se verra accusé de "décom-poser la conscience chrétienne en la rendant complaisante à la révolu-tion destructrice et athée". On peut donc s'interroger pour savoir si, surce point, il y a évolution de l'attitude de Maritain entre 1932 et 1936.De même peut-on noter que si Maritain parle à Mounier de "révolu-tion chrétienne", celui-ci ne reprend pas l'expression dans sa mise aupoint et préfère employer l'expression "révolution de l'esprit", en lais-sant ainsi transparaître une divergence latente avec Maritain.

Un autre débat est en effet en filigrane du premier. Il a porté surl'identité chrétienne de la revue. Durant la période de gestation en1930-32, il est clair, pour Maritain, que la nouvelle publication doitêtre explicitement chrétienne et catholique, même si elle doit être ou-verte à des collaborateurs et des lecteurs incroyants. Or, sur ce point,la position des fondateurs d'Esprit va se révéler assez rapidement am-biguë et, durant les premiers mois de l'existence d'Esprit, Maritain vaadresser à Mounier de nombreux rappels à l'ordre. "Je continue àcraindre lui écrit-il ainsi le 2 novembre 1932, qu'il y ait à l'origine devotre revue quelque chose d'équivoque et de dangereux en ce qui con-cerne votre position à l'égard du catholicisme (...) Vous êtes perdu sivous laissez, sous un prétexte ou sous un autre le moindre germe de

20 Témoignera de cette banalisation l'usage qui en sera fait dans les années 40avec la "Révolution nationale" de Vichy ou le slogan "De la Résistance à laRévolution" de la Résistance.

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neutralité ou d'interconfessionnalisme s'insérer en vous. Votre seuleforce véritable, nous l'avons dit mille fois, c'est la Foi et c'est l'Évan-gile" 21.

[15]

La correspondance échangée entre Maritain et Mounier en 1932-33montre que Maritain fait dans cette perspective une lecture extrême-ment attentive des textes publiés par Esprit, obligeant Mounier à ap-porter des précisions et des clarifications, qui restent cependant en gé-néral en deçà de ce qu'il aurait souhaité. C'est ainsi que si Mounieraccepte de souligner l'identité chrétienne et catholique des fondateursde la revue, il se refuse en revanche à ce qu'Esprit apparaisse commeune publication confessionnelle, en considérant que, pour réaliser larévolution spiritualiste et personnaliste dont Esprit devait être l'ins-trument, les représentants d'autres traditions religieuses et les in-croyants avaient, eux aussi, leur pierre à apporter à cette œuvre com-mune. Si on se réfère aux catégories proposées par Maritain lui-mêmedans Humanisme Intégral, il semble que le Maritain de 1932-33 aitsouhaité que dans Esprit les chrétiens s'expriment "en tant" que chré-tiens, pour être les agents privilégiés d'une "révolution chrétienne",alors que Mounier pensait que les chrétiens devaient s'exprimer "enchrétiens" pour être les coauteurs de la révolution spirituelle et per-sonnaliste qu'Esprit entendait susciter, en faisant collaborer chrétienset non-chrétiens. Se manifeste donc ici une certaine divergence sur lafaçon de concevoir l'action "révolutionnaire" à mettre en œuvre et surle rôle que les chrétiens devaient avoir dans celle-ci, avec, ici encore,une position de Maritain qui semble quelque peu différente de cellequ'il adoptera dans Humanisme intégral.

Enfin, à l'arrière plan de tout cela, se trouve ce que Maritain, en re-prenant une formule de Péguy, appellera "la vieille querelle entre lamystique et la politique". À ce niveau s'exprime la crainte de Maritainde voir Esprit sacrifier la pureté de ses principes et de ses intentionsspirituelles initiales à des compromissions motivées par le soucid'assurer la réussite temporelle de son action. D'où ses avertissementsconcernant les confusions révolutionnaires ou l'identité chrétienne dela revue, comme les mises en garde à propos de l'évolution de la IIIe

Force. Ainsi le voit-on dénoncer "une équivoque qui ne peut pas et ne

21 Correspondance, op. cit. p. 56.

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doit pas durer" en déclarant : "On veut réussir la révolution : aussitôtfonctionne la vieille trahison dénoncée par Péguy, trahison de la"mystique" de la révolution par les politiciens de cette révolution". Etil ajoute que la question essentielle posée par l'idée de révolution spi-rituelle est "celle de la purification des moyens impliquées par elle" 22.

À ces objurgations Mounier réagira, ici encore, de manière ambi-guë. Une part de lui-même incline à partager le point de vue de Mari-tain, [16] notamment en ce qui concerne la dérive des "hommes d'ac-tion" de la IIIe Force. "Je les sens, note-t-il, perdre le contact aveceux-mêmes, le sens de la méditation, le sens de l'insuccès. Toute leurœuvre tend à la réussite, toute la nôtre au témoignage". Mais, enmême temps il écrit : "Je sens bien que l'œuvre serait incomplète sielle ne se prolongeait dans l'action nécessaire, avec ses forces contreles forces établies" 23. Cette seconde perspective le conduit à se mon-trer réticent devant les intransigeances de Maritain, qu'il accuse de"penser en ermite", en remarquant que si on le suivait jusqu'au bout desa logique il vaudrait mieux "créer une œuvre monastique" 24 plutôtqu'Esprit. Ainsi, face à Maritain, qui entend sauvegarder sa libertéintellectuelle et n'avoir pour seule force que "l'indépendance de la vé-rité", Mounier se trouve partagé entre des préoccupations intimesproches de celles de Maritain et le souci de ne pas négliger les exi-gences de "l'œuvre temporelle" dans laquelle il se trouve engagé.

Si la création d'Esprit n'a pas répondu à toutes les attentes de Mari-tain, celui-ci a néanmoins, on l'a vu, été étroitement mêlé à sa fonda-tion et aux premières années de son existence. On ne peut évoquer lanaissance d'Esprit sans mentionner le rôle de Maritain. On peut d'ail-leurs penser qu'à travers les débats qui ont été évoqués précédemment,Maritain et Mounier se sont sans doute influencés réciproquement.C'est ainsi que l'évolution de la réflexion de Maritain sur l'action tem-porelle entre 1932 et 1936 a sans douté été tributaire des événementsde l'époque, mais elle n'a pas été non plus sans rapport avec la façondont Esprit et Mounier posaient ce problème. Inversement, même siMounier ne s'est pas toujours conformé à ce que lui recommandaitMaritain, les interventions de celui-ci ont sans nul doute contribué à

22 Ibid., p. 79.23 Lettre 18/5/33 - in Oeuvres de Mounier, Paris, Seuil, 1963, T. IV, p. 532.24 Entretien 5/11/32 in Oeuvres, op. cit. p. 510.

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l'approfondissement de la réflexion de Mounier sur les questionsqu'elles soulevaient. C'est d'ailleurs cette dette que reconnaîtra Mou-nier lorsqu'il écrira en 1939 : "À toute une génération, même éloignéede ses techniques de pensée, il a rendu le goût de la rigueur et de lasanté intellectuelle ; il l'a sauvée d'un rousseauisme facile, des philo-sophies sentimentales, du vertige de la modernité" 25

Au terme de cette évocation du rôle de Maritain dans l'apparitiondes groupes et revues non-conformistes des années 30, il peut être ten-tant de s'interroger sur l'apparente dichotomie opposant le Maritaind'avant 1926, influençant la Jeune Droite, et le Maritain de 1927-1935influençant Esprit, en se demandant s'il n'y a pas des orientationscommunes qui rendraient [17] compte à la fois de son influence sur laJeune Droite et sur Esprit.

On peut ici noter qu'une première orientation commune, que l'onretrouve chez Maritain avant 1926 comme après 1926, est constituéepar ce que l'on peut appeler, en reprenant le vocabulaire d'Esprit, larupture entre l'ordre chrétien et le désordre établi. Ce n'est d'ailleurssans doute pas un hasard si Jean de Fabrègues pourra dire en 1933qu'il est en total accord avec ce qu'écrit Mounier sur ce thème. Danscette perspective, on peut donc considérer que ce que l'on peut appelerl'attitude "antimoderne" de Maritain, avant comme après 1926, a euune influence importante aussi bien sur la Jeune Droite que sur Esprit,en contribuant à amener les deux courants à ce diagnostic de "crise decivilisation" qui apparaît comme l'une des spécificité les plus fortes dunon-conformisme des années 30.

Ceci dit, les cibles de la dénonciation de Jacques Maritain ne sontpas exactement les mêmes dans les années 20 et les années 30. Avant1926, c'est surtout le désordre démocratique qui est mis au premierplan, alors que dans les années 30 c'est davantage le désordre capita-liste (mais, on l'a vu, cette dernière orientation n'était pas totalementabsente avant 1926). De même, est aussi quelque peu différente la dy-namique de cette "rupture avec le désordre établi". Avant 1926, cettedynamique a une coloration un peu passéiste, avec l'idée d'un chan-gement destiné à amener un "retour à l'ordre" selon la formule em-ployée par Maritain en 1920. En revanche, dans les années 30, cetterupture a une tonalité plus prospective en insistant sur l'idée que ce

25 Mounier et sa génération, Paris, Seuil, 1954, p. 209.

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"retour à l'ordre" passe par l'invention d'un ordre nouveau tenantcompte de l'évolution de l'histoire 26. Quoi qu'il en soit, dans les deuxcas, on trouve un point commun qui est une critique radicale de l'ordreétabli. On peut d'ailleurs se demander si cette observation ne confirmepas l'hypothèse avancée par Émile Poulat, tendant à considérer que laJeune Droite et Esprit ont constitué dans les années 30 deux expres-sions du même "catholicisme intransigeant", dont Maritain aurait étéle vecteur dans les années 20 27.

Le deuxième apport de Maritain aux orientations de la JeuneDroite et d'Esprit réside sans doute dans les références personnalistes,à travers [18] lesquelles les deux courants allaient tenter d'échapper àla fois aux dérives individualistes et collectivistes du désordre établi.Il est évident que la Jeune Droite a emprunté aux Trois Réformateursla hiérarchie individu/société/ personne. Quant à la dialectique indivi-du/personne que l'on trouvera développée dans Esprit, elle doit sansdoute aussi beaucoup à Maritain, même si Mounier ne fait, semble-t-il, nulle part allusion à l'origine maritainienne de ce vocabulaire, quel'on retrouve en tout cas chez Maritain aussi bien avant qu'après 1926.

Enfin, au chapitre des continuités entre le Maritain du début desannées 20 et celui des années 30, il faut mentionner la notion de "poli-tique chrétienne", qui apparaît sous sa plume aussi bien avant 1926qu'après. Cette perspective, qui justifiait ses sympathies pour la Ga-zette Française avant la condamnation romaine, se retrouve en effeten 1935 dans sa Lettre pour l'indépendance 28, comme elle est pré-sente dans ses discussions avec Mounier avec l'idée de "révolutionchrétienne". Même si le contenu qu'il donne à cette notion dans lesannées 30 est différent, la référence à celle-ci reste, elle, présente et on

26 C'est ainsi que répondant à une enquête de Réaction sur la notion "d'ordre",Maritain écrivait en mai 1931 : ".... nous ne devons pas nous faire une idéediminuée de l'ordre. Nous ne devons pas non plus nous faire de l'ordre uneimage déficiente et univoque, qui impliquerait elle-même un désordre intrin-sèque si elle prétendait replier toute l'histoire sur un seul de ses moments.C'est une tâche difficile que de joindre comme il faut la fidélité à l'éternel etl'attention au présent" (Réaction, mai 1931, n°7, p. 31). Le contenu de cettelettre est d'autant plus intéressant que le Maritain de 1931 s'y adresse à cer-tains de ses fidèles de 1925-26.

27 E. Poulat, "Les non-conformistes des années 30 (J.L. Loubet del Bayle)" inArchives de sociologie des religions, n°31, janvier-juin 1971,p. 221et s.

28 J. Maritain, Lettre sur l'indépendance, Paris, Desclée, 1935, p. 30 et p. 65.

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a vu que Mounier se gardera de suivre Maritain dans cette voie. Par làse révèle sans doute une des divergences latentes entre Mounier etMaritain. En schématisant quelque peu les choses, on peut dire queMaritain souhaitait une "révolution chrétienne", pour bâtir une citépersonnaliste et communautaire qui, par là même, serait adaptée auxexigences de la condition humaine, tandis que Mounier en appelait àune "révolution spirituelle", pour construire une cité personnaliste etcommunautaire qui, par là même, serait adaptée aux exigences spiri-tuelles du christianisme. De cela découlait une vision quelque peu dif-férente, sans être totalement opposée, du rôle des chrétiens dans lasociété.

Par là, cette étude de l'influence de Maritain sur le mouvement desidées durant l'entre deux guerres débouche sur des questions plus gé-nérales qui sont celles du rapport du christianisme avec la politique,du rapport des chrétiens avec la politique.

Fin du texte