Jacques Le Goff, Faut-il Vraiment Decouper l'Histoire en Tranches

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Jacques Le Goff

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  • LA LIBRAIRIE DU XXIe SICLE

    Collectiondirige par Maurice Olender

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  • Jacques Le Goff

    Faut-il vraiment dcouper lhistoire

    en tranches ?

    ditions du Seuil

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  • isbn 978-2-02-11 -27232

    ditions du Seuil, janvier 2014

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    www.seuil.com

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  • 7 AVANT-PROPOS

    Ni thse ni synthse, cet essai est laboutis-sement dune longue recherche : une rflexion sur lhistoire, sur les priodes de lhistoire occi-dentale, au sein de laquelle le Moyen ge est mon compagnon depuis 1950. Nous tions alors aux lendemains de mon agrgation dont le jury tait prsid par Fernand Braudel et o lhistoire mdivale tait reprsente par Maurice Lombard.

    Il sagit donc dun ouvrage que je porte en moi depuis longtemps, nourri dides qui me tiennent cur et que jai pu formuler, ici ou l, de diverses manires 1.

    1. Voir notamment un recueil dentretiens et darticles divers publis dabord dans la revue LHistoire, entre 1980 et 2004, repris sous le titre Un long Moyen ge, Paris, Tallandier, 2004, rd., Hachette, Pluriel , 2010.

  • 8Lhistoire, comme le temps qui est sa matire, apparat dabord comme continue. Mais elle est faite aussi de changements. Et, depuis long-temps, les spcialistes ont cherch reprer et dfinir ces changements en dcoupant, dans cette continuit, des sections que lon a appeles dabord les ges puis les priodes de lhistoire.

    crit en 2013, lheure o les effets quoti-diens de la mondialisation sont de plus en plus tangibles, ce livre-parcours revient ainsi sur les diverses manires de concevoir les priodi-sations : les continuits, les ruptures, les faons de penser la mmoire de lhistoire.

    Or ltude de ces diffrents types de prio-disation permet de dgager, me semble-t-il, ce que lon peut appeler un long Moyen ge . Et cela notamment si lon reconsidre la fois les significations que lon a voulu attribuer, depuis le xixe sicle, la Renaissance et la centralit de cette Renaissance .

    Autrement dit, traitant du problme gnral

  • 9du passage dune priode lautre, jexamine un cas particulier : la prtendue nouveaut de la Renaissance et son rapport au Moyen ge. Ce livre met ainsi en vidence les caractristiques majeures dun long Moyen ge occidental qui pourrait aller de lAntiquit tardive (du iiie au viie sicle) jusquau milieu du xviiie sicle.

    Cette proposition nesquive pas la conscience que nous avons dsormais de la mondialisation des histoires. Le prsent et lavenir engagent chaque secteur de lhistoriographie une remise jour des systmes de priodisation. Cest cette tche ncessaire que ce volume explora-toire aimerait aussi contribuer 2.

    Si la centralit de la Renaissance se trouve au cur de cet essai, incitant renouveler notre vision historique, souvent trop trique, de ce Moyen ge auquel jai consacr avec passion ma vie de chercheur, les questions souleves

    2. La bibliographie, en fin de volume, incite poursuivre, par dautres lectures, ltude de questions souvent peine abordes ici.

  • concernent principalement la conception mme de lhistoire en priodes .

    Car reste savoir si lhistoire est une et continue ou sectionne en compartiments. Ou encore : faut-il vraiment dcouper lhistoire en tranches ?

    clairant ces problmes de lhistoriographie, ce livre se veut une contribution, aussi modeste soit-elle, la rflexion nouvelle lie aux histoires mondialises.

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    PRLUDE

    Un des problmes essentiels de lhumanit, apparu avec sa naissance mme, a t de matriser le temps terrestre. Les calendriers ont permis dor-ganiser la vie quotidienne, car ils sont presque toujours lis lordre de la nature, avec deux rfrences principales, le Soleil et la Lune. Mais les calendriers dfinissent en gnral un temps cyclique et annuel, et demeurent inefficaces pour penser des temps plus longs. Or si lhumanit nest pas jusqu prsent capable de prvoir avec exactitude le futur, il lui importe de matriser son long pass.

    Pour lorganiser, on a recouru divers termes : on a parl d ges , d poques , de cycles . Mais le mieux adapt me semble celui de priodes . Priode vient du grec periodos 1

    1. R. Valry et O. Dumoulin (dir.), Priodes. La construc

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    qui dsigne un chemin circulaire. Le terme a pris entre le xive et le xviiie sicle le sens de laps de temps ou ge . Au xxe sicle, il a produit la forme drive priodisation .

    Ce terme de priodisation sera le fil conducteur de cet essai. Il indique une action humaine sur le temps et souligne que son dcoupage nest pas neutre. Il sagira ici de mettre en vidence les raisons plus ou moins affiches, plus ou moins avoues quont eues les hommes de dcouper le temps en priodes, souvent assorties de dfinitions qui soulignent le sens et la valeur quils leur confrent.

    Le dcoupage du temps en priodes est nces-saire lhistoire, quon la considre au sens, gnral, dtude de lvolution des socits ou

    tion du temps historique. Actes du Ve colloque dHistoire au prsent, Paris, d. de lEHESS, 1991 ; J. Leduc, Priode, priodisation , in Chr. Delacroix, Fr. Dosse, P. Garcia et N. Offenstadt (dir.), Historiographies, Concepts et dbats II, Paris, Gallimard, Folio Histoire , 2010, p. 830-838 ; pour ge , voir A. Luneau, LHistoire du salut chez les Pres de lglise, la doctrine des ges du monde, Paris, Beauchesne, 1964 ; poque est le terme retenu par Krzysztof Pomian dans son grand livre LOrdre du temps, Paris, Gallimard, 1984, chap. iii poques , p. 101-163.

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    de type particulier de savoir et denseignement, ou encore de simple droulement du temps. Mais ce dcoupage nest pas un simple fait chro-nologique, il exprime aussi lide de passage, de tournant, voire de dsaveu vis--vis de la socit et des valeurs de la priode prcdente. Les priodes ont par consquent une signifi-cation particulire ; dans leur succession mme, dans la continuit temporelle ou, au contraire, dans les ruptures que cette succession voque, elles constituent un objet de rflexion essentiel pour lhistorien.

    Cet essai examinera les rapports historiques entre ce quon appelle habituellement Moyen ge et Renaissance . Et, comme il sagit de notions qui sont elles-mmes nes au cours de lhistoire, jattacherai une attention parti-culire lpoque o elles sont apparues et au sens quelles vhiculaient alors.

    On tente souvent dassocier priodes et sicles . Ce dernier terme utilis dans le sens de priode de cent ans commenant

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    thoriquement par une anne se terminant par 00 nest apparu quau xvie sicle. Auparavant le mot latin sculum dsignait soit lunivers quo-tidien ( vivre dans le sicle ), soit une priode assez courte mal dlimite et portant le nom dun grand personnage qui lui aurait donn son clat : par exemple sicle de Pricls , sicle de Csar , etc. La notion de sicle a ses dfauts. Une anne se terminant en 00 est rarement une anne de rupture dans la vie des socits. On a donc laiss entendre ou mme affirm que tel ou tel sicle commenait avant ou aprs lanne charnire et se prolongeait au-del de cent ans, ou inversement sarrtait plus tt : ainsi, pour les historiens, le xviiie sicle commence en 1715, et le xxe sicle en 1914. Malgr ces imperfections, le sicle est devenu un outil chronologique indispensable non seu-lement pour les historiens mais pour tous ceux, trs nombreux, qui se rfrent au pass.

    Mais la priode et le sicle ne rpondent pas la mme ncessit. Et si parfois ils con-cident, ce nest que par commodit. Par exemple

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    une fois le mot Renaissance introduit au xixe sicle devenu la marque dune priode, on a cherch faire concider celle-ci avec un ou plusieurs sicles. Or quand la Renaissance a-t-elle dbut ? Au xve ou au xvie sicle ? On mettra le plus souvent en vidence la difficult tablir et justifier le dbut dune priode. Et on verra plus loin que la manire de la rsoudre nest pas anodine.

    Si la priodisation offre une aide la ma-trise du temps ou plutt son usage, elle fait parfois surgir des problmes dapprciation du pass. Priodiser lhistoire est un acte com-plexe, charg la fois de subjectivit et deffort pour produire un rsultat acceptable par le plus grand nombre. Cest, je crois, un passionnant objet dhistoire.

    Pour terminer ce prlude, je voudrais sou-ligner, comme la fait en particulier Bernard Guene 2, que ce que nous appelons l histoire,

    2. B. Guene, article Histoire , in J. Le Goff et J.-Cl. Schmitt (dir.), Dictionnaire raisonn de lOccident mdival, Paris, Fayard, 1999, p. 483-496.

  • sciences sociales a mis du temps devenir lobjet dun savoir, sinon scientifique , du moins rationnel. Ce savoir portant sur len-semble de lhumanit ne sest vraiment constitu quau xviiie sicle, lorsquil est entr dans les universits et dans les coles. Lenseignement constitue en effet la pierre de touche de lhis-toire comme connaissance. Cette donne est importante rappeler pour comprendre lhis-toire de la priodisation.

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    ANCIENNES PRIODISATIONS

    Bien avant davoir obtenu son droit de cit dans lhistoriographie et la recherche historique, la notion de priode tait dj utilise pour lor-ganisation du pass. Cette division du temps avait t surtout luvre de religieux, qui lap-pliquaient en fonction de critres religieux ou par rfrence des personnages tirs des livres sacrs. Mon objectif tant de montrer ce que la priodisation a apport au savoir et la pra-tique sociale et intellectuelle de lOccident, je me contenterai dvoquer les priodisations adoptes en Europe les autres civilisations, par exemple les Mayas, utilisant des systmes diffrents.

    Un remarquable ouvrage collectif, publi rcem- ment sous la direction de Patrick Boucheron 1,

    1. P. Boucheron (dir.), Histoire du monde au xv e sicle, Paris, Fayard, 2009.

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    inspir par la vague de mondialisation, confronte la situation des diffrents pays du monde au xve sicle, sans lintgrer pour autant dans une priodisation de lhistoire. Parmi les nombreuses tentatives actuelles de rviser la priodisation historique long terme cre et impose par lOccident, pour parvenir soit une priodisation unique pour lensemble du monde, soit diff-rentes priodisations, on signalera les remarques finales et surtout le tableau synchronique des principales civilisations de 1000 avant lre commune jusqu nos jours, prsent en conclusion de louvrage de Philippe Norel, LHistoire conomique globale 2.

    La tradition judo-chrtienne propose essentiel-lement deux modles de priodisation, utilisant chacun des chiffres symboliques : le chiffre 4, daprs le nombre de saisons, le chiffre 6, daprs les six ges de la vie. On a not non seulement un paralllisme mais une influence rciproque entre

    2. P. Norel, LHistoire conomique globale, Paris, Seuil, 2009, p. 243-246.

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    la chronologie individuelle des ges de la vie et la chronologie universelle des ges du monde 3.

    Le premier modle de priodisation est celui propos par Daniel dans lAncien Testament. Dans une vision, le prophte voit quatre btes qui sont lincarnation de quatre royaumes suc-cessifs dont lensemble constituera le temps complet du monde depuis sa cration jusqu sa fin. Les btes, rois de ces quatre royaumes, se dvorent successivement. Le quatrime roi songe changer les temps, mais il blasphme contre le Trs Haut et met lpreuve ses desseins. Alors vient, avec les nues du ciel, un Fils dhomme qui lAncien des jours confre Empire, Honneur et Royaume, et tous les peuples, nations et langues le servent. Son empire, ternel, ni ne passera ni ne sera dtruit 4.

    Comme la indiqu Krzysztof Pomian, cest surtout partir du xiie sicle que la priodisation

    3. A. Paravicini Bagliani, ges de la vie , in J. Le Goff et J.-Cl. Schmitt, Dictionnaire raisonn de lOccident mdival, op. cit., p. 7-19.

    4. Dn, VII, 13-28.

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    propose par Daniel fut reprise par les chroni-queurs et les thologiens 5. Ils avancrent lide de translatio imperii qui faisait de lEmpire romain germanique le successeur du dernier Saint Empire de Daniel. Au xvie sicle, Melanchthon (1497-1560) divise lhistoire universelle en quatre monarchies. Et une priodisation dans la ligne de Daniel se rencontre encore en 1557 dans les Trois Livres des quatre empires souverains, savoir de Babylone, de Perse, de Grce et de Rome de Jean Sleidan (1506 ?-1556).

    Lautre modle judo-chrtien de priodi-sation, qui eut cours en mme temps que celui de Daniel, vient de saint Augustin, la grande source du christianisme mdival. Au livre IX de la Cit de Dieu (413-427), Augustin dis-tingue six priodes : la premire dAdam No, la deuxime de No Abraham, la troisime dAbraham David, la quatrime de David la captivit de Babylone, la cinquime de la

    5. Voir K. Pomian, LOrdre du temps, op. cit., p. 107.

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  • Nathan Wachtel, Dieux et Vampires. Retour Chipaya.Nathan Wachtel, La Foi du souvenir. Labyrinthes

    marranes.Nathan Wachtel, La Logique des bchers.Nathan Wachtel, Mmoires marranes. Itinraires dans

    le serto du Nordeste brsilien.Catherine Weinberger-Thomas, Cendres dimmor

    talit. La crmation des veuves en Inde.Natalie Zemon Davis, Juive, Catholique, Protestante.

    Trois femmes en marge au xviie sicle.

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  • ralisation : pao ditions du seuilimpression : normandie roto s.a.s. lonrai

    dpt lgal : janvier 2014. n 110605 (00000)Imprim en France

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    Avant-proposPrlude Anciennes priodisations