J. Danièlou - Georges Bataille - L'Expérience intérieure - Études (1897). 1945-01-1945-03.

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 règle  d'or  (c  Ceci est à cela comme  cela est au Tout  »),  grâce  à  laquelle  il dé- tec te les ori ent ati ons  cer taines des  pier- res de  base,  il nous  apprend  à  lire, ex ig és pa rtout ,  la  gloire  et  l'épa- no ui ssement du f te. L'Apocalypse  de saint  Jean,  qui  nous révélait les trésors et  l'ordonnance  de cette  Jérusalem  nouvelle  vers  laquelle nous  marchons,  était «  fulgurante  ». Elle  ris qua it pa r    d'offusquer  notre regard  et d'obtenir avec  peine  notre assentiment.  Il  nous  manquait  le  fil conducteur,  intermédiaire,  re li an t la  de- me ure cé le ste au  lo gis que  nous  habi- tons.  L'Apocalypse  du re Po uc el  nous  permet  de rétablir ce  joint.  Elle  n'est  pas  vérité  encore,  mais  « refle t intérieur de la vérité d'en haut » ;  e lle est « une route  éclairante,  dont  ch aque pr og s nou s ins tru it  ». Un  p re mi er re ga rd  d 'abord sur ce «  monde mau vais  »   l' ho mme social arrive mal à  dégager  sa forme.  Nous  y voyons  le c moi »  replié  sur  lui-même, « l' autre »  considéré  comme le  gêneur  et l'adversaire,  l'individ u en lut te cont re la  collectivité.  Déjà  pourtant  une loi constante  se dessine  : celle  du no mb re criant vers l'unit é. Une  deuxième  partie  nous fa it assis- ter  à  l' ef fo rt de s  hommes  pour  l'édifi- ca ti on d'un e commun e  demeure  habi- table :  stades  du  couple,  de  la  famille, de  la  tribu,  de la  cité,  de la  patrie. C'est la marche  en  a va nt ve rs cette  prise de conscience  d'une société  nécessaire des  p ersonn es, qui  ne sera  harmonieuse et  agissante que  dans un  climal d'amour. Alors  seule me nt le s  gra nds mys tères chré ti ens :  la  Résurrection,  l'Ascension, la.  Pentecôte, qu i  d éf inisse nt et  éclai- re nt les lois  f amil ia le s de la maiso n du re, appa raît ront  comme  la  super- structure,  non  plus  illusoire,  irreceva-  ble,  mais absolument essentielle de l'édif ice encor e  en  chanti er où s'abri tait notre  misère.  La Jérusalem leste  tend ses mains frater ne ll es ve rs sa soe ur   in- digente,  lourdes des velours  et des  joyaux  don t elle  s aura la  parer  et la vêtir. Ainsi,  à  partir  de  « ce  qui  est  »,  s'éla-  bore  l'image  de  « ce  qui  sera »  et  de et qu i dé  «  peut  être ». Qui con que asp ire auj our d'h ui  à bât ir un ordre où la  - société des  hommes  puisse  trouver  équilibre,  vie féc ond e  et sécurité,  se doit d'avoir lu ce livre so- lide et d' en  méditer le s  leçons. Lou is BAR JON. Stanislas FUMET.    Aux trois  Cou le ur s de la Dame bl essée.  Lyon,  Editions du li vre  français,  1942.  In-16,  140  pages.  Pr ix : 27  francs. Sous ce titre  emblématique,  Stanislas Fumet a  re cueilli un ce rt ai n  nombre d'essais su r   le red res sement  français. On  y  r et rouve le bel  i alis me mesudu  Directeur  de  Temp s pr és en t.  La femme  «  porteuse  de frui ts  »,  le  pour- ceau et le  chevalier  qui  do rment en tout homme,  le  voyou  à  discréditer  y  font l'objet  de  pages  exc el le nt es . De tels re - cueils  n'indiquent  sans do ut e  pas  les moyens  concrets  de  « retrouver la France  »,  mais du moins  jalonnent-ils la  route   doivent  s'engager  toutes  les  bonnes volontés. Louis BEIRNAERT. Georges  BATAILLE.   L'Expérience  intérieure.  Collec tio n « Les  Essais  »,  Paris, Gallimard,  1943.  In-12,  252  pages.  P rix : 37  francs. M.  Georges  Bat aille est le  théologien mystique  d'une école  philosophique dont M.  Sart re est  le  g ran d thé oricien, en me  te mps que  le  romancier et le dramaturge,  et  M. Camus  l'essayiste. «  Théologien mystiq ue  »,  le  mot , qu i  est de l'au te ur   lui-même,  est  singulière- ment  impropre,  car  il  s'agit préci sément ici d'un  effort  pour  consti tuer un e  mys- tique  en  d eh or s de to ut e  théologie.  M. Bataille  rejoint  l'école,  issue de  Heideg- ger,  dont  on a dit  justement  qu'elle  re-  présentait  l'effort  le  plus  radical  pour co ns ti tuer une  métaphysique  qui  boucle sans  que  le  problème  de Dieu  y  s oit seu- lement  posé. Bataillé,  en  effet,  comme  Sartre, comme  Camus,  comme  Hei deg ger , par t de  l'idée de la  contingence,  de la  flni- tude ra di cale  de  l'homme,  c'est-à-dire du  seu l être  qu'il  soit  do nné d'a tte in- dre.  L'absolu,  le  «  devenir  tout»,  comme dit  -Bataille,  et  Dieu  par  conséquent,  est la  perfection  créée  par  l'homme de son désir  d'échapper  à sa  f in it ude. C'est ce désir  qui  a  suscité  t outes les  métaphysi- ques  et  t out es les  religions.  L'expérience intérieure,  la « nausée  »,  comme  dit Sartre,  c'e st le  sent im ent mêlé de dé- sespoir  et de  libération,  qui  accompagne, l' ef fo nd re ment de l'éd if ic e  métaphysi- que,  la «  mo rt de Di eu »  nietzschéenne et  l'acceptation  de la  contingence  de l'être. L'originalité  de  Ba taille est  que  cette ex ri ence, qu i  vient  remplacer  dans cette  nouvelle  «  théologie  »  l'expérience mystique,  se  présente  comme  un  état  de

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règle d'or (c Ceci est à cela comme celaest au Tout »), grâce à laquelle il dé-tecte les orientations certaines des pier-res de base, il nous apprend à lire,exigés partout déjà, la gloire et l'épa-nouissement du faîte.

L'Apocalypse de saint Jean, qui nous

révélait les trésors et l'ordonnance decette Jérusalem nouvelle vers laquellenous marchons, était « fulgurante ».Elle risquait par là d'offusquer notreregard et d'obtenir avec peine notreassentiment. Il nous manquait le filconducteur, intermédiaire, reliant la de-meure céleste au logis que nous habi-tons. L'Apocalypse du Père Poucel nouspermet de rétablir ce joint. Elle n'estpas vérité encore, mais « reflet intérieurde la vérité d'en haut » ; elle est « uneroute éclairante, dont chaque progrèsnous instruit ».Un premier regard d'abord sur ce« monde mauvais » où l'homme socialarrive mal à dégager sa forme. Nous yvoyons le c moi » replié sur lui-même,« l'autre » considéré comme le gêneur etl'adversaire, l'individu en lutte contrela collectivité. Déjà pourtant une loiconstante se dessine : celle du nombrecriant vers l'unité.

Une deuxième partie nous fait assis-

ter à l'effort des hommes pour l'édifi-cation d'une commune demeure habi-table : stades du couple, de la famille,de la tribu, de la cité, de la patrie.C'est la marche en avant vers cette prisede conscience d'une société nécessairedes personnes, qui ne sera harmonieuse

et agissante que dans un climald'amour.Alors seulement les grands mystères

chrétiens : la Résurrection, l'Ascension,la. Pentecôte, qui définissent et éclai-rent les lois familiales de la maison duPère, apparaîtront comme la super-structure, non plus illusoire, irreceva-ble, mais absolument essentielle del'édifice encore en chantier où s'abritaitnotre misère. La Jérusalem céleste tendses mains fraternelles vers sa soeur in-digente, lourdes des velours et des

 joyaux dont elle saura la parer et lavêtir.Ainsi, à partir de « ce qui est », s'éla-

bore l'image de « ce qui sera » et de etqui déjà « peut être ».

Quiconque aspire aujourd'hui à bâtirun ordre où la -société des hommespuisse trouver équilibre, vie féconde etsécurité, se doit d'avoir lu ce livre so-lide et d'en méditer les leçons.

Louis BARJON.

Stanislas FUMET. — Aux trois Couleurs de la Dame blessée. Lyon, Editionsdu livre français, 1942. In-16, 140 pages. Prix : 27 francs.

Sous ce titre emblématique, StanislasFumet a recueilli un certain nombred'essais sur le redressement français.On y retrouve le bel idéalisme mesurédu Directeur de Temps présent. Lafemme « porteuse de fruits », le pour-ceau et le chevalier qui dorment en touthomme, le voyou à discréditer y font

l'objet de pages excellentes. De tels re-cueils n'indiquent sans doute pas lesmoyens concrets de « retrouver laFrance », mais du moins jalonnent-ilsla route où doivent s'engager toutes lesbonnes volontés.

Louis BEIRNAERT.

Georges BATAILLE. — L'Expérience intérieure. Collection « Les Essais », Paris,Gallimard, 1943. In-12, 252 pages. Prix : 37 francs.M. Georges Bataille est le théologien

mystique d'une école philosophiquedont M. Sartre est le grand théoricien,en même temps que le romancier et ledramaturge, et M. Camus l'essayiste.« Théologien mystique », le mot, qui estde l'auteur lui-même, est singulière-ment impropre, car il s'agit précisémentici d'un effort pour constituer une mys-tique en dehors de toute théologie. M.

Bataille rejoint l'école, issue de Heideg-ger, dont on a dit justement qu'elle re-présentait l'effort le plus radical pourconstituer une métaphysique qui bouclesans que le problème de Dieu y soit seu-lement posé.

Bataillé, en effet, comme Sartre,comme Camus, comme Heidegger, partde l'idée de la contingence, de la flni-

tude radicale de l'homme, c'est-à-diredu seul être qu'il soit donné d'attein-dre. L'absolu, le « devenir tout», commedit -Bataille, et Dieu par conséquent, estla perfection créée par l'homme de sondésir d'échapper à sa finitude. C'est cedésir qui a suscité toutes les métaphysi-ques et toutes les religions. L'expérienceintérieure, la « nausée », comme ditSartre, c'est le sentiment mêlé de dé-

sespoir et de libération, qui accompagne,l'effondrement de l'édifice métaphysi-que, la « mort de Dieu » nietzschéenneet l'acceptation de la contingence del'être.

L'originalité de Bataille est que cetteexpérience, qui vient remplacer danscette nouvelle « théologie » l'expériencemystique, se présente comme un état de

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grâce, donné à certains moments pri-vilégiés d'une intensité extraordinaire.Bataille emploie pour décrire cet étattout un vocabulaire qui lui est propre,d'abord déconcertant, et dont on finitpar saisir la signification : c'est à lafois « écoeurement », « supplice », « sa-

crifice », « déchirement », « expiation »,c nausée » — et « triomphe », « rire »,< extase », « gloire », « haussement »;et ce double aspect définit bien uneexpérience qui est l'éclat d'une destruc-tion.

Rarement, je pense, l'effort concret de

l'homme pour atteindre par ses propresforces une expérience où se consumenttoutes ses énergies spirituelles dans unedépense, une décharge fulgurante, a étépoussé plus loin. Et ici Bataille a raisonde critiquer le yoga! Mais cet effort su-prême est bien loin, s'il en emprunte le

langage, de l'expérience mystique au-thentique, du charbon ardent qui con-sume les souillures de l'âme pour larendre capable de l'union transformanteavec le Dieu vivant.

Jean DANIÉLOU.

Jacques MADAULE. — Reconnaissances : Claudel, Proust, du Bos. Paris,Desclée de Brouwer, 1943. In-8, 197 pages'. Prix : 35 francs.

Il est difficile de concevoir deux gé-

nies et deux caractères plus différentsque ceux de Paul Claudel et de MarcelProust. L'univers que nous révèle l'oeu-vre du premier nous apparaît résolu-ment centré autour de la présence deDieu; le monde où nous introduit A laRecherche du Temps perdu gravite au-tour de son absence. Pleinement cons-cient de cette opposition, Jacques Ma-daule réussit pourtant, dans cettecourte brochure, à nous rendre sensiblesles liens subtils qui rattachent l'un àl'autre ces deux grands esprits. L'intel-

ligence si largement ouverte, le coeur sigénéreux de Charles du Bos lui parais-sent avoir offert" à ces derniers un lienpossible de tangence et de rencontre.

Claudel, Proust, du Bos : trois noms,et pour Jacques Madaule trois occasionsd'un hommage fervent, d'une confron-tation de ses propres exigences spiri-tuelles avec le contenu de leur triple

message. « Reconnaissances », nous dit

le titre. L'auteur accepte, dans la pré-face, que nous donnions à ce terme tousles sens divers qu'il comporte.

Des trois études, celle qu'il consacreà. Marcel Proust nous paraît la plusoriginale et la plus riche de substance.Elle est un bel exemple de ce que de-vrait être toute critique vraiment catho-lique : la fermeté du jugement etl'énoncé des réserves nécessaires y res-pectent entièrement les devoirs de l'in-telligence et de la plus attentive charité.

« Reconnaître à la fois Claudel et

Proust, tout en demeurant fidèle à soi-même, tel est l'exemple que chaque jour, de son vivant, nous donnait Char-les du Bos », écrit Jacques Madaule.Lui-même nous en donne un semblable.Pouvait-il rendre plus émouvant hom->mage à l'ami disparu?

Louis BARJÔN.

Jean ROSTAND. — Hommes de Vérité. Pasteur, Claude-Bernard, Fontenelle,La Rochefoucauld. Paris, Stock, 1942. In-16, 210 pages. Prix : 23 francs.

Le choix de ces quatre auteurs commehérauts de la vérité est dû à des raisonsfaciles à deviner pour qui connaît l'oeu-vre scientifico-littéraire de M. Jean Ros-tand,

Les deux premiers « dont l'un étaitplein de foi et l'autre plein de doute »,avaient en commun leur totale soumis-sion au fait. « Ils furent et ils demeu-rent, écrit l'auteur, les maîtres de tousCeuxqui ne tolèrent dans la science au-cune influence extérieure, qui se refu-

sent à toute obédience métaphysique oupartisane, et .ont pour unique soucil'établissement d'une vérité par quoi ilsne sauraient être déçus ni gênés puis-qu'ils ne lui demandent que d'être elle-même » (p. 16).

Fontenelle est loué d'avoir agi «surnotre merveilleux Renan », d'avoir cruà la science en aristocrate de l'esprit

et repoussé tout dogmatisme. Quant aupessimisme foncier de la Rochefoucauldn'est-il pas justifié par les moeurs con-temporaines tout autant que par cellesde l'époque de la France? « Car, ensomme, dans la vie de chaque jour, nousdevons reconnaître que La Rochefou-cauld est terriblement et monotonementvrai. Dégoûtamment vrai » (p. 203).Aucun espoir d'ailleurs que l'humanités'améliore, « car la biologie nous défendde croire au perfectionnement de l'ani-

mal humain. Dès lors que rien ne setransmet à la descendance des acquisi-tions morales, des effets de l'éducation,l'homme restera celui qu'il est, mêmeaprès des millénaires de civilisation »(p. 210).

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La notice des éditions sur « Hommesde vérité » n'hésite pas à saluer enM. Jean Rostand « un de leurs authenti-

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