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jeudi 10 septembre 2015 LE FIGARO - N° 22 110 - Cahier N° 3 - Ne peut être vendu séparément - www.lefigaro.fr littéraire lefigaro.fr/livres JEAN-CHRISTOPHE GRANGÉ LE PREMIER FLIC DE FRANCE DANS LA TOURMENTE PAGE 35 JAVIER CERCAS LA PASSIONNANTE HISTOIRE D’UN IMPOSTEUR DE LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE PAGE 32 DOSSIER 68 premiers romans paraissent ces jours-ci. Voici nos dix coups de cœur. PAGES 30 ET 31 Fragments d’un discours ennuyeux L AURENT BINET a fait irruption en 2010 avec un audacieux ro- man intitulé HHhH et consacré à l’assassinat du dignitaire nazi Reinhard Heydrich. Cet incon- testable succès de librairie, prolongé par un autre livre sur la campagne de François Hollande et quelques judicieuses prises de position politiques lui ont assuré une place au soleil dans le microcosme parisien, du côté des écrivains qui pensent. Rien d’éton- nant donc que le sujet de son nouveau ro- man tourne autour d’un prestigieux intel- lectuel dont on célèbre ces jours-ci le centenaire : Roland Barthes. Qui l’ignore ? L’auteur de Mythologies est mort des suites d’un accident causé par une camionnette de blanchisserie en 1980. Binet imagine qu’il a été assassiné. Pourquoi pas ? Reste à trouver le coupable. Un amoureux transi rencontré au Palace ? Un rival écarté du Collège de France ? Pour les besoins de son roman, l’auteur épouse résolument tous les codes du film policier : flics de répertoire, course-pour- suite, assassinats rocambolesques, reparties lourdes de signification. Son commissaire Bourrel s’appelle Jacques Bayard. Il est flan- qué d’un jeune universitaire, Simon Herzog. Vous aviez aimé OSS 117, Le Caire nid d’es- pions ? Binet vous propose La Septième Fonction du langage. Sous-titre : Paris, nid d’intellos. Et c’est parti pour 500 pages. Un roman sur le langage et l’on voudrait que l’auteur adopte le genre laconique ? Ce se- rait lui faire injure que de prétendre qu’il se contente de divertir. S’adonnant à la po- chade, Binet n’en reste pas moins un sa- chant. Il est pénétré de la mission d’édifier, car il connaît le sens caché des mots : de la réalité derrière les apparences, du signifiant niché derrière le signe ; on est dans l’orbite de Barthes, ne l’oublions pas… Patatras, Binet n’évite pas l’ornière qu’est le biopic. On oublie vite l’infortuné Barthes et sa mort mystérieuse pour plonger en Ciné- mascope dans ce qu’on appelle sur les ra- dios périphériques « le meilleur des années 1980 ». Michel Foucault, l’eussiez-vous cru, est accompagné d’éphèbes, Sollers a évi- demment un fume-cigarette. Althusser et sa femme, Hélène, jouent un jeu dangereux qui pourrait bien mal finir… Et selon vous, quelle est la couleur de la chemise blanche de Bernard-Henri Lévy croqué par Binet ? Barthes écrivait volontiers sur la photo (La Chambre claire), lui ne dédaigne pas le cli- ché, n’oubliant ni la DS noire de nos dix ans, ni le gâteau Savane, ni le Pastis 51, ni l’attentat de la gare de Bologne. On est injuste ; on trouve en effet çà et là quelques scènes qu’on peut croire fictives : p. 291, Sollers et Julia Kristeva assistent à un spectacle de marionnettes au jardin du Luxembourg. Voilà un assez bon résumé du roman raté de Binet : des pantins pour per- sonnages, et de bout en bout du Grand Guignol. LA SEPTIÈME FONCTION DU LANGAGE De Laurent Binet, Grasset, 495 p., 22 €. LA CHRONIQUE d’Étienne de Montety Aussi n’est-on pas étonné, au milieu de scènes où l’on croise un Foucault d’opérette ou un Derrida de contrebande, de voir ac- courir à la rescousse Umberto Eco et son Lector in fabula et Roman Jakobson (et ses six fonctions du langage), dont le profes- seur Binet ne se prive pas d’exposer lon- guement les thèses. Fragments d’un dis- cours ennuyeux… Il recompose même in extenso un colloque de l’université de Cornell, aux États-Unis, avec authentiques tenants de la french theory et échanges en anglais, non traduits bien sûr. Dans une rentrée littéraire, ça fait très, très chic. JEAN-CHRISTOPHE MARMARA/LE FIGARO LLUIS GENE/AFP Philippe DELERM Rentrée littéraire FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO rentrée Les nouveaux visages de la Nos dix auteurs coups de cœur photographiés sur le toit des Galeries Lafayette Haussmann.

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littérairelefigaro.fr/livres

JEAN-CHRISTOPHE GRANGÉLE PREMIER FLIC DE FRANCE DANS LA TOURMENTE PAGE 35

JAVIER CERCASLA PASSIONNANTE HISTOIRE D’UN IMPOSTEUR DE LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE PAGE 32

DOSSIER 68 premiers romans paraissent ces jours-ci. Voici nos dix coups de cœur. PAGES 30 ET 31

Fragments d’un discours ennuyeux

L AURENT BINET a fait irruptionen 2010 avec un audacieux ro-man intitulé HHhH et consacré àl’assassinat du dignitaire naziReinhard Heydrich. Cet incon-

testable succès de librairie, prolongé par un autre livre sur la campagne de FrançoisHollande et quelques judicieuses prises de position politiques lui ont assuré une place au soleil dans le microcosme parisien, ducôté des écrivains qui pensent. Rien d’éton-nant donc que le sujet de son nouveau ro-man tourne autour d’un prestigieux intel-lectuel dont on célèbre ces jours-ci lecentenaire : Roland Barthes.Qui l’ignore ? L’auteur de Mythologies estmort des suites d’un accident causé par une camionnette de blanchisserie en 1980. Binetimagine qu’il a été assassiné. Pourquoi pas ? Reste à trouver le coupable. Un amoureuxtransi rencontré au Palace ? Un rival écarté du Collège de France ?Pour les besoins de son roman, l’auteur épouse résolument tous les codes du film policier : flics de répertoire, course-pour-suite, assassinats rocambolesques, reparties lourdes de signification. Son commissaireBourrel s’appelle Jacques Bayard. Il est flan-qué d’un jeune universitaire, Simon Herzog.Vous aviez aimé OSS 117, Le Caire nid d’es-pions ? Binet vous propose La SeptièmeFonction du langage. Sous-titre : Paris, nidd’intellos. Et c’est parti pour 500 pages. Un

roman sur le langage et l’on voudrait quel’auteur adopte le genre laconique ? Ce se-rait lui faire injure que de prétendre qu’il se contente de divertir. S’adonnant à la po-chade, Binet n’en reste pas moins un sa-chant. Il est pénétré de la mission d’édifier,car il connaît le sens caché des mots : de laréalité derrière les apparences, du signifiantniché derrière le signe ; on est dans l’orbitede Barthes, ne l’oublions pas…

Patatras, Binet n’évite pas l’ornière qu’est lebiopic. On oublie vite l’infortuné Barthes etsa mort mystérieuse pour plonger en Ciné-mascope dans ce qu’on appelle sur les ra-dios périphériques « le meilleur des années1980 ». Michel Foucault, l’eussiez-vous cru,est accompagné d’éphèbes, Sollers a évi-demment un fume-cigarette. Althusser et sa femme, Hélène, jouent un jeu dangereuxqui pourrait bien mal finir… Et selon vous,quelle est la couleur de la chemise blanchede Bernard-Henri Lévy croqué par Binet ?Barthes écrivait volontiers sur la photo (LaChambre claire), lui ne dédaigne pas le cli-ché, n’oubliant ni la DS noire de nos dix ans, ni le gâteau Savane, ni le Pastis 51,ni l’attentat de la gare de Bologne.On est injuste ; on trouve en effet çà et làquelques scènes qu’on peut croire fictives :p. 291, Sollers et Julia Kristeva assistent àun spectacle de marionnettes au jardin duLuxembourg. Voilà un assez bon résumé duroman raté de Binet : des pantins pour per-sonnages, et de bout en bout du Grand

Guignol. ■

LA SEPTIÈME FONCTION DU LANGAGEDe Laurent Binet, Grasset, 495 p., 22 €.

LA CHRONIQUEd’Étienne de Montety

Aussi n’est-on pas étonné, au milieu descènes où l’on croise un Foucault d’opéretteou un Derrida de contrebande, de voir ac-courir à la rescousse Umberto Eco et son Lector in fabula et Roman Jakobson (et ses six fonctions du langage), dont le profes-seur Binet ne se prive pas d’exposer lon-guement les thèses. Fragments d’un dis-cours ennuyeux…Il recompose même in extenso un colloquede l’université de Cornell, aux États-Unis,avec authentiques tenants de la frenchtheory et échanges en anglais, non traduitsbien sûr. Dans une rentrée littéraire, ça faittrès, très chic.

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jeudi 10 septembre 2015 LE FIGAROA

littéraireL'ÉVÉNEMENT

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Anne DufourmantelleLa fille de feu« Cette nuit, ma vie s’est détachée de moi. » C’est la confession d’Alexeï, un jeune New-Yorkais d’origine russe, après la défenestration d’une femme dont il ne connaissait que le regard plein de mystère. Le suicide de Natalia, la belle inconnue, au cours d’une party à Brooklyn Heights, l’obsède jusqu’au délire. S’y mêlent des cauchemars qui le torturent, des rêves régentés par le feu et l’incendie. Il décide alors de mener l’enquête, avec l’aide d’un ami hacker, membre du DDD’s Club, une société secrète russo-américaine dont les membres doivent tenir les shots de vodka, aimer le cinéma italien des années 1960 et réciter des poèmes de Rimbaud ou de Lermontov. Ses investigations le mènent à Paris. Il faut qu’il parle, exprime l’inexprimable ; parler, dit-il, « pour conjurer le pire ». Il se confie à Fleur, une psychanalyste du Quartier latin (il entend parfaitement le français grâce à sa mère, fille de Russes blancs née à Paris). Elle le reçoit plusieurs fois par jour. Angoisses, mystères, peurs… Alexeï essaie de comprendre. Il lui relate sa quête à travers l’Europe pour retrouver des témoignages sur Natalia, de Rotterdam à Moscou et Tbilissi en passant par cette petite ville du Caucase, où, enfant, il passait l’été en famille. Outre le feu, plusieurs leitmotive rythment ce roman haletant, plein de rebondissements, de fausses pistes : la photo d’une fillette du ghetto de Varsovie, un film soviétique sur les enfants abandonnés (Bouge pas, meurs, ressuscite de Kanevski)… Grâce aux éléments collectés par Alexeï, le personnage de Natalia prend de l’épaisseur et le puzzle se reconstitue : un frère mort d’overdose, une maison close spécialisée dans les « raffinements de la torture et du plaisir », le feu dans une grange… C’est Fleur, qui va permettre à Alexeï de percer le mystère qui le hante. Nous laissons au lecteur le soin de découvrir, au terme de ce roman mené avec maestria, l’épilogue, renversant. Thierry Clermont

L’ENVERS DU FEU,d’Anne Dufourmantelle,Albin Michel, 352 p., 20,90 €.

ANNE DUFOURMANTELLE

Antoine de MeauxIl était une fois la RévolutionUn écrivain est un magicien d’un genre un peu particulier, capable d’imposer à ses lecteurs son temps propre, ses fidélités secrètes et sa musique intérieure. Voyez Antoine de Meaux. Né en 1972, ce biographe remarqué de Michel Vieuchange publie un premier roman touffu ayant pour cadre la Révolution française. Il faut y entrer sans lenteur afin de se laisser étourdir. Les 50 premières pages forment un splendide morceau de bravoure. Elles peignent la sanglante journée du 10 août 1792 à Paris, au cours de laquelle le grand mouvement né en 1789 bascula définitivement dans la Terreur. Aristocrates aux yeux clairs brûlés par les ténèbres de l’Histoire, Louis du Torbeil et Jean de Pierrebelle assistent, impuissants, à la chute de la monarchie française, l’un et l’autre épouvantés par les capacités criminelles de « la bête humaine emballée ». On les retrouve dans le Forez, le Lyonnais et le Velay, régions auxquelles leurs familles sont attachées. Là-bas, la pièce en train de se jouer à Paris révolte les consciences. Au printemps 1793, l’antique Lugdunum se soulève contre la Convention nationale et sa politique terroriste. Un à un, Antoine de Meaux jette dans la mêlée tous les personnages qu’il a patiemment introduits dans son récit : les anges et les démons, les loups et les brebis, les égarés, les humiliés, les désespérés. Toute cette noirceur ne l’empêche cependant pas de surprendre ses lecteurs en exerçant ses dons de pastelliste. Il y a des pages lumineuses et délicates, dans Le Fleuve guillotine. Une trame, des caractères, le souffle de la Grande Histoire : de la très belle ouvrage.

Sébastien Lapaque

Elena CostaL’enfant du LutetiaAprès Les Voyages de Daniel Ascher, de Déborah Lévy-Bertherat, qui fut l’une des bonnes surprises de la rentrée littéraire 2013, voici un autre premier roman au titre assez proche : Daniel Avner a disparu. Il est signé d’une jeune femme de 28 ans. C’est un livre court par son format (135 pages) mais dense par sa structure et son sujet. Daniel Avner raconte son histoire, celle d’un jeune Juif qui a échappé par miracle à une rafle qui envoya sa grand-mère, ses parents et sa sœur dans les camps de la mort. Il a été élevé par un grand-père qui l’obligea, des années durant, tous les jours, à se rendre devant le Lutetia, là où les familles attendaient que rentrent leurs proches de l’enfer nazi. L’enfant est frappé par son grand-père qui veut lui enseigner la douleur et l’interdiction d’oublier. Le récit de Daniel est construit sur différentes périodes de sa vie. Le temps est tout sauf linéaire. Éclaté, fragmentaire, il connaît de fulgurantes accélérations. Les zones d’ombre et les questions sont légion. La réalité est fragile, traversée de moments de doute. Daniel s’affame, dort à même le sol, se mortifie. « J’ai des moments d’absence pendant lesquels je demeure confiné dans ma mémoire, à tel point que je ne sais plus en quelle année nous sommes, que je ne distingue plus ce qui relève du passé et du présent. » Et puis il y a la rencontre avec Dora devant le Lutetia. Une histoire d’amour qui est consolation et culpabilité à la fois. Comment être heureux quand les siens ne sont plus que fumée et qu’on aurait dû être auprès d’eux ? Au chapitre 8, le récit change de voix. C’est son fils qui s’exprime et dit son malaise face à ce père qui refuse de le voir et de lui parler. Une autre façon de voir la Shoah s’exprime ici. Une autre manière de dire que les comptes ne sont pas soldés. Un refus de banaliser le sujet. On n’est pas près d’oublier Daniel Avner.

Bruno Corty

Laurent Carpentier L’exil est leur royaumePar commodité, on pourrait dire que Les Bannis est un roman familial, mais ce premier opus de Laurent Carpentier va bien au-delà du genre ; ou bien il le renouvelle. En remontant son arbre généalogique, en convoquant les fantômes, en remuant l’opacité déformée des souvenirs, les « terres gelées de la mémoire », le romancier a composé un récit étrange et poétique, aux tonalités multiples. Un camaïeu de gris tendre traversé par ses aïeuls, sur pratiquement cinq générations ; la plupart d’entre eux ont été des exilés, des déplacés, des déclassés, des exclus, voire des fusillés, des déportés ou des morts-nés. « Je suis venu de partout », nous confie-t-il au début de ce roman marqué du « sceau rouge » des bannis. Ce livre est leurs histoires, et quelles histoires ! Tout commence dans un hameau breton proche de Guingamp, berceau de la branche paternelle. Par la suite, nous nous retrouvons dans une bourgade des Alpes-Maritimes, au camp polonais de Sobibor, à Bucarest, au siège du PCF, à Corbeil-Essonnes et au Plessis-Robinson, en Catalogne française où l’oncle Mathis, gardien de brebis, a choisi d’« épouser le temps des champs et des saisons ». Carpentier déroule avec habilité sa quête émotionnelle qui nous mène jusqu’à La Réunion, « île fourmillante et gaie », où a échoué un des frères de sa mère, Michel, bricoleur et touche-à-tout. Apparaissent au gré des pages, les uns après les autres : ses parents médecins, ses oncles, ses grands-tantes, ses arrière-grands-mères… Le portrait le plus réussi et le plus poignant est celui du père, Jean, exclu du PC en 1966 et réhabilité en… 2008. On y ajoutera celui d’un grand-oncle, le résistant Jacques Solomon, fusillé par les Allemands. Carpentier fait revivre son arrestation et sa condamnation. Le narrateur confesse : « Tous ces personnages qui me racontent, comme un puzzle, dessinent le portrait de cet être laissé seul face au monstre dévorateur de la nuit. » Un portrait particulièrement réussi.

T. C.

Séverine WerbaBoris cet inconnu« Je ne viens pas d’une famille joyeuse », glisse Séverine Werba à un moment de son récit. Ce n’est pas un avertissement mais une manière pudique, encore voilée, de signaler la gravité de son sujet. Séverine Werba appartient à la troisième génération des victimes de la Shoah. De son grand-père Boris, Babar pour ses petits-enfants, qui le chérissaient, elle ne perçut longtemps qu’un sentiment de mystère. L’homme semblait être né à Paris où il n’avait pourtant habité qu’à partir de 1924 après avoir vécu en Russie puis à Berlin. Seuls signes tangibles et exotiques, Babar avait « un imperceptible accent », il se rendait une fois par semaine chez Goldenberg acheter du hareng et un odorant pain au cumin. Longtemps, la fillette n’a connu que cette version de l’histoire : « Boris avait une famille. Ils étaient morts en Russie. » La douleur contenue dans ces quelques mots avait anesthésié sa curiosité enfantine, mais l’indicible s’était ancré dans son esprit. Un jour, il faudrait qu’elle sache. À l’âge de vingt ans, Séverine, étudiante, s’installe un temps dans l’appartement parisien de ses grands-parents, désormais décédés. Elle se sépare de la bibliothèque remplie d’ouvrages en yiddish et en hébreu. Quelque chose de pesant s’en dégage. Elle ne se le pardonnera pas, car, devenue épouse et mère, le passé la rattrape et l’empêche d’avancer. Des rêves persistants lui livrent des bribes tragiques de la mémoire familiale. Commence alors la quête des disparus qu’elle raconte dans ce premier roman libérateur. La jeune femme épluche les archives, le dossier de naturalisation de Boris, retrouve la trace d’une grand-tante et de sa fille arrêtées lors de la rafle du Vel’ d’Hiv et déportées. Elle se rend en Ukraine, sur les traces de ses arrière-grands-parents, de ses grands-oncles et tantes, de leurs enfants assassinés par balle et enterrés dans des fosses communes. Elle s’échine à retrouver leur trace, avec cette promesse de les conserver en elle, « à l’abri de l’oubli et du vacarme du monde ». Avec ce livre, ils sont à la maison. Françoise Dargent

LE CONTEXTEPas de rentrée littéraire sans premiers romans. Comme chaque année, les éditeurs lancent dans l’arène quelques dizaines de « primoromanciers » en espérant trouver parmi eux les grands noms de demain. Comme chaque année, Le Figaro littéraire propose sa sélection.

68C’est le nombre de premiersromans à paraître entre aoûtet octobre 2015, soit 7 de moins qu’en 2014 pour la même période.

« Cela fait des années que je rêvais d’écrire un premier

roman, une histoire intime, autobiographique… »XAVIER DURRINGER, 51 ANS, RÉALISATEUR DE « LA CONQUÊTE », AUTEUR DE « SFUMATO » (INTERVIEW VIDÉO DE LA LIBRAIRIE MOLLAT).

Premiers romans :

LE FLEUVE GUILLOTINE,d’Antoine de Meaux, Phébus, 438 p., 23 €.

DANIEL AVNER A DISPARU,d’Elena Costa, Gallimard, 144 p., 13,50 €.

LES BANNIS,de Laurent Carpentier, Stock, 277 p., 19,50 €.

APPARTENIR,de Séverine Werba, Fayard, 258 p., 18 €.

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LE FIGARO jeudi 10 septembre 2015

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littéraireL'ÉVÉNEMENT

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Pascal ManoukianRester vivantIl y a des romans dont la parution résonne terriblement avec l’actualité, le sentiment que le texte a été écrit sous le feu des événements. Les Échoués, première fiction de Pascal Manoukian, pourrait être le livre consacré à ces réfugiés que l’on voit tous les jours sur nos écrans. Toutes ces femmes, ces hommes et ces enfants qui tentent de fuir un pays en guerre en rêvant à un sort meilleur et rencontrent le plus souvent la mort. Oui, on pourrait reprendre des pages et des phrases entières, elles ne parlent que de ça, comme le titre, d’ailleurs. Un extrait, au hasard - « Conserver de bonnes dents pour se nourrir de tout, avoir des pieds en bon état pour être toujours en mouvement, se protéger du froid et de la pluie pour rester vivant. Le reste est superflu. » Mais il y en a beaucoup d’autres qui concernent ce qu’on a appelé les « migrants », qui évoquent les passeurs véreux, les humiliations, les violences, la solitude et les petits espoirs… Sauf que Les Échoués n’est pas le récit de ce qui se passe aujourd’hui. Ce roman se déroule il y a vingt-trois années !L’étonnant – pouvoir extraordinaire de la littérature - est qu’il faudrait ne changer aucun mot pour comprendre ce qui se passe sous nos yeux. Tout est dit avec une extrême précision et justesse. Par quelle force ? Pascal Manoukian donne des noms à ces personnes, et cela change tout. Récit choral où l’on retrouve Assan, qui a quitté la Somalie ; Chanchal, le vendeur de roses bangladais dont le prénom signifie « sans repos » ; ou Virgil, le Moldave. Tous ces porteurs d’espoir d’une famille demeurée ailleurs. L’histoire est racontée à hauteur d’homme. De l’intérieur. Ce qu’aucune caméra ou un reportage ne peut faire. M. A.

Nathalie CôteLe désarroi des petits-bourgeoisLa résidence de vacances avec piscine est un laboratoire idéal pour étudier les dysfonctionnements du rêve petit-bourgeois. C’est au cours d’un séjour de ce genre, au contact de ses voisins de table et de baignade, que Nathalie Côte, scientifique de formation et compositeur de musique, douée donc d’une oreille très fine et d’un sens aigu de l’observation, a eu l’idée de ce roman. Deux couples de trentenaires déjà mûrs, qui voisinent pendant une semaine dans un village estival, se partagent la vedette de ce vaudeville qui oscille entre Flaubert et Houellebecq. Chacune dans son genre, les deux femmes sont des activistes du développement personnel. L’une est bien en chair et, à défaut de parvenir à maîtriser son poids et sesétats d’âme, contrôle d’une manière excessivement maternelle son mari et ses enfants. Comme une petite fille qui jouerait encore à la dînette et à la poupée, elle rêve de cuisine chromée et d’enfants bien élevés, reproche à son mari de ne jamais demander d’augmentation, ce qui le conduira à faire quelques bêtises. L’autre est un avatar contemporain de Mme Bovary, une femme que toutes les autres envient, bodybuildée, pratiquant l’aqua-training après le bureau ; elle est mariée à un homme que tout le monde lui envie, qui donne les bains, fait la cuisine, attentionné et fantaisiste – mais qu’elle n’aime pas. Son drame est que ses parents ont divorcé quand elle était adolescente et qu’elle s’était juré de ne jamais en faire autant. Les hommes, eux, sont des bons gars, qui prennent la vie comme elle est. Ils sont gentiment amoureux de leur épouse qu’ils supportent avec humour. Le spectacle de ces couples en vacances prête à rire souvent, pas toujours. En tout cas, il est irrésistible et remarquablement mis en scène, reconstitué avec une précision et une distance froides mais non dépourvues d’une pitié tendre. Astrid de Larminat

Frédéric ViguierAu bonheur de la dameIl faudrait inventer un mot pour qualifier ce livre envoûtant. Un mot pour décrire ce personnage de femme, jamais nommée, à la fois héroïne et anti-héroïne, agaçante et attachante. Le titre donne le ton : Ressources inhumaines.Dans la première partie, une fille de vingt-deux ans débarque comme stagiaire dans une grande surface commerciale. En moins d’un trimestre, elle devient chef du secteur textile. Mais ses méthodes laissent à désirer : elle dénonce un cadre et use de ce qu’on appelle la « promotion canapé ». Le personnage n’est pas franchement sympathique, mais on ne sait par quelle magie l’auteur, Frédéric Viguier, fait en sorte que le lecteur n’abandonne jamais cette histoire. Son récit ne cesse de résonner. À la fin de chaque chapitre, il y a une voix intérieure, celle de cette femme. « Je n’ai peut-être pas de caractère, mais j’ai une poche à remplir, et ça me donne tous les courages », pense-t-elle. Elle comble un vide abyssal. Plutôt susciter la haine que l’indifférence. Je suis détestée, donc j’existe.Dans la deuxième partie, on la retrouve vingt ans plus tard. Sa vie est passée sans saveur. Au magasin, on propose à un stagiaire rebelle – l’exact contraire de ce qu’elle est - une promotion. Est-ce une menace pour elle ? Une chance, peut-être ? L’essentiel est ailleurs : dans la relation qu’elle va nouer avec ce jeune homme. On passe alors de Ressources inhumaines à relations humaines. Frédéric Viguier décrit la grande distribution et les petites gens avec force et justesse. C’est son premier roman, mais il est rare de lire un premier livre aussi mature : la vie, les êtres, les espoirs et les frustrations, l’humanité… Tout cela sent l’expérience, la chair. Mohammed Aïssaoui

Jean-Pierre MontalDans un Paris modianesqueCe n’est pas avec l’ambition sociale d’un Rastignac que Pierre arrive à Paris à l’âge de vingt ans. Le jeune homme est à la recherche de son amie d’enfance, Anne, qui, aux dernières nouvelles, travaillait avenue Foch.Nous sommes en 1995, quelque chose est en train de se passer, « l’argent et l’élégance avaient divorcé, et pour de bon. Le monde semblait bien décidé à redevenir plus injuste sans pour autant s’avérer beaucoup plus beau ».Au fil de ses pérégrinations, Pierre rencontre une étrange humanité de dandys fortunés, de prostituées de luxe, de voyous russes, de doux rêveurs… Les frontières, comme les identités, sont floues sur cette avenue aux allures de triangle des Bermudes où les mystères et les secrets distillent leurs sortilèges. Et Anne dans tout cela ? Que s’est-il passé ?Auteur d’un essai sensible sur Maurice Ronet, cofondateur de la maison d’édition Rue Fromentin, Jean-Pierre Montal signe un roman aux accents modianesques, mais impose un ton et un regard très personnels, notamment quand son héros, bien plus tard, éprouvera la nostalgie de cette époque soumise à un équarrissage « complet, radical, parfait dans son genre ».Si l’on sait depuis longtemps que la forme d’une ville change plus vite que le cœur d’un mortel, certaines âmes sensibles ne s’en remettent pas et songent aux éclats du monde d’avant, aux ravages du temps, en se répétant : « Toutes les années ne se valent pas. »

Christian Authier

Emmanuelle PirotteUn Américain peu tranquilleRenée n’a que sept ans, mais elle n’est une enfant qu’en apparence. La fillette qui apparaît à la première page du roman d’Emmanuelle Pirotte ne se souvient plus de son vrai prénom. Elle est juive et a appris à cacher son identité. Ses sentiments aussi. En décembre 1944, lorsque sa famille d’accueil la confie sans ménagement au curé du village car les Allemands arrivent, elle ne moufte pas. Lorsque le curé croise deux soldats américains en maraude et leur abandonne la fillette, elle ne réagit pas plus. Et lorsque les deux soldats, qui sont en fait des Allemands, la mettent en joue, elle prend le temps de porter une poignée de neige à sa bouche pour se désaltérer. Ce geste et le fait qu’elle ait regardé dans les yeux l’un d’eux vont modifier son destin. Le SS tue son compagnon et garde la fillette. S’ensuit une cavale biaisée par le secret et le mensonge.Il y a une sorte d’urgence dans ce roman nerveux, dictée en partie par la situation qu’il décrit. Mais Emmanuelle Pirotte est hardie : elle s’en va-t-en guerre contre les apparences. L’auteur belge emprunte à l’histoire de son pays un épisode précis : la contre-offensive allemande dans les Ardennes, notamment l’opération Greif qui vit des SS maquillés en Américains tenter d’infiltrer le pays. L’auteur s’attache à montrer que la frontière entre courage et couardise, honneur et infamie est mince. Son héros allemand est un salaud, mais elle le place dans une situation impossible pour s’intéresser aux fêlures qui vont modifier son comportement. Il n’est pas plus sympathique pour autant.Le personnage le plus étonnant est Renée, dont elle adopte la position. Bringuebalée depuis toujours, Renée observe le monde autour d’elle sans reproche, ni colère. Petit animal intuitif et curieux, elle porte ce premier roman, qui se dévore. F. D.

10Premiers romans :

RESSOURCES INHUMAINES ,de Frédéric Viguier, Albin Michel, 281 p., 19 €.

LE RENVERSEMENT DES PÔLES ,de Nathalie Côte, Flammarion, 190 p., 16 €.

LES ÉCHOUÉS,de Pascal Manoukian, Don Quichotte,298 p., 18,90 €.

TODAY WE LIVE,d’Emmanuelle Pirotte, Éd. du Cherche Midi, 240 p., 16,50 €.

NATHALIECÔTE

PASCALMANOUKIAN

EMMANUELLEPIROTTE

FRÉDÉRICVIGUIER

JEAN-PIERREMONTAL

À S

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IR Cette distinction vise à récompenser « un manuscrit (roman ou récit) adressé par courrier, sans recommandation particulière, à un éditeur ». Pour cette première édition, présidée par Olivier Poivre d’Arvor, sept auteurs de la rentrée littéraire étaient en lice. C’est Alexandre Seurat (notre photo)

qui l’a remportée avec La Maladroite (Le Rouergue). Pour son premier roman, ce professeur d’université s’est inspiré d’un fait divers récent. Il évoque le calvaire d’une fillette maltraitée et battue à mortpar ses parents en faisant intervenir à tour de rôle tous les protagonistes de l’affaire.

■ Le facteur est passéÀ l’heure du tout numérique, il arrive encore que des manuscrits arrivent chez l’éditeur dans une enveloppe timbrée. La Poste a décidé de le faire savoir en créant, par l’intermédiaire de sa fondation, le prix Envoyé par La Poste.

» Retrouvez la séance photodes premiers romans sur

www.lefigaro.fr+@

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écrivains au sommet

LES ANNÉES FOCH ,de Jean-Pierre Montal, Éd. Pierre-Guillaume de Roux, 191 p., 20,90 €.

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jeudi 10 septembre 2015 LE FIGAROA

littéraireCRITIQUE

32Lowry retrouvéLongtemps on l’a cru perdu à jamais, parti enflammes en compagnie du manuscrit de Sousle volcan, en 1944 à Vancouver. In Ballast to theWhite Sea avait depuis nourri les fantasmes despassionnés de Malcolm Lowry. Miracle en 2001 : le manuscrit de ce deuxième roman (inachevé) est

retrouvé dans les papiers de sa premièreépouse, Jan Gabriel. Véritable matrice de

Sous le volcan, ce roman fourmille dethèmes récurrents et cardinaux deLowry : la fascination pour la mer et leslointains, le frère comme figure dudouble, l’alcool… Il vient d’être traduit

chez Buchet Chastel par Martine Char-doux et Jacques Darras, sous le titre

Le Voyage infini vers la mer blanche. Ilsera en librairie le 1er octobre.

Millet à la loupeLire Richard Millet est le titre d’un ouvrage col-lectif consacré à l’œuvre de Richard Millet.Laurence Plazenet et Mathias Rambaud, le maî-tre d’œuvre, figurent parmi les contributeurs.Leur intention : aller « à la rencontre de son rap-port profond au temps et à la mémoire, du dialo-gue fécond qu’il entretient avec les morts, deson lien avec l’Orient, de son amour fou pour lamusique… ». L’ouvrage paraîtra chez Pierre-Guillaume de Roux le 17 septembre.

EN TOUTESconfidences

DR

Le mensonge, c’est la vieJAVIER CERCAS À partir de l’histoire réelle d’un imposteur, le romancier espagnol ausculte les démons de l’Espagne au XXe siècle. Remarquable.

PAR ALICE FERNEY

ON LIT le nouveau ro-man de Javier Cercascomme on regardaitenquêter l’inspecteurColumbo dans cette

série policière qui s’ouvrait sur lecrime. Connaissant le coupable, aulieu de le chercher, nous voici li-bres de le comprendre : sa person-nalité et sa vie, la richesse de ses motifs, les modalités, les consé-quences et le déroulé de son acte.Le crime qui captive ici l’écrivainespagnol est une imposture dont ladécouverte en 2005 a fait le tour dela planète, celle d’Enric Marco, cevieux monsieur de Barcelone qui,pendant des années, s’est fait pas-ser pour un ancien déporté, survi-vant des camps nazis, alors qu’ilétait en réalité engagé volontairepour travailler en Allemagne. Dé-masqué par l’historien Benito Ber-mejo, Marco est devenu le GrandMaudit après avoir été une vedettede la « mémoire historique ».

À partir de cette histoire vraiequi le fascine et lui répugne,Javier Cercas a composé ce qu’ildéfinit comme un roman sans fic-tion et qui est aussi un roman to-tal. Car L’Imposteur, qu’il s’estlongtemps refusé à écrire (pour-quoi cet affreux personnage se-rait-il un sujet pour moi ?), en-châsse l’histoire de Marco danscelle de l’Espagne, et celle de celivre dans l’œuvre de Cercas,dans l’idée qu’il entretient de sontravail et dans sa vie familiale. Onconçoit la formidable densité dutexte, qui brasse le passé d’unpays et la vie démultipliée d’unfabulateur, la conception d’un ro-man, les réflexions de son auteursur son objet et sur l’ambition dela littérature.

Concernant Marco, Cercas aenquêté avec une minutie d’his-torien, consultant les archives,rencontrant l’homme et les té-moins de sa vie. Il s’agit là de dis-tinguer dans le tissu des menson-ges la biographie réelle et sa part

fictive, d’apercevoir l’élaborationde la tromperie (qu’est-ce quementir ? quelle est la recette defabrication d’un bon mensonge ?).L’histoire de l’Espagne, de laguerre civile au franquisme puis àla démocratie, avec ou sans oublides victimes de la dictature,constitue le cadre du destin deMarco. L’auteur pose un regardsans concession sur les accommo-dements individuels et collectifsavec les faits et la vérité. Enfin,l’esprit analytique de Cercas faitproliférer le roman. Sa répulsion-attirance, ses doutes, ses craintes,sa passion du non salvateur, sonidentification avec son héros, sonautocritique, il les écrit aussi.

Tempête sous un crânePeut-on sans mentir raconterl’histoire d’un menteur ? À quellevérité parvient-on ? Se compro-met-on en écrivant sur une cra-pule ? Écrire, est-ce finalementjustifier ? Le monde littéraire ac-cepte-t-il les nuances qu’apportel’écriture au destin d’un salaud ?Marco est-il une figure de DonQuichotte ? Comment s’y sont prisCervantes, Capote, Carrère ?

Autant de questions qui habi-tent Cercas. Cette tempête sousson crâne façonne au moins quatrevérités fécondes. Le passé est unedimension du présent. L’Histoiredoit se séparer de la mémoire.Même si nous le détestons, lemensonge a partie liée avec la vie.Comprendre est l’obligation del’écrivain.

À la manière des grands ro-mans, L’Imposteur fracasse descertitudes, envisage le pire, dé-construit, avec une intensité quicroît jusqu’à la dernière page. Ilest une transfusion d’intelligencequ’il ne faut pas manquer. ■

L’imposteur Enric Marco, qui s’est longtemps fait passer pour un déporté, pose en mai 2003 devant le camp de Mauthausen (Autriche).LLUIS GENE/AFP

L’IMPOSTEURDe Javier Cercas,traduit de l’espagnol par E. Beyer et A. Grujucic,Actes Sud, 404 p., 23,50 €.

Une aube étrange se lève à l’EstDARRAGH McKEON Avril 1986, un accident survient à la centrale de Tchernobyl, ravage la région et bouleverse les destins.

FRANÇOISE [email protected]

QUE DOIT-ONmettre pour serendre sur leslieux d’unecatastrophenucléaire ? »

C’est la première question quivient à l’esprit de Grigory devantsa valise ouverte. Le médecinmoscovite va être envoyé en ur-gence sur le lieu d’un accidentdans une centrale en Ukraine.Personne n’a encore entendu parler de Tchernobyl. Il sera l’undes premiers. En arrivant sur pla-ce, le brillant chirurgien est aba-sourdi : dans la ville voisine de Pripiat, les habitants vaquent àleurs occupations comme si de rienn’était. Qu’il hurle et s’agite neralentit en rien le processus enmarche qui voit une nation com-muniste à l’agonie cracher son

dernier souffle en un puissant nua-ge radioactif.

C’est étrangement un Irlandaisintrépide et ambitieux, un auteur inconnu du nom de Darragh Mc-Keon, qui nous livre en cette ren-trée un bouleversant roman russe.Titre emprunté au Manifeste duParti communiste, Tout ce qui est so-lide se dissout dans l’air, et citation de H. G. Wells en exergue, qui disait au sujet de la radioactivité : « C’est àl’échelle de la matière la même chose que la décadence de notre culture ancienne au sein de la société : uneperte des traditions, des distinctionset des réactions attendues. » Tchernobyl fut le début de la fin.

Alors que Grigory s’escrime àalerter les autorités sur la dange-rosité des radiations, Artym, à quelques kilomètres de là, accom-pagne son père fermier à la chasse.Après s’être étonnés des couleursde « cette aube étrange », ils dé-couvrent que du sang s’écoule des

oreilles du bétail. Ils ne ramasse-ront pas les oies qu’ils viennent de tirer. Les hommes ont passé« presque toute leur vie sur ce petit morceau de terre » et ils sentent cematin-là une rupture. Bientôt des camions arriveront pour les arra-cher à leurs champs et les parquerdans des camps. Les animaux do-mestiques seront abattus devantleur maître, et le père d’Artym, re-cruté comme nettoyeur de la zonepolluée, mourra dans d’atrocessouffrances.

Empathique en diableDarragh McKeon décrit avec unréalisme pétri de sensibilité la viedes hommes se heurtant au sys-tème comme les papillons à la vitre. Au monde rural de la cam-pagne autour de Pripiat, il joint lemonde des villes à travers deuxautres personnages. Maria, l’ex-femme de Grigory, était journa-liste ; elle a été réduite au silence

pour contestation et se retrouve désormais derrière une machine-outil dans une usine de la banlieue moscovite. Elle semble s’êtreéteinte. Sa seule lumière est Yvge-ni, son neveu, petit pianiste prodi-ge que son professeur voue à l’ex-cellence, l’innocence incarnée.Mais Yvgeni, empêtré dans sonadolescence, ne sait pas quoi fairede son talent et pourrait bien le gâ-cher. Les nouvelles de Tchernobylne les ont pas encore atteints.

TOUT CE QUI EST SOLIDE SE DISSOUT DANS L’AIRDe Darragh McKeon, traduit de l’anglais (Irlande) par Carine Chichereau, Belfond, 432 p., 22 €.

Un Éthiopien dans le Midwest

P LACER UN CORPSétranger dans unmilieu hostile. Ob-server les réactions.Dinaw Mengestu

pratique l’expérience. Il ne faitpas ça en scientifique. Adopterla position du romancier, voilàla bonne méthode. Muni d’unvisa d’un an, Isaac fuit l’Afri-que pour se réfugierdans le Midwest,dans le cadre d’unéchange entre étu-diants. Une assis-tante sociale leprend en charge. Ilest perdu. Helentombe amoureuse.Cela ne va pas sansproblème, dans cetÉtat où la ségréga-tion a laissé destraces. Isaac évite deparler de son passé.Il est plein demystères. D’oùvient son accentpresque anglais ?Helen ne s’entendpas très bien avec samère. Un vieux pro-fesseur l’écoute seplaindre. Mengestualterne les deux voixde ses héros.Drôle de type, cet Éthiopienqui, à sa naissance, avait treizenoms. C’est beaucoup. Cela luipermet de brouiller les pistes.D’ailleurs, s’appelle-t-il vrai-ment Isaac ? N’aurait-il pasvolé ce patronyme à un amirévolutionnaire rencontré enOuganda ? Cela bardait, là-bas,dans les années 1970. L’uni-versité bouillonnait. Les insur-gés n’allaient pas tarder à setransformer en bourreaux.Éternelle histoire. Page aprèspage, Mengestu soulève lespans du voile. Sa biographie,Isaac la considère comme uneardoise magique. Il voudraitrepartir à zéro. Helen, de soncôté, commet des impairs.Quelle mouche l’a piquéed’emmener son compagnondans un restaurant où tout le

monde les regarde de travers ?La serveuse leur demande s’ilsne préfèrent pas des plats àemporter. Isaac insiste pourrester. On leur donne des as-siettes en carton, des couvertsen plastique. En quelquesparagraphes, voici le racismeau quotidien. L’auteur éviteles grands mots, les discours

appuyés. Il faitconfiance à son ta-lent. Les narrateursse répondent malgréeux. Le lecteur com-ble les vides. Le cou-ple choisit de se ca-cher. Les rencontresont lieu dans deschambres de motelanonymes, loin ducentre-ville.Il y a là-dedans unegravité jamais pe-sante. Ton retenu,détails marquants,brusques irruptionsde violence, mo-ments de tendresseet d’incertitude, lequotidien des immi-grés est constitué detout cela. Tous nosnoms est un livre surle mal du pays,même quand celui-ci

est à feu et à sang. L’exil estdans les têtes. On ne tournejamais vraiment le dos à sajeunesse. Simplement, onabandonne derrière soi desamitiés piétinées. Isaac estobligé de tricher. À une épo-que, c’était une question desurvie. La mélancolie plane surces chapitres qui résonnentlongtemps dans le silence del’Amérique profonde. Lesnoms ? Un seul à retenir :Dinaw Mengestu.

TOUS NOS NOMSDe Dinaw Mengestu, traduit de l’anglais (États-Unis) par Michèle Albaret-Maatsch, Albin Michel, 318 p., 21,50 €.

AFFAIRES ÉTRANGÈRES Par Éric Neuhoff [email protected]

« L’exil est dans

les têtes. On ne tourne jamais vraiment le dos à sa jeunesse»

La catastrophe de Tchernobyl, survenue le 26 avril 1986, sert de toile de fond à la fresque tragique écrite par Darragh McKeon. I. KOSTIN/RIA NOVOSTI/AFP

«Empathique en diable avec ses

personnages, l’auteur relie subti-lement leurs destins pour humani-ser cette fresque tragique. Sa plu-me restitue avec force les scènesque l’on pourrait croire fantasma-goriques de la centrale en feu et dudéplacement tardif mais néan-moins massif des populationsautochtones. Ces descriptions sai-sissantes et un lyrisme discret fontde ce premier roman une révéla-tion de la rentrée littéraire. ■

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LE FIGARO jeudi 10 septembre 2015

A

littéraireCRITIQUE

33

Rentrée littéraire Gallimard

gallimard.fr/rentreelitteraire I facebook.com/gallimard

Kaddour« Un livre merveilleusement romanesque, l’un des grands textes

de la rentrée. »Raphaëlle Leyris, Le Monde des Livres

« Les Prépondérants est un récit d’aventures, de politiqueet de désir. Hédi Kaddour sème des héros saisis par la grâce

et la tristesse, inoubliables. »Olivier Mony, Le Figaro Magazine

Les Prépondérants

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Au nom de tous les miensCHRISTOPHE BOLTANSKI Le journaliste met en scène sa brillante et anticonformiste lignée dans son « kibboutz » de la rue de Grenelle. Un formidable récit.

PHILIPPE GÉ[email protected]

C’EST UNE FAMILLEd’intellectuels quin’a cessé de s’il-lustrer depuis troisgénérations dans

la littérature, les arts et la recher-che. Tout a commencé avec le grand-père Étienne Boltanski, membre de l’Académie de médeci-ne, et sa femme, Myriam, roman-cière sous le pseudonyme d’AnnieLauran. Cela s’est poursuivi avecleurs enfants : Jean-Élie, linguiste de haute volée, Luc, sociologue de renom, Christian, peintre et plasti-cien célèbre. Cela continue avec les petits-enfants : Christophe, jour-naliste et écrivain, Ariane, histo-rienne… À eux tous, ils remplissent quelques rayons de bibliothèque.

On imagine qu’il fallait apparte-nir à cette lignée pour oser s’yfrotter, sans quoi l’on risquaitd’être intimidé. Mais là n’est pas laclef du roman de Christophe Bol-tanski, et celui qui attend le por-trait fanfaron d’une antichambrede l’élitisme français sera déçu.La Cache est l’exact opposé d’uneautocélébration : une plongée dansl’intime, le secret, le noyau, la mé-moire d’un clan qui vit pelotonnéautour de ses cicatrices et de sescodes, sans jamais les dévoiler.Pour raconter cette saga, il fallait en faire partie parce que c’est laseule façon de la connaître.

La genèse des Boltanski tourneautour d’un lieu et d’un moment.Le moment n’est pas tant celui du commencement, l’exil de Juifsd’Odessa vers la France au XIXe siècle. De cela il ne reste dansla famille qu’un samovar et l’écho

de l’accent russe de l’aïeule Niania.Le tournant de l’histoire a lieupendant la Seconde Guerre mon-diale, et il est étroitement connec-té au territoire du livre, dont pro-cède son architecture.

Élitisme trompeurL’hôtel particulier de la rue deGrenelle, dans le VIIe arrondisse-ment de Paris, constitue bien plus qu’un décor. Là encore, la façadeporte les signes d’un élitisme trompeur : quartier huppé, aucœur de la vie intellectuelle et ar-tistique française. Mais c’est ununivers clos, protégé, fortifié. Unpalais sans luxe, biscornu, un peudécati, dont les habitants ne fran-chissent la porte qu’en grappe, en-tassés dans une Fiat 500. Un ventrematernel où les enfants se serrent,dorment à même le sol dans lachambre des parents, se lavent peu, passent leur temps à d’étran-ges et complexes divertissements.

La grand-mère se fait appelerMère-Grand. Frappée de polio-myélite, elle s’acharne à traiterson handicap par le mépris. Sesenfants sont ses béquilles, maisc’est sa force à elle qui tient la mai-sonnée. Chez Myriam Boltanski,on voyage sans sortir de la voitureet on n’appréhende le monde ex-térieur qu’à l’âge adulte. D’école,d’éducation même il n’est jamaisquestion, un paradoxe lorsqu’onvoit la trajectoire des rejetons. Le« kibboutz » de Grenelle suffit àformer les caractères.

Le livre de Christophe Boltanskisuit le plan de la maison, chaquechapitre ouvre la porte d’une nou-velle pièce. On avance ainsi pas à pas vers le cœur du mystère, unfaux palier de quelques marches

dissimulant « la cache ». Pendantla guerre, le grand-père, menacé par la traque des Juifs, organise sapropre disparition. Il divorce de safemme et s’en va, une nuit, en fai-sant assez de bruit pour que les voi-sins le remarquent. Mais où serait-il plus à l’abri qu’en plein cœur dece huis clos, de sa propre maison ? Un retrait du monde qui va affectertoute la famille, et pour longtemps.

L’histoire est vraie, les person-nages existent, mais ce récit ne

pouvait tenir que dans un roman.Les souvenirs d’un enfant, ajoutésà ceux de ses aînés, composent untableau impressionniste, subjec-tif, riche aussi de ses zones d’om-bre et de ses pièces manquantes.D’une plume délicate et prudente,Christophe Boltanski a écrit le ro-man vrai de sa tribu comme onrevisite une maison fantôme.L’hôtel de la rue de Grenelle estencore debout, mais son âme vitaujourd’hui dans un livre. ■

Christophe Boltanski, dans son appartement parisien, le 31 mars 2015. JULIEN FALSIMAGNE

LA CACHEDe Christophe Boltanski,Stock, 335 p., 20 €.

Magicien du noirJÉRÔME LEROY Un ex-leader d’extrême gauche sort de prison et retrouve, vingt ans après, ses anciens camarades.

PAR BENOÎT DUTEURTRE

SES ROMANS se succèdentun peu comme ceux deSimenon : variés dans lessujets, constants dans la to-nalité, parfaits dans la for-

me. À cinquante ans, Jérôme Leroy montre une telle maîtrise de l’art ro-manesque qu’on s’étonne seulement qu’il n’ait pas encore obtenu ungrand prix littéraire, ni les applau-dissements bruyants que la critique réserve à d’autres. Peut-être juste-ment parce que ses livres, comme ceux de Simenon, ont cette simplici-té du grand art, que d’aucuns confondent avec la facilité. Leroy n’en continue pas moins de produi-re, régulièrement, des romans réa-listes, des romans politiques, des romans sociaux, des romans d’anti-cipation qui dressent le tableau d’une époque sombre, sans horizon, totalitaire à sa façon, où les êtres ten-tent de vivre et de s’aimer au risquede se faire piéger. L’extraordinaire fluidité de son écriture atténue tou-tefois ce sentiment de noirceur, comme si le rythme du récit, la force des personnages, l’irrésistible envie de connaître la page suivante nousrappelaient que le plaisir de la litté-rature est aussi vrai que les plus som-bres intrigues.

Jugan, titre de ce nouveau roman,est le nom du personnage principal : Joël Jugan, l’un de ces jeunes gens qui, au temps d’Action directe, rêvaient d’imiter leurs aînés de la Gauche prolétarienne en se mon-trant plus violents encore, plus in-transigeants dans leur combat révo-

lutionnaire. Son jusqu’au-boutisme l’a conduit au meurtre et à la prison. Le récit commence vingt ans plus tard, au moment de sa libération conditionnelle. Revenu dans sa ville natale de Noirbourg, Cotentin, ce personnage horriblement défiguré (on comprendra pourquoi) retrouve ses anciens camarades de lutte deve-nus médecins ou professeurs, tous apeurés par ce meneur qui n’a rien renié de ses pulsions mégalomania-ques. Recruté dans un centre social, ilva dès lors entraîner dans de sombresprojets une petite Beurette en mal d’émancipation familiale, envoûtée par son « magnétisme effrayant ».

Distance et proximitéPour donner au drame le mélange de distance et de proximité qui fait lesbons romans, Leroy nous le fait ra-conter par un autre habitant de Noirbourg, témoin de cette tragédie. Séjournant sous le soleil méditerra-néen où il espérait « oublier des mois de ciel gris et de crachin », il se remé-more ce drame qui ramène ses pen-sées en Normandie. Le texte impec-cablement mené ne vaut pas seulement par l’intrigue, mais aussipar son tableau de la province et des décennies successives : du gauchis-me des seventies à celui des années 1980 ; du décor des banlieues pous-sées en pleine campagne à la décom-position d’« un paysage frappé par la fin du monde » ; du temps de l’immi-gration à celui des communautés, comme celle dont Assia voudrait s’échapper – quitte à tomber entre les griffes d’un personnage vraiment diabolique. ■

JUGANDe Jérôme Leroy,La Table Ronde, 220 p., 17 €.

ET AUSSIL’autre EnardAvec un autre Jean-Pierre (Martinet, 1944-1993), Enard (1943-1987) fut une comète qui traversa notre ciel et s’en fut très tôt sans demander son reste. Ces deux écrivains se retrouvent aujourd’hui - bonheur ! - au catalogue des Éditions Finitude. L’auteur du Dernier dimanche de Sartre et de La Reine du Technicolor se présente à nous avec un recueil de neuf textes publiés dans la presse entre 1982 et 1987 mais jamais réunis en volume. Cinq d’entre eux composent un feuilleton délirant intitulé « Rassemblement ». Où l’on voit l’auteur s’amuser avec des personnages loufoques, inquiétants, obsédés. Moins ludiques, plus poignantes sont les quatre nouvelles intercalées entre chaque épisode du feuilleton. Un vigile au grand cœur fatigué par la vie, une jeune femme obsédée par les vespasiennes, un garagiste persuadé d’être le sosie d’un comique… Le style Enard est là. Phrases courtes, sens du détail, dialogues au cordeau. Encore !

B. C.

L’EXISTENCE PRÉCAIRE DES HÉROS DE PAPIER De Jean-Pierre Enard, Finitude, 126 p., 13,50 €.

ses textes, puisée dans sesmeilleurs ouvrages (Le Livredes masques, Promenadeslittéraires…). Parution prévue le30 septembre, sous le titreLe téléphone a-t-il autant quecela augmenté notre bonheur ?Entre-temps, les éditions duSandre auront publié le troisiè-me volume de sa corres-pondance.

Quand Rolin voit petitAprès avoir arpenté la planète,Olivier Rolin s’est essayé au« portrait de menues choses etdes chétivités ». Dans À yregarder de près, l’auteur duMétéorologue s’est attardé surdouze objets « décrits avec laplus grande précision ». Le livreest illustré par Érik Desmaziè-res. Parution le 29 octobre,

dans la collection « Fiction& Cie » (Seuil).

Gallienne et les poètesUn an après un volume consacréà Hugo, à Proust et à la Princes-se de Clèves, le comédienGuillaume Gallienne s’attaque àla poésie en publiant le 22 octo-bre chez Gallimard Ça peut pasfaire de mal, une sélection de

textes d’Apollinaire, de Baude-laire et d’Aragon qu’il lit et com-mente dans deux CD.

Tout Lafon chez BuchetBuchet Chastel va rassembler la totalité des nouvelles de Marie-Hélène Lafon, dont celles des re-cueils Liturgie et Organes, sousle titre Histoires. Parution pré-vue pour le 8 octobre prochain.

Gourmont retrouvéÀ l’occasion des cent ans de ladisparition de Remy de Gour-mont, « Les Cahiers rouges »vont publier une anthologie de

&ÇA LÀ

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jeudi 10 septembre 2015 LE FIGAROA

littéraireHISTOIRE

34

« L’autocrate » respectéDOCUMENT Les relations entre de Gaulle et les Anglais ont toujours été difficiles. Des documents inédits exhumés des archives britanniques le confirment.

JEAN-MARC BASTIÈRE

LES RELATIONS tumul-tueuses – sinon acrimo-nieuses – du général deGaulle avec les Anglaisont duré près de trente

ans, de son arrivée à Londres le9 juin 1940 jusqu’à sa démissionde la présidence de la République,en 1969.

De fait, plusieurs milliers de dé-pêches ou de rapports, conservésaux archives nationales britanni-ques à Kews, lui ont été consacréspar les agents des services secretsou les diplomates de la Couronne.Ces documents, exhumés et misen perspective par FrançoisMalye, permettent de comprendrele point de vue de nos voisinsd’outre-Manche. Rédigés dans levif de l’action, ils échappent à lafadeur elliptique du langage diplo-matique officiel et peuvent serévéler très piquants.

Toute la culture et l’éducationdu général de Gaulle le poussent à

détester ceux auprès desquels ilvient quémander un soutien. Pasfacile ! Son caractère anguleuxn’arrange pas non plus les choses :« Je n’ai aucune confiance dans lesAnglais : ils prennent et gardent uneattitude hypocrite », confie-t-il. Sastratégie vis-à-vis d’eux est sim-ple : « Il faut taper sur la table, ilss’aplatissent. » Aussi étrange que cela puisse paraître, cela marche-ra. Les Britanniques finiront par lerespecter. Duff Cooper : « Sa su-perbe intransigeance avait une no-blesse que je finissais, malgré moi,par admirer. » Churchill : « Jecomprenais et j’admirais, tout enm’en irritant, son attitude arrogan-te. » Harold Macmillan évoquedans ses Mémoires « un hommedont la personnalité était plus puis-sante que celle d’aucun autre Fran-çais ». Spears, qui se fâchera àmort avec lui, nourrit malgré toutà son égard « un respect et uneadmiration que les événements ultérieurs n’ont en aucune manièreatténués ».

Il y a bien sûr des réserves. SelonAntony Eden, « il donnait cepen-dant […] l’impression d’avoir apprisla diplomatie à l’école de César Bor-gia ». Pour Macmillan, qui le com-pare à Louis XIV ou à Napoléon, « c’est un autocrate de nature ».

Malgré leurs premiers accrocha-ges, Churchill et de Gaulle se jau-gent et s’estiment rapidement. Lesrelations des deux hommes oscille-ront entre démonstrations d’amitié

et violents coups de froid. Le pre-mier ministre de retour dans Paris libéré se laisse ainsi submerger parl’émotion : « Winston n’a pas cessé de pleurer un instant, et c’est avec un déluge de larmes qu’il a reçu la citoyenneté d’honneur de la Ville de Paris. » Quelques semaines plus tôt, il déclarait pourtant : « De Gaulle est l’ennemi mortel de l’Angleterre. »Peu après, dans un message top secret, Churchill redevient plus

vachard : « De Gaulle est bien mieux depuis qu’il a perdu une bonne partie de son complexe d’infériorité. »

L’aversion de RooseveltUn jour, dans un moment d’exas-pération, Churchill lança à de Gaul-le qu’il lui préférerait toujours Roo-sevelt. La réalité est plus nuancée.Les Britanniques, malgré les appa-rences, ont toujours défendu de Gaulle et le rôle futur de la Fran-ce. Cela, non par sentimentalisme mais pour des raisons stratégiques.Une France indépendante repré-sentait un verrou contre les visées hégémoniques des Américains qui menaçaient à terme leur empirecolonial. Roosevelt, on le sait, détestait de Gaulle, qu’il traitait de « prima donna ». Il pesa de tout sonpoids sur Churchill pour qu’il rom-pe avec lui. Les diplomates britan-niques s’y sont toujours opposés. Ils démentirent notamment l’alléga-tion récurrente selon laquelle legénéral de Gaulle était fasciste. Ce qui inquiétait les Américains, au-delà de l’aversion personnelle de Roosevelt, c’est l’obstacle, même modeste, que la France aurait puconstituer à leurs visées.

Quand en 1946 le généralde Gaulle claque la porte, c’est le soulagement. Les diplomates sontpersuadés qu’il est fini. Son retouren 1958 est une très mauvaisenouvelle pour les Britanniques. L’ambassadeur Pierson Dixonécrit en 1960 qu’il va falloir s’en-tendre avec lui, « ce qui ne s’an-nonce pas facile ». En effet. ■

Sir Winston Churchill et le général de Gaulle, le 12 janvier 1944 à Marrakech.. RUE DES ARCHIVES

DE GAULLE VUPAR LES ANGLAISDe François Malye, Calmann-Lévy,250 p., 19,50 €.

Les Barbares dans la Ville éternelleESSAI À travers l’histoire des sacs successifs de Rome, une réflexion sur la fragilité des civilisations.

JACQUES DE SAINT VICTOR

E N 410 APRÈS J.-C., leroi barbare Alarics’empare de Rome.C’est un séisme. Lescitoyens de l’Urbs

étaient convaincus que ce chef-d’œuvre de la civilisation antiqueétait une Ville éternelle. Lorsqu’ilapprendra le sac de Rome, saintJérôme s’effondrera : « Elle estprise, la ville qui a pris l’universentier. » L’aristocratie sénatorialeaccusa les chrétiens. Ce désastreétait une vengeance des dieux.Saint Augustin, de sa lointaineprovince d’Afrique, décida deprendre la plume pour répondre àces graves accusations : la Cité de

Dieu n’est pas une cité terrestre.Même la plus grande des cités,celle des Césars et des divinitéspaïennes, est destinée à la ruine.Seule la cité céleste est le lieu del’éternité.

Pendant des siècles, les ré-flexions sur le sac de Rome ontservi aux auteurs à méditer sur lesort de la civilisation. L’historien Umberto Roberto, qui revient danscette passionnante histoire dessacs de Rome sur cet événementde 410, apporte de subtiles nuan-ces par rapport aux récits classi-ques. Ce « sac d’Alaric » n’a pas,selon lui, « changé le visage » deRome. Ou plutôt, si la cité a chan-gé, c’est parce qu’elle est devenueplus chrétienne encore. Les lieux

saints ont été protégés par lesBarbares, d’obédience arienne,tandis que les temples païens ontété incendiés et pillés. Les papesvont renforcer la présence du christianisme et les historiens an-glais ont pu parler de « Renaissan-ce du Ve siècle ». Au fond, le sacd’Alaric a profité au christianismeà Rome, jadis « Vatican du paga-nisme », selon le mot de Peter Brown.

Épisodes sanglantsCe bel essai historique sur les sacsde Rome, depuis celui des Gau-lois, au IVe siècle avant J.-C., jus-qu’à celui du connétable de Bour-bon en 1527, qui marque la fin del’indépendance de la péninsule

tant, en vaguant dans l’Empire, ilsont contribué à sa désarticulation. Si Rome a pu supporter le sac de410, elle ne s’est pas remise desautres sacs des Ve et VIe siècles,celui des Vandales en 455, puis ce-lui des Ostrogoths et des Burgon-des de 472, enfin celui de Totilaen 546. Ces épisodes sanglants ont mis fin à la civilisation antique,qui n’a pas voulu entendre un Cas-sandre chrétien comme Jérôme.Romanus orbit ruit ! Rome court àsa perte… Umberto Roberto rap-pelle en conclusion que tout cetenchaînement de malheurs reposesur l’absence de maîtrise de MareNostrum : « La splendeur de Romereposait tout entière sur la sécuritédes voies maritimes. » ■

jusqu’au XIXe siècle, ne reprendcependant pas entièrement la vi-sion irénique d’un Peter Brown,selon laquelle une « Antiquitétardive » aurait conduit, par unelongue transition sans heurts pro-fonds, de la cité antique à la citémédiévale.

Cette étude des sacs de Romesouligne l’ambiguïté de ces tragé-dies. Certes, les Barbares qui se ré-pandaient dans l’Empire romainaprès le percement du limes en 378à Andrinople n’étaient pas tousdes « envahisseurs », comme le dit Umberto Roberto ; ce furentmême, selon ce dernier, des« masses de réfugiés » qui fuyaient des Barbares encore plus brutaux,comme les Huns d’Attila. Pour-

ROME FACE AUX BARBARES.D’Umberto Roberto, traduit de l’italien par Yann Rivière, Seuil, 448 p., 24 €.

Flamboyante Espagne catholiqueESSAI Un tableau magistral et complexe de l’hyperpuissance espagnole au XVIe siècle.

PAUL FRANÇOIS PAOLI

Q UEL FUT le secret dela grandeur et durayonnement espa-gnols au XVIe siècle ?Voilà la question à la-quelle tente de ré-

pondre l’historienne Michèle Esca-milla dans cet essai en forme desynthèse magistralement écrit,mais difficile d’accès pour qui n’est pas familier de l’histoire de l’Espa-gne. On a parfois l’impression queMichèle Escamilla, qui a publié voilà quinze ans avec Pierre Chaunu unebiographie de Charles Quint faisant autorité (1), ne s’adresse qu’aux ini-tiés, et c’est dommage tant le sujet est passionnant.

À travers quatre figures qui sesont succédé à la tête de l’Espagne,Isabelle de Castille et son mari, Fer-dinand d’Aragon, puis Charles Quint et son fils Philippe II, l’auteur

embrasse les principaux conflitsstratégiques et dynastiques, maisaussi théologiques et religieux, quiont mobilisé l’Espagne des rois ca-tholiques.

Dites-moi qui sont vos ennemis,je vous dirai qui vous êtes ! Dans leSud, les ennemis de l’Espagne, quivient d’achever la Reconquista avec la prise de Grenade en 1492, sont les Barbaresques qui emmènent en captivité les chrétiens pour en faire des esclaves, et, plus à l’est, les Turcs de l’Empire ottoman qui se-ront vaincus à la bataille de Lépante en 1571. Victoire fêtée dans la liesse au sein d’une Chrétienté dont l’Es-pagne est perçue comme le fer delance face à l’infidèle musulman,même après les divisions engen-drées par la Réforme. Car qui dit Es-pagnol, Michèle Escamilla insistesur ce point, dit catholique. Un ca-tholicisme qui n’est pas unecroyance comme une autre mais

s’engage à treize ans dans les trou-pes royales parties combattre lesprotestants aux Pays-Bas. « Héros de la guerre de Trente Ans, il fré-quente les plus hauts personnages etfinit chevalier de Malte », écrit l’auteur qui tente de saisir l’âme d’un peuple à travers ces figures saillantes que sont les aventuriers,les mystiques ou les chefs de guer-re.

Le XVIe siècle espagnol ? Un ex-cès de force et de vitalité qui n’étaitpas fait pour durer. « Nous avonsvoulu être le glaive de Dieu sur la ter-re, ce qui était naturellement vouloirtrop. Mais ce fut un vouloir très dif-férent du vouloir être des maîtres du monde à la manière perse, macédo-nienne, romaine, française, anglaise,allemande ou moscovite », écrivait lephilosophe Miguel de Unamuno. Ilconcluait : « Espagne, ton royaumen’est pas de ce monde. » ■(1) Chez Fayard.

constitue la manière d’être et de respirer de tout un peuple, depuis les nobles jusqu’aux paysans.

Pour l’historienne il ne fait pas dedoute que la puissance de l’Espagneest liée à sa ferveur religieuse. Michèle Escamilla consacre de bel-les pages à l’affrontement entre Charles Quint et Luther où elle tente d’appréhender le destin de ceshommes pour lesquels Dieu n’est pas un sujet de conversation mais une raison de vivre et de mourir.

Figures saillantesUne des forces du livre réside d’ailleurs dans ses portraits. Ainside celui de Jeanne la Folle, la mèrede Charles Quint, ou du moinefranciscain Cisneros, procheconseiller d’Isabelle de Castille, personnages dont s’inspira Mon-therlant pour sa pièce Le Cardinal d’Espagne. Ou encore Alonso de Contreras, va-nu-pieds qui

LE SIÈCLE D’OR DE L’ESPAGNEDe Michèle Escamilla, Tallandier, 846 p., 29,90 €.

Isabelle Ire de Castille, reine d’Espagne de 1451 à 1504. Détail d’un retable espagnol, vers 1500. GRANGER NYC/RUE DES ARCHIVES

La Tunisie décernera son prix GoncourtLa dernière sélection du prixGoncourt sera annoncée le mar-di 27 octobre. On connaîtra alorsles quatre finalistes. Mais cetteannée, l’académie a voulu mar-quer le coup et quitter le salondu restaurant Drouant, rueGaillon, pour faire cette annonce.

Bernard Pivot, le président, ac-compagné de certains membresdu jury, se rendra pour l’occa-sion en… Tunisie. Trois raisons àcette communication excep-tionnelle. D’abord, la solidaritéavec le peuple tunisien - la listesera donc dévoilée au Musée du

Bardo, à Tunis, là même où ungroupe djihadiste a commis unattentat. Ensuite, ce sera l’occa-sion de lancer, après les Gon-court polonais, italien, roumain,serbe, suisse, le « Goncourt tu-nisien » (le lauréat sera désignéparmi les quinze de la première

liste du Goncourt par un grouped’universitaires et d’étudiants).Enfin, troisième raison, la créa-tion de ce prix doit montrer àquel point l’académie effectue« un travail immense autour dela francophonie ».

MOHAMMED AÏSSAOUI

LE 27 OCTOBRE, LA DERNIÈRE SÉLECTION SERA ANNONCÉE AU MUSÉE DU BARDO, À TUNIS, EN MÊME TEMPS QUE LE LANCEMENT DU « GONCOURT TUNISIEN ».

ON ENparle

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LE FIGARO jeudi 10 septembre 2015

A

littéraireEN VUE

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JEUNESSESurvivreC’est une première qui fait figure d’événement dans le monde débordant d’idées de la littérature jeunesse. Quatre auteurs de Nathan et de Syros se sont associés pour proposer une série écrite à huit mains, à raison d’un volume chacun. Voici donc U4, dont les quatre premiers titres sortent simultanément. L’intrigue ? Apocalyptique ! Un virus mortel a décimé la population mondiale. Seule une partie des 15-18 ans en a réchappé, ainsi que certains adultes, hostiles, que l’on ne distingue guère sous leur combinaison étanche. Eux veillent à l’approvisionnement et vont bientôt employer la force contre les plus rétifs. L’histoire est racontée par la voix de quatre adolescents d’emblée très attachants. Anciens adeptes d’un jeu vidéo, ils ont reçu, avant que les ordinateurs ne s’éteignent définitivement, un message les enjoignant à rallier la capitale pour un rendez-vous qui leur donnera peut-être la possibilité de reprendre en main leur destin ravagé. Voici donc la Bretonne Koridwen, sous la plume d’Yves Grevet, qui rejoint Paris en tracteur, Yannis, imaginé par Florence Hinckel, qui quitte Marseille en proie aux bandes de pillards et rejoint bientôt à Lyon Stéphane, l’héroïne de Vincent Villeminot. Elle a découvert que les survivants devaient leur salut à un vaccin contre la méningite. À Paris, où ils seront réunis, Jules, le personnagede Carole Trebor, va faire le lien.Sa mécanique bien huilée et l’extrême maîtrise du dispositif narratif font indéniablement de cette série très incarnée une réussite. Elle est néanmoins à réserver aux lecteurs plus âgés en raison de sa violence que les auteurs n’édulcorent jamais. F. D.

U4 D’Yves Grevet, Florence Hinckel, Carole Trebor et Vincent Villeminot, Nathan/Syros, 16,90 € le volume (à partir de 14 ans).

Grangé au cœur des ténèbresTHRILLER Le premier flic de France face à son passé de barbouze en Afrique et aux meurtres rituels d’un tueur en série effrayant.

BRUNO [email protected]

JEAN-CHRISTOPHE Grangé,le roi du thriller français, estde retour, trois ans aprèsKaïken, avec un pavé de800 pages intitulé Lontano.

Un roman coup-de-poing dans lequel il est question des péchés du premier flic de France, GrégoireMorvan. Cet homme de fer capable de grande violence est l’incarnation de la « Françafrique », de ses secrets les plus troubles et le bras armé de la République. C’est aussi un héros qui a mis fin, dans les années 1980 au Zaïre, à une série de meurtres rituels particulièrement atroces commis parun Blanc.

Alors que « l’Homme-clou » estmort depuis longtemps, des ca-davres mutilés sont retrouvés enFrance, notamment sur une basemilitaire en Bretagne et à Paris, jus-te en face des locaux du Quai desOrfèvres. Pour résoudre au plusvite l’énigme de ces corps transfor-més en fétiches, vidés de leurs or-ganes et maquillés de clous et de tessons, Morvan confie l’affaire àun flic de la Crime qui n’est autreque son fils Erwan !

Il lui demande aussi de surveillerson autre fils, Loïc, trader qui se noiedans la drogue au lieu de surveiller les actions paternelles en Afrique,dont le cours s’envole sans raison logique. Enfin, le costaud Erwan

doit garder un œil sur sa petitesœur, Gaëlle, pseudo-actrice prête àtoutes les provocations pour nuire à la famille. Ce qui nous vaut quelquesscènes enlevées dans des commu-nautés échangistes et sado-maso…

Moments de bravoure Grangé, au sommet de sa forme,réussit à boucler son affaire sans nous perdre en route. Il multiplie lesmoments de bravoure et les images chocs. Son flic, Erwan, est un per-sonnage connu dans son univers : solitaire, torturé et tenace. La gran-de nouveauté, c’est que le roman-cier ne se limite plus, cette fois, à unface-à-face tueur-flic mais s’amuse à mettre en scène une famille à mi-chemin des Atrides et des Borgia…

Arrivé à la dernière page, quandErwan annonce à son père son in-tention de partir pour l’Afrique, oncomprend que tout n’est pas réglé. Ce que nous confirme l’auteur des Rivières pourpres et de L’Empire desloups. « J’ai déjà remis à mon éditeurla deuxième partie de ce roman. Elledevrait sortir chez Albin Michel aupremier trimestre 2016. Ce sera un roman dont l’action sera aux deuxtiers située en Afrique, sur les terresde “l’Homme-clou”. Il fera encore800 pages. » Le cauchemar ne faitdonc que commencer ! ■

Jean-Christophe Grangé dans le studio du Figaro.fr, à Paris, le 18 juin 2015. FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO

LONTANODe Jean-Christophe Grangé,Albin Michel, 777 p., 24,90 €.

Les livres donnent le goût de la FranceHAFID AGGOUNE Un professeur de collège écrit à Anne Frank pour lui confier son désarroi.

ASTRID DE [email protected]

C’EST UN ROMANsous forme delettre, une uni-que et longuelettre adressée à

Anne Frank par un professeur defrançais. Il veut mettre fin à sesjours mais auparavant il a besoinde se confesser.

S’il choisit d’écrire à AnneFrank, c’est parce que l’un de ses élèves a brûlé ostensiblement enclasse le Journal que cette jeuneJuive avait tenu pendant la guerreavant de mourir en déportation.Or ce B. Jahrel n’était pas n’im-porte quel collégien. Le narrateurlui avait donné des cours bénévo-lement pendant deux ans. Le mau-

vais élève était devenu un garçonprometteur, ouvert, curieux, avidede lectures. Son professeur en étaitfier. Jusqu’à ce jour où il sortit son briquet et mit feu aux pages duJournal de la petite Anne. Tout ceen quoi l’enseignant croyait,l’émancipation par les livres et l’éducation, s’écroula. La violencede la déception le poussa à deman-der l’expulsion immédiate de l’adolescent. Six mois plus tard,B. Jahrel commettait un attentatmeurtrier. Le professeur de lettres,qui « ne croit pas en Dieu mais enl’Homme et en la Femme seuls res-ponsables du bien et du mal de notremonde », est écrasé de culpabilité :il a échoué dans sa mission.

L’intérêt de ce livre ne réside pastant dans ce que l’auteur de la let-tre dit d’Anne Frank que dans ce

qu’il raconte de sa propre éduca-tion. Né en France mais originaired’Afrique du Nord, avec du sangkabyle, berbère, andalou, juif, il s’était jeté à corps perdu dès l’en-fance dans la lecture. En effet, lors-qu’il le voyait plongé dans un ro-man, son père le laissait tranquille.

Le salut par la littérature« Il a suffi de quelques livres pour que je me sente français », note-t-il. Ce texte est une ode à la lecture,qui agrandit le monde, et aux écri-vains qui furent autant de pères desubstitution pour ce garçon que lescoups, les hurlements, les insulteset les crachats reçus du sien avaient plongé dans le mutisme. Ilest devenu enseignant pour trans-mettre et « contribuer à changer lemonde à la racine ». La dérive cri-

minelle de son élève a tué ses rê-ves. Il ne peut plus croire au salutpar la littérature.

Mais ce qu’il y a de plus touchantet singulier dans ce texte de Hafid Aggoune, c’est la reconnaissance et l’amour que le narrateur exprime pour son père, cet homme qui le terrorisait et dont il avait si souvent souhaité la mort. Avec le recul des ans, il comprend que ce père a fait ce qu’il a pu, lui qui craignait par-dessus tout que ses fils ne devien-nent ouvriers comme lui. Mêmedans ses coups et ses injures, il y avait de l’amour, écrit-il. Il rendhommage à celui qui lui a fait aimer la France, qui n’a pensé qu’à sa femme et à ses enfants, n’a jamaisflanché devant les duretés de l’exis-tence, a hissé ses fils au plus haut qu’il pouvait. C’était un homme. ■

ANNE F.De Hafid Aggoune, Plon, 148 p., 15,90€.

LE CHIFFRE DE LA SEMAINEL’histoire du christianisme

ressemble à un récit de science-fiction »EMMANUEL CARRÈRE AU QUOTIDIEN MADRILÈNE « EL MUNDO », À L’OCCASION DE LA TRADUCTION DU « ROYAUME » EN ESPAGNOL.FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO

920c’est le nombre

de pages de la réédition, aux Éditions Motifs, d’Une tragédie américaine (1925),

l’un des cinq grands romans de l’écrivain américain Theodore Dreiser (1871-1945).

Retrouvez sur Internet, chaque mardi, la chronique« Livres pour la jeunesse ».

SURWWW.LEFIGARO.FR/LIVRES@

Il est bon, de temps à autre, de se retourner vers la littérature baroque contemporaine, constituée de romans luxuriants, foisonnant de personnages pittoresques au lyrisme délirant. Paru en 1969, La Boutique aux miracles fait partie de cette famille de livres, où se coudoient Le Royaume de ce monde d’Alejo Carpentier et Cent ans de solitude de García Márquez,

notamment. Le protagoniste estPedro Archanjo, un métis poète,philosophe au grand cœur, ethnologue des gens de peu et figure populaire de Salvadorde Bahia. Au début du XXe siècle,ce « franc buveur » rebelle, grand coureur de jupons a écritquatre livres tirés à très peud’exemplaires, dont La Viepopulaire à Bahia, tous oubliésdepuis longtemps. En 1968,vingt-cinq ans après sa mort,un Prix Nobel américain, fictif

lui aussi, exhume l’œuvre d’Archanjo, en affirmant qu’elle a exercé une influence déterminante sur ses travaux. Le Brésil et le monde entier se ruent sur ses quatre petits livres réédités qui lui assurent une gloire post mortem. En brefs chapitres, Amado revient sur le destin de cet homme et de sa « boutique aux miracles », accompagné de son ami Lídio Corró qui illustre en peinture des récits de miracles. Le roman est un hymne la culture populaire de Bahia, sous toutes ses formes, sous tous ses métissages : musiques, contes, cérémonies et offrandes du candomblé… Défile ici tout un peuple de santonniers, de maîtres de capoeira, de prostituées, de babalaos. Ce « Mendiants et orgueilleux » version brésilienne s’achève dans une apothéose festive, en un délire des corps dansants sur fond de samba. À (re) découvrir absolument. ■ T. C.

LA BOUTIQUE AUX MIRACLESDe Jorge Amado, traduit du portugais (Brésil) par Alice Raillard, J’ai Lu , 448 p., 8,40 €.

POCHEEntre capoeira et cachaça

En ce début de 1978, Roland Barthes est une intouchable sommité de la sémiologie littéraire, auteur des déjà classiques universitaires que sont Le Degré Zéro de l’écriture, S/Z ou Le Plaisir du texte. Un tandem de plaisantins (Patrick Rambaud et Michel-Antoine Burnier), qui avait déjà parodié quelques stars des lettres (Aragon, Beckett, Sollers, Deleuze et Guattari), publie

Le Roland-Barthes sans peine,sorte de méthode Assimil pouraider à comprendre sa langue. Un an auparavant, dans sa « leçon inaugurale » de la chaire de sémiologie, Barthes avait déclaré, avec le tollé (ou l’admiration) que l’on sait : « La langue,comme performance de toutlangage, n’est ni réactionnaire,ni progressiste ; elle est toutsimplement. » Ici nos deuxcomparses s’en donnent

à cœur joie, parodiant le discours de R. B., faux exemples à l’appui, tirant à vue sur le lexique employé (« le fumeux du texte ») ou les tics typographiques (abus de l’italique et du signe slash). Le tout est agrémenté de résumés, d’exercices, et complété par des « Devoirs de gymnastique textuelle ». Quelques illustrations : « Comment t’énonces-tu, toi ? », traduction française : « Quel est votre nom ? » ; « Quelle “stipulation” verrouille, clôture, organise, agence l’économie de ta pragma comme l’occultation et/ou l’exploitation de ton ek-sistence », soit : « Que faites-vous dans la vie ? » ; ou encore : « (J’) expulse des petits bouts de code », c’est-à-dire : « Je suis dactylo »… Une réédition (même si le texte est « daté ») qui détonne au cœur de la célébration du centenaire de Roland Barthes. ■ T. C.

LE ROLAND-BARTHES SANS PEINEDe Michel-Antoine Burnier et Patrick Rambaud, Chiflet & Cie, 116 p., 13,50 €.

CURIOSITÉRoland Barthes pour les nuls

» Retrouvez l’interview de Jean-Christophe Grangé

sur www.lefigaro.fr+

« Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge �atteur » Beaumarchais

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jeudi 10 septembre 2015 LE FIGAROA

littéraireEN MARGE

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Christophe Malavoy : « Cette BD aurait fait rire Céline »ENTRETIEN L’acteur, qui est aussi réalisateur et auteur, a écrit le scénario d’un album adapté des trois livres de Céline qui racontent sa fuite en Allemagne en 1944.

PROPOS RECUEILLIS PAR

ASTRID DE [email protected]

LE FIGARO. – Est-ce la guerre de 14 et le livre que vous avez écrit sur votre grand-père mort au front qui vous ont conduit à vous intéresser à Céline ?Christophe MALAVOY. – En réali-té, c’est après avoir adapté au ci-néma une pièce de Jean-ClaudeGrumberg, l’histoire d’une fa-mille juive pendant la guerre,alors que je me demandais ce quej’allais faire ensuite, que j’ai penséà écrire sur Céline. Céline n’ajamais été adapté au cinéma. Degrands réalisateurs ont essayé– Fellini, Sergio Leone, Audiard,François Dupeyron – mais tousleurs projets ont échoué. L’œuvrede Céline me procure le mêmeplaisir que celle de Fellini. Il y achez l’un et l’autre une dimensionpoétique et comique qui donne àvoir la réalité mieux qu’uneœuvre réaliste, comme d’ailleurschez les plus grands auteurs : Sha-kespeare, Cervantès, Swift…

La réputation sulfureuse de Céline ne vous a donc pas rebuté ?Les paradoxes et les contradic-tions du personnage m’ont attiré.J’ai voulu en savoir plus, dépasser les idées reçues. J’ai lu son œuvreintégralement, ainsi que sonépaisse correspondance et unesoixantaine de livres sur lui.

Même les livres antisémites ?J’ai réussi à me procurer à l’étran-ger les pamphlets publiés entre1937 et 1941, dont Céline avait in-terdit en 1945 qu’ils soient réédi-tés. Ses invectives antisémites dé-lirantes ne sont évidemment pasce qui m’intéresse. Elles sont las-santes, et leur excès même lesrend insignifiantes. Pourtant,même dans l’outrance haineuse, ila des éclairs de génie, des formu-les, des drôleries. Bagatelles pourun massacre est un pot-pourri : aumilieu des diatribes contre lesJuifs, il y a des textes anticléri-caux, antibourgeois, anti-impé-

rialistes, des critiques violentes del’école et du pouvoir, qui disentdes vérités. C’est un mélange ef-frayant, drôle et touchant. On nepeut pas juger une œuvre littéraireselon des critères moraux, mesemble-t-il. Et il faut se rappelerque, comme beaucoup de grandsgénies, Céline était un hommemalade, qui souffrait beaucoupphysiquement et était atteintd’une sorte de folie.

Pourquoi avez-vous choisi d’adapter ses trois derniers livres, la trilogie que composent D’un château l’autre, Nord et Rigodon ?Parce qu’il y raconte de façon ro-cambolesque son voyage de neufmois à travers l’Allemagne naziejusqu’au Danemark, où il avaitcaché son argent et dont il ne ren-trera qu’en 1951 après avoir étéamnistié. Il quitte donc Paris le17 juin 1944, par le train, avec Lu-cette, sa femme, et leur chat Bé-bert, direction Sigmaringen, où seréfugient toutes les huiles de Vi-chy qu’au demeurant il détestait,comme il détestait les Allemandset Hitler. Céline, qui se considé-rait comme un chroniqueur, pascomme un littérateur, observe unmonde qui s’écroule : c’est apo-calyptique. Son récit est halluci-né. Mais comme disait Gide, « cen’est pas la réalité que peint Céline,c’est l’hallucination que provoquecette réalité ».

Votre idée initiale était de réaliser une adaptation pour le cinéma, n’est-ce pas ?Oui, et c’est toujours mon projet. Au départ, j’ai écrit un scénario dont j’aimerais faire un film d’ani-mation, un film ludique qui tradui-rait l’aspect burlesque du récit cé-linien. J’ai ensuite écrit un livred’entretiens fictifs avec Céline,Céline. Même pas mort !, dans le-quel un personnage contemporainl’interroge sur l’affaire Kerviel,l’affaire Bettencourt, etc. ImaginerCéline exprimer ce qu’il pense dumonde actuel, un monde policé oùl’on n’ose plus rien dire, où l’onn’ose plus prononcer certains motssur les plateaux de télévision ou

même au restaurant, est salutaire.Céline n’avait pas peur de déplaire.Houellebecq a des points com-muns avec lui. Dans La Carte et leTerritoire, les Chinois sont dans la Creuse ; chez Céline, qui pensaitque la race jaune supplanterait larace blanche, ils débarquent àBrest. Céline a été prophétique. Il avait peu ou prou annoncé la « StarAcademy » par exemple. Il étaitfou mais disait des choses vraies,comme le bouffon shakespearien.

Votre BD commence par ces mots : « Tout pour la danse, rien que pour la danse. »Céline a toujours aimé la danse et les danseuses. La danse, c’est l’artde la légèreté qui lutte contre la pe-santeur des hommes alourdis par leur bêtise. C’est le domaine de la grâce. Il a écrit de nombreux argu-ments de ballets qui, à son grandregret, n’ont jamais été mis en scè-ne. Il n’est peut-être pas anodin d’ailleurs que l’un de ceux qui lui ont barré cette voie ait été juif. Il a eu aussi des ennuis dans l’exercice de son métier avec un médecin juif. Pourtant, il admirait les Juifs et leur intelligence, bien davantage que les Aryens bêtes et butés.

Vous le présentez dans cet album comme un type un peu fou mais assez brave, pris dans une tornade de figures bouffonnes qu’il observe

en retrait. N’avez-vous pas lissé le personnage ?Céline était comme ça. À côtéd’une profonde méchanceté, il yavait en lui une vraie tendresse, etmême de la douceur et de la déli-catesse. Sauf quand on l’échauf-fait ; alors il se lançait dans dessoliloques interminables. C’étaitun observateur, il préférait resterdans son coin, disparaître. Pen-dant la guerre, il n’a jamais com-mis de dénonciations personnel-les. Comme le raconte la BD, ilhabitait à Montmartre au-dessusd’un couple de résistants, RobertChampfleury et Simone Mabille,qui lui demandaient de soignerdes résistants blessés ou torturés.Ce qu’il a fait. Il savait qu’il y avaitdes réunions du CNR dans cet ap-partement. Il n’a jamais rien dit.

Avez-vous pris des libertés avec le récit de Céline ?Quelques-unes, en essayant derester fidèle à son esprit. La scènede dispute avec l’acteur collaboqui l’accompagnait, Le Vigan, a eulieu, mais les dessinateurs, les frè-res Brizzi, l’ont imaginée à leurmanière, comme une bagarre dedessin animé. L’esprit même deCéline nous a autorisés à nousamuser. D’ailleurs, sa veuve,Lucette, à laquelle j’ai montré lesplanches, m’a dit que cette BDaurait fait rire Céline. Il faut direqu’elle est très positive…

Les obscénités proférées par écrit peuvent-elles être transposées en images sans tomber dans la vulgarité ? Je pense à la scène où un vieux Prussien à quatre pattes et pantalon baissé se fait fouetter par une petite fille.Cette scène est décrite par Célinedans Nord. D’ailleurs, la famillequi est décrite dans ce passage etdont il avait donné le patronyme aporté plainte.

Pourquoi avez-vous choisi pour illustrer votre scénario des dessinateurs de dessins animés ?De même que le style de Céline es-saie de reproduire la beauté del’art chorégraphique, je voulaisdes dessinateurs qui aient le sensdu mouvement et de la féerie. Enoutre, le talent de caricaturiste desfrères Brizzi est parfaitementadapté au burlesque célinien. Leurdessin est aussi très réaliste etfourmille de détails authentiquessur les habitudes de Céline et lesévénements historiques. ■

Céline interviewé par deux journalistes dans le jardin de sa propriété de Meudon. Extrait d’une planche de la bande dessinée La Cavale du Dr Destouches. CHRISTOPHE MALAVOY, PAUL ET GAËTAN BRIZZI/FUTUROPOLIS

LA CAVALE DU DR DESTOUCHESDe Christophe Malavoy (scénario) et Paul et Gaëtan Brizzi (dessin), Futuropolis, 94 p., 17 €.

Bio EXPRESS1952Naît en Allemagne, où son père, officier, est en poste.1985Son rôle dans le film de Michel Deville, Péril en la demeure, le révèle au grand public. Il enchaîne avec La Femme de ma vie de Régis Wargnier.1990Incarne Rodolphe dans Madame Bovary de Chabrol avec Isabelle Huppert.1994Joue l’abbé dans la pièce de Montherlant La Ville dont le prince est un enfant, qu’il adaptera ensuite pour la chaîne Arte.1996Publie un roman inspiré de l’histoire de son grand-père mort en Champagne en 1915, Parmi tant d’autres (Flammarion).2008-2009Joue Romain Gary seul en scène au théâtre.2011Parution de Céline. Même pas mort ! (Balland), un livre d’entretiens imaginaires avec l’auteur de Mort à crédit.2012Participe au livre collectif consacré à Lucette Destouches, la veuve de Céline : Madame Céline. Route des Gardes.2015Publie la bande dessinée La Cavale du Dr Destouches (Futuropolis). S’est lancé dans l’écriture d’un scénario sur Voltaire.

Prix Renaudot : 18 romans dans la courseAprès l’académie Goncourt, le jury du prix Renaudot s’est réuni le 8 septembre pour établir sapremière sélection. Les délibéra-tions furent longues, très lon-gues. Ce qui a abouti à une… lon-gue sélection composée de dix-huit romans et de huit essais

(voir lefigaro.fr/livres). Georges-Olivier Châteaureynaud, secré-taire général, nous avait préve-nus : « Les premières sélections sont des “listes de courtoisie”. »On fait une petite place à des amis, on met en avant des dé-couvertes, on n’élimine pas trop.

Et on marque sa différence. Cetteliste du Renaudot se distingue de celle du Goncourt. Les Renaudot ont retoqué Christine Angot, mais ils ont distingué Grasset(trois titres contre zéro). Ils ontaimé Laurent Binet. Seuls Delphine de Vigan, Simon Liberati

et Boualem Sansal figurent dans les deux sélections. Mais avec les jurés du Renaudot, rien n’estjamais fixé. Ils pourraient tout chambouler lors de la deuxièmesélection. « On ne s’interdit rien »,dit Georges-Olivier Châteaurey-naud. MOHAMMED AÏSSAOUI

LE JURY A DÉVOILÉ SA PREMIÈRE SÉLECTION COMPOSÉE DE 18 ROMANS ET DE 8 ESSAIS. SEULS DE VIGAN, LIBERATI ET SANSAL SONT AUSSI SUR CELLE DU GONCOURT.

semaineL’HISTOIRE

de la

Pour sa première bandedessinée en tant

que scénariste,Christophe Malavoy

a choisi d’adapterles trois derniers

ouvrages de l’auteurde Voyage

au bout de la nuit :D’un château l’autre,

Nord et Rigodon.FRANÇOIS BOUCHON/

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