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Dans l’enceinte du pouvoir GUY CHEVRETTE Shirley Bishop

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    L e 29 janvier 2002, Guy Chevrette démissionnait avec fracas du gouvernement où il était ministre des Transports, ministre délé-gué aux Affaires autochtones et ministre responsable de la Faune et des Parcs. Cette fin abrupte, véritable sortie de scène, résul-

    tait de cinq jours d’intenses réflexions marquées par la suspicion, le

    manque de confiance et les remises en question que provoque la mise

    en place d’un nouveau cercle du pouvoir. Rien ne laissait présager une

    telle fin de carrière pour cet ancien instituteur de Joliette engagé dans

    l’action syndicale au nom des enseignants, puis de l’ensemble des tra-

    vailleurs du Québec. Ayant siégé pendant 25 ans à l’Assemblée natio-

    nale, véritable pilier du Parti québécois, Guy Chevrette aura servi cinq

    premiers ministres (René Lévesque, Pierre-Marc Johnson, Jacques

    Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry), qui lui auront tous

    confié des responsabilités importantes. Cet ouvrage rappelle les nom-

    breux succès, mais aussi les revers d’un homme authentique et fou-

    gueux qui a marqué la politique de son époque.

    Professionnelle du domaine des communications déte-

    nant une maîtrise en administration des affaires, Shirley

    Bishop a occupé des postes stratégiques au sein de

    diverses organisations publiques et privées. Très engagée

    au sein du Parti québécois, elle a d’abord été attachée de

    presse au cabinet de Guy Chevrette, avant d’être directrice

    de cabinet pour quelques ministres et directrice des com-

    munications au bureau de la première ministre.

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    © 2015, Les Éditions de l’Homme,division du Groupe Sogides inc., filiale de Québecor Média inc.(Montréal, Québec)

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    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Aubut, Lise

    Édith Butler : la fille de Paquetville

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    1. Butler, Edith, 1942- . 2. Chanteuses - Nouveau-Brunswick - Biographies. I. Titre. II. Titre : Fille de Paquetville.

    ML420.B87A92 2014 782.42164092 C2014-941869-8

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    Édition : François PerreaultInfographiste : Chantal LandryRévision : Ginette ChoinièreCorrection : Anne-Marie Théorêt et Sylvie Massariol

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    Dans l’enceinte du pouvoir

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  • Dans l’enceinte du pouvoir

    GUYCHEVRETTE

    Shirley Bishop

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  • À mes fils chéris, Éric et Charles, à leurs conjointes, Nathalie et Andrée,ainsi qu’à mes six petits-enfants, Marie-Jeanne, Louis-Émile,

    Nicolas, Philippe, Alexandre et Guillaume.

    À tous mes concitoyens et concitoyennes de la circonscription de Joliettequi m’ont fait confiance en m’élisant

    à six reprises à l’Assemblée nationale du Québec.

    À tous ceux et celles qui m’ont apporté leur précieuse collaborationau cours de ces 25 ans de vie politique.

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  • Chapitre 1Vendredi 25 janvier 2002, 4 h 30

    En route vers l’aéroport Jean-Lesage, je suis inquiet. Je pars en mis-sion pour une dizaine de jours afin de représenter le gouvernement du Québec au Japon, en Thaïlande et au Cambodge, à titre de ministre des Transports. Je n’ai presque pas fermé l’œil de la nuit. Un important remaniement ministériel se prépare et je suis au cœur des rumeurs les plus persistantes.

    Ma conversation d’hier soir avec le premier ministre m’a ren-versé. Bernard Landry m’a téléphoné depuis Vancouver, où se tient une conférence des premiers ministres. Lors de notre échange, il n’a fait aucune allusion aux changements qu’il compte apporter au Conseil des ministres, ni aux nouvelles responsabilités qu’il entend me confier. Il m’a souhaité un bon voyage en me disant de partir en paix, sans inquiétude. Rien de plus. Pourtant, depuis des semaines, l’éventuel remaniement fait la une des journaux et mon nom revient sans cesse.

    J’aimerais pouvoir annuler cette mission, mais il est trop tard. Plusieurs fonctionnaires et une dizaine de dirigeants d’entreprises québécoises sont déjà arrivés à Sapporo pour participer au Congrès international sur la viabilité hivernale des réseaux routiers. Il s’agit d’un événement annuel prestigieux où le Québec fait bonne figure. Ma présence est considérée comme stratégique. Nous voulons que la ville de Québec accueille le congrès en 2010. Je ne peux pas faire faux bond à la dernière minute.

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  • 10 • G u y C h e v r e t t e , d a n s l ’ e n c e i n t e d u p o u v o i r

    Au sujet du remaniement ministériel, les rumeurs ont commencé à circuler l’automne dernier et se sont accentuées depuis le début de janvier. Elles annoncent principalement des changements majeurs au sein du Conseil des ministres et un rajeunissement de l’équipe avec l’arrivée de nouveaux visages. Le gouvernement veut refaire son image avant de solliciter un troisième mandat. Ces informations proviennent essentiellement de spéculations journalistiques colli-gées auprès de sources anonymes. Il s’agit d’une pratique qui fait par-tie de la culture des courriéristes parlementaires à Québec. Malgré le manque de fiabilité de ces renseignements, la crédibilité et les motifs de ces informateurs secrets n’étant jamais révélés, la presse y attache beaucoup d’importance, dans une course effrénée à la primeur qui se répercute allégrement sur la vente des journaux. En plus d’induire le public en erreur, cet exercice se révèle d’une futilité souvent démontrée. Le taux d’erreur de ces spéculations dépasse largement cinquante pour cent1. N’empêche que les rumeurs m’agacent, même si je sais qu’elles sont fausses une fois sur deux.

    Bernard Landry est devenu premier ministre du Québec le 8 mars 2001. Au moment de son entrée en fonction, il a choisi de ne remanier que très légèrement le Conseil des ministres, malgré l’avis de plusieurs de ses conseillers qui lui recommandaient de profiter de l’occasion pour donner un nouvel essor au gouvernement. Son arri-vée s’est faite en douceur. Je conservais le poste que j’occupais depuis 1999 aux Transports et j’étais enthousiaste d’entreprendre la fin du mandat avec lui. Nous nous connaissons depuis l’adolescence. Depuis que le Parti québécois a pris le pouvoir en 1994, nous avons occupé ensemble les plus hautes fonctions de l’État. Notre relation a toujours été cordiale.

    Même si j’ai vécu plusieurs remaniements ministériels depuis les 25 dernières années et que je connais le stress qui les accompagne, je redoute celui-ci plus que les autres. La perspective d’un rajeunisse-ment de l’équipe me donne un mauvais sentiment. Plusieurs indices me font craindre le pire.

    1. Marc-François Bernier, « Remaniement ministériel. La prophétie : un art difficile et trompeur », Le Soleil, 5 février 2002.

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    Lors du traditionnel bilan de fin de session parlementaire, en décembre dernier, le premier ministre a commenté pour la première fois les bruits de remaniement qui ont circulé tout l’automne. En réponse à la question d’un journaliste, il a confirmé qu’il réfléchis-sait à l’idée de remanier le Cabinet et qu’il prendrait le temps des fêtes pour mûrir sa réflexion. Le même jour, mon collègue et ami Jacques Baril m’a appris que le premier ministre songeait à nous confier un nouveau rôle au sein de l’équipe. C’est ce que Bernard Landry lui avait confié lors d’une rencontre qu’il avait eue avec lui plus tôt dans la journée. Jacques n’a pas perdu de temps et m’a vite raconté les détails de leur échange. Le premier ministre lui avait laissé entendre qu’il réfléchissait à la possibilité de créer de nou-veaux postes de secrétaires d’État ayant comme principal mandat de motiver les troupes en région en vue de la prochaine élection. Pour constituer cette équipe, en plus de Jacques Baril, il avait évoqué les noms de Jacques Brassard, de Jean Rochon ainsi que le mien. Il n’avait pas donné plus de détails sur ses intentions.

    Au retour du congé des fêtes, les journalistes n’ont pas tardé à relancer les spéculations. L’éditorialiste du Devoir Bernard Descôteaux a lancé le bal le 5 janvier 2002. Dans son texte intitulé « Un remanie-ment s’impose », il considérait que, pour gagner la prochaine élection, Bernard Landry devait absolument recomposer son équipe ministé-rielle dès le début de l’année et expulser ceux ou celles qui n’étaient plus un actif pour son gouvernement. Il écrivait :

    La composition d’un Conseil des ministres répond à de multiples considérations, parmi lesquelles on retrouve le poids politique des individus dans le parti, leurs états de service, leur loyauté au chef, leur expérience profession-nelle. À ce moment de la vie de son gouvernement, le pre-mier ministre Landry doit mettre de côté les facteurs secondaires pour s’en tenir à l’essentiel. Il ne doit garder que les meilleurs de ses ministres. Cela suppose qu’il enverra sur les banquettes arrière de l ’Assemblée nationale les ministres, juniors comme seniors, qui ne sont plus un actif pour son gouvernement.

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  • 12 • G u y C h e v r e t t e , d a n s l ’ e n c e i n t e d u p o u v o i r

    Quelques jours plus tard, toujours dans Le Devoir, Robert Dutrisac rapportait que l’entourage de Bernard Landry envisageait de réduire le nombre de ministres pour concentrer l’action de l’État autour de cinq missions principales : l’économie et l’emploi, l’éduca-tion, la santé, les régions et les ressources naturelles. Le journaliste affirmait que deux ou trois vétérans auraient déjà accepté de tirer leur révérence au moment opportun. « Dans l’entourage du premier ministre, on compte à tout le moins sur les départs de l’Assemblée nationale de Paul Bégin, Jacques Brassard, Guy Chevrette et David Cliche », a-t-il écrit. Le lendemain, dans La Presse, Denis Lessard ren-chérissait : « des conseillers de Bernard Landry soulignent qu’un seul ministre est assuré de rester au même poste au prochain remanie-ment, Pauline Marois aux Finances ».

    Ce cirque médiatique m’a sérieusement agacé d’autant plus que j’ai reçu d’étranges signaux de la part du directeur de cabinet du pre-mier ministre. Claude H. Roy est un ami de longue date de Bernard Landry. Au mois de mars précédent, il avait quitté ses fonctions de vice-président à la Société des alcools du Québec pour venir diriger son bureau. Il avait déjà travaillé avec Bernard Landry dans les années 1980, lorsqu’il était ministre sous le gouvernement de René Lévesque. Le directeur de cabinet est la personne la plus importante auprès du premier ministre, celle sur qui repose sa confiance. C’est quelqu’un qui doit être d’une absolue loyauté et avoir un sens poli-tique très aiguisé de même que beaucoup de tact. Ça prend égale-ment le courage de dire la vérité. Cette personne ne détient pas de pouvoirs exécutifs, mais, en réalité, elle a autant d’autorité et d’in-fluence que si elle faisait partie du Conseil des ministres.

    Dans un premier temps, Claude H. a contacté mon directeur de cabinet, Pierre Châteauvert, pour lui parler de mon avenir. Il m’a ensuite rencontré pour me confier le mandat de convaincre quatre de mes collègues de devenir des « chevaliers de la souveraineté ». Il m’a longuement expliqué que la nouvelle stratégie du premier ministre consistait à créer une sorte de commando qui devait aller parler de souveraineté à travers le Québec. Je l’ai écouté, incrédule.

    J’ai tout de même convié mes confrères Jacques Brassard, Jean Rochon et Jacques Baril à un dîner. Claude H. Roy voulait aussi que

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    David Cliche fasse partie du groupe, mais j’ai préféré ne pas lui en parler. Autour d’une table, dans un restaurant de la rue Saint-Louis, à Québec, nous avons partagé le même mélange de déception et de colère. Jacques Brassard était particulièrement furieux.

    – Si le premier ministre a quelque chose à me dire, qu’il me le dise en face, a-t-il lancé, choqué.

    Tous les quatre, nous avons partagé ce cri du cœur. Nous ne com-prenions pas pourquoi Bernard Landry, avec qui nous travaillions depuis des années, était incapable de nous faire part directement de sa stratégie. Pourquoi avait-il confié la tâche à son chef de cabinet ? Nous nous sentions humiliés par cette façon de faire qui n’était pas à la hauteur d’un premier ministre. Unanimement, nous avons convenu qu’il était hors de question de jouer les Richard Cœur de Lion en croisade.

    Lorsque j’ai appelé Claude H. Roy pour lui faire part du résultat de ma démarche, je n’y suis pas allé par quatre chemins :

    – Si monsieur Landry veut nous évincer, qu’il nous le dise fran-chement. Tous les quatre, nous sommes fâchés. Il est hors de ques-tion pour nous de jouer les seconds violons, lui ai-je dit sur un ton ferme sans prolonger inutilement la conversation téléphonique.

    Mais l’affront n’est pas venu seulement de Claude H. ; la pire grossièreté m’a été faite par la vice-présidente du Parti québécois. Dans Le Devoir du 12 janvier, Marie Malavoy a déclaré au journaliste Robert Dutrisac être en faveur d’un remaniement en profondeur afin de donner une nouvelle image au gouvernement. Elle ajoutait que ce renouveau devait passer par le départ de certains ministres et l’arri-vée de nouvelles figures. Je me doutais que sa déclaration me visait directement, même si elle ne me nommait pas. C’en était trop : je n’ai pas pu me retenir de répliquer publiquement en réclamant un peu de respect et en l’accusant de faire de l’âgisme. J’étais choqué tant par les propos que par la tactique utilisée par cette femme pour qui j’avais toujours eu beaucoup de respect. J’avais fait partie de ceux qui l’avaient soutenue lorsqu’elle avait dû démissionner quelques mois après l’élection de 1994 pour avoir voté illégalement. Je ne compre-nais pas sa motivation, mais j’avais de plus en plus la conviction que certains voulaient ma tête. On m’a aussi informé que de proches

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  • 14 • G u y C h e v r e t t e , d a n s l ’ e n c e i n t e d u p o u v o i r

    conseillers du premier ministre avaient ouvertement discuté de mon départ lors d’une réception avant Noël.

    Pourtant, j’avais le sentiment d’être une valeur sûre au sein de l’équipe gouvernementale et d’avoir toujours bien rempli les man-dats qu’on m’avait confiés. Le dernier baromètre des personnalités politiques publié dans Le Devoir en décembre 2001 me classait comme l’un des ministres les plus appréciés du gouvernement, après Pauline Marois. J’étais fier du travail que j’avais accompli et je vou-lais continuer à faire partie de l’équipe, et terminer mon mandat. À 62 ans, je me sentais en pleine forme.

    À Joliette, les militants péquistes ont été heurtés autant que moi par ces façons de faire. Le président de mon comité exécutif a écrit au premier ministre pour lui faire part de son mécontentement. Dans sa lettre datée du 14 janvier, Jocelyn Jalette a écrit : « La réélection du Parti québécois sera assurée lorsque nous saurons transmettre et incarner la volonté profonde de changement que possède la popula-tion comme nous le faisions en 1976. Pour cela, il faudra savoir conjuguer le renouveau nécessaire de l’équipe à l’expérience acquise. Ce n’est certainement pas en donnant une impression d’ingratitude envers un de ses fidèles équipiers que nous y arriverons. » Cette lettre m’a profondément touché. J’avais besoin de savoir que des gens m’appréciaient toujours.

    L’échéance électorale approchait. Le Parti québécois était au pouvoir depuis novembre 1998. Nous entreprenions la quatrième année de notre mandat, alors que la popularité de notre gouverne-ment était à son plus bas. Un sondage Léger Marketing publié au début d’octobre donnait 48 % des votes aux libéraux contre 34,7 % au Parti québécois. L’Action démocratique du Québec prenait aussi de la force en obtenant l’appui de 11,3 % de l’électorat.

    Le 1er octobre, nous avions subi une cuisante défaite en perdant deux châteaux forts péquistes lors des quatre élections partielles. Dans Jonquière, le fief de Lucien Bouchard, la libérale Françoise Gauthier avait remporté la victoire. Dans Laviolette, un autre bastion péquiste où mon collègue Jean-Pierre Jolivet avait siégé pendant près de 25 ans, la libérale Julie Boulet avait été élue. Nous avions gagné par de très minces marges dans Labelle et dans Blainville. En

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    avril 2001, nous avions aussi essuyé une défaite dans la circonscrip-tion de Mercier. Le Parti québécois n’avait pas le vent dans les voiles. La situation m’inquiétait depuis plusieurs mois, car le parti était désorganisé et loin d’être prêt pour des élections générales. Après six élections et trois référendums, je savais que l’organisation poli-tique était une clé maîtresse pour la victoire.

    J’ai donc demandé un tête-à-tête à Bernard Landry pour lui en parler. Le 16 octobre 2001, en soirée, nous nous sommes rencontrés dans un restaurant de la rue D’Auteuil, à Québec. L’Élysée mandarin était reconnu comme l’un des meilleurs restaurants chinois de la capitale. L’authenticité du décor et la musique traditionnelle sichua-naise mettaient la table à un échange respectueux et franc.

    J’ai commencé par lui faire part de mon analyse de la situation politique et de notre degré de préparation en vue de la prochaine campagne électorale, avant de partager avec lui certaines de mes appréhensions. Je voulais le convaincre de donner un coup de barre avant que nous perdions trop de terrain. Pour gagner un troisième mandat, ce qui relevait déjà de l’exploit, mon expérience me disait qu’il fallait beaucoup mieux nous préparer.

    Bernard Landry avait confié la responsabilité de l’organisation politique à Gilles Baril en même temps qu’il l’avait nommé ministre d’État aux Régions et ministre de l’Industrie et du Commerce, le 8 mars 2001. C’était une tâche colossale. Je craignais que le premier ministre lui ait donné des souliers beaucoup trop grands pour lui. Les deux hommes étaient des amis de longue date et Bernard Landry lui avait toujours voué un grand respect. Leur relation ressemblait à celle d’un père et d’un fils.

    À la direction du parti, il avait nommé l’un de ses anciens conseillers, Raymond Bréard, qui avait été son directeur de cabinet au ministère des Finances. Celui-ci avait quitté son poste à l’été 1998 pour aller fonder une firme de lobbying, Oxygène 9. Il s’était associé à un autre ancien conseiller de Bernard Landry, André Desroches, qui avait été forcé de quitter le cabinet à la suite de révélations concer-nant sa culpabilité dans une affaire de mœurs.

    Bernard Landry est un homme intelligent et cultivé, et je le res-pecte, mais je sais aussi que, souvent, il ne sait pas bien s’entourer.

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    Ses liens d’amitié ont plusieurs fois primé sur sa raison et son juge-ment. Je craignais que ce ne soit le cas. La qualité de l’entourage pèse lourd dans la valeur d’un homme ou d’une femme politique.

    À ce moment-là, Gilles Baril en menait très large au sein du gou-vernement, mais il était incapable de livrer la marchandise. Comme ministre de l’Industrie et du Commerce, il était devenu la risée publique ayant été incapable de définir le mot « récession », en réponse à une question d’un journaliste. Je croyais qu’il était au bord de l’épui-sement professionnel et j’ai raconté à Bernard Landry le comporte-ment erratique qu’il avait eu lorsque j’étais récemment allé en tournée avec lui à Chibougamau. Il ne tenait pas en place. Il me posait une question, n’écoutait pas la réponse, s’adressait à quelqu’un d’autre en sautant constamment du coq à l’âne. Délicatement, j’ai osé lui suggé-rer de revoir l’ampleur de la tâche qu’il avait attribuée à Gilles Baril

    – C’est parce que tu ne l’aimes pas que tu le dénigres, m’a brus-quement répondu le premier ministre.

    Je ne cherchais pourtant pas à discréditer Gilles Baril, j’essayais plutôt de le protéger.

    J’ai immédiatement senti son comportement changer. Il est devenu tout d’un coup moins réceptif à mes propos. Malgré son atti-tude désapprobatrice, j’ai quand même voulu lui faire part d’une information importante que je détenais. Quelqu’un m’avait averti que Raymond Bréard et André Desroches avaient touché d’impor-tantes sommes d’argent sur des subventions gouvernementales ver-sées à des organismes culturels pour lesquels ils étaient lobbyistes. Si elle était exacte et si elle venait aux oreilles de jour nalistes, cette information pouvait être explosive. L’apparence de conflit d’intérêts éclabousserait non seulement le premier ministre, mais le gouverne-ment entier. À quelques mois d’une échéance électorale, ce n’était pas le scénario rêvé.

    – Mais qu’est-ce que tu dis ? Vraiment, tu n’aimes pas mon entou-rage, m’a alors lancé le premier ministre sur un ton exaspéré.

    Il ne semblait pas du tout me croire. J’avais plutôt l’impression qu’il pensait que je voulais nuire à ses amis et à son entourage. J’au-rais probablement dû me taire, mais j’estimais qu’il était de mon devoir de l’informer. Je croyais que notre lien de confiance était assez

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    fort pour que je lui fasse une telle confidence, avant tout dans le but de gagner les prochaines élections. Je n’ai malheureusement senti aucune considération pour mes propos. Cette rencontre n’a pas été ma meilleure avec Bernard Landry.

    Au cours de la semaine qui vient de s’écouler, la situation est devenue encore plus consternante. En plus des rumeurs qui conti-nuent à circuler au sujet du remaniement, Gilles Baril a fait la man-chette de l’actualité politique. À la une de La Presse du 17 janvier, on pouvait lire le titre fracassant : « Un lobbyiste monnaie grassement ses accès auprès du ministre Baril ». Le journaliste révélait les liens d’amitié que le ministre entretenait avec André Desroches, de la firme Oxygène 9. Selon les sources du journaliste, les deux hommes avaient passé le temps des fêtes ensemble au Mexique. Le lobbyiste aurait grandement profité de ses entrées au gouvernement pour mousser ses affaires. Cette nouvelle venait ajouter à l’impression d’improvisation que dégageait le gouvernement.

    Hier, Bernard Landry a senti le besoin de lancer un appel au calme lors d’une conférence de presse à Vancouver en marge de la rencontre des premiers ministres. Tout en essayant de se faire rassu-rant, en ne promettant pas de changements majeurs, il a parlé de la tension créatrice qui solidifiait les bonnes équipes en faisant réfé-rence au remaniement. Une déclaration aussi peu claire n’avait rien pour me réconforter. Pourtant, lorsqu’il m’a appelé quelques heures plus tard, il n’a fait allusion à rien du tout.

    Je ne comprends pas non plus pourquoi il ne m’a pas parlé de son malaise concernant l’entrevue que j’ai accordée à TVA mercredi der-nier et au cours de laquelle j’ai affirmé avoir déjà été victime d’une tentative de corruption en 1989. Dans tous les journaux ce matin, il est question de la Sûreté du Québec qui enquêtera sur cet événement. Le Soleil en fait même sa première page. Un journaliste de La Presse canadienne affirme que, selon certaines sources, c’est le premier ministre qui a demandé au ministre de la Sécurité publique, Serge Ménard, d’inciter la Sûreté du Québec à m’interroger. Pourquoi ne m’en a-t-il pas glissé un mot hier au téléphone ?

    Ce matin, bien des questions restent donc sans réponse : quelle sera la suite des choses ? Bernard Landry procédera-t-il à un

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  • remaniement ? Quand le fera-t-il ? Quelle ampleur aura-t-il ? Quelle fonction vais-je occuper, si j’en occupe une ? Même si j’ai parlé au premier ministre il y a quelques heures, je n’en sais pas plus. Je pars sans me douter de l’intensité de la fin de semaine qui m’attend.

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  • Chapitre 2Samedi 26 janvier 2002, 17 h

    Le trajet jusqu’à Tokyo est interminable. Départ de Québec, escale à Ottawa et à Vancouver, puis 12 autres heures de vol pour atteindre la capitale japonaise. Il est 17 h, heure locale, lorsque l’avion se pose enfin à l’aéroport Narita. Le délégué général du Québec au Japon, Robert Keating, nous accueille. Je suis accompagné de mon conseil-ler politique, Mario Saint-Laurent, et de ma conjointe, Shirley Bishop. Une voiture avec chauffeur nous conduit à notre hôtel.

    Le premier contact avec Tokyo surprend. Sur l’autoroute à partir de l’aéroport, la conduite à gauche et la densité de la circulation m’étonnent. Tokyo est l’une des plus grosses villes du monde avec une population qui dépasse les 30 millions d’habitants. C’est aussi l’une des plus modernes. En raison de la congestion, le trajet qui aurait dû prendre une demi-heure en prend trois fois plus. Au cours de ma carrière, j’ai eu la chance de faire des missions dans plus d’une soixantaine de pays, mais je n’ai jamais eu l’occasion de visiter le Japon.

    Je connais peu Robert Keating, mais je le respecte. C’est un haut fonctionnaire de carrière, un mandarin, comme on les appelle, qui a choisi de servir l’État avant la politique. Chemin faisant, il en profite pour réviser le programme de notre séjour en Asie. Nous passerons deux nuits à Tokyo avant de partir lundi pour Sapporo, où s’ouvre le Congrès international sur la viabilité hivernale des réseaux routiers. Nous partirons ensuite en direction de la Thaïlande et du Cambodge

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    pour y accompagner des entrepreneurs québécois du secteur des transports. Notre retour au Québec est prévu pour le 6 février.

    Je saisis l’occasion pour informer le délégué des rumeurs de remaniement qui ont cours au Québec. Je lui raconte que les ana-lystes politiques prédisent que le premier ministre apportera des changements majeurs à son équipe, et que je risque d’être déplacé de ministère ou même écarté. Je sens le besoin de l’informer de l’état d’esprit dans lequel j’arrive à Tokyo. Le contexte me rend plus ner-veux qu’à l’habitude. De savoir que les prochaines heures seront angoissantes pour moi lui permettra de faire preuve de plus de compréhension.

    Le délégué nous dépose à l’hôtel New Otani, dans le quartier Chiyoda, au centre de Tokyo. Il nous laisse seuls en nous promettant de nous faire acheminer une revue de presse des journaux du Québec plus tard dans la soirée. Malgré notre fatigue, nous allons prendre une bouchée au restaurant de l’hôtel. Je n’ai pas vraiment faim. Je sens plutôt le besoin de décompresser et de jaser avec Mario et Shirley.

    Je souhaite sincèrement que le premier ministre ne profitera pas du temps où je serai en Asie pour faire son remaniement. Si ses plans ne changent pas, il doit s’envoler aujourd’hui pour l’Allemagne afin d’y diriger une mission économique, ce qui devrait laisser au moins une semaine avant que des changements ne soient apportés. Un remaniement, ça ne se décide pas à la dernière minute, à moins d’improviser. J’espère surtout que le mauvais pressentiment qui m’habite n’est qu’une fabulation de mon esprit. Depuis 1976, j’ai consacré toute ma vie à la politique et au Parti québécois, et je pense pouvoir être fier du chemin parcouru. Je ne peux pas croire que tous les ragots que j’ai entendus sont vrais.

    C’est René Lévesque qui m’a convaincu de me présenter. Une fois élu, j’ai gravi les échelons un à un, d’abord comme adjoint parlementaire, puis comme whip en chef du gouvernement et président du caucus. Au cours de mon deuxième mandat, j’ai été nommé ministre du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, puis ministre de la Santé. J’ai participé au référendum de 1980 et j’ai été témoin du rapatriement unilatéral de la Constitution. J’étais pré-sent lors du beau risque, de la démission de monsieur Lévesque et de la

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    course au leadership de 1985. J’ai tenu le parti à bout de bras en 1987, après le décès de René Lévesque et la démission de Pierre-Marc Johnson, puis j’ai été nommé chef parlementaire pendant deux ans. J’ai vécu l’arrivée de Jacques Parizeau, la défaite électorale de 1989, la victoire de 1994 et le référendum de 1995. J’ai été l’un des ministres ayant le plus de responsa-bilités : leader du gouvernement, ministre des Affaires municipales, des Régions, des Ressources naturelles, des Transports, des Affaires autochtones, de la Réforme électorale. Jacques Parizeau et Lucien Bouchard m’ont fait grandement confiance. J’ai toujours travaillé sans calculer mon temps.

    Si je me suis autant investi, c’est parce que je croyais que le Québec pouvait devenir un pays et qu’il fallait travailler fort pour réaliser ses rêves.

    Mes parents m’ont transmis les valeurs de l’effort et de la persévérance. Mon père, Adélard, bûchait pour nourrir ses cinq enfants. Tous les mois d’août, il partait dans le bois dans le nord de la région de Lanaudière. Il revenait à Noël, puis repartait jusqu’en avril. Il faisait de la drave jusqu’en juin et travaillait à la scierie pendant l’été avant de retourner dans le bois, à la fin de l’été, pratiquer son métier de bûcheron. Pendant son absence, ma mère, Annette, s’occupait seule des enfants. Lise est ma sœur aînée. Je suis le deuxième de la famille. Mon frère, Raynald, et mes sœurs, Agathe et Ginette, sont les plus jeunes.

    À Saint-Côme, dans les années 1940 et 1950, personne n’était riche. Notre petite maison de la rue Principale était modeste. Si la station de ski Val-Saint-Côme a donné à la municipalité une certaine notoriété, à l’époque le village ne vivait que de la forêt. Nous n’avions ni électricité, ni téléphone, ni téléviseur. Si nous pouvions écouter le hockey le samedi soir, c’était grâce à une radio à piles. L’hiver, Lise et moi étions responsables de rentrer les quartiers de bois pour chauffer la maison. Comme mon père, les hommes de Saint-Côme allaient bûcher pendant la saison hivernale et travaillaient dans l’une des trois scieries du village l’été. Les salaires étaient peu élevés. Ma mère faisait de la couture pour habiller ses enfants et elle cousait aussi pour les voisins. Elle m’envoyait souvent à la pêche chercher le repas du soir. Nous n’étions pas riches, mais nous étions heureux.

    L’été, quand mon père était à la maison, la vie était différente. Sa pré-sence était réconfortante. C’était un homme bien bâti et d’une énergie iné-puisable. Il n’hésitait pas à manifester son amour pour ma mère ; c’était beau de les voir. Lorsqu’il avait du temps libre, il travaillait à améliorer la

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  • 22 • G u y C h e v r e t t e , d a n s l ’ e n c e i n t e d u p o u v o i r

    résidence familiale et j’aimais l’aider. Il avait construit un poulailler derrière la maison ; les poules que nous élevions permettaient de nourrir la famille et d’arrondir les fins de mois.

    Dans le haut du village, la cour de la scierie constituait le terrain de jeu des enfants. On y jouait à la balle molle et au soccer. Avec les Lepage, les Morin, les Pagette, les Gagné et les Lefebvre, on s’amusait pieds nus dans le bran de scie. Adolescent, je jouais pour le grand club de balle molle. Nous avons remporté plusieurs championnats, notre équipe étant redoutable avec Denis Gaudet et François Lajeunesse comme lanceurs, Raynald Thériault, Denis Lamarre, Gilles Lepage Sr. et mon frère, au champ extérieur, ainsi que Marcel Thériault, Gilles Legape Jr., Denis Baillargeon, Guy McCabe, André Riopel et moi, au champ intérieur. Nous formions une équipe tissée serrée au sein de laquelle une belle amitié a grandi. L’hiver, on jouait au hockey à la patinoire près de l’église. Je n’étais ni gros ni grand, mais j’étais rapide.

    À quelques reprises, j’ai accompagné mon père dans le bois. La première fois, j’avais 10 ans. C’était dans le temps des fêtes. J’avais vite réalisé à quel point la vie était difficile pour ces hommes. Jour après jour, ils partaient à 6 h le matin avec un sandwich et des sachets de thé, et revenaient à la noir-ceur. L’année suivante, lorsqu’un feu de forêt a ravagé le secteur où bûchait mon père, je suis allé donner un coup de main à la cuisine. Il voulait que je devienne bûcheron comme lui. Il m’a appris à connaître les essences de bois.

    Ma mère tenait à tout prix à ce que je poursuive mes études. Elle a passé des soirées à faire de la couture pour que je puisse étudier. Contraire-ment à mon père, elle savait que le métier de bûcheron n’était pas pour moi. À Saint-Côme, l’enseignement se terminait en 9e année. Le cours classique était offert à Joliette, à une cinquantaine de kilomètres.

    À 13 ans, je suis donc parti pour le Séminaire de Joliette. Quitter la maison aussi jeune pour aller étudier dans un pensionnat a été toute une épreuve. C’était la première fois que je partais aussi loin, aussi longtemps. J’avais le droit de retourner chez moi seulement à Noël et pendant l’été. Je m’ennuyais de ma famille et me cachais dans les toilettes pour pleurer. Il m’a fallu plusieurs semaines pour m’adapter.

    Ti-Guy, mon surnom d’enfance, est rapidement devenu Ti-cul ou Tites-fesses quand je suis arrivé à Joliette. Même si je n’étais pas très grand, ça me choquait. Les adolescents peuvent parfois être très irrespectueux les

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    uns envers les autres. Quand ils voulaient me faire fâcher davantage, les autres élèves m’appelaient l’habitant de Saint-Côme. Autant ça me rendait furieux, autant ça me motivait à me dépasser pour gagner. J’ai mis beau-coup d’énergie dans le sport. J’étais très compétitif et parfois agressif. Je vou-lais prouver à mes camarades de classe que la taille de la personne ne se mesurait pas en pouces.

    L’été, quand je revenais à Saint-Côme, je travaillais à la scierie de l’oncle Jean-Paul, avec mon père et mon frère. Mon travail consistait surtout à pla-cer les deux-par-quatre en piles. C’était difficile, car je n’avais ni la taille ni la force physique pour faire ce travail. Une semaine de 55 heures me permet-tait de gagner une quarantaine de dollars. Ça aidait à payer mes études.

    En septembre 1955, je suis allé poursuivre mes études avec les Pères montfortains au Séminaire de Papineauville, en Outaouais. Un ami de Saint-Côme, Raymond Lajeunesse, m’avait convaincu de changer d’école. Je me suis bien adapté à ce nouvel établissement. C’était un endroit convi-vial et on y pratiquait plusieurs sports. Pendant quelque temps, j’ai pensé m’orienter vers la théologie. En effet, jeune, j’étais très pieux. Ma mère priait secrètement pour que je devienne prêtre, car, à l’époque, c’était une fierté d’avoir un fils dans les ordres religieux. J’ai cependant changé d’idée après ma versification et choisi de devenir enseignant. Je suis allé étudier à Sherbrooke avec mes deux meilleurs amis, Denis Gaudet et Denis Baillargeon. Je savais mon père déçu de ne pas me voir suivre ses traces.

    Au début de mai 1960, un mois avant d’obtenir mon brevet B, j’ai reçu une lettre de ma mère. Elle m’écrivait qu’elle n’était plus capable d’endurer ses terribles maux de tête. Elle me disait qu’elle m’aimait et qu’elle était fière de moi. Elle tenait à ce que je termine mes études et comptait sur moi pour aider mes deux plus jeunes sœurs. C’était la première fois qu’elle m’écrivait des mots aussi touchants. J’ai compris qu’elle n’en avait plus pour longtemps. Quelques jours plus tard, l’abbé Beauregard est venu frapper à ma porte à 5 h du matin pour m’annoncer son décès :

    – Je vais dire une messe pour ta mère et tu pourras en être le servant. J’irai ensuite te reconduire au terminus d’autobus pour que tu puisses rentrer chez toi, m’avait-il dit avec empathie.

    J’ai eu tellement de peine… Non seulement je perdais ma mère, mais je perdais aussi la personne que j’aimais le plus au monde, celle qui avait toujours cru en moi, celle qui était ma plus grande confidente. Dans

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  • 24 • G u y C h e v r e t t e , d a n s l ’ e n c e i n t e d u p o u v o i r

    l’autobus, j‘ai pleuré en repensant aux bons moments passés avec elle. Tout jeune, elle m’amenait pêcher la truite sur le bord du lac des Baies. Nous allions cueillir des fraises, des framboises et des bleuets qu’elle apprêtait en dessert. Souvent, le dimanche, elle jouait du violon et nous chantions. J’étais tellement reconnaissant pour tout ce qu’elle avait fait pour moi. Je n’arrivais pas à croire que je ne la reverrais plus, elle qui n’avait que 42 ans.

    Perdre ma mère a été une épreuve douloureuse. Agenouillé devant son cercueil dans la maison familiale, l’intensité de ma douleur a été insuppor-table. Mon père, mon frère, mes sœurs et moi avons pleuré toutes les larmes de notre corps. Le jour des funérailles, l’église était pleine à craquer. Parents et amis étaient venus par dizaines rendre un dernier hommage à cette femme de cœur et de tête morte beaucoup trop jeune.

    L’automne suivant, j’ai décroché mon premier emploi comme professeur. J’enseignais aux élèves de la 7e année de l’école Baby, à Joliette. Je poursui-vais en même temps mes études à Montréal pour obtenir mon baccalauréat en pédagogie. J’ai ensuite enseigné le français dans deux écoles secondaires de Joliette, les écoles Lajoie et Saint-Viateur. J’adorais mon métier et je consacrais beaucoup de temps aux élèves en difficulté. Je rencontrais les parents et j’essayais de les aider.

    À mesure que je prenais de l’expérience, je me suis impliqué dans le syn-dicat. En 1964, j’ai été élu secrétaire du Syndicat des enseignants de Joliette. Le président était Marcel Masse, celui qui deviendra ministre de l’Éducation en 1966, sous Daniel Johnson (père), puis ministre conservateur sous Brian Mulroney de 1984 à 1993. Mon premier mandat a été de négocier des conventions collectives dans les paroisses autour de Joliette. J’enseignais le jour et je négociais le soir. À l’époque, chaque municipalité avait sa commis-sion scolaire. Les institutrices gagnaient en moyenne de 500 à 600 dollars par année et les religieuses, de 100 à 150 dollars.

    Quelques années plus tard, j’ai été libéré à mi-temps de l’enseignement pour me consacrer aux activités syndicales. Avec l’aumônier du syndicat, l’abbé Évariste Leblanc, je faisais la tournée des communautés religieuses de la région pour les convaincre d’adhérer à notre syndicat. L’abbé me présen-tait et j’expliquais la loi et les avantages de la syndicalisation. Je laissais des cartes dans les couvents et on me les retournait signées avec les deux dollars exigés. J’ai signé une quarantaine de conventions collectives en plus de gérer les griefs des membres.

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    L e 29 janvier 2002, Guy Chevrette démissionnait avec fracas du gouvernement où il était ministre des Transports, ministre délé-gué aux Affaires autochtones et ministre responsable de la Faune et des Parcs. Cette fin abrupte, véritable sortie de scène, résul-

    tait de cinq jours d’intenses réflexions marquées par la suspicion, le

    manque de confiance et les remises en question que provoque la mise

    en place d’un nouveau cercle du pouvoir. Rien ne laissait présager une

    telle fin de carrière pour cet ancien instituteur de Joliette engagé dans

    l’action syndicale au nom des enseignants, puis de l’ensemble des tra-

    vailleurs du Québec. Ayant siégé pendant 25 ans à l’Assemblée natio-

    nale, véritable pilier du Parti québécois, Guy Chevrette aura servi cinq

    premiers ministres (René Lévesque, Pierre-Marc Johnson, Jacques

    Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry), qui lui auront tous

    confié des responsabilités importantes. Cet ouvrage rappelle les nom-

    breux succès, mais aussi les revers d’un homme authentique et fou-

    gueux qui a marqué la politique de son époque.

    Professionnelle du domaine des communications déte-

    nant une maîtrise en administration des affaires, Shirley

    Bishop a occupé des postes stratégiques au sein de

    diverses organisations publiques et privées. Très engagée

    au sein du Parti québécois, elle a d’abord été attachée de

    presse au cabinet de Guy Chevrette, avant d’être directrice

    de cabinet pour quelques ministres et directrice des com-

    munications au bureau de la première ministre.

    ISBN 978-2-7619-3221-9

    Dans l’enceinte du pouvoir

    GUYCHEVRETTE

    Épine : 0,6491 po

    Shirley Bishop

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