Irrégulier n° 20

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aege Le Journal des Étudiants en G éosciences et Env i ronnement Entretien avec Stuart Lane Explique ta thèse à ta mamie! Un Géo’s en balade! Champs libres 20

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Voici le 20ème numéro du Journal des étudiants en Géosciences et Environnement de l'Université de Lausanne

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Entretien avec Stuart Lane

Explique ta thèse à ta mamie!

Un Géo’s en balade!

Champs libres

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IMPRESSUM : paru le 14 mai 2012 – éditeur: FGSE – comité de rédaction: Mickael Pointet (co-réd chef), Lucien Grangier (co-réd chef), Laure Bor-geaud, Jean-Baptiste Bosson, Diane Golay, Karel Nicolas, Corentin Neuffer, Manon Stalder, Aurélie Stamm, Stephan Utz – photo de couverture : Eric Mey – ont collaboré à ce numéro: Laure Borgeaud, Leila Chakroun, Joseph Gaudard, Juliette Lerche, Simon Martin, Mickaël Pointet, Ludovic Räss, Benjamin Rudaz, Manon Stalder – mise en page et graphisme: Jean-Baptiste Bosson, Stephan Utz, Lucien Grangier – illustrations: Karel Nicolas – contact et publicité: L’Irrégulier, Faculté des Géosciences et de l’Environnement, Amphipôle, Université de Lausanne, 1015 Lausanne. [email protected] et www.unil.ch/irregulier

SommaireEdito p.3

L’Aege te parle! p.4

Un Géo’s en balade! p.6 Explique ta thèse à ta mamie!

- Eric Mey p.8- Simon Martin p.10- Benjamin Rudaz p.11

Entretien avec Stuart Lane p.12

Récits d’ailleurs- Juliette à Berlin p.18- Leila à Tokyo p.20

L’Ubac à sable! p.17

Champs libres- Rio + 20, un petit pas de plus p.22- Incarner l’utopie p.24- Une étudiante à la vie trépidante p.26 - La Sagres se fait refouler p.28

L’Ubac à sable p.21

Les 8 bonnes mauvaises raisons d’aimer ou pas Géopolis p.29

Le portfolio de Diane p.30

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Cette 20e édition de l’Irrégulier, numéro anni-versaire du journal, ne vous laissera sans doute pas impassible. Alors que notre jeune faculté vit une période charnière puisque sa structure même va être amenée à changer et que son biotope se verra augmenté d’un nouveau bâti-ment des plus modernes, votre journal, quant à lui, se parfait d’édition en édition.

Fort d’une équipe très investie alliant rédac-teurs, photographes, reporters et graphistes en herbe, l’Irrégulier vous propose un menu aussi diversifié qu’intrigant. À commencer par son infiltration dans le Geopolis, un building qui réu-nira la faculté dès la rentrée 2012. Ce géant aux lignes épurées permettra notamment aux plus créatifs de cultiver leur potager sur un toit végé-talisé ou de se détendre dans l’un des quelques centaines de saunas à disposition, grâce à des réglages qui s’augurent aussi périlleux qu’incer-tains. Tout porte à croire que le choix de l’amé-nagement s’est fait en connaissance des géo’s aspirations, aux vues des nombreux espaces dédiés aux cafétérias, aux repoditoires, au car-notzet, aux réfectoires de jeux, etc. Ne vous emballez tout de même pas, tout bon média que nous sommes, notre inclination à reporter, colporter, affoler, extrapoler, calomnier, parodier, etc., ne se désolidarise pas des autres journaux qui doivent avant tout stimuler le lecteur.

Quant à la restructuration facultaire qui en aura fait transpirer plus d’un, Stuart Lane, professeur émérite de l’actuel institut de géographie, vous livrera ses impressions cabalistiques en p.10, bravant les tensions manifestes. Vous appren-drez aussi, dans cet entretien inédit, que la vie de ce gentleman anglais n’est « peut-être qu’une grande erreur » alors qu’il ne cache pas sa tendance à « faire l’inverse de ce qu’on lui demande ».

Expliquer sa thèse à sa mamie est un challenge qu’ont relevé avec brio trois doctorants sous des formes différentes que je vous laisserais découvrir en p.8.

Quant à notre fidèle aventurier, il vous emmène-ra cette fois dans le Jura (p.6), contrée sauvage et retirée de Suisse, sur les traces d’un refuge un peu fou mis en place par des jeunes qui ne le sont plus depuis bien longtemps.

Deux étudiantes en échange, l’une à Berlin, l’autre au Japon, nous parlent d’une vie « hors du commun » en p.18 et 20, et pas uniquement en raison de leur apostasie de la confrérie du fromage AOC. Et comme un érassmussien averti en vaut trois, vous apprendrez à éviter toutes atteintes aux bonnes mœurs outre hel-vétiques !

La rubrique fallacieusement libre vous rensei-gnera sur les tenants et les aboutissants du pro-chain Sommet de la Terre qui se tiendra à Rio (p.22), ainsi que sur « l’apparition sournoise » du Dr Gab’s© lors de la séance d’hydratation heb-domadaire des membres de la faculté. À croire que la présence d’un médecin s’avérait néces-saire ! Un membre estudiantin très engagé vous sera ensuite présenté en p.26 , de quoi remettre en question notre emploi du temps astreignant relativement aux parties de ping-pong, aux grillades au bord du lac et j’en passe. Enfin, je vous invite personnellement en p.24 à « Incarner l’utopie », un sujet qui me tient particulièrement à cœur et qui, je l’espère, vous fera réagir d’une manière ou d’une autre.

J’oubliais… un rapport noté puis publié portant sur le camp des GSE aux Crozets (p…) vous éclairera quant au mystère de la recrudescence printanière du nombre de séjours enregistrés à la résidence de la « Villa Flora ».

Bref, pour cette dernière édition sous notre égide à Lucien et à moi-même, nous vous sou-haitons simplement « bonne lecture »…

Mickaël Pointet

[photos: Lucien Grangier]

Edito

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Tout au long de l’année, de petites mains œuvrent pour le bon fonctionnement de la faculté. Différents événements trouvent naissance dans un petit local de l’Amphipôle sans vue sur l’extérieur… Effectivement le comité de l’AEGE s’y réunit au moins une fois par semaine afin de satisfaire les étudiants de la FGSE. Le rapport des activités présenté à l’AG de jeudi 10 mai est bien fourni mais la liste des projets à venir est encore plus impressionnante ! Que ce soit pour des fêtes ou des événements plus académiques, l’AEGE se démène pour donner à chacune et chacun une raison de se sentir encore mieux dans notre petite faculté.

L’AEGE ce n’est pas seulement des mails insistants et des restrictions aux workchopes, l’AEGE c’est surtout une ambiance, des projets, un soutien, et ce dans le plaisir de donner de son temps et de son énergie pour un passage universitaire inoubliable. Nous remercions le comité 2011-2012 pour son enthousiasme ainsi que son engagement et encourageons le comité 2012-2013 à faire encore mieux. Bienvenue au nouveaux membres, bureau et représentants des commissions et délégués à la FAE : place aux jeunes !

Pour en savoir plus sur nos activités, rencontres, postes, etc. rendez-vous sur le site www.unil.ch/aege, qui parallèlement à la FGSE, sera prochainement reconstruit.

Laure Borgeaudwww.unil.ch/aege

En avant-première, une pho-to des joutes sportives GSE du dimanche 13 mai.

[photo: L. Borgeaud]

L’Aege te parle!

L’Aege te parle!

Courrier des lecteurs – Ton avis nous intéresse!

Tu as aimé ou detesté un article? Tu veux simplement donner ton avis ou nous faire partager les aventures de ton dernier camp de terrain?

Ecris à [email protected] !

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En effet, ils y étaient, les GSE ! Après des va-cances ô combien laborieuses, l’entrainement hivernal intensif devait reprendre de plus belle ! Rien de mieux que de se retrouver en mon-tagne, à la neige et quasiment sur les pistes afin de passer sérieusement à l’action. La suite ne sera bientôt plus un mystère. Petit apéro (I), par-cage de voitures où seule la bande-son de Te-tris manquait, petit apéro (II), mise en place du chalet, déchargement des courses du 3-roues italien (Ape), petit apéro (III), allumage des four-neaux et remplissage des garde-manger, petit apéro (IV), mise en place de la raclette, mise en place des racleurs, apé… non, café, pouce café, disco, boule disco et dodo.

Le lendemain, les activités sportives à propre-ment parler débutèrent. Entrainement « sla-lom » pour certains, patrouille des glaçons pour d’autres, mais avec une certitude : toutes les pistes ainsi que tous leurs lieux culturels furent testés. En résumé, ski – bar – ski – bar… Pour certains, même au sein de l’équipe d’élit(r)e, l’opération ne fut pas gagnée d’avance.

La suite du programme, classique, mais tou-jours très appréciée, se résume en un retour au chalet, ainsi qu’une reprise des activités socio-culturelles débutées la veille, soit apéro (V), cuisine, apéro (VI), débat, verre de l’amitchié ! S’ensuivit une soirée incroyable au seul et unique bar du village qui réalisa son chiffre d’af-faires annuel.

En prime, après un beau, mais chaud dimanche de ski avec comme rétrospective du weekend : ambiance top, neige top, pistes top, avalanche incroyable, morts : 0, we réussi !

Le (vieux) staff

[photo: Ludovic Räss]

L’Aege te parle!

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Aurais-je craqué ? Aurais-je décidé que, après-tout, la bagnole c’est cool et que marcher est trop fatiguant ? Que nenni ! Je suis bien monté dans un bus pour cette ballade, mais celui-là est sur les plots depuis 1929. Il servira à prendre une pause et peut-être à dormir, mais il faudra quand-même mettre un pied devant l’autre pendant quelques heures avant de le trouver. Alors sortez de votre bibliothèque et montez à bord, on va voir les Alpes, le Léman, des lapiés, des dolines et quelques animaux si vous faites pas trop de bruit !

De la gare de Montricher, il y a un petit bout à faire le long de la route cantonale pour arri-ver jusqu’au village. Ce n’est certes pas très amusant, mais la montée pour le Mont-Tendre vous remettra les idées en place. Cette mon-tée, c’est 1000 mètres de dénivelé à travers la forêt, d’abord de feuillus puis de conifères. Par moment le chemin suit une sorte d’ancien che-min muletier, par moment il croise des pistes de bûcherons (que le marcheur évitera de prendre, car elles ne mènent nul part), et parfois il faut marcher dans des clairières, sans chemin. Mais la forêt est pleine de vie. Il suffira au randon-neur de tendre l’oreille pour entendre tout ce monde couiner, chanter, gratter, et finalement fuir à l’arrivée de ce bipède au lourd sac à dos. Transpirant, dégoulinant, pour le moins pas très frais, l’aventurier d’un jour arrivera au Chalet du Mont-Tendre. Il peut alors se retourner et s’émerveiller : les Alpes sont là, alignées, plus ou moins blanches suivant la saison. Mais vite, allons voir ça depuis le sommet. Il ne reste qu’un petit kilomètre jusqu’au plus haut som-met du Jura suisse. Et, chose rare, ni Skyguide ni l’armée n’ont réussi à y poser une antenne !

Là-haut, si le vent ne fait pas trop rage, il faut faire une pause. Le paysage y est grandiose : on y voit le Léman, les Alpes mais aussi le lac de Neuchâtel, la vallée de Joux, le Jura français et les autres sommets du Jura suisse.

De là, l’aventure, la vrai, commence : il n’y a pas de chemin. Il y a trois possibilités : faire une

visée (343° ou 6098°/00 sur 1 km), revenir en arrière et trouver un mur de pierre sèche qui descend en direction de la vallée de Joux, ou bien naviguer à vue (ce que je ne recommande pas). Les trois solutions devraient mener plus ou moins au même endroit : une clairière avec 3 puits. Un peu dans les arbres, au nord des puits, devrait se trouver une cabane en tôle. C’est le fameux refuge Bon-Accueil. En 1929, une bande de jeunes de la Vallée achète un bout de bus des transports publics et décide d’aller l’installer là-haut. La banquette et le filet à bagages sont encore là, tandis que le siège du chauffeur et le volant ont été remplacé par un bûcher et un poêle. Se prenant pour Alexan-der Supertramp1, le randonneur peut y passer la nuit ou bien y faire juste une pause.

De là il reste une petite montée pour revenir sur la crête de Mont-Tendre à hauteur de la Pivette, puis il ne restera que de la descente. L’étudiant qui a suivi attentivement les cours de géomor-phologie ne manquera pas de remarquer les lapiés que l’on peut voir dans la descente. Puis le chemin s’enfonce dans la forêt et c’est la descente finale sur Montricher.

On ne peut le nier, cet itinéraire est long. C’est pour cette raison que je propose de dormir à Bon-Accueil. Mais, en été, quand les jours sont longs, une personne bien entraînée peut sans problème tout faire d’un coup. Pour le rendre plus facile, il faudrait soit éviter le Mont-Tendre, soit Bon-Accueil. Je trouvais cela dommage, car ces deux endroits sont magiques, l’un pour la vue, l’autre pour l’âme qu’il dégage.

Matériel

Le plus gros problème vient de l’eau. Je ne peux pas garantir que vous trouverez des ravitaille-ments en eau le long du parcours. Il faut donc prévoir 2 litres par personne si vous partez à la journée, et 5 à 6 litres si vous penser dormir au milieu. Il y a bien de l’eau dans les puits, mais elle a la belle couleur de l’eau clairement pas

1 Héros du film Into the Wild

Un Géo’s en balade

Le Jura en Bus

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potable (avec les morceaux de vase en prime).Des bonnes chaussures de montagne sont in-dispensables, surtout pour la partie hors-sen-tier. Les cartes au 1:50’000 n°251 et n°250 sont tout à fait adaptées. Il existe un assemblage, la n°251 T, qui couvre tout l’itinéraire. Pour la visée, je vous recommande les boussoles mili-taires avec le miroir qui sort par dessous.

Si vous prévoyez de dormir à Bon-Accueil, un bon sac de couchage et une mousse sont né-cessaires. Par contre, le poêle fonctionne bien et il est inutile de porter un réchaud. Il y a aussi des casseroles et du matériel de cuisine sur place, donc si vous voulez vraiment vous allé-ger, ne prenez rien. A plus que deux personnes, je recommande de prendre une tente, car le refuge n’est pas bien grand.

Joseph Gaudard

Le conseil du Bouquetin

Le refuge Bon-Accueil est entretenu par une fondation privée qui le met gratuitement à disposition des randonneurs. J’aimerai vous faire part de quelques règles élémentaires dans ce genre d’endroit :

• Le bois consommé est remplacé par du bois de ramasse, rentré afin d’être sec pour les suivants.

• On fait sa vaisselle.

• Si il y a d’autre gens, on partage la place.

• On passe le balais avant de partir et on emporte ses déchets.

• On laisse un petit coucou dans le livre d’or et on ferme bien la porte en partant.

Il existe, dans le coin, d’autres endroits où dormir : la cabane du CAS du Cunay et celle du ski-club du Brassus. Ces endroits sont plus grands, plus confortables, mais payants.

[photos: Joseph Gaudard]Durée : 8h30 (sur deux jours si vous le souhaitez)

Km-efforts (équivalent km à plat): 33km

Difficulté technique : 3/6 Difficulté physique : 5/6

Retrouvez Joseph Gaudard sur www.trekhorizon.ch

Un Géo’s en balade

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Lorsque l’on m’a proposé de rédiger cet article, j’ai d’abord souri en repensant au jour où j’ai dû réellement tenter l’explication de ma thèse à ma grand-mère de 80 ans. Je vous laisse imaginer sa réaction lorsque je lui dis :

« Après avoir caractérisé à l’aide des tech-niques de cathodoluminescence les éven-tuelles zonations de croissance dans deux cristaux co-génétiques, je pourrai procéder à des analyses des rapports isotopiques de l’oxygène avec la nouvelle sonde ionique, qui permet des mesures in-situ de très haute résolution, pour suivre l’évolution des conditions de formations de ces minéraux et vérifier la pertinence de la thermométrie iso-topique à basse température en comparant les valeurs obtenues avec d’autres thermo-mètres indépendants, comme par exemple la microthermométrie des inclusions fluides ou encore le thermomètre chimique des chlorites souvent en inclusion solide dans les quartz. Ces mesures permettront de déterminer les conditions d’équilibre entre deux ou plusieurs minéraux co-génétiques et peut-être, quels facteurs contrôlent les fractionnements isotopiques dans ces conditions. Enfin, l’idée c’est de pouvoir contraindre ces évènements en datant des minéraux adéquats et comparer les données obtenues dans cette région avec celles des Alpes centrales et de l’Est et de l’Ouest. Ces nouvelles données permettront d’obtenir une image plus complète de la chronologie et de l’évolution des conditions régnantes durant le métamorphisme régional alpin dans les différents « compartiments » com-posants cette chaîne de montagne…»

Tout était dit, ou presque. Malgré qu’elle n’ait rien compris, elle a tout de même su apprécier la qualité des échantillons que je lui avais of-ferts. Pour ne pas ennuyer le lecteur comme je l’ai fait avec ma grand-mère, je présente ici les considérations qui me semblent les plus impor-tantes.

Commençons par le commencement… non, je rigole. Je vais vous épargner l’histoire de la Terre qui nécessiterait quelques milliers de pages, à l’instar de la saga des Rougons-Mac-quard de Zola. De toute façon, dans mon tra-vail je ne vais me pencher que sur la période Néogène, représentant environ 0.33 % (environ 20 millions d’années) de sa palpitante histoire (4600 millions d’années quand même !).

(Très) courte histoire sélective des Alpes

Revenons à nos moutons… ou plutôt à nos montagnes. La formation des Alpes, vous le savez, est le fruit de la collision de deux conti-nents et du sous-charriage vers le Sud de la plaque européenne sous la plaque adriatique. Les forces colossales qui ont déplacé, défor-mé et recyclé des sommes inimaginables de roche se manifestent encore aujourd’hui sous la forme de séismes perceptibles. Les roches qui composent les Alpes se définissent en des éléments structuraux : les roches attribuées au socle (croûte) et à sa couverture (roches sédi-mentaires). Ces éléments structuraux forment des domaines structuraux qui ont des origines paléogéographiques différentes. Ces origines distinctes déterminent souvent des roches de nature et d’évolution différentes selon leur contexte de formation. Lors de la mise en place des nappes, ces roches vont subir des défor-mations et des transformations minéralogiques plus ou moins intenses, un processus appelé métamorphisme régional. Les roches alpines ont, durant le Cénozoïque (65-2.6 Ma avant aujourd’hui), subi plusieurs phases importantes de déformation et chacune est enregistrée à sa manière dans les montagnes qui aujourd’hui nous entourent.

Vous vous demandez sûrement où je veux en venir avec cette histoire. Hé bien, nous y voilà, car lors de ce métamorphisme régional, les roches réchauffées en profondeur vont être mo-difiées de manière plastique : c’est à dire qu’elle ne vont pas se casser mais se déformer et créer les conditions favorables à la croissance de

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Origine et croissance des minéraux de fente alpine et implications pour le métamorphisme régional alpin

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mes échantillons. Durant la période Néogène (23- 2.6 millions d’années avant aujourd’hui), une phase de déformation se produit qui laisse-ra les traces que je vais tenter d’étudier durant ma thèse.

Genèse des échantillons

Dans ce relief formé de l’empilement de nappes et d’un épaississement de la croûte, une cer-taine quantité de fluide circule. Tout le monde connaît le phénomène des geysers qui atteste bien d’une circulation d’eau dans les profon-deurs. Il existe trois sources principales pour ces fluides : magmatique (présence d’une chambre magmatique dans les environs), méta-morphique (déshydratation des roches lors du métamorphisme) et météorique (eaux de sur-face s’infiltrant). Chacun d’eux possède une signature chimique caractéristique, surtout au niveau des rapports isotopiques de l’oxygène et de l’hydrogène. Ces fluides, maintenus sous forme liquide à cause de la pression exercée par la colonne de roche sus-jacente et légère-ment acidifiés par la présence d’acide carbo-nique, vont progressivement dissoudre les mi-néraux présents dans les roches encaissantes et s’enrichir en éléments qui pourront être ainsi mobilisés.

C’est à ce moment que les choses excitantes commencent. La nature n’aimant pas le vide, ces fluides hydrothermaux vont se frayer un chemin jusqu’à des cavités formées par la dé-formation des roches. Ensuite, la combinaison d’un refroidissement du milieu provoqué par la lente exhumation des roches et d’une tecto-nique active provoquant des variations de pres-sion à l’intérieur de ces fentes vont provoquer la précipitation des sels en solution dans ces fluides et donner naissance à de magnifiques cristaux qui pourront, avec un peu de chance, être préservés jusqu’à ce qu’un « cristallier » ou qu’un géologue passe dans le coin et dé-couvre ces fentes tapissées de minéraux, une quinzaine de millions d’années plus tard. Le plus courant et finalement le plus connu de ces minéraux est le quartz, mais il en existe plus de 650 différents dans les Alpes suisses. Le quartz est souvent associé à d’autres espèces miné-rales cristallisant, lorsque les conditions sont réunies. Certains minéraux présents dans ces fissures sont notamment intéressants puisqu’ils renferment des éléments radioactifs et per-mettent une datation absolue de leur formation, ce qui permettra de contraindre dans le temps la formation de ces fentes alpines.

Le cas particulier du quartz

Prenons l’exemple du quartz (SiO2). Mis à part sa chimie très simple, c’est un minéral particu-lier puisqu’il est présent dans quasiment toutes

les fentes alpines et dans des contextes géolo-giques variés, et qui de ce fait, sera au centre de mon travail. Il devient dès lors un très bon informateur. Lors de sa croissance, il enregistre dans sa chimie la signature isotopique de l’oxy-gène proche de celle du fluide hydrothermal. Une certaine quantité de ce fluide est même emprisonnée (inclusion fluide) dans ses défauts de croissance. Etudier les rapports isotopiques de l’oxygène dans un cristal de quartz en sui-vant ses zonations de croissance, permet de caractériser l’évolution des fluides l’ayant for-mé : le fluide a-t-il évolué, son origine a-t-elle changé ? Selon ses conditions de formation (pression, température, composition du fluide), le quartz aura un rythme de croissance différent et montrera des formes cristallines (habitus) dif-férentes. Il en existe un certain nombre que l’on peut rencontrer sur le terrain : l’habitus squelet-tique, normal, dauphiné, muzo, tessinois, mais aussi des formes intermédiaires et des cas particuliers comme le « Gwindel ». En étudiant différents quartz naturels, formés dans des conditions contrastées, j’espère pouvoir cla-rifier les facteurs contrôlant leur croissance et déterminant leur habitus. L’étude des impuretés présentes dans le cristal ainsi que de la com-position des inclusions fluides, nous renseigne aussi sur la nature du fluide minéralisateur et les conditions de formation.

Question d’équilibre

En résumé, mon travail consiste à étudier la genèse des minéraux de fentes alpines et, à l’aide des isotopes stables, des analyses des éléments traces ainsi qu’à l’étude des inclu-sions fluides et solides, vérifier l’équilibre fluide-minéral et minéral-minéral dans les minéralisa-tions hydrothermales de basse température (< 450°C.). Ces différentes observations seront mises en perspective avec l’histoire tectonique et métamorphique récente des Alpes suisses. De ce fait, une étude fondamentale sur la pré-sence ou non d’un équilibre dans le processus de cristallogenèse sera mis en perspective avec une image beaucoup plus générale de l’évolu-tion de la chaîne alpine. Ma zone d’étude se situe dans les Alpes suisses de l’Ouest (valais central et bas-valais) suivant le cours du Rhône, qui recoupe de nombreuses unités tectoniques, et où il n’existe, contrairement aux Alpes cen-trales, que des données fragmentaires concer-nant la formation de ces fentes minéralisées.

Mais une thèse en Sciences de la Terre, c’est aussi une expérience humaine et un engage-ment intellectuel qui s’inscrivent dans une quête depuis longtemps engagée de compréhension de notre environnement. Quelle chance de poursuivre l’aventure !

Eric Mey[photos: Eric Mey]

Explique ta thèse à ta mamie!

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Découvrir l’histoire du paysage, comprendre la formation du relief, l’évolution des glaciers, ça n’inté-resse pas que les scientifiques de notre faculté, mais aussi un grand nombre de gens normaux en dehors des murs de l’UNIL, comme toi mamie!

Vaste programme, grandes ambitions, mais comment s’y prendre?

Réaliser une médiation implique de répondre à de nombreuses questions. Les principales sont:

• de QUOI veut-on parler?

• COMMENT le dire (et pourquoi?)

• PAR QUELS MOYENS communiquer?

• et à QUI? ben, à toi mamie, évidemment!

Les bulles en traits tillés, c’est ce que j’ai fait moi pour répondre à ces questions. Pour les autres, il y a surtout beaucoup à lire!

Comme tu le vois, mamie, c’est parfois bien plus difficile de d’expliquer une thèse qu’un processus géomorphologique. En tout cas, ça manque de belles photos! Pour plus d’images et des exemples, tu peux aller faire un tour sur mesoscaphe.unil.ch/geodata/hac

Glossaire

Oui, je sais j’ai utilisé plein de mots compliqués: géomorphosite, c’est même pas sur Wikipédia, et le patrimoine, per-sonne ne sait ce que c’est. Mais ne t’inquiète pas, mamie, tu comprendras mieux en lisant ma thèse...

Le but premier de ma thèse est de réfléchir à la manière de réaliser une certaine médiation entre les méthodes et le savoir du scientifique (géomorphologue en l’occurence) d’une part et les connaissances, perceptions et intérêts du non-spécialiste d’autre part.

Je m’intéresse particulièrement à l’apport des médias vi-suels (cartographie, schéma, photo, vue en relief...) et inte-ractifs pour favoriser cette communication éducative.

Une médiation réussie est aussi un outil au service de la gé-oconservation. En expliquant la valeur des formes du relief et des processus naturels qui nous entourent, la médiation peut favoriser l’émergence auprès du public d’une vision patrimoniale de ces objets et la volonté de les protéger.

Simon Martin

Explique ta thèse à ta mamie!

La médiation pour connaître, com-prendre et protéger les objets géo-morphologiques

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Pour tenter d’expliquer comment j’en suis arrivé à faire une thèse, et le pourquoi du sujet, il faut partir des motivations. Deux passions et inté-rêts m’ont amené dans la faculté, puis dans ma branche d’étude. D’une part, l’histoire de la for-mation et de la destruction du relief moderne, que ce soit les montagnes qui nous entourent en Suisse, mais aussi les formes plus récentes de relief, comme les plaines, les sédiments (matériaux issus de l’érosion) qui recouvrent le paysage, etc... Cet intérêt s’exprime donc à diverses échelles temporelles, de l’échelle géo-logique (milliers voire millions d’années) à des échelles plus récentes, comme l’âge Holocène, qui couvre la période entre la dernière glacia-tion et aujourd’hui (10’000 dernières années). La dernière échelle temporelle est l’échelle hu-maine, soit environ le dernier siècle, pour lequel le plus d’informations existent.

La deuxième passion est celle pour les phéno-mènes météorologiques extrêmes, notamment les orages et les pluies de forte intensité. Lors de ces événements violents, les rivières et tor-rents transportent une grande quantité de ma-tériaux, qui en se déposant, participent à mode-ler le paysage et interfèrent avec les activités humaines. Une de ces manifestations naturelles qui me fascine est la lave torrentielle, mélange de roche, de boue et d’eau, qui transporte énor-mément de matière et se déplace rapidement dans les torrents de montagne.

Les données que je cherche à quantifier sont typiquement les stocks sédimentaires, soit les matériaux qui sont disponibles sur une zone donnée, normalement un bassin versant, ainsi que les flux sédimentaires, soit les déplace-ments de matière entre ces stocks. Une partie seulement de ces matériaux pourra être entrai-née lors de pluies et d’orages de différentes tailles. La question des flux, peut-être la plus complexe, est donc d’identifier et de quantifier le couplage entre ces stocks et les processus de transport, dans mon cas les torrents alpins. A quelle vitesse ces stocks vont-ils alimenter le torrent en matière, et dans quelles conditions? Pour une paroi rocheuse, cette activité va pas-ser par des chutes de pierre et des éboule-ments: si la paroi est directement au-dessus du torrent, tous ces blocs viendront remplir le lit du

torrent. Pour un glissement de terrain touchant une rive de torrent, cela devient plus compli-qué, car l’activité du glissement sera condi-tionnée par les facteurs comme la pluie, et des conditions géologiques très variables. Dans un contexte alpin, on ne peut pas ignorer les pro-cessus qui sont rattachés aux glaciers, comme les avancées-reculs de ceux-ci. En reculant, comme c’est le cas actuellement pour la majo-rité des glaciers alpins, ils vont abandonner des matériaux très peu consolidés, comme des mo-raines. Ces volumes de sédiments peuvent très facilement être repris par des torrents et trans-portés vers la vallée. On peut également citer les glaciers rocheux, qui forment des masses considérables, et dont le réchauffement peut accélérer le mouvement, aidant ainsi au trans-fert vers l’aval. Finalement, l’ensemble de ces activités, petites ou grandes, sur une longue période (plusieurs dizaines d’années, et plus), composent l’activité sédimentaire d’une région. Cette activité aura une composante érosive (ar-rachage de matière au relief), une composante transport (torrents, rivières, glissements) et une composante dépôt (accumulation dans les vallées, les lacs). Ne pouvant pas être spécia-liste de tous les phénomènes impliqués, je me concentre donc sur les torrents de montagne, tout en interagissant avec d’autres chercheurs étudiant les glissements de terrain, les chutes de blocs, ou encore les glaciers rocheux.

Les buts de ma thèse sont donc de développer des méthodes à la fois d’analyse de la situa-tion actuelle (évaluation des stocks et des flux de matière, par exemple), pour ensuite pouvoir quantifier son évolution à travers des modéli-sations et fournir des outils d’aide à la décision pour les populations humaines touchées par ces phénomènes.

Cela implique donc tant des démarches concrètes « à l’air libre » (cartographie, visites et mesures de terrain avec méthodes précises (LIDAR par exemple) que des aspects plus abs-traits « en intérieur », comme la modélisation (reproduction idéalisée de la dynamique obser-vée grâce à des outils comme matlab, soutenu par des systèmes d’information géographique).

Benjamin Rudaz[photo: Benjamin Rudaz]

Explique ta thèse à ta mamie!

Les torrents de montagne, entre risque naturel et érosion des Alpes

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Dans chaque numéro nos reporters partent à la rencontre d’une personna-lité de votre faculté afin de la décou-vrir autrement. Pour cette 20ème édition Stuart Lane a bien voulu répondre aux questions de Manon et Corentin.

-Quel métier rêviez-vous de faire enfant ?

J’ai beaucoup changé. Mais c’est intéressant car très jeune, j’imaginais peut-être devenir enseignant. Après, j’ai eu plusieurs idées. Mais ce qui est rigolo, c’est que lorsque j’avais 9 ou 10 ans, ma mère m’a dit : « Stuart, je pense que quand tu seras grand, tu deviendras pro-fesseur » et j’ai répondu : « non, impossible ». Pendant le gymnase, j’ai imaginé que j’allais travailler dans un bureau d’étude comme finan-cier, quelque chose comme ça. Ce n’est qu’à l’université que j’ai réalisé que j’allais probable-ment rester dans le système universitaire.

- Quel a été votre parcours avant l’université?

Je suis passé par le système anglais, qui ne dif-fère pas beaucoup du suisse. Après la première partie du système secondaire, on va directe-ment au gymnase et tout le monde y va, on n’a pas le choix.

- Avez-vous pris différentes options pendant vos études ?

Jusqu’à 16 ans, c’est la même matière pour tout le monde, après on a 2 ans durant lesquels on choisit des options. J’ai décidé de faire plu-tôt quelque chose de scientifique et j’ai choisi physique, chimie, maths et géologie. Mais cette dernière n’était pas compatible avec les horaires, donc j’ai fait géographie à la place. Ça a été un peu tout le temps comme ça pour moi ; j’ai toujours été un géographe dans mon cœur.

En Angleterre maintenant, il y a environ 45% des jeunes qui vont à l’université, c’est beau-coup trop. Moi, quand j’ai été à l’université ce pourcentage était de 25-30% et c’était sélectif.

A la fin de l’école, on a les examens comme la maturité en Suisse, et les résultats des exa-mens nous donnent droit d’aller dans telle ou telle université, on n’a pas un choix libre. Il y a des universités qui sont plutôt académiques, où les résultats nécessaires pour y accéder sont beaucoup plus grands, et d’autres universités plus orientées vers la pratique, où le niveau est plus bas. J’ai toujours été dans le milieu aca-démique, si je suis honnête. Mais quand je suis allé à l’université, je n’ai pas tout de suite pensé que j’allais rester dans le système universitaire. J’ai réalisé un peu plus tard que j’aimais ce sys-tème et que j’étais ce qu’on peut appeler « un étudiant perpétuel ».

- Pourquoi la géographie ?

Je pense que c’est lié à mon intérêt dans les paysages et leurs différences. Et, j’ai toujours aimé les voyages. Quand j’ai eu 3 ans ma mère m’a acheté un petit globe et j’étais très curieux envers cet objet. Malheureusement, les premières années qui ont suivi, je pensais que l’Angleterre c’était l’Irlande, ma géographie était un peu floue au début (rires). Mais j’ai toujours eu de l’intérêt dans cette notion de paysage, leurs différences et leurs interactions. A 13 ans, j’ai eu le choix entre géographie et allemand et j’ai presque fait allemand, j’ai changé au dernier moment, j’ai choisi géographie, c’est pourquoi je ne parle pas l’allemand. Encore une fois, je crois que c’est impossible pour moi de faire quelque chose sans le préfixe géo.

C’est intéressant pour moi maintenant, car il y a cette restructuration de la faculté et dès sep-tembre, je ne serais plus dans un institut de géographie, je serai dans un institut de proces-sus de la surface terrestre, et pour moi, c’est un grand changement. L’idée que je puisse être dans un institut qui n’est pas de géographie est incroyable et mes amis en Angleterre en sont vraiment étonnés. Pour la première fois dans ma vie, je ne serais plus dans un Institut de géographie.

Entretien avec...

Stuart LaneProfesseur à l’IGUL

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- Pourquoi la Suisse et l’Université de Lau-sanne ?

La Suisse, j’y suis arrivé à cause d’une grande erreur. Pendant ma première année de Bache-lor, il y avait une tradition dans mon université d’aller aider des professeurs dans leurs projets de recherche. Il y avait deux listes, une pour aller à Mexico étudier la pollution des grandes villes, et l’autre pour aider un professeur dans l’étude hydrologique des glaciers dans le Val d’Hérens à Arolla. J’ai décidé que j’allais aller à Mexico, mais je n’ai pas signé la bonne liste. Quelques temps après j’ai appris que je devais aller en Suisse, et comme c’était trop tard pour changer, je suis allé en Suisse. Depuis là, et motivé par mon séjour dans le Val d’Hérens, j’ai changé de spécialisation en passant de la géographie humaine à la géographie physique. Les choses se sont enchaînées, et j’ai fait mon travail de Bachelor ainsi que ma thèse dans le Val d’Hérens. Puis, quand je suis devenu pro-fesseur, je suis retourné dans cet endroit pour faire les camps pour les étudiants ainsi que de la recherche. Tout cela a contribué à mon enga-gement envers la Suisse. Peut-être que ma vie est une grande erreur - j’ai aussi rencontré ma femme à Arolla !

Il y a deux-trois ans, j’étais en Suisse pour une année sabbatique, et un ami a vu dans un périodique l’annonce d’un poste de professeur à l’Université de Lausanne, j’ai lu l’annonce et c’était clair pour moi que c’était un travail qui me correspondait. Il cherchait quelqu’un qui s’intéresse à la géomorphologie fluviale, avec un fort intérêt dans la haute montagne, alors je me suis inscrit, c’était une décision assez facile pour moi. Pour ma recherche et les enseigne-ments, ici les opportunités sont incroyables.

- Si votre parcours était à refaire, serait-il le même ?

L’idée pour moi de faire quelque chose qui ne soit pas lié à l’université, c’est un peu difficile. La liberté de chercher ce qu’on pense qui est important pour nous est bien intégrée dans le milieu académique et c’est fondamental pour moi. Je n’aime pas du tout être dirigé - normale-ment c’est une catastrophe, je fais l’inverse de ce qu’on me demande. L’indépendance dans le système universitaire est très importante pour moi. L’indépendance, la responsabilité et la confiance dans les professeurs pour choisir ce qui est important pour l’enseignement et ce qui est important pour la recherche, ça c’est fondamental. Je suis un enseignant et un cher-cheur, je ne peux pas imaginer faire quelque chose d’autre.

- Vous avez énormément publié, comment vivez vous cette notoriété ?

Mes publications nombreuses sont liées à la tradition anglophone, on écrit trop malheureu-sement.

- Mais est-ce que vous aimez écrire ?

Oui, c’est facile pour moi d’écrire. Quand j’étais étudiant, deux fois par semaine, il fallait écrire un petit rapport de 4000 mots. C’est la raison pour laquelle l’écriture est l’élément le plus facile de ce que je fais. Lors de ma thèse, qui combinait géographie et ingénierie civile, mes deux professeurs m’ont expliqué que quand on recherche quelque chose c’est important de le publier, sinon pourquoi faire cette recherche.

J’ai eu plusieurs doctorants (environ 30) qui ont été vraiment excellents, ils ont eu des idées extraordinaires au cours de leurs recherches. Et c’est pourquoi, en combinant ma capacité d’écriture, des idées intéressantes et des excel-lents doctorants, cela m’a donné des possibili-tés de sujets à développer et à publier.

- Vous arrivez bien à concilier la partie recherche avec la partie enseignement de votre travail ?

Oui, pour moi l’enseignement est vraiment important, je ne peux pas imaginer une situa-tion où je n’enseigne pas. Le jour où j’arrêterai d’enseigner, ce sera pour la retraite.

Une des raisons de ma venue en Suisse, est qu’en Angleterre à mon niveau (environ 10-15 ans d’enseignement), les professeurs com-mencent à faire plus d’administratif que d’en-seignement et je n’aime pas l’administratif. Si je restais en Angleterre, ma vie allait devenir plus administrative. Avant mon arrivée en Suisse, j’étais le directeur d’un grand institut interdisci-plinaire (avec plus de 80 chercheurs). J’ai aimé ce travail mais il me semble un peut triste que l’on doive faire cette partie administrative. Je n’ai pas été formé comme administrateur. Ici, j’ai presque 50% de recherche et 50% d’ensei-gnement et je veux continuer aussi la recherche mais faire aussi encore plus d’enseignement. J’aime beaucoup les enseignements ici car il y a notamment beaucoup de contacts professeur - élève. D’accord, on a les responsabilités ad-ministratives, et je dois les faire, mais ce n’est pas pourquoi je suis ici.

- Est-ce que vous auriez des conseils à donner aux étudiants de la FGSE ?

Oui, je vais l’introduire avec une observation. Un des privilèges d’être Suisse, ce sont les bases fondamentales que les élèves ont avant

Entretien avec...

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d’arriver à l’université ; la préparation au gym-nase dans les sciences et mathématiques est incroyable par rapport à l’étranger. Mais il y une chose que je pense qu’il faut développer ici, c’est ce qui s’appelle la créativité. Et mon conseil est qu’il faut avoir la confiance dans vos propres expériences, parce que souvent pour faire des progrès dans la vie, il faut avoir la capacité de prendre une connaissance, de la critiquer, de la problématiser et de la dévelop-per. Mais pour faire cela, il faut avoir la créativité et pour moi, elle arrive de nos propres expé-riences. Pour les géosciences, la vie est par-tout, donc c’est assez facile.

Quelles sont vos passions ?

Les montagnes et le sport, pas en équipe mais individuel ; ski alpin, ski de fond et randonnée l’hiver, VTT et course de montagne l’été.

Avez-vous une idole, un modèle ?

Oui, je ne sais pas si tu le connais, il s’appelle Paolo Friere. C’est un pédagogue brésilien qui a beaucoup travaillé sur la notion d’expérience.

«L’éducation […] comme un instrument qui est utilisé pour faciliter l’intégration de la jeune génération dans la logique du sys-tème actuel et de parvenir à la conformité.»

Peut-être que mes collègues à Lausanne pen-sent cela ? Je ne sais pas. Pour moi, l’autre notion est plus importante :

«[l’éducation] devient la pratique de la li-berté, les moyens par lesquels les hommes et les femmes arrivent à faire face de façon critique et créative à la réalité et de dé-couvrir comment faire pour participer à la transformation de leur monde.»…

Et ça c’est fondamental pour moi, cette idée de l’éducation qui est de vous former à avoir la capacité de transformer le monde. Pas de vous dire ce qu’il faut faire pour transformer le monde, mais de vous donner la capacité de dé-cider de ce qu’il faut faire. Paolo Friere a beau-coup parlé de cela.

Qu’emmèneriez-vous avec vous sur une île dé-serte ?

Probablement ma famille. Et mes chaussures de course, pour les moments où j’ai besoin d’une petite séparation de ma famille (rires).

Que feriez-vous avec une baguette magique ?

Arrêter les changements climatiques liés aux gaz à effets de serre.

En deux mots, qu’est ce que le mot « nature » évoque pour vous ?

Probablement rien, car je pense qu’il n’y a plus rien de naturel.

Et «géographie» ?

C’est ma «bête» (rires).

Que pensez-vous de la restructuration, quelle place aura la géographie physique dans cette nouvelle structure ?

Je vais répondre à deux niveaux, un qui ex-plique ma position avec les besoins de la faculté et une autre réponse un peu plus personnelle.

Par rapport à la faculté, on voit que le niveau de ressources à disposition pour la recherche est vraiment incroyable ici. Le niveau, l’intérêt, la capacité et la motivation des étudiants en géosciences l’est tout autant, encore plus pour quelqu’un d’externe comme moi. Et pour moi, évoluer dans un cadre où les étudiants sont vraiment intéressés par leurs études, c’est gé-nial ! C’est presque «bizarre» d’être dans un tel système mais c’est vraiment excellent.

Il y a une forte capacité dans cette faculté ; quand j’ai consulté les pages internet et tout ce qu’il y avait à disposition avant de venir ici, c’était clair pour moi qu’il y avait un grand potentiel pour faire quelque chose ici avec les géosciences. Mais c’est juste, et le Recteur et le Doyen de la faculté l’ont bien compris, que nous ne pourrons pas réaliser ces capacités avec 6 instituts, de taille vraiment variable, avec de grandes différences dans leur organisation et dans leurs responsabilités et la gestion des enseignements. Il y a des instituts qui gèrent l’enseignement et d’autres qui ont toujours fait de l’enseignement mais qui ne le gèrent pas. Il y a un problème dans le fonctionnement, mais ce n’est pas une critique car notre faculté a été fondée en 2003, c’est très jeune. Et il faut avoir dix ans pour comprendre ce qu’il faut faire pour s’organiser.

Toujours au niveau de la faculté, je pense éga-lement que la restructuration est exactement ce qu’il faut ; j’aime l’idée d’une école qui peut gérer l’enseignement, surtout parce que nous avons un enseignement vraiment inter-disciplinaire. D’accord il y a trois filières, mais en première année il faut faire tous les cours, dans tous les autres sujets. C’est beaucoup d’activité(s) et de gestion avec 200 étudiants chaque année. Aussi pour séparer un peu l’en-seignement de la recherche, de cette manière il sera plus facile et plus clair de gérer les fi-

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nancements nécessaires pour soutenir l’ensei-gnement. Un des problèmes que l’on a actuel-lement avec l’enseignement est le niveau de duplication dans les cours. Nous vous donnons trop de cours et c’est clair que vous n’avez pas le temps de réfléchir sur les cours, de faire les travaux nécessaires pour la préparation (pour les TP ou les examens p. ex.). Avec l’Ecole, je pense qu’il sera possible de garder le même ni-veau d’enseignement, avec les mêmes qualités et le même matériel, mais avec moins de cours si c’est bien géré et plus d’opportunités pour les étudiants de s’engager dans les cours qui les intéressent.

Je pense également que l’idée de créer trois instituts, un plutôt orienté sciences sociales avec la géographie et la durabilité, un autre qui prend en compte des échelles temporelles plus longues avec les sciences de la Terre et un troi-sième lié à des échelles plus courtes et l’inter-face entre géophysique, géologie et géographie physique, ça c’est excellent. Je pense que le résultat de la restructuration sera parfait et d’ici 5 ans, quand on regardera Lausanne de l’exté-rieur, on réalisera que c’est vraiment un pôle fort pour les géosciences. L’organisation sera très claire et, certainement, je pense que nous avons l’opportunités de devenir la meilleure fa-culté pour les géosciences en Suisse romande et commencer à démontrer à Zürich qu’il faudra aussi faire quelque chose pour s’améliorer.

Personnellement, je vais me retrouver dans un institut qui ne sera pas un institut de géo-graphie. Il y a deux éléments que je dois men-tionner qui font que ma situation n’est pas si «grave» ; premièrement, je vais continuer à dis-penser la plupart de mes enseignements pour la géographie, ça ne va pas changer et j’ai été très clair avec le Doyen sur le fait que je suis un géographe et que je vais enseigner la géogra-phie. Deuxièmement, dans ma recherche, j’ai toujours été à l’interface avec les autres disci-plines. Au début j’ai travaillé avec l’ingénieurerie civile ; à Leeds j’ai beaucoup travaillé avec les sciences de la Terre, les écologues, les sociolo-gues et les mathématiciens. Pour moi l’interdis-ciplinarité est importante et je pense qu’il sera plus facile de créer quelque chose au sein de la faculté. J’ai eu une décision très difficile à prendre en octobre entre rester dans l’Institut de Géographie et aller dans le troisième institut (ndlr : interface géologie-géophysique-géogra-phie physique) ; c’était clair pour ma recherche et pour l’interdisciplinarité que je veux déve-lopper ici que le troisième institut était un choix évident. Et je n’ai pas trop eu le choix, je devais aller dans le troisième institut.

Donc, personnellement c’était difficile mais en

général je trouve que c’est pendant ces petites périodes de perturbation, de difficulté, que mes propres « forces de conservatisme » peuvent être déplacés par la créativité.

Avez-vous des ambitions pour le futur, des rêves à accomplir, des voyages ?

J’ai décidé que je venais (ou retournais) ici pour développer ce que l’on appelle le Grand projet ; commencer à faire quelque chose au niveau des grandes échelles, sur les interactions entre les changements climatiques et les processus géomorphologiques. Mon ambition est d’éta-blir ce grand projet et de démontrer au niveau mondial que Lausanne est l’endroit où l’on peut faire ce genre de choses. C’est également un des intérêts du troisième institut. Nous avons le projet du Vallon de Nant, le bassin expérimen-tal de la faculté, et une de mes ambitions pour ce bassin-là est de démontrer la qualité des recherches qui se font dans ce vallon. J’aime-rai également faire la même chose avec le Val d’Hérens, en haute montagne, pour des raisons un peu plus personnelles. C’est un projet de recherche mais aussi un projet pédagogique.

Pour les voyages, pas forcément liés à ma car-rière, la Patagonie est un endroit que j’aimerais vraiment visiter, si possible avant que je ne puisse plus monter les montagnes. Et malheu-reusement, pour quelqu’un qui fait beaucoup de courses, les genoux sont un gros problème potentiel.

Avez-vous lu le dernier numéro de l’Irrégulier ?

Oui, je l’ai lu. Dès que vous m’avez fait la propo-sition pour l’interview, je l’ai lu (rires). Je trouve très bien que l’aege soit bien développée. C’est important parce que la politique est différente ici, par exemple la représentation des étudiants au Conseil de faculté et dans les différentes commissions est vraiment quelque chose de différent pour moi, en comparaison avec ma propre expérience. Avec ce système, les étu-diants sont vraiment engagés dans les pro-blèmes de la Faculté et sa politique, et c’est une bonne chose. Ceci grâce à l’associations des étudiants en géosciences et environnement, et également peut-être grâce à l’Irrégulier, donc il faut le lire !

Ecrivez-vous dans un journal ?

Pas un journal exactement, mais je suis respon-sable d’un grand périodique qui s’appelle Earth Surface Processes and Landforms, nous pu-blions environ 150 manuscrits par année. Pour arriver à ce résultat, je dois prendre plus de mille décisions par année concernant les manuscrits

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qui sont soumis. C’est un élément important dans mon travail ; beaucoup de voyages et de colloques sont liés à cela. Je reçois chaque semaine une liste des décisions qui doivent être prise, entre quinze et vingt-cinq, et je dois le faire assez rapidement. Cela représente une grande partie de mes activités.

J’ai commencé une nouveau projet qui s’appelle WIRES Water : c’est un projet interdisciplinaire lié à l’eau, et ce sera un nouveau type de pério-dique, à l’interface de l’ingénieurerie, l’écologie, la sociologie et l’économie et une partie scien-tifique (naturelle) liée à la gestion de l’eau. Ça représente un grand projet très intéressant.

Je suis également dans un collectif qui gère un petit périodique qui s’appelle Geography. C’est plutôt pour les étudiants en première année de Bachelor, avec des synthèses d’articles, des sujets importants, etc.

Vous voyagez pour étudier ou vous étudiez pour voyager ?

Je voyage pour étudier. C’est les voyages qui ouvrent les yeux et je trouve que c’est impos-sible de parler de quelque chose sans l’avoir vu ou visité. Et c’est l’expérience que j’ai pu faire au glacier d’Arolla ; nous avons habité là-bas chaque été pendant trois mois, en campant en haut, et l’expérience que l’on a de l’environne-ment, des changements dans l’environnement, dans les processus de fonte des neiges et de la glace, des chutes de pierres et les dynamiques fluviales, tout ceci arrive grâce à l’expérience.

Manon Stalder & Corentin Neuffer

[photos: Stephan Utz, Lucien Grangier & Mario Kummert]

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L’Ubac à sable

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« Einsteigen bitte, zurückbleiben bitte » ce re-frain vous le connaissez peut-être si vous avez déjà passé quelques jours dans la capitale alle-mande, c’est en effet celui des métros berlinois. Cela fait maintenant 6 mois que je l’entends.

En octobre dernier a en effet commencé pour moi une année « Erasmus » à la Freie Universität de Berlin.

Les séjours Erasmus, tout le monde en parle et certains rêvent d’en faire un. Je faisais partie de ces gens-là. Partir un an à l’étranger, décou-vrir un nouveau pays, apprendre une nouvelle langue, faire la connaissance de personnes venant des quatre coins du monde : tout ça me donnait envie ! (Je vous l’accorde, c’est sûrement en partie à cause du film « l’Auberge espagnole » !)

En commençant mon premier semestre en sciences de l’environnement sur les rives du Léman, je savais donc que pour moi la troi-sième année se déroulerait à l’étranger. Je n’ai rien contre l’Unil, ses workchopes et ses mou-tons (!) mais comme l’opportunité d’élargir nos horizons nous est donnée, je l’ai saisie !

Partir : oui ! Mais partir où ? Pour moi le choix a été vite fait : ce sera l’Allemagne ! Ayant déjà passé quelques mois dans ce pays, je souhai-tais y retourner pour améliorer mes connais-sances dans la langue de Goethe (vous ima-ginez bien que ce choix ne fut pas toujours compris par mes camarades suisses romands !)

Erasmus, ça commence avec énormément de paperasse à remplir et de démarches adminis-tratives à réaliser : entre les sites internet des universités souvent difficiles à comprendre et le bureau des échanges aux heures d’ouverture peu pratiques, on perd vite son sang froid et la réalisation d’un dossier en décourage plus d’un. C’est un vrai parcours du combattant !

Mais toutes ces démarches ont valu la peine car en octobre dernier je suis montée dans un train direction « Berlin Hauptbahnhof » ! …

Après les premiers jours et les nombreux détails administratifs réglés (oui encore !) j’ai très vite pris mes marques dans ma nouvelle ville. La « communauté » d’étudiants en échange est très grande à Berlin : cette ville a énormément de succès auprès des étudiants, qu’ils soient clubbers invétérés, amateurs de l’histoire très riche de cette ville il y a peu encore séparée par le mur ou attirés par le mode de vie « alternatif » des Berlinois ! Vous l’aurez compris, à Berlin il y en a pour tous les goûts et toutes les couleurs, chacun y trouve son compte.

Très vite j’ai donc rencontré des autres étudiants et nous sommes partis à la découverte de cette ville qui sera la nôtre pour l’année à venir. Pas évident de s’y retrouver dans une métropole comme Berlin quand on vient de Suisse ! Mais petit à petit les arrêts de métro deviennent fami-liers et plus les semaines passent moins on a besoin de passer ses trajets le nez dans le plan de métro pour être sûr de ne pas louper son arrêt…

Ensuite ont commencé les cours (ne les ou-blions pas, c’est quand même théoriquement pour cela qu’on fait Erasmus !) Imaginez deux heures de cours en allemand sur les concepts géoéconomiques de la mondialisation (je vous épargne le titre original) : pas toujours évident ! Mais en Allemagne le système universitaire est assez différent qu’en Suisse et beaucoup de cours sont des séminaires pendant lesquels les étudiants font des exposés. Donc pas besoin de prendre de notes, cela me permet de me concentrer sur la compréhension de la langue. Par contre un jour ou l’autre ce fut également mon tour de présenter un exposé : aïe ! Enfin mes fautes de grammaire et mon accent fran-çais auront au moins fait discrètement sourire mes camarades allemands !

Il a fallu que je m’habitue à ce nouveau système où les étudiants prennent très souvent la parole pour donner leur avis, raconter ce qu’ils savent ou même contredire les professeurs parfois !

En un semestre j’ai donc bien profité de Berlin

Récits d’ailleurs

Erasmus et Berlin: 2 raisons de passer une année hors du commun !

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et des diverses activités qui sont offertes par cette ville aux multiples facettes, j’ai rencon-tré des amis venant de différents horizons, fait des progrès en allemand (enfin j’espère, c’est quand même pour ça que je suis là !), appris à m’habituer à un système universitaire différent, etc.

Après Pâques commencera le deuxième se-mestre à la Freie Universität. Je me réjouis déjà d’entamer la deuxième partie de cet erasmus, même si cela signifie que la fin se rapproche… Vous l’aurez compris, erasmus fut, est et sera encore pour moi une expérience riche et inou-bliable que je vous encourage grandement à faire aussi si vous en avez l’envie ! « Das lohnt sich » dirait-on ici !

Juliette Lerche

[photos: Juliette Lerche]

Récits d’ailleurs

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Qu’on se renseigne brièvement avant de partir ou qu’on adule maladivement le pays depuis des années, la confrontation réelle avec les ha-bitants est toujours accompagnée de surprises. D’ailleurs, les clichés qui circulent déforment notre vision et nos attentes…

Combien de temps avons-nous besoin pour les remettre en question, et enfin comprendre le fonctionnement intime des individus et de la société ? Trois semaines, deux mois, un an, vingt ans, une vie ?

Après 8 mois de vie au Japon, pays aux exi-gences sociales anormalement élevées, la différence de culture affecte encore quotidien-nement ma vie ici. Autant au moyen de lois ex-plicites que de règles sociales implicites, tous les comportements sociaux semblent y être entièrement régulés.

Les premiers contacts avec les habitants abou-tissent ainsi à une comparaison entre les mœurs de nos pays respectifs, chacun essayant au maximum de comprendre pourquoi tout semble si différent et comment ça se fait que ça fonc-tionne malgré tout.

Alors, finalement qu’est-ce qui est vrai dans tout ce qu’on entend sur le Japon ?

Heureusement, à l’opposé de l’image du Japo-nais timide et réservé, les habitants se font un plaisir d’aider les touristes et faciliter leur séjour. Cependant, cet accueil chaleureux autant bien-venu qu’inattendu ne permet pas d’éviter les regards indignés des indigènes à chaque faux pas… Vous avez le nez qui coule? C’est bien embêtant, car ici on ne se mouche pas en pu-blic ! Votre téléphone sonne dans le train ? Er-reur ! Il devrait être en mode silencieux… donc ne pensez même pas à décrocher ! Un petit creux ? Les magasins abondent mais manger ne se fait ni en marchant, ni dans le train…

Alors, oui ! Aux premiers abords, les Japonais ont tous l’air pareils ; triste, sans opinion, se pliant à l’ordre sans se plaindre, réagissant

exactement comme la société veut qu’ils réa-gissent, pleurant de honte à chaque faux pas.

Le Japon paraît bien gris vu comme cela… Et je me réjouis chaque jour d’avoir enfin découvert « l’autre Japon » : en dessous de leur grosse carapace, les Japonais sont très ouverts et réellement marrants… et évidemment tous très différents !

Leila Chakroun

[photo: Leila Chakroun]

Récits d’ailleurs

Les Japonais sont timides...

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L’Ubac à sable

Le jeu des 7 différences!

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En juin aura lieu un nouveau Sommet de la Terre, où les dirigeants des quatre coins du monde, essayeront de se mettre d’accord autour de deux thèmes : l’économie verte et les outils ins-titutionnels du développement durable.

Economie verte

« La nouvelle économie, verte, fournirait un nouveau moteur de croissance et remet-trait le monde sur la voie de la prospérité. Il s’agit de faire croître l’économie mon-diale d’une façon plus intelligente et plus durable. » (Achim Steiner, directeur général du PNUE, 2008)

Débat

La notion d’économie verte permet de ras-sembler l’économie et l’environnement, deux domaines souvent peu conciliables. La grande majorité des biens et des services sur Terre s’achètent et se vendent. Cependant le débat fait rage : peut-on donner un coût à la nature ? Certains diront que non, et évoqueront plutôt, par exemple, l’analyse énergétique� qui vise à rapporter tous les flux de matière et d’énergie à leur équivalent énergétique solaire (eMJoule), ainsi on ne donne plus une valeur monétaire aux flux. On pourrait aussi se demander si la nature a un coût relatif à l’esthétique que nous lui attribuons, on observerait alors sa valeur intrinsèque. A l’autre extrême, on peut soute-nir que la nature est un gisement de ressources exploitables ayant donc un coût monétaire.

Laissons de côté ce débat sans fin pour obser-ver ce qu’il se passe autour de nous. On ne peut pas vraiment savoir si la nature a une valeur mo-nétaire, et si elle peut se calculer ou non, mais en tout cas, concrètement, sa protection a un prix. Il suffit de voir les loyers des éco-quartiers, les taxes CO2, les prix des « produits bio »,… tout cela coûte, donc même si le débat persiste, ce que nous sommes en train d’introduire pour protéger la nature a un coût dans notre vie de tous les jours, en tout cas en ce qui concerne la Suisse. On pourrait dire que ce phénomène est représentatif de nos actes irrespectueux envers

l’environnement; de manière imagée : en pre-mier lieu, on abuse des ressources terrestres qui nous rendent riches, puis on regrette, et on utilise l’argent gagné pour réparer nos actes. A ce titre, l’économie verte est vue comme une manière plus douce de payer ces réparations tout en réorientant nos modes de production et d’exploitation de cette nature. Comment faire cela, et est-ce satisfaisant ? Ceci est une autre question.

Technologies environnementalement sup-portables ?

L’humanité est toujours orientée vers le progrès, la croissance est dans les bouches de tous les politiciens. Si l’économie verte est comme l’af-firme le directeur du PNUE « un nouveau mo-teur de croissance » alors nous sommes sau-vés, on va pouvoir réparer la Terre en continuant de gagner plein d’argent ! Mais la question n’est pas là, il est évident que ni les cleantech, ni le label Max Havelar, ni les panneaux solaires ne répareront les dégâts environnementaux. L’idée est plutôt de sensibiliser, de faire un pas en avant dans la compréhension que l’humanité a du monde qui l’entoure.

Il fut une époque, où l’homme passait ses jour-nées à chercher de quoi se nourrir et s’abri-ter, aujourd’hui la seule chose qui le préoc-cupe c’est de gagner de l’argent pour pouvoir consommer encore et encore, on est arrivé à un point où l’homme est guidé par son instinct économique. Il est évident que l’on ne va pas retourner chasser et vivre dans des grottes - sans doute que nous n’en serions même plus capables - cependant on peut essayer de vivre plus en harmonie avec la nature. Car, il faut gar-der à l’esprit que le monde qui nous entoure était là avant nous et sera là après nous, et nous ne pouvons que nous effacer devant une géante de plus de 4 milliards d’années.

Outils institutionnels du développement durable

Entre 1998 et 2009, 218 nouveaux accords, protocoles et amendements multilatéraux

[photo: www.qqpart.com]

Champs libres

Rio + 20, un petit pas de plus

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sur l’environnement ont vu le jour.

Niveaux d’action

La dernière conférence de Rio en 1992 avait mis à l’ordre du jour le fameux « agenda 21 », c’est-à-dire une liste d’actions à prendre pour le XXIème siècle. Le chapitre 28 de ce document stipule que des actions doivent être prisent aus-si au niveau local. Donc, lors de ces grandes conférences les différents niveaux percoles ; il y a plus précisément ce que l’on appelle les 9 « major groups » qui sont : les femmes, les en-fants et les jeunes, la communauté scientifique et technologique, les peuples autochtones et leur collectivité, les travailleurs et les syndicats, les ONG, les autorités locales, et d’autres par-ties prenantes concernées. Autant d’acteurs représentés ! On a pourtant souvent tendance à penser que ces Sommets ne sont que des jeux entre les puissances économiques et politiques et que cela nous touche que de très loin. Ce-pendant, en Suisse, l’OFEV organise des tables rondes où le public intéressé peut donner son avis sur les thématiques à aborder à Rio+20.

Améliorer la gouvernance environnemen-tale internationale

Avant d’être une Conférence environnementale, Rio +20 est un rassemblement politique inter-national. L’égalité entre les peuples est prônée, chacun à un droit de parole, il suffit de lever un drapeau pour parler. Chaque pays, avant de se rendre au Brésil, a réfléchi aux points qu’il aime-rait soulever lors de la conférence, des rapports ont été produits, un travail considérable; et pour-tant on observe par le passé que les résultats de ces grandes conférences ne sont presque jamais concluant. L’une des principales raisons est que les problèmes environnementaux nous dépassent et nous ne les maîtrisons pas. Il n’y a qu’à observer la catastrophe de Fukushima ou « l’échec » du protocole de Kyoto. Alors la politique qui en ressort est vague pour ne pas risquer d’être trop précise et manquer certains aspects. Souvent on met au goût du jour des outils du développement durable mais on n’ar-rive pas à les appliquer. La gouvernance inter-nationale environnementale représente donc un enjeu considérable à mettre en place.

Certains pensent que de Rio +20 va naître une organisation mondiale de l’environnement (OME). Cet organisme aurait pour unique tâche de gérer le développement durable à l’échelle internationale. A la suite de la conférence de 1992, une commission du développement du-rable avait été mise en place mais son travail n’a pas été à la hauteur des espérances. On at-tend donc de voir ce qui va ressortir de Rio+20, mais une chose est sûre, ce n’est pas pareil de créer des outils du développement durable et de les appliquer. Souvent, les protocoles envi-ronnementaux n’attribuent pas de sanctions si nous n’en respectons pas les directives, alors on passe simplement son chemin, en disant

que l’on fera mieux la prochaine fois, et on réin-vente un protocole qui n’entre en vigueur que 5 ans plus tard, comme si la Terre ne souffrait pas de ces années de négligence. Mais ce n’est pas la seule difficulté à laquelle est confrontée la gouvernance internationale environnementale.

L’obésité de l’information

C’est l’ONU qui organise la conférence, cette organisation a la lourde tâche de médiateur entre les pays qui doivent se mettre d’accord. Chacun veut défendre ses intérêts, les pays émergents n’ont, par exemple, pas la même im-plication que les pays industrialisés. Cela pro-voque des surcharges d’avis divergents, d’in-formations, et de concepts ; y a-t-il réellement une différence entre le développement durable, l’économie verte et la protection de l’environne-ment ? A l’ONU on passe des mois à peaufiner un rapport préparatoire, changeant de virgule, de syntaxe… on peut réellement se demander si c’est ce travail qui fera la différence.

Il n’en reste pas moins que l’environnement a le vent en poupe. Les médias s’en saisissent, et il ne se passe pas une journée sans que nous soyons confrontés à quelque chose qui ait un rapport avec sa protection. L’environnement est devenu un outil marketing. Comment peut-on dans ces conditions extraire le vrai du faux ?

Gérer la planète : un défi humain ?

La planète a une superficie de 510 065 700 km2, il y a plus de 8 millions d’espèces qui y cohabitent, et l’Homme, une parmi elles, serait capable de gérer ce gigantesque écosystème ? Ce que nous demande une conférence comme Rio +20, c’est d’imaginer que ce soit le cas. Le problème c’est qu’il est difficile pour l’humanité, faisant partie intégrante du système, de prendre du recul, de faire des choix communs et sensés.

Mais même si cela parait impossible de mettre en place une économie toute verte et de gou-verner internationalement la problématique environnementale, ce qu’il faut surtout obser-ver c’est que nous faisons quelque chose, les gens se questionnent sur l’environnement, il y des conférences, des nouveaux modes de pro-duction, des légumes qui poussent sans pesti-cides,… ça mettra peut-être du temps, mais à force de prendre conscience, on finit par agir et se rendre compte que c’est toujours mieux que de ne rien faire. Ce n’est pas en disant que Copenhague était un échec que l’on va faire avancer les choses. Alors soyons optimiste est souhaitons que Rio+20 fasse faire un pas de plus à l’humanité.

Manon Stalder Pour plus d’informations, vous pouvez consulter la plateforme suisse pour Rio +20 (OFEV) : http://rio20.ch/fr/

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Loin de moi l’intention de dresser un tableau critique de notre société. Après tout, nous ne pouvons rester qu’admiratif de notre génie in-formatique, mécanique ou encore médical qui nous permet notamment de nous affranchir de difficultés autrefois insurmontables. Cepen-dant, force est de constater que notre mode de vie est aujourd’hui fortement déconnecté du vivant. Suite à la très forte urbanisation du 20e siècle, nous avons entre autres fait de notre environnement naturel un lieu à part, un lieu de jeu, de loisirs, un milieu qui ne constitue plus notre support de vie. Il en va de même s’agis-sant de notre processus de socialisation. Dès leur plus jeune âge, nous inculquons à nos en-fants une logique de compétition. En effet, notre modèle d’éducation présente notre prochain comme un concurrent alors qu’une approche plus humaine voudrait que « l’autre » soit consi-déré comme notre complément. L’outil écono-mique est quant à lui d’une efficacité redou-table, mais il s’éloigne de plus en plus de son sens premier ; à savoir « entretenir la vie sans lui porter nuisance » [Leconte, 2012]. Une his-toire résume, certes un peu simplement, notre modèle économique :

Cette histoire est celle d’un pêcheur, qui, ayant prélevé suffisamment de poissons de la rivière pour ses besoins, se repose. En début d’après-midi, un autre homme passe à ses côtés et lui demande ce qu’il fait. « Je me repose ! » lui ré-pond le premier. Sûr de lui, le second lui explique qu’il aurait tout avantage à continuer à travailler pour accroître son bénéfice. « Mais pourquoi ? » rétorque le pêcheur. L’autre explique que cela lui permettrait de faire l’acquisition d’un bateau et d’un matériel plus performant pour augmen-ter encore son bénéfice – « Mais pourquoi ? » – pour ensuite engager de la main-d’œuvre – « mais pourquoi ? » questionne toujours et encore le modeste pêcheur. « Pour se reposer » lui a répondu son interlocuteur. Incompréhensif, le premier lui demande « mais c’est ce que je fais »…

Ainsi, nos outils ont beau être d’une efficacité

prodigieuse, mais au service de qui ? La logique outrancière propre à notre mode de vie nous rend asservis par nos outils. Pour sortir de ce consentement à l’absurdité du monde, il est du devoir de chacun d’évoluer vers une autre forme de conscience, d’incarner l’utopie, soit « de rendre hommage à la vie » [Rhabi, 2012].

À ce jour, de nombreux projets s’intègrent dans cet élan, cette soif de changement, et ce, dans tous les domaines.

L’éducation des enfants constitue probable-ment un enjeu clé du changement puisqu’ils seront le plus à même de répondre aux défis planétaires qui se dessinent aujourd’hui déjà. À ce titre, plusieurs structures comme les réseaux Eduka-3000, Graine d’école, les Écoles Steiner-Waldorf, etc., ont pour objet de promouvoir une éducation basée sur des valeurs de bien-veillance, de responsabilité et d’ouverture.

Dans le domaine environnemental, les organi-sations, associations, forums, etc., se font de plus en plus nombreux et leurs activités sont toujours plus engagées. Parmi ces réseaux, nous pouvons citer les associations Brin de paille (pour la permaculture), Ateliers de la Terre (pour le développement durable), Colibris (pour une société écologique et humaine), Amis de la Terre (pour une société soutenable), Écologie au quotidien (informe les habitants des diffé-rents impacts liés à notre mode de vie), Intelli-gence Verte (pour la sauvegarde du patrimoine génétique), WWF (pour la protection de l’envi-ronnement), et ainsi de suite. Cet aperçu non exhaustif traduit la volonté d’un nombre crois-sants d’acteurs, parfois influents, de muter vers une société écologique soutenable, et ce, dans les plus brefs délais.

Le monde de l’économie ne fait pas figure d’exception. Les initiatives des personnes souhaitant soutenir le développement d’une économie respectueuse de l’homme et de son environnement sont elles aussi de plus en plus nombreuses, à l’image des associations la Nef (Nouvelle économie fraternelle), Aises (soutien

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Incarner l’utopie

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aux économies sociétales), Klub terre (soutient les projets, actions et rêves partagés), l’ESSE (économie sociale et solidaire), etc. Le milieu entrepreneurial entend aussi faire son chemin en montrant que la performance durable de l’entreprise découle de l’épanouissement des personnes qui la constituent (association Les Entreprises Humaines).

Au niveau social, les exemples d’Auroville Inter-national et de Findhorn parlent d’eux même. Ces communautés situées en Inde et en Écosse sont nées de l’aspiration d’un groupe de ci-toyens désirant obéir à une seule vérité, celle de la paix, de la concorde et de l’harmonie. Forte de plus de 2’000 personnes chacune, ces enti-tés regroupent des cultures de plus de 97 pays où tous essaient de vivre, non sans difficultés, en accord avec cette vérité, qui bannit le ma-térialisme et la possession de terre. Sans être dans l’extrême, nombreuses sont les structures qui cherchent à répondre à la désertification humaine, économique et morale propre à notre société occidentale en invitant à un changement de notre mode de vie. Citons à titre d’exemple les associations Oasis en tous lieux, Chispa, Art de vivre, Biodiverscité, Chantier pour une Se-conde Humanité, Communication non violente, Hommes de Parole, Regard’ailleurs, Spirales, Accent bien être, Fairs, etc.

Il serait encore possible d’aborder les questions de santé, de logement, de communication, de spiritualité, etc., ou une fois encore des réseaux en tout genre œuvrent pour conduire notre so-ciété sur un terrain plus stable, plus durable. À noter que la convergence de cette multitude de réseaux qui se développent tous les jours un peu plus gagne en force et nous conduit pro-gressivement à un tournant. Je finirais par citer le sociologue Edgar Morin qui résume bien la trame de cet article :

« Tout en fait a recommencé, mais sans qu’on le sache, nous en sommes au stade des commencements, modestes, invi-sibles, marginaux, dispersés. Car il existe déjà, sur tous les continents, un bouillon-nement créatif, une multitude d’initiatives locales dans le sens de la régénération économique, ou sociale, ou cognitive, ou éducationnelle, ou éthique, ou de la ré-forme de la vie… Ces initiatives ne se re-connaissent pas les unes des autres, nulle administration ne les dénombre, nul parti n’en prend connaissance. Mais elles sont le vivier du futur » [Morin, 2012].

Mickaël Pointet

Pour en savoir plus:- Philippe Leconte, 2012. Forum d’Aix-Les- Bains. Conférence plénière - Pierre Rhabi, 2010. Vers la sobriété heureuse. Ed. Actes sud, France- Edgar Morin, 2010. Éloge de la métamor-phose. Le Monde

[illustration: brive-la-gaillarde.over-blog.com]

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Pour ceux qui ne la connaissent pas, vous ver-rez en elle l’âme d’une gagnante, Lucie Ros-set est une hyperactive qui a soif d’aventures. Voyageuse et défenseuse de l’égalité pour tous, elle est aussi une étudiante de géographie qui mérite d’attirer votre attention.

Lucie Rosset partage aujourd’hui son temps entre l’ONU, le SCI (le Service Civil Internatio-nal), et l’Unil, pour ne citer que trois des grandes instances qui l’on vue passer.

Installées devant l’Unil, au soleil, les phrases commencent à s’enchaîner. Son parcours sco-laire se révèle déjà en excentricité. Lucie passe de maths-physique à économie et droit accom-pagné du grec. Arrivée au gymnase de Sévelin, elle n’y reste qu’environ 5 mois. Déjà son attrait des langues est déclaré et elle part pour Nu-remberg, en Allemagne, poursuivre ses études. Quand elle revient en Suisse pour sa deuxième année, le gymnase de Sévelin n’a plus la place escomptée et la voila au gymnase de Morges en option spécifique espagnol et option com-plémentaire chimie.

Après ce parcours chaotique, c’est le premier grand voyage : l’Amérique du Sud avec un bil-let de retour ouvert! Mais avant cela, 3 mois de boulot dans une entreprise de distribution de médicaments ; ça y est, Lucie a l’apport finan-cier qui payera une bonne partie de son voyage.

Après avoir hésité à y passer sa vie, elle rentre après 9 mois, une période qui restera gravée dans sa mémoire. Au Pérou, elle collabore d’abord avec une ONG italienne, travaillant no-tamment dans un hôpital. Puis, elle se détache de l’organisation et trouve un job quelques temps dans un « hostel » en Uruguay. Après cette petite « pause », elle part à la découverte de la vie des autochtones grâce au « Couch Surfing1 ». Ce contact lui permet de « vivre l’en-droit différemment », dit-elle un petit sourire au coin des lèvres. Quand on lui demande si elle a eu peur, seule sur ce continent, vivant chez des

1 http://www.couchsurfing.org/

inconnus, elle rétorque que non, son courage légendaire ne la quitte jamais.

Retour à la réalité ! Neuf mois se sont écoulés, mais Lucie n’en a pas encore assez vu, c’est pourquoi elle part faire un stage à l’hôpital Uni-versitaire de Cracovie ; la Pologne étant sa se-conde nation de par les liens familiaux et ami-caux qu’elle y entretient. Encore aujourd’hui, elle a notamment des projets en cours avec le SCI polonais.

Puis, suivant la lignée des femmes de sa famille, elle s’inscrit d’abord en médecine, mais il ne lui faut pas longtemps pour se rendre compte que ces études ne sont pas pour elle. L’ambiance ne lui correspond pas, il n’y a pas assez d’ou-verture et trop de compétitivité. C’est alors qu’elle débarque dans notre fabuleuse faculté des géosciences de l’environnement (GSE). L’environnement et les cours de géographie l’ont toujours intéressée. Et puis, il y a eu ce fa-meux déclique lors d’un volontariat avec le SCI en Serbie. Là-bas, elle participe au nettoyage d’une rivière avec des passionnés de la cause environnementale qui éveillent son intérêt dans ce domaine. Déjà après un mois, elle en est per-suadée, la faculté de GSE, c’est le bon choix.

L’aventurière n’a cependant pas dit son dernier mot, l’Unil, d’accord c’est sympathique, mais surtout ne pas laisser ses passions s’éteindre dans la masse théorique. Quand on lui demande quel conseil elle pourrait donner aux étudiants, il n’y a pas d’hésitation, elle rétorque : « les étudiants doivent s’engager, surtout ne pas rester inactifs ». C’est ce que fait Lucie, depuis quelques temps maintenant puisqu’elle travaille en tant que représentante de la jeunesse Suisse à l’ONU2 à Genève, ou plutôt dans le monde entier, puisqu’on la retrouvera à Rio +20 en juin 20123 !

2 Dans le cadre du projet « YouthRep » dirigé par le Conseil Suisse des Activités de Jeunesse (CSAJ) et le Département Fédéral des Affaires Etrangères (DFAE). www.youthrep.ch3 Cf article « Rio+20, un pas de plus »

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Lucie Rosset : une étudiante à la vie trépidante

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Mais si vous avez le malheur de lui dire qu’elle est une politicienne, elle vous expliquera que ce n’est pas parce qu’on défend ses convictions que l’on fait de la politique. Elle se situe plutôt dans une phase d’apprentissage, dit-elle, l’ONU étant une expérience et le monde international tout nouveau à ses yeux. Mais Lucie souligne déjà que le problème de cette organisation est sa structure. Effectivement, comment peut-on légitimer que 5 pays - les gagnants de la se-conde Guerre Mondiale - puissent avoir un droit de veto, et par conséquent, un pouvoir dispro-portionné et inadapté à la réalité du monde ac-tuel ? Cependant Lucie relativise, au moins, il se passe quelque chose pour améliorer l’Etat du monde. Au sujet de Rio +20, la première chose que Lucie explique, c’est qu’elle est impres-sionnée du nombre phénoménal de gens qui s’engagent pour contribuer à l’édifice. Le sujet est large et tout le monde a son mot à dire. Pour Lucie, il n’y a pas de doute, la communication internationale est importante mais c’est sur-tout au niveau local qu’il faut agir. La différence qu’elle remarque avec Rio 1992, est qu’à ce moment-là, le sujet était nouveau, les représen-tants évoquaient de grandes révolutions, plein d’espoir. Maintenant, on stagne, chacun a une réalité différente et la coopération n’est pas évi-dente, « un « zero draft » de 200 pages c’est contre-productif »! Le sujet la passionne telle-ment que l’on se demande si la belle a une vie à côté de ses occupations. Pourtant quelques fois, elle dit « stop » et prend du temps qu’elle passe en famille ou avec ses amis, qui d’ailleurs la soutiennent beaucoup dans ses activités. Lucie n’a pas un modèle de vie : « je m’inspire de chacune des personnes que je rencontre sur la route » dit-elle. Et sa route est sans fin, pleine de détours et d’imprévus qui n’en finissent pas de faire rêver.

Manon Stalder

[photo: Manon Stalder]

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Mais quelle est donc cette bière qui s’est sour-noisement introduite aux workchopes® GSE sans prévenir ? Alors que la Sagres© s’était im-posée depuis les débuts, elle a récemment été détrônée par un breuvage plus onéreux… mais local !!! Car ne l’oubliez pas petits GSE « pensez global, buvez local » !

Afin d’éviter de critiquer sans connaître, décou-vrez brièvement l’histoire de cette brasserie artisanale de proximité. Ceci n’est pas un conte pour bisounours© mais bien l’aventure extra-ordinaire de trois amis d’enfance de Jouxtens. L’histoire se veut toutefois légèrement féérique, commençant le jour des 16 ans de Gabriel lors duquel il reçoit un kit de fermentation. Les pre-mières tentatives de la Brasserie du Dérochet© s’effectuent donc de manière totalement expé-rimentale. La passion gagne cependant rapide-ment les trois compères qui effectuent stages en brasseries et voyages éducatifs en Belgique à côté de leurs hautes études.

Des 20 litres mensuels dans la cuisine familiale, les autodidactes passent à 4’000 qu’ils parsè-ment dans les bars et restaurants de la région sans intermédiaire afin de maintenir un com-merce de proximité. Un déménagement a été nécessaire en 2004 pour de plus grands locaux à Epalinges mais la mise sur le marché en 2009 ne cesse de faire augmenter la demande. Effec-tivement la brasserie artisanale suscite toujours plus l’intérêt. Après un premier reportage de TVRL© (anciennement télévision de la région lausannoise) en 2005, elle a grimpé à la une (TSR©) dès 2007.

Le nom initial Dr Gab’s beer© étant déjà connu localement, il n’a que faiblement été modifié pour donner la Brasserie Docteur Gab’s©. Cette dernière fait actuellement partie des plus impor-tantes brasseries artisanales lausannoises et a décroché le coup de cœur du jury du PERL© (Prix Entreprendre Région Lausanne) 2012.

Si vous aussi vous voulez participer à l’ascen-sion extraordinaire de la Houleuse, de la Tem-pête, voire de la Ténébreuse, rendez-vous au

workchope® GSE autour d’une bière pression locale. Il est également possible de côtoyer di-rectement les cuves dans les locaux de la Bras-serie Dr Gab’s. Pour plus d’information, com-mandes, t-shirt et autres, visitez le site internet www.docteurgabs.ch.

Pour toute plainte concernant l’abandon de la Sagres©, contactez le bureau des réclamations : [email protected]. Attention les compliments sont également acceptés !!!

Laure Borgeaud

[photo: Laure Borgeaud]

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La Sagres© se fait refouler...

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Des bureaux sont déjà réservés pour l’équipe du Prof. Pini. Facilitant ainsi le comptage des véhicules pour les TP de géographie des transports.

Zélig a installé un tout nouveau type de tireuses avec un débit de 400 L minute ! De belles soirées en perspec-tive !!!!

Création d’un bac à sable pour les géo-logues. Les excur-sions coutant trop cher, il était néces-saire de trouver une solution sur place pour les camps de terrain.

On est en GSE et faudrait pens-er un peu plus à l’environnement en commençant par laisser moins de dé-chets dans les salles de cours. Campus Plus a équipé une salle de torture pour les indélicats !

Les doctorants ont souvent de la peine à travailler. Sur le modèle des monastères francis-cains, des cellules (lit-toilettes-table) ont été aménagées au sous-sol !

L’UNIL compte sur l’autocontrôle et la délation afin d’augmenter la pro-ductivité. Vue pano-ramique sur le bu-reau des collègues !

Le petit côté « glauque » de cou-loirs rappel qu’on est pas là pour rigoler ! Faut bosser au risque de termin-er dans les cellules du sous-sol.

Y a pas à dire, ce bâtiment bling-bling claque !

Certains mem-bres de la rédac-tion songent à rater leur année pour rester un peu plus longtemps !

[photo: Lucien Grangier]

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Les 8 bonnes mauvaises raisons d’aimer ou pas Géopolis

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[Photos: Diane Golay]

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