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ANDRÉ MASTOR

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livre, polar

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9 €ISBN : 978-2-84698-364-8

ANDRÉ MASTOR aime les trajectoires de vies brisées entre les mâchoires de la grande

Histoire. Complots, coups bas, manœuvres et trahisons sont le lot de ses héros,

qu’ils soient ceux de la Corse paolienne, de la décolonisation ou comme ici

de l’Irlande insurgée.

et homme était un vrai loup, un loup comme il n’en existera plus ou, si vous préférez, un putain d’enfoiré. Il fut, entre autres, le responsable de l’as-

sassinat de Lord Mountbatten, du dynamitage d’un hôtel à Brighton où se tenait le congrès du parti conservateur et d’un hold-up sanglant à Belfast. Pas moins… » Le commandant Paravisini resta pensif un moment puis laissa échapper un petit siffl ement involontaire.

***Le petit siffl ement annonciateur d’un grand souffle dévastateur. Car la mort suspecte de celui qui passait pour un paisible rentier, occupé depuis plus de vingt ans à réchauffer ses vieux os au soleil du Midi, réveille bientôt les démons en colère…Ceux des victimes, ceux des combattants, ceux même du policier corse.

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Prologue

« Saveriu, Saveriu… Ça fait, vous savez quoi, Sévère ! J’ai décidé de vous appeler Summer. »

Elle avait posé ses lèvres contre son oreille pour se faire entendre par-delà le moteur rugissant du yacht. Les gardes du corps, malgré eux, clignèrent des paupières et jetèrent un œil vers la jeune fille. Il n’était pas amical. Cela faisait trois bonnes semaines que ce petit jeu avait libre cours avec son lot d’apartés et de petits rires compli-ces. Sûr que son père n’apprécierait pas. Et de là à les rendre responsables, il n’y avait qu’un pas. Minuscule, même, alors que le superbe navire doté d’une vitesse moyenne de trente nœuds avait enjambé une bonne portion de Méditerranée.

À nouveau, elle était penchée vers lui mais il prenait bien soin de baisser la tête. Les trois gardes du corps se contentèrent de se regarder cette fois-ci. Ils se ressem-blaient étrangement avec une chemise blanche ouverte sur un torse aux muscles tendus, un pantalon de toile légère noire et des moustaches barrant leur visage sombre et dur, un HK MP5 toujours à portée de main.

« À Londres, l’hiver dernier, j’avais toujours froid et je ne rêvais qu’à l’été sur la côte d’azur. Un été au ciel du même bleu que vos yeux. Voilà pourquoi, vous êtes désormais Summer. »

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D’un coup de baguette magique, Samia, fille d’un richissime banquier des Émirats arabes avait changé un prénom. Dans la minute, tout le monde sur le navire, des gardes du corps aux cuisiniers et femmes de ménage en passant par les divers enseignants : maintien, français, gymnastique, gestion… lui donneraient du Summer. Y avait certainement pire ! Samia avait quinze ans, des cheveux bouclés courts, un air fripon et des yeux noirs un rien scrutateurs, qui couvaient de folles arrière- pensées. Elle voulait Summer pour elle seule et qu’on ne lui parle pas de religion, de race ou de différence d’âge. Elle n’en avait rien à battre. Summer venait de terminer ses études d’ingénieur arts et métiers quand un camarade d’enfance qui vivait à Nice, chaperon en titre de Samia pour les vacances d’été, avait été opéré d’urgence d’une péritonite. Le service de sécurité de la banque lui avait demandé de trouver un remplaçant après l’avoir dûment indemnisé. Après une enquête de moralité confiée à la police française, Saveriu Alberti avait été engagé. Son job depuis deux ans maintenant (Samia ne désirait plus que lui), consistait à préparer ses allées et venues et lui servir de chauffeur et de guide. Le tout avait été assorti de deux recommandations : ne jamais la regarder dans les yeux en présence d’autres personnes – comme elle était accompagnée en permanence de gardes du corps, cela voulait dire tout le temps même s’il lui arrivait de braver l’interdit – et perdre systématiquement, si l’occasion de jouer au tennis contre son père se présentait. Quelques heures avant de franchir la passerelle du yacht, il avait dû se plier à cette dernière règle et décrocher au moment

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opportun dans le dernier set au milieu d’une tempête de rires du banquier qui se proclamait imbattable.

Quand la ligne mauve et sinueuse d’une côte se détacha dans le crépuscule, Samia demanda à Hamad, le chef des gardes du corps, de poser un bandeau sur les yeux de Summer. Une surprise de taille l’attendait pour son vingt-sixième anniversaire. Il était pour le moment confortablement assis sur la plage arrière du yacht. Au bout de quelques minutes, ses narines recueillirent un doux parfum sucré qu’il lui semblait reconnaître. Ses joues reçurent la caresse lourde de la terre toute proche. Il était devenu soudain d’une humeur guillerette parce qu’il avait deviné, et seule Samia pouvait posséder une telle délicatesse. Le yacht ralentit considérablement sa course, amorça une courbe, puis jeta l’ancre dans un fracas de chaîne.

« Vous pouvez enlever votre bandeau », annonça la jeune fille.

Summer découvrit alors un spectacle digne d’un rêve. La ville d’Ajaccio, sa ville natale, s’étirait paresseu-sement le long de la mer. Une file de voitures était parfai-tement visible, éclairée par des réverbères alors que des étoiles par brassées se figeaient dans le ciel. Un cuisinier apporta un magnifique gâteau d’anniversaire surmonté de petits feux de Bengale. Summer remercia Samia et, tête baissée, souffla les bougies en une seule fois.

La vie était parfois plus belle que la vie mais il ne pouvait imaginer la saloperie finale qui allait clore cette soirée féerique. Il ne pouvait imaginer qu’il restait à peine deux heures à vivre à Samia.

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L’homme à la barre coupa le moteur du zodiac. La nuit était tombée, avare du moindre morceau de lune. La mer était plate sans aucune ride. Les trois autres hommes ramaient doucement vers le yacht qui pointait son museau enluminé vers la grande plage de Capo di Feno que Summer fréquentait lorsqu’il était en vacances à Ajaccio. Toutes les deux minutes, ils relevaient les rames, en évitant le moindre clapot, pour laisser filer le pneumatique sur son erre. Le pont du yacht baignait dans la pénombre. Salem et Morad, les deux autres gardes du corps, fumaient une cigarette. Hamad parlait à voix basse dans son portable ou faisait semblant. Samia buvait une menthe dans le salon que Summer avait déserté, quelques instants, pour aller dans sa cabine. Salem venait de se pencher à la rambarde afin de jeter sa cigarette. Il sursauta vivement comme s’il avait été mordu par un serpent et agrippa son pistolet-mitrailleur aussi vite qu’il put. Il lâcha une rafale alors que plusieurs balles tirées avec un silencieux frappèrent sa poitrine et le projetèrent en arrière. D’autres rafales s’ensuivirent, arrosant le pont. Alerté par la fusillade, Summer fonça devant la porte du salon et découvrit Samia, la tête reposant sur le bord d’un canapé, les yeux grands ouverts, un filet de sang barbouillant sa bouche. Elle portait un des T-shirts qu’il lui avait donnés. Elle ne s’habillait d’ailleurs plus que comme ça. Avec ses T-shirts ou ses chemises. Il poussa un cri de bête fauve et fonça vers la plage arrière pour se saisir d’une hache suspendue près d’un extincteur. Il vit distinctement une arme braquée sur lui, et l’homme qui la tenait, malgré l’épaisseur de la nuit. Ce n’était pas un agresseur. C’était Hamad. Le garde du corps tira

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à deux reprises sur lui. Morad était allongé à ses pieds, les bras en croix. Summer n’eut pas le temps de prendre conscience de la situation. Des inconnus étaient parve-nus à s’introduire à bord et l’une des personnes censées les protéger essayait de le tuer. Il reçut une balle dans le haut de la hanche qui lui arracha un grognement de douleur. Il plongea dans la mer. Il bloqua sa respiration et en plusieurs brasses vigoureuses, malgré la blessure qui brûlait, s’éloigna du navire. Quand il refit surface, il entendit encore des coups de feu épars puis la voix du cuisinier. Une autre voix l’emporta sur le reste. Il recon-nut celle de Hamad. Les deux hommes conjuguaient leurs efforts pour contrôler la situation. Hamad le traître jouait à nouveau au protecteur.

Le zodiac démarra dans les ténèbres et passa à moins d’une cinquantaine de mètres de lui. Des voix d’hommes. Elles s’exprimaient en français. L’une d’elles révélait un fort accent marseillais.

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L’aube s’était levée sans crier gare. Summer, une main posée à plat sur sa blessure, avisa un sentier abrupt qui serpentait vers des collines et s’y engagea. Il s’éloigna sans regret de la mer qui bordait la pointe de Capo di Feno car elle représentait le danger. Le yacht n’était plus là. Il l’imaginait faire route vers Monaco, son port d’attache, emportant avec lui le corps de Samia allongé sur son lit, le visage déjà cireux. Il passa une main devant ses yeux comme pour chasser cette vision d’apocalypse. C’était pourtant bel et bien la réalité. Le zodiac avait disparu également. La paix, la tranquillité régnaient à nouveau sur la mer malgré des vagues qui se chevauchaient. Il venait de pénétrer dans le lieu-dit appelé Porta-Rossa, à la limite d’un autre site magnifique, le golfe de Lava. Porta-Rossa se composait d’une succession de trois plages de sable blanc, encaissées entre des collines recouvertes de maquis dense ou de bois de chênes et d’eucalyptus. Des bris de corail s’amoncelaient à la pelle sur la grève. Porta-Rossa tirait certainement son nom de leur présence. Dans la nature, des couleurs variées, blanc, bleu, vert, ocre, sautaient aux yeux, arrachant des exclamations enthousiastes aux randonneurs et aux baigneurs. Quand ils tournaient le dos à la mer, ils pouvaient contempler les crêtes dentelées de collines solides. Cette profusion de beauté était presque écœurante.

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Tout en grimaçant de douleur, Summer mit un pied devant l’autre, suivant malgré lui la propre cadence de ses pas. Il réussit pourtant à s’arracher comme un sourire intérieur quand il se rappela ces quelques mots de Samia prononcés sur le pont, la veille : « Cessez de me mater, c’est tellement, c’est tellement… réjouissant ». La douleur le ramena brutalement à la réalité et des larmes glissèrent sur son cœur. Le sentier fut soudain plus pénible à gravir. Un silence lourd, pesant, s’installa, troublé par moments par quelques sifflets d’oiseaux. Summer peinait parce qu’il montait à l’assaut d’un versant. Ses yeux balayèrent l’horizon et ne rencontrèrent qu’une végétation drue, touffue, traversée uniquement par le sentier qui semblait même disparaître par endroits. En raison de la brûlure permanente qu’il ressentait, ses pensées se succédaient sans ordre apparent. Elles s’articulaient pourtant autour de Samia à qui il ne pourrait jamais déclarer son amour. Sa disparition brutale laisserait place à un abîme qu’il ne risquait pas de combler de sitôt. Il savait également comment réagirait son père. Fou de désespoir, il exigerait qu’on le traîne à ses pieds pour le supplicier jusqu’à ce que mort s’ensuive parce que Hamad le dénoncerait en tant que l’instigateur – puisqu’il avait tiré sur lui – de ce qui avait été probablement une tentative d’enlèvement de Samia. Pour faire bref, Summer était dans une impasse et n’arrivait plus à se projeter dans l’avenir. Le sien.

Une maison surgissant de nulle part était reliée à une piste bétonnée qui rejoignait une route en contrebas. C’était une maison de pierres à un étage. Résultat d’une alchimie subtile, une varangue – c’est ainsi qu’on appelle

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une véranda sous des cieux encore plus chauds – filait le long des murs. Un beau soleil maintenant inondait le jardin et faisait étinceler des couleurs variées. Un homme d’une soixantaine d’années, en propriétaire amoureux, s’arrêtait devant un rosier fourni, en humait un autre surchargé d’une multitude de boutons prêts à éclore, contemplait un magnolia florissant. Tout chantait pour célébrer le premier jour de l’été. L’homme possédait un corps mince et puissant et avait été sans doute un bel homme. Ses reins creusés montraient un endurcissement dû à l’entretien du jardin. Sa chevelure encore fournie était parsemée de fils d’argent qui envoyaient des éclats brillants sous la caresse du soleil. Il respirait avec calme et sérénité malgré qu’il fût aux aguets. Il entendit une pierre rouler, cogner contre une autre. Depuis quelques minutes, il avait décelé une présence. Son chien, un vieux labrador, n’avait rien entendu comme d’habitude. Mike Carpenter afficha une parodie de sourire quand il vit le marcheur blond s’appuyer sur le rebord du mur de pierres sèches qui longeait le portillon. Quelqu’un qui allait encore demander son chemin ou réclamer de l’eau ! Il ne fallait pas s’écarter du sentier qui serpentait dans le maquis, c’était pourtant simple que de rester unique-ment sur le parcours ! Le marcheur, pliant ses jambes, s’effondra soudain. Carpenter fit la moue malgré lui et avança de trois pas pour ouvrir le portillon. Il découvrit la traînée de sang sur la jambe. Ce spectacle ne l’enchantait guère. Pas du tout même. Il porta l’inconnu qui pesait de tout son poids dans la petite chambre qui donnait sur la varangue. Il le repoussa plus qu’il ne l’installa sur le lit. En vieux loup solitaire, Carpenter n’aimait pas cela

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et pas seulement parce que son bain de mer et sa sieste étaient compromis. Avec des gestes précis, il entreprit de désinfecter la plaie à l’alcool. Il ne faisait nul doute à ses yeux qu’il avait à faire à une blessure par balle. Ça allait être coton. Non, vraiment, il n’aimait pas ça. Appeler un docteur était par ailleurs totalement exclu. Il sortit un instant et revint avec une pince effilée qu’il entreprit de laver soigneusement. Quand il releva la tête vers le blessé, celui-ci avait les yeux ouverts et grimaçait. Après deux tentatives, Carpenter retira un joli morceau de plomb qu’il déposa dans une assiette. Il désinfecta encore la plaie provoquant des gémissements et même des râles de l’inconnu. Puis il la recousit avec du fil de pêche et donna au blessé deux cachets d’un puissant antibiotique à avaler immédiatement. C’est alors que Summer, ne voulant pas qu’on le prenne pour un quelconque voyou, raconta toute son histoire, la terminant ainsi : « Des hommes avec Hamad à leur tête vont revenir pour m’éliminer. Ils vont faire d’abord le tour de la ville. Ensuite… »

Carpenter l’interrompit sèchement avec une pointe d’accent british qui était perceptible quand il sortait de ses gonds :

« Ils reviendront ensuite à l’endroit où ils ont perdu votre trace, comptabiliseront le nombre de maisons dans le coin, ratisseront tout, vous chercheront même sous les pierres et aboutiront fatalement ici.

– Allez à la police ne servirait à rien. Les flics vont prendre ma déposition, et ensuite je me retrouverai seul dans la nature avec des tueurs à mes trousses.

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– Peut-être vaut-il mieux ainsi ? La police, je veux dire ! Les flics pourront mener des investigations à Monaco qui pourront corroborer vos dires.

– Le père de Samia possède des actions dans plusieurs banques et grosses sociétés en France. Il fera jouer tout ça en sa faveur et obtiendra qu’on lui laisse mener la traque à sa guise.

– Écoutez, je suis pris un peu de court. Vous allez pouvoir vous reposer le reste de la journée et la nuit. Demain, une femme de ménage va venir travailler à l’étage pendant deux heures environ. Nous aviserons ensuite après son départ. Je ne peux pas annuler sa venue parce que je ne l’ai jamais fait. Elle se poserait des ques-tions autrement. »

Carpenter ouvrit la porte et se retourna pour dire : « Je vous enfermerai à ce moment-là afin qu’elle n’ait pas l’idée saugrenue de se pointer ici. Je suis désolé. »

* * *

« Qu’est-ce que vous foutez là à me regarder avec cet air de revenant ? Où est Samia ? » s’écria son père. Puis il sentit une brusque chaleur envahir ses membres. Sa poitrine se resserra, oppressant son cœur. Il manqua d’air pour continuer. Il attendait mais savait désespé-rément qu’il n’avait plus rien à attendre. On devine malheureusement souvent la vérité avant que quelqu’un, en cherchant ses mots, ne vous la dise. L’angoisse du père se manifestait dans ses yeux exorbités. La crise de nerfs n’était pas loin. Il hurla encore puis ses cris

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se transformèrent en de petits gémissements d’animal craintif. Hamad ferma les yeux. Le moment était dur mais Allah savait qu’il n’avait pas voulu une telle fin. Non, simplement demander une rançon pour soutirer une bonne part de fric à l’homme assis en face de lui. Juste compensation de l’argent qu’il volait aux autres grâce à ses banques. La tentative d’enlèvement avait échoué à cause de ce con de Salem qui avait jeté sa cigarette au mauvais endroit.

Le père de Samia sanglotait doucement, la pire de ses craintes s’était réalisée. Il était brisé.

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