I.Pourquoiétudier Andromaque deRacineenclassedeTroisième? · « théâtre dans le théâtre » à...

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Troisième : théâtre, continuité et renouvellement. Histoire des arts : cahier photos couleurs dans l’édition (« La première tragédie : la guerre de Troie », « Andro- maque en décors », « Maîtres et confi- dents : le même et l’autre », « Figures de la passion »). RACINE Andromaque ISBN : 9782081295612 2,90 € – 160 p. I. Pourquoi étudier Andromaque de Racine en classe de Troisième ? On ne présente plus Andromaque, premier chef-d’œuvre d’un jeune Racine ambitieux et soucieux d’établir sa réputation : jouée pour la première fois en 1667, la pièce n’a cessé d’être reprise depuis. Avec Phèdre, c’est la tragédie de Racine la plus représentée à la Comédie-Française. Relativement facile à lire, elle est souvent choisie par les professeurs soucieux d’initier leurs élèves à la langue du XVII e siècle. Pourtant, Andromaque n’est pas seulement une pièce de « répertoire », et il ne faudrait pas réduire son étude à l’illustration d’un classicisme figé dans une définition canonique. Par-delà la sobriété des effets théâtraux, le respect des règles de la vraisemblance et de la bienséance, qui rompent avec l’esthé- tique baroque, une dimension spectaculaire subsiste dans l’œuvre : d’incessants revirements, un dénouement impression- nant (un roi qu’on assassine, une princesse qui se suicide, un prince qui sombre dans la folie, une guerre à venir), la présence du Andromaque | 1 Meta-systems - 18-03-13 13:29:28 FL1674 U505 - Oasys 19.00x - Page 1 - BAT Fiches pedago - Dynamic layout ×

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■ Troisième : théâtre, continuité etrenouvellement.■ Histoire des arts : cahier photoscouleurs dans l’édition (« La premièretragédie : la guerre de Troie », « Andro-maque en décors », « Maîtres et confi-dents : le même et l’autre », « Figures dela passion »).

RACINEAndromaqueISBN : 9782081295612

2,90 € – 160 p.

I. Pourquoi étudier Andromaquede Racine en classe de Troisième ?

On ne présente plus Andromaque, premier chef-d’œuvre d’unjeune Racine ambitieux et soucieux d’établir sa réputation :jouée pour la première fois en 1667, la pièce n’a cessé d’êtrereprise depuis. Avec Phèdre, c’est la tragédie de Racine la plusreprésentée à la Comédie-Française. Relativement facile à lire,elle est souvent choisie par les professeurs soucieux d’initierleurs élèves à la langue du XVIIe siècle. Pourtant, Andromaquen’est pas seulement une pièce de « répertoire », et il ne faudraitpas réduire son étude à l’illustration d’un classicisme figé dansune définition canonique.

Par-delà la sobriété des effets théâtraux, le respect des règles dela vraisemblance et de la bienséance, qui rompent avec l’esthé-tique baroque, une dimension spectaculaire subsiste dansl’œuvre : d’incessants revirements, un dénouement impression-nant (un roi qu’on assassine, une princesse qui se suicide, unprince qui sombre dans la folie, une guerre à venir), la présence du

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« théâtre dans le théâtre » à travers le jeu de rôle auquel se livrentPyrrhus, Hermione et Oreste. Ces éléments font d’Andromaqueune ouverture de choix à l’univers complexe de la tragédie.

En Troisième, la lecture de l’œuvre trouve aisément sa place ausein d’un itinéraire allant « de la tragédie antique à la tragédiecontemporaine », conformément aux recommandations des pro-grammes : la confrontation du texte de Racine à différentessources gréco-romaines auxquelles le dramaturge a emprunté sonsujet (Andromaque d’Euripide et La Troade de Sénèque, entreautres) permet à l’élève de mesurer les écarts opérés par ce dernier.

On pourra aussi présenter l’évolution des conditions de repré-sentation de la tragédie et faire comprendre la spécificité ducontexte historique, culturel et théâtral dans lequel a écrit Racine.

Enfin, le dossier de l’édition propose des extraits qui, en revi-sitant ou en subvertissant les codes de la tragédie antique,évoquent les guerres contemporaines. On a l’habitude de mettreen rapport Andromaque de Racine avec La guerre de Troie n’aurapas lieu de Jean Giraudoux, qui tisse un lien entre une « réalité »mythique et la Seconde Guerre mondiale. Mais le thème de lafemme face à la guerre trouve également des prolongements inté-ressants chez Brecht (la scène intitulée « Referendum » dansGrand-Peur et Misère du IIIe Reich ou encore Les Fusils de lamère Carrar) ou, plus récemment, dans Rwanda 94, spectacledu collectif Groupov.

Notre séquence se déroule sur neuf séances. Les nombreusesannotations du texte et le lexique de la passion présent dans ledossier permettent de contourner une partie des obstacles liés àla découverte de la langue classique.

Il est préférable que les élèves aient lu l’intégralité du texteavant de commencer son étude, mais les deux premières séancespeuvent aussi avoir pour fonction de les préparer à une lecturequ’ils pourraient appréhender.

Les activités proposées permettent de varier les approches dutexte théâtral : lecture analytique (à partir des « parcours de lec-ture » présents dans le dossier), étude de l’image, question desynthèse, comparaison de différentes mises en scène, mise envoix, ouverture sur des groupements de textes et des écrits demetteurs en scène. Les séances prennent appui sur le contenu del’édition : la présentation réunit tous les éléments nécessaires àla contextualisation de la pièce, le dossier permet aux élèves de

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préparer la plupart des activités. Enfin, le cahier photos couleursprésente des documents de nature variée (tableaux, plan dedécors, photographies d’archives) qui servent de support auxanalyses iconographiques réparties dans la séquence.

II. Tableau synoptique de la séquence

Séances Supports Objectifs Activités

1 Dossier, corpus – Faciliter l’entrée – FormulationUne « mise en de répliques dans l’œuvre et d’hypothèses de

bouche » contenu dans créer des horizons lecture ou rédactionle questionnaire d’attente de la fable à partiret lexique – Entendre de répliquesde la passion la musique choisies

de l’alexandrin – Jeu de l’« adresse– S’exercer à voix basse »à la mise en voix

2 – Présentation, Acquérir des – ExposéContexte historique « La pièce et son connaissances sur – Cours dialogué,

et biographique contexte » Racine, le théâtre rappel des– Dossier, au XVIIe siècle et la conditions dequestionnaire tragédie classique la représentationde lecture au XVIIe siècle

3 – Présentation – Acquérir des – Établir un arbreUne histoire – Cahier photos connaissances généalogique

d’après-guerre de l’édition sur le contexte – Imaginermythologique un schémade la pièce représentant– Préciser les les liens entrerelations entre les personnagesles personnages

4 – Acte I, scène 1, – S’entraîner à la – LectureL’engrenage v. 38-132. lecture analytique analytique

– Dossier, parcours – Revoir les enjeux – Comparaisonde lecture no 1 d’une scène de photographies– Cahier photos d’expositionde l’édition – Réfléchir au rôle

des confidents

5 – Acte II, scènes 3 – Comprendre – LectureUn revirement cruel et 4 ce qu’est un analytique

– Dossier, parcours « coup de théâtre » – Étude d’unde lecture no 2 – Confronter groupement– Dossier, différents extraits de textes« Groupement dramatiquesde textes no 1 : mettant en scènedes mots qui un échange crueltuent »

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Séances Supports Objectifs Activités

6 – Acte III, scène 8 – Analyser – LectureUne voie sans issue – Dossier, parcours l’expression analytique

de lecture no 3 du dilemme – Analyse de– Cahier photos – Analyser les l’image : comparerde l’édition différentes façons les personnages

dont le tragique d’Andromaquepeut s’inscrire et d’Hermionedans le corps à travers différentesdes comédiens mises en scène

7 – Intégralité Étudier les – RédactionUn dénouement de l’acte V caractéristiques d’un paragraphe

prévisible ? – Dossier, question du dénouement argumentéde synthèse tragique – Analyse d’image– Cahier photos del’édition

8 – Dossier, – Étudier Étudier unContinuité et « Groupement l’évolution groupement

renouvellement de textes no 2 : du genre tragique de textesles femmes face de l’Antiquitéà la guerre à aujourd’huiet au malheur » – Analyser– Hector et un tableauAndromaque deDe Chirico, reproduitsur le versode couverture

9 Intégralité S’entraîner Imaginer un autreÉvaluation finale de la pièce à l’écriture dénouement pour

d’invention Andromaque

III. Déroulement de la séquence

Séance no 1 : une « mise en bouche »

Objectifs → Faciliter l’entrée dans l’œuvre et créer des horizonsd’attente.

→ Entendre la musique de l’alexandrin.→ S’exercer à la mise en voix.

Support → Dossier, corpus de répliques contenu dansle questionnaire et lexique de la passion.

Cette séance se déroule en deux temps. Elle vise à donner despremiers repères aux élèves et à préparer la lecture si elle n’a pasencore eu lieu. Dans le cas contraire, elle permettra de consoli-

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der leurs connaissances et de corriger d’éventuels contresens liésà la relative difficulté du texte.

La première partie de la séance 1 privilégie une entrée auditivedans le texte. Les élèves pourront mémoriser certaines répliqueset découvrir de façon sensible certaines thématiques de la pièce.On fera quelques rappels sur la prononciation de l’alexandrin.

Le groupe classe est divisé en deux. Une moitié des élèves estassise sur des chaises réparties dans l’espace, avec pour consignede garder les yeux fermés. Les élèves du second groupe se voientattribuer une réplique tirée du corpus proposé dans le dossierde l’édition, et tour à tour doivent aller la murmurer aux oreillesde chacun des élèves assis, en changeant chaque fois la manièrede la prononcer. Les élèves peuvent jouer sur le ton, la plusou moins grande rapidité de la diction, les effets sonores (duchuchotement à l’adresse à voix basse, de la proximité à l’éloi-gnement). Après un premier parcours, les groupes s’inversent.Enfin, on interroge les élèves sur ce qu’ils ont ressenti et sur lesréseaux de sens qu’ils ont réussi à reconstituer.

La seconde partie de la séance prend appui sur les questionsaccompagnant le corpus de répliques dans le dossier de l’édi-tion, et éventuellement sur le lexique de la passion. Les réponsestrouvées permettront de repérer plusieurs thématiques (le dépitamoureux, le dilemme, la guerre, le chantage). On pourra alorsdemander aux élèves de formuler des hypothèses de lecture ou,s’ils connaissent déjà la pièce, d’en rédiger succinctement lafable.

Séance no 2 : contexte historiqueet biographique

Objectif → Acquérir des connaissances sur Racine, le théâtreau XVIIe siècle et la tragédie classique.

Supports → Présentation, « La pièce et son contexte ».→ Dossier, questionnaire de lecture.

1. Cet exercice s’inspire de l’excellent ouvrage Coup de théâtre en classeentière, de Chantal Dulibine et Bernard Grosjean, SCEREN, CRDP, académiede Créteil.

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La deuxième séance doit permettre aux élèves d’acquérir desconnaissances sur la situation du théâtre au XVIIe siècle, sur lafigure de l’auteur et sur le genre tragique. On pourra pour celas’appuyer sur des exposés d’élèves et/ou exploiter le question-naire général de lecture présent dans le dossier de l’édition.

S’agissant des conditions de la représentation théâtrale auXVIIe siècle (question 2), on insistera sur le fait que nous sommesface à un art neuf, encore en construction : les séances com-mencent tout juste à se tenir dans des lieux spécifiques, le publicest encore majoritairement debout et peut se montrer bruyant etindiscipliné. Il existe une certaine porosité entre l’espace scé-nique et la salle : on pourra présenter aux élèves la gravure deJean Lepautre, reproduite dans l’édition, qui montre des specta-teurs assis sur la scène. La séance théâtrale est encore avant toutun moment de sociabilité : les spectateurs viennent pourentendre des comédiens, certes, mais aussi pour se rencontrer.

À partir de ces remarques, qui permettent d’assouplir un peula vision d’un théâtre corseté par les règles classiques, on pourrafaire relire aux élèves le chapitre sur la tragédie. On les amèneraensuite à formuler une définition synthétique de cette dernière(question 3) et on les interrogera sur la façon dont Racine a faitévoluer le genre (question 4).

Séance no 3 : une histoire d’après-guerre

Objectifs → Acquérir des connaissances sur le contextemythologique de la pièce.

→ Préciser les relations entre les personnages.Supports → Présentation.

→ Cahier photos de l’édition.

Après la lecture de la partie de la présentation de l’éditionconsacrée à la généalogie des Atrides, on demandera aux élèvesd’établir l’arbre généalogique de chaque personnage (question 5dans le questionnaire général de lecture du dossier). On pourras’appuyer sur le cahier photos pour rappeler certains épisodesde la guerre de Troie, et notamment ceux qui concernent lepersonnage d’Andromaque. On mettra en valeur le fait quePyrrhus, Hermione et Oreste sont « fils de » ou « filles de », alors

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qu’Andromaque est placée sur la même ligne générationnelleque les grands héros de la guerre : elle représente le passé.

On fera ensuite travailler les élèves en binômes sur les ques-tions 6 et 7 du questionnaire général de lecture du dossier, puison leur demandera de restituer et de confronter leurs schémas.

À travers l’examen des différentes relations entre les person-nages, leurs rôles d’adjuvants ou d’opposants, on mettra en rap-port l’impossibilité des couples en présence et le mécanismetragique de l’œuvre : le spectateur sait par avance que certainspersonnages seront sacrifiés. Parmi eux, Oreste mérite un traite-ment particulier. Il est le seul à ne pas être aimé, et ses actes lemènent successivement à soutenir puis à contrer l’union de Pyr-rhus et d’Hermione : cette solitude et ces actions contradictoiresexpliquent en partie sa chute dans la folie à la fin de la pièce.

Séance no 4 : l’engrenageObjectifs → S’entraîner à la lecture analytique.

→ Revoir les enjeux d’une scène d’exposition.→ Réfléchir au rôle des confidents.

Supports → Acte I, scène 1, v. 38-132.→ Dossier, parcours de lecture no 1.→ Cahier photos de l’édition.

Cette séance poursuit le travail de caractérisation de la tragé-die commencé dans la séance précédente et permet d’étudierl’une des conventions du théâtre classique : la scène d’exposi-tion, numéro d’équilibrisme par excellence. Difficile en effet decréer une tension dramatique et de préserver le naturel en don-nant au spectateur toutes les informations dont il a besoin pourla compréhension de l’œuvre. Racine y parvient grâce auxretrouvailles émouvantes d’Oreste et Pylade, qui lancent lemécanisme tragique. Le développement ci-dessous suit les ques-tions proposées dans le parcours de lecture no 1 du dossier, quiporte sur la scène 1 de l’acte I, v. 38-132.

■ Un échange instructif1. Les rouages de l’intrigueLa tirade d’Oreste est riche d’informations. Le contexte histo-

rique et politique est lié à la guerre de Troie : les Grecs se

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plaignent de Pyrrhus parce qu’il maintient en vie Astyanax, filsd’Hector, « reste de tant de rois sous Troie ensevelis » (v. 67-72).Officiellement, Oreste arrive en Épire pour persuader Pyrrhusde livrer l’enfant à ses ennemis (v. 89-92). En réalité, son ambas-sade est un prétexte pour revoir et tenter de conquérir Her-mione, dont il est toujours amoureux : « Heureux si je pouvais[…] au lieu d’Astyanax lui ravir ma princesse » (v. 93-94). Celle-ci prodigue son amour à Pyrrhus qui, peu sensible à sescharmes, « porte ailleurs son cœur et sa couronne ». SelonPylade, c’est en effet pour Andromaque « que ses feux ontéclaté » (v. 108-109). Or cette dernière n’a que haine et méprispour son ravisseur, et reste sur ses positions malgré l’odieuxchantage dont elle est l’objet : Pyrrhus menace sans cesse detuer son fils si elle ne se donne pas à lui (v. 111-114).

2. Le registre tragique

On retrouve dans cette scène toutes les caractéristiques duregistre tragique. Les personnages sont nobles et prestigieux :un prince, une princesse, un roi et une reine. Tous sont en proieà des forces « funestes » (v. 45) qui les privent de leur liberté :Oreste, Hermione et Pyrrhus subissent les affres de la passionamoureuse ; Andromaque est soumise au pouvoir de l’ennemi.Ainsi, dans la tirade d’Oreste, la rhétorique de la passion et dudésespoir rencontre celle de l’impuissance : « […] ma résistanceest vaine,/Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne »(v. 97-98). Oreste cherche à émouvoir. Il en appelle à la pitié dePylade – et donc du spectateur : « n’accable point un malheu-reux qui t’aime » (v. 38).

■ Des personnages imprévisibles

1. Instabilité d’Oreste et Pyrrhus

La tonalité hyperbolique de la tirade d’Oreste et ses nom-breuses phrases interrogatives révèlent un personnage inquiet,avide de conseils, en proie à des émotions exacerbées qui le fontpasser par toutes les modalités de la passion : de l’amour à latristesse, de la tristesse à la colère, de la colère à la haine (« Jepris tous mes transports pour des transports de haine », v. 54)

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et enfin de la haine à l’euphorie (« il s’élève en [mon âme] unesecrète joie :/Je triomphe »).

Décrit par Pylade, Pyrrhus est la fois l’ennemi et le miroird’Oreste : sa passion le conduit à prendre des décisionscontradictoires, comme le montre cette antithèse introduitepar une anaphore expressive : « Il peut, Seigneur, il peut,dans ce désordre extrême,/Épouser ce qu’il hait, et punir cequ’il aime. »

Pour les deux personnages, la mort est déjà à l’horizon :Oreste menace de se tuer, Pyrrhus menace de tuer Astyanax.

2. Entre lucidité et aveuglement

Oreste avoue qu’il s’est autrefois leurré sur ses propres senti-ments, comme le montre la récurrence du verbe « croire » et lechamp lexical du faux-semblant : « Je fis croire et je crus mavictoire certaine » (v. 53) ; « je crus étouffer ma tendresse »(v. 57) ; « je pris tous mes transports pour des transports dehaine » (v. 54) ; « ce calme trompeur » (v. 58). Il ne cherche plusà étouffer sa passion : « De mes feux mal éteints je reconnus latrace » (v. 86) ; « Je sentis que je l’aimais toujours » (v. 88). Lavérité des sensations prend le pas sur le calcul et le raisonne-ment. Sans illusion sur les sentiments de l’« ingrate » Hermioneà son égard, il est néanmoins déterminé à aller jusqu’au bout dela logique passionnelle.

■ Une ouverture funeste

1. Deux projets contradictoires

Oreste arrive en Épire officiellement pour réclamer Astyanaxà Pyrrhus et officieusement pour reconquérir Hermione : « Heu-reux si je pouvais […] au lieu d’Astyanax lui ravir ma princesse »(v. 94). Cette ambiguïté enferme Oreste dans un piège : sa mis-sion politique semble en effet incompatible avec sa mission sen-timentale, puisque menacer Astyanax risque de couperdéfinitivement Pyrrhus d’Andromaque – et donc de le rappro-cher d’Hermione. Cette issue est cependant encore incertainepour Pylade, en raison du comportement erratique de Pyrrhus.

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2. Intérêt dramatique de la scène

Cette scène crée plusieurs attentes, qui mettent en haleine lespectateur : si l’on sait déjà que la pièce conduira à une issuefuneste, on ne devine pas encore quels personnages seront sacri-fiés ni comment. La prochaine rencontre entre Oreste et Pyrrhussemble lourde de dangers, en raison des contradictions et del’imprévisibilité qui caractérisent ces deux hommes. L’impostureguette d’un côté comme de l’autre.

■ Prolongement

Pour prolonger cette étude, on pourra proposer une analysed’images. Les mises en scène de Muriel Mayette, Philippe Adrienet Daniel Mesguich présentées dans le cahier photos mettent envaleur la gémellité des couples maîtres/confidents. Plus qu’unallié, le confident peut apparaître comme un double du person-nage principal, voire une partie de lui-même. Ainsi certainséchanges de la pièce peuvent-ils être interprétés comme desmonologues délibératifs ou des dialogues intérieurs manifestantles conflits internes de Pyrrhus, Hermione, Oreste etAndromaque.

Séance no 5 : un revirement cruel

Objectifs → Comprendre ce qu’est un « coup de théâtre ».→ Confronter différents extraits dramatiques mettant

en scène un échange cruel.Supports → Acte II, scènes 3 et 4.

→ Dossier, parcours de lecture no 2.→ Dossier, « Groupement de textes no 1 : des mots

qui tuent ».

Les scènes 3 et 4 de l’acte II proposées à l’étude dans le par-cours de lecture no 2 du dossier forment un contraste drama-tique exemplaire. À l’exultation solitaire d’un Oreste désormaissûr de son succès succède sa brutale désillusion : Pyrrhus faitvolte-face et lui annonce avec une cruelle ironie qu’il a décidé delivrer Astyanax aux Grecs et d’épouser Hermione.

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Le développement ci-dessous suit les questions du parcoursde lecture du dossier.

■ Un moment d’euphorie bien solitaire

1. Un enthousiasme lyrique…

Seul, Oreste en profite pour libérer des émotions qu’il a rete-nues dans la scène précédente. La première personne du singu-lier et du pluriel, la tonalité hyperbolique du passage, lesapostrophes directes à l’Épire puis à l’Amour contribuent à fairede ce court monologue une pause optimiste et lyrique entre deuxscènes particulièrement tendues. Cette impression est renforcéepar l’expression de sentiments positifs, notamment à travers lesréférences au bonheur (v. 597 et 603), les évaluations subjec-tives (« une si belle proie », v. 598) et les deux phrases exclama-tives (v. 598 et 604).

Certain de son succès, Oreste semble gagné par un sentimentde puissance, ce que montrent l’anaphore initiale : « oui, oui »(v. 591) ; l’usage du futur : « vous me suivrez » (v. 591) ; et lesnombreux impératifs : « sauve » (v. 599), « garde » (v. 600), « par-lons » et « ferme » (v. 604).

2. … mais qui trahit une forme d’isolement

Malgré son enthousiasme, le personnage d’Oreste a quelquechose de pathétique : le dédoublement de soi sensible dansl’usage de la première personne du pluriel ainsi que les multiplesdestinataires de son monologue trahissent l’effort qu’il fait pourcombler sa solitude. De plus, ses adresses à Hermione (v. 590-591) et à l’Épire (v. 599 à 602) ont des accents vengeurs.

■ Une tirade accablante

1. Pyrrhus souverain

Pyrrhus assoit sa domination en rappelant son origine presti-gieuse et son rôle de roi (v. 609-612). Il dissimule donc le véri-table motif de sa décision (le dépit amoureux) derrière la raisond’État. La modalité assertive, systématique, confère de l’autoritéà son discours. La détermination de Pyrrhus semble inflexible :« Je veux » (v. 617) ; « je l’épouse » (v. 619).

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2. Une ironie féroce

Pyrrhus est parfaitement conscient du coup qu’il porte àOreste. Savamment orchestré, son revirement est annoncé defaçon assassine : dans la première partie de son discours, il créeune fausse complicité avec Oreste, en lui donnant raison et enaccédant à la demande des Grecs, mais c’est pour mieux le frap-per ensuite avec l’annonce de son mariage avec Hermione.Comble de la perfidie, il passe sous silence les sentimentsd’Oreste pour la princesse et l’associe à son (faux) bonheur : « Ilsemblait qu’un spectacle si doux/N’attendît en ces lieux qu’untémoin tel que vous » (v. 619-620) ; « Dites-lui que demain/J’attends, avec la paix, son cœur de votre main » (v. 623-624).

Dans sa première réplique, quoique méfiant, Oreste sembleconforter Pyrrhus dans sa décision. Dans la seconde, réduite àune exclamation, il ne parvient pas à dissimuler sa stupeur, quiest double : non seulement il est privé d’Hermione, mais Pyr-rhus lui apparaît dans toute sa cruauté.

■ Groupement de textes

On pourra confronter la scène de l’acte II aux extraits propo-sés dans le groupement de textes no 1 du dossier. On amènerales élèves à remarquer que les attaques assassines de Pyrrhus,Célimène et Cyrano proviennent d’une blessure narcissiqueantérieure et correspondent à la fois à un désir de vengeance età un sursaut de fierté. Il s’agit toujours de recouvrer sa dignité,de renaître à soi-même, en « tuant » l’autre de manière symbo-lique (le fameux « meurtre psychique » dont parle Ibsen). Pyr-rhus porte un coup fatal à Oreste parce qu’il a été auparavanthumilié par le mépris d’Andromaque. Cyrano malmène levicomte de Valvert parce qu’il s’est moqué de son nez, son pointfaible. Célimène rend coup pour coup à Arsinoë, qui a tenté dela blesser dans une tirade pleine de sous-entendus.

L’arme utilisée pour réduire l’autre à néant est l’ironie. Danschaque cas, les mots, en apparence complaisants, agissentcomme des couperets et sont d’autant plus efficaces qu’ils sontmaniés avec calme, plaisir et panache. Ce type d’échange corres-pond toujours à un moment de forte tension dramatique : la

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violence entre les personnages est réelle, mais reste contenue,grâce à la grande maîtrise dont font preuve les agresseurs.

Séance no 6 : une voie sans issue

Objectifs → Analyser l’expression du dilemme.→ Analyser les différentes façons dont le tragique

peut s’inscrire dans le corps des comédiens.Supports → Acte III, scène 8.

→ Dossier, parcours de lecture no 3.→ Cahier photos.

Pour commencer la séance, on répond aux questions du par-cours de lecture du dossier portant sur la scène 8 de l’acte III.

■ Une délibération à deux voix

1. Deux décisions insoutenables

L’irrésolution fébrile d’Andromaque se traduit tout d’abordpar de nombreuses questions rhétoriques qui permettent à lareine de considérer les conséquences de son choix. Son raison-nement se fait en deux temps, très symétriques :

– soit elle épouse Pyrrhus et sacrifie le souvenir d’Hector :« Quoi ? Je lui donnerais Pyrrhus pour successeur ? » (v. 984).Cette perspective lui est odieuse : « Non, je ne serai point com-plice de ses crimes » (v. 1009) ;

– soit elle condamne son fils à la mort : « Quoi ? Céphise,j’irai voir expirer encor/ce fils, ma seule joie, et l’imaged’Hector » (v. 1015-1016), ce qu’elle refuse également : « Non,tu ne mourras point : je ne le puis souffrir » (v. 1036).

2. Céphise, moteur de la réflexion

Par ses arguments et ses questions, Céphise s’efforce de bous-culer Andromaque et de la pousser à sauver son fils : elle plaided’abord la cause de Pyrrhus en insistant sur les sacrifices aux-quels il consent au nom de son amour (v. 985-991), puis, trèsfinement, elle feint ironiquement de se rendre au refus d’Andro-maque d’épouser Pyrrhus : « Hé bien ! Allons donc voir expirervotre fils :/On n’attend plus que vous ». La brutalité de cetteremarque force Andromaque à faire volte-face et lance le second

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moment de la délibération. Enfin, constatant l’irrésolution per-sistante de sa maîtresse, Céphise s’impatiente et tente de précipi-ter son choix par de brèves questions (v. 1038, 1043 et 1047).

■ Un passé très présent

1. L’impossible oubli

Le passé est omniprésent dans la délibération d’Andromaque.La reine refuse de l’effacer, comme le montrent l’anaphore desvers 992 à 996 (« Dois-je oublier… »), ainsi que le champ lexicaldu souvenir, la prédominance du passé simple, de l’imparfaitet du présent de narration, ou encore la vivante évocation desdernières paroles d’Hector, au discours direct (v. 1021-1026).

2. Un passé à la fois horrible et héroïque

Dans la première tirade, le passé s’impose d’abord à Andro-maque sous la forme d’une vision apocalyptique qu’elle sou-haite communiquer à Céphise : « songe, songe » (v. 997) ;« figure-toi Pyrrhus » (v. 999) ; « Peins-toi » (v. 1005). La reinedécrit le souvenir obsédant et traumatisant de la défaite desTroyens, avec son cortège d’abominations. La précision de l’évo-cation, à la fois visuelle et auditive, donne lieu à une hypotyposefaçonnée par les champs lexicaux de la mort, de l’horreur et dela destruction.

Dans la seconde tirade, c’est le versant grandiose du passéqui apparaît, à travers la figure héroïque d’Hector et ses der-nières recommandations.

Parce que ce passé est à la fois traumatisant et idéalisé, Andro-maque y est doublement enchaînée, ce qui la fige dans l’irré-solution.

■ Un moment de suspension dramatique

1. La constance d’Andromaque

Contrairement aux passions de Pyrrhus, Oreste et Hermionequi les rendent faibles, contradictoires, virevoltants, parfoisimposteurs, le conflit interne d’Andromaque ne la conduit pasà prendre des décisions opposées ou irrationnelles, mais àrepousser le moment d’une unique décision. La reine est le seul

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personnage à incarner la passion héroïque, et il est logiquequ’elle donne son nom à la pièce. Son dilemme est le fruit d’unedouble fidélité, conjugale et maternelle, qui la conduira à laseule décision cohérente possible : le suicide. Elle se démarquedes autres personnages par sa fermeté et sa résistance au conflit.

2. L’immobilisation de l’action

L’acte IV prend fin en laissant le spectateur dans l’incertitude.Andromaque n’a pas pu choisir et va chercher conseil sur latombe d’Hector. La tension tragique atteint son apogée, puisquele choix de la reine déterminera la nature du dénouement.

■ Analyse d’image

Pour illustrer les différents effets de la passion sur les person-nages, on se reportera aux p. 6, 7 et 8 du cahier photos, ainsiqu’aux questions correspondantes, qui figurent dans le dossierde l’édition.

Les photographies d’Hermione illustrent très nettement sonambiguïté et son inconstance à l’égard d’Oreste. Le docu-ment no 1 peut correspondre à deux moments de la pièce :

– celui où la princesse, honteuse de montrer à Oreste qu’ellea été dédaignée par Pyrrhus, finit par céder à ses instances : « si[Pyrrhus] y consent, je suis prête à vous suivre » (v. 590) ;

– celui où Hermione demande au jeune prince de la vengeret de tuer Pyrrhus.

Dans les deux cas, par fierté, Hermione affirme ou demandele contraire de ce qu’elle désire. La mise en scène de PhilippeAdrien choisit d’accentuer la dimension manipulatrice du per-sonnage. Vêtue d’une robe rouge découvrant sa peau nue, Her-mione attire Oreste à elle. Le jeune homme est dans une postured’abandon. Alors qu’il a les yeux fermés, Hermione les a bienouverts et regarde sur le côté, signe de réticence : aveuglementde l’un, conscience de l’autre. La princesse connaît sa propreimposture.

Le document no 2 illustre le revirement d’Hermione, ou plutôtle moment où la vérité de ses sentiments éclate sans retour pos-sible. Les attitudes des personnages sont inversées par rapportà celles identifiées dans le document no 1 : à un mouvement

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d’union succède un mouvement de séparation. On notera la vio-lence de la scène, visible dans le mouvement de rejet et dans laposition de la tête d’Hermione, qui montrent son dégoût et sonincapacité à soutenir le regard de celui qu’elle a attiré à elle, etdans le geste désespéré d’Oreste vers celle qui a trahi sapromesse.

La passion d’Hermione, mais aussi celles d’Oreste et de Pyr-rhus, les amènent à prendre des décisions irrationnelles, afin depiéger leur propre désir. La passion d’Andromaque est marquéepar une plus grande cohérence. Elle semble figée dans une atti-tude où se mêlent l’intransigeance et la résignation face audestin. C’est ce qu’illustrent les documents nos 3 et 4 : on noteral’absence de mouvement, la fixité du regard, l’indifférence aumonde extérieur, le refus de la séduction (qui se matérialise àtravers la nature et la couleur des costumes, mais aussi dans laposture et les expressions : fusion avec l’enfant dans le docu-ment no 3 ; visage décomposé, qui ne cherche pas à tricher, vête-ments sombres et tête recouverte d’un foulard pourpre dans ledocument no 4).

Séance no 7 : un dénouement prévisible ?

Objectif → Étudier les caractéristiques du dénouementtragique.

Supports → Intégralité de l’acte V.→ Dossier, question de synthèse.→ Cahier photos de l’édition.

Pour commencer la séance, on répond aux questions de syn-thèse proposées dans le dossier de l’édition.

■ Un dénouement classique

En un sens, nous avons affaire à un dénouement dans lesrègles. Meurtre, suicide, folie : ces catastrophes couvaient, par-fois depuis la première scène.

1. Un enchaînement fulgurant

En l’espace de trois scènes, quatre péripéties funestess’enchaînent mécaniquement : le meurtre du roi (1) provoque le

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désespoir d’Hermione, qui accuse Oreste de son malheur (2)avant de se suicider (3). La culpabilité d’avoir tué, la hained’Hermione ainsi que sa perte définitive ont raison d’Oreste, quibascule dans la folie (4).

2. Des catastrophes en gestation

Le spectateur pouvait s’attendre au sacrifice de ces trois per-sonnages marqués par l’incohérence et l’instabilité. La mort dePyrrhus (annoncée depuis la scène 3 de l’acte IV) et celle d’Her-mione sanctionnent des tempéraments versatiles et emportés,qui se perdent inéluctablement dans les fils de leurs propresimpostures. Quant à Oreste, sa fragilité est évidente depuis lapremière scène. Isolé, manipulable, il se sait écrasé par undestin injuste.

■ Une tension dramaturgique persistante

1. Encore des surprises

Si le caractère sanglant du final est prévisible en raison dugenre même de la pièce, le spectateur hésite cependant jusqu’àla fin sur l’identité des personnages qui seront amenés à dispa-raître. Ainsi peut-on être surpris d’assister à une sorte de sauve-tage in extremis d’Andromaque et d’Astyanax. Alors que Racinenourrit la tension dramatique en entretenant constammentl’incertitude sur leur sort final, il choisit finalement un dénoue-ment qui dissout le dilemme de la veuve d’Hector, nous donnantainsi l’impression d’avoir été entraînés sur de fausses pistes.Absente de l’acte V, Andromaque est tout bonnement épargnéepar la catastrophe, alors qu’elle semblait être la plus vulnérable.

Plus étonnant encore, elle se comporte soudain en veuvefidèle de Pyrrhus et réclame vengeance. C’est donc sur l’ultimerevirement d’Andromaque que se clôt la pièce.

Par ailleurs, dès le meurtre de Pyrrhus, la mécanique dudénouement a beau être implacable, elle peut étonner parl’intensité de la violence qu’elle déchaîne. Le rejet d’Oreste parHermione est particulièrement spectaculaire dans sa véhémence,de même que la crise hallucinée du jeune prince.

Reste-t-on vraiment ici dans les limites de la bienséance et dela mesure classiques ? On sent que ces frontières peuvent être

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aisément franchies, en fonction des choix interprétatifs des diffé-rents metteurs en scène. Il semble que Racine renoue ici avec lesdeux émotions fondatrices de la catharsis antique, la terreur etla pitié : terreur devant la fureur sanglante des personnages ;pitié pour le pauvre Oreste, fauché par la passion.

2. Des incertitudes

Si certains destins sont définitivement scellés, d’autressemblent plus ouverts. Ainsi, Andromaque paraît aspirer à unenouvelle guerre contre les Grecs. Le cas d’Oreste est égalementincertain, car rien ne permet de savoir si la folie dans laquelle ilbascule est provisoire ou définitive. On peut aussi se demanderquel sort l’attend à son retour en Grèce, Ménélas pouvant l’accu-ser d’avoir contribué à la perte de sa fille.

■ Analyse d’images

On pourra compléter la réflexion sur la folie d’Oreste en ana-lysant les deux clichés de la p. 8 du cahier photos. Chaquefois, Oreste apparaît dénudé. Cette nudité est à prendre au senspropre et au sens figuré. Il ôte ses vêtements parce que l’aspectfuneste de sa passion et sa misère morale éclatent au grand jour.Aux yeux de tous, il est désormais dépouillé de tout : son hon-neur, son amour, son identité même. Oreste est totalementdémuni, puisque ses choix le conduisent inexorablement vers lamort et la désolation. La nudité est l’expression de son bascule-ment dans le néant.

Séance no 8 : continuité et renouvellement

Objectifs → Étudier l’évolution du genre tragique de l’Antiquitéà aujourd’hui.

→ Analyser un tableau.Supports → Dossier, « Groupement de textes no 2 : les femmes

face à la guerre et au malheur ».→ Verso de couverture : Hector et Andromaque

de De Chirico.

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■ Groupement de textes

Après avoir rappelé le contexte de chacun des textes proposésdans le groupement de textes no 2 du dossier de l’édition (l’épi-sode mythologique de la guerre de Troie, la Seconde Guerremondiale, la guerre du Rwanda), on amènera les élèves à mettreen valeur leur point commun : chaque fois, malgré l’isolementet le désespoir, une femme fait face à un ennemi injuste et appa-remment invincible.

On peut distinguer les extraits no 1 et no 3 de l’extrait no 2.Le personnage d’Euripide et la femme de Rwanda 94 évoquentle drame d’une mère qui survit ou qui risque de survivre à sesenfants, victimes de la guerre. En revanche, le statut de la femmede « Referendum » est plus incertain : la lettre qu’elle tire de sapoche est-elle celle de son mari ? Est-ce son fils qui y est men-tionné ? Ce n’est pas sûr.

Dans les trois textes, l’émotion joue un rôle central. Lesfemmes ne cherchent pas à atteindre autrui par le raisonnement,mais par un appel au fond commun de l’humanité. C’est ce querévèle la réaction du choryphée chez Euripide : « Je t’écoute etje te plains. Le malheur fait pitié à tous les hommes, et mêmes’il atteint des étrangers. » La lecture de la lettre du père adresséeà son fils dans « Referendum » relève du même mouvement :c’est l’expression déchirante d’un adieu qui incitera les hommesà poursuivre la résistance. Quant à Yolande Mukagasana, sontémoignage s’adresse aux siens et « à l’humanité ».

Pour autant, les femmes ne réagissent pas de la même façonface au destin qui les menace. L’Andromaque d’Euripide selamente douloureusement : elle énumère les maux qu’elle asubis (voir l’anaphore « Moi qui… »), mais son malheur laconduit à une forme de résignation : « Vois, je quitte l’autel etme livre à vos mains. Vous pouvez m’égorger, me tuer, me lier,me pendre. » Cette plainte n’a pas l’accent héroïque des parolesde Yolande Mukagasana. Certes, l’appel à la mémoire estcommun aux deux textes, mais la volonté de témoigner qui sefait jour dans Rwanda 94 relève à la fois d’un acte de résistanceet d’une volonté de faire sens malgré l’absurdité de la conditionhumaine – perspective absente dans la pièce d’Euripide. Lafemme de « Referendum » s’inscrit également dans la lignée des

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résistantes. Elle se montre plus forte et plus déterminée que leshommes, qui sombrent dans le fatalisme. C’est une forme de foiqui est à l’œuvre dans les deux derniers textes.

■ Analyse d’image

On pourra compléter cette analyse de textes par l’étuded’Hector et Andromaque de De Chirico, reproduit au verso decouverture de l’édition.

Description

Deux personnages aux silhouettes mécaniques, l’une mascu-line, l’autre féminine, errent dans une sorte de désert, serrés l’uncontre l’autre, se tenant par les épaules. Soutenus par une pro-thèse en bois, ces mannequins de couleur ocre sont composésd’éléments évoquant l’architecture et la géométrie : équerres,règles, traces de couture. Leurs têtes sont blanches, dénuées devisage et d’expression, même si des fils semblent y avoir étécousus, évoquant le trajet des larmes. Les corps sont prolongéspar des ombres qui s’étirent sur le sol, suggérant la présenced’un soleil pourtant invisible. Les éléments du décor sontcubiques, simplifiés jusqu’à l’abstraction. Le fond du tableau esttrès sombre, presque noir, mais, au niveau de l’horizon, on dis-tingue une bande jaune, plus lumineuse. S’agit-il d’un lever oud’un coucher de soleil ?

Interprétation

Qu’a voulu nous dire De Chirico en représentant Hector etAndromaque sous les traits de ces personnages énigmatiques etinquiétants ? Tout d’abord, un pont est tracé entre la mythiqueguerre de Troie et la Première Guerre mondiale. Le désertévoque le territoire angoissant de la guerre : tout semble anéanti,vidé, silencieux. Ce décor atemporel, l’absence de visage et decaractères individuels des personnages nous placent immédiate-ment à un certain niveau d’universalité : quelle que soitl’époque, les couples sont séparés par la guerre et subissent uneforme de déshumanisation. La guerre transforme les individusen poupées anonymes… Malgré tout, une forme d’émotion sub-siste. L’amour transparaît encore dans les postures des manne-

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quins. Cette persistance de l’humain a peut-être un rapport avecla bande jaune au fond du tableau, seule lueur d’espoir dans cepaysage froid et sans âme.

Séance no 9 : évaluation finale

Objectif → S’entraîner à l’écriture d’invention.Support → Intégralité de la pièce.

On pourra soumettre aux élèves le sujet d’invention proposédans le dossier de l’édition, sur table ou à la maison.

Les élèves devront respecter les règles du dénouement clas-sique de la tragédie : il doit être relativement rapide, ne pasreprésenter la mort sur scène, résoudre les conflits, nous infor-mer sur le sort de tous les personnages, susciter l’émotion. Lerécit du suicide d’Andromaque par Pylade devra mentionner lesréactions en chaîne engendrées par l’événement : l’attitude dePyrrhus détermine celle d’Hermione, qui détermine celled’Oreste. Le cas d’Astyanax devra également être évoqué. Lerécit de Pylade peut évidemment laisser la place aux interven-tions d’Oreste.

Les élèves doivent prendre garde à respecter la nécessité desévénements : de nouveaux revirements dans les sentiments despersonnages, par exemple, risquent de donner un résultatmaladroit.

Emmanuelle Guillou,professeur de lettres modernes au lycée Albert Camus,

à Rillieux-la-Pape (Rhône).

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