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68 L’ achat de grands vins dans une démarche d’in- vestissement n’est pas fondamentalement neuf, mais il s’est fortement popularisé durant les deux dernières décennies avec l’arrivée de nouveaux acteurs attirés par le vin autant pour ses qualités intrinsèques que pour son potentiel en tant que placement. De fait, deux grandes tendances se font jour. D’une part, de nouveaux acheteurs, issus de pays émergents, notamment asiatiques, se sont ajoutés à la clientèle historique. D’autre part, la dimension culturelle accordée au vin ainsi que la volonté d’afficher leur réussite explique leur intérêt pour les grands crus, alors que le déve- loppement économique leur a donné les moyens de se les procurer. En parallèle, le marché du vin a connu une véritable financiarisation, marquée par l’arrivée massive d’investisseurs et le développement d’ou- tils qui lui sont dédiés. Ce phénomène trouve tout d’abord sa raison d’être dans la volonté des investisseurs à cher- cher d’autres sources de rendement et à mieux se diver- sifier. Mais l’image ainsi que les émotions véhiculées par le vin renforcent très certainement leur intérêt pour cet actif. Globalement, il existe donc deux raisons, étroitement liées, qui peuvent motiver un investissement en vin: obtenir une performance financière attractive et se faire plaisir avec de magnifiques vins. LE MARCHÉ DES GRANDS VINS Malgré ses attraits, le vin n’en reste pas moins un produit de niche qui se traite sur un marché complexe. Il est, en particulier, diffi- cile de juger de la qualité d’un vin avant de l’avoir dégusté. Cette difficulté justifie, au moins partiellement, l’influence que certains experts, tels que Robert Parker Jr. ou Jancis Robinson, peuvent exercer sur les prix des vins. De plus, comme il est coutumier de le dire, il n’y a pas de grands vins, mais seulement de grandes bouteilles. En effet, une mauvaise conservation peut dramatiquement altérer la qualité d’un vin. D’autre part, comme le «cas Kurniawan» l’a malheureusement si bien illustré, le risque de contrefaçon fait qu’il est devenu absolument crucial de s’assurer de la provenance des bouteilles. Le marché des grands vins en tant que tel présente également des caractéristiques uniques. Tout d’abord, il repose sur de multiples canaux de vente et d’achat qui rendent difficile l’établissement d’un prix de marché précis. Ce marché est également carac- térisé par la présence de nombreux types d’acteurs qui ne partagent pas tous les mêmes informations. Ainsi, à part pour les producteurs et quelques négociants, il est souvent impossible de connaître les quantités effective- ment vendues d’un certain vin. Il en résulte un manque d’efficience. Depuis quelques années, la tendance est résolument favorable aux investissements alternatifs, voire même exotiques. Les investisseurs y cherchent ce que les actifs classiques ont de plus en plus de mal à leur fournir: du rendement et, plus encore, de la diversification. Les grands vins, accompagnés de quelques autres actifs tangibles, trouvent leur place aux confins de cet univers parmi la catégorie des «actifs émotionnels». Les grands vins ou la passion comme investissement DR. PHILIPPE MASSET ET DR. JEAN-PHLIPPE WEISSKOPF, ÉCOLE HÔTELIÈRE DE LAUSANNE [ L’expansion de l’intérêt pour les grands vins a entraîné des changements structurels importants avec, par exemple, l’avènement de Hong-Kong comme place de transactions majeure ]

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L’achat de grands vins dans une démarche d’in-vestissement n’est pas fondamentalement neuf,

mais il s’est fortement popularisé durant les deux dernières décennies avec l’arrivée de nouveaux acteurs attirés par le vin autant pour ses qualités intrinsèques que pour son potentiel en tant que placement.De fait, deux grandes tendances se font jour. D’une part, de nouveaux acheteurs, issus de pays émergents, notamment asiatiques, se sont ajoutés à la clientèle historique. D’autre part, la dimension culturelle accordée au vin ainsi que la volonté d’afficher leur réussite explique leur intérêt pour les grands crus, alors que le déve-loppement économique leur a donné les moyens de se les procurer. En parallèle, le marché du vin a connu une véritable financiarisation, marquée par l’arrivée massive d’investisseurs et le développement d’ou-tils qui lui sont dédiés. Ce phénomène trouve tout d’abord sa raison d’être dans la volonté des investisseurs à cher-cher d’autres sources de rendement et à mieux se diver-sifier. Mais l’image ainsi que les émotions véhiculées par le vin renforcent très certainement leur intérêt pour cet actif.Globalement, il existe donc deux raisons, étroitement liées, qui peuvent motiver un investissement en vin: obtenir une performance financière attractive et se faire plaisir avec de magnifiques vins.

LE MARCHÉ DES GRANDS VINS Malgré ses attraits, le vin n’en reste pas moins un produit de niche qui se traite sur un marché complexe. Il est, en particulier, diffi-cile de juger de la qualité d’un vin avant de l’avoir dégusté. Cette difficulté justifie, au moins partiellement, l’influence que certains experts, tels que Robert Parker Jr. ou Jancis Robinson, peuvent exercer sur les prix des vins. De plus, comme il est coutumier de le dire, il n’y a pas de grands vins, mais seulement de grandes bouteilles. En effet, une mauvaise conservation peut dramatiquement altérer la

qualité d’un vin. D’autre part, comme le «cas Kurniawan» l’a malheureusement si bien illustré, le risque de contrefaçon fait qu’il est devenu absolument crucial de s’assurer de la provenance des bouteilles.Le marché des grands vins

en tant que tel présente également des caractéristiques uniques. Tout d’abord, il repose sur de multiples canaux de vente et d’achat qui rendent difficile l’établissement d’un prix de marché précis. Ce marché est également carac-térisé par la présence de nombreux types d’acteurs qui ne partagent pas tous les mêmes informations. Ainsi, à part pour les producteurs et quelques négociants, il est souvent impossible de connaître les quantités effective-ment vendues d’un certain vin. Il en résulte un manque d’efficience.

Depuis quelques années, la tendance est résolument favorable aux investissements alternatifs, voire même exotiques. Les investisseurs y cherchent ce que les actifs classiques ont de plus en plus de mal à leur fournir: du rendement et, plus encore, de la diversification. Les grands vins, accompagnés de quelques autres actifs tangibles, trouvent leur place aux confins de cet univers parmi la catégorie des «actifs émotionnels».

Les grands vins ou la passion comme investissement

DR. PHILIPPE MASSET ET DR. JEAN-PHLIPPE WEISSKOPF, ÉCOLE HÔTELIÈRE DE LAUSANNE

[ L’expansion de l’intérêt pour les grands vins a entraîné

des changements structurels importants avec, par exemple, l’avènement

de Hong-Kong comme place de transactions majeure ]

P A R A B A N C A I R E E T A C T I F S R É E L S

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Ce marché apparaît enfin comme en constante évolution. L’expansion de l’intérêt pour les grands vins a entraîné des changements structurels importants avec, par exemple, l’avè-nement de Hong-Kong comme place de transactions majeure, ou encore la création d’outils de valorisation, d’indices et de fonds, qui contribuent à améliorer la liquidité du marché.

QUELLE PERFORMANCE ATTENDRE? Les grands vins peuvent offrir une performance attractive sur le long-terme, notamment en termes de rendement et de diversification. Ceci dit, le risque n’est pas négligeable et il est essentiel de bénéficier d’une véritable expertise pour profiter pleinement du potentiel offert par cette classe d’actif.L’arrivée de nouveaux consommateurs depuis 2005 a contribué à faire augmenter nettement les prix des grands vins. Leurs rendements ont donc été confortables sur la dernière décennie. Sur le long terme, une hausse des prix repose, de fait, sur une augmentation durable de la demande. En tout état de cause, un rendement brut de 6% à 8% par an paraît réaliste. A court terme, les ingré-dients nécessaires à une hausse des prix sont l’avènement d’un grand millésime et de bonnes conditions économiques. Comme pour n’importe quel actif, une allocation proactive et la sélection de vins particulièrement attrayants peuvent permettre de générer des rendements plus élevés.Ce type d’investissement présente bien évidemment aussi des risques. L’évolution récente du prix des grands Bordeaux montre que ce marché peut se révéler assez vola-tile. De plus, la nature émotionnelle du vin en fait un actif atta-chant, mais tend aussi à le rendre particulièrement sensible aux comportementaux humains. Il n’en reste pas moins que ce type d’investissements offre un potentiel de diversification non négligeable et permet de s’exposer à des facteurs de risque originaux, offrant une prime potentiellement attrayante pour des investisseurs axés sur le long terme.

COMMENT INVESTIR DANS DES GRANDS VINS? Jusqu’il y a peu, la seule façon de s’offrir une exposition au marché des grands vins reposait sur l’achat direct de bouteilles et de caisses. Depuis quelques années, il est également devenu possible d’investir indirectement via des fonds d’investissement.Un investissement direct offre évidemment une plus grande flexibilité en termes d’allocation, mais implique aussi des frais de transaction, transport, stockage et assurance qui peuvent être relativement importants. De plus, une telle démarche requiert d’excellentes connaissances de l’univers des grands vins et nécessite que l’on y alloue un temps considérable.

L’avantage des fonds est en premier lieu d’ordre pratique: les investisseurs, même sans expertise particulière, peuvent ainsi se positionner sur le marché des grands vins. Evidemment l’accès à un management professionnel implique des frais de gestion qui sont souvent substantiels. Il est donc crucial d’étudier le rapport entre la valeur ajoutée du gestionnaire et les frais associés. Une autre dimension qui doit être prise en compte tient à la manière qu’a le fonds de tenir compte des problématiques induites par les spéci-ficités du marché des grands vins et notamment son illiqui-dité (conditions d’entrée et sortie, valorisation des positions du fonds).

[ L’accès à un management professionnel implique des frais de gestion souvent

substantiels. Il est donc crucial d’étudier le rapport entre la valeur-ajoutée

du gestionnaire et les frais associés ]L’arrivée de nouveaux amateurs, renforcée par l’évolution des habitudes de consommation, a pour conséquence un changement de paradigme favorable aux fonds. Les consommateurs ont de plus en plus tendance à acheter des vins à maturité afin de les consommer rapidement. Dans cet environnement, les fonds sont naturellement amenés à s’in-tercaler entre les producteurs et les consommateurs et se retrouvent, en conséquence, bien positionnés pour profiter du déséquilibre croissant entre une demande en hausse régulière et une offre de grands vins essentiellement stable.

DES PERSPECTIVES ATTRAYANTES Globalement, un investissement en grands vins offre un potentiel intéressant, mais nécessite de développer des compétences pointues et un solide réseau, ou de s’adjoindre le conseil des bonnes personnes. En effet, le manque d’efficience de ce marché représente aussi bien une difficulté pour des investisseurs sans connaissances particulières qu’une source d’oppor-tunités de surperformance pour des investisseurs bien informés.Pour le futur, les principaux vecteurs de rendements reposent tout d’abord sur une potentielle hausse de la demande globale pour les grands vins, puis sur l’antici-pation des vins qui verront leur réputation progresser plus fortement que leurs pairs. On constate que l’univers des grands vins, bien que toujours dominé par la France et plus particulièrement Bordeaux, ne cesse de s’étendre, avec des consommateurs qui petit à petit explorent l’univers des grands vins dans toute sa diversité. L’Europe, grâce aux spécificités de ses terroirs et de son climat, va probable-ment rester dans les années à venir le premier pourvoyeur de grands vins au monde. La France paraît bien armée pour mener l’évolution de l’Europe viticole, notamment du fait de son histoire, de ses traditions et de sa réputation en la matière. Globalement, le vin se positionne donc comme une alternative sérieuse de placement face au manque de ratio-nalité des marchés pour les classes d’actifs «classiques».