Introduction :

L’économie comme science

Il existe différentes manières de parler d’économie selon P. Krugman :

- Le mode journalistique ;

- Le mode aéronautique ;

- Le mode scientifique.

Toutes ces façons de parler de l’économie ne se valent pas : il faut accorder plus de crédit et d’importance au discours scientifique

Les caractéristiques de la démarche scientifique

La démarche scientifique a pour objectif de produire une connaissance fine, objective, logique et universelle du monde

qui nous entoure.

Pour y parvenir, le scientifique, ici l’économiste, s’engage dans une véritable « course à obstacles » (pour reprendre l’expression

de Gaston Bachelard) caractérisée par trois étapes fondamentales :

1) La distanciation ; 2) La formalisation ;

3) La vérification empirique

1 – L’économie comme science : le temps de la distanciation

Idée de départ : on doit accorder plus de crédit à la connaissance économique de nature scientifique qu’à la connaissance économique

ordinaire ! Pourquoi ?

1) Neutralité : l’économiste s’interdit les jugements de valeur. Ilrespecte l’impératif de neutralité axiologique cher à Max Weber. Ilse contente de réaliser des jugements de fait. Ainsi, les énoncésqu’il produit peuvent être universels (c’est-à-dire partagés par tous).

*Jugement de valeur = énoncé normatif qui repose sur des jugementséthiques, politiques ou esthétiques*Jugement de fait = énoncé qui se rapporte à la réalité objective etqui vise à la décrire, à l’expliquer et à la comprendre.

Illustration (DOC4) La moralité ne doit pas fonder la scienceéconomique (Jean Tirole) parce que :- La moralité est subjective et personnelle ;- La moralité fluctue dans le temps ;- La moralité peut réduire abusivement la liberté d’autrui ;

=> Il faut réfléchir scientifiquement sur les fondements de la moralitéen recourant aux concepts économiques (asymétries d’info,externalités, internalités)

2) Les biais inhérents à l’analyse ordinaire des faits économiquesNotre analyse ordinaire du monde qui nous entoure nous induitsouvent en erreur :i) Biais cognitif des premières impressions (DOC6) : nos premières

impressions sont le plus souvent le produit d’heuristiques (D.Kahneman –Prix Nobel), c’est-à-dire des formes de raisonnementraccourci qui fournissent des ébauches de réponses à nosquestions. Souvent ces heuristiques nous induisent en erreur(ONG et trafic d’ivoire)

ii) Biais cognitif de la victime identifiable (DOC7) : plus d’empathiepour ce qui est visible ou proche (exemple de la photo de l’enfantsyrien noyé sur les côtes turques ou bien encore les politique del’emploi)

iii) Une tendance à chercher à conforter ses croyances

2 – L’économie comme science : le temps de la

formalisation

Pourquoi une théorie scientifique ne peut pas se baser sur une induction

naïve ?

Induction : raisonnement qui consiste à partir du cas particulier et à généraliser à partir d’eux.

La dinde inductiviste de Russel

J-1 : « Le soleil se lève, mon maître me donne à manger »

J-2 : « Le soleil se lève, mon maître me donne à manger »

J-3 : « Le soleil se lève, mon maître me donne à manger »

J-4 : « Le soleil se lève, mon maître va me donner à manger »

J-5 ; J-6, etc. : le raisonnement est vérifié mais le 24 décembre…

Conclusion : le raisonnement inductif se caractérise donc par le fait que toutes les prémisses peuvent être vraies et pourtant mener à une

conclusion fausse. Si à tel moment la dinde a constaté qu’elle a été nourrie, il se peut toujours que le moment d’après, elle ne le soit pas. L’induction est

un raisonnement non fondé logiquement.

Dans cette étape, l’économiste va modéliser la réalité pour sefocaliser sur les aspects essentiels du problème auquel il cherche àrépondre. Modèle = représentation simplifiée de la réalité. « Lerecours à la théorie permet de remplacer le visible compliqué parde l’invisible simple » (J. Perrin, physicien français)Pour construire un modèle théorique, l’économiste doit définir oumobiliser des concepts (représentation abstraite et générale d’unobjet concret ou d’une relation).Une fois ces concepts définis, l’économiste doit définir deshypothèses (énoncé qui vise à rendre compte d’un fait ou d’unerelation).Un raisonnement hypothético-déductif (raisonnement qui part depropositions tenues pour vraies pour en tirer des inférences) estensuite mis en oeuvre pour obtenir des résultats théoriques.

2 – L’économie comme science : le temps de la formalisation

Le statut des maths dans la modélisation théoriqueLa position de Jean Tirole

2 – L’économie comme science : le temps de la formalisation

Avantages de l’écriture mathématique1) Transparence du raisonnement parce que

les hypothèses sont explicitées ;2) Elle force à vérifier la logique de

l’argumentation (Dani Rodrik : « nous utilisons les maths parce que nous ne sommes pas assez intelligents »)

3) L’écriture et la résolution du modèle font réfléchir à d’autres idées si elle conduisent à des résultats falsifiés.

Inconvénients de l’écriture mathématique1) Difficultés à modéliser certaines

caractéristiques de la réalité. Modélisation qui prend du temps.

2) Biais de « regarder sous le lampadaire »3) Enseignement de l’économie trop abstrait

(mais possibilité de transposer sans maths)4) D’instrument les maths deviendraient

finalité (mais les articles superficiels dans leur contenu sont vite oubliés).

Avantages > inconvénients selon Tirole

3 – L’économie comme science : le temps de la vérification empirique

Selon Karl Popper, un énoncé peut être considéré comme étant scientifique àcondition qu’il soit falsifiable ou réfutable (l’énoncé doit être formulé de tellemanière qu’il puisse entrer en conflit avec une observation).

Implications• En science, on ne cherche pas à prouver une théorie. Au contraire on la met à

l’épreuve pour essayer de la réfuter.

• Une théorie non falsifiée n’est pas « vraie », ou, si elle est vraie, elle ne l’est queprovisoirement. Une théorie qui passe victorieusement les tests expérimentauxest dite confirmée ou bien corroborée.

• Le progrès scientifique est réalisé par l’élimination réitérée de théoriesscientifiques, remplacées par des théories meilleures ou plus satisfaisantes.

• Le cœur de la vision poppérienne de la science est l’erreur, le doute permanent,l’erreur jamais occultée, toujours recherchée, toujours rectifiée.

• D’où l’importance des procédures de vérification empirique afin de faireprogresser la science (abandon de théories ou reformulation des hypothèses) :le chassé-croisé théorie-empirie (données) est fondamental et au cœur de lascience économique actuelle.

Exemple de chassé croisé théorie-empirie qui font progresser la science (lien entre concurrence et croissance à partir de la 14ème minute)

https://www.college-de-france.fr/site/philippe-aghion/_inaugural-lecture.htm

3 – L’économie comme science : le temps de la vérification empirique

Fort développement de l’économie empirique ces 30 dernières car :- Amélioration des techniques statistiques en économétrie ;- Développement de technique d’expériences aléatoires contrôlées ;- Utilisation plus fréquence de l’expérience en laboratoire ou sur le

terrain (développement de l’économie expérimentale) ;- Développement des TIC permettant la constitution de bases de

données importantes ainsi que leur traitement.

La diversité des tests empiriques en économie

Un exemple d’expérience par échantillonnage aléatoire

En 1992, les autorités canadiennes ont mis en oeuvre une expérience contrôlée :

• L’expérience consistait à verser pendant 3 ans au maximum une prime à tous les membres du groupe test qui trouvaient un emploi à temps plein ;

• Cette prime était significative : doublement du revenu avant impôt d’un emploi payé au salaire minimum ;

• Un groupe témoin (qui ne perçoit aucune prime mais qui a accès aux mêmes informations) est également observé.

Un exemple d’expérience naturelle- Le 1er avril 1992, le salaire minimum a brusquementaugmenté de 19 % dans l’Etat du New-Jersey alorsqu’il ne bougeait pas dans l’Etat voisin dePennsylvanie.

- D. Card et A. Krueger profitent de cette expériencenaturelle pour évaluer effets d’une hausse du salaireminimum sur l’embauche des peu qualifiésconcernés par ce niveau de salaire.

Un exemple d’expérience naturelle

- Etude de l’emploi dans les Fast-food qui embauchentbeaucoup de personnels peu qualifiés au salaireminimum dans ces deux Etats ;

- Attente théorique : hausse du salaire minimum =>baisse de la rentabilité du secteur => baisse desembauches dans le New-Jersey

Un exemple d’expérience naturelle

- Ce n’est pourtant pas ce qui est observé : hausse del’emploi dans le New Jersey ! POURQUOI ?

- Situation d’oligopsone sur le marché du travail =>mise en place d’un salaire minimum permet de serapprocher du salaire d’équilibre => hausse de l’offrede travail => hausse de l’emploi.

4 – L’importance du contrôle par les pairs

• Débats entre pairs = ce qui fait progresser la compréhension des faits économiques

• Rôle des pairs dans l’évaluation de larecherche (revue à comité de lecture)

• Rôle des pairs en tant qu’évaluateurs externesdans les procédures de sélection descandidats aux postes de chercheurs etl’allocation des crédits.

5 – L’économie est-elle une science comme les autres ?

Thèse de Pierre Cahuc et d’André Zylberberg

• L’économie serait devenue unescience expérimentale...

• capable de mettre en évidence desliens de cause à effet...

• Il y aurait donc des débats désormaistranchés en économie ainsi que desconsensus sur un certain nombre depoints, des vérités à présent bienétablies ;

• Ceux qui le remettent en cause = dunégationnisme économique

Mais l’économie en tant que science sociale présente d’importantes spécificités !

Un problème de reproductibilité des expériences et de généralisation des résultats

- Critère de réfutabilité peu pertinent selon P.-N. Giraudpour définir l’économie comme science carl’environnement est une donnée historique nonreproductible (tests = plus de l’ordre del’exemplification que de la réfutation) ;

- Conséquence selon Dani Rodrik : il ne peut y avoir deconsensus sur un modèle exact qui fonctionne danstous les contextes ; il faut déterminer quel modèles’applique le mieux à un contexte donné ;

- L’économie n’est pas une science qui progresse enremplaçant les anciens modèles par de nouveaux maisen élargissant sa bibliothèque de modèles qui chacunapporte un éclairage sur une contingence sociale

L’objet de l’économie est le comportement humain qui laisse une grande part d’imprévisibilité !

En 1883, éclate la querelle des méthodes (dans le cadre de la science économique) : Elle oppose l’économiste autrichien Menger (qui pense que l’économie doit être

fondée sur le modèle des sciences de la nature) à Schmoller, membre de l’école

historique allemande.

Menger Schmoller

Représentation de l’homme

économique

Représentation simplifiée de

l’homme économique : être

rationnel et égoïste

Complexité des motifs de l’action

humaine qui dépendent aussi des

croyances ou des valeurs

MéthodologieMéthode hypothético-

déductive

Etudes monographiques multiples

pour établir de façon inductive les

lois du développement

économique et social

Type de loiLois universelles du

fonctionnement de

l’économie (sur le modèle

des sciences de la nature)

Doutes sur la possibilité d’établir

des lois universelles du fait de la

complexité et de la singularité de

chaque société