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INTRODUCTION AU SERIOUS GAME Julian Alvarez & Damien Djaouti Préface d’Olivier Rampnoux L>P / Questions théoriques

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INTRODUCTIONAU SERIOUS GAME

Julian Alvarez & Damien Djaouti

Préface d’Olivier Rampnoux

L>P / Questions théoriques

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TABLE DES MATIÈRES

préface d’Olivier Rampnoux 7

introduction 9

chapitre 1 : définir l’objet « serious game » 131. Une multitude d’approches 132. Une proposition de définition 173. Le paradigme principal du Serious game 174. Différence entre Serious game et jeu vidéo : le « Serious gaming » 215. Positionner le Serious game 266. Classer les Serious games 277. Synthèse 35

chapitre 2 : secteurs d’application du serious game 371. Défense 372. Publicité 473. News gaming et jeux politiques 614. Enseignement et Formation 725. Santé 836. D’autres domaines encore… 93

chapitre 3 : l’origine du serious game 951. Origine de l’oxymore « Serious game » 952. Les premiers jeux vidéo sont « sérieux » 973. Les Retro Serious games 1094. La naissance officielle des Serious games 1355. Synthèse 139

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chapitre 4 : questions autour du serious game 1431. Studios de développement 1442. Institutions et consultants 1713. Chercheurs 1874. Enseignants 2025. Game designers 211

bibliographie thématique 223

6 Introduction au Serious game

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PRÉFACE

Le statut du jeu vidéo évolue et se transforme au sein de la société. Les pratiques vidéoludiques des enfants et des jeunes mais aussi – de plus en plus – des adultes ou des seniors nous interpellent tous, parents, éducateurs, professionnels, chercheurs. De nombreux ouvrages écrits par des spécialistes (médecins, psychologues, enseignants, journalistes) incitent à la prudence dans l’utilisation des jeux vidéo. En contrepoint, ces mêmes jeux fascinent et font aujourd’hui partie intégrante de notre univers culturel1. Des livres deviennent des jeux vidéo, des jeux vidéo deviennent des films, les histoires migrent d’un univers à l’autre au point de s’entremêler – on peut parler d’environnement plurimédia-tique. La convergence des contenus, mais aussi la polyvalence des écrans et des technologies sont autant de faits qui soutiennent cette dynamique.

Le gouvernement français a soutenu la mise en place de pôles de compétitivité centrés sur le jeu vidéo, des collectivités locales voient en cette industrie des leviers de reconversion ou de développement de leur tissu économique. Il est donc bien plus qu’un objet technique, il traverse notre société et doit être interrogé aussi bien dans sa conception que dans ses usages : en tant que moteur de changement de comportement. Cette interrogation doit pouvoir aller du processus de création aux situa-tions de jeu, ce qui nécessite un décloisonnement des approches disci-plinaires : des sciences de l’ingénieur à la sociologie et à l’analyse des politiques publiques, en passant par l’esthétique.

Ce livre va nous aider à comprendre les enjeux contemporains que posent les jeux vidéo, au prisme des Serious games, jeux vidéo « à inten-tion sérieuse », reconnus comme l’un des éléments clés de cette nouvelle culture numérique. Il n’a pas l’ambition de construire une nouvelle théorie du jeu vidéo, ni ne définit le processus de création d’un Serious game. Il propose simplement de nous aider à décoder l’effervescence qui règne en ce moment autour du Serious game. Depuis quelques mois, ce dernier fait l’objet de nombreuses attentions de la part des acteurs politiques et économiques :– création ou réorientation de pôles de compétitivité autour du Serious

game ;– émergence d’initiatives portées par des collectivités territoriales pour

réfléchir sur les Serious games ;

1. Voir Médiamorphoses n° 22, février 2008.

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– appel à projet dans le cadre du Plan de Relance de l’État français avec un montant global d’aide de 20 millions d’euros ;

– organisation de concours de création par de grands groupes industriels1 ;– organisation de manifestations et salons professionnels spécifiques ;– développement de site web dédiés et apparition de longs développe-

ments présentant l’objet dans des encyclopédies collaboratives ;– publication de nombreux ouvrages en langue anglaise ;– organisation de colloques scientifiques.

Fruit de leurs expériences de joueurs, de leur activité profession-nelle et de nombreuses rencontres, cette Introduction au Serious game proposée par Julian Alvarez et Damien Djaouti constitue une étape documentée dans la compréhension de ces nouvelles applications. Cinq années d’échanges à leur contact mais aussi un regard critique sur quinze années d’expériences acquises sur le terrain auprès d’entreprises et de partenaires comme le CNRS, le rectorat de Toulouse, l’École nationale de l’Aviation civile, Orange Labs, les éditions Dupuis, Milan et Bayard, Publicis, TF1, la Cité de l’Espace, donnent à cet ouvrage le recul néces-saire pour appréhender la diversité des usages des Serious games. Que l’on soit joueur, apprenant, donneur d’ordre potentiel ou développeur, la diversité des points de vue et des témoignages comme la multitude de Serious games évoqués permettent à chacun de se forger une première opinion sur ces jeux vidéo à l’intention sérieuse.

D’ailleurs, cette intention – ou plutôt ces intentions, politique, écono-mique, pédagogique – sont trop « sérieuses » pour ne pas les soumettre à l’analyse. Le propos n’est pas de faire l’apologie du Serious game, ni de considérer comme un progrès automatique l’introduction de la dimension ludique dans l’éducation ou la communication. Nous retiendrons qu’il constitue une innovation ouvrant de nouvelles perspectives. Le Serious game vise à proposer de nouvelles modalités de médiation des connais-sances et des savoirs.

Bien entendu, la présentation que nous propose ce livre n’est qu’intro-ductive, et appelle des prolongements à la hauteur de l’effervescence des productions et des expérimentations actuelles…

Olivier Rampnoux

1. Par exemple, le concours organisé par la plateforme d’édition et de diffusion de jeux en ligne Whosegame.

8 Introduction au Serious game

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INTRODUCTION

Au début des années 80, le jeu vidéo connaît son premier boom économique et génère presque deux fois plus de bénéfices que l’indus-trie du cinéma américain. Malgré des crises cycliques, le marché du jeu vidéo continue globalement à prendre de l’ampleur. Ainsi, de 2003 à 2007, à l’échelle mondiale, l’industrie du jeu vidéo est passée d’un chiffre d’affaires de 18 milliards de dollars1 à 30 milliards. En mai 2008, sur la totalité du globe, on recense 281 millions de consoles de jeux et l’on estime que sur la planète, le nombre de joueurs potentiels se situe entre 600 millions et 1 milliard, d’après l’IDATE2.

En ce début de xxie siècle, il paraît donc difficile de considérer le jeu vidéo comme un simple effet de mode, comme l’ont cru certains indus-triels dans la première moitié des années 80. Aujourd’hui, la généra-tion des moins de 30 ans3 est née avec le jeu vidéo. Sa consommation de l’objet vidéoludique est aussi naturelle que le fait de regarder la télévision ou d’écouter la radio pour les générations précédentes. Pour autant, cette pratique n’est pas l’apanage des jeunes. Des trentenaires et des quadra-génaires cultivent la nostalgie du jeu vidéo à travers le « retro-gaming », retrouvant ainsi les jeux vidéo des années 80 et 90. Les générations suivantes s’adonnent également à des jeux de cartes virtuels, FreeCell par exemple, ou à bien d’autres titres encore. Des grands-parents voient dans la pratique du jeu vidéo un moyen de tisser des liens avec leurs petits-enfants. Enfin, le jeu vidéo se retrouve dans certaines maisons de retraite – on pense à la Wii de Nintendo – pour stimuler la mémoire et la motri-cité des pensionnaires4. L’objet vidéoludique est multigénérationnel et

1. Cf. Julian Alvarez, Laurent Michaud, Serious games : Advergaming, Edugaming, Training..., IDATE, 2008. http://ja.games.free.fr/ludoscience/PDF/EtudeIDATE08_VF.pdf

2. Ibid.3. Que l’on appelle parfois « Génération Y », regroupant les personnes nées entre la fin

des années 1970 et le milieu des années 1990.4. Julian Alvarez, Laurent Michaud, Serious games…, op. cit.

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appartient désormais à notre culture comme en témoignent de nombreux objets quotidiens : vêtements1, bijoux2, meubles3, etc. qui font référence à Pac-man, Mario Bros, Space Invaders…

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’avènement actuel du Serious game, dont le premier titre significatif est America’s Army, sorti en 20024. Ce type d’application informatique s’appuie sur le jeu vidéo, tant sur le plan technique que culturel, pour tenter de s’écarter du divertissement. Ce qu’on pourrait traduire en français par « jeu sérieux », ou plutôt « jeu à intention utilitaire », a pour principale vocation d’apprendre, d’informer, d’expérimenter, de s’entraîner tout en jouant.

Les champs d’application du Serious game concernent à ce jour de nombreux secteurs à l’instar de la santé, de la défense, de l’éduca tion, de la politique, de la formation et de l’écologie, et continuent de s’élargir. Le Serious game regroupe donc un ensemble de marchés. Depuis 2007, une fourchette se situant entre 1,5 et plus de 10 milliards de dollars5 est régulièrement évoquée. Cette large variation s’explique par les nombreuses définitions et approches que présentent pour l’instant les différents acteurs qui se réunissent autour de cette industrie naissante. Ce flou est également alimenté par le fait que le Serious game marque une phase de transition majeure dans l’industrie du jeu vidéo. Celle-ci s’adressant désor-mais de manière moins équivoque à toutes les générations, elle s’enri-chit et mûrit. Par conséquent, elle entraîne de nouvel les perspectives de développement dans les segments B2B et B2C6 pour l’ensemble des acteurs. Ces perspectives se voient encouragées en mai 2009 par Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à la Prospective et au dévelop pement de l’Écono mie numérique, qui lance le premier appel à projets Serious game7 en France.

Nous ouvrons cette introduction au Serious game par les questions de variété des approches, de définition et de classification. Puis nous propo-sons de découvrir les principaux segments de marchés actuels qui font appel à cet objet vidéoludique. Ce tour d’horizon est ensuite l’occasion

1. http://blog.schtunks.info/post/2009/10/11/Une-cravate-Space-Invaders2. http://www.tribords.com/?bagues-pac-man3. http://leblogecolovie.free.fr/?p=2064. http://www.usatoday.com/tech/gaming/2006-05-19-serious-games_x.htm 5. Julian Alvarez, Laurent Michaud, Serious games…, op. cit.6. Acronymes désignant le commerce entre deux entreprises (Business 2 Business) et

le commerce entre une entreprise et des particuliers (Business 2 Customer).7. http://www.lexpress.fr/actualite/high-tech/le-coup-de-pouce-de-nkm-aux-serious-

games_786966.html

10 Introduction au Serious game

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d’interroger l’origine du Serious game, pour déterminer si nous assistons à l’avènement d’une réelle innovation technologique, ou s’il s’agit d’une prise de conscience par notre société du potentiel utilitaire du jeu vidéo. L’ouvrage propose enfin de donner la parole à divers acteurs qui inter-viennent dans ce domaine (industriels, consultants, concepteurs, ensei-gnants, chercheurs), pour proposer au lecteur d’autres points de vue, en complément et en contrepoint des choix et analyses des auteurs exprimés dans les premiers chapitres.

11Introduction

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chapitre 1

DÉFINIR L’OBJET « SERIOUS GAME »

Ce chapitre donne une proposition de définition du concept de « Serious game ». Nous nous intéresserons, en premier lieu, à la variété des approches existantes, avant de prendre position. À partir de ce cadre, nous aborderons ensuite la question de la classification des Serious games. L’objectif est de situer le Serious game par rapport aux formes qui lui sont proches : les jeux vidéo et les applications utilitaires.

1. UNE MULTITUDE D’APPROCHES

En effectuant une recherche sur les utilisations du vocable « Serious game », nous rencontrons tout d’abord l’ouvrage éponyme de Clark Abt publié en 19701. Ce chercheur voit dans les jeux un support permettant d’enrichir les cursus scolaires, en réduisant la frontière entre « apprentis-sage scolaire » et « apprentissage informel ». Il illustre sa thèse de nombreux exemples pratiques d’enseignement par le jeu, avec des thèmes allant de la Physique aux Sciences humaines, en passant par la politique. Ce dernier domaine est parfaitement illustré par l’ouvrage The New Alexandria simula-tion: a serious game of state and local politics2, publié en 1973. L’auteur y présente une simulation ludique des mécanismes de la politique intérieure américaine, à destination des enseignants. Il faut noter que ces travaux sont menés avant que le jeu vidéo devienne une industrie. Bien qu’inspirés par les premières simulations informatiques, ces auteurs proposent une définition du terme « Serious game » qui ne se limite pas au jeu vidéo. Dans les années 1970, un Serious game peut donc être un jeu sur ordina-teur, un jeu de société, un jeu de rôle ou même un jeu de plein air.

1. Clark Abt, Serious Games, The Viking Press, 1970.2. Donald Jansiewicz, The New Alexandria simulation: a serious game of state and local

politics, Canfield Press, 1973.

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On recense ensuite l’ouvrage Serious Games: Art, Interaction, Techno-logy1, qui accompagne une exposition d’art interactif tenue en Angleterre entre 1996 et 1997. Ce livre présente les œuvres de huit créateurs, qui se sont approprié le jeu à des fins artistiques en utilisant conjointement des supports virtuels et matériels. Si chaque artiste développe un rapport au jeu qui lui est propre, l’ensemble de l’ouvrage souligne le lien entre les jeux vidéo et l’art contemporain. Par exemple, à travers une de ses œuvres, l’artiste Regina Corwell pose la question de la capacité du jeu vidéo à traiter des sujets « sérieux » (ici liés à l’art et la culture), une fois débarrassé de ses liens avec le secteur militaire2. Si aucune définition du Serious game n’est véritablement formalisée dans cet ouvrage, le jeu y est cependant considéré sous sa seule forme informatique.

Aujourd’hui, ce lien avec le support informatique semble être une constante dans l’industrie du Serious game. Néanmoins, les profes-sionnels ne se rassemblent pas autour d’une même définition de l’objet. Le grand nombre de termes utilisés pour désigner un Serious game en témoigne3 : Educational games, Simulation, Virtual Reality, Alternative Purpose games, Edutainment, Digital Game-Based Learning, Immersive Learning Simulations, Social Impact games, Persuasive games, Games for Change, Games for Good, Synthetic Learning Environments, Games with an Agenda…

Cette multitude d’appellations reflète autant le nombre d’acteurs concernés par le Serious game que la diversité de leurs approches. Sans pour autant proposer une analyse et un point de vue véritablement formalisés, chaque acteur possède en effet une vision propre de ce qu’est le Serious game selon son secteur d’origine (éducation, simulation, jeu vidéo…). En réunissant dans un schéma les parties prenantes du marché des Serious games, on remarque la diversité des origines des acteurs. Il y a, d’une part, l’ensemble lié à l’industrie du jeu vidéo, et, d’autre part, des professionnels de divers horizons et qui n’ont aucun lien avec l’uni-vers vidéoludique.

1. Beryl Graham, Serious Games: Art, Interaction, Technology, Barbican Art Gallery, 1996.2. L’artiste fait explicitement référence au rôle historique de l’armée dans le dévelop-

pement des technologies aujourd’hui utilisées par le jeu vidéo, ainsi qu’aux thèmes « guerriers » récurrents dans nombre de titres.

3. L’essentiel des termes présentés ici ont été recensés dans : Benjamin Sawyer, Peter Smith, « Serious Game Taxonomy », article présenté au Serious Game Summit 2008, San Francisco, février 2008.

14 Introduction au Serious game

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Les différents secteurs d’origine des acteurs du Serious game

Au-delà de cette diversité d’appellations et de définitions informelles utilisées par l’industrie, plusieurs définitions contemporaines du Serious game sont proposées par les acteurs. La plus générale semble être celle des game designers Sande Chen et David Michael : « jeux dont la finalité première n’est pas le simple divertissement1 ». Dans le même temps, le professeur Michael Zyda, actuellement directeur du laboratoire USC GamePipe à Los Angeles, propose une définition plus spécifique : « un défi cérébral contre un ordinateur impliquant le respect de règles spécifiques, et qui s’appuie sur le divertissement pour atteindre des objectifs liés

1. Sande Chen, David Michael, Serious Games: Games that Educate, Train and Inform, Thomson Course Technology, 2005. “Games that do not have entertainment, enjoyment or fun as their primary purpose.”

151. Définir l’objet « Serious game »

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à la formation institutionnelle ou professionnelle, l’éducation, la santé, la politique intérieure ou la communication1 ».

Dans ces définitions, nous trouvons une base commune avec la vision du Serious game mise en avant par Benjamin Sawyer : « toute utilisation pertinente de technologies issues de l’industrie du jeu vidéo à des fins autres que le simple divertissement2 ». En tant que consultant, Sawyer est une des figures importantes de ce secteur aux États-Unis. Il a notamment fondé, en 2002, The Serious Game Initiative, un organisme indépen-dant ayant pour mission de développer le Serious game et son indus-trie. Il est également à l’origine de la conférence professionnelle Serious Games Summit (1ère édition en 2003). Cette conférence fait maintenant partie intégrante de la Game Developer Conference, une des plus impor-tantes conférences internationales de professionnels de l’industrie vidéo-ludique. La vision de Sawyer, introduite en 2002 par un livre blanc3, a pour volonté de synthétiser la philosophie de l’industrie du Serious game : mettre en relation une finalité sérieuse avec des savoirs et des techno logies issues de l’industrie vidéoludique. Cependant, certains acteurs ne procèdent pas ainsi. Par exemple, dans le secteur de la forma-tion professionnelle, quelques-uns s’appuient sur des jeux de rôle ou de plateau plutôt que sur du jeu vidéo4. Kevin Corti5 l’illustre parfaitement, à travers un article très critique qui appelle à l’élargissement des défini-tions usuelles du Serious game. Il rappelle également que certains des acteurs, parfois cités pour illustrer le Serious game, ne se reconnaissent pas dans ce terme, et lui préfèrent d’autres appellations comme « Game-Based Learning » ou « Simulation ». Cela est confirmé par certains des entre-tiens rassemblés dans le dernier chapitre de cet ouvrage.

En résumé, nous avons d’un côté un ensemble de définitions forma-lisant ce qu’est le Serious game. Bien que ces définitions se différencient

1. Mike Zyda, « From Visual Simulation to Virtual Reality to Games », Computer 38(9), 2005. “A mental contest, played with a computer in accordance with specific rules, that uses entertainment, to further government or corporate training, education, health, public policy, and strategic communication objectives.”

2. Benjamin Sawyer. « The “Serious Games” Landscape », article présenté à the Instruc-tional & Research Technology Symposium for Arts, Humanities and Social Sciences, Camden, USA, mars 2007. “Any meaningful use of computerized game/game industry resources whose chief mission is not entertainment.”

3. Benjamin Sawyer, « Serious Games: Improving Public Policy Through Game-based Learning and Simulation », Woodrow Wilson Center for Scholar, 2002.

4. Le Centre international de la Pédagogie d’Entreprise (CIPE) est un exemple de ces acteurs : http://www.cipe.fr/

5. Kevin Corti, “Serious Games - Are We Really A Community?”, 2007. Disponible sur http://www.seriousgamessource.com/item.php?story=15832

16 Introduction au Serious game

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parfois dans leur forme, il nous semble toutefois possible de discerner des aspects qui laissent à penser qu’avec la maturation du secteur, nous aurons une convergence des définitions et des points de vue ; D’un autre côté, nous avons un ensemble d’acteurs formant une industrie du Serious game, dont la diversité fait qu’ils ne se reconnaissent pas tous derrière les définitions existantes et les cadres repérés, compliquant d’autant la lecture de ce champ en cours de structuration.

2. UNE PROPOSITION DE DÉFINITION

Conscients qu’il existe une multitude d’approches différentes du Serious game, nous voyons que s’inscrire dans l’une d’elles implique des limites. Cependant, pour avancer dans notre propos, nous devons prendre position. Ainsi, dans le cadre de cet ouvrage, nous choisissons de nous rattacher à la définition suivante du Serious game, élaborée durant nos précédents travaux1 :

Application informatique, dont l’intention initiale est de combiner, avec cohérence, à la fois des aspects sérieux (Serious) tels, de manière non exhaustive et non exclusive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (game). Une telle association, qui s’opère par l’implémentation d’un scénario utilitaire, qui, sur le plan informa-tique correspond à implémenter un habillage (sonore et graphique), une histoire et des règles idoines, a donc pour but de s’écarter du simple divertissement.

Cette définition peut se résumer par la mise en relation suivante :

Serious game = dimension sérieuse + dimension vidéoludique

3. LE PARADIGME PRINCIPAL DU SERIOUS GAME

Un Serious game combine donc une dimension vidéoludique et une dimension sérieuse. Mais on peut se demander en vue de quoi les acteurs du Serious game cherchent à opérer une telle mise en relation.

L’un des principaux buts que l’on peut mentionner est de susciter le « flow » chez les utilisateurs. Cette notion, introduite par le psychologue

1. Julian Alvarez, Damien Djaouti, « Serious Games et Gameplay », 3e Serious Games Sessions Europe, Lyon, décembre 2007.

171. Définir l’objet « Serious game »

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hongrois Mihaly Csikszentmihalyi1, signifie qu’une tâche sera d’autant plus facilement réalisée par un individu, qu’il éprouve de plaisir à le faire. La dimension vidéoludique, attrayante, d’un Serious game a donc pour fonction de susciter chez l’utilisateur un sentiment de plaisir. La dimen-sion sérieuse représente de son côté la tâche à accomplir. Ainsi combi-nées au sein d’une application unique, ces deux dimensions proposent à l’utilisateur d’effectuer une tâche de manière plaisante.

Plusieurs stratégies de conception sont alors développées par les créateurs de Serious games pour susciter le « flow » chez les utilisateurs. L’une des plus importantes concerne la mise en cohérence des dimen-sions sérieuse et ludique au sein d’un scénario unique. Il ne s’agit pas de les apposer côte à côte dans deux scénarios distincts2. Ils doivent au contraire converger3 pour que l’utilisateur puisse apprécier simultané-ment l’expérience vidéoludique et la dimension sérieuse. Dans le cas contraire, s’il y a deux scénarios sans véritable lien, l’application présen-tera très certainement un déséquilibre qui conduira l’un des deux à prendre le pas sur l’autre4. La pertinence du Serious game pourrait alors en pâtir, l’utilisateur n’étant exposé qu’à une seule partie. Pour illustrer ces propos, prenons des exemples : le premier nous semble incohérent, les deux autres cohérents.

1. Mihály Csíkszentmihályi, Flow: The Psychology of Optimal Experience, Harper and Row, 1990.

2. Approche évoquée par Jean-Noël Portugal lors de son intervention plénière au Serious Games Session 2006 à Lyon.

3. André Tricot, Alain Rufino, « Modalités et scenarii d’interaction dans des environ-nements informatisés d’apprentissage », Revue des Sciences de l’Éducation, XXV (1), 1999.

4. Catherine Kellner, Les Cédéroms pour jouer ou pour apprendre ?, L’Harmattan, 2007.

18 Introduction au Serious game

Technocity : à gauche la partie ludique, à droite la partie utilitaire

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3.1 exemple de cas incohérent

Technocity (Ja.Games/Sumotori, 2006) se destine à promouvoir l’apprentissage des métiers industriels auprès des collégiens. Ce Serious game consiste en un ensemble de cinq petits jeux. Chaque jeu propose plusieurs niveaux entrecoupés de quiz, pour sensibiliser les utilisateurs à des reportages présentant les différents métiers. Cette approche vise à faire comprendre à l’utilisateur que les talents déployés pour jouer à chaque type de jeu sont précisément les qualités recherchées pour exercer tel ou tel métier. Cependant, ce découpage crée une rupture au niveau des règles du jeu : il y a d’un côté la phase où l’on doit relever des défis essentiellement psychomoteurs, qui procure de l’amusement, et de l’autre celle, plutôt statique, où l’utilisateur doit regarder de manière imposée un reportage vidéo de bout en bout avant de répondre à un quiz. Un des utilisateurs de Technocity nous a fait part de l’impression de passer ainsi brutalement d’une salle de jeu à un bureau du Pôle emploi.

Nous remarquons aussi, dans ce titre, une incohérence d’ordre graphique : la partie vidéoludique est illustrée par des images type cartoon, la partie utilitaire par une vidéo et du texte. Cela contribue, selon nous, à accentuer l’austérité de la partie utilitaire de l’application.

Au final, l’ensemble de ces ruptures se traduit chez l’utilisateur par une identification aisée des parties ludiques et utilitaires du Serious game. La partie « sérieuse » est alors souvent délaissée au profit de la composante ludique. Les utilisateurs profitent, par exemple, des reportages pour aller voir à quel niveau de jeu en sont les copains de classe. Ce Serious game parvient ainsi difficilement à délivrer son message1.

3.2 exemples de cas cohérent

Pour faire le parallèle avec Technocity, prenons le cas de Food Force (Playerthree, 2005) qui propose une problématique initiale assez similaire : présenter des métiers via le support vidéoludique.

Dans Food Force nous trouvons également un système de diffé-rents petits jeux vidéo qui sont l’occasion d’expliquer six métiers liés à l’humanitaire. Cependant, l’ensemble des jeux s’inscrit dans une mission globale.

Les enchaînements sont scénarisés. Chaque jeu est introduit et expliqué par des personnages. Quand la partie ludique est finie, des séquences

1. L’importance du rôle du médiateur est développée dans Julian Alvarez, Du jeu vidéo au serious game, approches culturelle, pragmatique et formelle, université Toulouse-Le Mirail, 2007, ch. 2. http://www.jeux-serieux.fr/wp-content/uploads/THESE_SG.pdf

191. Définir l’objet « Serious game »

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vidéo très courtes présentent des images réelles liées au métier qui vient d’être introduit via le jeu. Le style des voix off et le rendu esthétique de ces vidéos rappellent ceux de la chaîne d’information américaine CNN, et s’intègrent de manière homogène avec l’ensemble du jeu. Contraire-ment aux reportages de Technocity, ces séquences peuvent être zappées. Puis, un personnage introduit une nouvelle étape de la mission, avec ses problématiques et les règles du jeu associées. Sur le plan graphique, le style est homogène pour les jeux et les écrans de présentation. Une fois une étape vidéoludique terminée, le joueur peut soit la recommencer soit passer à la suivante, même s’il a « perdu ». Lorsque la mission globale est terminée, le joueur peut visualiser son classement dans un tableau des scores mis en ligne. Ceci est bien sûr destiné à l’inviter à rejouer, mais aussi, sans doute, à lui montrer qu’il intègre une communauté de joueurs de Food Force. Enfin, notons que le scénario global du produit est basé sur la métaphore militaire, d’où son titre qui rappelle l’Air Force. Donc, sur le plan esthétique, le scénario et le gameplay de Food Force sont plutôt cohérents et homogènes. L’utilisateur n’est pas face à des ruptures qui le conduiraient à décrocher. Au final, la cohérence dont a bénéficié Food Force lors de sa conception fait que son message a de meilleures chances d’être perçu par les utilisateurs que celui délivré par Technocity.

Il pourrait être rétorqué que Technocity et Food Force n’ont pas bénéficié de budgets équivalents : environ 30 000 dollars pour le premier contre 350 0001 pour le second. Est-ce que cet écart de budget explique pour autant la différence de cohérence entre les deux produits ? Bien entendu, l’accès à des moyens de production plus conséquents permet d’aboutir

1. Julian Alvarez, Laurent Michaud, Serious games : Advergaming, edugaming, training..., IDATE, 2008.

20 Introduction au Serious game

Food Force Auto Junior

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plus facilement à un Serious game plus réaliste, qui favorise l’immersion de l’utilisateur. Mais cela n’est pas nécessairement source de cohérence.

A contrario, nous pouvons citer Auto-junior (Editions Milan/Ja.Games, 1998), un petit Serious game au format « casual » (à durée d’utilisation courte), réalisé avec un budget inférieur à 3 000 dollars. Ce titre propose à l’utilisateur de conduire une voiture pour atteindre un cinéma en plein air. Pour cela, il propose un enchaînement aléatoire d’épreuves qui repré-sentent différentes règles du code de la route à respecter : ne pas franchir une ligne blanche continue, respecter la priorité à droite, s’arrêter avant la ligne blanche à la vue du panneau de signalisation « Stop », etc.

Chaque erreur ou accident sanctionne l’utilisateur en lui retirant des points sur son permis de conduire, et fait l’objet d’une explication orale et écrite. L’intention de ce Serious game est ainsi d’inviter l’utilisateur à comprendre que, plus il roule vite, plus il s’expose aux accidents de la circulation ou à commettre des infractions… Nous retrouvons donc, dans cet exemple, les caractéristiques de la dimension ludique (perte de la partie) et sérieuse (vitesse = danger) mises en adéquation au sein d’un scénario interactif unique. Les concepteurs ont marié ces deux dimen-sions de manière à ce qu’elles s’enrichissent mutuellement. De ce fait, Auto-junior semble plus cohérent que Technocity et donc probablement plus efficace pour délivrer son message.

4. DIFFÉRENCE ENTRE SERIOUS GAME ET JEU VIDÉO : LE « SERIOUS GAMING »

Pour commencer, il nous faut préciser que nos travaux de recherche ne nous ont pas permis de faire une différence entre un jeu vidéo et un Serious game, au niveau du système formel1. Nous entendons par « système formel » le niveau purement informatique, où les référentiels sont binaires et répondent uniquement à des logiques mathématiques. À ce niveau, il n’y a pas de composante qui distingue le jeu vidéo d’un Serious game. Cela signifie, pour nous, que le Serious game ne se diffé-rencie du jeu vidéo qu’à partir du moment où les choses font sens pour l’utilisateur, en interface avec les sciences humaines. C’est donc dans de tels systèmes (culturels, pragmatiques…) que nous nous plaçons lorsque nous cherchons à différencier le jeu vidéo du Serious game.

Ainsi, Trauma Center : Second Opinion (Atlus, 2006) pourrait, de prime abord, être considéré comme un Serious game lié à la santé, ce jeu proposant d’incarner un chirurgien. Pourtant, au-delà du contexte

1. Comme détaillé dans Julian Alvarez, Du jeu vidéo au serious game, op. cit., ch. 4.

211. Définir l’objet « Serious game »

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hospitalier et de quelques références aux pratiques médicales réelles, ce titre ne propose aucune dimension « sérieuse ». Ici, le logiciel a clairement été conçu pour divertir l’utilisateur. Le domaine médical ne sert que de contexte au scénario « ludique ». À l’inverse, Pulse!! (Breakaway, 2007) dispense un entraînement autour des compétences cliniques requises pour faire face à plusieurs situations d’urgence, tels des accidents de transports, des attaques bio-terroristes, etc. Là où Trauma Center vous demande de détruire des virus à l’apparence de dragons en utilisant un laser sur le cœur de vos patients, Pulse!! vous met face à des cas médicaux réels, à élucider en utilisant les techniques médicales actuelles.

Cependant, rien n’empêche de jouer à Trauma Center en adoptant une posture « sérieuse ». Cela est également vrai pour tout jeu vidéo provenant de l’industrie du divertissement1 qui peut potentiellement servir à des fins tout à fait sérieuses a posteriori. De nombreux exemples sont recensés dans le secteur de l’éducation comme nous le présentent notamment Gee (2003)2 ou Schaffer (2006)3. En France, le collectif Pedagame4 (cf. chap. 4.4, interview de Julien Llanas) effectue des expériences de terrain sur l’utilisation de jeux vidéo issus de l’industrie de divertissement à des fins pédagogiques. Par exemple, le jeu de karaoké Singstar PS3 (SCE London Studio, 2008) est utilisé comme support de

1. Désigné dans la littérature anglophone par l’expression Commercial-Off-The-Self (COTS), littéralement « en provenance directe des magasins de jeu vidéo ».

2. James Paul Gee, What Video Games have to teach us about Learning and Literacy, Palgrave Macmilan, 2003.

3. David Williamson Shaffer, How Computer Games Help Children Learn, Palgrave Macmilan, 2006.

4. http://pedagame.blogspot.com

22 Introduction au Serious game

Trauma Center Second Opinion Pulse!!

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cours afin de travailler la prononciation de l’anglais auprès des collé-giens. Dans un autre registre, le jeu de « question-réponse » Buzz! Quiz TV (Relentless Software, 2008) est détourné par les enseignants en Histoire-Géographie afin de revenir sur des notions abordées en cours. Ils s’appuient, pour cela, sur la possibilité de créer des questions person-nalisées que propose ce titre. Le réseau Ludus1 (cf. chap. 4.4, interview de Yvan Hochet), qui rassemble des enseignants utilisant le jeu (vidéo ou non) à des fins pédagogiques, met également en avant l’utilisation de Sim City (Maxis, 1989) pour la Géographie et de Lords of the Realms II (Impressions Games, 1996) pour l’Histoire2.

Dans une logique similaire mais appliquée au domaine de la santé, l’exemple de Michael Stora est très significatif (cf. chap. 4.3). Dans son ouvrage Guérir par le virtuel3, ce psychologue raconte comment il utilise le jeu ICO (Sony CE Japon, 2001) en le détournant de sa finalité première de « simple divertissement ». Lors de séances thérapeutiques avec des enfants, il leur fait emprunter un passage précis de ce jeu. Ce passage demande au joueur de tenir la main d’une princesse, en maintenant un bouton enfoncé, afin de la guider vers la sortie. Cependant, une fois rendu à destination, le joueur doit lâcher ledit bouton et laisser la princesse s’en aller. Certains enfants refusent cette stratégie et sont désorientés. Le théra-peute tente alors d’établir le dialogue en transposant le vécu familial de l’enfant au travers de la situation présentée par le jeu.

1. http://lewebpedagogique.com/reseauludus/ 2. D’après les fiches d’utilisation pédagogiques de ces jeux, proposées par Yvan Hochet

et Denis Sestier à l’adresse : http://histgeo.discip.ac-caen.fr/ludus/sommfiche.htm 3. Michael Stora, Guérir par le virtuel, Presses de la Renaissance, 2005.

231. Définir l’objet « Serious game »

Buzz! Quiz TV Lords of the Realms II

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Néanmoins, une différence fondamentale persiste entre ce type d’approche et les Serious games tels que définis précédemment. Si le résultat apparaît similaire (un jeu utilisé à des fins sérieuses), seul le Serious game est explicitement conçu pour cet usage. Par exemple, Earthquake in Zipland (Zipland Interactive, 2006) se présente sous la forme d’un jeu d’aventure qui met en scène une île frappée par un tremblement de terre. À la suite de cet événement, l’île est coupée en deux. Le père et la mère du jeune héros se retrouvent isolés sur ces deux nouveaux territoires. Ils ne pourront plus jamais se retrouver ensemble. Destiné aux enfants, ce titre a pour vocation d’aborder le thème du divorce et de les inviter à s’exprimer sur le sujet. La conception de ce Serious game prévoit donc un tel usage. Cette démarche se distingue donc de l’idée de prendre un jeu vidéo commercial pour lui assigner une nouvelle fonction a posteriori. Cet argument est logiquement mis en avant par les industriels du Serious game pour valoriser leur savoir-faire. Cela tend donc à exclure du champ des Serious games les pratiques de détournement. Si cette question reste sujette à controverse, une notion intéressante a été avancée par Henry Jenkins1 à travers le terme « Serious gaming ». Ainsi, en considérant la différence de processus de conception entre les titres « détournés » et les autres, nous proposons de réserver le vocable « Serious game » à des jeux qui ont été explicitement destinés à des finalités autres que le simple divertissement par leur concepteur. Les approches de « détournement vidéoludique », qui permettent à un jeu de servir des finalités sérieuses non anticipées par leur concepteur,

1. Henry Jenkins, « From Serious Games to Serious Gaming », in Ute Ritterfeld et al., Serious Games: Mechanisms and Effects, Routledge, 2009.

24 Introduction au Serious game

ICO Earthquake in Zipland

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sont incluses dans le vocable « Serious gaming ». Ce terme regroupe alors toute utilisation d’un jeu à des fins autres que le simple divertissement, quelle que soit l’intention originelle de son concepteur.

Une dernière approche mérite enfin d’être mentionnée ici, car elle se trouve à mi-chemin entre la conception de Serious game et le détour-nement de jeux destinés au divertissement : il s’agit de la modification logicielle. Connue sous le nom de « modding », le fait de modifier un jeu existant pour en diffuser une version différente est une pratique très répandue dans la culture vidéoludique1. La différence entre la variante d’un jeu donné et un « mod » tient au fait que ce dernier n’est pas autonome, et nécessite de posséder le jeu de base pour fonctionner. Il est à noter, également, que les concepteurs d’un mod n’ont générale-ment aucun lien direct avec ceux qui ont réalisé le jeu d’origine. Dans la plupart des cas, le modding se cantonne à la modification de jeu à des fins de divertissement.

Pourtant, certains mods transforment un jeu divertissant en Serious game. Par exemple, Escape from Woomera (Kate Wild et al., 2003) modifie le jeu Half-Life (Valve Software, 1998) en s’appuyant sur la structure ludique de ce dernier pour alerter l’opinion publique sur les conditions de vie dans les camps de réfugiés situés en Australie. Nous observons, dans cet exemple, la présence explicite des deux dimensions ludique et sérieuse. Par rapport à la typologie évoquée précédemment, nous propo-sons d’inclure cette approche dans le champ du Serious game, car la

1. Il s’agit même d’une des pierres angulaires de la renommée de certains titres tels que Doom ou Half-Life.

251. Définir l’objet « Serious game »

Half-Life Escape From Woomera

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présence des deux dimensions ne repose pas sur un détournement d’usage mais sur un choix de conception.

5. POSITIONNER LE SERIOUS GAME

Si nous distinguons les Serious games des jeux vidéo dédiés au seul divertissement, nous devons également tenir compte de tous les logiciels qui ne présenteraient aucune dimension ludique. Dans ce registre, nous incluons, par exemple, les systèmes experts médicaux dédiés à la consulta-tion exclusive de données hypermédias, ou permettant l’aide au diagnostic en listant une série de symptômes relevés chez des patients. Mais cette frontière délimitant les applications utilitaires des Serious games est poreuse.

Ainsi, Medical Clinical Simulator (Alfa Multimédia, 2008) propose d’étu-dier différents cas cliniques, basés sur de vrais dossiers. Mais il est égale-ment proposé à l’utilisateur d’établir son propre diagnostic. Cet objectif peut être vu comme purement éducatif, donc « sérieux ». Cependant, nous nous inscrivons ici dans un registre subjectif : certains acteurs s’inscrivant dans l’industrie du Serious game, ou spécialistes de l’objet, pourront voir dans la mise en place d’un tel objectif une approche ludique permettant d’inscrire Medical Clinical Simulator dans le champ du Serious game1.

Les Serious games mettent en relation une dimension ludique avec une dimension sérieuse, contrairement aux deux catégories limitrophes, jeu

1. C’est par exemple le cas des blogs suivants qui traitent des Serious games : http://www.jeux-serieux.fr/2008/03/27/mediteca-medical-clinical-simulator/ http://www.serious-game.fr/wordpress/index.php/269/quoi-de-neuf-docteur/

26 Introduction au Serious game

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vidéo et application. En cas de doute sur le positionnement d’un logiciel, nous proposons de nous référer à l’approche du concepteur de l’applica-tion, qui, pour le réaliser, s’inscrit a priori dans un seul de ces trois champs.

6. CLASSER LES SERIOUS GAMES

Si la dimension ludique a pour objectif de procurer du plaisir, il reste à cerner les fonctions associées à la dimension sérieuse. En effet, lorsque nous indiquons dans la définition du Serious game qu’il concerne « de manière non exhaustive et non exclusive, l’enseignement, l’apprentis-sage, la communication, ou encore l’information », on peut penser qu’il existe un large panel de fonctions sérieuses. D’une manière analogue, lorsque cette même définition stipule qu’un Serious game a « pour but de s’écarter du simple divertissement », il conviendrait de préciser quelles sont alors les applications visées. Ces questions renvoient à la probléma-tique plus générale de la classification des Serious games. Comme nous l’abordons dans le prochain chapitre, ceux-ci peuvent viser différentes fonctions sérieuses, s’inscrire dans différents secteurs d’application, ou encore appartenir à différents « genres » vidéoludiques. Il semble donc important d’être en mesure de décrire précisément ces différences entre les Serious games. Pour cela, nous proposons un système classificatoire prenant en compte leurs dimensions ludiques et sérieuses de manière simultanée. En nous appuyant sur la démarche présentée jusqu’ici et sur les travaux de Sawyer et Smith1, nous retenons les trois critères suivants :

– Gameplay, basé sur le gameplay du Serious game. Ce critère renseigne sur la dimension ludique en donnant des informations sur le type de structure ludique utilisée.

– Permet de, basé sur la finalité du Serious game. Ce critère renseigne sur la ou les fonctions dépassant le « simple divertissement » souhaitées par le concepteur.

– Secteur, basé sur les domaines d’applications visés par le Serious game. Ce critère informe sur le type de public (marché, âge…) que le concepteur cherche à atteindre.

Ces trois critères forment le modèle « G/P/S ». C’est un guide qui permet de classifier les Serious games à la fois par leur dimension ludique (Gameplay), et leur dimension sérieuse (Permet de & Secteur).

1. Benjamin Sawyer, Peter Smith, « Serious Game Taxonomy », op. cit.

271. Définir l’objet « Serious game »

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Série SERIOUS GAME dirigée par LUDOSCIENCE

LUDOSCIENCE est une association loi 1901 qui regroupe des chercheurs, consultants et professionnels de l’informatique, de la communication et du management, ayant pour objet le Serious game.

Créée en 2006, LUDOSCIENCE a pour principales activités : – la conception et le développement de Serious games ;– la formation et l’enseignement à l’aide de Serious games dédiés ;– la rédaction d’études et d’ouvrages portant sur les objets vidéoludiques ; – la participation et l’intervention aux colloques et conférences dédiés à l’objet vidéoludique ; – la mise en place de protocoles de tests et analyse de la réception de Serious games ; – la conception de dispositifs informatiques et vidéoludiques pour éprouver des théories

scientifiques ; – la proposition d’une classification des jeux vidéo et autres Serious games.

L’objectif de LUDOSCIENCE est de favoriser le partage et la rencontre avec les chercheurs, les entreprises, les étudiants et les curieux autour de ses travaux de recherche et de ses enseignements dédiés au jeu vidéo et ses multiples incarnations (Serious game, Casual game, Art game...).

http://www.ludoscience.com

Les membres fondateurs de LUDOSCIENCE sont :

Julian Alvarez, docteur en sciences de l’Information et de la Communication

Damien Djaouti, doctorant en Informatique

Olivier Rampnoux, enseignant-chercheur en sciences de Gestion

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www.seriousgamelab.eu

LUDOSCIENCE est membre de l’association française SERIOUS GAME LAB. Celle-ci fédère les acteurs du Serious game en France mais également en Europe et sur le plan international.

Ces acteurs sont des créateurs de jeux, des commanditaires, des chercheurs et ensei-gnants, des institutionnels, etc.

L’association SERIOUS GAME LAB est organisée en “ateliers thématiques”, afin de prendre en compte la diversité des segments de marché qu’embrasse actuellement le Serious game. Les premiers ateliers sont les suivants : Education, Santé, Sciences, Impact social, Corporate, Industrie, Game Design et Sports.

Pour obtenir des informations complémentaires sur le SERIOUS GAME LAB ou adhérer à l’association, écrivez par courriel à l’adresse suivante : [email protected]

Le SERIOUS GAME LAB et LUDOSCIENCE recensent les acteurs du Serious game à l’échelle internationale. Si vous êtes un acteur du domaine, merci de nous en informer aux adresses suivantes : [email protected] et [email protected]. Nous pourrons ainsi vous ajouter dans une base de données qui fait office d’annuaire et d’outil de recherche.

Vous pouvez également répertorier directement vos Serious games sur la base de don-nées en ligne http://serious.gameclassification.com. Accessible à tous gratuitement, ce site recense plus de 2500 titres, de 1951 à nos jours.

Enfin, si vous souhaitez faire connaître vos impressions sur un Serious game en particu-lier, rendez-vous sur http://www.seriousgamesopinions.org. Ce site réalisé en partenariat avec ORANGE LABS a pour objet d’évaluer les Serious games.

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