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Introduction à l’analyse économique du développement durable Jean-Michel Salles CNRS, UMR LAMETA Janvier 2009

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Introduction à l’analyse économique du développement durable

Jean-Michel SallesCNRS, UMR LAMETA

Janvier 2009

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Plan

I. Croissance à très long terme et développement en longue période

II. Le développement durable : du slogan au concept

III. Durabilité forte ou durabilité faible ?

IV. Durabilité et gestion des ressources naturelles

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0. Introduction

• Le développement durable – Une idée à la mode : intégrer les politiques de développement

socio-économique et de préservation de l’environnement

– Un pléonasme : que serait un développement non-durable ?

– Une véritable révolution de la pensée et de l’action ?

• Définition– Sustainable development is « a development that meets the needs

of the present without compromising the ability of future generations to meet theirs own needs » (Brundtland Report, 1987)

• Concrètement, il s’agit d’articuler : – Efficacité économique

– Justice sociale

– Prudence environnementale

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Comment imaginez-vous la perspective du très long terme ?

• Quelles perspectives démographiques ? • Quels équilibres socio-économiques ? • Quelles ressources ? • Quelles technologies ? • Quels pouvoirs ? Quelle gestion ? Quelle « gouvernance » ?

(…) "we cannot long maintain our present rate of increase of consumption; (…) we can never advance to the higher amounts of consumption supposed. But this only means that the check to our progress must become perceptible within a century from the present time; that the cost of fuel must rise, perhaps within a lifetime, to a rate injurious to our commercial and manufacturing supremacy; and the conclusion is inevitable, that our present happy progressive condition is a thing of limited duration".

Stanley Jevons (1835-1882), The Coal Question, chapter XII, 1865

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1. Croissance et développement à long terme ?

• Quelles perspectives démographiques ? – Une population mondiale de 10, 15 ou… 2 milliards d’habitants ?

– Une population essentiellement urbaine ? La disparition des villes ?

• La population mondiale depuis 2000 ans – Croît avec l’invention de l’agriculture et la mise en place des grands

empires (Chine, Rome) ;

– Accélération avec la révolution industrielle (19ème siècle)

– Explosion avec la généralisation des vaccins et de l’assainissement

• La part de la population urbaine dans le monde aurait atteint les 50% en 2007 – L’agriculture et l’élevage restent la principale activité des hommes

– Jusqu’à quand ?

– L’urbanisation modifie la relation des hommes à la nature

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La transition démographique

• C’est un changement de régime démographique entre : – Régime pré-industriel : Taux natalité = 40‰/an ; Taux mortalité = 40‰ an

– Régime post-industriel : Taux natalité = 12‰/an ; Taux mortalité = 12‰/an

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Quel futur démographique ?

• Notion de "carrying capacity" (capacité de charge)– Population maximale d’êtres humains que pourrait supporter la planète – Un sujet de controverse (immaturité scientifique) : entre 10 et 20 milliards ?– Pour certains (J. Simon, notamment), elle n’existe pas car l’intelligence et la

créativité humaines seraient capables de repousser indéfiniment les limites

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Quels équilibres socio-économiques ? - Tout le monde est riche et en bonne santé ? - Une pauvreté généralisée dans un monde dégradé ? - Diminution ou accroissement des inégalités ?

• Le produit brut mondial était de $54.1012 en 2007, soit environ $ 8200 / capita, soit près de $ 10 000 / capita, en parité de pouvoir d’achat (PPP)

• Selon les estimations rétrospectives de Angus Maddison (Univ. de Groningen), le produit brut per capita moyen mondial (en équiv. $ de 1990) était de :

467 (1er siècle) 452 (an 1000) 566 (1500) 615 (1700) 667 (1820) 873 (1870)1262 (1900)1962 (1940)2775 (1960) 4521 (1980) 6053 (2000)

Produit brut per cap. (1700-2000)

0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

7000

Années

PB

/cap

Série1

1700 1800 1900 2000

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Une accélération assez récente…

• Qui a provoqué des évolutions profondément différenciée entre les régions du monde (surtout à partir du 19ème siècle)

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La superficie des pays reflète leur PIB en 2000

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Quelles ressources ? - Les ressources épuisables seront-elles nécessairement épuisées ? - Les ressources renouvelables seront-elles dégradées ?

Mieux gérées ? Plus nombreuses ?

• Une ressources épuisable sera consommée jusqu’à ce qu’on lui trouve un substitut avantageux (moins cher, plus adapté aux usages…)

• Une ressources renouvelable peut être utilisée aussi longtemps qu’on la laisse se renouveler (forêts, pêcherie…) ; mais la quantité exploitable dépend du stock (avec un maximum lié aux caractéristiques du milieu)

• Les ressources de flux (l’eau, la lumière..) sont utilisables à hauteur de leur disponibilité, mais peuvent éventuellement être stockées

• La liste des ressources naturelles (épuisables ou renouvelables) est contingente de la technologie

• Actuellement, les carbones fossiles représentent près de 80% du bilan énergétique mondial et le seul pétrole environ 35% (le prix moyen du pétrole pendant les années 1990 était # $20 / baril)

• Conflit potentiel entre les usages alimentaires, énergétiques ou comme matière première de la biomasse

• Y a-t-il des ressources majeures inconnues ou inexploitées ? Peut être.

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Bilan énergétique mondial

• C’est paradoxalement compliqué, car la notion d ’énergie primaire est une convention porteuse d’enjeux – Pour obtenir la quantité d’énergie primaire équivalent à la production

d’électricité par l’hydraulique ou le nucléaire, on transforme à l’envers comme si cela résultait d’une centrale thermique !!!

• Le bilan pour 2007 (en Mtep) Pétrole : 4 000 = 32 %

Charbon : 3 000 = 25 %

Gaz : 2 600 = 21 %

Nucléaire : 250/750= 6 %

Hydroelec: 250/750= 6 %

Biomasse : 1 100 = 9 %

Autre ENR: # 100 = 1 %

Total : 12 Gtep

Pétrole

Charbon

Gaz

Nucléaire

Hydro-élec.

Biomasse

Autre ENR

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Évolution des émissions annuelles de carbone

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Quelles technologies ? - De nouvelles possibilités de production, de divertissement…

de gaspillage ? - Un usage plus pertinent et mieux partagé des ressources rares ?

• Le changement technologique a un effet ambivalent sur l’environnement et les ressources naturelles

• Peut permettre d’utiliser plus efficacement les ressources connues… … d’utiliser de nouvelles ressources

• Peut offrir de nouvelles opportunités de consommation… … mais aussi de nouvelles possibilités de gaspillage

• Sur la période 1945-1975 (« Trente glorieuses ») : substitution du travail par une consommation accrue de ressources par unité de production

• Sur la période 1980-2008 : pas de tendance aussi évidente, mais capacité croissante à utiliser plus efficacement les ressources naturelles (énergie, matières premières…)

• Très récemment, questionnement possibles raréfaction « absolues » : énergies fossiles, terres agricoles

• Retour des « limites à la croissance » ? Décroissance conviviale ?

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Quels pouvoirs ? Quelle gestion ? Quelle « gouvernance » ? - Un pouvoir et une gestion centralisés et autoritaires ? - Une gouvernance décentralisée et souple (gestion de l’information) ? - Quelles relations et quelles institutions internationales ?

• Les pouvoirs et les modes de gestion centralisés et autoritaires sont évoqués devant chaque crise ?

• Sont-ils plus capable de prendre en compte le long terme ? Où plus générateurs de rentes qui freinent le développement ?

• Une « gouvernance » décentralisée et adaptative apparaît plus apte à mobiliser de l’information… … Mais pas nécessairement à faire de meilleures choix collectifs

• La « mondialisation » est à la fois financière, économique et politique ?

• Il y avait déjà eu une mondialisation commerciale (16-18ème siècle) et une mondialisation militaro-coloniale (19-milieu 20ème siècle)

• A quoi ressembleront les relations internationales et les régulations globales au 21ème siècle et après ?

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II. Le développement durable : du slogan aux concepts

1. L’émergence progressive d’une demande sociale pour la protection de l’environnement

• Des problèmes, parfois graves, et des actions très anciennes (Antiquité, Moyen-age, siècle des Lumières, élites et intellectuels 1850-1950)

• Mais la mobilisation visible n’émerge vraiment que dans les années 1960 – Débuts de mobilisations sociales locales (dès la fin des années 1950) – Silent Spring (R. Carson, 1962), Avant que Nature Meure (J. Dorst, 1964),

The Economics of the Coming Spaceship Earth (K. Boulding, 1966) – "Explosion sociale" de 1968 : valeurs « écolo » et   « retour à la terre » ;

vers une « pensée globale » (« think globally, act locally »)

• Premières grandes réponses institutionnelles : création de l’Environmental Protection Agency (USA, 1970) ; Ministère de l’environnement (France, 1971)

• Le ZEGisme (croissance zéro) et le Rapport Meadows au Club de Rome : Limits to growth ? (Meadows et al, 1972)

• L’optimisme technologique et le rapport au présidents (des États-Unis) : The next 200 Years (Kahn et al., 1976)

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2. Environnement et développement : la dimension politique

• Rapport de Founex (1971, après le rapport au Club de Rome) Invention de l’éco-développement : une voie moyenne ?

• Conférence et déclaration de Stockholm (1972), création du PNUE

• Déclaration de Cocoyoc (1974) contre le rapport Meadows

• Rapport Dag Hammarskjöld Que faire ? (1975): auto-développement

• Rapport de l’UICN-PNUE-WWF, World Conservation Strategy: Living Resource Conservation for Sustainable Development (1980)

• Rapport G.H. Bruntland « Our Common Future » (CMED, 1987)

• Rapport sur le développement humain (PNUD, 1992) : problèmes liés à la dette des PED, au protectionnisme des PI

• Sommet de la Terre (WCED), Rio-de-Janeiro, 1992 : Poids des ONG : agrégation des conflits locaux via société civile Agenda 21 : programmes d’actions au 21ème s. pour le Dév. Durable Conventions « Biodiversité » (CBD) et « Climat » (UNFCCC)

• Protocole de Kyoto (1997) : Clean Development Mechanism

• Sommet de Johannesburg (2002) : partenariat public-privé

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3. Développement-environnement : enjeux et controverses

• Trois représentations, trois étapes historiques (d’après L. Mumford, 1950) – Phase éotechnique (jusqu’au 18ème s.) : l’homme soumis à la nature– Phase paléotechnique (mi-18ème– fin 19ème s.) : l’homme soumet la nature– Phase néotechnique (20ème s. ) : l’homme détruit la nature – Phase biotechnique (futur proche ?) : Design with nature ?

• Pessimistes vs optimistes : question de la rareté et rôle de la technologie – Qu’est-ce que la rareté (ratio physiques vs prix) – La question de l’appropriation (et des externalités) – L’ambivalence des évolution technologique

• Autoritaristes versus démocratiques : question de la gouvernance – Comment prendre de « bonnes » décisions ? (quelle expertise…) – Comment les mettre en œuvre ? (quelle décentralisation…)

• Controverses scientifiques et conflits d’intérêts : – Incertitude et controverses comme espaces stratégiques – Économie normative versus économie positive ou sciences sociales

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4. Définitions…

• On a recensé plus de… 300 définitions de la durabilité : il n’y a visiblement pas d’accord sur ce qui est vraiment essentiel

• A la Solow : non décroissance du revenu ou de la consommation

• A la Hicks : non décroissance du stock de capital total (en valeur)

Capital total = capital humain + capital manufacturé + capital naturel

• A la Sen : non diminution des opportunités (futures) de choix

• Ecological economics : maintien d’une production soutenue de services issus des ressources naturelles (non décroissance du capital naturel)… ou de conditions minimales de résilience de certains écosystèmes

• Mais aussi : le DD comme processus de construction du consensus et de développement institutionnel

• Le DD fait référence à une systémique dynamique qu'il faut développer en continu: le DD n'est pas un état ou une cible défini que l'on chercherait à atteindre, mais plutôt un processus qu'il s'agit de mettre en oeuvre. Il est donc impossible de déterminer ex ante quelle pourrait être l'organisation durable de notre système socio-environnemental. (Wuppertal Institut)

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5. Des questions fondamentales

• Débat historique entre une fonction objectif de type utilité ou bien-être, et une réflexion sur l’adéquation ressources-besoins. L’éco-développement proposait d’articuler Ressources / Technique / Localisation / Consommation

• Durabilité vs efficacité : sont-elles différentes ? Sont-elles compatibles ?

• Disparités intra-générationnelles : - quels critères (Pareto, Bentham, Malthus, Rawls, Sen) ? - quel impact sur la dynamique de consommation ?

• Comment prendre en compte des préférences éthiques dans décisions collectives ? Quel rôle pour analyse économique ?

• Équité intergénérationnelle : responsabilité, actualisation… - Comment prendre en compte les préférences des générations futures ? - Est-il suffisant de prendre en compte les intérêts de la génération suivante pour satisfaire un objectif d’équité inter-générationnelle ? - Est-il acceptable de contraindre la génération présente alors qu’une génération

future peut choisir de dilapider le potentiel ainsi préservé ?

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III. Un débat fondamental : durabilité forte ou faible

• Une idée simple : le développement sera durable si la société ou les agents sont aussi riches à la fin de chaque période qu’au début (revenu Hicksien)

• Comment mesurer la « richesse » d’une société ? • Par la prise en compte de trois stocks de « capital » qui y contribuent :

– Capital manufacturé, c’est la notion classique de capital chez les économiste qui renvoie déjà à des éléments hétérogènes (capital productif des entreprises, y compris financier, patrimoine des ménages…)

– Capital humain, il traduit (depuis G. Becker) l’idée d’investissement dans les hommes, en termes d’éducation, de santé, de mise en communication… (+ capital social ?)

– Capital naturel, c’est la contribution des ressources naturelles et de tout l’environnement, à la production de bien être des hommes (mesuré en valeur)

• Durabilité « faible » : hypothèse de substituabilité totale entre les 3 stocks Durabilité => non décroissance de la valeur totale du stock de capital total

• Soutenabilité « forte » : implique de transmettre un héritage structuré Durabilité => non décroissance de la valeur de chaque forme de capital et, en particulier, du capital naturel (principe bio-physique)

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Soutenabilité « faible » : élargir la notion d’efficacité

• Intégrer les « effets externes » – Les identifier : interaction directe entre les centres de décision, non régulées

par le marché et les autres institutions – Se traduisent par un décalage entre coûts privés et coûts sociaux

(qui doit être évalué par des méthodes ad hoc et indirectes) – Impliquent la mise en œuvre de politiques de correction (règles, normes,

taxes, permis négociables, contrats…)

• Respecter la Règle de Hartwick – => investir les rentes tirées des RNE dans des infrastructures durable ou

dans le capital humain pour maintenir le niveau de bien-être à long terme – Plus largement, les « substitutions » peuvent se réaliser au niveau des

fonctions de production des biens, des services ou dans les préférences

• Intégrer des considérations d’équité / justice sociale – Au sein de la génération présente, les inégalités peuvent s’opposer au

développement : accès à l’éducation, à la « santé », au travail, au crédit, à l’information, aux processus de décision…

– Avec les générations futures : prendre en compte le très long terme dans l’évaluation et les choix qui impactent le futur

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Soutenabilité et équité intergénérationnelle

1. L’actualisation : comment prendre en compte les enjeux futurs dans les choix du présent

– Choix économique : allouer des ressources rares à usages alternatifs

– Problème : les ressources peuvent être utilisées selon des profils temporels très différents : comment les comparer ?

– Critère standard : en ramenant les différents scénarios à leur « valeur actualisée » (“Present Value”) (VAN = VA nette)

– La valeur actualisée se calcule en pondérant la valeur future prévue par un « facteur d’actualisation » : Vo(Xt) = f(t).Xt

– Si la transformation est régulière dans le temps, on peut définir un « taux d’actualisation » () qui s’exprime :

• En temps discret

• En temps continue

tt xxV t

)1(1)(0

ttxexV t

)(0

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2. Comment intégrer équitablement les considérations de très long terme dans les choix économiques ?

– Les limite du critère standard d’efficacité : valeur actualisée nette (VAN) • Écrasement des valeurs correspondant à un futur éloigné (un taux de 7%

divise les valeurs par 2 à 10 ans, par 1000 sur un siècle)

• Représente une « dictature » des préférences de la générations présentes pour les choix concernant les générations futures

– Comment prendre en compte les préférences des générations futures ?• En les supposant plus ou moins semblables aux nôtres ?

• En préservant le maximum d’opportunités de choix ?

– Renoncer à l’actualisation • Évite de favoriser une période par rapport aux autres, mais rend la

comparaison de scénarios difficile (sommes infinies)

• Peut conduire à des incohérence si implique de qualifier plusieurs catégories de biens / actifs économiques (« normaux » ou « à gérer de façon durable »)

– Actualisation hyperbolique • Le taux d’actualisation décroît avec le temps : = / (1+t)

• Crée une incohérence temporelle, mais est implicitement utilisé par les agents et est donc accepté en pratique par les économistes

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Soutenabilité « forte » : comment justifier les choix ?

• Si les différentes formes de capital ne sont pas substituables, alors, il n’y a pas de numéraire commun : comment comparer les alternatives ?

• L’analyse multi-critères ? La question est alors de trouver une forme acceptable d’agrégation des critères et des préférences (utilisation délibérative ?)

• Notion de « safe minimum standard » : éviter de passer en dessous de « seuils critiques » pour certains indicateurs importants ou vitaux

• En particulier, définir et préserver un capital naturel critique, niveau à partir duquel les ressources naturelles ne sont plus substituables par les autres formes de richesse, mais en deviennent complémentaires : leur diminution entraîne une baisse de la productivité des autres facteurs

• Cette notion fait appel au concept de « résilience » des écosystèmes : la capacité d’un (éco-)système à maintenir ou récupérer son fonctionnement et son organisation après un choc ou une pression externes

• Plusieurs cadres alternatifs à l’analyse coûts-avantages sont proposés, parfois depuis assez longtemps. Le débat scientifique reste ouvert et vif

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Soutenabilité « forte » : quel cadre d’analyse ? • Les bilans matière (« material balance ») (Ayres & Kneese, 1969)

– Principe de conservation de la matière Min = Mout – Donne des informations qui peuvent être difficiles à utiliser : approche

« ingénieur » qui ne fournit pas de critère de décision

• Analyse éco-énergétiques (Odum, 1971 ; Pillet & Odum, 1987) – Issue de la « nouvelle écologie » des frères Odum (1964 ; 1971) – Mesures d’emergie (« embodied energy » = énergie incorporée – Mesure d’exergie (énergie utilisable) – Parfois « réductrice » pour la dimension sociale des phénomènes ; c’est le

courant actuellement dominant au sein de l’Ecological Economics (ISEE)

• Approche bioéconomique (N. Georgescu-Roegen, 1971 ; 1972 ; 1979) – Issue de l’application en économie du concept thermodynamique d’entropie :

la qualité de l’énergie et des ressources se dégrade quand on les utilisent– Aboutit à condamner l’idée de croissance matérielle indéfinie (

développement) – Il existe aujourd’hui un courant de la Bioeconomy (H. Daly) qui prône la

décroissance matérielle et une réorientation du développement « moral »

• Notion d’empreinte écologique (W. Rees, 1992) – Le numéraire est ici l’unité de surface nécessaire à la (re)production des

ressources et au recyclage des déchets et pollutions… (voir « virtual water ») – Peut être appliqué à un individu, une entreprise, une ville, un pays…

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Empreinte écologique globale : où en sommes-nous ? D’après le Living Planet Report (WWF, 2004)

Si l’on prend en compte la productivité réelle des terres et la nécessité de préserver des espaces « naturels » pour le maintien des espèces non-humaine, alors nous excédons la capacité de la planète depuis le milieu des années 1970. Ce qui signifie que nous consommons nos réserves.

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Si chaque être humain consommait comme un européen, il faudrait 2 planètes supplémentaires, comme un nord-américain, il en faudrait 5 !

Empreinte écologique par grande région

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IV. Durabilité et gestion des ressources naturelles

0. Généralités • Une ressource naturelle est un actif qui a de la valeur avant toute

transformation, c’est-à-dire qu’il est utile et rare sous la forme dans laquelle on la trouve dans la nature

• La rareté n’est ni une notion physique, ni une notion absolue : elle est relative à la disponibilité et aux usages

– Un prix économique qui résulte de la confrontation de l’offre et de la demande est un meilleur indicateur de rareté qu’un ratio consommation/réserve connue qui peut n’être qu’une simple variable de gestion (décision de « logging »)

– Mais la possibilité d’avoir des prix économiques est subordonnée à plusieurs conditions dont la première est une appropriation claire !!

• L’appropriation des ressources naturelles est une question fondamentale pour le libéralisme, car il n’y a pas de titulaire évident (pas de producteur, c’est souvent le droit du premier arrivé ou « inventeurs » qui s’applique)

• L’appropriation peut être privée, publique ou commune, mais certaines ressources ne sont pas appropriées du tout ; ce qui les expose à un risque de surexploitation (notion de « Tragedy of the commons » )

• Cette obligation de définir des règles d’appropriation implique de répondre à la question politique de l’équité (qui va recevoir les rentes de rareté ?)

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1. Les ressources épuisables

• Une ressources est dite épuisable si elle ne se renouvelle pas à un rythme compatible avec les usages dont elle est l’objet

• Gestion efficace : règle de Hotelling – Le prix de la ressource doit augmenter au rythme du taux d’actualisation

(les investissements dans les stocks ont ainsi la même rentabilité que sur les autres actifs financiers et il n’y a pas d’incitation au gaspillage)

• L’application de cette règle est perturbé en pratique, par des problèmes informationnels :

– Le stock est-il connu avec certitude (nouvelles découvertes) – Les technologies d’exploitation évoluent, etc.

• L’efficacité consiste en général à consommer la ressource tant qu’elle est disponible, puis à s’en passer

• Cependant, si le stock a de la valeur du simple fait de son existence, une exploitation efficace conduire à le préserver partiellement

• Une approche durable consiste à gérer la (quasi-)disparition du stock en intégrant explicitement la disponibilité de solutions de substitution

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2. Les ressources renouvelables• Ressources de flux (eau, énergie solaire, vent…) : on ne peut utiliser

plus que le flux et la part du flux qui n’est pas utilisée est perdue (sauf si il existe des dispositifs de stockage : barrages, batteries…)

• Ressources biologiques (forêt, pêcherie, cueillette) : les prélèvements ne peuvent durablement être supérieurs à la croissance biologique et il faut a priori éviter l’extinction de la ressource (stock minimal qui conditionne la durabilité)

• Notion de cycle de reproduction et de services des écosystèmes • Il peut être optimal de détruire une ressource (max de valeur actualisée)…

mais la perspective de la durabilité peut changer ce constat…

3. Ressource composite

• C’est une ressource à la fois renouvelable et épuisable – Concrètement, ça peut être le cas de la ressource en eau et de ressources

biologiques dont la reproduction est menacée

• La gestion efficace consiste a priori dans une stratégie mixte – Dont les paramètres varient selon qu’il y a substituabilité parfaite ou non

entre les éléments renouvelables et épuisables… – … la valeur du stock… et le critère de durabilité

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4. DD, ressources naturelles et changement technique

• Les changements techniques visent a priori à lutter contre une forme de rareté ou une autre

• Ils peuvent porter sur : – Un meilleur usage des ressources (plus grande efficacité d’usage)

– La découverte de nouvelles ressources, de nouveaux potentiels y compris améliorer la substituabilité entre ressources (RE/RR), si elle était imparfaite

– Mais aussi… de nouveaux usages (développement de nouvelles possibilités de consommation => accroissement de la demande)

– Notamment en substituant des intrants à du travail

• On doit donc distinguer et parfois opposer : – Les « innovations de procédé » qui améliorent l’efficacité de l’offre

– Les « innovations de produit » qui entraînent a priori un élargissement de la demande

Les effets sur la consommation de ressource restent ambigus

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La courbe environnementale de Kuznets Simon Kuznets (1901-85), économiste et statisticien américain d'origine russe, Nobel 1971

La CEK prédit qu’au delà d’un certain seuil, le développement économique peut entraîner une amélioration de l’état de l’environnement

Et c’est vrai ?

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5. Orienter le changement technique vers un DD

« … behind many of the offending dimensions of human activity are economic choices and calculations. We will not significantly change the potentially unsustainable aspects of human activity unless we can develop an economic environment within which they are no longer attractive » Geoffrey Heal

Deux voies : les politiques publiques et la demande sociale • Les politiques publiques sont mises en œuvre à travers des

instruments : normes, taxes, subventions, permis… – Quels instruments pour quelles politiques publiques ?

Il n’existe pas de résultat général sur les performances relatives de ces différents instruments

– Il existe, en revanche, un problème de crédibilité des politiques – Jeux d’anticipations croisées entre décideurs politiques et

entreprises (éco-)innovantes (DD-Innovantes ?)

• Demande sociale… d’innovation ou de communication – Incitations à la durabilité ou à la communication ? – Crédibilité de la communication / asymétries informationnelles entre

consommateurs et entreprises (labels ? standards ISO ?)

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Conclusions…

• Le développement durable bénéficie actuellement d’un effet de mode dont il serait dommageable de ne pas tirer parti

• Le débat sur le caractère réellement novateur, au plan scientifique, de la notion de durabilité reste ouvert, mais il a au moins permis d’expliciter et d’approfondir plusieurs questions fondamentales : prise en compte des enjeux d’équité entre générations ou entre contemporains, notions de résilience et de services des écosystèmes, de capital naturel critique, etc.

• La complexité des dynamiques mises en jeu s’oppose à une perception claire des enjeux par les consommateurs ou les électeurs et ouvre un champ de déploiement stratégique et alimente des controverses plus ou moins légitimes

• La mise en œuvre de politiques favorables à la durabilité peut être peu motivante, tant pour des systèmes politiques peu sensibles au bien-être des populations (régimes totalitaires), que pour les démo-craties soumises à des (ré-)élections focalisées sur le court terme

• Comme pour les politiques sociales, de mauvais choix peuvent engendrer des « trappes de pauvreté » (effets de seuil, etc.)

• Les raisons d’être optimistes ne sont donc pas si nombreuses… …mais elles existent