Interview Sylvia Bongo Ondimba - L'Union - 21 octobre 2013

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Invitée de la rédaction de l’Union mardi dernier, Sylvia BONGO ONDIMBA s’est exprimée avec sincérité et conviction, sur l’ensemble des sujets au cœur de son engagement et pour lesquels la Première Dame multiplie les plaidoyers aussi bien au Gabon qu’à l’étranger. Le dernier de ces plaidoyers, en marge de la 68 ème assemblée générale de l’ONU en septembre dernier consistant à rechercher les moyens pour briser le tabou qui entoure les violences domestiques. Madame, l’actualité récente a montré votre engagement, un de plus, contre les violences faites aux femmes et celles domestiques mises en lumière par la dernière enquête démographique et de santé. Quels ont été à New York, en marge de la 68 ème Assemblée géné- rale des Nations unies, les éléments de votre plaoyer ? Et quelles actions spécifiques et concrètes convient-il, à vos yeux, d’entreprendre pour sinon éradiquer le phé- nomène, du moins le réduire considérablement ? Sylvia Bongo Ondimba : D’abord, je voudrais vous remer- cier pour l’opportunité que vous m’offrez de m’exprimer V V

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Invitée de la rédaction de l’Union mardi dernier, Sylvia BONGO ONDIMBA s’est exprimée avec sincérité et conviction, sur l’ensemble des sujets au cœur

de son engagement et pour lesquels la Première Dame multiplie les plaidoyers aussi bien au Gabon qu’à l’étranger. Le dernier de ces plaidoyers, en marge

de la 68ème assemblée générale de l’ONU en septembre dernier consistant à rechercher les moyens pour briser le tabou qui entoure les violences domestiques.

Madame, l’actualité récente a montré votre engagement, un de plus, contre les violences faites aux femmes et celles domestiques mises en lumière par la dernière enquête démographique et de santé. Quels ont été à New York, en marge de la 68ème Assemblée géné-rale des Nations unies, les éléments de votre plaoyer ?

Et quelles actions spécifiques et concrètes convient-il, à vos yeux, d’entreprendre pour sinon éradiquer le phé-nomène, du moins le réduire considérablement ?

Sylvia Bongo Ondimba : D’abord, je voudrais vous remer-cier pour l’opportunité que vous m’offrez de m’exprimer

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dire que mon fils pourrait faire une bêtise et aller en prison. Cela peut arriver à n’importe quel parent. Mais se retrou-ver dans ce milieu carcéral sans être accompagné, il en sortirait dans un état pire qu’à son entrée. Il faut travailler à faire en sorte qu’un enfant en détention puisse sortir de prison et être un citoyen gabonais à part entière.J’ai une Fondation, comme vous le savez. J’ai été accompa-gnée par la Croix-Rouge, Arc-en-ciel et d’autres. Il est des choses que, toute seule, je ne peux pas faire, mais au moins amener les pouvoirs publics qui, eux, ont les moyens et le pouvoir de faire des choses, à montrer de l’empathie vis-à-vis de nos compatriotes en difficulté, nos enfants, par exemple. Il est difficile pour un parent, une mère, de ne pas donner une seconde chance à son enfant.

 Sur ces enfants en détention, justement. Com-ment jugez-vous, depuis votre passage sur place, leur situation ?S. B. O. : Malheureusement, les choses ne sont pas simples. Et j’avoue être un peu étonnée. J’avais effectivement visité la prison de Libreville, avec la ministre de la Justice, j’ai travaillé avec la Croix-Rouge et j’avais considéré que les dé-tenus, qui sont en train de payer leurs méfaits vis-à-vis de la société, devaient bénéficier de meilleures conditions. Et les enfants, en particulier, des moyens de leur réinsertion. J’avais demandé trois salles de classe. Mais le bâtiment, immense, qui a été construit et qui n’est d’ailleurs pas ache-vé ne me semble pas correspondre aux normes du point de vue éducatif et carcéral.Là, j’ai envie de crier : «Au secours” ! J’ai fait des courriers pour tenter de savoir ce qu’il y a lieu de faire. Faut-il dé-

sur un certain nombre de sujets. Lors de la 68ème Assem-blée générale des Nations unies, j’ai en effet eu l’occasion de rencontrer Onu-Femmes avec laquelle j’avais déjà travaillé. Nous avions convenu d’ouvrir un bureau au Gabon et à ac-compagner notre pays dans la mise en place des procédures et d’un protocole d’actions en faveur des femmes.

Jusqu’à maintenant, nous travaillions avec les pouvoirs publics. Nous y sommes presque arrivés. Même si le Séné-gal où Onu-Femmes dispose déjà d’une représentation, c’est bien loin. J’ai souhaité insister sur le fait que le Gabon peut être un pays intéressant, un hub qui servirait de projet pilote pour les problèmes des femmes qui sont les mêmes, qu’en République démocratique du Congo, au Congo ou en Guinée Equatoriale, du Cameroun, etc. Nous parlons là de l’Afrique centrale. Je leur ai fait comprendre que nous avons des traditions qui peuvent être interprétées différem-ment, des lois qui doivent évoluer. Des chiffres de femmes violentées dans leurs foyers qui sont énormes.Il ne s’agit pas pour moi d’être moralisatrice, mais le fait est qu’il y a 56% de femmes qui se font violenter dans leurs foyers. Il faut se dire aujourd’hui : jusqu’où va-t-on pouvoir se taire ? Ce tabou est insupportable. Quelle violence est pire que le silence ? Je souhaite que cela devienne une cause nationale en 2014. Nous devons faire en sorte que les vic-times soient assurées que les violences ne restent pas impu-nies. Il est donc important, et j’insiste à ce sujet, qu’Onu-Femmes ait une représentation en Afrique centrale et nous accompagne dans notre plaidoyer. Sans juger, mais en changeant autant que possible les mentalités.

 Nous disions, au sujet des violences conjugales, qu’il s’agit là d’un engagement de plus. Car en quatre ans, vous avez défendu de nombreuses causes : les déte-nus, en particulier les plus jeunes d’entre eux, les per-sonnes vivant avec un handicap, les victimes de crimes rituels, etc. Avez-vous le sentiment que les mentalités et les comportements aient beaucoup évolué depuis ? Au-trement dit, comment jugez-vous, vous-même, la portée de vos plaidoyers ? Et sur quel aspect faut-il aujourd’hui insister ?S. B. O. : C’est vrai que j’ai toujours été engagée. Je suis un pur produit gabonais, puisque j’ai été élevée au Gabon. Et au Gabon, nous avons cette chance de pouvoir dire les choses. C’est un atout précieux qu’il faut garder. Il me serait donc difficile de me lever le matin, de voir les choses que je vois et de ne pas en parler. N’en déplaisent à certains, peut-être plus politiques. Mais en tant que mère, en tant que citoyenne gabonaise, il y a des choses dont je suis persuadée qu’elles peuvent être chan-gées. Je n’ai pas le pouvoir de le faire du fait que je n’ai aucun mandat électif. Mais je suis une citoyenne qui, grâce à sa po-sition de Première Dame, a l’occasion, comme aujourd’hui, de disposer d’une plate-forme qui aiderait à changer notre façon de voir.

Soit, et pour ce qui est des mentalités … ?S. B. O. : En quatre années, il est difficile d’apprécier une quelconque évolution. Il s’agit d’un processus long, qui peut parfois s’étendre sur des générations. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas se lasser de sensibiliser, d’interpeller, de rappeler, de prendre position pour ce qui est juste et bé-néfique pour la population.

Est-ce la cas pour la situation du milieu carcé-ral qui vous préoccupe aussi ?S. B. O. : Vous savez, en tant que maman, il m’arrive de me

« Quelle violence est pire que le silence ? Je souhaite que

cela devienne une cause nationale en 2014. »

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truire ce bâtiment pour refaire trois salles de classe ? Nous sommes en train de discuter de cela. Il m’est difficile en tant que Première Dame de dire : “On va casser !”.

S’agissant de cet établissement scolaire pour jeunes détenus, faut-il le maintenir au sein de cette prison centrale de Libreville vouée à être abandonnée, ou envisager de transférer le projet vers la nouvelle en construction sur la Nationale 1, même si celle-ci ne de-vrait ouvrir ses portes que dans quatre ans ?S. B. O. : A vrai dire, je regrette de ne pas l’avoir fait moi-même. Je connais l’immobilier et j’ai une idée des prix. On aurait pu faire un minimum de trois salles de classe avec ce qu’a coûté ce bâtiment. Vingt millions de francs auraient suffi. Or, pour ce bâtiment, on parle de 350 millions. C’est un gâchis incroyable.Alors, oui, il y a une réflexion qui doit se faire. Ou on rase ce bâtiment qui ne sert à rien. Ou on envisage autre chose. Mais ce n’est pas à moi de prendre la décision. En tout cas, c’est un réel problème. Les enfants ne peuvent rien faire aujourd’hui, ni lecture, ni cours pour passer le permis de conduire.

Tout n’est peut-être pas perdu...S. B. O. : Peut-être grâce à vous. Dans tous les cas, j’ai adressé des courriers, au président de la République et d’autres autorités. Mais vous avez raison, il faut trouver une solution.

En reconnaissance de votre engagement pour réduire la fracture sociale, le Conseil des ministres, en sa séance d’hier (lundi 14 octobre) ; l’entretien s’est dé-roulé la veille), a décidé de placer sous votre supervision le dispositif lié à l’expertise et à la la réorganisation de l’offre sociale dans notre pays confiées au cabinet Mac Kinsey. Comment avez-vous accueilli cette décision ?S. B. O. : D’abord, je remercie le président de la République et le gouvernement de faire confiance, pas uniquement à moi, mais à toute une équipe... Je me dis toujours parfois que je pourrais cultiver des orchidées dans mon jardin ou accompagner mon mari et mes compatriotes à vivre mieux. Mais je serais toujours première dame. Vous savez, ce n’était pas mon métier au départ. Je n’y étais pas spé-cialement préparée. Mais je me dis que si je peux amener quelque chose, je le fais et avec sincérité.

Par exemple, avec ma Fondation, nous avons fédéré les énergies entre des personnes qui sont au service de l’Etat. Il vous souviendra qu’il y a eu des équipes, des experts qui ont travaillé. Il y a des experts de grande qualité au Gabon. Nous nous sommes entourés d’eux et avons fait des recom-mandations au chef de l’Etat dans lesquelles il y avait cet observatoire social et ce fonds dédié au social. Ce qui est important, c’est que Avec ma Fondation, nous n’avons fait que fédérer les énergies entre des personnes qui sont au service de l’Etat. Dans chaque chose, il faut une méthodologie et une stratégie. Ma vision est celle du long terme, avec des études au départ. Le cabinet Mc Kinsey accompagne des gouvernements dans leurs projets.Si demain, cette stratégie fonctionne, nous aurons des

aides par exemple des entreprises et autres organisations. Beaucoup d’entre elles sont disposées à le faire.J’ai insisté, non pas pour me montrer, mais afin que quelque chose dans ce domaine important qu’est le social soit réalisé.

Parmi les réalisations de la Fondation Sylvia BONGO ONDIMBA pour la famille, nous citerons le Fonds micro-crédits Akassi mis en place pour favori-ser l’entrepreneuriat des femmes à faibles revenus, et le centre Mbandja dont l’objectif est de contribuer au ren-forcement des capacités de la société civile. Quel bilan pouvez-vous faire des actions ayant été menées en leur sein. Êtes-vous satisfaite du chemin parcouru ?S. B. O. : Je mesure le chemin parcouru par ma fondation. Les 3 années d’existence ont permis de mener des actions et projets importants qui, aujourd’hui, trouvent un prolon-gement, une continuité dans les services développés par l’État. Je pense à la création du Fonds national d’aide so-ciale, à la création de la direction générale de la promotion des associations. Je suis fière du travail accompli par mon équipe mais beaucoup reste à faire. Une fondation de Première Dame c’est difficile. Il peut y avoir parfois des échecs. Une fondation de première dame c’est très difficile justement à cause de cette position. Avec ces trois ans de recul et de travail, il faut absolument que les choses soient pérennes, car je ne le fais pas pour me valo-riser personnellement mais pour apporter quelque chose, un changement positif. Maintenant, il revient au gouverne-ment et au Fonds de prendre le relai de toutes ces actions afin que ces réussites soient durables. Je ne peux pas me substituer à l’État. Malgré ce que les gens ont pu dire, J’ai utilisé mes fonds propres que j’aurai pu donner à mes en-fants ou même les investir... Mais j’en fais don , je les donne pour participer à aider la société gabonaise. C’est un inves-tissement lourd que je fais avec le cœur, mais il faut pas que ça soit à fonds perdus sinon ce serait dommage.

J’ai décidé de concentrer tous nos efforts, nos ressources, notre énergie pour des projets prioritaires afin de répondre au mieux aux attentes des concitoyens, particulièrement les femmes et les jeunes. Donc j’ai été obligée d’arrêter cer-tains projets. Certains sont maintenant pris en compte par le Fonds et l’État.

Nous avons gardé le projet « Agir contre le cancer » qui est un problème important et nous allons être accompagné par la fondation Lalla Salma Prévention et Traitement des cancers du Maroc qui a dix ans d’expérience avec des équipes profes-sionnelles pour lever ce tabou. C’est un projet lourd et ambitieux. Je vais également conti-nuer mon plaidoyer sur la mortalité maternelle et infantile et la Fondation, avec l’aide des sociétés, notamment Coca-Cola qui va nous donner du matériel, et la collaboration des ONG dont c’est le métier, va faire l’état des lieux des salles d’accou-chement et les équiper pour que les femmes puissent accou-cher dans des conditions optimales.Nous avons aussi les jeunes dont les moins de 25 ans repré-sentent 65 % de la population que nous devons accompagner, car ils sont l’avenir du Gabon. Nous allons le faire à notre ni-veau et nous sommes en discussions avec eux là-dessus. Il y a

« J’avais demandé trois salles de classe. Mais le bâtiment, immense, qui a été construit et qui n’est d’ailleurs pas achevé ne me semble pas correspondre aux

normes du point de vue éducatif et carcéral. Là, j’ai envie de crier : “ Au secours ” !

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également les bourses pour les meilleurs élèves offertes par la fondation. Mes enfants ont les moyens d’aller dans de très bonnes écoles. Mais en tant que mère et Première Dame, il est normal que je puisse me battre pour que d’autres enfants soient bien éduqués dans notre pays. L’éducation est très importante dans nos familles et fait partie de notre culture. C’est la raison pour laquelle je m’y investis même auprès des prisonniers en âge mineur.Je veux faire une école bilingue parce que je pense que le Gabon, et en particulier les enfants gabonais doivent avoir la chance d’entrer dans les grandes écoles et universités qu’elles soient anglo-saxonnes ou francophones. Comme il s’agit de constituer une élite, il faut des enfants talentueux et la Fondation apportera des bourses aux enfants les plus talentueux issus de tous les milieux dans cette école où ils pourront accéder à une éducation bilingue quoique coû-teuse. Je répète que je ne peux pas me substituer à l’État et le public ne peut pas tout faire. D’où la nécessité des partenariats public-privé comme celui qui va être fait avec un GIE dans la mise en place de cette école bilingue.

Madame vous parlez de partenariat public-privé et nous aimerions savoir si depuis la création de votre fon-dation il y a déjà eu des projets co-pilotés ?S. B. O. : Tous les projets de la fondation s’inscrivent dans le cadre du partenariat public-pri-vé. Sachez que tous les experts qui m’accompagnent, que ce soit

« Nous avons gardé le projet “Agir contre le cancer ” qui est un

problème important et nous allons être accompagné par la fondation

Lalla Salma Prévention et Traitement des cancers du Maroc

qui a dix ans d’expérience avec des équipes professionnelles pour

lever ce tabou. Je vais également continuer

mon plaidoyer sur la mortalité maternelle et infantile.»

à la fondation ou au cabinet, font partie du secteur public. Je ne peux pas tous les citer mais je les remercie surtout qu’ils ne gagnent pas des perdiems et sont très heureux de participer. Ce sont des experts gabonais issus des différents ministères que je fédère autour de mon équipe...

Dans le domaine de la santé, vous êtes engagée activement pour la réduction de la mortalité mater-nelle et infantile du Vih/Sida. Et à New-York encore dernièrement, vous avez co-signé une résolution à l’at-tention du secrétaire général des Nations unies afin que l’organisation poursuive et amplifie les efforts pour vaincre le Sida après 2015. Avez-vous immédiatement reçu un écho positif de cette démarche, et comment s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une démarche de plus ?S. B. O. : Vous connaissez mon engagement militant pour

cette cause et l’énergie que je déploie pour tenter d’assurer à la population de mon pays, et plus particulièrement aux femmes et aux enfants, un ave-nir sans Sida. Comme je vous l’ai dit, il faut agir... pour faire agir. Je mène depuis 2009 un intense plai-doyer et j’ai pu ainsi obtenir des résultats tangibles avec l’adoption de mesures histo-riques telles que : la gratuité du dépistage, la gratuité de la prise en charge médicale et des traitements anti-rétroviraux et l’augmentation généralisée des ressources allouées à la lutte contre le Vih/Sida. V

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Lors de la Coupe d’Afrique des Nations 2012, la Fondation a lancé une importante campagne de sensibilisation dé-nommée : 3-0 pour une Can sans Sida. Nous avons renou-velé l’expérience avec ‘’Femmes contre le Sida’’. En Afrique, le Sida tue encore plus qu’ailleurs. Il tue les rêves de nos enfants, nos valeurs et l’avenir de notre continent. J’ai foi en ce que les recommandations de la commission que nous présenterons au secrétaire général des Nations- unies se-ront adoptées dans l’agenda post-2015.

Pour moi ce n’était pas une démarche de plus et c’est pourquoi j’ai accepté en tant que femme et mère, d’être membre de la Commission ONUSIDA-The Lancet. Parce que les membres de cette commission sont responsables, engagés, volontaires et conscients des enjeux de notre époque.J’ai été très honorée qu’ils puissent penser à moi en tant que commissaire pour participer aux travaux de haut ni-veau qui ont été faits. Quand on arrive au niveau interna-tional, ce n’est plus ma personne qui est en vue mais le Ga-bon et je suis très fière qu’ils aient eu confiance en notre expertise. On a besoin de ces agences internationales et de ces experts pour nous accompagner dans nos combats car ces travaux de haut niveau aident les gouvernements à trouver les stratégies et les fonds pour combattre le Sida. Il faut être accompagné, surtout que les chiffres sont en-core assez élevés chez nous.

Nous devons réfléchir et agir avec audace et détermina-tion pour qu’ensemble nous puissions apporter des solu-tions innovantes et durables pour que la santé soit le droit de tous et un droit pour tous.

 Êtes-vous satisfaite de ce qui se fait au-jourd’hui dans la lutte contre le Sida en termes de ré-sultats, cela vous incite-il à faire plus ?S. B. O. : (petit temps de réflexion) Je suis très exigeante et je dirai non. Non parce qu’il y a des chiffres, parce qu’il faut être réaliste, et il y a encore beaucoup de choses à faire. Il faut accompagner, dépister, protéger et donner la gratuité. A ce sujet nous sommes en attente des signatures de la CNAMGS (Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale) pour que ça aille plus vite. Je suis d’ailleurs impatiente.

 Est-ce que de votre point de vue ce sont les campagnes qui ne sont pas efficaces ou ce sont les mentalités qui ont du mal à bouger ?S. B. O. : Il y a eu une enquête sur la question, mais je dirai que c’est transversal. Il faut que la direction générale de la Prévention du Sida (DGPS) travaille avec l’Éducation nationale, les Affaires sociales pour que les campagnes soient efficaces et que les messages passent. On en revient à la nécessité de fédérer tout le monde, au lieu que chacun ait son message. Il y a mieux à faire. Après la Can sans Sida qui a été une opportunité pour se

faire entendre au niveau mondial puisqu’elle a été suivie au-delà du Gabon grâce à cet événement sportif, nous avons fait une enquête d’auto-évaluation avec la direction des statistiques et l’écho était appréciable. Encore une fois je fais ce que je peux. Les résultats sont positifs sur le court terme mais il faut que sur le long terme les choses puissent continuer. C’est pour ça que c’est important de fédérer et d’être accompagné par des professionnels. A chacun son métier.

 Votre engagement humanitaire avait été sa-lué de façon solennelle, par le vice-Premier ministre britannique, Nick Clegg. Vous avez aussi reçu le 5 octobre 2011 à New York, le prix international de la “Femme du changement pour l’année 2011” décerné par la Fundation for social change. Ce pouvoir combi-né à la diplomatie positive et agissante de votre époux a conduit à l’adoption, par les Nations unies, de la Résolution instituant la “Journée internationale des veuves” dont la première édition fut célébrée en votre présence le 23 juin 2011 à New York. Comment avez-vous vécu ce moment particulier ? S. B. O. : C’était un moment fort pour le Gabon, pour nos veuves, davantage qu’un motif de fierté personnelle. Ce fut également une reconnaissance du travail mené avec mes équipes, avec la diplomatie gabonaise, pour faire reconnaître une souffrance universelle. Je suis fière des Gabonais qui m’ont accompagné dans ce combat. Je tiens particulièrement à remercier le Président de l’Assemblée Nationale, qui m’a accueillie au sein du Parlement et m’a permis une tribune pour défendre les droits des veuves mais plus récemment aussi pour alerter les représentants sur les crimes rituels dans notre pays.

Ce que nous avons obtenu pour les Veuves est bien la preuve que tous ensemble, en nous unissant pour une cause, nous irons de l’avant. Ce n’est qu’ainsi que nous réussirons à laisser à nos enfants ce pays d’équité, de par-tage, de valeurs auquel nous aspirons tant. Pour autant, le combat n’est pas fini. Mais c’est vrai qu’il a été plus facile de faire adopter une résolution aux Nations unies que de faire adopter 3 lois à l’Assemblée nationale du Gabon pour faire respecter et appliquer cette résolution. Ça en appelle à nos députés PDG, on aurait pensé qu’en ayant la majorité nos lois pas-seraient plus vite. Mais ce n’est pas le cas.Pour les veuves, ce qui a posé problème, c’est l’adoption des amendements par le gouvernement, et leur applica-tion. Pas nos représentants. Je ne suis pas du tout politique mais citoyenne et je me de-mande comme tout le monde ce qui ne va pas. Pourquoi ça ne passe pas ? Je suis allée parler à l’Assemblée nationale et j’ai mis des moyens personnels et une énergie folle. J’ai fait ce que je pouvais avec mon statut de citoyenne ayant le privilège de pouvoir parler pour les sans voix. Mais si je ne suis pas soutenue et aidée je ne peux rien.

« Comme je vous l’ai dit, il faut agir... pour faire agir. Ce que nous avons obtenu pour les Veuves est bien la preuve que tous ensemble,

en nous unissant pour une cause, nous irons de l’avant. Ce n’est qu’ainsi que nous réussirons à laisser à nos enfants ce pays d’équité, de partage, de valeurs auquel

nous aspirons tant. Pour autant, le combat n’est pas fini. »Mais si je ne suis pas soutenue et aidée je ne peux rien.

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Pour reprendre l’exemple des crimes rituels, c’était un com-bat très important pour moi. Mais je ne peux pas faire le travail de la police, de la gendarmerie, des juges, à moi toute seule. Bien sur que non je ne peux pas ! Je ne peux qu’être la voix des sans voix. J’ai une limite car je ne suis pas élue. Je pense que c’est au ministre des Affaires sociales de faire son travail en allant défendre son projet auprès des députés. On n’a pas le droit d’abandonner ces femmes qui sont nos mères, nos sœurs et nos filles dans cette situation. A chacun son rôle et c’est au ministre de faire le sien, sinon on dira que je me mêle de tout.

 Vos priorités pour le proche avenir ne manquent pas. Elles vont d’un meilleur accès à l’infor-mation et aux soins pour la prise en charge des cancers, notamment féminins – une grande source de préoccu-pation – à l’accompagnement de la jeunesse dans la prise en charge de sa citoyenneté, en passant par un renfor-cement de capacités d’accueil et de soins dans les salles d’accouchement. Comment entendez-vous les mettre en œuvre ?S. B. O. : Avec volonté, foi et enthousiasme. Mais il revient à chacun de faire son travail. Je ne peux pas me substituer à l’Etat. Le ministère de la Santé est le maillon indiqué de l’Etat. C’est à lui qu’il revient d’assurer le meilleur accès aux soins pour la prise en charge des cancers, notamment féminins. Les chiffres qui sont communiqués à ce sujet, que nous entendons ne sont pas bons. Mais je n’ai pas la maî-trise des choses. Dans cette optique j’encourage le partenariat entre le public et le privé. Il y a une Organisation non gouverne-mentale (Ong) qui va venir. Elle est spécialisée dans la formation des sages-femmes. C’est une proposition pour accompagner les efforts consentis par l’Etat. Les aspects liés aux cancers sont lourds et coûteux. Pour les materni-

tés, il faut réaliser une étude pour savoir où est-ce que nous en sommes avec les salles d’accouchement à Libreville. Cet état des lieux est nécessaire. J’ai déjà un financement pour accompagner l’achat du matériel. Mais il nous faut des moyens pour construire plus des maternités qu’on en a besoin. A l’impossible nul n’est tenu. Je ferai donc avec les moyens dont je dispose, puis on verra.

L’Etat a un grand rêve, celui de construire l’hôpital mères-enfants. Nous comptons sur toutes les bonnes opportuni-tés pour y arriver. Mais il faudra penser à former (dans l’urgence) des jeunes filles (matrones, sages-femmes, personnels soignants, etc.) qu’il faut ensuite envoyer dans les hôpitaux qui sont en manque. Le Micro-crédit également, est un projet que nous allons continuer notamment avec la participation de Loxia qui va gérer l’octroi de micro-crédits pour les femmes et les asso-ciations. C’est un pas important pour leur autonomie car ce sont des activités génératrices de revenus. Comme je l’ai indiqué auparavant, la Fondation Sylvia Bongo Ondimba pour la Famille sera marquée par certains programmes phares auxquels j’attache du prix et consacre ma plus grande énergie. Je parle de la prise en charge du cancer en partenariat avec la Fondation Lalla Salma et le ministère de la Santé. Je parle également de la prévention et des soins ; des cancers touchant les femmes (sein, col de l’utérus), de l’accompagnement par l’ouverture d’une mai-son de vie... Je fais aussi allusion à la modernisation des salles d’accouchement qu’il faut d’abord évaluer pour les mettre ensuite à niveau selon les normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Mais tous ces projets demandent beaucoup d’argent et d’énergie. Sans oublier le quotidien qui nous prend beau- V

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coup de temps. J’ai pris certaines décisions humaines comme celle d’accompagner, entre autres, les veuves dans l’aboutissement des lois concernant leurs droits. Le Gabon s’est battu pour qu’il y ait une prise en compte de leurs droits à l’international, mais il ne revient pas à Sylvia Bon-go Ondimba, fut-elle première dame, d’accompagner seule les veuves et nos mères dans ce combat. C’est pareil pour le Sida. Ces deux problématiques sont du ressort de l’Etat. Je n’apporte que ma modeste contribution à l’action politique du chef de l’Etat.

  … Et par rapport à la jeunesse ?S. B. O. : Concernant l’éducation de la jeunesse, la Fonda-tion entend multiplier des campagnes de sensibilisation qui seront menées autour des droits et valeurs civiques et démocratiques, pour une meilleure prise de conscience de sa citoyenneté. Pour encourager l’excellence et honorer les élèves talentueux, j’ai décidé la mise en place de la bourse OZAVINO. Une bourse substantielle qui prend en charge la totalité des frais de scolarité, de vie, d’équipement des lauréats, de même que des séjours linguistiques ou cultu-rels ailleurs. Comme je fais pour mes propres enfants. C’est pourquoi je soutiens activement l’ouverture de l’école in-ternationale “Ruban Vert”.

 On vous dit très exigeante parce que vous aimez le travail bien fait. Trouvez-vous ces remarques fondées ?S. B. O. : Oui j’aime les choses qui sont bien faites. Je dis toujours à mes collaborateurs que ce qu’ils font, ils ne le font pas pour moi, mais pour notre pays. Voilà pourquoi en amont j’exige de la compétence, la per-formance pour une meilleure action dans la tâche qui in-combe à chacun. Marraine d’une Fondation, et donc chef d’entreprise, je dois être rigoureuse sinon c’est la catas-trophe. Ma fonction de première dame m’oblige à être exigeante envers moi-même, à être exemplaire. C’est la moindre des choses, par respect pour mes compatriotes. J’avoue que je suis exigeante envers ceux qui m’entourent, envers mes collaborateurs car les enjeux sont primordiaux, puisqu’il s’agit du bien-être et du mieux-être de mes concitoyens. La Fondation Sylvia Bongo Ondimba, a des valeurs sur les-quelles on ne peut pas lésiner. Ceux qui ne partagent pas ces valeurs ou qui ne suivent pas, n’ont naturellement, pas leur place dans notre équipe.

 Votre action aux côtés de votre époux est di-versement interprétée. Que pouvez-vous à ceux qui pen-sent que vous faites de la politique ?S. B. O. : Non, je ne suis pas du tout politique et je ne fais pas de la politique politicienne. J’ai mon franc-parler c’est tout... Je soutiens simplement mon époux dans sa volonté de réforme au Gabon et dans ses combats pour le pays, car je sais que l’action qu’il mène est lourde, longue et difficile.

C’est mon droit de le soutenir fortement et de l’accom-pagner autant que je peux. Toutefois, le mot “politique” signifie : “qui se rapporte à la cité”. Y a-t-il un mal à s’inté-resser à la cité, à ses concitoyens, et à œuvrer pour l’amé-lioration des conditions de vie des plus vulnérables ?

Par exemple : le problème de la propreté à Libreville de-vient un problème de santé publique. Et je parle là de tous les quartiers. La saleté et ses effets indirects a des consé-quences sur la santé de tous. En tant que mère, en tant que Première Dame, cela m’interpelle fortement : qu’atten-dons-nous ? Une épidémie de cholera ?

En tout cas, je suis une citoyenne à part entière et j’ai le droit de m’exprimer, tout comme vous. J’aime mon mari, j’ai confiance en lui, en l’homme de valeurs qu’il est. Je suis la première dame du Gabon, pour cela ma porte est grandement ouverte à tous les Gabonais sans distinction. Par rapport à mon franc-parler, j’ai un mari qui me laisse m’exprimer en tant que citoyenne. Je l’en remercie. Comment parvenez-vous à concilier votre votre position de première dame et votre rôle de mère de famille ?

Je ne me plains pas et je n’ai pas à me plaindre. J’essaie d’être une bonne mère malgré mes multiples charges. La force d’une femme c’est aussi de savoir assumer plusieurs rôles en même temps : celui de mère, d’épouse et de ci-toyenne participant au développement de son pays.

Je pense qu’en cela il n’y a rien d’extraordinaire, c’est aus-si le quotidien de toutes mes sœurs gabonaises ! Comme toutes les mamans, c’est avant tout une question d’organi-sation et d’amour. C’est aussi être fidèle à ses valeurs.Mes enfants nourrissent ma réflexion, mon analyse. Quand je deviens trop enfermée dans ma fonction, ils sont les premiers à me ramener sur terre. Je travaille chaque jour pour que le pays dans lequel ils grandissent soit à la hauteur des rêves que je nourris pour eux et pour tous les enfants du Gabon, qui sont tous mes enfants en ma qua-lité de première dame.

 Madame, nous voilà à la fin de notre entre-tien. Il vous revient de le conclure.S. B. O. : (soupir) Au-delà des remerciements et du sou-tien que j’apporte à votre journal et à son « Makaya » (sourire ironique), je vais réitéré ce que j’ai déjà dit avant. Mon engagement pour l’amélioration des conditions de vie des plus vulnérables est total et sincère. Je le fais de bon cœur , en tant que mère et en tant que première dame. Malheureusement , je ne peux pas tout faire, il faut qu’à un moment l’Etat prenne le relais.

Le temps passe vite et nous n’avons pas d’autre choix que de travailler dur si on veut réaliser toutes nos nobles am-bitions pour nos concitoyens et pour notre pays. W

«La force d’une femme c’est aussi de savoir assumer plusieurs rôles en même temps : celui de mère, d’épouse et de citoyenne participant

au développement de son pays. Je pense qu’en cela il n’y a rien d’extraordinaire, c’est aussi le quotidien de toutes mes sœurs gabonaises !

Comme toutes les mamans, c’est avant tout une question d’organisation et d’amour. C’est aussi être fidèle à ses valeurs. »