Interview Gueye Karim La nouvelle gouvernance et le gouvernement entrepreneurial...

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Cette interview d’Abdou Karim GUEYE, Inspecteur général d’Etat, à l’époque Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Sénégal, a été publiée par la Revue Sciences Administratives et Management Public de l’ENAM qu’il avait créée durant son mandat de directeur général. Il est étonnant que les questions soulevées en 1994, il y a donc 20 ans, soient encore d’actualité, prouvant une profonde intuition de l’interviewé qui anticipait déjà sur toutes les tendances actuelles de la bonne gouvernance, du management public, des réformes administratives et de la modernisation de l’Etat. Un texte à lire et à relire pour refonder le management public contemporain et la nouvelle gouvernance. L’on comprend alors la citation tirée de Jean Cocteau que l’auteur met en relief : « Il n’y a pas de précurseurs. Il n’y a que des retardataires. »

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L’INTERVIEW

La nouvelle gouvernance et le gouvernement entrepreneurial

(Interview a été publiée en 1994) Après ce résumé du best-seller de Gaebler et Osborne, la rédaction du journal SAMP se fait un plaisir de vous livrer ci-dessous l’entrevue qu’a bien voulu nous accorder le Directeur général de l’ENAM, Abdou Karim GUEYE, à son retour d’un voyage d’études qui l’a conduit aux Etats-Unis d’Amérique dans la même période où l’ouvrage « Réinventing Government » venait de paraître … Cet interview anticipe sur pratiquement toutes les idées et réformes de management public aujourd’hui admises, ce qu’il n’était pas évident à l’époque de soutenir.

Question : Vous venez des Etats-Unis. Vous y êtes arrivé au moment ou le thème de la nouvelle gouvernance, voire du « nouveau gouvernement », était à l’ordre du jour. Quelle est la signification et les enjeux de ce concept ?

Réponse : Le thème de la nouvelle gouvernance sera un des enjeux du 21eme siècle. Les crises économiques et sociales qui, de 1973 à nos jours, perturbent l’économie mondiale et la gestion publique, établissent de nouvelles certitudes : une nouvelle gouvernance doit impulser des « états catalyseurs et facilitateurs » dont la vocation première est de définir des stratégies et de procéder à une allocation efficiente des ressources. Au-delà, l’objectif est de redéfinir la manière dont les services sont offerts aux usagers, aux citoyens, aux partenaires de l’Etat, voire à l’administration publique, elle-même. On découvre que trois approches sont possibles : - une, dite traditionnelle, qui met l’accent sur la création de règles et de sanctions, sur la planification au sommet, la levée des taxes, les subventions ainsi que sur la contraction des dépenses publiques ; - l’autre, novatrice, développe le partenariat entre les secteurs public et privé, en apportant une assistance technique, en informant, en catalysant les efforts de la société ; - enfin, l’approche avant-gardiste, qui n’exclut pas les autres, vise à gérer l’évolution de la demande sociétale et à restructurer les marchés...

La nouvelle gouvernance tend à combiner des deux dernières approches.

Dans un monde d’économie globale, elle met l’emphase sur le pilotage, la flexibilité. On découvre ainsi que les institutions, pour être efficaces et répondre à la demande sociale, ont besoin de flexibilité, face à la rapidité des changements.

Cette gouvernance entrepreneuriale sépare les niveaux stratégiques de définition des politiques publiques et les niveaux opérationnels (communes, agences gouvernementales, services régionaux, entreprises, centres de responsabilités, etc.) L’Etat a ainsi, selon cette option, pour objectif de fixer les contours stratégiques des politiques, de fournir les ressources aux organes opérationnels et d’évaluer les

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performances. En contrepartie, il demeure des services publics orientés vers l’action et l’efficacité dont la mission est d’aider l’administration publique à atteindre les objectifs, en agissant concrètement sur le terrain…

Le rôle des centres stratégiques n’est pas de les museler, mais d’en faire des outils pour atteindre des objectifs, mais aussi de les contrôler et de les évaluer.

La nouvelle gouvernance suppose une gouvernance de contrôle a posteriori forte et ajustée…

Q : Mr le directeur, serait-ce là une nouvelle voie ? R : A mon avis, le gouvernement CLINTON y voit une troisième, voire une nouvelle voie. Le problème majeur qui est ainsi posé est que c’est une cécité que d’opposer les secteurs privé et public. Des privés gèrent des services publics, des Etats des équipes de football ou du capital risque. Des ONG ou des volontaires réalisent de véritables missions de service public…

La privatisation est loin d’être l’unique voie

Ce que nous apprenons avec cet ouvrage, c’est qu’il y a une chose qu’il sera difficile de privatiser, c’est la gouvernance elle-même. Il faut bien que quelqu’un gère l’équité, les discriminatoires, les droits des citoyens, assure la stabilité et la cohésion sociale. C’est bien à l’Etat qu’incombe la réalisation de telles missions. La nouvelle gouvernance tranche ainsi une question : l’excellence n’est pas l’apanage du secteur privé. Elle doit et peut exister au niveau du secteur public. Mais pour y arriver, il faut respecter certains facteurs déterminants :

- Existe-t-il une motivation et un système de valeurs à exceller ? - Est-on assujetti à l’obligation de rendre compte ? - A-t-on une marge de manœuvre ? En d’autres termes, est-on libéré des carcans

bureaucratiques et des procéduriers imposés par certains règlements ? - L’autorité est-elle décentralisée pour permettre une flexibilité et l’action ? - A-t-on une claire vision de sa trajectoire et de son action à mener ? - Existe-t-il une allocation appropriée des ressources ?

Q : N’assisterait-t-on pas alors à une concurrence avec les secteurs privé et public ?

R : Dans certains domaines, oui. Par exemple lorsqu’un service d’enlèvement des ordures ménagères, au niveau d’une commune des Etats-Unis, a été rendu autonome et à commencé à soumissionner aux marchés d’enlèvement des ordures, sa compétitivité s’est accrue. Au fil du temps il a commencé à générer ses propres ressources, à améliorer sa technologie.

C’est le défi, voire la compétition, qui accroît l’efficience et oblige à répondre aux besoins des usagers qui deviennent des clients. Il devient alors possible de s’orienter vers une gouvernance orientée vers les résultats. Les auteurs citent d’autres exemples,

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des services publics où les gens travaillent le week-end ; ce qui fait dire à un employé « Nous travaillons plus comme si c’était notre propre affaire… »

Q : Comment est-ce possible si l’on ne maîtrise pas les ressources ? Il n’est pas rare que les fonctionnaires répondent qu’ils ne peuvent pas atteindre certains objectifs, faute de moyens…

R : Lorsque la culture d’un service est orientée vers les résultats, la performance devient une obsession, nous rappelle-t-on. C’est parce que la gouvernance classique ne mesurait pas les performances que certains services publics n’atteignaient pas des résultats. Les anciens modes de gestion sont tels que les employés construisent des tours d’ivoire, des territoires pour renforcer leurs pouvoirs personnels, leurs emplois, voir leur empire. Ils se battent pour l’accroissement de leurs propres budgets et de leur propre autorité.

Mais il est évident que le monde actuel repose sur d’autres choses, de plus en plus, sur d’autres paradigmes. La capacité des Etats a atteint sa limite en matière de perception d’impôts. Le déficit budgétaire est la règle. Il faut surtout pour les pays du tiers monde une gouvernance entrepreneuriale, ce qui suppose de très grandes capacités managériales de planification stratégique… En d’autres termes, les services publics qui réussissent sont ceux qui scrutent leur environnement, critiquent leur propre trajectoire et définissent leurs stratégies futures.

Q : Croyez-vous vraiment que les services publics et leurs agents sont disposés à jouer le jeu de la norme des performances ?

R : Cela n’est pas une tâche aisée. Il faudra persuader, déployer de nouveau le personnel et parfois sanctionner, dans les deux sens, positivement et négativement… Il est certain que les organisations qui mesurent leurs résultats découvrent comment l’information obtenue a été utile et elles prennent, sur cette base, des décisions pour améliorer leur gestion. Ainsi Gabeler et Osborne donnent l’exemple d’un service du bien être social. Quand on a commencé à mesurer les résultats, les taux d’erreur ont diminués de 12 %. Six mois plus tard, lors de la publication d’un second rapport, le taux baissa encore de 8 %.

C’est quand il existe un système de mesure des résultats que les employés commencent à se poser les vraies questions ; en se posant les vraies questions, ils essaient de les résoudre ; en essayant de le résoudre, ils commencent à focaliser leur attention sur les vrais objectifs de l’organisation. Ils commencent alors à tirer les leçons du succès à partir des erreurs. Mais cela suppose aussi qu’on récompense les managers qui réussissent, car si on ne récompense pas le succès, on commence à récompenser l’échec.

En fait, il y a les deux termes de l’alternative entre méritocratie et « médiocratie ». Que choisiriez-vous ?

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La gouvernance entrepreneuriale qui admet le droit à l’erreur est basée sur l’apprentissage et l’expérimentation. C’est là quelques enseignements fondamentaux que je tire de l’ouvrage…

Q : Tout cela semble requérir une certaine flexibilité qui semble difficilement applicable à la machine gouvernementale.

R : C’est vrai ! Historiquement, les administrations publiques ont été orientées vers des marchés de masses : l’école pour tous, le service postal pour lever le courrier, le déposer, partout, jusque dans les coins les plus reculés... Aujourd’hui, nous avons des services publics orientés vers des niches, des cibles. Pour y arriver, il faut construire, par la formation et l’information, une culture organisationnelle qui remet en cause les sentiers classiques. Il est impératif, comme je l’ai déjà dit, ailleurs, d’appliquer le principe de la subsidiarité.

Il faut une démarche patiente et expérimentable : des audits de stratégie qui permettent de découper nos administrations publiques en centres stratégiques de définition des politiques publiques et en centres opérationnels d’action orientés vers l’offre de services aux usagers et aux citoyens.

Il faut éviter une administration publique avec une grosse tête et des jambes frêles ; mais cependant instituer des directions générales fortes, ce qui suppose un redéploiement des ressources humaines, matérielles et financières, de l’échelon ministériel vers les services de proximité. Les autres employés travailleraient dans les services publics de proximité (proche des usagers et des citoyens) dites agences communes, régions, centre de responsabilités, etc. Evidemment, cela suppose un processus qui, grâce aux audits dont j’ai parlé, aboutirait à la création des services publics orientés vers les résultats dont les missions et les performances attendues sont clairement définies. Il est important que ce genre d’audits stratégiques et organisationnels soient aussi intégrés et élargis que possible en incluant du benchmarking, le reengineering, etc.

Q : Une fois les missions clairement définies, il restera à résoudre l’équation des moyens

R : La nouvelle gouvernance établit que l’équation fondamentale n’est pas, en soi, les moyens. J’ai lu quelque part que « les gouvernants comme les hommes trouvent

toujours les moyens de dépenser leur argent ». C’est plutôt les systèmes budgétaires classiques qui ont atteint, au terme d’un long processus historique, la limite de leur efficience. Aujourd’hui, on commence à comprendre que ceux-ci conduisent à gérer le court terme. Les gestionnaires du secteur public sont enfermés dans un système qui les empêche de focaliser leur attention sur les missions, car ce système et le type de réglementation qui le fait perdurer, les invitent à porter leur attention sur les règles et les lignes budgétaires figées. Or le budget conditionne la réalisation efficace des

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missions. Si le système ne pose que des règles limitatives, il enferme les décideurs dans le piège des priorités du passé, la peur de l’erreur et des sanctions, l’abstention, gages de certaines formes de sécurité, alors que le futur arrive chaque jour.

Il est possible, historiquement de situer les raisons qui avaient conduit à l’élaboration de telles règles de comptabilité publique dont la volonté connue était notamment de contrôler le bureaucrate… Ce système perdure dans certains pays et veut qu’on ne puisse pas dépenser, dans les lignes étroites, que ce qui a été autorisé, du moins que difficilement, déplacer une rubrique de dépenses vers une autre, reporter des reliquats du budget sur une autre gestion. Je ne veux pas dire par là qu’il n’y aura pas de manuels, de procédures, de formalisation !

Gaebler et Osborne nous font comprendre que les services du budget s’empresseront dans un cas pareil, de vous dire : « Nous somme heureux d’apprendre que vous n’avez pas besoin de tant sur cette ligne et nous allons vous prélever ce surplus.. » Si une opportunité se présente, à cause d’un libellé, vous pouvez attendre, sinon renoncer, voire différer la réalisation de vos objectifs.

Q : Comment alors arriver à la gouvernance entrepreneuriale ?

R : Il faut dire qu’il y a des managers qui ont eu le courage d’innover singulièrement aux USA et récemment en France, avec la technique du budget global ou par centre de

responsabilité. Ceux-ci ont proposé qu’un fonds global supprime ces lignes. Le système s’est ainsi développé progressivement, avec la philosophie des budgets orientés vers la réalisation de missions qui encourage l’épargne et permet aux gestionnaires de se poser la question suivante : avons-nous besoins d’acheter ceci ou cela, alors que dans le système classique, il fallait se dépêcher et dépenser avant qu’on ne vous le reprenne, en diminution de vos futurs crédits. Ceci libère les possibilités d’utiliser les ressources pour réaliser de nouvelles missions ou opportunités.

Peter Drucker nous rappelle que les managers excellents sont ceux qui savent déplacer les ressources des secteurs à basse performance vers ceux à haute performance. On assiste ainsi progressivement à un saut qualitatif qui transforme et intègre les règles de la comptabilité publique classique dans une perspective plus large : celle de la gestion financière. En d’autres termes, le budget n’est pas qu’un outil. Pour être efficient, il doit s’intégrer dans un processus:

- de planification stratégique, c'est-à-dire la capacité, à partir d’un environnement donné, à définir des objectifs et à sélectionner des priorités ;

- de planification opérationnelle, c'est-à-dire la capacité, à partir d’une stratégie, à définir un ensemble d’actions pertinentes ;

- de planification structurelle, ce qui suppose un système d’affectation des objectifs et des actions à des structures, des mandats et à des individus ;

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- d’élaboration d’un système d’information qui organise les objectifs sous une forme mesurable, grâce à des indicateurs physiques ou financiers résumés dans les tableaux de bord ;

- de contrôle de gestion qui permet une comparaison périodique entre les prévisions et les réalisations… Une telle réforme ne peut être au début que globale, mais progressive. Il suppose un mouvement expérimental, par secteurs et par services lesquels pourront être érigés en centre de responsabilité :

- à but lucratif, entièrement financés par le budget de l’Etat, donc par des ressources fiscales ;

- à but non lucratif, capables de générer des ressources propres ou des profits qui couvrent en totalité ou en partie leurs charges…

Par une telle stratégie, sur le moyen terme, l’Etat desserre la pression budgétaire des dépenses publiques, procède à une nouvelle allocation des ressources investies dans les secteurs novateurs à haute performance. Il gère un projet et non le court terme.

Q : Si l’on considère que l’Etat est une immense pléiade de services publics, comment gérer un tel processus de réforme ? R : Comme je l’ai déjà indiqué, c’est un processus expérimental et progressif. A mon avis, la séquence ci-après peut être suivie :

- des audits stratégiques qui clarifient les missions et la raison d’être des organisations ; - une restructuration qui permet, à l’échelon de chaque ministère, de distinguer les centres stratégiques et les centres opérationnels, avec un redéploiement des personnels du sommet à la base ; - l’érection de certains services en centres de responsabilités et de performances ; - la fixation, chaque année, de priorités sectorielles (éducation, santé, emploi, etc.) ; - la conclusion de contrats de performances entre le ministère de tutelle, le ministère chargé des finances et le centre de responsabilité ou l’agence, sur la base d’objectifs acceptés, d’accord parties.

Au vu du budget global, le centre de responsabilité ou l’agence procède à une budgétisation fonctionnelle conforme à ses objectifs. Les dépenses publiques, voire les ressources propres, seront ainsi orientées vers la réalisation de missions et s’exécuteront selon une procédure simplifiée, mais formalisée, contrôlable et contrôlée.

On peut concevoir, dans cette perspective, une délégation des fonctions d’administration et d’ordonnancements des crédits, le directeur, véritable patron du service érigé en centre de responsabilité ou en agence, étant responsable de la meilleure allocation possible des ressources et de l’équité budgétaire. Il devra produire des rapports d’activités périodiques, voire annuels et créer un système d’information qui

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permet de lier budget et objectifs. Cela n’exclut nullement un contrôle, à postériori, par les comptables publics ou par les corps de contrôle.

D’une manière générale, l’Etat pourra, progressivement, diminuer les dotations budgétaires des services qui font preuve d’une certaine capacité à générer des ressources propres et dégager ainsi des épargnes budgétaires affectées à d’autres priorités, notamment l’investissement productif, gage de croissance. Ce système existe et se renforce aujourd’hui, dans plusieurs pays. L’objectif sera aussi dans cette perspective, d’encourager la mise en place de système d’information interne approprié aux réalités d’un service (manuels de procédures, indicateurs de gestion, rapports de performance, etc.).

Q : A l’évidence, de telles réformes conduiraient à une révision des règles de la comptabilité publique

R : C’est vrai, ce système à la vie dure. De toute façon, vous verrez toujours des gens dire « nous avons toujours agi ainsi ». Mais la question essentielle est la performance. En optant pour les rigidités, nous le décourageons des employés en empêchant ainsi l’émergence d’un système de mesure de résultats et un questionnement sur le sens de notre mission. Nous privilégions l’encadrement par les règles et non par l’intelligence, la conviction et le goût de l’action. Au fond, tel est le message de Gaebler et Osborne. C’est grâce au système classique que perdurent des programmes obsolètes parce que les relations entre dépenses et les objectifs n’ont pas été mesurées et évaluées.

Un système de mesure très raffiné est possible à l’échelon de services publics de proximité tels que les collectivités locales, les agences, les services régionaux, les centres de responsabilité. Celui-ci va concerner la quantité, la qualité et la valeur des résultats et bien d’autres domaines, tels que l’Efficience et l’Economie… C’est uniquement un problème de formation et d’information…

Q : Vous avez employé certains termes : centre de responsabilité et de performance, centre stratégiques, centres opérationnels

R : La science administrative permet aujourd’hui d’impulser, par rapport aux contraintes économiques, de nouvelles possibilités de réorganisation de l’administration publique. Il est possible de retracer le processus historique, intellectuel et opérationnel qui a conduit à la création de l’Etat contemporain : de Platon, Aristote à Hegel, le philosophe de l’Etat, processus historique au dessus de la mêlée (donc éloigné des usagers et des citoyens), de Weber, l’adepte de la bureaucratie réglementaire à Napoléon, le militaire adepte de la discipline hiérarchique… N’oublions pas que tout ceci se passait avant le vingtième siècle. Aujourd’hui, on assiste plutôt à l’inversion des principes qu’ils ont réussi à installer : une société d’information, de technologie, de la course entre les lents et les rapides, un nouveau partage du monde entre quatre ou cinq grandes pôles géostratégiques.

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L’Afrique court encore le risque d’être davantage une périphérie pauvre et délaissée. C’est de sa faute ! Elle copie, adopte, mais n’adapte pas, n’innove pas, ne réinvente pas. Elle est prisonnière du renforcement des capacités et non du meilleur objectif, être productrice d’idées et d’actions. Sa seule chance, c’est la flexibilité, la productivité, l’innovation et la créativité. Ce n’est que grâce à de nouvelles options qui favorisent l’efficacité et une vision globale qu’il est possible de s’en tirer. Evidemment, il faut à ce niveau mobiliser « les meilleurs », triés sur le volet, grassement payés. Une stratégie de nivellement par le bas conduit forcément aux résultats que l’on voit… Il est donc impératif qu’il ait au sommet de l’Etat des structures dites centres

stratégiques dont la vocation essentielle est de définir les grands objectifs et de les évaluer. Leur rôle est de catalyser, d’impulser, de coordonner, de contrôler. A côté, il doit exister des centres opérationnels orientés vers l’action efficace et efficiente pour réaliser ces grands objectifs fixés au sommet. On ne planifie plus comme avant : la planification est devenue stratégique, flexible, décentralisée, voire déconcentrée.

Les centres stratégiques, ce sont des instances de définition des politiques et des objectifs majeurs de l’organisation… Situés au sommet de la pyramide gouvernementale, ils ont pour vocation de catalyser, de stimuler et d’évaluer…

Les centres opérationnels peuvent, selon cette approche, comprendre des centres de responsabilités, des agences, éventuellement les collectivités locales (communes, régions, etc.).

Le centre de responsabilité et de performance est une forme d’organisation. Je précise que ce n’est pas forcément une structure, même s’il peut y avoir une coïncidence entre les deux, ce qui permet le regroupement de personnes orientées vers la réalisation d’un même objectif qui acceptent d’en assumer la réalisation ; des ressources leur étant allouées, à cet effet.

Une telle approche finit par convaincre qu’on n’a pas toujours besoin d’une pléiade de services pour réaliser la mission de développement. Que certains services peuvent être supprimés, que des actions peuvent être sous-traitées, sans doute d’autres crées. Le management public a développé, depuis longtemps, à cet effet, le concept d’externalisation de certaines prestations. Les questions essentielles deviennent : est-il utile ou efficient que je fasse moi-même ou que je fasse faire ? Quels aplatissements et synergies autorisent les nouvelles technologies de l’information et de la communication ? Quels gains d’efficience et de productivité peut-on obtenir au terme d’un benchmarking et d’un reengineering ?

On commence alors déjà à faire des économies, à renforcer la supervision, à gérer la productivité.

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Pour avoir tiré toutes ces leçons, on peut expérimenter, créer des centres opérationnels comme les agences et les centres de performance. Peu importe l’appellation, c’est le système et des objectifs qui comptent.

Q : Les nouveaux développements de la science administrative et du management public semblent largement méconnus dans nos pays africains. Quelles en sont les raisons et aussi les conséquences ?

R : Une première raison tient au fait que la plupart des publications sont d’origine anglo-saxonne. L’accès à l’information et son transfert dans les programmes de formation deviennent difficiles. L’autre difficulté majeure résulte des problèmes de communication entre différentes familles de spécialistes qui doivent désormais apprendre à parler le même langage, à uniformiser et à intégrer leurs connaissances dans un système de pensée cohérente.

La science administrative contemporaine et le management public ont besoin de l’apport des économistes, des juristes, des managers, des psychosociologues. Mais amorcer le débat s’avère difficile. Par exemple, dès le début, certains juristes font état de paradigmes anciens. Essayer d’appliquer les nouveaux concepts et pratiques des centres de responsabilité, d’agences, de gestion par objectifs, les nouvelles techniques de gestion financière publique et vous constaterez que ce dispositif est quelque part non approprié par rapport au droit classique de l’administration.

A mon avis, le problème fondamental n’est pas de dire que « le droit actuel ne le permet pas ceci ou cela » ; mais plutôt de dire « Le vingt – unième siècle nous impose de deux nouveaux chantiers. Nous devons nous y atteler. Nous devons participer à ce mouvement. Faute de quoi, nous allons nous marginaliser, car l’épreuve des faits oblige à aller de l’avant. »

Une telle attitude peut être aussi constatée de la part de spécialistes d’une technique administrative qui ont tendance à dire que tout cela, ce n’est pas notre problème. Notre rôle est d’appliquer une technique. Or celle-ci a besoin de s’intégrer dans des objectifs, dans la mesure où, en même temps, ils revendiquent le droit de diriger et de gérer des ressources ; ce qui impose l’obligation de produire les meilleurs résultats possibles. Que pour y parvenir, ils doivent assurer la gestion des hommes, de leur motivation, qu’ils doivent pouvoir apporter des résultats évaluables.

Ce n’est pas une technique administrative spéciale qui résout la problématique globale posée. En réalité, ce sont de nouveaux problèmes incontournables. Mais pour cela, il faut accepter humblement d’acquérir de nouvelles connaissances… Ceci vaut pourtant d’autres disciplines et pratiques qui s’intéressent à la gestion publique, et au demeurant, privée.

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La crise économique, le sous-développement, en tout cas en Afrique, sans doute ailleurs, c’est aussi la crise de la pensée, de l’action, et des paradigmes anciens. L’histoire est ainsi faite, depuis la machine à vapeur jusqu’au développement du management et de la puce électronique. L’enjeu ultime, c’est la survie, le droit ou l’obligation de ne pas disparaître. La leçon me paraît être la suivante : « un paradigme est par essence évolutif. Il dure tant que ne s’imposent pas d’autres paradigmes ». Thomas Khun, le créateur du terme, savait de quoi il parlait…

A mon avis, il y a des disciplines et des pratiques qui ont besoin de s’ajuster. Prenez bien des choses qu’on nous enseignait à la faculté de droit et à l’ENA, en l’occurrence les notions de personnalité morale, la différence entre services publics à caractère administratif et industriel, des concepts de centralisation, la distinction classique entre les administrateurs et les ordonnateurs de crédits et les comptables publics et les modes de responsabilité appliqués à ces catégories d’agents publics… Enrichies à l’aune de la nouvelle science administrative et du management public - pour moi, ces deux termes signifient aujourd’hui la même chose - il est peut être temps que la doctrine les enrichisse et les réajuste à de l’évolution et au contexte exposé tout au long de cet entretien…

1994, Abdou Karim GUEYE, Inspecteur général d’Etat, ancien Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature. La reproduction de cette interview n’a subi que de légers amendements, de forme, rarement de fond.

Abdou Karim GUEYE

Inspecteur général d’Etat Secrétaire exécutif du Forum des

Inspections générales d’Etat d’Afrique et Institutions assimilées

Ancien Directeur général de l’Ecole Nationale

d’administration et de Magistrature (ENAM)

http://www.softhinking.net

http://fr.slideshare.net/softhinking

« Il n'y a pas de précurseurs, il n'y a

que des retardataires ». Jean Cocteau

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http://fr.slideshare.net/softhinking/demain-quelle-gouvernance-africaine

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http://fr.slideshare.net/softhinking/nous-avons-lu-et-comment-pour-vous4-28560881

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Si ces ouvrages vous intéressent, écrire à [email protected]