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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RIPS&ID_NUMPUBLIE=RIPS_026&ID_ARTICLE=RIPS_026_0179 Interactivité constructive des relations humaines : L’éternel retour à Palo Alto ? par Max POTY | Édition s ESKA | Revue internationale de psychosociologie 2006/1 - Volume XII ISSN | ISBN 2-7472-0961-X | pages 179 à 210 Pour citer cet article : — Poty M., Interactivité constructive des relations humaines : L’éternel retour à Palo Alto ?, Revue internationale de psyc hosoc iologie 2006/1, Volume XII, p. 179-210. Distribution électronique Cairn pour les Éditions ESKA. © Éditions ESKA. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Interactivité constructive des relations humaines : L’éternel retour à Palo Alto ?

par Max POTY

| Édi t ions ESKA | Revue in t erna t iona le de psychosociologie

2006/1 - Volume XIIISSN | ISBN 2-7472-0961-X | pages 179 à 210

Pour citer cet article : — Poty M., Interactivité constructive des relations humaines : L’éternel retour à Palo Alto ?, Revue interna t ionale de psychosoc iologie 2006/1, Volume XII, p. 179-210.

Distribution électronique Cairn pour les Éditions ESKA.

© Éditions ESKA. Tous droits réservés pour tous pays.

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INTERACTIVITÉ CONSTRUCTIVEDES RELATIONS HUMAINES :

L’ÉTERNEL RETOURÀ PALO ALTO ?

Max POTY*

« J’ai peur que dans ce monde on ne soit enclume ou marteau ;heureux qui échappe à cette alternative. »

Voltaire

(Article Tyrannie du Dictionnaire philosophique)

L’école de Palo Alto n’a cessé d’influencer jusqu’à ce jour larecherche en communication par son travail sur l’interactivité,lequel conçoit les relations humaines comme génératrices d’un

ensemble de systèmes (qui réciproquement les génèrent) dont l’observa-tion permet d’étudier les comportements individuels et collectifs tout eninduisant une dynamique de groupe, en même temps qu’une méthodeactive de psychothérapie.

Ses principes de base ont construit un raisonnement cohérent sur la miseen relief d’une évidence, s’efforçant d’en déduire une théorie, le plus sou-vent inspirée de nombreux courants qu’elle reprend à son compte, enassumant la convergence et l’héritage.

* Universitaire, docteur ès lettres, spécialiste de communication, Max Poty travaille surle thème du Compromis de reconnaissance. Il enseigne les techniques de l’expressionfrançaise, écrite/orale et consacre particulièrement son étude à l’espace linguistiquefrancophone, comme inducteur d’une pensée, plurielle mais cohérente. Il est l’auteurde nombreuses publications didactiques et de fiction.

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Il s’avère intéressant d’en étudier les différents aspects puis de les oppo-ser, de les adjoindre ou de les confronter, dans leur vitalité même, àd’autres appréhensions du processus communicationnel.

La démarche palo-altienne exprime de fait la transversalité d’un axiomefondamental, véritable structure élémentaire de réflexion qu’aucun cher-cheur ne réfute, mais qui ne saurait suffire à l’explication relationnelle etcomportementale sans requérir, en profondeur, les apports de la phénomé-nologie, de la sémiotique, de la linguistique et d’une investigation psycho-logique ou psychanalytique.

À condition de ne point en faire un systémisme réducteur, Palo Alto serévèle un véritable lieu de passage ou de rencontre.

LA NOTION D’INTERACTIVITÉ COMME FONDEMENTD’UN SYSTÈME / CARACTÈRES, PERSPECTIVES ETLIMITES DU SYSTÈME PALO-ALTIEN

Tandis qu’au ponant des « sixties » les hippies contestent, dans un décorde fleurs psychédéliques, les entremondes sociaux devenus invivables, leschercheurs de Palo Alto s’évertuent à redéfinir – et ce depuis l’après-guerre, sous la houlette de Bateson – le processus communicationnel entermes de système corrélatif à la présence de l’homme : présence à lui-même, présence à l’autre, présence à son univers. Watzlawick de conclureen affirmant : « L’on ne peut pas ne pas communiquer ! »

La cybernétique nous cofabrique comme le langage. L’homme-parlantde Benveniste se génère tel un être communiquant (forme verbale), objet-sujet – intentionnel actif, noème selon l’acception phénoménologique –d’une conversation permanente avec de multiples altérités, pensée résul-tante de soi par des ricochets de « flipper ».

Ce concept systémique a suscité nombre de commentaires, prolongeantle débat bien au-delà des palmiers de l’université de Stanford, offrant leurperspective aux voyageurs qui débouchent de la petite gare de Palo Alto.Je me suis déjà posé dans les lieux deux questions : que retenir aujourd’huide ces réflexions, lesquelles déterminent ce que l’on a coutume d’appelerla nouvelle communication (ne devrait-on dire la communication contem-poraine) ? S’agit-il de s’en contenter, de la compléter, de la contester ou dela subvertir, en prenant garde d’en conserver toutefois l’esprit mais d’en

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modifier la pragmatique, de l’ouvrir surtout à des concepts interférents,capables d’en relativiser les aspects réducteurs et catégoriques ? De mieuxla situer, en somme, en tant qu’épistémologie d’un phénomène et du regardmême que nous portons sur lui, distants mais impliqués dans notre analysepar l’imperceptible lien de notre empathie. Sitôt levée, comme la tare de lapesée, l’hypothèque de notre interprétation, pouvons-nous hériter d’arché-types de communication constituant des circuits dont nous saurions déga-ger immanquablement des forces efficientes et des stratégies de rencontre,d’entremise, de succès, de reconnaissance ou de sympathie ?

Une théorie des systèmes spécifique à la communication : cadrageet champ de l’observation

Dans l’incipit d’un récent ouvrage sur l’approche de la communicationpar la modélisation des relations, le passeur européen du systémisme, AlexMucchielli, nous rappelle les préalables de Palo Alto, notamment l’impos-sibilité de transposer, pour mieux expliquer un contexte communication-nel – une structure d’échange et de comportements affectifs – l’un oul’autre des systèmes existant aux fins de circonscrire les mécanismes éco-nomiques ou scientifiques. La théorie mathématique de Shannon nerépond à ses yeux qu’au caractère binomial de la fonction communicante,soulignant du même coup l’insuffisance du rapport linéaire émetteur-récepteur que met en exergue Jakobson. La distinction de Descartes entrel’adventice et l’inné d’une part, le factice d’autre part, retrouve ici son sensà travers la nécessité d’induire et de vérifier une organisation sui generisde l’interéchange en extrapolant les variations concomitantes d’une straté-gie de coexistence à l’intérieur de systèmes régulés. D’une anticipation défi-nitivement adoptée comme postulat, revenons à nos laboratoires – s’en-thousiasment les chercheurs de Palo Alto – vérifier l’effet de « doublecontrainte », la « préservation de soi », « la dimension cachée » que révèlentles mots, certes, mais avec eux la gestuelle et l’occupation de l’interespacequ’étudient Edward T. Hall et Ray Birdwhistell.

Qu’observe, obéissant à la déontologie des chercheurs, un regard exté-rieur, distant (s’il existe) de la situation communicationnelle ? AlexMucchielli note à ce propos :

« L’ensemble des phénomènes (lesquels sont ici pour nous des échangeset des communications) forme un système, une totalité qui constitue uncontexte, c’est-à-dire une sorte de fond sur lequel chaque communication

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du système s’inscrit, et par rapport auquel chaque communication prendun sens. »(1).

Le sens, parlons-en puisqu’il oriente la finalité première de l’organisa-tion systémique des relations, de prime abord ordonnées par la dualitédes messages : du digital – « anesthésique », conventionnel, performatif etpurement référentiel – ou de l’analogique : entendez symbolique, intui-tif, affectif, sensible à la forme insaisissable de l’humain. Cette dernièreprédisposition rend significative, aux dires des tenants de Palo Alto, « laponctuation de la séquence des faits » définie par B. Lee Whorf, laquelleconcerne le rythme de l’échange et ses façons de découper l’espace-temps de la communication sous l’œil critique de ses acteurs, suscep-tibles de remettre en question l’intensité, la cadence, le régime et leregistre de leurs propres interventions, symétriques ou complémentaires.Communiquer permet en fait à la conscience individuelle de se repenseret de penser l’autre en donnant du sens aux interférences, considéréescomme parties prenantes de son imagination créatrice : capacité desituer le moi-communicateur entre le dedans et le dehors, l’altérité révé-lant l’intériorité.

De l’observation d’un jeu qui trouve en lui-même son équilibre sedégage un discours de la méthode. Tenant compte d’un rééquilibrageentre les sujets actant, l’analyse des types d’interaction doit permettre laprévision de comportements dont Alex Mucchielli remémore les condi-tions en nous rappelant les impératifs de cadrage. La focalisation duregard, l’angle de vue, la mise au point du dispositif introduisent, à cetégard, dans le champ de l’observateur, des éléments concluants destinésà passer d’une relation linéaire pauvrement signifiante à l’explication dif-férenciée, plus complexe, d’un mécanisme relationnel, avec ses dyna-miques contradictoires, ses influences, ses échelles de mobiles qui hiérar-chisent le social. Au microscope du systémiste, se dessinent ainsi les mou-vements de va-et-vient d’une causalité circulaire : l’effet produit soncontre-effet, engendrant un type de communication qui détermine uneforme relationnelle.

(1) Alex Mucchielli Étude des communications : Approche par la modélisation des rela-tions, Armand Colin, 2004, p. 72.

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Limite et mise en question des systèmes. Le changement commeélément vital de la communication.

L’on conçoit alors que le jeu sans fin des réactions et des contre-réac-tions – souvent suscité par une erreur de traduction dans l’interprétationd’un message, une ponctuation discordante tournant au monologue enfigeant l’effet-retour, une confrontation paradoxale à propos du contenucontradictoire d’un message – impossible à connoter par l’exécuteur –puisse aboutir à l’impasse irrémédiable dont les interlocuteurs ne sortirontque par la violence. L’on peut effectivement infléchir les éléments d’un sys-tème en modifiant un comportement, l’énoncé d’un message, mais quandl’ensemble se « grippe », il convient d’en reconnaître l’échec. Le change-ment le plus difficile consiste à faire changer la totalité d’une configura-tion, note Watzlawick :

« Les conduites différentes issues d’un répertoire limité de comporte-ments possibles sont composées selon des séquences différentes pouraboutir à des résultats identiques. »(2).

Dans les systèmes préétablis dont on arc-boute les principes, les indivi-dus ne peuvent plus communiquer. L’autorité fondatrice du discours, questigmatisent Foucault et Bourdieu, confine à cette tétanie de la pensée queSartre appelle pratico-inerte dans la Critique de la Raison Dialectique. À lamanière de cercles concentriques se dégagent simultanément deuxlogiques systémiques : la logique d’un système préparatoire à l’échangelequel circonscrit, soit par cooptation tacite ou verbale soit, dans le piredes cas, par soumission, le terrain du jeu relationnel. Le changement appa-raît alors comme une fonction constitutive du système en même tempsqu’une de ses résultantes car toute démarche d’interconscience tend à sedépasser, tout système intègre son apoptose et son entropie.

La rubrique Débat du n° 775 du Courrier International proposait cethème : Que faire des Nations Unies ? Cet organe emblématique de l’inter-échange planétaire, lequel influe sur les modes opératoires desconsciences individuelles communicantes, donne en l’état des signes d’in-efficacité se traduisant, de par le monde, en termes de contre-perfor-

(2) P. Watzlawick, J. Weakland, R. Fisch : Changements, paradoxes et psychothérapie,Paris, Seuil, 1975, p. 35.

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mances. La réforme du système s’impose ou du moins sa revitalisation, sarégénérescence :

« Mais la réforme des Nations Unies ne dépendra pas de la volonté de telou tel individu, en tout cas pas de celle d’un secrétaire général qui se montreirritant à force de diplomatie ou d’un ambassadeur américain braillard etrompu aux méthodes d’intimidation, juge Moisés Naim, directeur de la revueForeing Policy. Le changement ne se produira que quand les êtres et leursopinions – autrement dit, vous et moi prendront conscience que l’avenirdépend pour une bonne part du bon fonctionnement de l’ONU. Si Bolta etMugabe, par leur comportement, parviennent à susciter cette prise deconscience, ils seront peut-être la meilleure chose qui soit arrivée à l’ONU. »(3).

Le confluent des réflexions sur l’interactivité dont Palo Alton’a point le monopole : la force de conviction, les corrélationset la notion sous-entendue d’inférence

L’on pourrait arguer que les constats de Palo Alto participent, en fait,d’une conception génératrice et coactiviste de l’être-au-monde, Watzlawickavouant s’inspirer lui-même de Jean Piaget :

« Au fur et à mesure qu’il dévoile le fruit de ses recherches, Piaget nonseulement démontre que l’idée qu’un monde “extérieur” existe indépen-damment de soi résulte d’actions d’exploration, mais il explique aussi laformation de concepts aussi fondamentaux que la causalité, le temps et, endernier ressort, ce qu’il appelle l’“élaboration de l’univers”. Si tel est bienle cas, l’on peut en déduire qu’à l’évidence différentes actions mènent àdifférentes constructions du réel, donc à des “réalités plurielles” ».(4)

L’interaction communicative devient un médium cognitif : « Si vous vou-lez voir, apprenez à agir »(5), s’exclame Paul Watzlawick. La communicationn’est pas acquise, elle se construit. Boris Cyrulnik nous a montré, lors d’unrécent colloque sur l’Emergence, à Mouans-Sartoux(6), que la soumissionn’est pas du bois de l’obéissance. Dans le premier cas, le système se

(3) Revue de presse du Courrier International (p. 46) extrait du journal El País.

(4) Paul Watzlawick ds L’art du changement, de Giorgio Nardone et Paul Watzlawick,L’Esprit du temps/psychologie, p. 26-27.

(5) Ibid, p. 17.

(6) Boris Cyrulnik, dimanche 11 septembre 2005, 11 h 45-12 h 45, Colloque surl’Emergence, Mouans-Sartoux.

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résume en un rapport entre le fort et le faible. Dans le second, l’adhésionrelève du sentiment d’appartenance, c’est-à-dire d’une volonté d’organisa-tion commune acceptée puis représentée. Le troisième cas, figurant unesituation d’échange, coconstruit la réalité que nous pensons coopter avecl’autre, ce que Boris Cyrulnik entend par tisser du lien… Nous écrirons, enl’occurrence, intertisser, ce qui revient à souligner l’engagement et la vita-lité de l’édification créatrice existentielle et surtout la faculté d’uneconscience d’en transformer une autre en se transformant par l’échange aucœur de ce système :

« La communication est un processus qui met en jeu deux dispositifs detraitement de l’information, notent, en 1986, Dan Sperber et DeirdreWilson. L’un des dispositifs modifie l’environnement physique de l’autre.Ceci a pour effet d’amener le second dispositif à construire des représen-tations semblables à certaines des représentations contenues dans le pre-mier ».(7)

Voici pour la pertinence et le jeu des influences. Mais, le dispositif conte-nant se conduit aussi tel un en-soi chargé de sens et déterminant des com-portements :

« Dans ses William James Lectures, Grice a formulé une idée d’uneimportance fondamentale : l’acte même de communication suscite desattentes que cet acte ensuite exploite. »(8).

Même s’il semble à tout le moins hardi de risquer des rapprochementsd’une telle nature – Dan Sperber et Deirdre Wilson destinant leur œuvre àla sphère linguistique – l’interaction dont parle Watzlawick s’établit souventdans le domaine de l’indémontrable, ce que les auteurs d’une logique dela communication qualifient, avec Langer, de « connaissance la plus immé-diatement sensible. » (9)

Le système d’accueil des intrants – inputs, données réciproques –devient à son tour moteur cognitif en suggérant à la conscience les intui-

(7) La pertinence/communication et cognition, Dan Sperber et Deirdre Wilson, traduitde l'anglais par Abel Gerschenfeld et Dan sperber, Edit. de Minuit, Paris, 1989, p. 11.

(8) Ibid, p. 63.

(9) Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin, Don. D. Jackson , Une logique de la com-munication, Points Seuils, Paris, 1972, p. 265.

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tions de sa connaissance et d’une reconnaissance. Cela se fait sansdémonstration, par inférence :

« La compréhension inférentielle d’énoncés, qui est aussi à nos yeux un pro-cessus central, se distingue de la réflexion scientifique […] La compréhensionordinaire des énoncés est, elle, presque instantanée. Même si dans le proces-sus de compréhension les données et les hypothèses dont on pourrait en prin-cipe tenir compte sont innombrables, les seules dont on tienne compte en faitsont celles qui sont immédiatement accessibles […] qui plus est, les humainsont peut-être la capacité de maîtriser plusieurs techniques d’inférence non-démonstrative […] Il est loin d’être évident, de surcroît qu’un modèle adéquatde l’inférence doive être fourni par un système de logique inductive. »(10)

Selon Dan Sperber et Deirdre Wilson, la pertinence optimale – la forcede conviction – résulte du rapport effort-effet, qui traduit l’intensité d’uneséquence de communication naturellement sous-tendue par le souci,constant et réciproque, de ladite pertinence que connaissaient parfaitementles analystes américains de la propagande, précurseurs de Palo Alto, dansles années trente. De surcroît, ce jeu soutenu crée son contexte, lequelgénère, au stade de la structuration normale des échanges et d’un passageà la séquence suivante, une autre phase de l’interactivité venant aménagerun nouveau contexte.

Le jeu communicationnel : théâtre de vie, théâtre de ville

Cette dynamique est celle de l’interview télévisuelle de nature politiqueet surtout, depuis toujours, le ressort même de la tension dramatique et dujeu théâtral. Car les stratégies que décrit Palo Alto se comportentcomme une intrigue. Au fil d’un excellent recueil d’essais critiques réunissous le générique de Théâtre en jeu, Bernard Dort apporte, en la reminé-ralisant, une eau nécessaire au moulin du systémisme de Palo Alto puisquela métaphore théâtrale reconstitue le lien du « tout est en train (forme pro-gressive) de se dire, de s’entendre et de se coconstruire, » dans une tripledimension qui plairait à Merleau-Ponty(11) – le dialogue et l’oreille-regardconcernés:

(10) La pertinence/communication et cognition, Dan Sperber et Deirdre Wilson, traduitde l’anglais par Abel Gerschenfeld et Dan sperber, Edit. de Minuit, Paris, 1989, p. 105,106, 107.

(11) M. Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible.

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« La problématique du je ou du il s’en trouve déplacée. Elle suppose untroisième terme : pour Brecht, le comédien en tant que tel, inscrit, selonson mode spécifique, dans la production sociale. C’est que, en effet, sitôtsur les planches, le je vire au il. A la limite un théâtre à la première per-sonne du singulier est tout bonnement impossible : il romprait avec lareprésentation. Mais l’exigence de la distance n’en demeure pas moins. Aucontraire. A l’affirmation, face au personnage, de l’acteur comme individusingulier, se substitue celle du comédien comme spécialiste de la scène ou,plus largement, comme membre d’un groupe : le collectif du spectacle.Ainsi de la première personne du singulier passe-t-on à la première per-sonne du pluriel : du je au nous –un nous qui n’est pas donné d’embléemais qui se construit dans et par le travail théâtral »(12).

Parfois le groupe actant se met en abyme de sa propre causalité circulaireet se « joue jouant », notamment lorsqu’il utilise un texte brut, celui d’un romanpar exemple, sans le transposer, diegesis et mimesis d’une reconstruction.

« le groupe double le romancier. Il raconte ce qui a déjà été raconté,mais il le fait alors en son nom à lui, collectif de théâtre. »(13).

Ce relais sans inflexion risque d’échapper à ce que Morris désignaitcomme interprétants musculaires, ces phosphènes du spectaculaire que,dans Le théâtre et son double, Antonin Artaud se représente tel un « sangd’images »(14). Pareils systèmes de communication s’avèrent constitutifs dela ville, telle qu’elle est, telle qu’elle n’est pas, comprenez en cela telle qu’elleest dans la réalité de l’imaginaire ; aussi dans le sentiment d’appartenancecosuscité par le réseau d’échanges.

Il s’agit de rappeler à cet endroit que les préoccupations de l’école deChicago complètent – du reste simultanément aux premiers écrits deBateson (1936-38) – les investigations de Palo Alto dans une mouvancequi, marquée non seulement par le développement exponentiel des agglo-mérations mais aussi par les mutations de l’univers paysan consécutive-ment aux bitter years, interroge toutes les déclinaisons du système relation-nel, a fortiori les champs urbains dont émerge la concitoyenneté.. D’aprèsRobert Erza Park,

(12) Bernard Dort, théâtre en Jeu/Essais de critique 1970-78, Édit. du Seuil, Paris, 1979,p. 241.

(13) Ibid, p. 245.

(14) Antonin Artaud, Le théâtre et son double, idées, Gallimard, Paris, 1964, p. 125.

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« La communication […] c’est un processus psychosocial qui permet à unindividu d’adopter, en un certain sens et jusqu’à un certain point, les atti-tudes et les points de vue d’un autre […] La communication et la concur-rence sont des processus sociaux élémentaires qui assurent et maintien-nent la continuité de la communauté urbaine comme unité organique etfonctionnelle ».(15)

En communiquant à travers le système qu’ils activent, les citoyens édi-fient la ville qui par un phénomène de résonance circulaire circonscrit leurreconnaissance en restituant à chacun d’eux sa propre identité. La quêteconsubstantielle d’une altérité nécessaire et d’une individualité réflexive nesaurait s’identifier à la figure mythologique de l’individualiste.

« La capacité d’initiative de l’individu moderne, écrit Jean-ClaudeKaufmann, se forme pour l’essentiel ici et nulle part ailleurs dans ce travaild’arbitrage beaucoup plus que dans un supposé “quant-à-soi« qui le pla-cerait loin du social et à distance des rôles »(16).

Le constructivisme : une vision « partagée »

Comme le Panisse de Pagnol « sauvait les sauveteurs », l’homme s’éla-bore en récupérant les effets d’une construction de laquelle il participe.S’édifier à partir d’un jeu de situations et de dispositions dont on accepteensemble les règles tout en le relativisant et sans se sentir pour autant pri-sonnier de son inertie, voici le seuil de raisonnement du systémisme où sefonde le constructivisme. Au terme d’une revendication d’appartenancelégitime de leur école, celle de Louvain la Neuve, à la conception construc-tionniste, Federica Russo, Caterina Rea, Laura Salamanca Avila concluenten rapprochant implicitement les points de vue de Bateson ou deWatzlawick de « l’agir communicationnel » défini par Jürgen Habermas.

« Les systèmes de communication impliquent toujours un rôle actif etd’opération, précisent-elles, de la part des membres qui les constituent. Ily a bien, ainsi, constitution du sens, structuration et restructuration du réel,

(15) Robert Erza Park, La ville, phénomène naturel dans L’École de Chicago/Naissancede l’écologie urbaine, présentation de Y. Grafineyer et I. Joseph, Aubier, Champ urbain,Paris, 1998, p. 190.

(16) L’invention de soi/Une théorie de l’identité, JC Kaufmann, Édit. Armand Colin,Paris, 2004, p. 94.

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mais un tel processus actif et structurant s’accomplit toujours par la com-munication, dans une œuvre commune et inter-relationnelle. »(17)

Ce lien, permettant d’établir, de multiplier, de juxtaposer, de substituer leséchafaudages, nous donne la véritable mesure des phénomènes cognitifsqui président à la démarche des consciences humaines interconnectées.

« Pour un esprit scientifique, déclare Bachelard, toute connaissance estune réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoirconnaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout estconstruit. »(18).

Une mise en abyme nécessaire. L’« épaisseur » et la complexité des« mécanismes » relationnels

Edgar Morin nous a donné, dans ses Reliances, son sentiment de la com-plexité, ce « lien entre différents phénomènes », regrettant de voir « diver-ger » la science et la philosophie dans notre façon de communiquer avecl’univers.

« Il ne suffit donc pas d’avoir la scientificité, il faut avoir de la réflexivité,c’est-à-dire réfléchir, pas seulement réfléchir à mais réfléchir sur ce qu’onfait soi-même. »(19)

S’interroger en ces termes, c’est admettre une cybernétique et considérer lapluralité des changements, des moyens de « saisir » et des angles de vuecomme la manifestation permanente à l’esprit d’un autre possible, de l’Autrepossible, déjà comprise par Paul Watzlawick au regard d’une stratégie de lapsychothérapie brève, capable de prendre en compte notre aptitude à recadrerdes réalités subjectives dans une logique non dénuée d’interdépendance :

« Un sourire est un événement objectivement vérifiable au royaume dela réalité de premier ordre. Mais sa réalité de second ordre, c’est-à-dire laquestion de savoir s’il signifie sympathie ou mépris, est au-delà de toute

(17) La place du constructivisme pour l’étude des communications, Actes du colloquede Béziers, avril 2003, sous la direction d’Alex Mucchielli, Université Montpellier III,Edit.

(18) Gaston Bachelard, La formation de l'esprit scientifique, Vrin, Paris, 1938, rééditionVrin, 2004, p. 16.

(19) Edgar Morin, Dialogue sur la connaissance suivi de Reliances, Édit. de l’Aube,Paris, 2004, p. 118.

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vérification objective. Or, pour revenir à mon point de départ, voir la bou-teille à moitié pleine ou à moitié vide n’a rien à faire avec la bouteille entant que telle, mais avec l’ensemble du cadre de référence d’une personne.

Je soutiens que toute psychothérapie efficace consiste en un change-ment réussi de ce cadre de référence ou, en d’autres termes, de la signifi-cation qu’une personne attribue à un aspect spécifique de la réalité… »(20).

Venant compléter la relativité du cadrage, autre façon d’affirmer que « je »peut être un autre, nous devons également introduire l’influence et le pro-jet en tant qu’éléments générateurs des comportements dans les communi-cations interpersonnelles au sein d’un groupe, ce que déjà Bateson plaçaitau cœur de son œuvre, définissant le contexte interactif en même tempsque la psychothérapie répondant à la perturbation de son vécu par l’un desacteurs,

« contexte de communications à plusieurs niveaux, qui implique l’explo-ration de frontières ambiguës séparant le littéral du métaphorique, commela réalité du phantasme… »(21)

Dans ce monde « contrarié » d’interinfluences, le système trouve seslimites et justifie sa pertinence puisque le jeu subsiste et remet en évidenceun lieu géométrique de tensions, celui de la causalité circulaire. L’on peut dureste, à l’intérieur de ladite circularité, tenir la démocratie pour un concoursd’influences contrebalancées, répondant probablement à la vision préalabled’un Tocqueville. En formatant a priori les effets de l’influence, le terrorismepose la réponse, nihiliste, avant la question qui consiste à rigidifier le sys-tème, à bloquer le principe de causalité circulaire, à figer le mouvement dela communication dans « l’être pour la mort », qu’évoque Heidegger. À cejeu des complexités, le phénoménologue sait que les systèmes ne disparais-sent point sans laisser de trace et que plusieurs causalités circulaires sou-vent interfèrent, forçant le partenariat moi-l’autre à tenter de s’accomplirdans ce que Jean-Toussaint Desanti, reconnaissant à l’évidence leur plura-lité de causes et d’effets, baptise « déchirures » :

« Localement, le tissu social est devenu moins contraignant. Et, en mêmetemps qu’il devenait moins contraignant, ces déchirures ont été mainte-

(20) Paul Watzlawick, La technique thérapeutique du « recadrage » dans Stratégie de laThérapie brève, Paul Watzlawick, Giorgio Nardone, Seuil, Paris, 2000

(21) G. Bateson, Vers une écologie de l’esprit, Seuil, Tome 2, Paris, p. 32.

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nues. On n’a pas cherché à faire des reprises, mais à s’insérer dans lesdéchirures, à les élargir plutôt, sans nihilisme, pour vivre mieux là, pourvivre mieux ici, dans un rapport plus libre, mieux concentré, mieux vécuavec les autres. On a cherché, en somme, une sorte d’harmonisation desrapports au sein même de ce qui constitue la rupture. C’était ça qui étaitprofondément révolutionnaire. »(22).

Le mouvement qui caractérise les processus communicationnels poussetoujours les interlocuteurs jusqu’au point de rupture dont il faut revenirafin d’animer le système et de le modérer par la démultiplication des effets-retours qui ressemblent aux pas d’une danse : découpage rythmique d’undialogue avec et dans le temps. Curieusement, Edgar Morin se plaît d’yfaire allusion dans ses Reliances tandis qu’Ernesto Sabato préface l’excel-lent ouvrage sur le tango de l’argentin Horacio Salas… Le tango s’exprime,dit-il, en « acte de fuite ou de rébellion », successivement abandon de soi-même à l’autre et résistance. Il atteste que :

« On crée ce que l’on n’a pas, ce qui d’une certaine façon est objet denotre désir profond et de notre espérance, ce qui nous permet de nousévader comme par magie de la dure réalité quotidienne ».(23)

La logique dynamique des constats d’échange ne peut se passerni de la « secondarité », ni de la « protensivité ».

Mais l’intensité de l’échange traduit aussi la peur et la tentation de lamort, l’angoisse de l’absence et du manque, le refus de perdre le désir d’unailleurs ou d’un autre. Les arguments de la thérapie brève ont peut-êtrebesoin du temps de la psychanalyse, c’est-à-dire de la durée, mémoire etprojet. Faites vous-même votre malheur, ouvrage de Paul Watzlawick culti-vant le trouble d’une étrange dérision, semble évoquer les méandresatones de l’aphanisis, l’absence d’envie qui préoccupe Lacan :

« Gardez-vous d’arriver. Mieux vaut voyager plein d’espoir qu’arriver aubut, nous dit la sagesse japonaise et les Japonais ne sont pas les seuls quise méfient de l’aboutissement. Lao-tseu recommandait déjà l’oubli de la

(22) Dominique Desanti, Jean-Toussaint Desanti avec Roger-Pol Droit, La liberté nousaime encore, Odile Jacob, Paris, 2004, p. 257.

(23) Ernesto Sabato, Préface de Le Tango, Horacio Salas, Babel, Actes Sud, Arles, 1989,p. 11.

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tâche une fois qu’elle était accomplie. Et Shakespeare écrit dans son129e sonnet :

“N’en ayant pas sitôt joui on le méprise, Ce pourquoi l’on ardait, sitôt qu’on l’a eu,On le hait comme l’appât gobéÀ dessin offert pour affoler le gobeur…«Et l’on pense à Oscar Wilde et à son aphorisme célèbre et souvent pla-

gié – il est deux tragédies dans l’existence : l’une est de ne pas réaliser sonrêve ; l’autre est de le réaliser. »(24)

La systémique ne peut distraire notre crainte rémanente d’un collapsusou d’une indisponibilité dans le vivant, à l’écart de l’opportunité :

« Ce qui compte, c’est la rupture dans le tissu de la conjoncture qui faitsurgir l’évènement, suggère André Green. Sous cette catégorie peuvent sesubsumer l’expérience du manque, de la perte d’objet, de la révélation, dela castration, de la scène primitive qui poussent à la fabrication du fan-tasme, de la réminiscence, du moment où le projet se cristallise, de ladécouverte du jeu, de l’auto-érotisme, du « saisissement » esthétique, de la« crise symptomatique », de la prise de conscience, etc. […]. Bien entendunous retrouvons ici la contradiction de la conjoncture et de la structuredans la situation de l’évènement : sans la structure, l’événement n’est pasintelligible. Mais, en revanche, la structure ne contient pas l’événement :celui-ci justement émerge de la conjoncture et introduit dans la structureune obligation de remaniement ; la structure devra à la fois se nourrir del’événement, et y apposer sa griffe, ce qu’elle ne peut faire qu’en l’absor-bant ou en se transformant profondément ; c’est là qu’intervient l’objet.

Par objet, nous entendons l’effet de la rencontre avec l’événement issude la conjoncture et de la structure ».(25)

Ainsi, les intersystèmes qui nous régissent s’activent-ils comme formeorganisationnelle à trois termes : une « panoplie » de schèmes de contact etd’ingérence, un contexte d’occurrence et l’épiphanie qui crée l’objet d’uneautre part où s’illuminera notre reflet. Car l’Autre est toujours en question,pierre de touche et caisse de résonance où notre voix nous entend, pourparaphraser Malraux :

(24) Paul Watzlawick, Faites vous-même votre malheur, Seuil, Paris, 1999, p. 61.

(25) André Green, Le discours vivant, p.u.f, Paris, 2004, p. 197, 298.

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« Comment l’être réel, c’est-à-dire non seulement objet intentionnel d’unacte quelconque, mais objet « se confirmant » en moi d’une manièreconcordante- comment peut-il être pour moi autre chose que, pour ainsidire, le point d’intersection de mes synthèses constitutives ? »(26), sedemande Husserl.

La réponse réside dans un « entresystème » aux perspectives insondablesque l’on nomme l’empathie, lequel régit par inférence notre cybernétiqueoriginelle et notre conscience immédiate, affective, d’un monde à covivre.

Pierre Bustany, neuropharmacologue(27) de renom, souligne le rôle desneurones-miroirs :

« Il s’agit en fait de la mise en relation particulière des réseaux neuro-naux (…) montés, en quelque sorte, pour fonctionner dans les deux sens :s’activer pour faire (ou imaginer) une action donnée (fonctionnement nor-mal) et être activés lorsque cette même action précise est vue chez uncongénère. Et cela est valable pour les gestes comme pour les mimiquesd’expression des sentiments. On pense que ce mécanisme stupéfiant est labase neurologique cérébrale du pouvoir inouï de percevoir peu ou proula pensée intérieure d’un congénère : ses sentiments, ses projets d’action :ami, ennemi ? Sa fiabilité : fair-play-tricheur ? Cela va en parallèle avec laconscience de soi (le self) puisqu’on se définit en même temps comme êtrepropre (self), différent de l’autre et de son état mental que l’on déchiffre.Ce pouvoir d’analyse, c’est l’empathie. Connaître l’état mental d’autrui nouspermet de modifier nos actions en conséquence et donc de programmerdes stratégies, de manipuler autrui, de l’aider. »(28)

L’altruisme apparaît qui peut aller jusqu’à l’oblativité. Dans ce derniercas, l’individu-qui-donne se confond à l’autre, oubliant son intérêt person-nel et levant toutes ses défenses. Les caméras dites à positons cernent leszones activées, notamment le gyrus post central, lorsque l’on se met men-talement à la place de quelqu’un, suivant les expériences de Jean Decetyà Seattle et Lyon. Cela ne contredit pas les positions de Palo Alto sur unepraxis communicationnelle générant son régime de systèmes. Watzlawick

(26) Edmond Husserl, Méditations cartésiennes, introduction à la phénoménologie,Édit. Vrin, 2001, p. 172.

(27) Université de Caen (CHU).

(28) Colloque de Mouans-Sartoux sur l’Émergence, sept 2005.

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s’enorgueillit de s’attacher au présent des êtres dans leur rapport au mondeet la perception de nature intuitive n’est certes pas étrangère au change-ment qui constitue l’aboutissement d’une thérapie, d’une prise en charge,d’un lien déterminant, d’une responsabilité presque immédiate d’autrui.

« L’approche stratégique ne se fonde pas sur une théorie qui décrit lanature humaine en fonction de concepts… »,

déclare-t-il au sein d’un ouvrage qu’il cosigne avec Giorgio Nardone.Jung ne dit pas autre chose dans sa façon de concevoir le rapport aupatient. Cette aperception n’est pas du seul fait des chercheurs de PaloAlto, lesquels justifient un système structurel dont la validité n’opère – àdivers moments de la conscience individuelle ou collective ? années trente,après-guerre, maccarthysme, soixante-huit, choc pétrolier, crise euro-péenne – que grâce au parti pris par l’interprète.

Inlassablement, n’ont cessé d’émerger puis de foisonner de multiplesréflexions d’inspiration cognitive dans l’espoir d’une modélisation pragma-tique de l’homme-communiquant.

LES MOYENS D’INTERPRÉTER LES MANIFESTATIONS,LES RESSORTS ET LES INFLUENCESCOCONSTRUCTIVES DE L’INTERACTIVITÉ

L’école de Palo Alto peut-elle proposer des modèles dans un sys-tème ouvert susceptible d’en générer d’autres ?

Le Robert Historique donne de modèle (dans le sens de modéliser) ladéfinition suivante : « système représentant les structures essentielles d’uneréalité. » Sommes-nous en droit de penser que le systémisme de Palo Alto– dont Paul Watzlawick, J. Helmick Beavin et Dan D. Jackson ont, enquelque sorte, signé le manifeste sous le titre Une logique de la communi-cation – constitue véritablement des « patterns » susceptibles d’offrir àl’Amérique, soucieuse d’efficacité, des types de communication capablesde préfigurer des stratégies, de prévoir des comportements, d’extrapolerdes abstractions – plus exactement des organisations cellulaires du vivantcybernétique ?

Au regard des contextes historiques successifs dans lesquels se sont éla-borées les réflexions de Watzlawick, notamment son refus de participer

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aux applications à caractère militaire des différents laboratoires deStanford, l’on suppose qu’il s’est gardé, pratiquant d’autre part unerecherche sur les thérapies du changement, de répertorier des rapproche-ments établis entre des observations d’expériences comme des paradigmesde relations humaines déposés en une manière de pavillon de Breteuilexhaustif des conjectures.

Les auteurs d’Une logique de la communication ne s’interdisent pointcependant d’utiliser l’expression « modèles » (Cf. 4-1) mais en considérantces derniers, non en tant que produits d’une suite d’applications analoguesdans le cadre d’une expérimentation mais bien comme schémas existantau filigrane sui generis d’une interaction :

« Nous allons examiner les modèles que suivent des communications quise répètent et se maintiennent, c’est-à-dire la structure des processus decommunication. »(29)

La communication n’est pas une vue de l’esprit, l’organisation par lapensée d’un mode opératoire a posteriori. Selon Watzlawick, « elle affectele comportement et c’est là son aspect pragmatique » car « l’impossibilité decommuniquer n’a pas qu’un intérêt théorique ». Il s’agit donc d’observer lephénomène qu’elle constitue tout en sachant pertinemment que, du pointde vue critique, contrairement à la métamathématique,

« les recherches sur la métacommunication souffrent d’une double infé-riorité significative. La première c’est que dans le domaine de la commu-nication humaine, il n’existe rien de comparable, pour le moment au sys-tème formel d’un calcul. Comme nous le verrons, cette difficulté n’est pasune raison d’écarter un concept commode. La deuxième difficulté est étroi-tement liée à la première : les mathématiques, eux possèdent des langages(les nombres et les symboles algébriques en mathématique, et le langagenaturel pour parler de la mathématique); nous nous trouvons presqueexclusivement limités au langage naturel pour véhiculer à la fois commu-nication et métacommunication. Ce problème ne cessera de se poser toutau long de notre réflexion. »(30)

(29) Paul Watzlawick, J.H. Beavin, Dan D. Jackson, Une logique de la communication,le Seuil « points », Paris, 1972, 4.1, p. 117.

(30) Ibid, 1-5, p. 36.

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Pour reprendre le vocabulaire cher à Bergson et à Ricœur, nous allonsdonc « feindre » de disposer d’un autre langage et nous contenter d’expri-mer le regard d’un mouvement, la modification suscitée par une interaction– input (ce que l’on y met) ouput (ce qu’il en ressort) –, les transformationsde comportement et de caractère, y compris celui de l’observateur, s’il nes’en préserve ou s’il ne tient compte de la marge subjective de l’analyse.

Je n’ai pas de modèle stricto sensu qui permettrait – illusion de principeignorant l’aléa, « frottement » des expériences du vivant –, le manipulant, lepréfabriquant ou l’utilisant à dessein, de gérer un monde tel qu’on voudraitqu’il fût. J’ai simplement, comme une caméra balayant successivement lesinteractions, les interférences et focalisant l’ensemble, des références decadrage et des axiomes d’évidence liés à l’observation des changementsqui prennent sens en donnant sens à la situation. La méthode consiste, enl’occurrence, en un état de vigilance communicationnelle. Les modèless’enchaînent et se modulent, séquence après séquence, dans un systèmeouvert qui peut en inverser la cohérence.

En premier lieu : prêter un sens à l’interaction constructive

Mais l’important réside dans la constatation qu’il se passe quelque chose.L’œil est circulaire et le lieu-moment de la relation reste à chaque fois cir-culaire, ping-pong d’effets et d’effets-retour agissant sur les communica-tions et les communicateurs.

Parallèlement à Palo Alto, l’école de Chicago nous en a dessiné lescontours, semblables à ceux de la ville, structure d’interéchanges. Ainsi,Roderick D. Mckenzie note-t-il que

« La rapidité de circulation intercommunautaire (community turn over)exerce des ravages sur les modèles locaux de quartier. Il est impossibled’avoir une vision locale efficace dans un quartier où les gens déménagentconstamment. »(31)

Puis McKenzie cite C.H. Cooley :

« Notre hygiène morale dépend des relations intimes que nous pouvonsavoir avec un groupe quel qu’il soit : habituellement, notre famille, nos voi-sins et quelques amis. C’est l’échange régulier et permanent des idées et

(31) R.D. Mackenzie, Une étude de la vie locale à Colombus, Ohio, dans l’École deChicago, Aubier, Paris, 1990, p. 123.

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des sentiments avec ce groupe – et une conscience permanente de sonopinion – qui donne à nos yeux une réalité aux normes du bien et dumal… »(32)

À Princeton, Hadley Cantril a considéré, dès 1940, le cercle d’influencesperturbé par la potentialisation des réflexes individuels lors de la commu-nication d’un risque à courir. Le cercle se rompt et d’autres cercles phago-cytent l’espace communautaire autour de leur instinct de conservation. Lacommunication de l’extrême brouille les comportements.

« One of the most universal of all values is, of course, life itself. Almostequally ubiquitous is the value of life for one’s immediate relatives. »(33)

Ne traduisons que l’essentiel : penser d’abord à sauver sa propre exis-tence et celle de ses proches. La communication véhicule les pulsions demort et de vie.

Mais l’efficacité de l’interaction ne se mesure pas seulement au « vif »d’une réaction que l’on qualifierait d’épidermique. Elle est aussi transfor-mation, c’est-à-dire durée. L’on apporterait sans doute une contributioncomplémentaire intéressante à l’œuvre des chercheurs de Stanford en ajou-tant, au concept générateur de modification du comportement par la fonc-tion communicante, une étude sur le temps et ses déclinaisons, notam-ment, l’engrammage progressif et le jeu des influences, en termes chrono-logiques. Watzlawick évoque davantage ce qui change que ce qui se trans-forme, suivant la définition qu’en donne François Jullien :

« […] la transformation ne se voit pas. On n’en voit que les résultats. Onne voit pas le fruit entier mûrir, mais on constate un jour que le fruit estmûr, prêt à tomber. […] Or les Chinois nous disent : mais toute la réalité enfait n’est qu’une suite de transformations. L’action est saillante, pelliculaire,apparente ; mais seule la transformation est effective. Car l’action n’est toutau plus qu’une focalisation – coagulation – crispation dans le cours continudes choses, ce qui la condamne structurellement à demeurer éphémère etsuperficielle. On pourrait même l’exprimer de façon inversement propor-tionnelle : moins cela se voit, plus c’est effectif, cet invisible qui fait le réel

(32) Cf. L’École de Chicago, p. 225.

(33) Hadley Cantril, The invasion from Mars, A study in the psychology of panic, HarperTorchbooks, Harper and Row, N.Y, 1966, p. 199 (copyright, Princeton University, 1940).

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étant non pas un invisible métaphysique (idéal, théologique), mais l’imper-ceptibilité de la transformation continue et progressive. »(34)

Les observations de Palo Alto ; leur pragmatisme : dynamique degroupe et problèmes psychologiques d’ordre relationnel

Il nous revient, à cet instant de la réflexion, de montrer comment lesthèses de Watzlawick et des chercheurs palo-altiens ne se réduisent pointà l’inventaire de constats d’apparences directement « utiles » aux tactiquesd’une approche communicationnelle. Si leur validité persiste, c’est qu’ellescontiennent non pas des modèles prêts à l’emploi mais plutôt un moded’emploi, c’est-à-dire celui d’une lecture communicationnelle, de mêmeveine que la sémiosis de Peirce, dans un système dynamique de connota-tions – ici comportements à valeur ajoutée – qui permet de dépasser lessystèmes eux-mêmes afin d’en créer d’autres, indéfiniment.

Aussi, du modèle de Palo Alto ne nous attardons pas sur les archétypesdégagés par une espèce de statistique a posteriori des cas de figures donts’ensuivrait une classification. L’originalité du systémisme tient au contraireà l’appréhension d’un réseau fondamental quasi « génétique », variable,extrêmement sensible et performant, du processus communicationnel des-sinant une structure à cartes mobiles, séquentielle, dont le « stroboscope »du regard observant doit saisir la démarche. Nous en retiendrons donc lesaxiomes essentiels, tels des codes barres permettant le « déchiffrage » dusens :

• Primo, l’impossibilité de ne pas communiquer, revenons-y. Watzlawickaffirme, à juste raison, qu’il n’y a pas d’absence de communication. Toutcomportement est induit par une interaction. Ceux qui croient s’exclurecommuniquent. L’autiste communique :

« Mais non-sens, silence, retrait, immobilité (ou silence postural), ou toutautre forme de refus, étant encore une communication, le schizophrènese trouve avec le problème insoluble de dénier qu’il communique quoique ce soit, et en même temps de dénier que son désir lui-même soitune communication. »(35)

(34) François Jullien, Conférence sur l’efficacité, Libelles, p.u.f, Paris, 2005, p. 56-57.

(35) Une logique de la communication, Seuil Paris, 1972, 2.23.

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• Car le comportement n’a pas de contraire :

« Un homme attablé dans un bar rempli de monde et qui regarde droitdevant lui, un passager qui dans un avion reste assis dans son fauteuilles yeux fermés, communiquent tous deux le même message : ils neveulent parler à personne, et ne veulent pas qu’on leur adresse laparole ; en général, leurs voisins “comprennent le message” et y réagis-sent normalement en les laissant tranquilles. Manifestement, il y a là unéchange de communication, tout autant que dans une discussion ani-mée. »(36)

• Viennent, après, la forme et le niveau d’une communication, le rapportentre relations et contenus.

« […] Une communication ne se borne pas à transmettre une information,mais induit en même temps un comportement […] Il semble en fait queplus une “relation” est spontanée et saine, et plus l’aspect “relation” de lacommunication passe à l’arrière plan. Inversement, des relations“malades” se caractérisent par un débat incessant sur la nature de la rela-tion, et le contenu de la relation finit par perdre toute son importance. »(37)

• Entendons ensuite la manière dont se ponctue le débat. Cette découpe,qui dessine les limites des pouvoirs et le partage dominant-dominé, cor-respond à l’occupation du contexte et de l’espace de communication parles acteurs en présence.

• Il prévaut également d’extraire la notion de paradoxe selon deuxvariantes :

– L’injonction paradoxale du type « sois spontané » :

« Ce qui fait la gravité de l’injonction paradoxale lorsqu’elle se produitdans un contexte (plus) quotidien, c’est qu’elle peut advenir dans unerelation telle que le destinataire du message n’a pas la possibilité de sor-tir du cadre imposé par le paradoxe parce que le lien qui l’unit à l’émet-teur du message ne lui permet pas de métacommuniquer en le refusantou en en montrant l’incongruité. Un exemple de paradoxe célèbre peutillustrer ce dernier point :

(36) Ibid, 2.2, p. 46.

(37) Ibid, p. 49, 50.

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Un capitaine ordonne à un soldat de « raser tous les soldats de la compa-gnie qui ne se rasent pas eux-mêmes et seulement ceux-là » ; le soldat setrouve alors dans la situation gênante de ne pas savoir s’il doit se clas-ser dans la catégorie des soldats qui ne se rasent pas eux-mêmes et ilest dans l’impossibilité d’exécuter l’ordre strict du capitaine. »(38)

– La prévision paradoxale

Watzlawick affirme :

« Ce paradoxe – apparu dans les communications dès les années 40 –présente d’étroites affinités avec notre recherche, parce qu’il tire sa puis-sance et sont attrait du fait qu’il n’a de sens que dans le cadre d’uneaction continue entre plusieurs personnes.

6.441 Parmi les différentes versions qui livrent l’essence de ce paradoxe,nous avons choisi la suivante :

«Un directeur d’école annonce à ses élèves qu’un examen imprévu auralieu la semaine suivante, c’est-à-dire n’importe quel jour entre lundi etvendredi. Les étudiants – qui semblent avoir l’esprit particulièrement com-pliqué – lui font remarquer que, à moins de violer les termes de sa propreannonce et de ne pas avoir l’intention de faire passer un examen imprévuun jour quelconque de la semaine suivante, un tel examen ne peut exis-ter. Car, disent-ils, si l’examen n’a pas eu lieu le jeudi soir, il ne peut être“imprévu” le vendredi puisque le vendredi est le seul jour possible quireste. Mais si l’on écarte aussi la possibilité d’une examen le vendredi, onpeut même l’écarter le jeudi – le mercredi soir, il ne resterait donc très évi-demment que deux possibilités : jeudi et vendredi. Vendredi, nous venonsde le voir a été écarté. Il ne reste donc que jeudi, mais un examen quiaurait lieu le jeudi ne serait plus “imprévu”. En vertu du même raisonne-ment, on peut éliminer tour à tour mercredi, mardi et finalement lundi,d’où : il ne peut y avoir d’examen imprévu. Supposons que le directeurécoute leur “preuve” sans mot dire puis, le jeudi matin par exemple, fassepasser un examen. Dès l’instant même de son annonce, il avait projeté dele faire passer ce matin-là ; les étudiants, de leur côté, se trouvent devantun examen totalement imprévu – et imprévu pour la raison même qu’ilss’étaient persuadés qu’il ne pouvait pas être imprévu.” »(39)

(38) Edmond Marc, Dominique Picard, L’École de Palo Alto, Retz, 2004, p. 62.

(39) Une logique de la communication, 6-44, 6-441, p. 220-221.

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Watzlawick a raison d’intégrer ce paradoxe à sa vision systémique car iltémoigne des limites de la causalité circulaire et du blocage de son moteurpar un effet se dédoublant pour l’une des parties en présence, l’autre nepouvant réagir dans ce jeu, quand elle doit « reprendre la main », que parun comportement non validable. D’où, l’obligation de sortir du systèmed’implication.

Le plus édifiant propos de Palo Alto se décèle cependant dans quelqueslignes destinées à rappeler son approche pragmatique – et limitée par rap-port aux enjeux – d’une communication de l’humain, plus ondoyante etdiverse que soumise au formalisme « orthonormé » de l’énoncé relationnel :

Ici : « N’a-t-on pas alors l’impression qu’une logique approximativerend leur point de vue plus réaliste? »

Là : « Mais l’importance que j’y accorde se fonde sur l’estimation que jepeux faire des motifs d’autrui, donc sur des hypothèses concer-nant ce qui se passe dans son esprit. Et si je pouvais interrogerautrui sur ses motifs, je n’aurais pas pour autant de certitude […]Tout ceci nous ramène à la question du “sens”, notion essentielle àl’expérience subjective de la communication avec autrui, mais cettequestion nous est apparue objectivement indéniable ».(40)

Question déjà posée. Si modèle il y a, ce modèle suit le mouvement denotre coévolution créatrice. Continuons donc d’interroger l’interaction quinous fabrique et nous lie.

Le « cercle » relationnel

Les causes circulaires fonctionnent telle une succession d’anneaux.Chacune d’elle figure une « alliance » communicationnelle à l’intérieur delaquelle se développe un champ de forces déterminantes et réciproquesdont la résultante prête sens à la relation. Information, rétroaction (feed-back) y rebondissent comme dans un bocal virtuel, transparent, aéré parles contextes extérieurs qui s’infiltrent au gré des échanges.

« Les systèmes autorégulés, c’est-à-dire les systèmes à rétroaction, appel-lent une philosophie qui leur soit propre, philosophie dans laquelle lesconcepts de modèle (“pattern”) et d’information seraient aussi fondamen-

(40) Ibid, 1-63, p. 40.

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taux que ceux de matière et d’énergie au début du siècle. Pour le momenten tout cas, les recherches sur ces systèmes sont très entravées par l’ab-sence d’un langage scientifique suffisamment élaboré pour permettre deles expliquer et quelqu’un comme Wieser, par exemple, a pu dire que cessystèmes étaient à eux-mêmes leur meilleure explication. »(41)

Cela tient au fait qu’ils s’interprètent en constats de confirmation(42), dedésaccord(43), de rejet(44), d’échec ou de déni(45), réactivant la capacité demétacommunication, provoquant – à l’instar d’un « embrayage » intermit-tent – la poursuite de la « conversation », la redistribution des rôles, la dimi-nution consentie d’une prépondérance au sein du groupe, le changementde système et de stratégie. La perception de l’efficacité du processus engagéressortit à des phénomènes d’ordre extralinguistique abondamment étudiéspar l’École de Palo Alto. L’on peut aussi décrypter les indices conversation-nels servant de lien moléculaire au contenu des messages, part irréductibleet symptomatique d’une occurrence particulière.

« La description d’une atmosphère, allègue Wittgenstein, dans l’article609 de son Tractatus logico-philosophicus, est une application spéciale dulangage à des fins spéciales. »

Certains acteurs risquent donc, avant la rupture de l’anneau, de payerleur confiance au maître du jeu, jusque dans la partie frange d’avant laditerupture, et d’aliéner ainsi leur liberté d’interpréter.

Il s’avérerait intéressant de permettre à la notion de thesaurus personneldéveloppée par Umberto Eco de revisiter la théorie de Watzlawick enconsidérant le domaine de représentation de chacun des interlocuteurscomme une source complémentaire d’énergie, propre à réorienter ou déso-rienter le système.

Le recours au paradigme littéraire

• Pareils au sémiologue de Lector in fabula, les auteurs d’Une logique decommunication ne s’interdisent point d’avoir recours à des exemples lit-

(41) Une logique de la communication, 1-3, p. 27.

(42) ibid, 3-331.

(43) ibid, 3-332.

(44) ibid, 3-333.

(45) ibid, 3-333.

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téraires, venant étayer, à leurs yeux, d’une manière globalement préhen-sible(46), les cas cliniques qu’ils utilisent sans compter.

L’homme seul est toujours plusieurs puisque le système génère l’homme,individuellement et collectivement. Qui a peur de Virginia Woolf ?constitue donc, dans l’esprit de son auteur, Edward Albee, un monde(un système) de référence communicationnelle :

« On peut considérer que les personnages de cette pièce, George etMartha, en particulier, constituent un système en interaction qui pos-sède, mutatis mutandis, bon nombre de propriétés des systèmes géné-raux. »(47)

L’équipe de Palo Alto, friande en tout bien tout honneur, de cette « scènede ménage », en profite pour définir, à partir de son observation, les attri-buts d’un système de communication(s).

Deux nous apparaissent essentiels et fortement significatifs :

– La notion de totalité, véritablement préjudicielle et directement prag-matique, forme que délimite et module, dans un processus ouvert, l’in-teraction.

« Il serait possible de faire une description idéale de la Gestalt, de laqualité émergente, de cette distribution des rôles. Il y a dans leurs rela-tions à la fois davantage et autre chose que ce que chaque personnageapporte. Ce que sont George ou Martha, pris individuellement, n’ex-plique pas ce qui se noue entre eux, ni comment cela se noue.Fragmenter tout en traits de caractère ou en structures de personnalitérevient au fond à les séparer les uns des autres, à nier que leurs com-portements prennent un sens particulier dans le contexte de cetteinteraction précise, et qu’en fait, le modèle de cette interaction les per-pétue. »(48)

La communication – celle-ci – se crée tout en créant. Les personnagesne se mettraient pas en quête d’auteur mais en requête d’une situationde dialogue.

(46) Albert Camus, L’homme révolté, Seuil, Paris, p. 314 : « qu’est-ce que le roman, eneffet sinon cet univers où l’action trouve sa forme, où les mots de la fin sont pronon-cés, les êtres livrés aux êtres… »

(47) Une logique de le communication, 5-2, p. 152.

(48) Une logique de la communication, 5-3, p. 156-157.

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– L’interaction permanente qu’évoque Watzlawick au sujet de la pièceen question, laquelle relève d’un caractère ludique appartenant aussibien à la vie qu’au théâtre avec, toujours, un désir de ne pas aboutirtout en souhaitant le faire, au cœur d’une intrigue participant de notremanière de communiquer. Les humains cointriguent afin de « resterdans le coup » – comprenez d’exister par le jeu. .

La contribution de Palo Alto ne doit pas se réduireà son systémisme formel mais jouer le rôled’une « cartographie » de surface invitant à creuser plus profondle lit des investigations humaines

Le travail d’Alex Mucchielli sur l’interaction donne un nouvel éclairageaux théories de Palo Alto, renforçant, de surcroît, l’idée qu’un système saitne pas être systématique quand il se compense et lorsqu’il se pense.Ménageant des fenêtres en transposant, probablement à dessein, l’apportdes nouvelles technologies – notamment les applications d’internet – AlexMucchielli redécouvre, en expérimentant des réalités sociales, les modifi-cations de système et propose, quant à lui, des modèles souples, dispo-nibles à l’intégration de paramètres d’opportunité, plus spécifiquementadaptés aux domaines de la didactique et de l’entreprise. À preuve, deuxexemples parmi d’autres, judicieux et circonstanciés :

La personne et l’estime de soi

Le premier concerne l’audit d’une situation conflictuelle dans une entre-prise. La secrétaire (2), chargée de l’Informatique, dépend d’un directeuradjoint, « pas très compétent » et s’en réfère donc, oblitérant ce dernier, demanière informelle, au directeur du département.

« La secrétaire (2) a des diplômes universitaires élevés qui font qu’elle ala compétence pour traiter les problèmes des dossiers des cadres […] Ellepense, et elle le dit dans son interview, qu’elle aurait mieux sa place auprèsdu directeur pour le seconder dans l’organisation et le contrôle des exper-tises puisque le directeur adjoint est défaillant. »(49)

(49) Alex Mucchielli, Étude des Communications : approche par la modélisation desrelations, Armand Colin, Collection U, Paris 2004, p 155.

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Le schéma global des relations – « système rituel des formes significa-tives des échanges »(50) – montre en ce cas qu’il convient d’intervenir afind’améliorer une situation rendue difficile par les problèmes humains,« les dévalorisations ressenties par les uns et par les autres. » Un réaména-gement de l’organigramme, plaçant notamment la secrétaire (2), sous esti-mée dans l’organigramme précédent, à la tête d’un secrétariat général, enparallèle à la secrétaire du département, tout en conservant, avec son titre,le directeur adjoint, rééquilibre l’ensemble.

La notion de valorisation du rôle nous semble constituer, en l’occur-rence, une interprétation plus humaine et moins « objectivée » de laconception systémique de Palo Alto. Cette disposition d’une pensée« décoinçante » s’inspire sans doute d’une influence indéniable de la phé-noménologie :

« Par une tendance quasi naturelle, l’esprit préscientifique bloque sur unobjet toutes les connaissances où cet objet a un rôle, sans s’occuper de lahiérarchie des rôles empiriques »(51), remarque déjà Bachelard.

La juste valeur et le sentiment d’être reconnu

– Le second modèle – n’ayons pas peur du mot, puisque la démarched’Alex Mucchielli s’attache à saisir des formes de situations, directe-ment « utiles » – se réclame des tentatives d’explication de Watzlawicken introduisant, d’une manière originale et nettement affirmée, les pré-requis d’une reconnaissance nécessaire à la validation d’un rôle (dansl’exemple choisi, les stagiaires nous disent que l’animateur assistant nese montre point « à la hauteur ») et la fonction salutaire de l’aveud’échec afin de dénouer une crise de légitimité pédagogique.

L’existence par la reconnaissance interactive

« Cette communication (qui a la particularité d’être à la fois une commu-nication et une métacommunication) est l’interprétation exacte de la situa-tion vécue. En l’exprimant, l’animateur-assistant renverse le système pré-cédemment construit dans lequel lui “n’était pas à la hauteur” et les

(50) Ibid, p. 156.

(51) G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Vrin, réédition 2004 de l’édit de1938n, p. 117.

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membres du groupe des observés, des “frustrés”. Il redevient un aide pourle groupe, il se repositionne et tout redevient normal. Les participants seretrouvent alors dans le système des communications de départ, systèmequ’ils avaient accepté. »(52)

Dans Parcours de la reconnaissance, Paul Ricœur évoque ce qu’ilappelle une Phénoménologie de l’homme capable :

« C’est par une réflexion sur les capacités qui ensemble dessinent le por-trait de l’homme capable que je tente de répondre à ce défi. […]. Que l’in-clusion de cette analyse des capacités constitue un légitime enrichissementde la notion de reconnaissance de soi trouve une justification dans la parentésémantique entre le mode épistémique propre à la sorte de certitude et deconfiance qui s’attache à l’assertion propre au verbe modal “je peux” soustoutes ses formes, et une des acceptions majeurs du verbe “reconnaître” auplan lexicographique, à savoir le “tenir pour vrai”, que Le Robert place entête d’une série de variantes : avouer, confesser, approuver, etc.”(53)

Les chercheurs de l’École de Montpellier, sous la direction d’AlexMucchielli, réalisent pour leur part une consolidation phénoménologique dece Golden Gate bridge structuré, jeté par Watzlawick et les siens dans l’es-pace de l’interpersonnel, en installant les piles du pont davantage en pro-fondeur, au regard d’une géologie de l’homme vivant, avec ses représen-tations, ses humeurs et ses variables inopinées, l’intentionnalité de ses actes.

« La systémique des communications a perdu du temps en essayant dese calquer sur la systémique technique et formelle. Il s’est reproduit à cesujet la même erreur que celle faite par les sciences humaines ayant voulusinger les sciences physiques et naturelles et cultiver la méthode expéri-mentale, la mesure et le positivisme »(54), le souligne Alex Mucchielli.

Les adeptes inconditionnels de Palo Alto n’ont sans doute péché que parexcès de méthode, par méthodisme, abandonnant la chair et l’âme de l’objet.

Le regard de l’investigateur reprend alors le sens que lui donne Merleau-Ponty. Sa philosophie « veut conduire les choses à l’expression […] préci-

(52) Alex Mucchielli, Approche par la modélisation des relations, p. 139.

(53) Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Les Essais, Stock, Paris, 2004, p. 139-140.

(54) Alex Mucchielli, Approche par la modélisation, p. 177.

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sément pour les faire parler, parce qu’il y croit et qu’il attend (d’elles)toute sa future science. »(55)

Alex Mucchielli fonde ses travaux sur cette présence d’esprit :

« L’acteur humain ne manipule pas les signes qui lui sont extérieurs, ilmanipule des communications qui lui sont attachées et qui prennent diffé-rents reliefs selon les cadres de relations dans lesquels on les met pourles faire parler. Ce n’est pas la structure qui “parle”, c’est l’effort intellec-tuel de l’analyste qui fait parler, et ceci en fonction des contextualisationsdes échanges qu’il fait. »(56)

CONCLUSION CRITIQUE :UNE STRUCTURE DYNAMIQUE EN MAL DERÉSONANCE ET DE PROFONDEUR EXISTENTIELLE

Il convient de réintégrer le temps de la mémoireà l’approche palo-altienne

Watzlawick et ses pairs reconnaissent qu’à l’évidence leur thèse trouvepar nature ses propres limites :

« On peut (alors) se demander si les principes de notre théorie de lapragmatique de la communication humaine peuvent être valables lors-qu’on passe de l’interpersonnel à l’existentiel, et si oui, en quel sens. Nousne répondons pas à la question dans ce livre, et peut-être au fond n’y a-t-il pas de réponse, puisque en poursuivant notre réflexion, nous sommesdans l’obligation de quitter le domaine de la science pour celui de la sub-jectivité, ce que nous reconnaissons ouvertement. »(57)

Le mérite leur revient pourtant d’avoir mis en évidence le corps et l’effi-cience du système induit par les relations humaines qui les induit, prescri-vant son observation – nous allions écrire sa « déconstruction » –, pour cer-tains de ses acteurs en mal de communiquer, comme une véritable maïeu-tique du lien constituant, susceptible d’offrir un pendant à la psychanalyse.

(55) M. Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, tel Gallimard, Paris, 1964, p. 18.

(56) Alex Mucchielli, Approche par la modélisation, p. 174.

(57) Une logique de la communication, p. 261.

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Le souci de l’efficacité, probablement contextualisé par la cultured’outre-atlantique et l’obligation de résultat des praticiens, pressés de pas-ser à l’acte – davantage encore durant les périodes historiques critiques –prive malheureusement le systémisme palo-altien de l’épaisseur signifi-cative du temps, quelque part figé tel de Zénon la flèche, afin de concré-tiser l’instant de l’échange ou celui de la rupture alors que les systèmesrelationnels, même abandonnés, perdurent sous forme d’engrammes enveille et constituent, en couches successives, les internappes phréatiquesdes consciences communicantes.

Le champ magnétique de nos désirs en confrontation ne saurait secontenter d’un système circulaire sans résonance, c’est-à-dire sans ladimension temporelle et spatiale de nos inter-représentations.

« Non, Watzlawick, t’es pas tout seul ». Les théories capables d’appréhen-der l’insaisissable « passent par neuf trous et sont arrêtées par le dixième »,selon la splendide formule de Voltaire, toujours en difficulté de comprendrel’improbable, l’imprévisible, le fortuit, qui sémantisent différemment l’adresseet font surgir l’arrière-plan significatif sous les feux « éclairants » de la rampe.

Si l’on considère que l’individu participe d’une mouvance interactive,alors convient-il de ne point exclure sa mémoire, les formes « saillantes » desa présence d’esprit au monde et sa faculté d’anticiper d’un systèmequ’elles comprennent et qui les génèrent, au fil de la durée. Car ce systèmejoue le rôle d’une infrastructure personnelle.

Mais le cercle referme malgré tout son « piège » sur les comportementsd’hyperdépendance. En quelques mots, Boris Cyrulnik retrouve PaulWatzlawick, tout en sachant, quant à lui, que la thérapie risque d’êtredurable jusqu’à la « délivrance » :

« Le groupe des dépressions silencieuses et des souffrances secrètes meten place des mécanismes de défense constructifs : rêverie, intellectualisa-tion, activisme, anticipation et sublimation. Si un adulte veut bien leur pro-poser un tuteur de résilience afin d’activer leurs compétences secrètes, onverra ces enfants revenir à la vie, jusqu’au moment où la dépression silen-cieuse s’efface sous l’effet du travail affectif, intellectuel et social. »(58)

Le sens émerge de la relation qui le fait naître.

(58) Boris Cyrulnik, Le murmure des fantômes, Odile Jacob, Paris, 2003, p. 104.

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Les frustrations de Palo Alto

Les notions de système et d’interactivité ne constituent qu’un bornagedu terrain relationnel mais ne rendent point compte suffisamment desinterférences générées par les effets du langage. Une coupe schématiquedes dialogues en segments de signification potentielle ne permet pas devisiter tous les champs d’interprétation. L’humain le cède à l’efficace.

À force de s’attacher à l’effet directeur « apparent » susceptible de provo-quer une réaction, l’on pervertit le plus souvent, dans l’esprit de la théra-pie brève, le concept de cause et d’effet qu’expose Watzlawick dans l’ar-ticle 3.43 d’Une logique de la communication. Ce concept recèle une véri-table richesse heuristique dont nous n’avons pas encore exploité lefilon, laquelle trouverait pourtant, de nos jours, ses applications dans unmonde divisé.

« Du point de vue pragmatique, remarque-t-il, il y a peu de différences’il y en a, entre les interactions mettant en jeu des nations et des indivi-dus, quand une ponctuation discordante a mené à des conceptions diffé-rentes du réel, dont la nature même de la relation, et par suite à desconflits internationaux ou interpersonnels. »(59)

Sans doute, nous revient-il de considérer la dynamique structurante deWatzlawick à l’instar du structuralisme littéraire, dont Barthes s’efforçad’utiliser les inventaires et les états de construction comme un instrumentd’analyse créatif, un moyen de se porter au-delà de la méthode.

Un autre jour se lève sur Palo Alto.

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(59) Une logique de la communication, p. 95.

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