Intelligence Politique, renseignement, influence et organisation de l'information dans le domaine...

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Une dédicace particulière à trois femmes qui ontjalonné mon début de parcours et m'ont fait envie de la

science et de l'écriture au travers de leurs cours :Maude Mérinis, Christine Belcikowski et Isabelle Hare.

Ouvrage rédigé par Julien Garderon. Toute reproduction est formellement interdite sans autorisation préalable.

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/ / S O M M A I R E

>> Préambule.............................................7Intelligence-s................................................7

Vers un soutien mutuel ?.............................15

< ACQUÉRIR /> – La veille et la revue demédia.........................................................19

Réflexions sur la revue de presse et la veille dans le domaine politique...........................19

La lente agonie de la « revue de presse » ?. . .19Les applications mobiles : des tueurs finaux.19Veille et revue de presse................................21La culture du groupe ou de l’individu ?........25

La veille en politique : concepts avancés à partir des travaux de LESCA......................28

Définition de la veille stratégique.................29Mode de fonctionnement...............................31Le terme de « stratégique »...........................32« Les types de veille »...................................34« Volontariste »..............................................35« Intelligence collective »..............................36L'« environnement »......................................39« Créer »........................................................41« Anticipation ».............................................41

< CLASSER ET COMPRENDRE /> – Lagestion des connaissances........................45

« BaseC » et l'IMAP comme point de départ...................................................................46

L'IMAP, un protocole adapté.........................48L'exemple de la pomme !..............................51Dépasser les limites de l'IMAP ?...................54

Google, ce précurseur....................................56Vers des nouveaux principes dans la gestion des connaissances personnelles...................57

Le principe de la mesurabilité.......................57Le principe des ensembles de connaissances 58Le principe d’ordonnancement faible............59Le principe d’incertitude...............................61Le principe de la mesure de l’intrication.......62

< SYNTHÉTISER /> – Les 3 vérités et leurs portées.............................................64

Définition de la vérité politique, la vérité administrative et le rapport à la réalité........64

La vérité n’est pas réalité...............................64La formalisation et l’informalisation.............66La décision, un nombre infini de questions et l'action forcément restreint du choix.............67Un quotidien complexe.................................71Qu'en retenir ?...............................................73

Dernière minute…......................................76Responsable mais pas coupable ?..................77

La politique au carrefour du commerce ?....81L'extension du « domaine du politique » ?....81Le politique une marque, vraiment ?.............84Les deux « pour tous »..................................86

< MANIPULER /> – Agir sur son environnement..........................................89

La dernière étape, mais pas l'ultime étape...89

>> Postambule..........................................99

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> > P R É A M B U L E

Intelligence-s

Avant toute chose, la définition de ce que souhaite être cet ouvrage : il ne se revendiquepas comme un travail universitaire mais comme un essai au sens propre. Il offre unparcours pour l'esprit et certaines approches qui, espérons-le, mises ensemble etcoordonnées, peuvent fonder une toute nouvelle discipline d'étude. Et une toute nouvelleapproche de la politique : c'est-à-dire de l'ensemble des éléments qui concourent à ladécision publique, sous toutes ses formes (débats, élections / choix des décideurs,modalités de la décision publique et de son application).

Il n'est pas non plus un brûlot sur l'Intelligence Économique (IE), bien que l'image deprime abord pourrait être celle-là à l'occasion plus loin dans le document, du commentairede quelques textes choisis. C'est un essai qui se veut complémentaire à et nonremplaçant de l'IE, en offrant une nouvelle perspective non dans le domaine privé etéconomique, mais celui politique et public. Ce domaine public qui est d'ailleurs une desclés de la structure du secteur économique (organisation, limites / règles, etc.) et que l'IEcherche à influer en faveur, le plus souvent, d'un intérêt particulier.

Voilà bientôt 10 ans que je suis, d'une manière ou d'une autre1 dans cet univers à unniveau local (échelons départemental et régional). Cela ne m'apporte pas une légitimitéparticulière... mais cela n'en retire aucune non plus.

Si j'ai une expérience personnelle et des opinions, c'est malgré tout avec un certainsoucis « d'universalisme France2 » que j'ai écrit, à défaut de pouvoir prétendre à uneécriture universitaire par manque de temps pour approfondir parfois certains pointscomme je l'aurais souhaité.

Plusieurs raisons m'ont poussé à l'écriture :

• Poser sur le papier mes premières observations, pour les soumettre aujugement des experts, des connaisseurs, de tout à chacun. Si cet essai se veutaccessible, comme un parcours didactique (parfois erratique ?), qui tente de

1 Militant, cadre de parti, collaborateur d'élus, observateur attentif... 2 Je n'aborde jamais les autres pays du monde, me cantonnant aux débats et procédures français

contemporains. Sans fausse modestie, juste un souhait d'efficacité immédiate…

>> Préambule – 7

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nommer et de définir quelques concepts-clé, il se veut tel une sorte de« sommaire » des sujets de ce domaine en devenir. Il n'est ainsi exempte ni dereproches et ni d'erreurs.

• Élargir le débat sur la décision publique, entre les nouvelles approches (la« fin » des grandes idéologies ; la « démocratie participative » ; le poidsgrandissant des collectivités territoriales, etc.) et d'anciennes problématiques (lelobbying, le mot moderne pour l'action d'influence de quelques groupes / dequelques personnes sur le reste d'un système, d'une organisation ; le poids dudébat partisan sur la rationalité de la décision).

Ainsi, si l'Intelligence Économique influence-t-elle les Pouvoirs publics – ou letente-t-elle... – , il me semble logique, naturel, équilibré et même raisonnable quel'inverse soit vrai : une forme d'équilibre de la terreur entre, par exemple, lechantage à la norme d'un pouvoir public et chantage à l'emploi d'une entrepriseprivée…

• Être une « vitrine » ultérieure sur ce sujet : le projet d'une thèse doctorale mesemble être la seule voie viable pour permettre à ce sujet d'exister de manièresérieuse… Mais c'est là un autre exercice.

Un point sur la méthode choisie : tout au long de cet essai, je prends des documentsdivers qui m'ont servi comme points de repère. S'il y a de ma part un style d'écriturecritique voire acerbe, je les ai gardés à cause de leur qualité ou du poids qu'ils peuventoccuper dans les esprits.

Aussi je demande à leurs auteurs de ne prendre cet essai que pour ce qu'il est. Mavolonté n'est pas de les maltraiter mais de tenter de poser un regard que j'espère neuf etadapté au domaine dans lequel j'évolue.

Commençons par un brin d'historique et de contexte : les termes même, « intelligence »(au sens du renseignement et non de la qualité d'une faculté cognitive quelconque...) et« politique » (au sens de la vie de la cité), revendiquent tous deux un attachement à undomaine universitaire établi : celui de l'Intelligence Économique, mon secteurprofessionnel d'origine.

Voici ce qu'en dit l’État, par le biais de sa Délégation à l'Intelligence Économique,notre référence commune et provisoire3 :

3 Voir : http://www.intelligence-economique.gouv.fr/qui-sommes-nous/quest-ce-que-lintelligence-economique

>> Préambule – 8

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L’intelligence économique (IE) est un mode de gouvernancefondé sur la maîtrise et l’exploitation de l’informationstratégique pour créer de la valeur durable dans uneorganisation. Elle se décline en veille / anticipation, maîtrisedes risques (sécurité économique) et action proactive surl’environnement (influence). (…) L’intelligence économique(IE) consiste à collecter, analyser, valoriser, diffuser etprotéger l’information économique stratégique, afin derenforcer la compétitivité d’un État, d’une entreprise oud’un établissement de recherche. (…)

En France, si l’intelligence économique (IE) s’est développéede façon empirique dès la fin des années 1980, grâcenotamment à l’action conjuguée de personnalités issues demilieux très variés (universitaires, fonctionnaires,représentants du monde de l’entreprise, du milieu consulaire,de la défense nationale, etc.), son développement s’estvéritablement accéléré en 1994 à partir du rapport d’HenriMartre4.

« Intelligence » provient(drait?) d'une mauvaise traduction d'intelligence en anglais,signifiant « renseignement ». C'est d'ailleurs le cœur du débat sur l'IE : est-ce un domainedu pur renseignement et de la manipulation au sens militaire, cadrés et bornés par des loisciviles, ou est-ce plus largement une des voûtes rassembleuses (parfois un peu« marketing ») des domaines de la science de l'information et de la gestion, bref un desoutils à la mode pour l'administration efficace d'une entreprise ?

Les apôtres français ont gardé le cycle de l'information comme point de repère. Ilspenchent pour l'esprit du renseignement élevé au rang d'une science. Cependant beaucoupdes pratiquants contemporains baignent dans un « technicisme » permanent et auxfrontières communes avec les sciences de gestion, du comportement, de la communicationet d'autres domaines des Sciences Humaines, qui font de l'IE une matière désormais biendifférente de son origine – bien moins « militarisée » et cadrée. Je le dis sans jugementnégatif, peut-être ce schisme entre tous ces praticiens provient-il de leur originerespective : nombreux sont désormais issus du civil et ne perçoivent leur fonction dans lesystème qu'à l'aune de leur salariat au sein d'une organisation ?

4 Voir : http://www.intelligence-economique.gouv.fr/qui-sommes-nous/quest-ce-que-lintelligence-economique/historique

>> Préambule – 9

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Plus prosaïquement, l'Intelligence Économique part pourtant d'un principe guerrier etclair : l'économie est une bataille permanente et, à l'échelle d'un État ou d'un groupeimportant, une guerre (sans merci). Le renseignement et la tactique militaire s'yappliquent dans le respect des règles de l’État dans lequel il agit, sauf (fréquentes?)exceptions, car ce sont des acteurs privés qui agissent pour leurs propres intérêts et doncqui fondent leurs actions d'intelligence économique. Difficile d'être un bon praticien IEsans être pleinement engagé : le signal faible ou la gestion du risque pour sonorganisation, n'est pas arrêté à 20h à la débauche et il faut veiller aussi sur les « ennemisde l'intérieur »…

Sur la partie universitaire et comme souvent en sciences sociales ou sciences desorganisations, deux grandes écoles de pensées s'affrontent au sein de l'IE. Je les résume àgros traits : tout d'abord ceux qui voient l'IE comme fondamentalement une science degestion, qui se veulent être plutôt d'un côté « positif ». Il s'y retrouve à la fois l'actionmoins de renseignement que d'acquisition d'informations et souvent une pensée derecherche (universitaire, ou juste théorique) n'y serait développée sur des « bonnespratiques » – celles « admissibles » en quelque sorte.

Bref l'IE y serait aussi (avant tout ?) une question de sécurité économique avec unspectre réduit d'actions et d'intérêts : la défense de ses brevets, d'une « gentille » influence,des sources « blanches », etc. L'angle techniciste n'est jamais éloigné comme je l'indiqueplus haut : la veille et la gestion de l'information y seraient surtout une affaire de systèmesnumériques et d'organisation sociale.

J'en suis issu de part mes études, même si je n'en partage pas ni l'angélisme decertain(e)s (parfois un peu naïfs) ou au contraire la fausse pudeur de beaucoup (« nousdans l'illégalité ou sans moralité ? Jamais ! »). La légalité n'empêche pas une forme decruauté ou de manipulation – cela rend juste juste l'action entreprise régulière au regard dela loi. L'éthique se confond souvent avec la morale…

Et l'économie « ouverte » de notre pays baigne d'occasions de se montrer redoutable.Cette compétition est sans cesse plus vive entre les nations à l'heure où notre mondephysique fini révèle chaque jour davantage ses limites, devenant finalement des frontièresgéographiques… par exemple les bassins d'exploitation des sous-sols pour leshydrocarbures ou les métaux rares.

>> Préambule – 10

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A l'inverse viennent les tenants d'une branche dure, parfois plus beaucoup plus dure,qui n'hésitent pas à être sur la « ligne jaune » voire franchement au-delà lorsque lasituation « l'exige ». Les sources « noires » ne sont alors pas un problème, du momentqu'on y met une « éthique de soldat »… et que l'on ne se fait pas repérer ! Pour cette école,l'IE revêt toujours un aspect sinon militarisé5, à tout le moins un côté « guerrier »prononcé. Il y est moins fait question de la théorie qu'une efficacité « sur le terrain » et del'expérience. J'ai une tendance naturelle, de par mon caractère, à y adhérer : mes buts –l'efficacité régionale et le contrôle démocratique – sont-ils moins nobles ?

J'assume peut-être plus facilement que d'autres certaines pratiques que je jugecourantes et que j'observe à tous les niveaux. Je préfère le risque d'une irrégularitémarginale à celui d'une absence « d'assurance-vie » et des conséquences non moinsnéfastes que représentent les manœuvres d'en face lorsque j'enquête sur des sujetsparticulièrement sensibles et où mes intérêts personnels pourraient être (légalement) remisen cause par « simple » mesure de rétorsion.

Ainsi si la loi y est globalement respectée, le débat moral comme le respect d'unepensée universitaire stricte n'est pas le fort de ce courant : l'adaptation et l'efficacitésont, respectivement, le moyen et le but principaux. Cela ne doit pas pour autant rimeravec « barbouzeries » systématiques : même la guerre a ses règles.

Pour rester dans ce schéma volontairement binaire – que les puristes du secteurjugeront à raison obsolète –, ces deux écoles forment les deux volets de l'histoire même del'IE, entre le monde professionnel (militaire et civil) et les intérêts économiques d'un Étatqui apporte son poids au sein des tractations, notamment au niveau international, où lafinalité compte plus que les moyens, et les pures universitaires, qui cherchent à rendrecohérent un ensemble de pratiques (surveillance, manipulation, stratégie de conquête,etc.), parfois en les condamnant et en s’appuyant avant tout sur l'état de l'art théoriquedans différents domaines universitaires avec, marginalement, les retours deprofessionnels.

Tous ont tort (m'y incluant) car tous ont finalement une vision limitée d'un champtoujours plus vaste qu'eux-même, leurs observations, leurs actions et leurs travaux.Ainsi l'humain n'est-il jamais seul « à avoir raison » et « à connaître » lorsque le sujettouche à lui-même et ses semblables… mais il est, avec ironie, souvent bien le seul à

5 Pas seulement dans les termes, mais aussi dans le matériel (système d'écoute et d'interception, etc.) et les pratiques utilisées.

>> Préambule – 11

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décider pour d'autres et pour son groupe ! C'est fréquemment la légitimité qui emportela décision face à des tiers et leur respect de celle-ci : c'est la première observation queje garde pour l'IP.

Enfin il y une troisième école (qui n'en est pas réellement une, car ce n'est jamais quela fréquence des « mauvaises » pratiques qui y est plus forte), désormais décriée par à peuprès tous… mais toujours active, car utilisée. Certain(e)s diraient que ce sont les plusextrêmes : on les surnomme les « barbouzes », les « officines ». Leurs moyens et leursobjectifs sont rarement légaux.

Une seule règle : ne pas se faire prendre ; tout y est autorisé. Le cas de l'ex-entreprise Blackwater6, une force privée que de nombreux observateurs ont qualifié depremière armée privée au monde (armée de mercenaires cependant) est un exemple…frappant. En matière de sécurité nationale, les intérêts de l’État, du Gouvernement, d'uneentreprise ou d'un groupement se confondent très souvent dans ces affaires où rien ne peutêtre réduit à certitude. C'est un des reproches qui peut être fait dans certains groupes deréflexions à l'industrie de l'armement ou d'agglomérat d'industriels généralement enposition quasi-monopolistique. Nous verrons grâce à l'IP que certains de ces schémasentre intérêts nationaux et organisations privées, État et connivence des responsablespublics et privés, se retrouvent au niveau local sous bien des aspects sur des sujets demoindre importance, notamment pour conserver des emplois locaux.

Malgré tout ce type de profils barbouze n'est pas si courant et leurs pratiques ne setrouvent pas à chaque coin de rue : le vol, l'escroquerie, la manipulation à un stade avancéet sans retenue (par l'entourage, la famille, etc.) grâce notamment au MICE – MoneyIdeology Compromission Ego.

Souvent sources de fantasmes, leurs comportements forment une conséquenceinattendue : conforter les thèses actuelles du complotisme en apportant, çà et là, deséléments factuels à certains délires (complot « reptilien », etc.), qui parasitent unnécessaire travail de fond pourtant indispensable sur la réalité des pouvoirs occultes7.

6 Leur fiche Wikipédia est un bon point de départ dans la découverte de ce milieu ! https://fr.wikipedia.org/wiki/Academi

7 Définition du Larousse : Qui agit ou qui est fait de façon secrète, dont les buts restent inconnus, cachés. Pour ma part, je les qualifie ici de non représentés légalement et « publiquement ». Ainsi un service secret national « action » n'est à mon sens occulte qu'en ayant obligatoirement ces deux caractéristiques.

>> Préambule – 12

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Les dénégations des acteurs qui seraient impliqués dans de tels pouvoirs étant parfoissuivis de cinglants démentis par la Justice ou par des enquêtes de presse... sansnécessairement disposer d'un lien avec le complot supposé. Ces dénégations une foisdémenties ou l'honneur de la personne mise en accusation, confortent la représentationpopulaire d'un « système pourri » – sans que l'on sache ce que recouvre le terme desystème… –, et fait miroiter à une partie de la population des chimères de dérivesdiverses, organisées et systématiques à tous les niveaux du « pouvoir ».

Notons que la politique a aussi les siennes, d'officines : on les surnomme les « cabinetsnoirs », ceux qui ne sont jamais dans la lumière – et ne doivent pas y être. Volontairementje ne les aborde que peu dans cet essai et toujours d'une manière détournée : ils méritenten soi un ouvrage, lui-aussi en cours de rédaction. Les témoignages dans la presse del'existence et du fonctionnement de ces cabinets sont nombreux. Ces cabinets sont eux-mêmes innombrables et se chevauchent :

• par la nature de leurs intérêts (commerciaux, financiers, politiques, publics,personnels) ;

• par leur composition (même personnes dans un ou n cabinets : cadres, élus,candidats, etc.).

Pour nous aujourd'hui il conviendra seulement de les garder dans un coin de l'esprit,notamment sur les aspects liés à l'organisation effective du monde politique et partisan.

Ma définition du Cabinet noir sera sommaire j'en conviens : ils sont unitairement ungroupe plus ou moins identifié d'agents influents pour un objectif donné et souventgénéral (« les intérêts de… ») – où noir n'est pas nécessairement synonyme d'interdit,mais avant tout d'absence de formalisme public et institutionnel, malgré le poids deces cabinets, réel quant à lui, sur la décision publique et l'environnement politique etmédiatique.

>> Préambule – 13

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En conclusion de ce préambule, l'Intelligence Économique est, depuis longtemps et defait, reconnu comme un outil essentiel par un grand nombre d'observateurs étatiques ounationaux et, de plus en plus souvent, d'acteurs agissant locaux ou d'une taille de moindreimportance. Ce phénomène de généralisation de l'IE se comprend à l'aune d'unecompétition internationale de plus en plus forte, y compris et peut-être avant tout dans lasphère européenne (phénomène de généralisation de la sous-traitance associée au politiquede dumping fiscal et social). Par ailleurs les Service de renseignements et d'action n'ontplus certaines de leurs libertés d'autrefois pour pallier aux risques qu'imposent cesouvertures économiques ; mais l’État ne veut ni ne peut rester insensible au sort de sesentreprises comme de ses propres intérêts « stratégiques » dans la compétitioninternationale et alors que les capitaux étrangers sont autant de moyens de forcer lesportes de structures privées.

Même non formalisée actuellement, l'Intelligence Politique existe. Elle est déjà unmaillon nécessaire dans cette bataille, de manière opérationnelle et pédagogique vers lesecteur politique et de plus en plus souvent à tous les niveaux des institutions publiques ; ycompris dans les guérillas administratives que se livrent les collectivités entre elles, versl’État ou face aux pressions qu'elles subissent pour une question d'approche, d'efficacitéou avant tout de sensibilité à ces sujets primordiaux.

Cependant, pour agir, faut-il correctement savoir, comprendre, analyserl'environnement politique de la part des élus, leurs collaborateurs, leurs Services, leurssoutiens ou leurs détracteurs ; être capable aussi de se placer dans un échiquier vaste,mouvant, où les élections forment des temps rapprochés où se définissent en permanencedes rapports des forces et des « majorités d'intérêts ». Où l'actualité agite en permanenteun microcosme d'individus agissant au nom de tous, propre de la démocratiereprésentative, pour le meilleur comme pour le pire. Enfin sans oublier que de nombreuxélus ont plusieurs mandats, parlementaires ou locaux, parfois des portes-feuilleministériels et que ce n'est pas sans incidence sur les organisations publiques et lesorganisations partisanes.

En exemple et dernièrement dans la presse, se montait dans la grande Région fusionnéeAquitaine-Limousin-Poitou-Charentes un groupe qui se revendique d'influence desmajorités départementales de droite pour faire plier la majorité régionale de gauche, elle-même ayant sa propre représentation d'intérêts auprès des instances européennes àBruxelles.

>> Préambule – 14

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Je ne sais pas si l'action des Départements ira jusqu'au bout mais elle est un signesupplémentaire visible d'une prise de conscience de l'ambivalence que revête le termed'« influence » associé aux termes de « pouvoirs publics » (qu'ils soient par les élus ounon).

Ainsi l'Intelligence Économique est le père de l'Intelligence Politique ; la Politiqueest la mère. Et la décision publique la clé de tout pour peu que l'on s'accorde dans cecouple infernal.

Vers un soutien mutuel ?

Ou, dit autrement, le retour à une France « stratège » ?

Le 26 mai 2014, Christian Harbulot tenait une conférence8 sur son ouvrage« Sabordage. Comment la France détruit sa puissance9 ». Il expliquait grâce à son passéet ses expériences, comment s'étaient construites son opinion et l'histoire de l'IE par leshommes qui l'ont faite. C'est le premier document intéressant que j'ai sélectionné pour cetouvrage.

Aujourd'hui directeur de l’École de Guerre Économique (école privée), l'homme estrespecté dans un domaine qu'il maîtrise. Cet essai lui est aussi destiné à titre personnel, s'ildevait trouver un intérêt aux premières conclusions que je défends…

Sa conférence évoquait les liens entre les pouvoirs publics, le développementéconomique (plus exactement « l'enrichissement » de l’État) et le concept de puissance. Ilreplace ainsi l'importance de l'économie dans les rapports de force moins comme unefinalité ultime et du 'bonheur des peuples', que la poursuite des moyens de l’État et durenseignement étatique à des fins de maintien de la puissance publique.

Ce « renseignement10 » qui ne doit pas être seulement sur des missions de sécurité et desûreté de ce même État : il lui faut également agir activement sur des cibles diverses(population, décideurs par les relations publiques et la médiation culturelle) dans et horsde son territoire national.

8 La vidéo de son intervention est disponible à cette adresse : http://www.dailymotion.com/video/x1yxhgq_christian-harbulot-comment-la-france-detruit-sa-puissance_news

9 Aux éditions François Bourin. ISBN: 979-1025200346 (17 avril 2014). 10 De tout ordre. Mais n'est-ce pas très limitatif de le qualifier ainsi… ?

>> Préambule – 15

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Christian Harbulot l'affirme et je partage son analyse : dans la guerre del'information, le contenu est certes une priorité. Mais l'attaquant a toujours uneprime, forte. En somme une logique d'empire, faite de conquêtes culturelles etpolitiques.

Pour garantie notre survie, iI nous faut (re)gagner à l'échelle du globe une partie del'influence sur les grandes décisions qui engagent les nations toutes entières et les marchésqui vont avec, ceux qui font tourner nos économies : c'est pour l’État français l'obligationardente d'attaquer. Mais qui ? Tout le monde y compris – voire à commencer par – sesalliés ? M Harbulot semble affirmer que oui, évoquant tour à tour les exemples des USA,de l'Allemagne et du Japon qui, chacun à leur manière et à leur époque, ont su tirer profitde cette guerre des contenus. Je l'approuve sans réserve.

D'une nature « européen fédéraliste », ma position pourrait surprendre car je crois quec'est au sein de l'UE que devraient commencer nos « attaques ». Elle est bien au contraireraisonnable : c'est faire de la France, sa politique, ses mœurs et sa culture, son histoireet sa langue, le point d'ancrage d'un continent entier. J'avoue que c'est là le retour àune vision universelle des « valeurs historiques » de la France, considérée et reprochéepeut-être comme à une forme différente, moderne et altérée de colonialisme. Est-cegrave ? Probablement si on s'en tient à des idéaux de respect des cultures et des modes dedéveloppement. Et c'est là où entre en jeu le véritable défi intellectuel pour notre pays :assumer l'égalité réelle des personnes et des cultures lorsque cela va à l'encontre de soi-même et alors que ce soi porte justement la défense de l'égalité que d'autres n'ont peut-êtrepas envers nous ou envers les tiers.Un débat impossible car sans conclusion.

Seuls, je doute d'une vie paisible présente et future pour notre pays et sa population. Ilnous faut donc conquérir l'Europe pour assurer une logique de développement quisoit la nôtre et que je considère pour ma part comme bonne pour le développement detous les citoyens. Le fédéralisme européen n'implique pas d'être béat sur les enjeux sous-jacents, notamment ceux culturels et économiques.

Christian Harbulot parle également dans sa conférence des personne(age)s qui ontconcouru à la définition de l'IE en France, dont le point de départ semble être quasi-unanimement fixé par le « rapport Martre11 ». Il y oppose un système politique et publicétabli, peureux face aux changements et aux actions qu'imposent les évolutions du monde,et face à quelques hommes audacieux qui ont su raisonner autrement. En cela, il sauradans mon essai y trouver, j'espère, une poursuite de ces propos : l'humain et sa visionl'emportent souvent, même lorsque cet humain est parfois contraint dans un système

11 Le document est accessible à l'adresse : http://www.iecentre.fr/IMG/pdf/martre1994.pdf

>> Préambule – 16

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qui le dépasse, parce qu'il incarne plus que lui-même ou le croit-il ; parce qu'il tented'agir en fonction d'intérêts que son environnement ne perçoit ou ne comprend pastoujours mais qui finissent par se révéler à lui.

Finalement ces hommes n'ont pas seulement permis l'émergence d'un début deréflexion sur l'IE en France – réflexion poursuivie par d'autres depuis –, ils ont aussi veillésur les pensées étrangères, sur des systèmes étrangers. Une veille stratégique par l'analysecomparée des situations et des pays dans l'histoire. Comment les « aventures humaines »qu'il évoque, permettent un syncrétisme sur la pensée stratégique12 et font de l'IE undomaine de qualité et pour lequel il nous faut collectivement prêter attention.

Une veille sur nos voisins, concurrent ou non, est probablement le sujet le pluscommenté et le plus présent au sein de la « communauté de l'IE ». Une place de raisonmais aussi de cœur suivant l'adage : « Savoir c'est pouvoir ».

Cependant le directeur de l'EGE sait aussi faire mouche loin des images d’Épinal :aujourd'hui la France a abandonné les notions et les concepts de « puissance » à d'autres(souvent des pays, parfois des organisations privées) ; le pays serait comme « enfermé »dans une liasse de croyances par une « élite » politique et publique qui n'aurait plus deprise avec la réalité – la vraie, celle qui « n'est pas au JT » (absence d'ouverture réelle desmarchés internationaux, monopoles partout et surtout dans le numérique, retrait militaireaméricain et ses conséquences, etc.).

Cet essai est aussi un appel que je lui lance : et si nous utilisions l'IP en devenircomme levier culturel auprès de nos décideurs publics ? Ces mêmes élites, qui n'ensont pas toujours13, et qui n'ont pas nécessairement une volonté de se faire écraser pard'autres puissances nationales et / ou continentales, seraient plus sensibles aux messagesde l'IE si déjà, dans leur travail quotidien, les grands principes élémentaires del'intelligence étaient leurs outils intellectuels traditionnels.

Des principes qui sont similaires à l'IE et l'IP : je crois en effet que son combat pour« réveiller » les élites non seulement vain (ce qui n'est pas très grave, sauf pour lui) maisaussi et surtout contre-productif (ce qui nous touche tous donc).

12 Et donc vers UNE pensée stratégique unique et universelle… ? 13 Les collectivités locales ont un poids de plus en plus important ! Comme les organisations à

capitaux mixtes et les nouvelles formes de services aux publics.

>> Préambule – 17

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Personne (ou guère ceux qui le devraient) ne se sent visé lorsque le terme d'élite estprononcé – surtout si le terme est employé pour une critique. Car bien rare sont ceux quise voient comme une « élite figée » et passéiste... Plutôt que de fournir une énièmecritique, certes fondée, tentons une approche positive et plus subtile, plus « IE » :sensibilisons-les grâce à leurs propres recherches d'intérêts. « Vous voulez le pouvoiret le conserver ? On va vous y aider ».

>> Préambule – 18

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< A C Q U É R I R / >– L A V E I L L E E T L A R E V U E D E M É D I A

Réflexions sur la revue de presse et la veille dans le domaine politique

La lente agonie de la « revue de presse » ?

Exercice difficile, souvent mal traitée et mal aimée, la revue de presse (RDP) tented'informer une organisation et ses dirigeants des aléas des événements. L'actualité n'y estpas forcément décortiquée sous une forme résumée ou complétée en sus, même si c'est unavantage indéniable d'avoir un contexte détaillé.

Cependant face aux médias qui explosent en nombre et en termes de contenus générés(d'ailleurs le plus souvent sur des sujets finalement identiques), aux « alertes » et àl'information « instantanée », la revue (souvent matinale) devient désuète voiredangereuse : elle n'a plus vraiment de sens ni d'intérêt, n'offre plus la diligence que l'onattend dans les cercles de pouvoir.

Les applications mobiles : des tueurs finaux

Avant « c'était facile ». En résumé, ce qui était (ce qui est encore, parfois...)particulièrement fréquent dans le domaine politique et dans les organisations privées d'unetaille honorable : le secrétariat de direction (ou d'élus, ou de cabinet, ou des groupespolitiques des assemblées) produit une reproduction « ré-agencée » et réduite desprincipaux journaux intéressants de la presse écrite (par secteur, par lieu géographique,etc.) au format numérique ou papier. La vidéo et le son (sinon par des servicesspécialisées14) ne sont pas traités ou de manière subalterne, par référence.

La pertinence de chaque item / article prime alors dans la sélection et l'organisationfinale de la RDP et, finalement, l'observation de cette pertinence repose sur les épaules depersonnes qui n'ont, souvent, jamais été formées à cela (secrétariat, assistant de gestionou de direction). Ils n'ont alors pour seul repère que leurs propres normes et la culture (le

14 Notamment grâce à la reconnaissance orale automatique.

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prisme…) de leur organisation. Quant le périmètre même de la RDP n'était pas restreint àcause d'un arbitrage face à la quantité de travail par ailleurs ou de la disponibilité dessources15 !

Or plus le nombre de lecteurs augmentent ou que les lecteurs sont éloignés de servicesspécialisés, plus la RDP et son périmètre deviennent complexes à appréhender : économie,finances, suivie de la concurrence sont la base dans le domaine privée ; réactions, actualitéparlementaire ou dossiers divers dans le domaine public.

Quid des sujets techniques ou complexes, des revues scientifiques ou professionnelles ?Souvent à la fois trop riche et trop pauvre, la RDP devient la bête noire de celui qui en a lacharge, n'offrant que rarement la possibilité de confronter l'organisation à un signal faibleet à témoigner de l'importance de ce signal… Laisser à l'inverse chaque service faire lasienne, c'est se couper d'une vigie générale. Il faut trouver l'équilibre subtil où laresponsabilité de chacun dans la perception de son environnement porte un enjeu collectifde veille : ce n'est pas toujours possible.

Puis vient l’ère du « smartphone » (puis de la « tablette ») dans le début des années2000. Et là, les « décideurs », premiers utilisateurs des RDP, disposent en tout temps ettout lieu d'un accès direct et parfois personnalisé à l'information. Le développementd'outils, de technologies et de forfaits adaptés à la mobilité ont fait exploser la frontièrepublique et privée, ont bouleversé les anciennes formes de secrétariat et d'assistance, maisaussi la manière dont on conçoit la « pyramide » de l'information et ses goulots detransmission.

Une caricature en exemple : avec son café matinal, sur des applications dédiées, ledécideur peut consulter l'actualité avant même que la personne en charge de la RDPn'embauche. Ajoutez à cela les alertes tout au long de la journée, la réactivité nécessaireface à ces alertes et on mesure combien l'humain (sa lenteur, ses limites) a perdu toute saplace dans la diffusion de l'information. La diffusion oui. Mais pas dans sa gestion où ilreste primordial tout en demeurant, par ailleurs, parfaitement « visible ».

J'ai schématisé ici l'évolution récente de l'acquisition d'un grand nombre d'organisationsau travers de la RDP mais finalement ce « choc » entre diffusion et gestion existe depuisbien longtemps : la télévision, la radio sont autant de médias qui ont bouleversé nos

15 Fréquence de mises à jour faible, problèmes matériels ou de droits sur les postes utilisateurs, abonnements coûteux, etc.

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univers d’information et cela bien avant l'hypertextualité et les contenus enrichis, dans unmonde alors basé quasi-exclusivement sur l'écrit. Qui se souvient des différentes éditionsquotidiennes d'un journal ?

Il y a aussi des outils que l'on a oublié et qui ont formé les prémisses de la révolutionnumérique, accélérant à leur manière la diffusion des informations dans les organisationset entre elles : les téléphones satellitaires, le fax, les télex et télétex, etc.

Alors le « big data », les structures des SI toujours plus perfectionnées qui forment ungouffre qui avale tout le contenu numérique généré chaque jour16 par nos civilisations sontune étape supplémentaire mais pas vraiment un « début de la fin » pour la RDP et latransmission des informations. Ces SI qui bouleversent là encore ce que doit être la revuede presse – et parfois même le renseignement humain, tant la finesse de l'observation peutêtre poussée à l'extrême.

L'un des points qui fait qu'un système répond à la définition du big data, estl'exploitation particulièrement poussée des données recueillies moins que le rythme ou lamasse récoltée.

Face à ces masses d'informations, on parle désormais de « tendances », de « vagues »dans un océan de données. On réagit davantage à un « buzz » (comprenez ce qui estabondamment repris) parfois plus qu'à l'objet lui-même traité par cette actualité.Cependant peut-on résumer un océan à quelques gouttes d’eau qui s'agitent davantage quela moyenne ? C’est à ce défi, et probablement à lui seul, que la revue de presse et sesadeptes doivent répondre. Capter une « atmosphère », mais aussi les signaux faibles,qui peuvent être bien souvent très éloignés des tendances.

Pour autant, la RDP se retrouve encore souvent dans les organisations, sous des formesdiversifiées. Explications.

Veille et revue de presse

Si la veille d'une organisation (même sous-traitée) se contente d’amasser des articlesdivers de manière automatique et dont l’intérêt final est de faire des recherches textuellesou se borne à informer quelques personnes, j’ai la naïveté de croire qu’il ne s’agit làqu’une revue de presse – du moins une « revue de média » globale.

16 Un contenu qui peut être aussi la mesure d'un phénomène physique : nombre de pas, photo d'unpaysage, données satellitaires, relevés d'appareils, etc.

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Dès lors se pose la question de la définition du terme (et du concept qu’il recouvre) de« veille » et de l’acceptation de cette définition pour ceux qui en sont les premiers« utilisateurs ».

Rappel important : dans mes articles17 comme de cet essai, je m’intéresse surtout à lapolitique, à la chose publique (débat et décision publics). La définition que je propose icidoit se lire donc à l’objet de mes recherches : je ne propose pas une définition de la veillepour tous les types d’organisation, de structures.

Voici quelques éléments qui fondent ma pensée actuelle :

• la veille est un processus permanent dans le temps d’un individu pour lui-mêmeou pour un groupe identifié ou non-identifié18. La veille peut s’appuyer sur desoutils numériques, mais reste liée à une activité et à une volonté humaine ;

• la veille s’intéresse à tout ce qui n’est pas accessible de manière publique ou dontla diffusion libre n’est pas accessible sous un format directement exploitable oupour un plus grand nombre. La veille doit être considérée comme un effort derecherche supérieur à ce que pourrait faire une personne non-intéressée parl’objet de la veille et donc la veille a une valeur intrinsèque supérieure à lavaleur d'une revue de médias / d'une revue de presse ;

• la veille est liée à un ou des objectifs généraux qui varient dans le temps ; mais laveille s’intéresse finalement :

◦ à tout ce qui fonde la décision (cf l’information stratégique, lacompréhension du défi à relever / du bon objectif à atteindre),

◦ au contexte / à l’environnement de la personne ou du groupe (cf desévolutions à venir par les signaux faibles, la compréhension des plansd’autrui).

Ainsi je propose en définition : la veille dans le domaine politique est une activitépermanente et polymorphe, nécessitant des ressources. Elle est liée nécessairement àune personne et elle fonde le contexte de toute décision en agissant en priorité sur laperception de l'environnement du décideur. Elle ne peut pas être réduite à des activitéspurement numériques et s'appuie sur les biais humains (intérêts, logique, culture).

17 Sur mon blog, qui traite du sujet de l'IP. 18 Par exemple dans le cas où un service ou un cabinet prépare une revue pour un ensemble

particulièrement disparate de clients, de destinataires.

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Ainsi la nécessité de penser la veille comme un processus lié à une personne est-elle indispensable. Comme je l'indique plus haut, elle permet de lier les résultats de saveille à ses biais, à ses réflexions et finalement à une partie de la décision collectivelorsque cette personne travaille pour un groupe : informer ou non d’autres personnes quesoi (cf les liens entre ses propres intérêts et ceux de son groupe), sous quels délais et sousquel format.

Cet aspect supplémentaire à l’information issue de la veille, un « métacontexte », estprimordial lorsque nous sommes dans un cadre de débat partisan ou au cœur du pouvoir etde ses luttes d’influence. Il qui répond à la question du destinataire de la veille, parfois decelui qui l'a fait : « pourquoi (me) dit-il ça / comment et pourquoi trouve-t-il ça,maintenant ? »

Plus encore, une telle définition implique qu'il existe toujours plusieurs veilles au seind'un groupe (car un groupe implique au moins deux personnes sinon trois...) et que legroupe même n'a pas de possibilité de réaliser une veille qui lui est propre comme pourraitle faire une personnalité juridique ou d'existence de fait à part entière. Les premièresveilles pour tout membre d’un groupe sont : tout d'abord celle « conjoncturelle » sur lesinformations qu'il reçoit ou qu'il perçoit de l’extérieur, puis celle « d'apprentissage » par etsur les autres membres du groupe.

De plus la veille « basique » dans les thèses d'IE se limite à l’acquisition, à la recherched’informations, comme l’une des étapes du « cycle de l’information19 ». La veille est aussila manière sur le « comment » l’information récoltée est stockée, est traitée. Si l’onconsidère que toute veille ne serait réalisée que par des outils numériques de stockage etde traitement automatique, quid du renseignement humain que l’on obtient par les jeuxd’acteurs ? Les grilles de qualification, la gestion et les moyens sont radicalementdifférents – les résultats et leurs valeurs, leur stockage ou non, peut-être aussi…

Cela conforte ma pensée que toute veille est avant tout une affaire personnelle : jechoisis, moi veilleur, de stocker ou non dans une base commune ou dans un outilquelconque, ce que je sais. Et de retirer des éléments de l’outil commun de connaissancessi j'y ai intérêt…

19 Cycle qui, pour ma part, me paraît de plus en plus sinon comme une aberration dans le domaine du politique, au moins très mal adapté…

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Un bon exemple de ce point est « l'affaire Kerviel » où le débat judiciaire porte sur unoutil numérique de surveillance et de contrôle « pipeauté » par un seul individu et dont leshauts responsables tenaient pour vérité – alors qu'ils auraient été tenus simultanémentinformés par ailleurs de la vérité des engagements de la Société Générale par les sourceshumaines internes.

C'est une illustration d'une veille (ici interne) sur des risques importants pour le groupe(institué par l'entreprise Société Générale) entre technique et légalisme, qui est dépasséepar la somme individuelle de recherche du profit par et pour les personnes de ce mêmegroupe… Ce n'est pas seulement un défaut ou une malveillance : c'est pour moi et dansmon hypothèse préalable, la pente « naturelle » de tout système de veille, qui veut que lafrontière de l'automatisation s'arrête pour l'instant20 à une réalité : celle des intérêts desacteurs humains !

Cependant je ne remets pas en cause les concepts de l’Intelligence Économique dans ledomaine de la veille et la place très centrale qu'occupent les outils numériques. Je lesestime simplement grandement inopérants dans le sujet qui m’occupe. Ainsi l’IEsermonne parfois : l'absence de veille d’une organisation (qui ne récupèrerait donc pasd’informations) subit un dysfonctionnement ou fait une erreur.

A l’inverse c’est pour moi la première des observations à mener, car cette absencedéfinit la base de la structure politique, de son organisation – bref du groupe étudié.Parfois ne faut-il mieux NE PAS savoir (au moins de manière officielle) pour continuer àagir ou décider dans un contexte difficile ?

En politique donc, ne pas informer ou désinformer un groupe auquel onappartient ou un membre d’un groupe partenaire est un choix comme un autre.L'absence ou la désinformation vers l'interne ou l'extérieur a ses intérêts autant que lechoix d'informer. Des questions éthiques se posent alors mais je les évacue volontairementde cet essai. Les évoquer sera pour plus tard… !

20 Hors intelligence artificielle, j'y reviendrai plus loin.

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La culture du groupe ou de l’individu ?

Une question vient assez naturellement alors21 : la veille (ses techniques et ses finalités)n’est-elle finalement pas le reflet de l’organisation qu’elle sert ? Une forme d'indicateuravancé ? Si l’on considère que l’organisation prédomine sur l’individu, la réponse seraitassez naturellement oui. Mieux : le type de veille permettrait donc un premier classementde l'organisation dans un type / une famille.

Cependant et je l’ai évoqué par ailleurs régulièrement, la politique est histoired’hommes et de femmes avant d’être un mouvement uniforme (au-delà de la simple« logique de blocs » dits idéologiques). Certains partis peuvent paraître être très organisésdans l'Histoire (cf temps long), à tout le moins en apparence : PCF, Bloc Identitaire, ex-RPF, etc.

Au point même que l’individu y soit vu comme « fondu » dans une masse qui ledépasse, le limite et l’encadre.

Mais de telles organisations politiques supportent mal le débat interne, qui y est vucomme déstabilisateur. Un débat qui, lorsqu’un parti dit « de gouvernement » est aupouvoir local ou national, sera perçu en interne comme irresponsable, parfois mêmepar les observateurs extérieurs. Car ce débat affaiblie la légitimité de la parole d'unchef considéré comme sachant grâce à l'organisation et donc pouvant pour elle.

La situation à l'heure de l'écriture de ces lignes au sein de l'ex-« gauche plurielle » (quifinalement, n'aura jamais aussi bien porté son nom qu'aujourd'hui), le marasme duGouvernement Hollande/Valls sur la loi « Travail » est un bon exemple.

Dès lors la culture du secret, du renseignement sur l’adversaire qu'il soit interne ouexterne à ce parti, y est prégnante pour autant qu’un leader seul se maintient et que lasituation n’évolue pas (rare) ou que ses membres et sympathisants s’y raccrochent(fréquent).

A mon sens, c’est une image d'Épinal : ces périodes que l'on peut appeler de« stabilité » réelles, ne sont que transitoires vers des situations plus fréquentes voire plus« naturelles » pour de telles organisations, que sont les périodes de troubles. Là aussi la

21 Dont beaucoup ont déjà apporté une réponse certes. Mais défaire et refaire, c'est toujours faire… avec parfois des nuances !

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culture du secret et du renseignement, autant en interne qu’en externe, s’y développe ;cette fois-ci moins pour le rassemblement pour que la lutte du pouvoir interne, de sonexercice et de l’influence que le futur faiseux22 – le futur chef – se doit de déployer.

Les primaires de la gauche en 2011 et celles à venir à droite en 2016, comme un« tour 0 »23 en sont l'illustration : elles sont des étapes récentes dans l'histoire politique denotre pays ; mais elles ne sont que des formes renouvelées d'un principe plus ancien :celui de l'organisation de l'investiture d'un parti ou de plusieurs, à un individu ou à ungroupe très restreint censé représenter une opinion majoritaire. Là encore la connaissance,le sachant recouvre des concepts intéressants et complexes.

De telles luttes internes sont fréquentes : les investitures donc, mais aussi lesnominations, les désignations, les prises de position, etc. ; sont autant d’opportunités delivrer une bataille locale ou nationale, entre courants internes ou entre partis au sein d’unmême bloc idéologique / d'une même alliance.

Ces batailles, très déstabilisatrices pour le groupe d'individus concerné (qu'il soitun parti, un cabinet, un groupe politique ou un courant) ne peuvent évidemmentrendre la veille opérante à son niveau et, parfois, même au niveau de sous-groupes enson sein, tant les contours des conflits peuvent être flous ou changeants.

Bref : sauf à de rares moments particuliers que j’évoquais plus haut, nous pouvonsconsidérer le parti comme un groupe d’individus disposant parfois de très peu d’intérêtscommuns sinon la recherche du pouvoir interne ou d’une institution publique. Ce qui lesunit est certes une pensée, mais cette pensée n'est pas une force suffisante pour équilibrerun système de masse (des centaines de milliers de personnes sur des milliers de territoiresdifférents) et pour répondre à toutes les problématiques internes. De plus on se heurte là àdes conflits qui peuvent être liés aux caractères des protagonistes, aux appréciations desuns sur les autres, à l'égo de tous – où la rationalité ne l'emporte pas, bien au contraire.

Contrairement à une entreprise où les règles sont figées par la loi ou un règlement(pacte des actionnaires, code du travail, conseil d’administration, etc.) comme de la trèsgrande présence du salariat qui fige les statuts et les rapports de force, il n’y a pas delimites aux conflits internes des partis où chacun peut se proclamer d'un courant,d'un rassemblement, c'est-à-dire du fondement même du parti qui est par nature lerassemblement d'individus. Une victoire électorale ou une bataille de congrès règletemporairement un ou des conflits… mais seulement jusqu’à la prochaine lutte qui peutêtre, par exemple, l'organisation de ce pouvoir justement et nouvellement acquis !

22 L'homme qui peut faire… 23 Suivi du 1er et 2nd tour des présidentielles, et enfin du « 3ième tour » que sont les législatives…

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Ces luttes finissent de démontrer que l’organisation politique comme mouvementpermanent et organisé n’existe pas. L'autorité d’influence d'un membre est souventlargement supérieure dans les faits à la relative autorité administrative conférée parles statuts et l'organisation du mouvement politique. Que l’organisation finit(toujours ?) par se scinder en interne en groupes, toujours plus petits, car eux-mêmesfinissent par être renvoyés à leurs luttes internes de pouvoir ; jusqu’à arriver à l’individu« militant » seul qui, par nécessité, ne raisonne plus pour une organisation collective.

Souvent membre non-salarié24, ce militant dispose en particulier de la capacité à refuserde faire (être observateur plutôt qu’acteur dans le mouvement politique), ce qui réduitl’intérêt du mouvement, qui ne dispose plus de la puissance bénévole pour porter au plusgrand nombre ses messages, d'assurer une émulation, une animation25.

De même le financement de la vie politique française empêche une réelleprofessionnalisation pas seulement des élus confrontés à une complexité grandissant deleur situation, mais aussi des collaborateurs d'élus dont le statut juridique est précairemalgré un poids dans la décision définitive parfois considérable26. Or les partis n'ont pasles moyens de salarier l'ensemble des cadres qui seraient nécessaire à une couverture finede tous les territoires français, et leur-s loyauté-s à l'un ou l'autre des courants du partiannihile-nt souvent une organisation efficace.

Factuellement, je finis par m'interroger même, à titre personnel, si un parti politiquepuisse exister au sens entendu par les ouvrages habituels définissant les organisationsprivées. Car si formellement l’association politique existe, elle est toujours en grandeprécarité et dans les faits avec une absence de pouvoir propre (contrairement àl’entreprise, dont la société civile lui garantit des intérêts minimaux préservés comme unepersonnalité propre et une administration grandement objectivable, basée sur des actionsou tout autre moyen pécuniaire). Ainsi l'association, par sa nature de rassemblementvolontaire comme je l'indiquais plus haut, porte en finalité, en constante et en son sein, legerme ultime de sa faillite qui est le renoncement au rassemblement car ce dernier sedevrait, à un moment ou à un autre, d'être incarné et donc excluant l'un ou l'autre desprétendants à cette incarnation.

24 C'est l'objet même du militantisme associatif sur lequel se fonde l'action politique et partisan au travers des partis !

25 On parle bien de « mouvements » (partis) politiques... 26 Dans le cas de mon contrat, quelques lignes du CGCT…

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La question de ce chapitre était la prédominance ou non d’une culture de groupe en cequi concerne la veille : je crois avoir ainsi commencé à démontrer qu’elle peut exister,mais dans un temps limité et un contexte particulier. La culture d'un individu dans ungroupe semble devoir reprendre systématiquement toujours le dessus lorsque celui-ciy a intérêt. L'organisation n'a de poids dans l'appropriation et la résolution de ladécision qu'à la hauteur de celui qui l'incarne et assoie son autorité sur les autres.

La veille en politique : concepts avancés à partir des travaux de LESCA 27

En parcourant mes cours de Master pour écrire cet essai, j'ai essayé de mieuxcomprendre encore les raisons qui m'avaient conduites aux conclusions premières desdifférences entre revue de presse / revue de média et la veille « véritable ». Comment maculture et mon apprentissage m'avaient influencé ; quels étaient mes biais.

Une phrase notée au détour d'un bloc de cours m'a fait réagir : « (…) Cependant, à ladifférence du radar, la veille stratégique est caractérisée par son aspect interprétatif voireconstructiviste ». Je n'aurai pu mieux dit : il y est fait question d'une veille « neutre » etpermanente, souvent de peu d'intérêt, ici symbolisée par le radar (que j'ai qualifié pour mapart de revue de média) ; mais aussi de l'aspect excessivement humain, faillible et créatifque représente la veille stratégique et qui ne se limite pas à des opérations purementfactuelles, systématiques, informatiques28.

Ainsi à l'heure de l'écriture de cet essai, me semble-t-il plus simple de continuer monraisonnement à partir de la synthèse des travaux de LESCA, dont j'ai une note de lectureissue de son ouvrage « Veille Stratégique » (1997). L'ouvrage est ancien désormais maisdans les vieux pots…

Pour le domaine de la veille (sous-entendue, celle stratégique, voir plus loin),rappelons qu'il y est fait tour à tour référence :

• à une question purement organisationnelle et opérationnelle (schématisée icipar le comment et le par quoi)…

• mais aussi à une question décisionnelle (le pourquoi et le vers quoi).

27 Humbert LESCA est docteur d’État et professeur émérite à l'Université de Grenoble. 28 Au sens d'un ordonnancement automatique.

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Définition de la veille stratégique

Sa définition Ma définition initiale

« La veille stratégique est le processuscollectif continu par lequel un grouped’individus traquent, de façon volontariste,et utilisent des informations à caractèreanticipatif concernant les changementssusceptibles de se produire dansl’environnement extérieur de l’entreprise,dans le but de créer des opportunitésd’affaires et de réduire des risques etl’incertitude en général.

Parmi ces informations figurent dessignes d’alerte précoce (que nousdéfinirons plus loin). Finalement, l’objectifde la veille stratégique est de permettred’agir très vite et au bon moment. Lesanglo-saxons utilisent les expressionsEnvironmental Scanning et CompetitiveIntelligence pour désigner des conceptstrès voisins. »

« La veille [qui n'est pas de l'ordre de larevue de médias, que l'on considère donccomme « stratégique »] dans le domainepolitique est une activité permanente etpolymorphe, nécessitant des ressources,liées nécessairement à une personne et quifonde le contexte de toute décision.

Elle ne peut pas être réduite à desactivités purement numériques et s'appuiesur les biais humains. »

Si ma définition fait moins état des finalités que celle de LESCA, cet essai les évoquelargement ; je n'y reviens pas. Le plus intéressant est ailleurs...

Tout d'abord deux points qui nous rassemblent : la volonté et un processus humain –pour lui la volonté de recherche à l'échelle d'un groupe. Dans ce résumé de LESCA il y apeu de cas sur les conflits au sein des organisations : ils sont pourtant des partiesintégrantes et majeures de la construction de la réalité et d'une perception large del'environnement surtout si cette organisation est composite (dans le cas économique : desfiliales récemment absorbées par une holding par exemple).

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Ce qui nous sépare : j'insiste sur le caractère polymorphe de l'activité, lui davantage lecaractère anticipatif. Ses travaux résumés ici s'intéressent davantage au futur (où leprésent n'y semble être que la préparation perpétuelle du futur dans les actes actuels) ;quand pour ma part je suis dans la décision dans un sens large (la réaction à unphénomène présent autant que la prévision d'un phénomène futur qu'il convientd'anticiper ou de favoriser29).

La différence fondamentale est la notion de groupe face à l'individu. Si tous les deuxnous proposons une approche où réside une part d'observation subjective et finalement« imposée » de la réalité par les signes que nous captons, qui agit sur notre construction denotre environnement, pour lui cette construction semble être avant tout celle du groupe.

Pour moi, la construction est essentiellement voire totalement personnelle : enpolitique, comme j'ai tenté de le démontrer dans le chapitre précédent, la constructiond'une stratégie globale pleinement partagée et plus encore d'une veille commune qui s'yrapporte, n'existent pas ou à des moments particuliers et généralement très courts.

L'histoire de la vie politique française regorge ainsi de « lieutenants » qui ont faitchuter des candidats désignés plus ou moins « officiellement » pour replacer leur « chef »dans la course au pouvoir grâce à des défauts par des défauts d'informations30…

Derrière, ce sont aussi des réalités différentes et profondément humaines liées auxenjeux de pouvoir. C'est l'histoire de ces individus, de leur caractère et de leur parcoursqui ont d’abord guidé certains de leurs intérêts et leur affinité, et ce dans un mêmesystème / une même organisation (un même parti par exemple).

29 Exemple de phénomènes présents : la réaction par voie de communiqué de presse à un article, à un fait ou à une déclaration.

30 Balladur / Chirac ; DSK+Jospin + Fabius / Royal ; etc.

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Mode de fonctionnement

Ses travaux Mes réflexions

« Le processus de Veille Stratégique peut fonctionner selon deux modes distincts mais non exclusifs : le mode « commande »et le mode « alerte ».- Le mode commande signifie que la recherche active d’une information de veille stratégique est déclenchée par la demande expresse (la commande) d’un supérieur hiérarchique qui exprime ainsi un besoin ponctuel d’information. L’initiative est donc du côté de l’utilisateurpotentiel de l’information (un responsable, par exemple).- Le mode alerte signifie que la recherche active d’information est continue de la partde certaines personnes (que nous nommerons traqueurs) et que ces personnes alertent, de leur propre initiative, le supérieur hiérarchique (ou d’autres personnes) lorsqu’elles jugent avoir trouvé une information intéressante, alors que ce supérieur n’a pas exprimé un besoin particulier d’information. L’initiative est donc du côté de l’animateurde la veille stratégique. »

Rien à ajouter : dans le domaine politique aussi ces deux modes existent.

Cependant ils ne se rencontrent pratiquement jamais sous leur forme « pure », mais bien davantage sous leurs nombreuses variantes, suivant le poste et la situation : ainsi une commande peut devenir alerte si, dans un service et au cours d'une étude, le travail impacte ou est impacté par d'autres travaux (exemple : le décaissement et les engagements du CPER sur les programmes départementaux et régionaux, leurs impacts sur l'agenda politique et médiatique : lancement d'un chantier, etc.).

C'est aussi, au niveau de la collaboration politique, la possibilité d'abandonner une note émise des services, de dissimuler des informations voire de tromper sa hiérarchieou les élus et cela volontairement (notamment à l'occasion des débats budgétaires31).

Ces méthodes manipulatoires, parfois irrégulières voire illégales (cf la bonneinformation par l'Exécutif des élus et, dans une moindre mesure, du public est rendueimpérative par la loi), sont rencontrées régulièrement et peuvent être parfois préconiséesdans l'intérêt même de la collectivité. Car les seules luttes partisanes et la paralysiepartielle ou totale qu'elles entraînent ne peuvent être la finalité d'une organisation ou d'une

31 Depuis l'écriture des lignes, au sein de la Région ALPC, une note interne à l'ex-Poitou-Charentes demandant la sous-budgétisation aux Services régionaux et provoquant l'insincérité du budget présenté aux élus, a été communiquée par le nouvel exécutif à la presse locale régionale. Aussi j'ai maintenu ce propos dans cet essai alors qu'il aurait pu, de ma main et de ma fonction sans cette note rendue publique, être jugé diffamatoire…

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action publique. Le bien public peut imposer un défaut d'information à une conditionexpress, justifiable par la suite et objective ; lorsque, par exemple, cela répond à un besoind'arbitrage impératif dans un contexte de crise politique ou de catastrophe.

Cette recherche de l'intérêt public n'est pas toujours vraie... voire s’éclipse au profit duseul débat partisan et de l'intérêt électoral, comme j'ai pu le synthétiser par mon travaildans le dossier lié au projet des véhicules électriques régionaux en Poitou-Charentes oùprès de 30 millions d'euros ont été engloutis selon moi dans des mécanismes financierscomplexes avec une absence totale de contrôle du Conseil Régional comme des autoritéspubliques type la préfectorale. L'agenda politique semble avoir imposé certains choixirresponsables.

A mon sens il y a derrière cet enjeu du « mode de fonctionnement » moins la maîtriseet la description du processus, que son contrôle et l'effectivité de l'action et desinformations qu'il génère.

Le terme de « stratégique »

Ses travaux Mes réflexions

« L’adjectif « stratégique » n’est pas une concession à la mode du moment. Il est utilisé pour signaler que les informations fournies par la Veille Stratégique ne concernent pas les opérations courantes et répétitives, mais, au contraire, l’aide à la prise de décisions qui ont les caractéristiques suivantes. Il s’agit de décisions : non répétitives, non familières, pour lesquelles on ne dispose pas de modèles déjà éprouvés par l’expérience, prises en situation d’information très incomplète. Mais il s’agit cependant de décisions qui peuvent avoir un très grand impact sur la compétitivité et la pérennité de l’entreprise. Par exemple, le choix d’un nouveau fournisseur a une importance stratégique pour une entreprise

Je trouve ses caractéristiques / qualifications concernant le terme de « stratégique » pour le moins étranges voireimpropres – autant en politique que dans une entreprise.

Les concepts de gestion de flux tendus, la diversité des prestataires extérieurs, des fournisseurs, des changements de tous ordres de plus en plus brutaux et l'interaction de tout cela, sont autant de phénomènes courants mais essentiels qu'il convient de surveiller, d'observer. Même le quotidien « interne » doit être scruté avec intérêt… Alors que, plus que jamais, une recherche du moindre coût rendparfois rapidement caduque des habitudes de travail et des accords pour de seuls

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industrielle, alors que la passation d’une commande (répétitive) n’a pas une importance stratégique. Du fait même que la veille stratégique doit aider à la prise dedécisions peu répétitives, concernant des problèmes difficiles à structurer, l'utilisation des informations prend une dimension créative. »

motifs d'une réduction de la dépense (parfois marginale ou éloignée dans le temps).

Quant au répétitif, il peut l'être aussi pour de grands événements qualifiés individuellement d'unique (car « exceptionnels ») au regard des observateurs : les keynotes, au format léchéet millimétré, en sont des exemples de plus en plus répandus et peuvent faire ou défairedes sortie mondiales de produits ou de services. Ils sont uniques mais réguliers, stratégiques mais répétés…

L'extension du domaine de l'information, avec les théories et les nouvelles possibilitéstechniques du « big data » bouleverse là aussi la conscience et la connaissance de lastructure sur elle-même, comme des individus qui agissent pour elles ou avec elles. Oùquand l'« infobésité » peut devenir un avantage si elle est utilisée avec les bons outils : lesrésultats sur ce que l'on considère comme « stratégique » seront colossaux. Probablementque le signal faible, par de tels traitements, sera plus aisément repéré – voire plusfacilement accepté car non-dépendant d'une recherche humaine jugée peut-être davantagebiaisé.

L'intégration même de ces outils tend déjà à la démocratisation par l'utilisation deservices commerciaux intégrés et tiers (ex. : les Googles Apps).

Pour ma part, la stratégie d'une organisation ne peut pas être seulement liée àl'utilisation ou non de modèles éprouvés. Elle n'est d'ailleurs pas uniquement liée aux faitset aux objectifs de cette organisation, mais revêt en réalité une infinité de stratégies liées...aux personnes qui la composent, à leurs actions et à leurs intérêts.

Ces « sous-stratégies » déterminent le contexte de réalisation de ce qui est au-dessus :au niveau d'un groupe ou de l'organisation elle-même. Quant à l'information incomplète,elle l'est par nature dans toute organisation : sait-on jamais tout de soi et de sonenvironnement (même avec le big data) ?

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Aussi je préfère parler de « stratégique » ce qui touche à un intérêt vital ou unphénomène essentiel pour l'organisation dans laquelle personne collabore, sous touteforme et qui s'appuie sur une finalité à la fois propre à cette personne et propre à sonorganisation.

La stratégie n'est ainsi pour moi applicable qu'avec un objectif au moins en partie« objectivable32 » à un instant précis ; sans qu'il soit notion de difficultés de structurationsdes problématiques, car les objectifs varient dans le temps et en nature – donc leursdépendances aussi (les problématiques qui forment le « soubassement » de la décision etde l'action).

« Les types de veille »

Ses travaux Mes réflexions

« L’expression « veille stratégique » est une expression générique qui englobe plusieurs types de veilles spécifiques telles que la veille technologique, la veille concurrentielle, la veille commerciales, etc.Une entreprise n’est pas forcément dans la nécessité de mettre en œuvre toutes ces veilles spécifiques. Elle doit choisir celle (ou celles) qui lui paraît la plus adaptée à sa situation. Ce choix relève lui-même d’une démarche méthodologique. »

Je rejoins sa réflexion, en mettant en avant moins des considérations de techniques et d'orientations que la limite offerte par les moyens mises en place par la veille – cf la conclusion du chapitre sur la RDP.

32 C-à-d qu'il puisse être mesuré de manière systématique, au moins en partie.

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« Volontariste »

Ses travaux Mes réflexions

« Parce qu'elle vise un but créatif, la veille stratégique ne saurait être un acte passif, limité à une simple surveillance de l'environnement. C'est au contraire un acte volontariste, exigeant que l'on aille au devant des informations anticipatives en ouvrant bien grand ses yeux , ses oreilles eten activant tous les autres sens. Parfois il faut même susciter des informations. A cet égard, le mot "veille" est bien mal choisi, mais il est maintenant très répandu. Les expressions « Intelligence de l’entreprise » (utilisée par H. LESCA, dès 1986 comme sous-titre de son livre publié chez Mac Graw Hill) ou encore « Intelligence Stratégique » seraient préférables. Les anglo-saxons parlent de "Environmental Scanning" ou encore de "Competitive Intelligence". De façon imagée, on peut comparer la veille stratégique de l'entreprise au radar du navire, comme l'a suggéré AGUILAR, puisqu'elle vise à anticiper des événements avant qu'il ne soittrop tard pour pouvoir agir. Cependant, à la différence du radar, qui est objectif, la veille stratégique est caractérisée par son aspect interprétatif voire constructiviste. »

Une différence : à mon sens l'anticipation est davantage la vision d'une personne dansun environnement (et donc calquer ses propres menaces et opportunités à sa veille)qu'une pensée abstraite et « neutre » vis-à-vis de celui qui la porte.

Bref la veille est, pour moi, avant tout l'action d'une personne qui sélectionne à la fois pour son organisation lorsqu'il y a lieu, mais avant tout pour son propre intérêt.

< ACQUÉRIR /> – La veille et la revue de média – 35

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« Intelligence collective »

Ses travaux Mes réflexions

« La recherche volontariste (on dit aussi « pro-active ») des informations de veille stratégique et leur utilisation ne saurait être une démarche individuelle. Au contraire elle fait intervenir divers membres de l’entreprise, chacun d’eux en fonction de ses activités et de ses compétences. Pour cette raison la veille stratégique est un processus collectif transverse à l’entreprise. Ce processus englobe des phases d’interprétation des informations, phases délicates nécessitant la mobilisation d’expériences diverses. C’est pourquoi nous disons que la veille stratégique est inséparable du concept d’intelligence collective. Il y a intelligence collective, c’est-à-dire d’un groupe d’individus, lorsque les signes observés dans l’environnement, leur sélection et leurs mises en relations pour créer du sens sont l’objet d’un travail collectif à l’occasion duquel les membres du groupe sont en communication et en interaction sous toutes formes appropriées, dans le respect de certaines règles de comportement de travail en groupe. »

Plus qu'un désaccord, les travaux de LESCA sont pour moi sur ce volet impraticable dans le domaine politique en l'état. Son domaine d'étude – l'économie et des groupes clairement institués, formels, « solidaires » entre eux pour les individus qui les composent – me semble trahir une volonté d'universalité « facile », sans arriver à être transposée à tous les types d'organisations.

Mes travaux sont plus modestes. Cependant, peut-être avec le défaut de n'être qu'intuitif, pour mon domaine d'observation et à l'heure du bouclage de l'ouvrage, ma conclusion est à l'impossibilité d'une intelligence collective absolue au niveau d'un groupe de personnels politiques, d'un Conseil, d'un Exécutif ou d'un parti. Plus encore si l'on définit la veille stratégique comme permanente et donc l'intelligence collective elle aussi permanente.

Tout au plus l'intelligence collective y est-elle relative, « douce » (non-coercitive), dans un temps limité et des sujets donnés.

Cela n'enlève rien à une recherche volontariste, et personnelle, aux compétences et aux opportunités offertes à chacun dans les personnels politiques, et dela sélection de ce qui est mis avant ou non vers des pairs ou ses « supérieurs ». Le point de départ que le « groupe » (quel définition ? Quel périmètre ?) serait l'échelon de travail et que la politique

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n'aurait simplement que des règles de comportement de travail différent d'une entreprise me semble être une erreur absolue. Peut-être vraie en entreprise, elle est fausse et dangereuse dans un terrain d'observation aussi mouvant et insondable que le débat public et partisan où se chevauche les statuts : collaborateurs, agents, candidats, etc. – dont le « poids » politique est parfois au moins égal à l'élu33.

Le concept de « mises en relation ensemble » pour le domaine privé me semble devoirévoluer. D'abord parce que le développement du salariat précaire – c-à-d la perte d'un lienfort qui unit le salarié à l'entreprise –, voire de la fin du salariat (cf « l'uberisation » del'économie) et des nouvelles pratiques comme le big data bouleversent les règles et lesconcepts existants.

Sur le big data34, c'est la définition même de ce qu'est ce système informatique quivient comme « contrarier » les travaux cités et désormais anciens de LESCA : il s'agit dela structuration et de la mobilisation, de la gestion, des données au-delà de ce que peutfaire une personne ou un groupe, fut-il uni et parfaitement organisé.

Le big data est avant tout un travail d'acquisition, de rassemblement et de traitementsur des masses de données colossales, intraitables autrement et dont les relations sontconstruites sur des bases mathématiques, même pour les systèmes prédictifs. L'outil peutrendre une réponse pertinente car il est capable d'agglomérer et de trouver des liens et desprincipes entre des données hétérogènes35. De plus la définition du big data (notamment lecoût de la donnée traitée, la masse, la variété des sources36) peut détacher la veillestratégique d'une intelligence collective humaine sous certaines conditions. En soi le bigdata remet en cause dès à présent une partie des travaux de LESCA mais fixe aussi lesformes ultimes de l'Intelligence Politique. Car le big data n'est qu'une étape versl'apprentissage artificiel et donc à terme l'intelligence artificielle.

33 Le Secrétaire Général de l’Élysée ne devrait pas me contredire, pas plus que les Directeurs et Chefs de Cabinet de Matignon et des Ministères… eux-même en prise avec les Directeurs de leur administration qui les voient « défiler » à l'occasion de chaque remaniement ou changement d'humeur !

34 Attention : il y a une différence majeure entre big data et IA ! 35 Au point que, parfois, des phénomènes sans rapport soient corrélés ; la faute au hasard ou à

des bases d'interprétations erronées ou exagérées. Même cet exercice a ses limites ! 36 Voir p. 7 de l'ouvrage collectif Big Data et Maching Learning, aux éditions Dunod.

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Il faut cependant ne pas confondre un système de veille automatique dans uneentreprise et un véritable SI de big data, dont les moyens de fonctionnement sont souventcolossaux malgré la baisse des coûts informatiques.

Sur un autre point, l'intelligence collective nécessaire à la veille stratégique définie parLESCA implique aussi une adhésion forte de l'individu à son groupe de travail : sa phrase« le respect de certaines règles de comportement » m'intéresse particulièrement. Elle doitnous inviter à avoir une réflexion à cette adhésion aux règles de comportement (et auxrègles elles-même) dans le domaine politique.

Car au-delà de la question de l'évolution de ce qu'est le salariat (quasi-inexistant enpolitique), c'est aussi la motivation qui est en défaut dans le cas de la veille en politique :la décision publique à une vocation universaliste sur la société et ses membres – ce quientraîne des enjeux de pouvoir énormes – et des tentations qui le sont toutes autant. Pourpreuve : le développement du lobbying à tous les niveaux de la décision publique, dusupranational à la commune ; l'accumulation des « affaires » sur les conflits d'intérêt et ladifficulté aujourd'hui à définir les contours de ces conflits ; etc.

Cependant ce sujet nous entraîne dans l'observation des systèmes humains, des« organisations », des mutations même de nos civilisations et mérite une vie de rechercheen soi. Je n'y arrête donc pas ici.

A mon sens, c'est l'enjeu de pouvoir et de postes qui entraîne la dispersion des moyensdu groupe et du groupe lui-même, qui se retrouve « abandonné » (mais existe t-il sans sesmembres ? Parfois oui, lorsqu'il est institutionnalisé37) à ses querelles internes et qui subitles pressions et attaques de ses concurrents, parfois de ses partenaires, des citoyens ou deslobbyistes de tous ordres.

37 Exemple de l'article L4132-23 du CGCT qui fonde par exemple les groupes d'élus au sein des Conseils Régionaux, même s'ils ne partagent rien en commun en terme d'idées ou de stratégie, de comportement vis-à-vis de l'exécutif. Mon contrat de travail actuel au sein de la Région ALPC repose ainsi sur un groupe qui peut-être très bien, dans les faits quotidiens, être strictement inexistant sans être remis en cause organiquement.

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Cela tend donc à annuler toute forme d'intelligence collective permanente et efficiente.Cette intelligence est remplacée par d'autres formes (consensus par une absence dedécision, jeu complexe de travail des acteurs entre eux par l'influence, gestion des médias« en réaction », etc.) que je tente ainsi de définir à travers l'Intelligence Politique.

L'« environnement »

Ses travaux Mes réflexions

« L'environnement de l'entreprise n'est pas un concept abstrait ou un objet statistique. Il est constitué d’acteurs agissants. Il sera défini de façon opératoire, notamment au moment de parler du ciblage de la veille stratégique. »

Si l'environnement est composé d'acteurs agissants et non statiques, ils n'en restent pas moins abstraits. D'abord parce qu'ils se composent de différents types (physiques ou non : personne, règle / loi, organisation, etc.) et à répondant à une série de critères objectifs (coercitifs ou non, adversaire ou non, etc.). Des critères qui peuvent évoluer fortement dans le temps et parfois en rapport avec soi-même (ennemi / neutre / allié objectif / allié véritable, etc.)

La définition de l'environnement ne peut donc pas être lors du ciblage de la veille mais doit être qualifiée bien avant, au moment-même où la veille est voulue. Car c'est l'environnement qui pousse la personne (ou le groupe dans le cas d'une lecture « LESCA ») à réaliser une veille.

Le mode opératoire, lui aussi, agit en fonction d'un contexte qui n'est pas seulementcelui répondant à ce qui est possible mais aussi à ce qui est souhaitable. L'opératoire estdonc une autre grille de lecture de l'environnement basée sur un futur « espéré38 » et passeulement « probabilisé » ou « rationalisé » : la question du « comment » doit toujours êtrecomprise comme la réalisation d'une action éloignée de sa condition actuelle.

Une fois la veille démarrée, la perception de l'environnement évoluera en fonction deses connaissances et agira de facto sur la pertinence de la veille et sur le mode opératoire :cela nous prouve les liens de dépendance entre ces problématiques – quelque soitd'ailleurs les résultats de la veille, qui peuvent être nuls.

38 Lorsqu'il s'agit par exemple d'une « vision » développée dans un projet politique.

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C'est aussi et de manière très régulière dans le domaine de la politique, unenvironnement sur lequel on est directement en réaction : par voie de presse, par décisionremise « sur table », en situation de crise, etc. ; où le temps entre le moment où l'on al'information et le moment où l'on décide est quasi-nul. Ainsi l'anticipation et la réactionsont parfois confondues, comme peut l'être l'information « acquise » (revue de médiaou veille) et l'information « poussée » (remontée de l'interne ou par un tiers identifiéqui est dans le rôle du demandeur).

De plus, il faut garder à l'esprit que trop définir des acteurs (ou trop tôt), c'est prendre lerisque de mal les définir : il est rare qu'un être humain ou tout acteur vivant soitpossiblement résumé en quelques points forcément distincts dans le temps et l'espace,surtout dès l'origine d'une étude sur lui. Sauf à créer une multitude de cases pour tous lesranger : mais alors quel est l'intérêt du rangement si nous y retrouvons une organisationqui tend à être le bazar naturel de notre monde… ?

C'est aussi le cas des signaux faibles : ils répondent en priorité à une notiond'appréhension, non forcément de secret ou de discrétion. Le « capter », le repérer etl’interpréter correctement permet, comme le souligne LESCA un peu plus loin, de« créer » par l'interprétation. Cela implique que tout acteur, toute personne, toute sourcepeut être utile. Si la définition implique d'être le préalable ou la finalité d'un filtre, alorsles mailles ne doivent pas être trop fines… sinon c'est faire une veille qui sera par natureinopérante.

A une définition précise de la nature des « acteurs », de tous les ordres, je préfère poserla question de la pertinence des limites en terme de ressources que l'on attribue à la veilleet des ajustements au besoin : car la personne humaine = beaucoup de limites !

Charge aux responsables de la veille, aux exécutants, d'avoir l'esprit « suffisammentlarge » de notre « élite politique » tant décriée, comme le souligne par ailleurs et en creuxChristian HARBULOT lorsqu'il évoque les carences d'observation de ce qui se passeailleurs…

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« Créer »

Ses travaux Mes réflexions

« Compte tenu des caractéristiques des informations dont il est question, la veille stratégique englobe desphases d'interprétation des signes d'alerte précoce qui s'apparentent à de la créativité. En effet, les informationsdont il est question ne décrivent pas des événements déjà réalisés, mais permettent de formuler des hypothèses etde créer une vision volontariste. Interprétation et création prennent appui à la fois sur les signes captés surl’environnement, sur l'expérience des personnes qui interprètent les informationset sur les connaissances stockéesdans l’ensemble des mémoires de l'entreprise (mémoires formelles et mémoires tacites individuelles). »

La création (ou sa chimère) en politique… !Cela mérite en soi tout un ouvrage ; je laisse donc ce travail des Danaïdes à plus tard et à des dizaines de chercheurs chevronnés... !

Plus sérieusement je reprends les propos et concepts de LESCA à mon compte, quand bien même je ne partage pas son concept de« mémoires d'entreprise », qui implique quele groupe serait prioritaire dans la production, le stockage et la transmission d'une telle mémoire.

En lieu et place de cette mémoire d'entreprise, je ne garde que les notes, la mémoire (faillible) de l'individu, des coupures de la presse ou des témoignages (faillibles eux-aussi). Bref une « construction mémorielle » peu impartiale,peu transmissible ou même peu commune. Là aussi les exemples ne manquent pas de pouvoirs publics disposant d'immenses ressources intellectuelles laissées à l'abandon et oubliées (parfois volontairement) de tous…

« Anticipation »

Ses travaux Mes réflexions

« Notre définition de la Veille Stratégique met l’accent sur l’anticipation et la détection de changements et notamment d’éventuelles ruptures (ou discontinuités : discontinuity, radical change) qui pourraient survenir dans l’environnement pertinent de l’entreprise. Rappelons que

Là encore des rapprochements et des divergences se créent.

L'écart le plus manifeste repose sur la très grande fréquence des changements, des événements et l'opacité des liens entre eux, comme de l'immensité du secteur et de ses

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Page 42: Intelligence Politique, renseignement, influence et organisation de l'information dans le domaine public

Aguilar (1967) avait comparé l’Environmental Scanning de l’entreprise au radar du navire. Notre choix a une conséquence théorique et pratique quant au type d’informations auquel nous nous intéressons ici. Il s’agit d’informations ayant elles-mêmes un caractère anticipatif : elles doivent fournir des éclairages sur le futur, et non pas sur le passé ou le présent. Cependant il faut distinguer deux façons de s’intéresser au futur.Une première façon consiste à accumuler des informations sur le passé et à effectuer des extrapolations. C’est le cas lorsque l’on « calcule » des tendances, voire des tendances « lourdes ». Selon nous, cette façon revient à regarder le futur « dans le rétroviseur ». Elle n’est pas appropriée à anticiper les changements surprenants et encore moins les ruptures.Une seconde façon consiste à rechercher des informations susceptibles d’annoncer àl’avance des changements nouveaux. Cette façon de faire a été préconisée par I. Ansoff lorsqu’il a introduit le concept de management stratégique et parlé de « weaksignals » (probablement par analogie avec ce que l’on connaît dans le domaine de la radio et des radars. (Il semble en effet qu’ilait emprunté cette expression à W. W. Bryan, un cadre de chez Philips, Pays-Bas).Le type d’informations recherchées et les traitements pouvant leur être appliqués sont très différents de ceux utilisés pour le calcul des tendances. Le présent document est plutôt orienté verscette seconde façon d’anticiper. C’est pourquoi nous allons présenter le concept de signe d’alerte précoce. »

acteurs dans le domaine public. Compte tenu que ma réflexion place initialement l'individu et non le groupe au centre de la réflexion, ses limites fortes et vite atteintes s'imposent toujours. Même les décideurs nationaux n'ont de l'actualité et des informations grises et noires que des résumés, des compilations ; ce que j'appelle globalement des « témoignages ». Cela rend plus facile les jeux d'influence et les phénomènes dits « decour », où la centralité du pouvoir aiguise des appétits de reconnaissance et de vacuitéface à ce qui se trouve à l'extérieur…

Toutes naturelles sont la volonté et la pratique de l'anticipation et de la détection des changements en politique. Mon blog39, alternant des études du passé, des extrapolations et des recherches de signaux faibles, s'en veut être une modeste illustration. La presse et le développement des outils numériques de communication personnelle en sont des illustrations plus éclairantes encore, recherchant la « petite phrase » ou la position inattendue de tel ou tel acteur, la créant (par effet de miroirs) oula relayant, amplifiant et déformant la vision d'un événement tel l’œil de la mouche.

Généralement la volonté de conquérir et détenir le pouvoir passe par l'anticipation « volontaire » et assumée, alors qu'il n'existe en politique finalement que des liens faibles entre les individus et des masses difficiles à appréhender – notamment au niveau des exécutifs, qui s'appuient sur des chambres / des conseils et des majorités.

39 Qui est en consultation libre à l'adresse intelligence-politique.fr et le travail d'origine de cet essai…

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Dans les faits les situations sont diverses, riches et toujours complexes : nous ne sommes pas sur des relations contractuelleset, même sur des « contrats » – par exemple le CPER ou les Contrats de développement des territoires – il n'est pas rare qu'une des parties fasse défaut, sans qu'il y ait des représailles administratives ou judiciaires pour elle. L'anticipation ne se résume donc pas à la lecture stricte d'un document ou à la confrontation de plusieursdocuments – fussent-ils officiels !

Sur l'anticipation elle-même, les deux typesévoqués (extrapolation et signaux faibles) se retrouvent et se confondent à l'échelle del'individu. Les distinguer a-t-il un sens, sinon pour définir un trait de caractère ou tenter de comprendre un jeu d'acteur ?

Bientôt, très bientôt, une partie de ce que j'indique ici sera désuète, car les systèmesprédictifs non-humains / « non-naturels » (c-à-d en dehors du champ habituel du vivant)seront suffisamment développés par le biais de l'intelligence artificielle.

Ces systèmes ne seront plus seulement des représentants des données statistiques maisdotés d'une véritable imagination. Il ne s'agit donc plus de probabilité mathématique puremais aussi d'une part d'aléatoire et de « l'expérience humaine » sublimée. Bref que lamachine soit consciente et rêve de possibles loin du probable…

Dès lors c'est toute la pyramide de la gestion de l'information stratégique qui nousfaudra revoir, tant sur le domaine universitaire que professionnel ou public. Et alorsl'anticipation sera rentrée pleinement dans une ère que nous pourrions qualifier demécaniste.

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< C L A S S E R E T C O M P R E N D R E / >– L A G E S T I O N D E S C O N N A I S S A N C E S

Ce chapitre se consacrera à la meilleure manière de gérer les connaissances acquises au niveau de la personne.

Mais avant d'être une connaissance et considérée ainsi, différents processus intellectuels se mettent en place : de la données (unité de base, très variables), par l'information (l'agglomérat, détermine un contexte à un moment) et jusqu'à la connaissance proprement dite (qui n'évolue pas ou très peu dans le temps), sont les principales étapes / préalables / état d'une matière étrange à connaître.

La création de la connaissance et son organisation sont en elles-même vectrices de création de nouvelles connaissances (que l'on nommera par facilité de langage métaconnaissances les ensemble ou métainformation pour les liens).

C'est là un schéma assez classique emprunté au cycle de l'information et aux théories classiques de l'infocom'. J'ai souhaité le revisiter à l'aune d'autres domaines et d'une approche que certains pourraient penser naïve (à raison ?).

L'ouvrage Un brève histoire du temps, du célèbre physicien Stephen HAWKING, m'a inspiré pour cette partie. Il révolutionne durant son immense carrière la physique sur denombreux points en confirmant les aspects quantiques de notre univers et leurs conséquences incalculables40, bousculant la « vérité » comme étant un phénomène unique et reproductible.

C'est aussi un homme qui doit inspirer le respect et l'admiration par un travail qui a su dépasser son handicap et des préjugés parfois tenaces, étalon de notre propre tolérance et de capacité à nous extraire de nos certitudes…

40 Dans tous les sens du terme ?!

< CLASSER ET COMPRENDRE /> – La gestion des connaissances – 45

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Un point de sa théorie sur la physique quantique m'a particulièrement intéressé : seul l'observateur fige une situation où il n'y aurait en « réalité » que des possibles. Cela arrange bien ma théorie sur l'acquisition de l'information (et sa gestion ?) comme une affaire de l'individuavant d'être celle d'un groupe…

« BaseC » et l'IMAP comme point de départ

La création d'un outil de gestion des connaissances personnelles n'est pas une chose siaisée. Beaucoup existent sous un format très simple, notamment sous la forme de listes detâches plus ou moins collaboratives. D'autres existent, plus complets mais où le groupel'emporte (modules de groupware, gestionnaire avancé de documentation, système degestion de contenus de type encyclopédique, etc.).

Rien n'existe pour une personne seule, qui n'a pas de qualification techniqueparticulière, qui manque de temps et qui ne dispose bien souvent comme principal outil detravail que de son smartphone personnel et de sa boîte courriel. Bref le commun des éluslocaux (parfois nationaux...) et des collaborateurs. C'était mon point de départ voilàquelques années, en marge de mon travail, tant par passion du développement que parintérêt professionnel.

D'abord parce que se pose des questions fondamentales autour la forme de l'outil, quiinterroge l'ingénieur qui sommeille en moi : doit-il être exclusivement numérique ? Doit-ilêtre forcément adapté à des situations de mobilités ? Par écrit ou par différents senshumains, comme ce qui fonde notre observation de l'environnement : toucher, odorat,etc. ? Comment intégrer à cet outil de manière simple, ludique, automatique, des fluxcontinus comme par exemple les alertes médias ou des réseaux sociaux ?

Mes compétences et mon temps sur cette terre n'étant pas infinis – ce que je regrette –,j'ai opté pour ce qui était développable le plus immédiatement pour moi, basé sur lelangage PHP (avec une pointe de Python pour le moteur de réception des mails) et orientéPOO et web. Par la suite, le « trouple » SQLite, MongoDB, Node.JS prirent de l'ampleur,associé pour certaines fonctions avancées à Python.

En attendant, j'avais essayé les différents types de wiki-wiki, particulièrementWikimédia (base fondatrice de l'encyclopédie en ligne et collaborative Wikipédia) etDokuwiki (qui ne dispose pas d'une base de données, mais d'un ensemble ordonné defichiers textuels), comme de CMS plus ou moins aboutis (Agora, Drupal, etc.). Sans

< CLASSER ET COMPRENDRE /> – La gestion des connaissances – 46

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trouver véritablement l'outil à la mesure de mes orientations de développement. C'est donctrès naturellement qu'est (re)venu le développement logiciel pur et la description d'unenouvelle norme technique d'organisation.

Cet outil, je l'ai nommé BaseC, comme base de connaissances. Il se présente (enpartie) sous la forme d'un site Internet où l'inscription n'est pas obligatoire. Il suffit derenseigner les champs d'information pour l'accès à sa boîte courriel par une simpleconnexion IMAP. Une fois la connexion établie, c'est la preuve que l'utilisateur sur le siteest l'utilisateur régulier de la boîte courriel. J'ai rajouté une étape supplémentaire (l'envoipar courriel d'un code à retourner), pour éviter les attaques dites « de forces brutes »41.

À l'heure d'écriture de ces lignes, j'ai fondu le projet dans un cadre plus large ets'appuyant sur l'auto-entreprise qui porte la publication commerciale de cet essai.L'objectif au-delà de porter le sujet de l'IP, est de fournir des services payants trèsspécialisés aux personnels politiques ou dans les organisations où une forme de« microgestion » règne, en s'appuyant sur les besoins que j'évoque dans l'ouvrage. Avec àla clé la possibilité de répondre à un besoin sans créer pour le client ni compte ni profil,pour l'entreprise ni de service ni d'outil d'hébergement et de réplication des donnéespersonnelles ou de maintenance d'appareils complexes.

J'envisage comme incontournable « l'ouverture » de l'outil, la publication de son codesource, afin de bénéficier des retours des communautés techniques et de continuerl'observation par l'appropriation de l'outil par d'autres, appréhender son évolution – là où ilrépond aux besoins. C'est aussi, par sa démonstration, de la pédagogie sur une manièreque j'espère nouvelle et utile sur la gestion des connaissances personnelles.

De plus et c'est loin d'être anecdotique, le développement de cet outil m'a permisd'affiner certaines des hypothèses que j'évoque dans cet essai.

Au final cet essai et l'outil forme un chemin pour observer « de bout en bout »comment réagissent les premières règles élaborées de mes observations sur des cas trèsréels et quotidiens.

41 Tests répétitifs de toutes les combinaisons possibles, jusqu'à trouver la bonne. Le raffinement : partir d'un « dictionnaire », c'est-à-dire de combinaisons qui auraient le plus de chances d'aboutir au déverrouillage du système.

< CLASSER ET COMPRENDRE /> – La gestion des connaissances – 47

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L'IMAP, un protocole adapté

Internet est le réseau des réseaux : c'est-à-dire qu'il n'existe physiquement pas commeun lieu unique et délimité mais comme un concept informatique et un regroupementd'entités physiques (souvent analogiques pour la partie réseau) et d'autres systèmesnumériques immatériels – l'ensemble étant sur d'innombrables sites distants les uns desautres.

Comme dans le domaine quantique, il existe parce que nous observons son action et encalculant les possibles, mais sans jamais percevoir simultanément toutes les interactionsphysiques. Internet est représenté par les moyens et les efforts colossaux visant àinterconnecter les MAN et les WAN42 entre eux afin de trouver le chemin idéal, optimal,entre deux postes43 situés sur des réseaux étrangers. Internet : « on ne le voit pas mais onen mesure ses effets ».

Sur le support physique, le protocole, que l'on peut comparer à une norme, oblige à unecommunication déterminée et définie au préalable par une norme, qui n'est pas que depure technique physique (voltage, etc.) : syntaxe, grammaire, « politesse » (respect de« bonnes » pratiques), etc.

Sans le protocole, point de salut : chacun aurait sa manière de faire, ses avantages maissurtout ses failles et ses abus. On l'oublie trop souvent mais Internet est le royaume dela médiation – celle technique (traitement du signal) mais aussi celle culturelle (encodagedes caractères : reconnaissance ou non des alphabets, du langage de l'autre ; harmonisationdes couleurs et des signes, des symboles ; etc. ). Ces normes de transmission de la donnéeont influé jusqu'aux outils, leurs usages et finalement le développement même de noscivilisations occidentales si l'on considère le poids du numérique comme une troisième« révolution industrielle ».

La médiation n'implique pas l'égalité entre les usagers : l'anglais restent parexemple de mise. D'ailleurs dans cet essai, malgré le soin tout particulier apporté à écrireen « bon français », il reste des anglicismes. Preuve une fois encore que l'utilisation d'unelangue pour un « nouveau » concept (nombreux dans les TIC) est le reflet sinon de lasoumission, au moins de « l'impériosité44 » aujourd'hui d'un pays et de sa culture – lesUSA –- sur les autres malgré d'autres « géants » technologiques tels que le Japon, laChine, …

42 MAN : Metropolitan Area Network. WAN : Wide Area Network. 43 Qu'ils soient clients, serveurs ou les deux. 44 Sa volonté impérieuse... voire d'empire ?

< CLASSER ET COMPRENDRE /> – La gestion des connaissances – 48

Page 49: Intelligence Politique, renseignement, influence et organisation de l'information dans le domaine public

Certaines des théories défendues par l’École de Guerre Économique ne devraient pasme contredire sur ce point !

Retour à notre outil : l'IMAP donc, vise à permettre d'échanger entre le serveur (celuiqui rend le service) et le client (celui qui utilise le service) des courriels45. A la différencede la norme POP3, qui télécharge l'intégralité des données et du traitement sur le client etne renvoie que le résultat des actions de l'utilisateur (souvent la suppression du messagesur le serveur), la norme IMAP travaille en temps réel, en envoyant les instructions del'utilisateur au serveur et en ne récupérant que des données de contextes et des portions dechaque message. Vous ne stockez pratiquement rien sur chaque courriel depuis le posteclient : il n'est téléchargé totalement qu'en cas de besoin.

D'où l'utilisation pendant longtemps, lorsqu'Internet restait un usage ponctuel, non-permanent, d'une base locale par POP3. L'usage d'IMAP s'est répandu dans le grandpublic lorsque tous les objets connectés pouvaient utiliser un service mail par uneconnexion permanente type 2G/3G. La plupart des grands opérateurs (Orange, Free,Google, etc.) propose désormais des adresses courriels gratuites avec un accès par leprotocole IMAP et des fonctions ajoutées dites « push », où le serveur est en résumé àl'origine de la transaction et de la mise à jour des informations sur le poste client.Retenons principalement que le protocole IMAP assure à BaseC une très grandeopérabilité auprès du grand public et des professionnels, surtout ceux mobiles.

L'IMAP est le protocole idéal d'accès à une boîte courriel pour les objets connectés àInternet en permanence et où l'espace de stockage reste « faible » (tel qu'un smartphone)ou, sans dévoyer la norme, la possibilité de travailler à plusieurs sur la même boite. Deplus, l'IMAP dispose d'aspects lui permettant de respecter l'esprit des propriétés ACID(atomicité, cohérence, isolation et durabilité, pour le stockage des courriels en eux-mêmepar le daemon) comme permettre la « scalabilité » et la souplesse des stockage desdonnées (peu de contraintes dans le schéma de chaque courriel) comme le prévoit lafamille NoSQL. Cela le rend à mes yeux ce système mixte… et idéal.

Le courriel quant à lui, est un texte unique normé mais d'une grande souplesse tant pourson entête (destinataire-s, expéditeur, objet, informations /relais divers, date d'envoi, etc.)que pour ses corps (un pour le texte dit « brut », un pour le contenu enrichi au formatHTML, éventuellement un par pièce jointe s'il y a lieu). Des séparations entre les corps,

45 Non, pas de « mail » chez moi !

< CLASSER ET COMPRENDRE /> – La gestion des connaissances – 49

Page 50: Intelligence Politique, renseignement, influence et organisation de l'information dans le domaine public

elles aussi normées, existent : deux renvois à la ligne entre l'entête et le corps ; une sériealéatoire de chiffres et de lettres convenus à l'avance entre les corps, formant une ligne deséparation répétée et définie de manière quasi-aléatoire pour chaque courriel.

En voici un exemple, la réception d'un message vocal, où j'ai mis en gras quelqueséléments-clé :

Authentication-Results: mx.google.com; spf=pass (google.com: domain of [email protected] designates 213.228.2.164 as permitted sender)

[email protected]; dkim=pass [email protected]: 7bitDKIM-Signature: v=1; a=rsa-sha256; c=simple/simple; d=free-mobile.fr;

s=default; t=1454745483;bh=EVg3q9IwIpFBQXJnaOEepCi6ZR9mb/yIA00=;h=Date:From:To:Subject;

b=xF9QdbqHgxLuZkGAD389VkUqSUkDY+Z4NDRYUkB+ch8FskgqOXovt27KaL9SznyOKR6yKKazepSG2a9Wd2xWyJMrVjQ4efcRU0ToOaObuG/gDI6TUxpjsy2dLMyUDK4ANQj6q5RD79jfjB7P6TyLawGHGbU=Content-Type: multipart/mixed; boundary="_----------=_145474548211106717436"

MIME-Version: 1.0

Date: Sat, 6 Feb 2016 08:58:02 +0100From: [email protected]: [email protected]: [FREEMOBILE] 067239524346: Nouveau message de: 05459*****X-Mailer: MIME::Lite 3.030 (F2.84; T2.09; A2.14; B3.13; Q3.13)Message-Id: <[email protected]>

This is a multi-part message in MIME format.

--_----------=_145474548211106717436Content-Disposition: inlineContent-Transfer-Encoding: 8bitContent-Type: text/plain; charset="UTF-8"

Nouveau Message :

Pour : 0672395243De : 06623*****Le : 2016-02-06 08:57:24Duree : 27 secondes

--_----------=_145474548211106717436Content-Disposition: attachment; filename="20160206_085724_06623*****.wav"Content-Transfer-Encoding: base64Content-Type: audio/x-wav; name="20160206_085724_06623*****.wav"

46 C'est le portable de l'auteur. Si vous avez besoin de le joindre... !

< CLASSER ET COMPRENDRE /> – La gestion des connaissances – 50

Page 51: Intelligence Politique, renseignement, influence et organisation de l'information dans le domaine public

Ukl[… ici le format du message en Base64…] XV1NTU

--_----------=_145474548211106717436--

Un courriel « brut » est donc lisible par l'humain, même si toutes les informations nelui sont pas directement compréhensibles ; à la différence d'un fichier binaire dont lecontenu nous est intégralement illisible. Le format du courriel est aussi très souple : engras, j'ai mis les informations « obligatoires ». Le reste, en dehors du contenu du courriel,est un agglomérat ajouté par les relais SMTP (ceux qui font transiter les courriels) ou lesfiltres anti-spam par Google, ma « boîte mail » de destination, qui reçoit et traite lescourriels.

Cette organisation est idéale car nous pouvons très bien ajouter les métainformationssur une connaissance dans l'entête et jouer sur la forme canonique des adresses courrielspour préparer un classement, notamment par type.

L'exemple de la pomme !

Ainsi la version bêta de mon outil utilise la forme suivante :

[email protected]

Où UID était un identifiant unique ou qualificateur (notamment en cas d'homonyme),Nom est le nom de la connaissance, l'arobase sert à respecter la forme canonique classiquedes adresses. Type est le type de l'enregistrement (connaissance, mais aussi date,personne, etc.) et .BaseC sert à distinguer sur une boîte courriel utilisée normalementl'enregistrement d'un courriel reçu de l'extérieur.

Ainsi pour le fruit de la pomme, nous pourrions avoir :

[email protected]

Si l'on cherche le nom de la connaissance « pomme », on aura donc comme critère detri :

[email protected]

… ce qui nous fera ressortir des enregistrements aussi variés que : le fruit, l'objet (lapomme de douche) ou de l'argot (la face, le visage).

< CLASSER ET COMPRENDRE /> – La gestion des connaissances – 51

Page 52: Intelligence Politique, renseignement, influence et organisation de l'information dans le domaine public

Cette astuce peut être appliquée pour séparer la connaissance par grands types. J'en aisynthétisé au moins 5 fondamentaux : lieu, date, personne, connaissance, définition. J'aiajouté aussi des types plus généraux : données, règles, profil, sommaire. Ces dernierstypes servent notamment à créer des liens entre les types fondamentaux lorsque l'onsouhaite créer une carte heuristique des liens et des connaissances.

Ainsi nous pouvons construire un outil basé sur le principe wiki-wiki, pour stockertoute la connaissance d'une personne (d'une manière automatisée ou manuelle, mise à jourou non en continue), accessible par tous ses appareils facilement grâce à l'IMAP.

Le contenu même de chaque enregistrement se base sur l’enrichissement permis par leXML – et donc son extension le format HTML – pour intégrer des relations entre lesconnaissances (encapsulation).

Pour l'exemple de la « pomme » ([email protected]), voici à quoi pourraitressembler la fiche « sommaire » :

Content-Type: multipart/mixed; boundary="_----------=_45648101504df80f4e8fe4f0"MIME-Version: 1.0Date: Sat, 2 Jan 2016 09:12:38 +0100From: [email protected]: jgarderon@basecVersion: 3Edition: ouiSubject: Sommaire / "pomme"Message-Id: <BaseC-UDI69>

--_----------=_45648101504df80f4e8fe4f0Content-Type: text/html; charset="UTF-8"

<html><body> Le terme "pomme" peut recouvrir trois sens : <ul>

<li><extra type="connaissance" nom="pomme" uid="fruit">le fruit</extra> du <extra type="connaissance" nom="pommier" uid="arbre">pommier</extra></li>

<li><extra type="connaissance" nom="pomme" uid="objet">un objet</extra> de <extra type="connaissance" nom="maison-piece" uid="salledebain">la salle de bain</extra></li>

<li><extra type="connaissance" nom="pomme" uid="argot">un terme argotique</extra></li> </ul> </body></html>

--_----------=_45648101504df80f4e8fe4f0Content-Type: text/data; charset="UTF-8"

[... ici des données supplémentaires pour l'outils BaseC, par exemple en PJ des photos...]

< CLASSER ET COMPRENDRE /> – La gestion des connaissances – 52

Page 53: Intelligence Politique, renseignement, influence et organisation de l'information dans le domaine public

Le navigateur IMAP de votre portable vous affichera simplement la liste, sans lien,avec ce que recouvre les termes à partir de ce qu'il en comprend et de ce qu'il est capablede faire. L'utilisation avancée du CSS permet tout de même l'ajout d'indications,notamment la création à la volée des adresses de connaissances à rechercher à partir deséléments extra et leurs attributs.

Lorsque vous vous connecter par l'interface web à l'outil BaseC, l'enregistrement seraalors pleinement exploité : la navigation est facile, vos données et vos connaissancesstockées sous votre contrôle47 et dans un format suffisamment souple pour convenir à tousles usages.

47 Comprendre : le contrôle lié à votre compte, qui n'implique pas nécessairement être l'administrateur ultime de la boîte courriel...

< CLASSER ET COMPRENDRE /> – La gestion des connaissances – 53

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Dépasser les limites de l'IMAP ?

Malheureusement l'IMAP n'est pas conçu, comme d'ailleurs pratiquement tous lesmoteurs gérant les mails, pour éditer le contenu des enregistrements : un courriel n'évoluepas dans le temps. Sauf si ce sont des brouillons, et encore ! Ainsi chaque modificationprovoque la suppression d'un ancien enregistrement et la création d'un nouvelenregistrement (d'un nouveau courriel donc). Il ne faut donc pas compter sur lesidentifiants internes des boîtes courriel, mais sur des identifiants relatifs.

Il existe deux type d'identifiants sur chaque dossier d'une boîte courriel :

• le numéro d'apparition dans le dossier, qui évolue en fonction des ajouts et dessuppressions,

• le numéro d'incrémentation, qui est fixe car il est assigné lorsque le courriel estajouté au dossier.

En jonglant avec la souplesse des entêtes et des identifiants internes propres aux boîtescourriels, cette astuce m'a permis des modifications sans difficulté et en gardant cohérentl'ensemble (voir les propriétés ACID) qui est accessible pour tous les utilisateurs d'unemême boîte (sans préjuger ni empêcher une utilisation ultérieure en mode partagé) etcompatible avec la totalité des serveurs courriels. Reste qu'il faut passer par l'outil BaseCpour éditer et voir la profondeur de votre base de connaissances ainsi créée. Un navigateurcourriel classique ne sera pas en mesure de le faire : seulement d'afficher des formes« résumées » mais lisibles (un peu à la manière d'une page Web) et compréhensibles parl'homme.

Autre limitation qu'il a fallu contourner : si la boîte est utilisée par plusieurs personnes,comment connaître la personne à l'origine de la dernière modification ou de la création.J'ai utilisé pour cela le champ from, l'expéditeur, toujours unique, pour garder l'adressecanonique de la connaissance. Et le champ to, le ou les destinataires, pour ceux qui sont àl'origine de la connaissance.

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S'il y a de « l'intelligence »48 dans cet outil, il reste un système technique parmid'autres. Même pas le plus efficace !

Mais il est simple à mettre en œuvre et sans base de données complexe à monter (enplus, le transfert d'une fiche de connaissance à un tiers revient à transférer uncourriel… !), sans changer fondamentalement les règles habituelles de classement. Je lecrois assez ouvert et facile à mettre en œuvre d'un point de vue technique pour être adopté.

Au-delà de la question purement technique, c'est aussi une approche où la liberté tantde stockage, de diffusion et de création est très grande et très simple pour l'utilisateur.

Par la suite, en lisant un été Stephen Hawking « une brève histoire du temps » et grâceà ces propres interrogations, j'ai débuté un vrai travail de fond autour de cet outil. Avec unobjectif : rendre la vérité multiple, non-permanente et soumise d'abord à celui quil'observe et donc qui « arrête » son état dans la forme observée ; bref uneconnaissance relative et ce pour tous les domaines, tout le temps.

48 De l'astuce...

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Google, ce précurseur

Cette partie sur l'outil BaseC pourrait paraître décalée, technique, inopportune vis-à-visdu reste de l'essai. J'estime qu'elle a sa place et, pour preuve, gardons à l'esprit que Googlepratique déjà le « scan » à l'ensemble des boîtes courriels, des carnets de contacts, desrecherches et des publications sur les réseaux sociaux de ses utilisateurs pour définir quiils sont... leurs attentes, leur état d'esprit ou leurs opinions.

La finalité du géant de Mountain View est à la fois commerciale (vendre des espacespublicitaires « ciblés ») mais aussi sur le développement de nouveaux usages numériques.L'objectif ultime serait « une vie Google » : transport, information, consommation,énergie, services financiers et bancaires, etc.

Faire de l'outil de veille un outil avant tout personnel, c'est permettre à qui contrôle etadministre le système de boîtes de courriels la possibilité de connaître précisément chaqueutilisateur, de les comparer – et éventuellement de déterminer l'efficacité de telle ou tellepersonne pour un contexte donné.

C'est pour cela que j'ai souhaité réunir dans cette partie à la fois le classement del'information recueillie (« classer ») et sa compréhension (« comprendre ») dans unensemble plus vaste pour l'utilisateur ou pour celui qui techniquement supervisel'utilisateur. Car l'un ne peut aller sans l'autre.

La création d'un outil est une réponse à une attente ou un besoin, sans exclure d'être labase d'une réflexion plus large sur ce qu'il peut faire, ce qu'il recouvre, ce qu'il permet ; ilpeut être finalement l'amorce d'une expérience sociale « grandeur nature ».

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Vers des nouveaux principes dans la gestion des connaissances personnelles

En joignant la théorie, les essais et le développement de cet outil, j'ai commencé peuaprès à vouloir déterminer les « invariants » dans mes observations et de mes pratiques.Ce que j'ai appelé dans cet essai des « principes » : certes le terme peut être jugé« pompeux », mais il reste la bonne image de ce que j'ai voulu faire et le poids quej'entends leur donner dans le domaine de l'IP.

Le principe de la mesurabilité

Un outil personnel de gestion des connaissances semble être l’un des meilleurs moyenpermettant la mesure de ce qui fonde le savoir sur la construction de nos propresconnaissances :

• la mesure de la non-connaissance (la mesure de ce que je ne sais pas encore),

• la mesure de la connaissance (la mesure de ce que je sais),

• de l’entropie de la connaissance (l’organisation de ce que je sais ou non),

• la mesure dite « totale » (le champ possible de ce que je sais déjà et de ce queje ne sais pas encore).

Une règle simple doit être émise pour la suite de la démonstration : nous considéronsqu’il y a autant de non-connaissances que de connaissances à un instant « t ». Ainsi,lorsqu’une donnée ou un concept est intégré à la base (en somme est appris), il fait desrenvois vers d’autres informations, d’autres connaissances, d’autres données quel'utilisateur a acquis ou non.

Il y a donc une création de connaissances sur les liens entre celles déjà enregistrées etde nouvelles questions ou de nouveaux champs de non-connaissances apparaissent(résumé-e-s dans le fondamental : QQOQCP).

Sauf à savoir toute la connaissance possible (donc au-delà de la connaissance humainequi est une ligne d’horizon ; et sauf à être (un) dieu…), je postule que le rapport resteratoujours proche de 1 pour 1 : une non-connaissance pour une connaissance.

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Page 58: Intelligence Politique, renseignement, influence et organisation de l'information dans le domaine public

Lorsque ce ratio chute, soit la mesure des connaissances connues est mal faite (sur-estimée), soit vos connaissances n’aboutissent plus à de nouvelles questions car vous avezterminé l’apprentissage, l’acquisition de l’ensemble des connaissances (données brutes,informations, liens) pour un espace, un thème ou un temps donné. Cela pourrait êtrevrai dans une dimension particulière, par exemple un champ limité de recherche (« où setient le marché ce matin ? »).

Lorsque ce ratio augmente, de nouvelles questions se sont posées, de nouvelles non-connaissances ont été acquises ou crées. Cela peut être, aussi, que l’entropie de votre basede connaissance dépasse un « seuil critique » : le désordre provoque de nouvellesquestions ou des non-connaissances en établissant des relations étranges et singulières,plus ou moins pertinentes (désordre) ou dont la masse ne permet plus un traitement(symbolisé notamment par « l'infobésité »). C'est le seuil limite du possible de la gestionhumaine : il est propre à chacun.

C'est ainsi que je crois, pour l'IP, que se fonde l'anticipation humaine : au-delà de laseule possibilité statistique, avec des possibles étranges, qui relèvent peut-être davantagede l'imaginaire…

Ce seuil dépend non seulement du système de classement des connaissances, mais aussidans le temps de la capacité de l'utilisateur du système à appréhender ce qu'il sait (et cequ'il ajoute ou retire à la base), ce qu'il peut découvrir et comprendre en termed'abstraction et de masses.

L’ensemble graphique occupé par les connaissances et les non-connaissances peut êtreainsi matérialisé dans le temps soit sous la forme d’un cône (en expansion ou enrégression), soit sous la forme d’un tube (pas d’évolution).

Le principe des ensembles de connaissances

Un ensemble de connaissance est certes un regroupement de connaissances unitaires (etdonc de ce qui compose chacune de ces connaissances) mais cela doit être vu aussicomme un espace de pensées sur le même principe que les espaces de noms, c'est-à-direde l'ensemble des connaissances et de leurs liens, du questionnement logique ou non quiest produit pour les rassembler dans ce même ensemble…

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Chaque ensemble peut être représenté en 2 dimensions par une surface pour le seulespace occupé par les connaissances, et en 3 à n dimensions si on ajoute les liens formels,informels, l'évolution, etc.

Le principe d’ordonnancement faible

En terme d’ordonnancement, il faut passer du lien fort (d’une vérité à une autre, ce quirevient à dire qu’une connaissance, c-à-d un agglomération d’informations/de données,ne change jamais) à un lien faible (l’agglomérat est plus ou moins variable mais jamaispermanent dans le temps).

L’espace des connaissances (hors liens) peut donc varier en terme d’ensemblescontenus sans que l’ensemble total ne varie : l’addition de tous les espaces deconnaissances entre eux pouvant rester identique. Mais leur structure et leur organisationpeuvent fortement variées. L'ordonnancement pourrait être ainsi une manière dedéterminer le caractère de foi, de croyance porté à une connaissance ou à un systèmequelconque en voyant comment évolue les connaissances et leurs liens entre eux, etde la causalité qui résultent des évolutions observés : « est-ce que je remet encause… ? »

Ces espaces évoluant sont bousculés dans leurs liens et par leurs liens. Ils fondent laconnaissances en associant des informations et en devenant eux-même des informations ;de nouveaux liens peuvent donc créer un surplus (marginal ou non) de connaissances49.

Dans mon principe, le principe d’ordonnancement faible veut qu’en permanencel’addition de tous les espaces ne reste que faiblement identique dans le temps et que lesespaces sont ouverts (non-fixes) et en augmentation (les anciens liens restent desconnaissances acquises).

Plus l'individu juge que l'ordonnancement de sa base n'évolue pas ou n'a pas à évolueret alors que ces connaissances grandissent, plus ses connaissances nouvelles devront êtreminorées dans l'analyse du poids que l'on fait des connaissances de cette personne car lesliens démontreront qu'ils sont du ressort de la foi et non d'un phénomène causal. Bref : il

49 C'est le propre de la recherche scientifique… poser des questions qui peuvent déboucher à des raisonnements nouveaux, des améliorations de méthodes voire des connaissances nouvelles.

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ne peut repérer « les signaux faibles » ou remettre en question ses propres croyanceset rompt ainsi la continuité logique de son organisation d'informations, au profit dece qu'il a déjà acquis et qu'il considère comme vrai et immuable quoi qu'il advienne.

Plus largement et de manière pratique, on mesurera la position d’une connaissance dansun ensemble de connaissances selon les quatre variables suivantes :

• nombre de liens entrants dans l’ensemble de connaissances vers un ou nensembles,

• nombre de liens sortants de l’ensemble de connaissances depuis un ou nensembles,

• nombre de liens internes,

• masse totale des connaissances dans l’ensemble (addition des masses dechaque donnée contenue dans la connaissance et du poids des liens).

Le « poids » total d’une connaissance est la relation mathématique entre ces quatrevariables, sous la forme d’une matrice où l'on prendra soin d'ajouter les donnéessuivantes :

• la connaissance dispose de zéro, une ou plusieurs non-connaissances,

• la quantité de connaissances à caractère de vérités vis-à-vis des autres (desdonnées / des informations qui n’évoluent jamais, parce que figée dans le temps,ou qui n’ont plus cours mais ayant existé ; ou tel que je le définis, c'est-à-dire desreprésentations communément admises, qui peuvent relever du caractère de lafoi, de la croyance).

• l’entropie de la connaissances.

La définition d’une carte de l’espace des connaissances revient à créer une carteheuristique en ordonnant la place de la connaissance prioritairement avec les deuxpremières valeurs de la matrice : plus il y a de liens entrants et sortants, plus laconnaissance est centrale dans la base de connaissances.

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Le principe d’incertitude

Le principe d’incertitude est supposé exister nécessairement dans le domaine del’organisation des connaissances : ainsi pour un objet informationnel donné (par exemplel’embrasure d’une porte), une partie de ses données peut varier de manière naturelle etpermanente, ayant pour conséquence jusqu’à la remise en cause de l’objet lui-même50.

On peut donc représenter dans le temps ce principe d’incertitude comme une série detubes d’information dans l’espace occupé par l’ensemble de connaissances, quiapparaissent ou disparaissent dans le temps en fonction de la possibilité ou non d’avoirl’information dans l’ensemble ou de ce qu'est de ce que porte cette information ; la tailledu tube étant liée également à l’amplitude des possibles de l’information et la longueur dutube (son diamètre), sa possibilité d’existence dans le temps (sa longueur ; découpé ounon en morceaux).

L'incertitude peut donc faire varier largement le poids d'une connaissance en rendantincertains des liens vers l’extérieur. Mais c'est aussi une chance car l'incertitude peutpermettre de garder cohérent un ensemble de connaissances malgré les non-connaissances.

Exemple : je sais que mon vélo roule sur la route car mon vélo, la route et moi-mêmerestons au sol. Même si je ne connais pas la gravité et les forces d'attractions ! Carl'observation et la croyance du phénomène observé suffit. Une fois que je connais lagravité, je sais que ma vitesse agit au grès de ma portance, ce qui peut me permettre devoler. Je troque mon vélo contre un avion…

La nouvelle connaissance (« gravité ») qui était une non-connaissance (« pourquoi jereste au sol sur mon vélo ? ») induit une incertitude (« vais-je m'envoler ? »).

50 Exemple : la porte est ouverte, fermée ou fermée-ouverte : c’est-à-dire dans une position entre ouverte et fermée = entre-ouverte/entre-fermée… donc tous les états possibles entre porte ouverte et fermée, voir sans porte du tout ! ce qui revient finalement à une embrasure du mur - ce qui est un changement de la nature de l'objet et de la connaissance elle-même.

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Le principe de la mesure de l’intrication

Cette mesure est intéressante pour comprendre les espaces communs entre lesensembles ou les séparant. Elle se base totalement sur le phénomène d'intricationquantique (description et réaction unique de deux corps / objets distants ayant despropriétés communes).

Plus des liens existent entre deux ensembles de connaissances – et que ces liens sontforts –, plus les deux ensembles sont proches voire peuvent disposer d’un espacecommun. Cet espace peut être donc considéré comme un ensemble à part entière, quidispose lui-même de relations vis-à-vis de ses ensembles « parents ».

Ainsi les théories mathématiques sur les ensembles pourraient être appliquées : lamesure de l'intrication revient alors à la mesure de l'espace occupé entre deux ensemblesdéterminés en formant un troisième – appelé sous-ensemble intriqué.

Ce sous-ensemble peut être estimé et probabilisé s'il n'est pas encore connu : la mesurede l’intrication, c’est alors la nécessité de comprendre la pertinence d’un ensemble deconnaissances vis-à-vis d’un autre grâce à la mesure de leurs communs parfois mêmelorsque leur état peut être nécessairement enchevêtré au point qu’ils sont considérésde prime abord comme un seul ensemble.

En sus l’intrication permet dans un ensemble dédié, de créer des sous-ensembles pourfaciliter et déterminer une recherche. Ainsi un toit ne peut exister sans des porteurs (murs,structures, etc.) car l’ensemble informationnel « physique » n’autorise pas un toit, parprincipe au-dessus du sol, à flotter tout seul. Cet ensemble informationnel « physique » aune particularité supplémentaires : certaines connaissances peuvent être dites« fondamentales » et ne peuvent être séparées d’aucun autre ensemble de connaissances –ce qui est le cas ici.

Leur pertinence dans une recherche est plus faible, car ces ensemblesfondamentaux se retrouvent partout. Par conséquent ils sont importantes mais non-pertinents. C'est que je définie comme ensemble de connaissances dit« fondamental » : son évolution agit sur tous les autres ou une grande partie des

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autres ensembles de connaissances. En fonction de la recherche effectuée (c-à-d del'observation que nous faisons en quelque sorte sur notre base de connaissances,délimitant les possibles), le critère fondamental pourra être retenu ou non.

Dans l'exemple précédent, la recherche dans l’ensemble de connaissances « toit »impose des préalables, mais cet ensemble peut être aussi observé par lui-même si l’onconsidère toujours qu'il n'est qu'un sous-ensemble intriqué d’un ensemble plus grand quile « porte » – dans tous les sens du terme… qui pourrait être par exemple l'ensemble deconnaissances « maison ».

Si l'on cherche la couleur du papier-papier peint collé des murs qui portent le toit, lesrègles de la physique sont nécessaires mais non-pertinentes à la recherche… car il fautqualifier ce qui tient du papier, du mur et du toit, mais pas des relations physiques qu'ilsentretiennent.

Le principe d'intrication est donc lié (voire conséquent) au principe d'incertitude.

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< S Y N T H É T I S E R / >– L E S 3 V É R I T É S E T L E U R S P O R T É E S

Définition de la vérité politique, la vérité administrative et le rapport à la réalité

La vérité n’est pas réalité

Dans cette partie, à de nombreuses reprises, j’emploie les termes de « vérité », de« réalité », etc. ; dans un sens précis qu’il convient de préciser dès à présent :

• pour la vérité, l’usage le plus courant serait celui d’une idée ou d’un fait vrai,c’est-à-dire correspondant à un principe existant ou qui puisse être démontré51,sans être une réalité matérielle nécessaire (une « idée pure » au sens platonicien).Je souhaite m’appuyer sur ce dernier point, tout en prenant une liberté avec lui :dans cet article et globalement dans le concept d’IP, la vérité n’est pas lavéracité d’un fait ou d’une chose dans son principe et la validité de saconstruction, mais une idée ou un fait admis-e par un groupe. Ce groupe peut(pas nécessairement), et par différents biais, rendre cette idée ou ce fait cohérentpar une démonstration ou une observation, même jugée « bancale » par un tiers.

Le concept de vérité prôné dans l’article est donc l’essence d’une chose qui estcommune, partagée, crue. La vérité de l’IP est à rapprocher de la Vérité dudomaine de la foi, de la croyance ;

• pour la réalité, résumons la sommairement est une chose généralementinaccessible, du moins si l’on en croit les sciences de l’infocom’ qui veulent quenotre réalité est une construction sur nos sens faillibles. Cette faillibilité vautégalement pour ce qui fait toute observation (qualité de la mesure des indicateurs,approche par des moyennes sans davantage d'information sur les écarts, etc.).

La « réalité » que j’évoque dans l’IP, c’est ce que l’on constate en des termesmatériels aboutis, en dehors de tout jugement moral ou intellectuel. Elle estelle-même une construction avec ces faiblesses (« pourquoi j'observe ça

51 Objectivé, tout ou en partie.

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comme ça »). La fiabilité des sens comme des indicateurs est mise de côté pourl’instant et sera définie dans un ouvrage futur et déjà abordée sommairement surmon blog52.

Les seuls exemples développés ici sont ceux qu’une réalité matérielle axée sur ledécaissement (aspects budgétaires et comptables donc) d'une collectivité locale, qui rendeffectif une grande majorité des aides publiques et qui m'a servi à écrire ce chapitre grâceà son observation dans mon travail quotidien au sein de l'ex-Région Poitou-Charentes.

Tout d'abord et parce que l’on touche aux Sciences de l’infocom’ et de gestion dans cetessai, restons un instant sur le terme générique « communication », communicare, mettreen commun : la communication, au sens de partage de l’information. C’est ce qui nousimporte car la vérité est ici définie lorsqu’au moins un nombre suffisant de personnes dansun groupe53 ou dans une organisation, partage dans une même forme une mêmeinformation ou une même connaissance et qu’ils la considèrent comme vraie.

La communication, en ce sens, est donc, même dans le mensonge le plus absolu, latransmission d’une vérité et relève pour celui qui la reçoit, du domaine de la foi ou dela croyance54. Peu nous importe laquelle et qu'elle est la nature initiale de son existence.L’information qui la compose dispose en elle-même sa propre légitimité, définissant sonexistence au-delà même de son rapport à toute forme de réalité et grâce à celui qui l'émet.Ce point est important à retenir : l’existence d’un élément, parce qu’il est transmis sous laforme d’une information et donc rendu dicible à un tiers, est déjà à prendre comme véritési le destinataire la considère comme telle. C'est d'ailleurs un mécanisme légitime despartisans d'une idéologie quelconque ou d'un parti : l'admis est une communicationqui peut être représentée comme un dicible filtré par ses propres croyances pour untemps (présent, passé ou futur) idéalisé ou projeté (cf l'anticipation).

Jusqu’à quelle mesure cette vérité peut être détachée de la réalité (alors même que,parfois, les acteurs qui construisent cette vérité sont au contact d'une réalité tout autre) ?Comment se construit-elle dans le temps et face à ses détracteurs ? Dans quelle mesure etpourquoi le fait de communiquer cette vérité peut-elle la rendre vraie aux regards desautres ?

52 Sous le titre « Des moyennes moyennes ». 53 A définir quel est ce seuil : fixé à un groupe de quatre personnes, au-delà de la communication

interpersonnelle de deux personnes, qui fixe des groupes de deux imbriqués dans d'autres à trois personnes ?

54 Au-delà même de la question de la vraisemblance. Bref : informer, c'est transmettre l'information. Communiquer serait donc l'action de rendre vrai, valide, commune une information auprès d'un tiers.

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Retenons deux nuances dans la définition générale que je donnais plus haut :

• l'action de mettre en commun, au sens partager l’information nouvelle,

• l'état de mise en commun, au sens connaître une information admise, uneconnaissance.

Ces questions ont bien évidemment été traitées maintes fois par ailleurs. Cependant lesrappeler dans une forme déterminée, avec un peu de liberté et de rapidité j’en conviens,c’est poser un contexte orienté et nécessaire au développement de l'IP et de sesspécificités.

La formalisation et l’informalisation

Afin de ne pas alourdir inutilement cette partie, je prends en exemple les collectivitéslocales. Le poids qu'elles occupent dans le paysage politique français est mésestimé etpourtant considérable. Pour acquis et sans démonstration, nous retenons qu'ellesfonctionnent habituellement sous le tripytique Présidence (+Cabinet) / Conseil / Services.Ces organes internes sont soumis à la distorsion que j’appelle « le phénomène de cour » :la décision d’en haut55 devient supérieure à la contrainte administrative et parfois même àla règle ou la loi, jusqu'à tordre la réalité pour devenir une vérité. J'y reviendrai.

La décision prise sous son effet dépasse alors le rôle désigné de chacun dansl’organigramme et permet de gagner en influence : c’est-à-dire qu’elle conforte unindividu à un moment donné, qui devient lui-même acteur de la décision alors qu’ilen est normalement le destinataire, un informé ou le producteur / le metteur enœuvre. Le phénomène de cour peut être vu comme une forme d'action permanente etinverse de la bureaucratisation et de la spécialisation des tâches. C'est la forme la pluscourante que j'ai observé pour l'instant dans les influences des collectivités.

Une influence qui est donc à la fois au sens descendant (vers les groupes internes à lacollectivité, vers le Conseil qui porte la légitimé) et à la fois ascendant (les « préférés »prennent de l’importance, parfois des postes ou des initiatives qui normalement nerelèvent pas de leur rôle dans l’organisation ou qui sont créés pour l'occasion).

55 C-à-d de l'instance décisionnaire d'un niveau administratif défini.

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Un des exemples est la difficulté récurrente du passage au « tout numérique » : baséesur un système TOR – Tout Ou Rien, c’est-à-dire l’accès ou non à une capacité d’actionsdéterminées par le programme informatique en fonction de règles précises –, lanumérisation impose la formalisation de procédures habituelles et parfois issues duphénomène de cour ou de procédures informelles. La numérisation peut finir par échouer(le système informatique est dépassé ou ne peux pas être mise en œuvre) ou par êtredétournée (l’organisation est modifiée pour faire correspondre l’influence des personnesà un poste d’où ils peuvent disposer légitimement de cette influence, ou les règlesinformatiques sont modifiées).

Ces points sont primordiaux lorsque l’on tente de résoudre des jeux d’acteurs ou dedresser des cartographies précises. Mon expérience professionnelle m’a amené à faire cesexercices de détournement de nombreuses fois puis de mesurer l’écart entreinfluence/qualification du poste afin de déterminer de manière pratique l’incidence de cephénomène de cour et l'appui que l'on peut trouver sur les quelques personnes réellementclés de l'organisation56. C'est donc aussi la mesure de l'écart entre l'action d'informer etl'action de communiquer que les Services et l'Exécutif avaient à mon égard –indirectement à l'égard des élus que je servais alors.

La décision, un nombre infini de questions et l'action forcément restreint du choix

La décision politique a au moins une conséquence : l’action publique (et doncadministrative, pour l’instant volontairement confondues). Elle en a d’autres, qui sont lesconséquences de cette action publique : la fiscalité, la dette, le poids économique de lafonction publique, etc. C'est-à-dire le résultat de cette action et les moyens de la mise enœuvre (gestion des ressources). Ce sont également des conséquences « partisanes » de ladécision politique : sur le parti, sur les militants, sur l’image du ou des décideurs, sur lacohésion d’un groupe d’élus ou de leur rapport vis-à-vis d’organisations financées par lespouvoirs publics, sur d'éventuels lobbys qui apportent des moyens, etc.

La décision politique peut-être « indirecte » : c’est ainsi majoritairement le cas dans lesCollectivités locales, comme pour un Gouvernement dans une moindre mesure. Lalégitimité de la décision et de sa modulation (amendements, détermination de sonapplication pratique) devant être validées par d’autres : ainsi l’exécutif propose et fait

56 Cela passe généralement en faisant « dérailler » volontairement une procédure formelle et habituelle puis en repérant comment cette « exception » est gérée et, finalement, comment et par qui est prise la décision d'y répondre ou non. Le parallèle avec l'informatique serait les tests unitaires…

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voter par le Conseil l’orientation et les règlements d’application de dispositifs, qui disposedu pouvoir de rejeter tout ou en partie ou de modifier la teneur (amendement, motion) ;mais le Conseil n’a pas la charge de les mettre en œuvre. Il donne mandat au Président duConseil, comme Chef de l’administration, de le faire. Il y a donc deux légitimités quipeuvent aller jusqu'à s'opposer (celui qui initie et met en œuvre vs ceux qui décident pouraller ou non dans le sens de l'initiative, parfois au sein d'une même majorité).

La vérité administrative est alors au carrefour entre la nécessité de convaincre leConseil (pour qu’il soit favorable), les attentes des acteurs concernés (qui font un lobbyingdans un sens ou un autre, en interne ou en externe de la collectivité) et les volontés del’Exécutif (suivant le plus souvent un agenda médiatique et des contraintes budgétaires etlégales). Cette vérité me semble tendre vers deux extrêmes : soit être un consensusparticulièrement peu engageant pour être partagé largement ; soit au contraire être trèsvirulente, crispante, pour mobiliser fortement un nombre plus restreint de protagonistesmais totalement dédiés à elle.

Si une décision politique se définit avant tout comme une décision démocratique d’unConseil en France (assemblée nationale ou locale), elle n’est pas la décision d’application.Cette décision « véritable », du simple fait même que la proposition est déjà en soi uneaction (ne serait-ce qu’en terme de communication publique), comme la décision sous-jacente d’agir une fois votée la décision d'action, est du seul fait de l’Exécutif.

En d'autres termes, la décision de mener une action (par le biais d'une règle oud'un dispositif) est différente de la décision qui mène factuellement l'action (publiqueet/ou budgétaire). En terme comptable, c'est la pratique dite de l'« individualisation » quiconfère sur la base d'un règlement, une somme des fonds publics à un bénéficiaire pourune opération identifiée.

N’est-ce pas l'Exécutif qui prend, par exemple, l’initiative la quasi-totalité du temps etqui se sert du Conseil pour s’apporter une légitimité nécessaire à la mise en œuvre parl’Administration dont il en est le Chef ? Peut-on alors véritablement écrire, dans unedélibération, que c’est le Conseil qui a décidé alors que la majorité du Conseil organisel’Exécutif et que c’est ce dernier qui rédige de facto la décision, s'appuyant sur une équipede Vice-présidents qui siègent dans le Conseil, souvent sur une demande provenant del'extérieur de la collectivité (le demandeur) ? Ne confondons sollicitation etrevendication, autorisation et décision.

Car la décision est multiple dans son questionnement et sa définition :

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• l’initiative de celle-ci (est-elle imposée ? Répond-t-elle à un besoin ? Ce besoinvient-il d'un public traditionnel ou attendu de la collectivité ?),

• sa forme (est-elle un arrêté, un vote pour une action immédiate ? Au contraire,une parole qui doit clore un sujet, une polémique ou créer une attenteperpétuée ?),

• sa portée politique (est-elle partisane ou au contraire « neutre » d’un point devue idéologique, de pure application réglementaire, venue d'une instancesupérieure – même si l’application peut-être refusée ou repoussée parfois ?),

• sa portée d’action (est-ce une action interne, externe, mixte ?),

• les forces qu’elles rencontrent (lobbyings extérieurs, favorables ou non),

• ses ressources de mise en œuvre (le financement et les moyens sont-ils internes,partagés, non-définis ? Ont-ils un impact sur des personnes ou des organismesexternes à la Collectivité ?).

On parle ainsi parfois de la question des « sondages déclencheurs », notamment sur les« Loi des JT de 20h » (soit un fait divers = une proposition de loi, afin de donnerl’illusion de l’action immédiate et permanente57). Ces sondages sont le plus souvent uneobservation partielle et parfois partiale du « vécu » des acteurs ou de la société à traverslesquels on va agir.

Par ailleurs le terme « communication » recouvre aussi la notion de « mise en relationavec », qui est un des aspects de la décision : il faut qu'elle soit appliquée – vite – vers sesdestinataires, qu’elle soit visible et cet impératif est souvent supérieur à celui de trouver lemoyen de parvenir à son application avec efficacité (lorsqu’il est possible d’avoir uneefficacité… !) ou d’une mise en œuvre plus longue mais davantage régulière (dans tousles sens du terme...). Parce que la décision répond à un besoin, à une problématique, elleest un lien entre demande et réponse. Communiquer sur une proposition de décision,c’est déjà en soi prouver l’existence d’une action et donc prétendre avoir déjà décidéd'agir, même si au regard de la loi tel n’est pas le cas. Volonté et décision seraientainsi confondues volontairement par les décideurs publics.

Cette communication, cette mise en relation est moins la relation entre l’action(administration) et les observateurs (citoyens), qu’avec la décision elle-même et celui quidit la prendre par sa volonté pour des tiers (résumé de manière lapidaire par : je l’aivoulu, je l’ai fait, pour vous).

57 Un adage que j’exècre : « faire savoir est plus important que faire seul »…

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Face aux décideurs (Exécutif ou Conseil) qui sont au carrefour finalement de toutes lesattentes, l’administration doit prouver par tous moyens qu’elle a mis en œuvre la décision(loyauté, renforcée par un phénomène de cour), introduisant une distorsion de la réalité :les résultats doivent être forcément positifs ; il s’établit donc progressivement une véritéadministrative sur laquelle s’appuie la communication politique (= vérité politique).

C’est ainsi que la volonté ou une demande devient besoin puis action par le biaisde la décision ; elle-même devient une vérité politique voulue et une véritéadministrative ; cette vérité administrative est alors la base pour une vérité politiqueaffirmée, enchaînant un cycle entre besoins / décisions / actions. La boucle s’enchaîneet sa vitesse est dépendante de l'écart entre réalités et vérités (c-à-d besoins etdécisions, entre possibles et souhaités).

J’ai déjà évoqué ce problème de vérités administratives et vérités politiques sur monblog58, l’une s’appuyant sur l’autre sans nécessairement de lien avec la réalité (financière),au travers de l’article sur le « manque de sérieux » (pour le moins) des chiffres présentéespar la Région Poitou-Charentes sur son activité59 et par quels moyens ces derniersconstruisaient y compris pour les acteurs internes parfois éminents, une vérité« matérielle » administrative sans lien avec la réalité du décaissement. Comment cesystème de création d'une nouvelle vérité se trouve encouragé par l’Exécutif politique etadministratif, pour satisfaire des objectifs partisans et de communication.

C’est d’ailleurs en m’appuyant sur mes premières recherches sur l’IP que j’ai puréaliser ce tour de force de désamorcer d'une communication subtile dans laquelle j’étaismoi-même enfermé sur les chiffres d’exécution des dispositifs. Cette communication avaitentraîné dans le silence jusque là des opérateurs de contrôle et d'alerte, y compris ceuxextérieurs.

Cependant cette reconnaissance de mon travail n'est intervenue en creux que bien desannées après, et seulement grâce aux propos du nouvel Exécutif régional, pourtant dumême bord que celui que j'avais tant dénoncé auparavant. Preuve que dans un mêmecamp, un même parti, les luttes internes ne sont pas à négliger dans le cadre del'observation du fonctionnement de nos collectivités…

… et qu'il a une prime à être présent ou observateur lors la création entre vérités etréalité et d'en anticiper la retombée des écarts.

58 Le tome 2 se consacrera à des cas d'études concrets et réels particulièrement sur ce point précis.

59 Cf l'acte légal du Bilan d'activité, présenté au Conseil annuellement et prévu par le CGCT.

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Un quotidien complexe

Ce lien entre réalités et vérités doit aussi s'illustrer dans l’organisation et saformalisation. Il me semble intéressant de représenter, suivant l’état d’avancement de mesobservations, l’organisation publique (collectivité spécifiquement) tel un « entonnoir àfiltres » : la base, que j’appelle la « production », jusqu’au sommet, l’« instancedécisionnaire » ultime. Un tel entonnoir opère, théoriquement, dans les deux sens unesérie de filtres sur deux types d'items : les consignes (ordres), principalement de haut enbas (ou dans un même niveau), et les résultats (informations), principalement de bas enhaut (ou dans un même niveau).

Il y a donc, suivant ce que l’on observe, d’un même entonnoir, deux organigrammesdifférents qui se dégagent :

• l’organigramme pour l’information, que j’appelle sous-décisionnel (« j’aide à laprise de décision ») ;

• l’organigramme pour les ordres, que j’appelle opérationnel (« je mets enœuvre »). Ce second organigramme est celui généralement présenté (un arbre duchef unique vers une base multiple).

Une personne, un agent de l’administration, sera toujours soumis à ce deuxorganigrammes en permanence et aux forces qui le composent (souvent contraires).

Chaque niveau de l’entonnoir, chaque personne même, applique alors ses propresfiltres émotionnelles et d’intérêts dans ce contexte général formel, point sur lequel je nereviens pas ici, l'ayant traité auparavant60, et agit donc sur les informations et ordres quicirculent.

La tête de pont (l’Exécutif, la Présidence ; mais une mesure bien moindre le Conseil)de l’entonnoir des ordres est aussi base d’un autre entonnoir de l'information. Il cumuletrois objectifs distincts :

• mettre en œuvre la politique publique, « décidée » et votée par le Conseil, le plussouvent soumise par le Président,

• gérer les Services (l'Administration) pour la mise en œuvre des politiques publiques etla mesure de leur impact,

60 Voir l'article de mon blog intitulé : « Cohérences et incohérences, le parti est-il un système unique – la théorie des Cockpits ».

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• informer les élus (représentants légitimes, qu'ils soit des partenaires sociaux ou desélections régulières), comme surveiller la mise en œuvre et le contrôle de la régularité desactivités.

Cela introduit, même si l'on limite l'exercice à la compréhension « interne » d’unecollectivité locale, une série considérable de questions et travaux d’observations ; lorsquel’on introduit un tel système dans un autre plus large (contexte institutionnel, avec lesautres collectivités et l’État ; économique, avec des prises de participation ou dessubventions à des organisations privées ; financier avec les acteurs bancaires), on prendla mesure de l'ampleur et de la difficulté du sujet. Combien cela éloigne peut-êtrehabitudes de recherche en sciences politiques, où chaque domaine existe avant tout parlui-même (droit, économie, etc.).

Plus globalement, dans le pilotage d’une collectivité (ou d’un État), j’ai noté que lacomplexité de notre société est « camouflée » par les capacités accrues sans cesse(financières, techniques, humaines) de l’Administration publique61, de la croissance dusystème législatif et réglementaire ; au point que la complexité ne se retrouve plusseulement dans la mise en œuvre des politiques et de l’action elle-même, mais aussi lagestion des sous-systèmes gérant cette complexité de mise en œuvre : ce qui est trèsconsommateur de fonds public et de RH.

En somme, il faut des pilotages internes de plus en plus fin de l’organisationpublique territoriale afin qu’elle puisse se maintenir même sans agir, dans unenvironnement qu'elle contribue elle-même à complexifier par sa seule présence… !Malgré les efforts de gestion sur les charges générales, le poids du couple finance etjuridique continue inexorablement sa progression.

Cette complexité est aussi due à un régime général de la loi qui prend de plus enplus en compte des contextes particuliers voire individuels (légitimes ou non, les deuxcas de figure se présentent), provoquant alors des attentes nouvelles (individualisationdu besoin public reconnu) et mettant en difficulté une application stricte (et simple)de la loi ou de la règle (demandes d’exception plus fréquentes pour des personnes quientrent pourtant dans le cadre général).

61 Prouvé assez naturellement par le poids de la dépense publique dans le PIB corrélée au poids fiscal total – malgré les nombreuses « niches fiscales » pour la défiscalisation de certaines activités – et associée à l'envolée de toutes les formes de la dette publique : bancaire, PPE, etc.

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A ce propos, l'étude des « niches fiscales » est intéressant dans l'évolution du rapportdes citoyens et des élus à la fiscalité et combien la fiscalité est elle-même un indicateur surnotre relation, quelque soit notre position dans cet échiquier, avec le monde public et sonaction.

Qu'en retenir ?

Il existe déjà bien des ouvrages sur le sujet que j’aborde ; j’en suis bien conscient. A cepropos, une de mes références est l’ouvrage d’Henry Mintzberg, Le pouvoir dans lesorganisations. Il est un appui intéressant mais dans un apport ponctuel et partiel, peupropice à une transposition complète dans ce travail d'écriture sans distance critique etd'une prise en compte de contraintes particulières propres au politique au sens large. Lanumérisation, les évolutions sociales (travail salarié ou libéral / « ubérisation », espacespublics ou espaces privés partagés, etc.), le mécontentement populaire grandissant, etc.sont autant de paramètres récents à prendre en compte.

Une organisation politique partisane ou publique n’est pas (surtout en France au vu dela richesse de son histoire et de ses administrations) une organisation comme une autre etcomme peut l’être une organisation privée (même associative).

Je m’intéresse moins à la structure, à ses influences « politiques »62 et à sonorganisation qu’à la décision par un petit groupe de personnes, à commencer parles personnels politiques et l’interaction avec l’extérieur (notamment la presse et lespartis politiques) et avec la chose publique (qui fixe régulièrement la règle du jeu, lejeu des acteurs pour tous).

Les sciences de l’infocom’, de la gestion, des organisations, des sciences politiques ethumaines (notamment sociologiques) ont toutes des apports riches mais ne vont peut-êtrepas assez loin dans l’étude de la décision publique des administrations françaises et du(des ?) pouvoir public français dans ce qu'il a d'obscur ; particulièrement lorsque cepouvoir public français est désormais décentralisé, déconcentré, en parallèle d'uneconstruction supranationale encore en cours, des influences et des attentes extérieures(notamment associatives) très fortes. Il ne me semble pas, à l’heure de mes recherches,que des concepts unificateurs sur la prise et l’impact de la décision publique par le biais del’information qui l'a construit aient émergé avec efficience, donnant lieu à des outilsopérationnels d’observation et d’aide à la décision pour les acteurs publics.

62 A l'idéologie qui serait l'alpha et l’oméga de toute l'organisation… ? Je n'y crois pas !

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De la même façon, se concentrer sur l’influence d’une idéologie sur la structurereviendrait à penser qu’un consensus se dégage, au moins partiellement, sur ce qu’estcette idéologie et son unité. Pour pratiquer depuis 10 ans sur un territoire régional (1,5millions d’habitants), une dizaine de structures publiques et parapubliques de toutes lestailles, je sais la richesse des situations, du morcellement des partis politiques« traditionnels » en sous-courants hétéroclites63 ; et ce que provoque des changements oudes conflits de majorité politiques dans les collectivités ou leurs organisations« satellites » (SEM, délégations, etc.). Combien le monde public est si différent du mondeprivé ; combien les partis politiques et le militantisme ont une part non-négligeable dans laconstruction des vérités politiques et comment ses dernières agissent sur les véritésadministratives et finalement sur l'économie des territoires au travers de l'action publique.

A l’heure où l’on clame la mort des partis politiques parce que les blocs idéologiquesmarqués et majeurs disparaissent peu à peu, n’est-ce pas étrange de les prendre malgrétout comme référence ? Ne devons-nous pas davantage prendre comme point essentiel à lafois de repère et d’étude la seule personne, afin de considérer son idéologique et sescroyances comme une simple caractéristique parmi d’autres, une données culturelles quipeut jouer un rôle de filtre et rien de plus ?

Si tout extrême est une erreur et les deux orientations de recherche (« personnes-décideuse » vs « organisations ») doivent être étudiées en parallèle en comprenant leursinteractions mutuelles et respectives, il me semble que l'individu l'emporte surl'organisation pour ce qui est de l'intelligence politique.

D'ailleurs les partis politiques doivent être étudiés comme des organisations trèsparticulières, avant tout comme des associations (ce qu’elles sont juridiquement) mais passeulement : elles fondent la vie démocratique de notre pays. Cette vie fonde l’actionpublique et la définition des « règles du jeu », des lois et règlements, pour l’ensemble dela société. Les partis ne sont pas non plus des administrations ou un Gouvernement, mêmesi leur influence sur ces derniers peut être immense. Leurs ressources sont autant lemilitantisme bénévole, quelques contournements de la loi (recettes commerciales par lebiais d'organismes de formation internes au parti par exemple) que les dons d’État et desdons d'adhérents.

63 Phénomène que je pense favorisé en grand partie par les mêmes acteurs qui, par le biais d'une défiscalisation avantageuse, poussent à la création de « micro-parti » destinés moins au financement de partis politiques pour des courants de pensées que des structures légales de financement individuelles de la vie publique (campagne électorale, prise en charge de dépensesparticulières durant le mandat, etc.).

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Des ressources (financières et humaines) et leurs contraintes qui dépendent avant toutde l'attachement et de l'implication des militants à leurs structures64.

Au-delà, collectivités, État, organisations parapubliques, désormais SEM, PPP et autresRégies forment un ensemble très vaste, de plus en plus complexe et commun à la viemême du commerce et de la production où je pense trouver des similitudes observables,des raisonnements communs avec ces acteurs publics et parapublics. Je pense aussitrouver des outils pour interagir avec eux dans un cadre professionnel. En cela, je suisdans la lignée des pères fondateurs de l’IE : je me revendique de la libertéintellectuelle dont ils ont joui au démarrage, partant de l’expérience « du terrain » etde méthodes peut-être jugées « dures » mais très fonctionnelles. J’assume tout autantqu’eux un objectif qui soit tout aussi pratique, tacticien, professionnel (au sens de« commercial ») et, pour dire un gros mot, peut-être de pouvoir et de prise depouvoir...

A l’heure de la conjugaison « de toutes les crises » (identité nationale, économique,financière, européennes, militaire et sécuritaire), où l’on dit du PS au pouvoir qu’il a faitsa « révolution sociale-démocrate » voire « sociale-libérale » ; que le mouvement LesRépublicains (ex-UMP), pivot de la Droite française, pendant d’opposition au parti deGouvernement actuel soit le rassemblement de familles politiques si différentes(nationalisme paternaliste, libéralisme, conservatisme) qu’il n’arrive plus à représenterune alternative totalement crédible et se déchire face à l'appel de « l'alternancegouvernance » ; à l’heure où le FN pourrait devenir en nombre de militants le premierparti de France et est premier en nombre de voix dans les dernières élections nationales ;comment donc imaginer que l’étude de l’organisation d’un côté, notammentd'organisations publiques, et l’étude sociologique des partis d’un autre, suffiraient àcomprendre la réalité matérielle de la décision publique et particulièrement au quotidien ?

Comment ne pas prendre en compte la montée des populismes, de la fin (totale ?définitive ?) des repères idéologiques forts qui définissaient les grandes familles depensées, de la « fin » d’un certain fonctionnement économique basé sur une croissantejugée éternelle, de l’arrivée de pratiques (souvent peu respectueuses de la « vie privée »)et d’outils (numérique, big data, etc) qui transforment profondément l’action publique etla vie démocratique d'une manière structurelle ?

64 Le financement « indirect » par l'impôt est lié aux résultats de certaines élections, où chaque voix apporte une subvention forfaitaire marginale. Je ne néglige pas cette source importante derevenus, mais le résultat des élections ne dépendent-ils par aussi de l'action initiale du parti et de ses militants… ?

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Plus que jamais l’IP (m')apparaît donc nécessaire et de sa définition dépend, peut-être,une transformation des pratiques en politique. Un propos immodeste mais assumé etvolontaire j'en suis conscient : c'est le moins pour poursuivre un projet d'ampleur.

Dernière minute…

Au moment où cet essai se termine et alors que je prenais il y a quelques mois monnouveau poste au groupe Les Républicains au sein de la nouvelle grande RégionAquitaine-Limousin-Poitou-Charentes – ALPC, une interview fracassante (pour lamajorité PS et écologiste), par la voix du Président du Conseil Régional Alain Rousset, estparue dans la presse. J'y ai fait référence il y a quelques pages de cela.

M Rousset accuse, comme l'opposition avant lui, l'Exécutif de l'ex-Région Poitou-Charentes de « dérives » dans la gestion, d'une dette « toxique » et d'un retard de paiementde plusieurs mois pour un montant de plus de 132 millions d'euros. À la tête de cettecabale politico-financière présumée, Jean-François Macaire, l'ex-Président du ConseilRégional de Poitou-Charentes est dans le viseur comme son prédécesseur, la désormais« Ministre S. Royal65 ».

M Macaire était devenu dès la prise de fonction du Conseil Régional d'ALPC le Vice-président (VP) au Budget – rajoutant une forme d'ironie à cette situation déjàembarrassante pour le parti gouvernemental. Presque tous les VP passés et actuels sont parailleurs d'anciens, influents éminemment membres du PS.

De ce fait politique important, je retiens qu'Alain Rousset a « tué politiquement » celuique beaucoup considéraient comme son opposant principal dans la majorité régionale. Ilcoupe la crédibilité du « camp Royal » (au travers de ses fidèles), une organisationpartisane puissante localement et qui a porté et emporté la Région Poitou-Charentes dansune forme d'abîme financier si l'on en croit les différentes publications parues jusque ici etnotamment quelques extraits dans la presse du rapport commandité par la Région àErnest&Young.

En le laissant prendre possession à peine deux semaines de ce poste-clé puis enattaquant son bilan sans le nommer expressément, Alain Rousset le pousse politiquementsoit à une forme de suicide politique (reconnaître et porter le fardeau), soit à l'exécutionjustifiée et libératrice pour les autres (au vu de la situation…). A ce jour, la position de MMacaire peut être considérée comme à mi-chemin : il reconnaît des errements parfois

65 En juillet 2016, elle occupe toujours le portefeuille du Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, et décroche la troisième place dans l'ordre protocolaire du Gouvernement.

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irréguliers (voire illégaux?) mais il rejete la faute sur ses équipes (« je n'avais pas lesmoyens de savoir » – sic) et demande avant toute explication de sa part, la publication del'audit express mené par la Chambre Régionale des Comptes.

Responsable mais pas coupable ?

Les deux hommes ne s'appréciaient guère avant l'élection et les « deux R » – Royal /Rousset –, se menaient une guerre sans merci bien avant l'annonce de la fusion del'Aquitaine, du Limousin et du Poitou-Charentes. Une forme de guerre froide que lesecond semble avoir définitivement gagné…

Il faut dire qu'à la tête de l'ARF pendant des années, Alain Rousset n'a jamais caché sonmépris de la gestion calamiteuse de Ségolène Royal66 où M Macaire était le 1er VP. Obligéje suis, de reconnaître que la comparaison entre les deux paraît flatteuse pour lui…Effectivement le Président Macaire passait plutôt pour être le tenancier régional après ledépart de son prédécesseur illustre et non un initiateur politique patenté.

Bref la défense de Jean-François Macaire (pas au courant) (m')est difficile à croire.Cependant prétendre le contraire sans doute, avec certitude, est difficile sans en avoirtoutes les pièces – ce qui est notre cas à l'heure d'écriture de ces lignes. Le PrésidentRousset, qui ne doit pas faire plonger totalement sa majorité dans un conflit trop ouvert(et se fâcher avec un Gouvernent socialiste, qui peut couper ses dotations), a ralentit sesaccusations et pose sans le dire et de manière sibylline l'éternelle question sur M Macaire :connaisseur coupable ou ignorant incompétent ? Le lecteur et l'histoire jugeront.

J'ai pour ma part quelques indications, documents et témoignages qui me forgent uneconviction personnelle : celle d'une parfaite connaissance, maîtrise décisionnaire et nontechnique, mais plus encore une initiative sur un système politique reposant sur une« dérive » budgétaire d'une grande partie de l'Exécutif (élus et haut encadrement) à partirdes années 2006-200767.

66 Alain Rousset aurait évoqué en des termes peu polis (des témoins évoquent le terme de « bordel ») la gestion de celle qui allait rentrer au Gouvernement. Cette déclaration est, à ce jour, à considérer comme une rumeur et n'a pas été confirmée officiellement par l'intéressé. Reste les autres déclarations, plus sobres mais pas moins corrosives sur cette même gestion…

67 Je pense par exemple au crédit-bail sur les rames ferroviaires passé sur cette période et qui a permis à Mme Royal, alors en campagne électorale pour l'élection présidentielle, de démentir l'augmentation de la dette régionale sur cette période par l'emprunt. Juridiquement elle a alors

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Tous les élus régionaux de la majorité n'auraient pas su le fonctionnement exact decette dérive : certains la niant ou la justifiant (notamment Yves Debien, l'ex-Rapporteur aubudget), ou évoquant des documents possiblement tronqués (notamment Cyril Cybert68). Ilest pourtant difficile d'accepter que tous furent parfaitement ignorants tant les montants etla durée dans le temps sont élevés. De plus et à ce jour, ce dossier particulièrementsensible ne concerne finalement que quelques sujets budgétaires et financiers, loin despossibles autres affaires économiques et institutionnelles (SEM / SPL, participationséconomiques diverses, marchés publics, etc.).

Aussi et au regard de la défense actuelle de M Macaire – repousser ses explicationsaprès le passage devant la Chambre Régionale des Comptes et de ses très probables« révélations » – peut être considéré comme un homme qui ne forgera son explication qu'àla hauteur de ce qu'il peut défendre.

Ainsi plutôt que de donner tous les éléments dès à présent sous une pressionmédiatique considérable et d'attentes politiques plutôt légitimes, il se borne à un mutismequi peut le faire passer pour beaucoup comme le coupable idéal, une sorte de « bonnepoire » qui prend pour les autres. Probablement n'a-t-on que la défense que l'on choisit etdoit-il avoir choisi une telle ligne de défense se développer…

Finalement si cette « affaire » a sa place de dernière minute dans cet essai et même sielle n'est pas développée comme je le souhaite (pour m'épargner toute menace...), elleillustre déjà ces trois vérités que j'évoquais plus haut. Trois vérités qui parlent delégitimité et de ce que l'on accepte de connaître et de reconnaître – loin de toutes lesconsidérations légales ou partisanes :

raison : bien qu'étant une forme d'engagement, la comptabilité publique ne l’intègre pas dans le bilan des emprunts. Cependant les agences de notation intègrent ce type de contrat pour les collectivités comme de la dette et la nature de la dépense (investissement) rend pertinent ce rapprochement du crédit-bail comme une dette. Le rapport récent d'E&Y sur l'ex-Région Poitou-Charentes confirme cette approche. Il existe de plus des impacts importants et négatifs sur le budget régional (diminution de l'autofinancement et impossibilité de renégociation du contrat).

68 Il indiquera le 29 mars 2016 sur le plateau de Fr3 Poitou-Charentes : « Après avoir parlé avecbeaucoup d'autres élus, nous sommes prêts à porter plainte pour abus de confiance. (…) Les documents qui nous étaient présentés n'étaient pas sincères ».

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• Des Services régionaux (son encadrement) disposant d'une formed'indépendance, qui proposeraient des solutions toujours plus éloignées de labonne gestion publique pour répondre à la pression politique exceptionnelle d'unexécutif qui n'était plus en mesure d'apprécier la situation – comme une forme dechute en avant.

Peut-être la faute principale, si elle devait être avérée par la suite, fut-elle d'avoirrefusé, pour l'ex-Exécutif, de comprendre ce qui se passait réellement car jen'imagine pas qu'aucune alerte, même indirecte, n'ait été émise sur la dégradationde la situation.

• L’Exécutif, qui continue un travail de décision, de proposition et d'animation toutà fait creux et qui ne repose plus nécessairement sur une réalité factuelle, maissur une vérité politique et administrative. Qui s'épargne de rechercher dessolutions pour tenter de redresser la situation car ce serait reconnaître, au moinsimplicitement, que des problèmes puissent exister – ce qu'il s'est refusé à faire.

• Le rapport à la réalité ou comment le delta est de plus en plus important entre lestextes officiels et l'encadrement de la décision et son application concrète.Comment même ce rapport, ce delta, peut être modifié, « maquillé », par desartifices budgétaires ou comptables (qui peuvent être une forme de « cavalerie »autour des autorisations de programme et d'engagement, des reports à nouveau /des restes-à-réaliser / des engagements non-inscrits, l'augmentation de l'empruntde trésorerie ou de contrats dits de hors-bilan – exemple du crédit-bailferroviaire – pour éviter une dette de long terme, etc.).

Plus généralement cette « affaire » me conforte dans l'idée qu'un système de veilleinterne est toujours nécessaire mais qu'il n'existe et ne fonctionne (d'une manière formelleet informelle) que lorsque ses contributeurs individuellement acceptent de céder et demettre à jour auprès du collectif toutes les informations… ce qui n'est jamais certain,créant une incertitude permanente sur l'outil d'aide à la décision et finalement sur ladécision elle-même.

Un système de contrôle et d'audit devrait être associé en priorité au service deveille d'une organisation69 – dont l'une des missions doit être du renseignementinterne et externe, discrètement, associés à des « tests » visant à évaluer la capacité

69 En somme : « objectif vision 360° »…

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de cette organisation à vaincre sa propre désorganisation et difficultés. L'ensembledevant être indépendant de l'organe décisionnel même s'il reste un des destinatairesdu travail final.

— Rappel : cette partie contient des passages relevant d'observations personnelles, motivées etqui n'engagent que leur auteur comme cela est précisé.

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La politique au carrefour du commerce ?

L'extension du « domaine du politique » ?

Y-a-t-il une extension du domaine du politique avec l'explosion des pratiquesvirtuelles ? Il serait facile de répondre oui, d'une manière non-nuancée. Si l'onconsidère l'augmentation du nombre d'associations et de structures diverses (souvent non-formelles : pétitions, rassemblements, etc.) s'apparentant à des organisations de lobbying(pro ou anti, sur tous les sujets : consommateurs, environnements, industriels, etc.), desnouvelles « pratiques citoyennes » (manifestations diverses / « happening », « démocratieparticipative », etc.), alors ce « oui » est justifié.

Pour ma part ce serait sinon une erreur absolue, au moins une erreurd'interprétation. Ces sujets de la « participation » restent l'écume : la décisionpublique est et reste, pour l'essentiel, au sein des institutions et aux mains de quelques uns.Ce qui ne veut pas dire que ces mains ne soient pas guidées, influencées voire dirigées !Mais c'est là un autre débat, celui de la faiblesse des élus face à l'opinion et au statut del'élu70, parfois aux conflits d'intérêts ou au cumul « excessif » de fonctions, à ces capacitéspropres… ou sa seule volonté.

Les institutions publiques légales (Conseil, exécutifs gouvernementaux ou non), restentdécisionnaires dans leurs compétences respectives, parfois partagées entre elles. A lamarge nous pourrions considérer aussi quelques organismes publics indépendants sur dessujets précis (Agence de Santé, CNIL, etc.).

Le phénomène de « participation populaire » me semble relever davantage de la formeque du fond, à tout le moins en France et à l'heure de l'écriture de ces lignes. Peut-être est-ce un problème pour certains ; pour ma part je ne le crois pas. La République et sadéclinaison la démocratie représentative, semblent devoir rester le « meilleur » dessystèmes institutionnels – ou le moins pire selon Churchill…

70 Débat que l'on pourrait résumer par la volonté (ou non) de réformer la conduite du mandat, engarantissant des droits nouveaux et plus pertinents, afin d'encourager les couches les plus pauvres et les plus éloignés de la vie publique à redevenir candidat.

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Revenons à notre sujet : la pression médiatique, la « sur-exposition » de tous les typesd'acteurs dans divers média (à commencer dans l'univers numérique) a étendu la parole,particulièrement celle de tout un chacun. C'est un fait : tous nous pouvons communiquervers tout le monde comme jamais auparavant. La littérature sur le sujet est pléthorique.

Mais cela n'a pas étendu la décision publique : je reste, nous restons, soumis aux règleset lois qui nous sont dictées, aux moyens légaux (pécuniaires ou réglementaires) qui sontdonnés. Si mon blog existe par exemple, il n'existe que grâce à la liberté d'expression et ilpeut disposer d'une forme d'influence plus ou moins grande71. Un article de mon blog n'apas et n'aura jamais la valeur et la portée d'une loi organique… même si tous les blogs deFrance et du monde le publiaient !

Cependant la non-extension du domaine du politique ne veut pas dire qu'il n'y aextension de la politique et notamment de ses personnels : davantage de « privés » –instituts de sondage, de lobbyistes, d'agences de communication – qui ceinturent lepersonnel politique traditionnel, à savoir les élus, leurs collaborateurs, le hautencadrement public72. Également chez les « amateurs » (par opposition à personnelpolitique professionnel, dont la définition serait être l'activité et la source de revenusprincipales) comme dans le cas de la Manif Pour Tous73 ou les militants et les cadres departi.

Dès lors distinguons l'observation de la vie publique, qui a son intérêt, de l'observationde la prise de décision publique. L'une agit sur l'autre, c'est indéniable : la débat public etmédiatique accompagnera voire favorisera (ou non) une décision d'action (ou d'inactionou de paroles d'actions sans lendemain). Cette décision fut-elle par défaut : le laisser-faire,la poursuite de ce qui est commencé. La décision agit en retour sur le débat public, sur lesacteurs de ce débat, comme parfois la société et ses règles. Les acteurs privés ont alors unedécision à prendre, fut-elle aussi par défaut, dans un jeu de ping-pong, de miroirs, avec lesresponsables publics.

Retenons à ce stade que deux qualificatifs de décisions publiques coexistent : cellesformelles (légales, réglementaires) et informelles (non-légales, coutumières,habituelles). En outre la décision peut être par nature une action, une nouveauté ou acontrario une absence, une poursuite.

71 Influence qui, pour l'instant, se distingue par sa très grande modestie… 72 Les postes dits « fonctionnels » par exemple. 73 Voir plus loin.

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Toute décision est également « portée » par un discours, qui est double. L'un engage laparole d'une institution publique, sa crédibilité et ses moyens. L'autre engage l'imagedes initiateurs de la décision, comme des observateurs et acteurs de celle-ci par leurspressions éventuelles sur les décideurs et l'action publique.

L'IP s'intéresse davantage à la prise de décision du personnel politique ; mais ne doitpas rejeter l'observation de la vie publique au sens large. Nous ne pouvons pascomprendre un acteur – et j'ai voulu que la personne soit au cœur de mes travaux – sanscomprendre sa place dans la vie publique, ses influences et ses intérêts ; sans comprendrecomment cet acteur agit dans son environnement large et comment il est perçu en retour.

S'il y a un développement accru du « politique-objet » où l'élu ou le candidat devientune marchandise « vendable » comme une autre, celui-ci devient éligible à des conceptsde gamification ou de démarche de branding. Je ne peux pas donc faire l'impasse de cethème.

Et cette question qui taraude régulièrement nombre d'observateurs : ce personnelpolitique devenu comme une marchandise, banalisant la parole publique en utilisantdes concepts et des actions de communication du secteur privé, est-ce vraimentgrave ?

< SYNTHÉTISER /> – Les 3 vérités et leurs portées – 83

Les « hommes » du Président (de Gauche) Hollande. Où quand les collaborateurs sont des personnages publics comme les autres. Ou, à Droite, le parcours d'une personnalité telle que Claude Guéant. Photo de l'Obs (février 2015).

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Le politique une marque, vraiment ?

Pour traiter ce thème, il ne faut pas s'appesantir sur des considérations« idéalistes », où la seule réflexion et le poids idéologique seraient les deux seules basesde notre vie politique et des élections. La personne politique est (déjà) une marquecomme une autre, aux ressorts émotionnels puissants. En effet la personne politiqueconquiert un électorat sur une promesse et demande avant tout un effort (non-financier)par un acte puissant (le vote) pour parvenir à réaliser la promesse. Il oblige en quelquesorte74 et un contrat au moins moral est conclu tacitement entre lui et chaque électeur (surce qui sait du candidat, ce qu'il croit (en) savoir).

Certes, la marque « personne politique » a ses particularités. Mais, à plus grandeéchelle et par exemple lorsqu'un Gouvernement se forme, ne répond-t-il pas à des attentespermanentes de représentation d'un corps (parlementaire ou social, voire sociétal) ? Nesouhaite-t-il pas l'adhésion de ce corps à ce Gouvernement, qui est une entreprisepolitique75 ? Cette adhésion doit être si possible revendiquée comme l'appartenance à unecommunauté (nationale ou populaire) pour que le récit du Gouvernement, sacommunication, soit liée irrémédiablement au destin même du collectif qu'il sert. Bref ceque les journalistes nomment la « petite histoire » dans la « grande Histoire », celled'une personne, parfois d'un groupe, qui se lie à et emporte un destin national.

Comme une marque dite « de style de vie », la personnalité politique s'attache à ce queson rapport soit autant idéologique qu'identitaire : je suis jeune et cool, libéral donc jevote X. Je suis pour la sécurité et un conservatisme sur le plan des mœurs, je soutiens Y.

Ce paragraphe d'introduction nous permet de retrouver quelques fondements dumarketing contemporain, si bien analysé par Naomi Klein dans son ouvrage No Logo(« j'achète donc je suis, je vis »). J'aurais pu aussi évoquer le brand asset valuation deYoung&Rubican : dans ce modèle, deux axes permettent un classement rapide d'unemarque. Imaginons que cette marque soit une personnalité politique :

• l'axe y est la vitalité de la marque. Que l'on peut calquer en IP comme étant saprésence dans les médias, sur les réseaux sociaux (fréquence d'apparition, enpropre ou par des relais) ;

• l'axe x est la stature de la marque. Que l'on peut considérer en IP commel'image qualitative : son parcours, ses qualités humaines et de gestion.

74 « Sans moi, spécifiquement, c'est impossible à faire / à réaliser / à atteindre. » 75 À comprendre comme « entreprendre ».

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A cela, le cabinet Y&R ajoute quatre critères : la différenciation, la pertinence, l'estimeet la familiarité. Ne retrouve t-on pas là l'ensemble des outils pour définir unecommunication politique – même « traditionnelle » ?

Une fois que l'on a considéré et démontré l'approche marque / personne politique, resteà transposer quelques autres concepts du branding. J'en ai sélectionné quatre qui mesemblent essentiels :

• la marque est avant tout la mise en avant d'une personnalité (fusion decaractéristiques émotionnelles, d'attitudes et de comportements) associant desvaleurs et une image à une entreprise (ou une personne ou un parti dans notrecas). Cela s'appuie sur des éléments tangibles ou non-tangibles ;

• les deux formes relations qui permettent la distinction des autres groupes /marques : émotionnelle (ses valeurs, ses idées) et fonctionnelle (ses décisionsantérieures et actuelles, son parcours) ;

• la notion d'acte de maîtrise où l'achat (vote) permet au consommateur (-citoyen)indiquer une appartenance à la communauté de la marque (un parti, uncourant de pensées, un syndicat, etc.) en achetant une marque plutôt qu'une autre,développant une sorte d’identité en s'appropriant les valeurs revendiquéespar la marque à son profit, en mettant le produit ou le service acheté en avant,comme une forme de qualificatif ;

• le rapport aux valeurs et à un ton, créant la communauté en faisant de la marqueun flambeau, créant une forme d'unicité où se rassembler :

◦ soit s'ancrer dans un récit, une histoire riche, qui permet de fédérer sur uneimage forte, de poursuite et de rétablissement,

◦ soit s'ancrer dans la nouveauté, d'une tendance ou de l'actuel, qui permet defédérer sur une image de rupture, de discontinuité, de radicalité.

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Les deux « pour tous »

Cette fusion entre marque et personnel politique me semble avoir pris tout son sens etune grande ampleur lors de la réforme visant à l'égalité des droits pour le mariage descouples de même sexe. Dit autrement, comment la « manif pour tous » (MPT) a succédédans les médias au « mariage pour tous » et aux cortèges ancestraux de gaypride courant2013. Cette succession est loin d'être anecdotique.

Car la MPT a su rassembler au-delà des rangs « traditionnels » de la droite, dans unealliance de principe des conservateurs76 de tout l'échiquier politique. Mieux : elle a eu uneréelle base populaire (notamment en nombre de personnes, dont de nombreuses sedéclaraient être habituellement éloignées des manifestations). Ce mouvement a su initierdes actions médiatiques et politiques de pression par des publics peu habitués à cesopérations.

C'est suffisamment rare pour être notable à l'heure où l'on compte le temps d'attentionde chaque « citoyen-consommateur » en minute pour un individu « ordinaire » – lui quiest assailli de sujets et de distractions…

Toute la représentation de l'échiquier politique donc, seretrouvait dans un logo simple et universel : celui d'unefamille unie (un couple jugé classique hétéro, deux enfants).Un logo qui porte plus que son message simpliste : il serévélera vecteur d'un conservatisme bien plus large, touchantà la place de la femme, des enfants et de la sexualité.

Quand bien même ne partage-t-on pas son message politique77, on peut concéder que la« marque MTP » a su jouer habilement des codes et se revendiquer (et s'être crue) libredes partis politiques traditionnels78.

76 Au sens du conservatisme « moral », par opposition au libéralisme des mœurs. 77 Ce qui est mon cas ! 78 Voir sur mon blog les articles d'un schisme possible au FN, qui couvrent ces dernières années,

entre MLP et MMLP – tenant toutes les deux chacun un courant puissant, l'un plus proche de valeurs dites de gauche (libéralisme moral, protection économique et sociale) que l'autre (conservatisme moral, liberté du marché économique et dérégulation des acquis sociaux).

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Cette liberté, finalement relative, vis-à-vis des courants partisans traditionnels estla relation fonctionnelle de la marque ; lorsque l'attachement aux valeurs est larelation émotionnelle. Nous y retrouvons à la fois l'ancrage dans un récit historique –celui de la famille hétérosexuelle « normale », jugée universelle et intemporelle –, et l'idéede rupture en adoptant des codes couleurs et graphiques joyeux associés habituellementaux manifestations de leurs opposants.

Bref, la MPT nous vendait la « gaie manifestation » pour tous face à la « triste marchedes fiertés ». La MPT a logiquement et rapidement décliné peu après l'application de laloi… car son cœur de cible, sa marchandise, venait d'être retirée de la vente. Les mariagesgays n'ont provoqué aucun émoi populaire lorsqu'ils se tiennent et la société française s'encontente ou s'en félicite globalement.

Dans cette affaire, l'acte de maîtrise de « l'acheteur » ne fut pas le vote. Il fut demanifester et d’inonder littéralement les partis, élus et candidats de courriers et demanifestations d'humeur plus ou moins menaçants. Sur les réseaux sociaux aussi lesmessages haineux se sont multipliés, au point de bouleverser quelques temps lesobservateurs qui lisaient d'ordinaire des sondages nationaux majoritairement favorablesaux mariages homosexuels.

Il y a eu un résultat politique : les acteurs et les observateurs de tous ordres se sontpositionnés autour d'un point central qui a changé (Mariage pour tous → Manif pour tous)et finalement les partis ont suivi, comme dépassés par un certain empressement populaire– avec parfois des surprises et des revirements (aux grès des humeurs de l'opinion…).C'était peut-être également pour les partis de gouvernement la possibilité de retrouver unedifférence dans des abords où l'on distingue mal la « sociale-démocratie » de gauche du« libéralisme-social » de droite79...

La loi passée et appliquée, certains maires ont refusé de célébrer les unions. Ce refus aune conséquence juridique : l'acte d'union étant imposé par le législateur à l'officier del'état civil, les maires ou leurs adjoints récalcitrants ont dû se résigner, démissionner ousubir les foudres préfectorales.

79 Sans caricaturer, ou si peu !

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La MPT n'aurait finalement servi qu'à cela : être un feu de paille pour illustrer la faillebéante dans la société française, entre « conservatisme » et « progressisme ». Faille qui estrevenue sous une autre forme lors des attentats de Charlie Hebdo80 et la question de laliberté de la presse, où l'on confondait journal satirique et journal humoristique etd'information. J'y reviendrai d'ici quelques pages.

Cependant il ne faut pas sous-estimer la portée symbolique du mouvement MPT : ilillustre combien il est aujourd'hui possible de lancer un mouvement politiquetotalement hétéroclitique avec des personnes emblématiques et jugées éloignées descombats politiques classiques81, pour autant que l'on sache disposer de puissantsoutils « commerciaux » et d'un objet « à vendre », à désirer pour un grand nombrede personnes.

Sans le savoir, le Gouvernement socialiste et ses soutiens, leurs opposants, ont alors, etpendant près de deux ans, construit les règles modernes de la politique partisane par lesmarques. Il ont confirmé non seulement que le personnel politique était une marque quiétait capable de se repositionner sans vrai « réflexe » idéologique, mais que la fonctionpolitique rattachée au statut de personnel politique elle-même était dépassée par desmouvements somme toute artificiels82, plus près d'une entreprise83 privée que d'un partipolitique. La décision et la loi quant à elles, sont restées dans les canaux habituels (leGouvernement, la Majorité du Parlement).

Il y a donc bien une extension de la politique et un statu quo de la décisionpublique.

80 Journal satirique… qui fait de la satire ! Lui reprochait cela, c'est ne pas comprendre l'objet dece journal.

81 Virginie Merle, dite Frigide Barjot, restera l'exemple le plus fort dans le cas de la MPT. 82 Car bien loin d'être pérenne. 83 Au sens d'entreprendre ; ici sur des formes associatives.

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< M A N I P U L E R / >– A G I R S U R S O N E N V I R O N N E M E N T

La dernière étape, mais pas l'ultime étape

Retour sur l'IE quelques instants, sur l'un de ses fondements, hérité directement ducœur de l'analyse du renseignement : le cycle de l'information. Une sorte de Saint Graalqui sert de base programmatique à la plupart des métiers qui gravitent désormais autour del'IE (lobbyiste, veilleur, documentaliste, etc.).

L'extrait qui suit est tiré du portail du Centre National de ressources et d'informationssur l'intelligence économique et stratégique84 et me semble bien en résumer l'ensemble :

Definition

Issu du cycle du renseignement, [le] cycle de vie et detransformation de l’information [est] inscrit au sein d’unprocessus opérationnel adapté à l’entreprise. [Il est un] Cycleitératif comprenant 4 étapes majeures [et] ayant pourvocation de transformer une information brute en uneinformation utile à la décision.

Enjeux

La représentation du cycle de l’information permet de mettreen évidence le processus dans lequel s’inscrit la gestion del’information. Le cycle décrit 4 étapes clefs :

1. L’expression des besoins est la déclinaison des axes dedéveloppement en zone prioritaire de recherche. On y définitla position stratégique de l’entreprise et ses axes prioritaires.Cette étape est préliminaire à toute recherche d’informationcar elle définit les besoins de l’organisation.

2. La recherche d’information est la phase de collecte aprèsavoir identifié les différentes sources d’informations(recherche bibliographique, Internet, brevet, presse écrite ou

84 Voir : http://www.portail-ie.fr/lexiques/read/88

< MANIPULER /> – Agir sur son environnement – 89

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spécialisée, information orale…). C’est dans cette phase quese décide les moyens (humain, technique, technologique …)et les actions d’accès à l’information (Push or Pull,s’informer ou être informé).

3. Le traitement de l’information est la phase d’analyse quinécessite l’identification des experts internes ou externes quivont valider l’information, ainsi que des circuits de validation(message oral, écrit, coup de téléphone, envoi d’email). Il estessentiel de mieux connaître le cursus professionnel de sescollaborateurs et partenaires pour mieux recouperl’information rapidement et démultiplier la capacité detraitement.

4. Enfin, la diffusion de l’information est la phase finale quinécessite l’identification des destinataires. Il est importantd’avoir une base de connaissance sur les acteurs clés parprojet, par métier, afin de connaître les informationsconsidérées comme sensibles pour cet acteur dans son métierou département. Ensuite des formats de diffusions sontélaborés en fonction des différents destinataires. (Supportpapier, Intranet, liste de diffusion…). Des éléments desynthèse personnalisés émergent ainsi pour l’ensemble desdépartements, en fonction de leurs besoins.

Perspectives

Dans la relation actuelle d’hyper-compétition entre lesentreprises, le cycle de l’information revêt une importancemajeure. Les entreprises utilisent en effet des moyens demoins en moins conventionnels afin de nuire à leursconcurrents. Ainsi, chaque acteur tente de pervertir etd’influencer le cycle de l’information de ses concurrents, etces actions restent efficaces dans la mesure où il demeure unesous-estimation du risque de manipulation par l’information.Chaque étape représente un potentiel d’attaque pour l’un desconcurrents et l’intoxication de ce cycle par des informationserronées, ou par une surcharge d’informations peut paralyserou induire en erreur l’ensemble du processus de décision.

< MANIPULER /> – Agir sur son environnement – 90

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Une vision offensive du cycle de l’information amène àidentifier les vulnérabilités de son concurrent dans son cycleafin de le polluer. Une vision défensive implique la bonnemaîtrise et analyse de la fiabilité de ses sources et unesécurisation optimale de son cycle. Par exemple, une attaquede ce cycle peut résider en l’identification des zones d’étudemarketing de comportement du consommateur concernantl’achat d’un produit d’un concurrent. S’ensuit la mise enplace d’un dispositif d’achat massif du produit concerné surces zones afin de tromper les analyses. Une telle intoxicationentraîne une paralysie des stocks de l’entreprise attaquéeayant interprété une modification du comportement duconsommateur. Ces possibilités se déclinent sous diversesformes, et ne pas considérer ce risque met gravement endanger la pérennité d’une organisation.

Ce que nous pouvons retenir en priorité, c'est la boucle permanente que forme cesétapes continues : une fois le travail de diffusion (des données collectées, compilées etmises en cohérence pour revêtir une information / une connaissance ayant un intérêt« stratégique ») a été réalisé, le service de veille ou de gestion de l'information se remet autravail.

Au quotidien, ce cycle est quasi-systématiquement multiple car le découpage parmétier ou par secteur d'activité, en plus de la réaction aux perturbations extérieures(concurrence, faits d'actualité, etc.), modifie en permanence les priorités et les besoins. Lecycle n'est donc pas un motif répété de manière linéaire dans le temps, maisdavantage un arbre aux multiples racines et troncs, s'arrêtant et reprenant parsaccade. Au grès des besoins et des possibles : cela non plus, les ouvrages ne letraitent que peu alors que l'incidence sur le travail quotidien est considérable.

Bien évidemment une institution publique, parce qu'elle répond à des phénomènessociaux, sociétaux, à des accidents, incidents ou toutes sortes de « crises », dispose d'unfonctionnement similaire et s'inscrit peut-être davantage dans les pratiques

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bureaucratiques de contrôle de la consigne qu'une entreprise, sans aller forcément sur desaspects d'audit en profondeur85. La collectivité vient apporter une réponse la plusadéquation avec sa légitimé et son périmètre d'activité :

• soit parce qu'elle est sollicitée (exemple : un dossier déposé par un possiblebénéficiaire sur tel ou tel dispositif),

• soit par constat d'un problème ou d'un risque (exemple : un importantemployeur privé en cours de redressement judiciaire),

• soit par une recherche sur un dysfonctionnement (exemple : malgrél'amélioration du trafic, des retards sont constatés sur certains trains).

Aussi un travail d'adaptation systématique du cycle de l'information à une institutionn'a pas de sens si l'on considère que la décision publique revêt avant tout un caractèrepolitique, issue du personnel politique, dont j'ai exposé dans les pages précédentesl'essence et le fonctionnement si particulier et les conflits de légitimité des « vues »partisanes.

Je fais ainsi le pari qu'il est plus avantageux en terme de moyens et de résultats dereprendre à zéro le travail de constats et d'analyses qu'amender certain-e-s points / théoriesde l'IE.

D'ailleurs cet essai élabore déjà dans sa construction un « nouveau » cycle, différentdans ses étapes mais pas dans la nature de l'objectif (mieux comprendre pour mieuxorganiser et mieux agir). Ainsi les trois premières parties principales de cet essai nousdonnent les trois premières étapes du cycle de l'information et de l'action de l'IntelligencePolitique :

1. Acquérir. Connaître son environnement, à l'échelle de l'individu et non dugroupe et suivant son caractère. C'est aussi acquérir le pouvoir, qu'il soit légal ouinformationnel : acquérir est autant une action qu'un but de pouvoir et d'influencesur un groupe, une organisation, une société.

2. Classer et comprendre. Créer de la valeur ajoutée à la connaissance en la faisantfructifier, c'est aussi l'étape de la mise ou non dans le « pot commun »d'informations d'un groupe ou d'une structure. Le classement peut être une sourcede modifications dans l'observation de son environnement.

85 Souvent le contrôle se borne à l'aspect juridique et non organisationnel. Il faut répondre à la question : l'acte est-il légal ? Et non à la question : l'acte est-il pertinent ?

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3. Synthétiser. Traduire une vision du monde, de ses forces et de ses menaces, dece qui fondera notre action et notre réaction. Une action qui est tout à la foissource de création, de reconstruction, d'hypothèses, de prédiction.D'anticipation… C'est le point de départ d'une stratégie.

Très logiquement, il manque la 4e et dernière étape : Manipuler. Agir sur sonenvironnement et par extension sur l'environnement général, sur une société ou une partiede celle-ci grâce à une institution publique ou un débat. Mais manipuler n'est passynonyme de mouvements : le silence et le statu quo peuvent être tout autantmanipulatoires qu'une action identifiable et objectivable.

Manipuler a une « couleur » dans son acceptation commune. C'est un mot qui, dans ledomaine de l'information et de l'histoire, fait peur : notre passé est rempli demanipulations que nous regardons aujourd'hui comme malhonnêtes, travestissant laréalité, cachant ou mentant sur certaines réalités. Cela impacte de facto le travail detraitement de l'actualité par la presse et le débat public – donc la décision ou le consensusautour de celle-ci.

Précédemment et par exemple, j'évoquais le cas de l'ex-Région Poitou-Charentes : lestrois « vérités » que j’y énonçais n'avaient pas toutes de réalités « physiques » mais ellesavaient toutes une légitimité fondée et établie. Elles ont été vraies – c'est-à-direconsidérées comme telles – durant près de 10 ans : aujourd'hui nous sommes sur unepériode transitoire où des « révélations » les ébranlent et je ne sais comment elles serontconsidérées demain.

Ce phénomène récurrent de manipulations des faits (qu'il soit volontaire ou non ; qu'ilssoient irréguliers ou non au regard de la loi) est un processus historiquement établiquelque soit la culture ou le système politique : cependant notre regard sur cesmanipulations évolue dans le temps et, lorsqu'un système totalitaire est en place parexemple, l'institution publique se trouve aussi garante d'une certaine stabilité – commedans sa forme démocratique.

Non que je cautionne ou que je légitime la répression, le mensonge et les actestotalitaires. J'indique juste, comme tout système et jusqu'à un niveau donné86, ce mêmesystème tend à vouloir revenir à sa position d'origine, sa position de confort, celle où

86 Où l'on pourrait fixer une limite « ultime » une forme de situation révolutionnaire : le système est dépassé, sa zone de confort est modifiée et désormais il est en volonté d'évoluer vers une nouvelle zone de confort, qui peut passer par une forme nouvelle de gouvernance, « l’État restant l’État » (cf sa continuité naturelle) mais rejetant son ancien Gouvernement et ses institutions.

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certains équilibres internes et d'accès à des ressources sont maintenus. Plus lesystème institutionnel se sent victime87 ou juste menacé, plus il répond par les moyensqu'il juge approprié. Bref il décide d'agir car ses membres, individuellement,forment une masse suffisamment importante ou influente pour emporter l'actionpublique. Nous pouvons donc mesurer et comprendre un système politique ouinstitutionnel, son fonctionnement, grâce à ses « points de rupture », les moments oùil est contraint à agir et comment il agit. C'est aussi la mesure de comment il arrive àcette situation d'action et comment il se la représente, en mesurant la réaction à unemenacée (contrôlée) à son égard. Nous pouvons faire un parallèle intéressant : des stresstest obligatoires existent depuis la crise financière de 2008 pour les institutions financièresprivées (parfois publiques) afin de mesurer leur possibilité de répondre à un changementbrutal et profond de leur environnement (notamment la panique des clients qui retirent enmasse leur liquidité ; un défaut massif ; etc.). Le principe est similaire à ce que j'évoque.

Si la physique quantique prévoit ainsi que l'observateur fige une donnée dans unensemble de mesures possibles, le praticien politique doit « agresser » en quelque sortel'observé, pour comprendre la réaction et déterminer les ressources et les modalités réellesdu système qu'il observe. Le lobbyiste, le manipulateur n'est jamais qu'une personne (ouun groupe) qui crée un contexte spécifique sur un tiers : la manipulation est un acte quin'a pas de valeur morale intrinsèque et le temps fait évoluer le jugement sur l'acte demanipulation, comme le manipulé sur lui-même.

En parallèle de cette évidence, citons le débat autour des termes comme « barbares »88

et « terroristes »89 : leur définition a un moment donné est lié au « camp », au groupe quile définit. Hier, l'exemple classique est la période de l'occupation allemande du territoirefrançais : la destruction d'un pont est-elle alors, dans sa nature-même, un acte derésistance ou de terrorisme ? Lorsque ce pont sert à envoyer à la mort des centaines demilliers de personnes, les condamnant à des tortures et à une mort atroce, la réponse ouiest facile ; d'autant que l'idéologie sous-jacente, le « national-socialisme », est condamnétant pénalement que moralement.

87 Victime au sens large : une collectivité ou l'Etat peut agir au nom de l'intérêt public, de l'intérêtdes usagers, au titre d'une compétence, etc.

88 L'étymologie du terme est intéressant et renvoie à ce que l'on considère comme étranger à son groupe, à sa culture, en dehors d'une autorité ou d'un Imperium.

89 Selon le Larousse, relatif au terrorisme : (c'est-à-dire un) ensemble d'actes de violence (attentats, prises d'otages, etc.) commis par une organisation pour créer un climat d'insécurité,pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l'égard d'une communauté, d'un pays, d'un système.

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Mais lorsque ce pont sert à alimenter en charbon (énergie), en vivres, en moyens diverset en informations (correspondances) une partie d'un territoire (fut-il celui des dominantsou des soumis), la réponse à la même question est bien différente, surtout si sa destructionprovoque indirectement d'autres dégâts (famines, exécution dites « de représailles »,absence d'eau potable et d'électricité, etc.). Le débat née : les vérités s'affrontent et laréalité se construit. Chaque personne, chaque personnalité, chaque croyance s'affirme :telle la vérité judiciaire, il est retenue une construction intellectuelle de faits formant unevérité et non la réalité ; car celle-ci, même vécue, l'est au niveau d'une seule personne.

Cet aspect où l'on joue des subjectivités se retrouve d'ailleurs dans les conflits récentsoù les stratèges militaires tentent d'éviter désormais au maximum l'impact destructif sur lequotidien des civils pour concentrer les forces afin de créer et de favoriser lemécontentement populaire sur les foyers de résistance… où comment l'aviation sert nonpas à un déploiement de forces vives mais à amener à une révolte locale.

La conclusion ? Elle semble simple : en dehors de cas souvent « ultimes » ou éloignésdans le temps90, où l'unanimité se dessine (particulièrement lorsque les bases moralesd'une société ou d'un groupe sont invoquées), il n'est ni simple ni naturel d'avoir unconsensus. Une autre évidence certes, mais qu'il est toujours utile de rappeler. Alors entreen jeu toutes les formes de manipulations, plus ou moins anodines, pour que cetteunanimité puisse contenter le « camp intellectuel » qui sortira vainqueur – et définira cequ'il convient d'en penser. Le consensus est moins une question de faits que de leursinterprétations et des valeurs morales qui y sont associées.

S'ajoute à cela d'autres considérations plus récentes à valeur d'exemples et propres ànos cultures éprises toute à la fois de liberté et de contrôle ou sur de possibles dérivesdites « sécuritaires » : la mesure de la différence entre autorité et autoritarisme est subtile,personnelle, changeante – en creux, elle agit sur nos conceptions de liberté, de droitsfondamentaux.

Le lobbying dans le cadre d'une action d'Intelligence Économique, ses limites« morales » (dans le sens des limites d'une action de manipulation communémentacceptable) et ses incidents sont des sujets courants. C'est la forme peut-être la pluscommune de la manipulation, pas forcément la moins neutre en terme d'impacts ! Les plusmoralistes diront que le lobbying serait louable pour préserver une appellation d'originecontrôlée mais ne l'est plus pour la filière cigarettière et son cortège de morts, decancers… à moyens utilisés comparables. Ce serait « facile » de faire la distinction nonsur les moyens que sur leur finalité? Dans des territoires exsangues économiquement, où

90 Moins de détails… moins de débats ?!

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de nombreux emplois (et les familles qui s'y rattachent) sont en jeu, peut-on être aussi sûrde ses jugements ? Lorsque l'on oppose développement économique et écologie ; social etsociétal ; développement de soi et épanouissement collectif ?

Transposé à des sujets actuels, je peux encore illustrer ce thème de la manipulationavec les attentats dit « de janvier » / « de Charlie Hebdo » – suivant la vision que l'on a dece sujet : si la mort des dessinateurs, de civils et de policiers, a été unanimementcondamnée, y a-t-il cette unanimité autour de la « cause » de l'attentat, de l'acte terroriste :les caricatures satiriques ? L'argument « Ils l'ont cherché », comme les thèses parfoisfarfelues dites « conspirationnistes », doivent nous inviter à réfléchir.

Non que je soutienne ces thèses : je les condamne. Ce qui m'intéresse, c'est la façondont est né ce mouvement de rejet de la parole publique (Politique, Presse, État, Justice).Comment la liberté d'expression a volé en éclat lorsque la satire est condamnée ; commentle principe de laïcité, dans une évocation des « racines chrétiennes » (!), a cédé sa placeau profit d'un humour que je qualifie d'autorisé et de la condamnation du blasphème,attentatoire au respect de la conviction religieuse de l'individu.

D'une manière rapide nous pouvons supposer que ce mouvement étrange prenant tour àtour un reflet de liberté puis de respect religieux au grès des « motifs culturels91 », prendforme au carrefour entre des dizaines d'années d'un sentiment de déclassement (réel ouressenti) du pays et de certaines de ces couches (populaires et moyennes) ; d'impuissanceet de « mensonges », « d'affaires » de la part des élus à tous les niveaux ; d'une mise sur lemême plan des sources d'informations de qualité très diverses – des informationségrainées et commentées par la profusion de sources grâce au numérique.

Un terreau idéal pour tout « complotiste » en herbe et de ses intérêts.

Votre première lecture de cette partie sera probablement : quel rapport avec le cycle del'information ? Je réponds : tout ! Car si je formule l'hypothèse qu'aucune veille (et soncorollaire : la décision) n'existe à ce jour sans passer par un humain et ses biais, il nousfaut comprendre la culture de notre société et de ces changements. L'IE se résume tropsouvent à une partie de Légo où l'on assemble des pièces techniques de gestion del'information et d'organisation entre elles ; comme un Mécano automatique et trèsstupide. S'ajoute, parfois et à la marge, un peu de RH…

91 Que je regroupe sous le vocable des « racines chrétiennes » de la France…

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Schématiquement il me semble aujourd'hui que l'une des principales défaillances del'IE se partage en deux camps qui se parlent peu :

• d'un premier côté, une vision totalement utilitariste voire techniciste. Lacomplexité n'est pas vraiment admise, juste la complication. Le numériquepermet, encore pendant quelques temps, d'automatiser des flux d'informationssans toujours percevoir le côté nécessairement humain et biaisé des systèmes,rendant la décision aléatoire malgré le respect strict des normes et des processusmis en place ;

• de l'autre des constructions « universitaires » souhaitant rassembler des pratiqueset pensées théoriques, sans pouvoir empêcher la multiplicité des définitions etdes approches ; qui n'arrivent pas à faire émerger un modèle unique etsuffisamment complet pour appréhender la richesse naturelle des situations.Peut-être parce qu'un tel modèle n'existe pas et ne peut pas exister ?

L'IE est multiple, suivant que l'on soit tour à tour un opérateur ou un chercheur.J'embrasse, pour l'IP, cette ambivalence car je la crois indépassable. Alors manipulerest pris au sens premier et ultime tel un médecin : tordre, (re)positionner, soulever,comprendre et finalement guérir le patient de ce que l'on croit être sa pathologie.

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> > P O S T A M B U L E

Le plan de cet essai le plus simple (et le plus attendu ?) aurait été de partir du lobbying /de l'influence des acteurs que j'aurai pu qualifiés d'« extérieurs » (presse / média, « sphèreéconomique », « sphère militante », etc.) et de défaire la pelote, se contentant de quelquessujets « faciles ».

Cela afin d'illustrer tant des profils-type que leurs comportements et l'attendu de leursconséquences !

Mais ce travail a été mainte fois réalisé par des personnes bien plus talentueuses quel'auteur92. Peut-être est-ce présomptueux – plus encore que de tenter de faire mieux queses prédécesseurs – de vouloir un regard qui se veut neuf et une approche différente.J'espère que cet essai aura eu, a minima, ce mérite d'être un point de départ, un apportcertes minime mais complémentaire à la littérature classique sur ce sujet.

Un point de départ car l'approche est désormais dans ce travail de faire del'individu le centre de tout.Après seulement viendra sa place dans un système plus large,un « système » qu'il conviendra de définir (je n'ai tracé dans cet essai que quelquesgrandes lignes avec les distinctions / la définition que j'opère entre groupe / organisation /structure, et leurs attributs respectifs). Peut-être la conclusion de tout cela, si ce termeexiste, verrons-nous que rien, absolument rien, n'est extérieur à la sphère publique – l'IEcomprise et en tout premier lieu, car elle dit obéir aux règles et lois du pays fixées par lesPouvoirs Publics.

Que certaines observations sur la distinction vie politique / vie économique ont uneapproche que je juge à ce jour faussée, partielle. La société civile est la société touteentière ; son organisation n'a aucune limite sinon celle d'une société telle que nous lafaisons exister aujourd'hui et qui n'en dispose pas intrinsèquement en dehors, peut-être, dela nationalité. Pourquoi placer une limite au politique, y compris dans les domaines del'économie, des sciences ou du « vivre-ensemble » ?

Cependant ne pas placer de frontières ou de limites à l'action publique dans la sociétén'implique pas que chacun fait ce qu'il souhaite ; qu'il n'existe pas de fonctions dévolues ;que les organisations sont toutes semblables ; que finalement la coercition (celle légitime

92 A son immense regret, croyez-le bien…

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qu'impose le contrat) n'aurait pas lieu d'être, sans prééminence aucune d'une loi ou dequelques-uns qui font – au sens propre – la Loi. Ne dit-on pas que la liberté s’épanouitdans les règles…

Sur un autre sujet lié, je ne crois pas aux approches « participatives » telles que je lesobserve de plus en plus régulièrement ; où il ne s'agit plus d'écouter des opinions légitimesmais de faire des jurys « citoyens » pour juger sans appel. Dès lors pourquoi garder ladémocratie représentative si on conditionne l'action des représentants à une sorte deréférendum perpétuel et permanent ; si la vérité politique, la vision qu'elle déploie pourfaire adhérer à elle, est sans cesse remise en cause, dès le premier jour du mandat que sonreprésentant a reçu la veille ?

A la relecture de cet essai, je vois combien ce domaine est riche et complexe. Combiencet essai peut être vain et faux, car immature. Peut-être l'objectif même est-il inatteignable– pour ce qui me concerne en tout cas. Sans relais, sans aide, l'IP ne peut que rester un bonmot, un concept farfelu et une sorte de défi. Aussi peut-être souligner un mépris lorsquel'on ne vient pas des sciences politiques mais que l'on finit par travailler avec ceux qui ensortent ou leurs énarques, qui savent vous montrer que vous n'êtes rien. Une « élite »coupée de bien des « réalités »... Oui l'IP, si le domaine doit exister par lui-même un jour,n'aura pas facilement ses lettres de noblesse. Il ne devra compter que sur sa qualité.

Peut-être alors j'aurais réussi ce que je me suis fixé voilà 10 ans comme le sommet del'exercice : que cet essai, cette « face Nord » laborieuse, la seule voie honnête à ma portée,soit dépassée par elle-même et d'autres qui se l’approprieront, la porteront et l'agrandiront.

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Dépôt légal en juillet 2016 ISBN 978-2-9557346-0-5

Aux éditions nothusiennes N° SIRET 51327334200024

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