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rapport de la cour des comptes sur 30 ans de politiques d integration

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COUR DES COMPTES_____________

LACCUEIL DES IMMIGRANTS ET LINTEGRATION DES POPULATIONS ISSUES DE LIMMIGRATION_____________

RAPPORT AU PRSIDENT DE LA RPUBLIQUE SUIVI DES RPONSES DES ADMINISTRATIONS ET DES ORGANISMES INTRESSS

NOVEMBRE 2004

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SommairePages

Dlibr . Introduction................................................................................................... Chapitre I : Les politiques publiques face aux ralits de limmigration . ILa dimension historique de lintgration ............................................... A Les origines..................................................................................... B Le tournant de 1945......................................................................... C Limmigration de 1945 1974 ........................................................ D De la suspension de limmigration de main duvre (1974) la situation aujourdhui ....................................................................... La difficult des choix publics ............................................................... A La mconnaissance des publics concerns ...................................... B La faiblesse des structures de pilotage ............................................ C Linsuffisante dfinition des objectifs .............................................

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9 15 17 18 26 30 40 50 51 66 99 110 111 124 129 137 140 140 141 149 155 156 170 206 206 220 230 245 248 252 253 260

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III - De nouvelles orientations constates plus que choisies...................... A Des institutions en situation frquente de dcalage et dautonomie B Les lments dune nouvelle politique ............................................ C Les consquences de la monte en puissance du cadre europen.... Chapitre II : Le bilan de laccueil et de lintgration................................. ILes obstacles lvaluation ................................................................... A La mesure de lintgration .............................................................. B Problmes lis aux statistiques et aux tudes .................................. C Des moyens budgtaires difficiles identifier................................. Une double hypothque ......................................................................... A La concentration des populations issues de limmigration.............. B Limmigration irrgulire................................................................

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III - Des rsultats peu probants ..................................................................... A Le logement .................................................................................... B Lemploi.......................................................................................... C Lcole ............................................................................................ D Lapprentissage du franais............................................................. E Les femmes issues de limmigration ............................................... F Lintgration des jeunes................................................................... G Les limites des possibilits de retour............................................... H La lutte contre les discriminations ..................................................

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Chapitre III : Une dmarche ncessaire qui reste conforter .................. IDe nouvelles perspectives pour limmigration....................................... A Une demande quantitative et qualitative la hausse ....................... B Sortir des contradictions.................................................................. Un dispositif prciser et concrtiser .................................................... A Des principes qui gagneraient tre prciss.................................. B La priorit donne laccueil, premire tape du parcours dintgration .................................................................................... C Les initiatives du comit interministriel sur les dterminants de lintgration devraient tre renforces .............................................

269 271 272 278 290 290 299 318 348 349 350 362 367 387 391 405 413 417 425 427 431 435

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III - Une approche complter et approfondir .............................................. A Intgrer les populations dj prsentes en France ........................... B La rsolution ncessaire de deux pralables.................................... C Laffinement des mthodes ............................................................. D La rationalisation de lorganisation institutionnelle ........................ Conclusion ..................................................................................................... Annexe 1 : Europe et immigration.................................................................. Annexe 2 : Les voies daccs lemploi ...................................................... Annexe 3 : Comit interministriel du 10 avril 2003 : relev de dcisions..... Annexe 4 : Les centres et les locaux de rtention administrative. Annexe 5 : Rpartition des immigrs sur le territoire mtropolitain (1999). Annexe 6 : Enfants dimmigrs (0-24 ans) par dpartement .......................... Annexe 7 : Visas pour les consulats les plus importants (environ les trois quarts) ......................................................................................................... Rpertoire des principaux sigles .................................................................

Rponses des administrations et des organismes intresss.

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DLIBR _______ La Cour des comptes publie, sous la forme dun fascicule spar, un rapport concernant laccueil des immigrants et lintgration des populations issues de limmigration. Conformment aux dispositions lgislatives et rglementaires du code des juridictions financires, la Cour des comptes, dlibrant en chambre du conseil, a adopt le prsent rapport public. Ce texte a t arrt au vu du projet qui avait t communiqu au pralable, en totalit ou par extraits, aux administrations et organismes concerns, et aprs quil a t tenu compte, quand il y avait lieu, des rponses fournies par ceux-ci. En application des dispositions prcites, ces rponses sont publies ; elles engagent la seule responsabilit de leurs auteurs. Etaient prsents : M. Sguin, premier prsident ; MM. Collinet, Delafosse, Fragonard, Carrez, Bnard, prsidents de chambre, MM. Mignot, Mnasseyre, Gastinel, prsidents de chambre maintenus en activit ; MM. Chartier, Limouzin-Lamothe, Zuber, Capdeboscq, Murret-Labarthe, Sallois, Vianes, Giquel, Billaud, Cretin, Berthet, de Mourgues, Malingre, Paugam, Kaltenbach, Babusiaux, Hespel, Houri, Richard, Devaux, Rossignol, Arnaud, Bayle, Bouquet, Rmond, Chabrol, Picq, Ganser, XH Martin, Schneider, Lefoulon, Mirabeau, Beaud de Brive, Cardon, Mmes Froment Meurice, Ruellan, M. Cazanave, Mme Bellon, MM. Ritz, Duchadeuil, Moulin, Steyer, Lesouhaitier, Lefas, Lafaure, Dupuy, Banquey, Mme Fradin, MM. Auger, Delin, Mme Dayries, MM. Phline, Gautier Jean, Tournier, Mme Colom, M. Vivet, Mme Moati, MM. Cossin, Diricq, conseillers matres, MM. Lazar, Audouin, Pascal, Gleizes, Lemasson, Cultiaux, Schaefer, conseillers matres en service extraordinaire, Mme Bazy Malaurie, conseiller matre, rapporteur gnral. Etait prsente et a particip aux dbats : Mme Gisserot, procureur gnral de la Rpublique, assiste de M. Feller, avocat gnral. Madame Dmier, secrtaire gnrale, assurait le secrtariat de la chambre du conseil. Na pas pris part aux dlibrations : M. Courtois, conseiller matre. Fait la Cour, le 4 novembre 2004.

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La population immigre dans les dpartements mtropolitains franais (en pourcentage de la population totale en 1999)

% de la population immigre dans la population totale (nombre de dpartements)

Source : INSEE recensement 1999

IntroductionLimmigration constitue, en France, un sujet la fois extrmement sensible et rcurrent. Son actualit demeure dautant plus forte que les perspectives dmographiques en Europe laissent pressentir un recours encore accru, dans un proche avenir, ses ressources. La diversit et lampleur de ses implications dans nombre de domaines de la vie nationale justifient que laction publique en la matire fasse rgulirement lobjet dune analyse attentive : du degr de russite de la politique dimmigration et, plus particulirement, des actions daccueil et dintgration dpend en effet, pour une large part, la cohsion nationale.La notion de politique de limmigration est gnralement utilise de manire indistincte pour caractriser la seule gestion des flux migratoires ou lensemble des actions concernant les migrants. La Cour a choisi, dans le rapport, de privilgier la deuxime acception, conformment la conviction quelle sest forge quen la matire, une politique doit tre cohrente et globale.

Un tel intrt est dautant plus ncessaire que limmigration est une question mal connue, o des lments statistiques ncessaires font souvent dfaut et o les frquentes approximations conceptuelles et smantiques traduisent de relles ambiguts et de non moins franches confusions. Il est vrai que si limmigration est lobjet dun dbat public permanent et souvent passionn, celui-ci tend se polariser sur certains des aspects du dossier et semble parfois ignorer les autres. Ainsi, le problme de lopportunit et des modalits de la matrise des flux est-il au centre des proccupations, comme en tmoigne le contenu des interventions du lgislateur depuis les lendemains de la seconde guerre mondiale : depuis 1974, lordonnance de 19451 aura t modifie trente-trois reprises et tout dernirement loccasion du vote de la loi du

1) Ordonnance n 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions dentre et de sjour des trangers en France.

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COUR DES COMPTES

26 novembre 20032. On ne saurait dire, en revanche, que les voies et moyens de laccueil et de lintgration des immigrants aient bnfici dune attention comparable. Surtout, la vigueur des polmiques a souvent cach lextrme complexit de la matire et on a mis au compte dune hypothtique volont de dissimulation ce qui ntait souvent que la traduction de la difficult figer, dans les catgories juridiques et dans les chiffres, une ralit en perptuelle volution. Ce nest pas seulement quen lespce limprcision constitue un risque la fois frquent et particulirement lourd de consquences et que la plus grande prudence simpose. En fait, cest le point dapplication mme dune politique de limmigration quil est difficile de dfinir. On sait lorsquun tranger cesse de ltre. Rien, juridiquement, nindique, en revanche, quon ne fait plus partie de la population issue de limmigration. Seul, en ralit, limmigrant est identifiable comme tel. Mais cette qualit se perd sans doute ds linstallation accomplie, assurment en cas de naturalisation et certainement lors de la gnration suivante. Pour les autres, tous les autres, il nest pas de rponse autre que subjective. Cest assez dire quentre autres difficults, les partenaires des politiques mises en uvre ont celle davoir sinterroger en permanence sur le choix de leurs bnficiaires. Si lon senttait retenir lacception courante du mot immigr , on en serait rduit constater quon ne sait pas, au juste, de qui il sagit puisquil est impossible de dnombrer et circonscrire. Le problme est quon nest pas toujours sr non plus que pour ce public indistinct, un traitement spcifique soit forcment lgitime et ncessaire. La seule certitude quon ait est que toute insuffisance de la politique conduite peut constituer un danger pour la Rpublique. Ces constats paradoxaux donnent la mesure des problmes poss problmes que ne suffit pas rgler la substitution quasi-systmatique du2) Loi n 2003-119 du 26 novembre 2003 relative la matrise de limmigration, au sjour des trangers et la nationalit au sujet de laquelle la Commission nationale consultative des droits de lHomme a mis les observations suivantes : la lgislation sur les trangers ne cesse dtre modifie et est de plus en plus complexe. Il en rsulte un droit extrmement touffu auquel, lexception des spcialistes, peu de personnes et surtout pas les principaux intresss, cest--dire les trangers, ont la possibilit daccder. A cette complexit juridique, accrue par un nombre imposant de circulaires, sajoute une suspicion trop frquente lgard des trangers, ainsi quun manque de moyens administratifs particulirement criant.

INTRODUCTION

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terme dintgration celui dimmigration. En fait, lintgration est une partie de la politique dimmigration. La Cour a dj eu de nombreuses occasions de faire connatre les observations quappelait de sa part tel ou tel lment de la politique de limmigration. Elle a dit, et des poques pourtant diffrentes, les inconvnients lis son absence de lisibilit, au flou de ses objectifs, aux incertitudes de son pilotage. Aprs ces apprciations rptes, la Cour a dcid dexaminer les dispositifs dans leur globalit3. En effet, les volutions qui se sont fait jour dans les mouvements migratoires, les modifications intervenues dans le droulement des sjours, les rformes en cours ou annonces lui ont paru justifier une initiative de sa part. A lheure o, au terme dune longue volution, paraissent saffirmer de nouveaux axes dune politique de limmigration, la Cour a estim quelle se devait, la lumire de ses propres travaux, de dire quelles sont, selon elle, les conditions de son succs. Elle a donc dcid dy consacrer un rapport public particulier, issu de la collaboration de plusieurs de ses chambres, afin de traiter la question dans toutes ses dimensions, lesquelles font intervenir plusieurs ministres et de nombreux organismes aux statuts divers. Lanalyse conduite ne nglige aucune des tapes du parcours dun immigrant, du franchissement des frontires son installation, son intgration et son ventuel retour, et dpasse ainsi les cloisonnements administratifs (affaires trangres, affaires sociales, ducation nationale, emploi, quipement et logement, intrieur, justice, etc.). Cette contribution peut tre dautant plus utile que la Juridiction est lune des rares institutions avoir eu le moyen permanent de contrles rguliers et avoir pu ainsi procder une approche synthtique dun dossier dont les composantes sont nombreuses et font gnralement lobjet dune approche parcellaire. La Cour a t dautant plus encline une approche globale de laccueil et de lintgration des immigrants en France quelle procdait 3) Nanmoins, parce quelle a consacr au sujet dimportants dveloppements dans son rapport public de lanne 2000, la Cour na pas estim ncessaire dintgrer dans le prsent rapport une nouvelle tude densemble des problmes lis au droit dasile. Elle a estim en revanche opportun dvoquer celui-ci au travers du prisme de ses liens avec limmigration clandestine, la lumire, en particulier, des rformes introduites par la loi du 10 dcembre 2003 modifiant la loi du 25 juillet 1952. Paralllement, la juridiction sest efforce dactualiser les donnes statistiques sagissant, en particulier, de la part des rfugis dans limmigration rgulire. Elle sest autoris enfin, lorsquelle tait conduite formuler certaines prconisations en matire de logement, rappeler quelques donnes se rapportant lhbergement des demandeurs dasile et des dbouts.

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un nouveau contrle des administrations et organismes qui en sont chargs, enqutait sur les dispositifs publics mis en place pour favoriser laccueil et lintgration et examinait les mcanismes et procdures qui encadrent la gestion de cette politique. Elle sest efforce de procder une valuation de lorganisation de la politique dimmigration. Les travaux de la Cour ont t conduits dans un contexte dinterrogations nombreuses rsultant, prcisment, du caractre rcent de la dfinition de certaines orientations des politiques publiques.Mthodologie de lenqute La Cour a consacr dimportantes observations de son rapport annuel diffrents aspects du sujet au cours des douze dernires annes : le fonds daction sociale pour les travailleurs immigrs et leurs familles en 1993, divers aspects de la politique dintgration des populations immigres en 1997, bilan de deux oprations de relogement durgence de familles mal loges ou sans abri en 1999, les actions de ltat pour laccueil des demandeurs dasile et lintgration des rfugis en 2000. Elle a dcid en 2003 de conduire une nouvelle enqute globale, dont une note de cadrage a dfini la vise et la mthode, compte tenu notamment des travaux des assembles parlementaires et des corps dinspection et de contrle. 24 rapports dinstruction ont t tablis : 11 rapports sur des sujets thmatiques (tels les statistiques de limmigration) et des actions publiques (telles la scolarisation, le logement, lemploi ou la lutte contre les discriminations), 13 rapports sur le fonctionnement de services de ltat (tels la police aux frontires) ou la gestion dorganismes (trois tablissements publics administratifs, une entreprise publique, deux groupements dintrt public, une association). Sagissant des services de ltat, les investigations opres au niveau central ont t poursuivies auprs des services dconcentrs et de certains postes diplomatiques et consulaires. Lexamen contradictoire des constatations provisoires de la Cour a conduit celle-ci saisir 81 destinataires et organiser en mai et juin 2004 huit auditions auxquelles elle a invit participer les responsables de 21 directions dadministration centrale ou dorganismes contrls. La Juridiction a ensuite arrt ses observations dfinitives. Son rapport fait de nombreuses rfrences aux travaux dautres institutions : Haut conseil lintgration, dont la Cour a entendu la Prsidente, Conseil conomique et social, Conseil danalyse conomique, rapports de parlementaires ou de personnalits au Gouvernement, publications des ministres et des institutions europennes ou internationales, travaux universitaires, colloques. Les citations faites dans le rapport mettent en vidence lvolution des rflexions sur limmigration.

INTRODUCTION

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Cest le 10 avril 2003, aprs treize annes dinactivit, et au moment mme o la Cour commenait ses propres investigations, que le comit interministriel lintgration sest runi pour dfinir de nouvelles lignes de force dans la politique dintgration avec, en particulier, la mise en place du contrat daccueil et dintgration ou la cration dune agence de laccueil et des migrations. Au cours de la mme anne 2003, on la dj relev, dimportantes rformes lgislatives taient conduites paralllement. Il nest pas jusqu plusieurs dpartements ministriels voire des tablissements ou entreprises publics qui naient procd simultanment des inflexions substantielles de leurs modalits dintervention : ainsi le ministre de lducation nationale a-t-il commenc mettre en uvre de nouvelles dispositions par circulaire du 25 avril 2002 relative aux missions et lorganisation des centres acadmiques pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage (CASNAV), tandis que le Fonds daction et de soutien pour lintgration et la lutte contre les discriminations (FASILD) exprimentait, ds le second semestre, une rorientation de son activit au profit de certains publics prioritaires, en particulier les primo-arrivants. Que nombre de mesures nouvelles soient ainsi en prparation ou connaissent un dbut dapplication na pas dcourag la juridiction de lancer son enqute. Bien des situations sexpliquent en effet par leur origine la plus lointaine. Nombre dorientations sont prises sur la base dapprciations errones mais sur lesquelles on nose plus ultrieurement revenir. Il nest pas inopportun de procder trs tt des correctifs ou des inflexions lorsquil arrive que leur ncessit apparaisse rapidement. De mme, mieux vaut apprcier demble lampleur des moyens mettre en uvre pour tendre lefficacit. Enfin, il peut tre utile dtre avis du manque de pertinence de certains dispositifs et procdures dont on a cru pouvoir se satisfaire en les reconduisant. Lexprience du pass est l pour rappeler quune insuffisante ractivit a t lorigine de bien des dconvenues. Les incertitudes qui subsistent sur la mise en place des nouveaux dispositifs peuvent en effet conduire, au moins paralllement, au renouvellement derrements antrieurs qui ont fait lobjet de critiques et, leur lumire, la Cour pourra procder utilement une apprciation des nouveaux dispositifs. Aprs avoir expliqu la gense et dcrit les modalits des actions publiques qui ont pu tre conduites jusquici pour rpondre aux dfis de laccueil et de lintgration, on sefforcera ci-aprs une esquisse de leur bilan sur le critre de la situation relative des populations concernes ; enfin, la lumire des exigences nouvelles quannoncent les besoins prvisibles du march europen du travail, on sattachera apprcier les conditions de la russite du nouveau dispositif mis en place.

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Le choix des mots Si le concept d immigration peut tre employ aussi longtemps quon dcrit un mouvement de population vers un pays daccueil (concernant donc un ou des immigrants) et avec lintention de sinstaller, le terme immigr est lui-mme trop flou et imprcis pour pouvoir tre utilis sans danger. Le recensement gnral de mars 1999 (voir carte page 5) dfinit limmigr comme toute personne ne ltranger, de nationalit trangre, vivant sur le territoire franais . Mais force est de reconnatre que lacception le plus couramment retenue pour ce terme est plus large. Sont en effet indistinctement qualifies d immigres une partie des personnes dorigine trangre entres et tablies en France depuis des priodes plus ou moins longues. De fait, le terme dimmigr parat li la diffrence dorigine et non pas un statut juridique (contrairement la notion dtranger). Il relve du non-dit, de linconscient collectif. Il se rattache en fait une certaine image du monde qui oppose lEurope, lOccident, aux autres peuples de la terre. La vision de limmigr est ainsi indissociable de celle des arrivants du tiers monde et de tout ce qui les distingue de la ralit europenne : mode de vie, religion, traditions, langue, patronyme, couleur, niveau de richesse, etc. La notion d immigr est lie la diffrence. Cest la raison pour laquelle on ne lutilisera que dans son acception statistique. On utilisera dans les mmes conditions le terme dtranger. On emploiera celui dimmigrant pour dsigner la personne en phase darrive et de droulement des procdures daccueil. Enfin, on utilisera la notion de populations issues de limmigration la fois pour le solde et pour tout ou partie de lensemble, tout en tant conscient de limprcision de lexpression. Mais aucune autre ne parat meilleure dans la panoplie des termes le plus souvent utiliss : populations ou personnes d'origine immigre ou d'origine trangre, immigrs ou supposs tels, etc.

Chapitre I Les politiques publiques face aux ralits de limmigration

LES POLITIQUES PUBLIQUES FACE AUX RALITS DE LIMMIGRATION

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En confrontant les rsultats de ses prsentes investigations ses constatations des dernires dcennies, la Cour en arrive la conviction que la complexit du dossier de limmigration ne peut tre apprhende et, le cas chant, domine quau prix dune bonne connaissance de ses lments originels. Lhistoire de limmigration rvle ainsi une permanence remarquable dans la volont des gouvernements de matriser les flux migratoires - quil se soit agi de les encourager ou de les dissuader - et une constance non moins vidente de lincapacit sexonrer des effets du contexte politique ou conomique international. Elle montre aussi quen dehors de la tentative de gestion des entres sur le territoire, il na pas exist, pendant longtemps, de vritable politique de laccueil et de laide linstallation. Les raisons de cette carence sont multiples. Elles mritent dautant plus dtre values que nombre dentre elles pourraient encore valoir aujourdhui. En fait, une grande latitude a t laisse, en la matire, des institutions dont le mode dorganisation et les actions tenaient souvent davantage aux circonstances de leur cration quau respect de priorits que les pouvoirs publics ont t durablement dans lincapacit de dfinir. Le paradoxe tient au fait que la ncessit dune politique globale et cohrente dintgration des immigrants est ressentie lheure mme o lvolution des rflexions et la rarfaction des moyens financiers convergent pour tenter de persuader que lessentiel des interventions en leur faveur doit relever du droit commun.

I La dimension historique de limmigrationLimmigration, tout au long des dcennies qui suivent la seconde guerre mondiale, sinscrit la fois dans le dveloppement gnral des migrations lchelle internationale et dans une tradition, propre la France, qui sest rarement dmentie. Laccueil de migrants est en effet, pour notre pays, une ralit ancienne et, mme, par bien des aspects, consubstantielle lidentit nationale. Une tradition daccueil, une gestion sensible au contexte conomique, une prennisation de ltablissement dune part non ngligeable de la population de limmigration, telles sont les lignes de force qui mergent. Pour autant, une poque o les donnes dmographiques, psychologiques, politiques, conomiques ou culturelles voluent, le phnomne migratoire a connu lui-mme de profondes transformations.

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A Les originesEn dcidant rcemment la cration dun centre de ressources et de mmoire sur limmigration4, les pouvoirs publics se sont donn, dabord, le moyen de mieux faire apprhender par lopinion les ralits de limmigration ainsi que les chances de lintgration, elle-mme atteste par bien des exemples passs. Ils ont offert par ailleurs aux populations issues de limmigration, en rappelant les difficults et les mrites des anciennes gnrations, le moyen de mieux asseoir la lgitimit de leur prsence et de leurs aspirations leurs propres yeux et devant lensemble du pays daccueil. Il na jamais exist dge dor de limmigration o tout aurait t plus facile et, en particulier, parce que les populations concernes taient de culture voisine et supposes, en consquence, plus aisment assimilables que les publics actuels. Les difficults passes sont l pour rappeler la permanence de certains phnomnes, notamment le lien persistant entre les tensions conomiques et les tentations du rejet. Enfin, la bonne connaissance des origines de certaines structures et procdures permet de comprendre pourquoi elles ne sont pas encore parvenues au terme de leur ncessaire volution.

1 Les prmicesOn saccorde gnralement pour faire remonter la fin de la premire moiti du XIXme sicle lapparition de limmigration stricto sensu. On naurait garde doublier pour autant que, du fait de sa position gographique et de la richesse de la varit de ses terroirs, le territoire franais lui-mme a t peupl par dimportants apports migratoires successifs. Cest probablement ce qui explique que, sous lAncien Rgime, la France soit le pays le plus peupl dEurope. Elle ne se prive dailleurs pas daller souvent solliciter les autres pays du continent voire de les prospecter de manire systmatique, soit parce que les comptences manquent dans certaines spcialits, soit, ultrieurement, pour des raisons tenant lvolution dmographique : au XVIIIme sicle, en effet, se combinent une baisse de la fcondit et une augmentation de la mortalit.

4) Cette cration a t dcide le 10 avril 2003 par le comit interministriel lintgration.

LES POLITIQUES PUBLIQUES FACE AUX RALITS DE LIMMIGRATION

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En tout cas, tout au long de cette priode de lente constitution de la nation franaise qui stend de la fin de lEmpire romain dOccident jusqu la Rvolution, la France est particulirement accueillante aux trangers. La notion mme dtranger y est longtemps assez floue. Si juridiquement est rpute trangre toute personne qui nest pas sujet du roi, la ralit est beaucoup plus complexe. Dans un pays longtemps morcel, ltranger est celui qui vient dailleurs et on regroupe volontiers sous le mme vocable sujets et non-sujets du roi. Les premiers temps de la Rvolution vont confirmer la situation. Comme la nation est conue alors comme une ralit essentiellement politique, tout homme, mme venu dau-del des frontires, peut y adhrer. Comme la rappel en 1997 M. Patrick Weil, dans un rapport au Premier ministre, on ne peut (alors) tre citoyen sans tre franais, mais, pendant quatre ans, de 1790 1794, on est naturalis franais automatiquement en rsidant en France . La dclaration de la patrie en danger ouvre nanmoins une phase de relative mfiance vis--vis de ltranger qui est devenu, par la force des choses, un danger potentiel, sentiment qui se prolongera aussi longtemps que la Rvolution sera menace de lextrieur. La situation se stabilisera nouveau sous Bonaparte puis sous Napolon. Si les rdacteurs du Code civil, au chapitre de la nationalit, choisissent le droit du sang, cest contre lavis du Premier Consul et les modifications ultrieures du texte attnueront la porte de ce premier choix tout en plaant la matire, et pour longtemps, sous le signe des contradictions. Surtout, une distinction fondamentale est introduite entre droits civiques et droits conomiques. Si ltranger est exclu du droit de vote et de laccs aux emplois publics, il a, sur le plan personnel et conomique, des droits peu prs gaux ceux des nationaux.

2 Les effets de la rvolution industrielle : lapparition de limmigration stricto sensuDes mouvements de population de plus en plus importants vont intervenir dans la premire partie du XIXme sicle. Ils sont directement lis aux ncessits conomiques. Il est vrai que les dbuts du dveloppement industriel sont hypothqus en France par trois facteurs qui lui sont propres : - les consquences dmographiques des guerres napoloniennes qui vont tre ressenties sur une longue priode et qui prolongent une baisse de la natalit dj constate ;

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- la rsistance, sans quivalent en Europe, des paysans franais lexode rural, rsistance dautant plus vive que la Rvolution a t lorigine du dveloppement de petites exploitations familiales dont ils sont souvent propritaires ; - le poids politique du proltariat ouvrier qui se voit reconnatre un certain nombre de droits loccasion des Rvolutions de 1830 et 1848 et qui a les moyens de refuser des conditions de travail qui seraient en tous points analogues celles qui sont pratiques ailleurs en Europe. La population trangre commence ainsi augmenter de manire trs significative ds la Monarchie de Juillet. Au recensement de 1851, les trangers sont dj plus de 378 000. Comme limmigration est libre ce sera le cas jusqu la Premire Guerre Mondiale le mouvement ne va plus se dmentir. Ds la fin du sicle, la France va tre le premier pays dimmigration dEurope. On peut dire quen dpit de quelques cahots, et sous rserve dvolutions notoires le mouvement va se poursuivre jusqu la guerre de 39-45. Il est vrai que la France demeure la fois un pays de basse pression dmographique et de frquente forte croissance conomique. Elle va donc constituer une exception en Europe. De longues dcennies durant, elle va tre, selon une formule fameuse, un pays dimmigrants dans un continent dmigrants . Cela nira pas sans revirements frquents : les retournements de conjoncture fussent-ils passagers entranent lexpression de ractions plus ou moins fortes de xnophobie auxquelles le gouvernement en place sefforce de rpondre par des mesures au moins apparemment restrictives. Cest la Deuxime Rpublique qui inaugure le cycle. Aprs la crise conomique et sociale de 1848, presse par une bonne partie de lopinion, et soucieuse, de surcrot, dcarter des exils politiques quelle juge encombrants, lAssemble vote une loi, toujours en vigueur, qui permet au ministre de lintrieur, par simple dcret, dexpulser les trangers qui menacent lordre public. Les besoins en travailleurs immigrants nen sont pas moins rels. Ils sont ravivs par lexpansion conomique qui caractrise le Second Empire. La population trangre passe ainsi 655 000 personnes en 1876. Limmigration va dabord tre frontalire, provenant de Belgique surtout, mais aussi dItalie. Le nombre des Belges passe, entre 1851 et 1886, de 128 000 482 000. Ils sont installs essentiellement dans les dpartements du Nord et du Pas-de-Calais et travaillent notamment dans lindustrie textile. Les Italiens, pour leur part, voient leur nombre

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augmenter de 63 000 en 1851 285 000 en 1891. Leur implantation et leurs activits sont plus diversifies. Dabord concentrs dans le sud-est, ils gagnent bientt dautres rgions. Eux ne sorientent pas exclusivement vers lindustrie : un nombre non ngligeable choisit les travaux agricoles. Dj, il est clair que les immigrants, au moins au dpart, sont trs nombreux dans les emplois pnibles, prcaires et les plus mal rmunrs. Cela nest pas de nature favoriser leur popularit parmi les ouvriers franais qui considrent que le recours limmigrant est un moyen de pression la baisse sur les salaires. De fait, employeurs et salaris vont avoir longtemps des approches radicalement contradictoires du problme de limmigration. Les difficults conomiques des annes 80 en auront des consquences dautant plus graves. En 1881 ont lieu Marseille des manifestations xnophobes violentes (connues sous le nom de vpres marseillaises ) qui font trois morts et de nombreux blesss. Dj en 1847-48, les Belges avaient t victimes dagissements de mme inspiration. En 1893, ce sera de nouveau le tour des Italiens, avec la tuerie dAigues-Mortes qui fera au moins huit morts et plusieurs dizaines de blesss graves. Devant ce climat, des dcrets de 1888 et 1893 organiseront la surveillance des trangers et le contrle de leurs mouvements, mais la libert dimmigrer nest pas mise en cause pour autant : la France continue pratiquer une politique trs diffrente de celles qui sont pratiques au Royaume-Uni et en Allemagne o la pression quantitative est pourtant bien moindre. En fait, les gouvernements franais successifs sen tiennent une pratique constante qui consiste laisser faire les employeurs, quitte procder des ajustements en cas de crise. Cest de tels ajustements quil sera procd pour exclure les trangers de certaines professions librales (avocats et mdecins) ou pour contingenter leur emploi dans les entreprises travaillant pour des marchs publics (dcrets Millerand de 1893). Dans le mme esprit, et la mme anne, les trangers sont exclus du droit syndical, de la fonction publique et de laide mdicale gratuite (sauf sil existe un trait de rciprocit). Mais comme il existe bien des occasions de le vrifier, ces priodes de difficults sont aussi une occasion pour les trangers de chercher, en rponse un contexte incertain, conforter leur situation personnelle et familiale par la cration dune petite entreprise, le mariage dun membre de la famille avec une Franaise ou un Franais, ou la naturalisation. Or, prcisment, la loi du 26 juin 1889 qui dfinit les conditions de la nationalit franaise et de la naturalisation a prvu des rgles facilitant lintgration de nombreuses personnes dorigine trangre, les proccupations de dfense nationale ntant pas absentes de cette

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dmarche. La stabilisation est dautant plus facile que limmigration de main-duvre se conjugue avec limmigration de peuplement.On dnomme immigration de main-duvre une immigration provisoire, lie lexistence dune activit. Elle concerne souvent le seul titulaire du poste de travail concern. Limmigration de peuplement, dite encore immigration familiale, a un caractre permanent et dfinitif.

En tout cas, les flots de limmigration ne tarissent pas. La population trangre atteint 1 127 000 personnes en 1911 (soit 3 % de la population totale) : depuis 1876, laugmentation a t de prs dun demimillion de personnes. La progression des Italiens est particulirement spectaculaire : ils sont 419 000 au cours de cette mme anne 1911. En fait, entre 1901 et 1914, ce sont en moyenne 77 000 Italiens qui entrent en France chaque anne.

3 Dune guerre lautre : la France, premier pays dimmigrationLa guerre de 1914-1918 est gnralement considre comme une priode charnire du point de vue de limmigration. De 1915 1918, 440 000 trangers sont recruts sur contrat pour soutenir lconomie de guerre. Mais surtout, limmigration va se diversifier et, avancent mme certains, se mondialiser . Plus de six cent mille hommes, venus de tout lempire colonial, vont en effet se retrouver sur le territoire mtropolitain. Les uns les deux tiers rejoindront les rangs des combattants, les autres remplaceront les Franais mobiliss aux travaux des champs et dans les usines. Un certain nombre de ceux-l resteront. Des courants migratoires auront t ainsi esquisss, des adresses , des points de rencontre, existeront en mtropole et ce ne sera pas sans effet. Mais, aux lendemains de larmistice, de tels effectifs ne sont plus la mesure de lenjeu. En fait, jamais les besoins en main-duvre nont t si importants et si urgents. Alors quune grande partie du pays est reconstruire et lconomie reconstituer, la population active a chut de 10 % : le recensement de 1921 confirmera ainsi que la France a moins dhabitants quen 1911 alors mme quelle a rcupr les dpartements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Cest dans lagriculture que la situation est la pire : les pertes y sont estimes 20 % des actifs. Pour autant, tous les secteurs industriels sont demandeurs et les services ne sont pas en reste. Trs vite, la Chambre des dputs bleu horizon retire lEtat la responsabilit du recrutement quil avait exerce pendant

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la guerre et les responsables conomiques se voient rendre linitiative. Les pouvoirs publics sefforcent nanmoins de faciliter les choses sur le plan international : un article sur limmigration en provenance de Pologne figure dans le Trait de Versailles ; un accord prvoyant les modalits de lentre et de lemploi en France de ses ressortissants est sign avec lItalie le 30 septembre 1919. Il est vrai que pour recruter, les temps sont exceptionnellement favorables. Nombreux sont les pays qui poussent leurs propres ressortissants lmigration pour des raisons conomiques. Or, les Etats Unis, qui ont t longtemps la premire destination des migrants, se ferment progressivement : deux lois instituant des quotas toujours plus restrictifs sont votes en 1921 et 1924. Par ailleurs, lvolution des situations politiques est elle-mme lorigine de flux non ngligeables pour lesquels un droit dasile balbutiant ne peut encore se substituer au vritable droit dentre que constitue le contrat de travail. Les employeurs agissent dabord en ordre dispers, ou par le biais de regroupements professionnels et rgionaux. Mais en 1924 est cre la Socit gnrale dimmigration lie, la fois, aux pouvoirs publics, au comit des Houillres et aux agriculteurs du nord-est, et disposant dun monopole thorique du recrutement. Elle nintroduira pourtant que 35 % des trangers entre 1924 et 1930, les autres venant par leurs propres moyens ou avec laide de futurs employeurs qui cherchent sexonrer du paiement des redevances pratique dautant plus courante que le gouvernement ne manque pas de procder, en masse, aux rgularisations ncessaires (plus de 60 000 pour la seule anne 1930). Du coup, au cours des annes 20, la moyenne annuelle dentres est de lordre de 300 000. Entre 1921 et 1931, on assiste mme un quasi doublement de la population trangre qui stablit dsormais 6,6 % du total. La France est devenue le premier pays dimmigration du monde.

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Les Italiens et les Polonais sont alors les deux principales nationalits. Mais lensemble de lEurope et dautres parties du monde sont galement reprsents :

Italiens Polonais Espagnols Belges Europe mditerranenne Suisses Russes Britanniques Tchques Europe centrale et orientale Turcs Allemands AutresSource : recensement de 1931

808 000 508 000 351 900 253 000 100 000 98 500 71 900 47 400 47 400 44 300 36 100 30 700 175 500

Lors de la grande crise, le choc en retour va tre dautant plus violent. Dj, des accidents de conjoncture avaient t lorigine des habituelles ractions xnophobes. Cela avait t loccasion de prendre conscience de ce que, sauf lexception des protgs par convention, les droits des trangers restaient souvent prcaires. Une carte tait obligatoire ; mais, surtout, ltranger tait toujours expos au non-respect de son contrat par son employeur et la menace dune expulsion. Pourtant, en 1927, une nouvelle loi sur la naturalisation a t vote. Elle est particulirement librale, facilite laccs la nationalit et le maintien dans celle-ci. Les procdures sont simplifies. La demande peut tre introduite aprs trois ans seulement. Au recensement de 1931, on compte ainsi 360 000 naturaliss. Les effets diffrs, en France, de la crise de 1929 conduisent une remise en cause de la prsence trangre. La nouvelle politique va se traduire par des mesures dune brutalit extrme. La loi du 10 aot 1932 sur le contingentement des trangers est vote lunanimit : il est dsormais possible de refuser le sjour dun tranger sur des critres arbitraires et de lexpulser sans possibilits de recours. De nombreux dcrets dapplication sont pris tout au long des annes suivantes, multipliant les restrictions en matire de dlivrance des cartes de sjour, imposant une autorisation prfectorale pour passer dun dpartement lautre Les trangers sont exclus du barreau pendant dix ans ; sous la pression des commerants et des artisans, on substitue un systme de

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cartes lancienne libert dinstallation ; les mdecins et dentistes trangers qui ne sont pas titulaires dun diplme franais sont frapps dinterdit. Une loi du 19 juillet 1934 ira mme jusqu limiter les capacits juridiques des naturaliss rcents. Les refoulements, les reconduites la frontire, se multiplient. Entre 1931 et 1936, le nombre douvriers trangers va chuter de 37 %. Sagissant des seuls Polonais, il y a entre 1931 et 1936, daprs les statistiques du ministre du travail, 129 819 rapatriements. Sous le premier gouvernement du Front Populaire, on observe une pause des mesures restrictives. Mais on ne mettra pas pour autant en chantier la loi portant statut des trangers dont le principe avait t annonc. Si le gouvernement Chautemps cherche bien concilier des mesures favorables aux trangers et la protection du march national du travail, en revanche le gouvernement Daladier renoue avec les errements antrieurs : deux trains de dcrets-lois (mai et novembre 1938), inspirs par le souci dassurer la scurit de lEtat, sont pris contre les trangers, tout en prenant la prcaution de distinguer entre la partie saine et laborieuse de la population trangre et les individus moralement douteux, indignes de notre hospitalit . Des camps de concentration sont mme crs pour ceux des trangers jugs indsirables quon ne peut renvoyer dans leur pays. Lanne 1939 va pourtant voir un grand afflux dtrangers. Ce sera le dernier. Il na t ni prvu ni dsir et on a longtemps hsit avant de sy rsigner. Mais en janvier, la dfaite des Rpublicains espagnols est consomme et le gouvernement cde lexigence du droit dasile permettant quelque 500 000 Espagnols de pntrer sur le territoire national. Tandis que les familles sont disperses sur celui-ci, les combattants sont dirigs vers des camps de concentration. On ngociera des retours en 1940, mais 200 000 Espagnols resteront en France, pour des raisons essentiellement politiques. Cest tout le paradoxe de lentredeux guerres : malgr toutes les mesures prises leur encontre, les trangers sont plus nombreux et gnralement dcids pouser la cause de leur pays daccueil. LEtat Franais se met bientt en place Vichy. Le prsent rapport ne traite pas de la situation des immigrants et des populations issues de limmigration durant cette priode.

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B Le tournant de 1945Ds la Libration et la rinstallation du gouvernement Paris, un contexte radicalement nouveau se trouve cr pour les trangers : lenvironnement idologique suscit par le Conseil national de la Rsistance, leur est plus spontanment favorable ; par ailleurs, nombre dtrangers ont particip la Rsistance et aux combats de la Libration et si lon excepte, provisoirement, le cas particulier des Italiens une part non ngligeable de lopinion publique sestime dbitrice leur gard. Les proccupations politiques et les proccupations conomiques convergent. Les ncessits de la nouvelle reconstruction sont l : La France manque de bras a expliqu le chef du gouvernement provisoire, qui en a conclu, dans un discours du 3 mars 1945, la ncessit dintroduire au cours des prochaines annes, avec mthode et intelligence, de bons lments dintgration dans la collectivit franaise . Les estimations des besoins sont disparates : elles varient de un sept. On arbitre finalement au minimum, soit pour lentre dun million et demi dimmigrants sur cinq ans. En tout cas, le principe est pos que lEtat doit dsormais avoir la matrise dune politique globale de limmigration et quon ne saurait laisser au secteur priv les marges de manuvre dont il a pu bnficier jusquici. Deux organismes, nouvellement crs, vont, avec les ministres du travail et de lintrieur, participer activement la traduction lgislative de ces intentions : le Haut comit de la population et de la famille et le secrtariat gnral la famille et la population. La discussion aboutira deux ordonnances qui constituent, jusqu aujourdhui, le socle de la lgislation sur limmigration et la nationalit sous rserve des nombreuses modifications, souvent contradictoires, qui leur seront apportes au gr de lvolution du contexte politique et des ralits de limmigration. On considre gnralement que, de manire trs raliste, les ordonnances tiraient les consquences des exigences de peuplement et tendaient favoriser une immigration familiale. Dautant que ces ordonnances doivent tre rapproches de celles qui seront publies sur la scurit sociale, qui sous rserve de quelques restrictions sur les allocations familiales garantissent la protection sociale tout tranger en situation rgulire.

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1 Les ordonnances de 1945 a) Lordonnance du 19 octobre 1945 dfinissant les conditions daccs la nationalit franaiseOn y retrouve les principes antrieurs au rgime de Vichy : le droit du sol sur fond de droit du sang. Il ny a plus de rfrence la dnaturalisation ; il y a, sagissant des conjoints de Franais, galit entre les hommes et les femmes ; enfin, la naturalisation intervient sur simple dclaration. En revanche, les autres conditions peuvent paratre en retrait par rapport la loi de 1927. Cinq ans de sjour sont dsormais ncessaires, encore que les pres de trois enfants mineurs ou ceux qui staient engags en soient dispenss.

b) Lordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions dentre et de sjourLordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions dentre et de sjour des trangers en France constitue la base du droit de limmigration. Conue dans une priode dconomie dirige, elle en a fix les rgles tout en crant lOffice national dimmigration (ONI). Larticle 5 prcise que ltranger doit possder dabord les documents et visas exigs par les rglements en vigueur, ensuite un contrat de travail vis par le ministre charg du travail et une autorisation sil dsire exercer une activit salarie, enfin, un certificat mdical. Sagissant de ltranger venu en France pour y exercer une activit professionnelle , la principale innovation tient la dissociation entre la carte de sjour et la carte de travail, mesure qui a pour objet dviter, en cas de retournement de la conjoncture, des refoulements du type de ceux des annes 30. Est dfinie par ailleurs une progression de un dix ans des titres de sjour qui seront au nombre de trois : - temporaire (un an) ; - rsident ordinaire (un trois ans) ; - rsident privilgi, avec carte de dix ans, renouvelable automatiquement et donnant les mmes droits au travail quaux nationaux. Dans lesprit du lgislateur, cest cette situation qui devra tre la plus rpandue. En revanche, la loi de contingentement de 1932 nest pas abolie puisque ltranger ne peut exercer une activit professionnelle salarie

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sans y avoir t pralablement autoris par le ministre charg du travail () . Cette autorisation prcise notamment la profession et la zone dans laquelle ltranger peut exercer son activit (article 7). Toutefois, les titulaires de la carte de rsident privilgi quon entend favoriser chappent cette contrainte. Cest de ce texte que dcoule la rpartition des comptences entre le ministre de lintrieur et les prfectures pour le droit au sjour, le ministre du travail et ses services territoriaux (les directions dpartementales), alors trs indpendants des prfets, pour le droit au travail, enfin lONI, tablissement public plac auprs du ministre du travail pour assurer le recrutement et lintroduction des immigrants, quelle que soit leur activit professionnelle ou leur qualit (article 29), et disposant du monopole du recrutement (article 30). Ce texte a t profondment remani de nombreuses reprises, notamment partir de 1980. Il ne reste que quelques lignes de la version initiale.La prsentation actuelle de lordonnance du 2 novembre 1945 Le texte actuel qui comporte quarante articles (dont certains sont trs dvelopps) se prsente avec le plan suivant : - un article prliminaire sur le rapport annuel que doit prsenter le gouvernement au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique de limmigration (2003) ; - le chapitre premier sur les dispositions gnrales concernant lentre et le sjour des trangers en France : seul cet article est repris par les lois successives qui seront examines ci-aprs ; les articles datent de 1980, 1981, 1986, 1992, 1993, 1998 et 2003 ; - le chapitre deux sur les diffrentes catgories dtrangers selon les titres quils dtiennent (trangers titulaires de la carte de sjour temporaire, trangers titulaires de la carte de rsident, refus de dlivrance ou de renouvellement dun titre de sjour) : les textes datent des lois de 1984, 1986, 1989, 1997 et essentiellement des deux dernires 1998 et 2003 ; - le chapitre trois relatif aux pnalits sappuie essentiellement sur le dernier texte de 2003, mais aussi sur celui du 18 mars 2003 (scurit intrieure) ; quelques dispositions relvent encore des rdactions de 1986, 1992 et 1996 ; - le chapitre quatre sur la reconduite la frontire reprend les dispositifs des textes de 1990, 1992, 1993, 1994, 1997 et surtout les deux lois de 2003 ;

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- le chapitre cinq relatif lexpulsion sappuie sur des textes remanis partir de 1981, en 1989, 1991, 1997 et 2003 ; - le chapitre cinq bis pour les dispositions communes la reconduite la frontire et lexpulsion fait appel logiquement aux textes prcits : 1991, 1993, 1998, 2003 ; - le chapitre six sur le regroupement familial date de 1993 mais la plupart de ses dispositions ont t revues en 1998 et 2003 ; - le chapitre sept sur les demandeurs dasile et les bnficiaires de la protection temporaire sappuie essentiellement sur les lois de 1998 et 2003 ; - le chapitre huit traite de dispositions diverses : les relations avec les trangers non communautaires, la nationalit et la rtention, avec notamment un nouvel article 35 bis particulirement complet ; les formalits de retour sont traites au 35 ter et les zones dattente aux 35 quater nonies (1994 et 2003) ; un article 36 bis traite de la NouvelleCaldonie (ordonnance de 2002) ; - le chapitre neuf contient des dispositions transitoires sur lentre en vigueur et sur la Guyane, issues de la loi de 2003.

2 La cration de lOffice national dimmigrationLOffice national dimmigration (ONI) a t cr par les articles 29 et 30 de lordonnance du 2 novembre 1945. Ces dispositions ont t insres dans le code du travail aux articles L. 341-9 et L. 341-10. LONI, dans lesprit de ses crateurs, devait prendre le relais de la Socit gnrale dimmigration davant-guerre et, surtout, mettre en uvre un principe nouveau : lEtat se reconnaissait dsormais le monopole de lintroduction de la main-duvre trangre dans le pays. Le statut de lONI a t tabli par les dcrets des 26 mars 1946 et 20 novembre 1948 et figure dans le code du travail aux articles R. 341-9 R. 341-35. Les missions de lOffice taient essentiellement relatives lemploi des trangers, avec le monopole du recrutement et de lintroduction des travailleurs trangers, et la perception, ce titre, de contributions. Cest lui quil revenait de distribuer les contrats, de procder lacheminement des migrants et leur contrle sanitaire. Ce sont ces activits de service public qui fondent lexistence et la comptence de lONI.

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A lorigine, lONI relve du ministre du travail auquel vont se joindre, bientt, dautres tuteurs : lintrieur et lagriculture. Son statut juridique tait alors celui dun tablissement public administratif ; pourtant, un dcret du 1er juin 1950 classe lOffice parmi les entreprises publiques . Par ailleurs, trois dcrets successifs du 9 aot et du 10 dcembre 1953, puis du 22 juin 1960 prescrivent curiosit administrative que ltablissement sera gr comme un tablissement public industriel et commercial (EPIC) caractre administratif Les dbuts de lONI sont difficiles. Les employeurs ntaient plus accoutums des formalits administratives. Ils vont avoir dautant plus tendance saffranchir des nouvelles rgles et recourir (en particulier dans les annes 1946 et 1947) des circuits clandestins que les flux officiels dimmigration vont tre dans limmdiat aprs-guerre trs infrieurs ce que lon escomptait. Les premiers bureaux de recrutement de lONI sont installs en Espagne et en Italie qui taient jusque-l des fournisseurs attitrs de main-duvre. Mais pas plus quen Allemagne ou en Hollande, les recrutements ny sont aiss du fait de la concurrence nouvelle exerce par le Royaume Uni, la Belgique et lAllemagne. De mme, les accords Croizat passs avec lItalie se rvlent trs dcevants : on attendait dans les deux annes suivantes 300 000 immigrants, ils seront peine 100 000. Presss par le besoin, les employeurs prennent ainsi lhabitude de recourir la main-duvre en provenance dAlgrie.

C Limmigration de 1945 1974Compte tenu du contexte, la relance de limmigration aprs 1945 est dabord timide. Les arrivants en provenance dEurope sont principalement des Italiens : entre 1945 et 1949, ils reprsentent 67 % du total. Les besoins sont donc couverts par le recours, bientt massif, aux Franais musulmans dAlgrie.

1 Le problme particulier des Franais musulmans dAlgrieOn peut dire quaprs-guerre, les grandes phases de lhistoire de limmigration sarticulent largement autour de ce quon dnommera, par avance, limmigration algrienne, mme si le terme est inappropri jusquen juillet 1962. Cest le traitement social des Franais musulmans dAlgrie qui sera lorigine des actions de soutien lensemble des populations issues de limmigration. Lapparition des mouvements de population en provenance dAlgrie est la consquence, non voulue, des circonstances historiques.

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Si les autres immigrations dorigine maghrbine (Maroc et Tunisie) sont plus tardives, la prsence algrienne remonte loin : les musulmans dAlgrie sont une bonne partie des 86 000 travailleurs maghrbins recenss en 1931. Un grand nombre repartira au pays. Nanmoins, daprs le recensement de 1946, il y aurait eu encore 20 000 musulmans dAlgrie sur le territoire mtropolitain. Et dj on observe des regroupements dans certains quartiers : la Goutte dOr Paris ou Belsunce Marseille. Le fait gnrateur des grands mouvements qui sannoncent, cest le nouveau statut reconnu aux musulmans dAlgrie en 1947. Il a une consquence immdiate : les intresss bnficient du droit de libre circulation entre le territoire algrien et la mtropole. Pour les intresss, la perspective du dpart est dautant plus facile envisager que la situation tant dmographique quconomique est tendue sur le territoire algrien. Pour les employeurs franais, laubaine est encore plus vidente. Ils peuvent compenser les difficults de recrutement constates en Europe. De surcrot, ils peuvent, en toute lgalit, saffranchir des rgles et des contrles de lONI. Il sagit en outre dune main-duvre aisment disponible et relativement moins exigeante que celle laquelle ils sont habitus. LEtat et pu sinquiter du volume prvisible des arrives. Mais, en fait, il apparat trs vite quil sagit de mouvements concernant des hommes seuls qui viennent pour des sjours provisoires. Est en effet mis en uvre trs spontanment le systme dit de la noria : les hommes viennent, repartent, se remplacent continuellement. Un lien est ainsi maintenu avec la famille qui reoit des fonds ce qui a pour effet dattnuer la pauvret et les risques de tension sociale sur place. Tous les partenaires tirent donc profit de la situation. Les hommes concerns sont au dpart principalement issus de Kabylie, mais sont bientt rejoints par des originaires de lOranais, du Constantinois et du Sud5. Les chiffres donnent la mesure de lampleur du phnomne et illustrent ses caractristiques trs marques. Les statistiques des services de limmigration dnombrent, entre 1947 et 1953, 740 000 arrives en mtropole et 561 000 retours en Algrie, soit un solde de 179 000. Pendant cette priode, les Franais musulmans dAlgrie sont le flux migratoire majoritaire. Paralllement, le nombre de familles musulmanes nest, en 1952, que de 3 400, selon les chiffres du ministre de la sant. Le5) Selon les sociologues, les comportements vont bientt voluer, lmigration devenant progressivement une entreprise individuelle dpouille de son objectif initialement collectif (Abdelmalek Sayad, La double absence ; Seuil 1999).

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dclenchement de la guerre dAlgrie, en novembre 1954, va branler cet ordonnancement. Il change le contexte psychologique : progressivement, pour une partie de lopinion, tout Franais musulman dAlgrie va apparatre comme un suspect, un danger potentiel. Surtout, il entrane des modifications dans le comportement de la population concerne. Le conflit, les regroupements de population, sont lorigine de difficults conomiques srieuses pour un grand nombre de familles algriennes. Par ailleurs, le climat dinscurit pousse nombre dhommes quitter le thtre du conflit et fait nouveau emmener leur famille. La comparaison des rsultats des recensements qui encadrent les annes de guerre est particulirement significative. On comptait, en 1954, sur le territoire mtropolitain, 211 675 Franais musulmans dAlgrie. On en dnombre 350 484 en 1962 et encore estime-t-on ce chiffre sousvalu en raison des difficults quont les intresss, dans une priode complexe, se dfinir ainsi. En tout cas, le ministre de lintrieur, la mme poque, livre le chiffre de 436 000 et il est gnralement admis que le nombre dAlgriens en France a doubl pendant la priode de la guerre. Face ces volutions, lattitude des pouvoirs publics est ambigu. Le changement de nature du flux migratoire concern va lencontre de ce qui tait recherch ou tolr, et les risques entrans ne sont pas ngligs. On se donne donc les moyens de contrler troitement une population que ladversaire de lpoque ne va pas manquer de chercher mobiliser et utiliser. Mais lenjeu justifie aussi cela na rien de contradictoire que lon prenne des mesures sociales spcifiques en direction des populations concernes, lesquelles sintgrent dans les ides de dveloppement conomique et social de lAlgrie qui ont alors cours.

2 La cration de la SONACOTRAL et du FASCest la double volont dassister et de contrler cette immigration en provenance dAlgrie qui est lorigine de lmergence dune politique de soutien certains migrants et, plus prcisment, de la cration de la SONACOTRAL et du FAS. Jusquici, la situation des autres immigrants na pas paru justifier de telles initiatives. Il est intressant de constater, cet gard, que la brochure officielle publie en octobre 1956 loccasion du cinquantime anniversaire du ministre du travail prsentant ce que ces cinquante annes ont apport en progrs librateurs est fort prolixe, lorsquelle voque limmigration, sur les conditions dentre et dactivit des salaris trangers mais quelle ne consacre que quelques lignes au fait que le ministre na pas perdu de vue que de nombreux problmes se posent aux travailleurs trangers

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vivant en France . Mais la seule rponse voque est la large place (faite par lui) laction sociale en apportant toute son aide et en subventionnant le service social daide aux migrants (SSAE), organisme cr en 1921 et reconnu dutilit publique . Ce sont les Franais musulmans dAlgrie, et eux seuls, qui sont lorigine des prmices de ce qui sera un jour la politique daccueil et dintgration. Ces prmices sont la cration de deux organismes qui perdurent aujourdhui aprs avoir connu des mutations significatives : la SONACOTRAL et le FAS.

a) La cration de la SONACOTRALCest en aot 1956 quest cre la Socit nationale des constructions pour les travailleurs algriens (SONACOTRAL) qui deviendra plus tard la SONACOTRA et qui revt la forme dune socit dconomie mixte. Son objet est le financement, la construction, lamnagement de locaux dhabitation destins aux Franais musulmans originaires dAlgrie venus travailler en mtropole et leurs familles . Les actionnaires principaux de la SONACOTRAL taient lEtat (52 %), le gouvernement gnral de lAlgrie, la Caisse des dpts et consignations, le Crdit foncier de France, la Fdration nationale du btiment et la Socit anonyme immobilire de la Rgie nationale des usines Renault. Un objectif prcis lui tait fix : assurer une catgorie particulire de Franais un logement dcent, sous forme de cits familiales et de foyers-htels destins hberger les travailleurs isols ; fournir en mme temps diverses prestations et les quipements ncessaires leur vie quotidienne. Cette mission sinsrait dans une politique densemble concernant lAlgrie. De fait, pour un public compos essentiellement de clibataires, effectuant gnralement un sjour limit dans le temps, on sapprte dvelopper un habitat quon estime adapt : les foyers-htels.

b) La cration du FASCest dans le cadre du Plan de Constantine de valorisation de lensemble des ressources de lAlgrie, en plein cur du conflit algrien, quil est cr destination des Franais musulmans dAlgrie appels travailler en mtropole. Le Fonds daction sociale pour les travailleurs musulmans dAlgrie en mtropole et pour leur famille (FAS) prend la forme dun tablissement public administratif en vertu de lordonnance

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du 29 dcembre 1958. Lobjet de ltablissement, plac sous la tutelle du ministre des affaires sociales, tait alors de promouvoir une action sociale familiale en faveur des salaris travaillant en France mtropolitaine dans les professions vises par le rgime algrien dallocations familiales, et dont les enfants rsident en Afrique . Le FAS, qui deviendra ultrieurement le FASTIF puis lactuel FASILD, est assez logiquement financ lorigine par des prlvements sur les cotisations verses par les employeurs et les salaris au titre des allocations familiales. Les rgimes de prestations familiales lui attribuent une contribution fonde sur le fait que les familles restes dans le pays dorigine peroivent, des caisses franaises, les prestations prvues par la lgislation de ce pays, gnralement moins favorable quen France. Il rpartit son intervention de part et dautre de la Mditerrane raison dun tiers en mtropole et de deux tiers en Algrie, aux termes dun arbitrage du Premier ministre de mars 1959. Comme la Cour la not dans son rapport public pour 1963, il avait paru en effet opportun de faire un effort particulier pour dvelopper et hter les ralisations sociales caractre familial entreprises en Afrique et en mtropole . Le principe mme de la cration du FAS a pourtant t contest par la Cour dans ce mme rapport : () Il est permis de penser quen lespce, la cration dun nouvel tablissement public ntait pas ncessaire. () Le nouveau fonds aurait donc pu fonctionner dans le cadre de la Caisse nationale (de Scurit sociale) elle-mme, sauf constituer cette fin un comit de gestion particulier, conformment dailleurs aux dispositions de larticle L. 53 du code de la scurit sociale. En confiant ltablissement public national une tche supplmentaire qui entrait bien, semble-t-il, dans sa vocation, on aurait vit un dmembrement regrettable. La Cour jugea compliqu le mode de financement retenu par le dcret du 23 avril 1959, notant que, par rapport au montant des prestations payes en Afrique aux familles intresses , les ressources cumules affectes au FAS ont reprsent 88,75 % en 1959, 98,75 % en 1960, 83,75 % en 1961 et 1962 . Au moment o les pouvoirs publics sapprtaient dvelopper laction sociale et familiale au profit de lensemble des travailleurs trangers, la Cour a donc mis le vu que soient tires de cette exprience les conclusions utiles . Or, comme il a dj t dit, la Caisse nationale de scurit sociale, qui joue un rle important en matire daction sociale et sanitaire,

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soit par ses ralisations propres, soit par ses participations, serait particulirement qualifie pour mener bien la tche impartie au FAS. Ce dernier pourrait sans inconvnient tre absorb par la Caisse nationale (). Le ministre du travail devait rejeter la suggestion : Il nappartient pas au ministre du travail de porter un jugement de valeur sur loption ainsi prise par le lgislateur. Celui-ci a considr que seul un tablissement indpendant tait mme de poursuivre lun des aspects sociaux de la politique de main-duvre quimposait le Vme Plan dquipement et de modernisation. Au surplus, la substitution de la Caisse nationale de scurit sociale au fonds daction sociale pour les travailleurs trangers aurait prsent de grandes difficults juridiques et psychologiques, la Caisse nationale ntant comptente quen ce qui concerne le rgime gnral de scurit sociale, alors que les travailleurs trangers sont rpartis entre les diffrents rgimes chargs du service des allocations familiales. Mais surtout, le ministre du travail devait, dans sa rponse, donner les raisons officielles de lextension de la comptence du FAS. Celle-ci, expliquait-il, rpond des proccupations qui sont la fois dordre social, dordre conomique et dordre budgtaire. La situation dramatique dans laquelle se trouvent lheure actuelle trop de travailleurs trangers ne peut rester sans solution. Dautre part, lapport de mainduvre que constituent ces travailleurs est une ncessit pour lconomie nationale. Enfin, le gouvernement ne peut pas dgager, sur les ressources budgtaires normales, les crdits ncessaires une action dune certaine envergure dans ce domaine. Cest pourquoi, tendant le procd qui avait t utilis en 1959 au profit des travailleurs musulmans, il a prvu laffectation, cette uvre, de diverses ressources dont les principales proviennent des organismes et services chargs des allocations familiales .

3 Le virage des annes 60En 1956, le climat de relance conomique rend imprative une forte augmentation du recours limmigration. On entend ne pas se contenter de lapport algrien dont le volume commence dailleurs inquiter. Les grandes entreprises commencent recruter sur grande chelle au Maroc et, surtout, on se donne les moyens de relancer limmigration europenne. Entre 1956 et 1961, le solde migratoire va stablir 1 100 000 personnes, soit environ 180 000 entrants par an en moyenne. Les besoins sont tels que les employeurs et leurs futurs salaris rsistent mal la

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tentation de ne pas respecter les procdures : des dizaines de milliers de rgularisations seront ainsi opres par lONI. Il faudra attendre quelques annes pour que des accords-cadres soient passs avec lEspagne (1961), le Portugal (1963), la Yougoslavie et la Turquie (1965). Les flux sont dabord dominante italienne. Les Italiens taient dj les trangers les plus nombreux en 1954 ; ils le sont encore en 1962 ; leur nombre est pass de 507 682 628 956. Tour tour, Espagnols et Portugais prendront la relve. Les premiers seront 618 200 au recensement de 1968, soit 23,2 % de la population trangre totale. La part des rfugis de 1939 a fortement dclin au profit dimmigrants conomiques en provenance notamment de Castille, dAndalousie et de Galice. Mais les annes 60 et le dbut des annes 70 se seront surtout caractrises par une confirmation des flux en provenance dAlgrie et une monte de limmigration en provenance des anciennes colonies africaines. Ce sont ces flux qui vont se prenniser et peser le plus sur lavenir puisque lItalie va assurer son dveloppement conomique, avant que lEspagne et le Portugal fassent de mme, se donnent un rgime dmocratique et adhrent la Communaut europenne. On a pourtant sembl croire que laccession de lAlgrie lindpendance interromprait les flux migratoires qui en provenaient. Et il apparat bien quon ne pensait quaux Franais dAlgrie non musulmans en prvoyant, dans les Accords dEvian, la libert de circulation entre les deux pays. Il ne faudra pas longtemps pour prendre la mesure de lerreur dapprciation ainsi commise. Non seulement les Franais non musulmans rentrent massivement dans lex-mtropole mais, qui plus est, ce quon peut dsormais lgitimement dsigner comme limmigration algrienne reprend de plus belle. Entre le 1er septembre et le 11 novembre 1962, 91 744 entres dAlgriens sont comptabilises dans les ports et les aroports franais. LAlgrie de lpoque nest susceptible ni dorganiser le retour de ses migrs ni dviter de nouveaux dparts. Au cours des annes suivantes, les gouvernements franais et algrien vont du moins essayer, ensemble, de rguler les flux. Un accord est pass le 9 janvier 1964 (dit Accord Grandval-Nekkache ) pour fixer les arrives de travailleurs algriens en France en fonction des disponibilits de main-duvre de lAlgrie et en fonction des possibilits du march franais de lemploi . LAlgrie est charge de contrler, au dpart, le contingentement qui est fix 35 000 par an. Un autre accord, en date du 27 dcembre 1968, va encore plus loin : il limite la libert de circulation pourtant pose en principe par les Accords dEvian.

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De mme, la dcision franaise de suspendre toute immigration en juillet 1974 sera prcde, de quelques mois, par la dcision algrienne de suspendre lmigration vers la France en septembre 1973. Il nen demeure pas moins quau recensement de 1975, le nombre des Algriens ressort 710 000 ce qui en fait la deuxime nationalit reprsente en France. Le groupe se caractrise par limportance relative des actifs, 467 500, soit les deux tiers de la population totale (concentrs notamment dans le btiment et les industries de transformation) : cest quen dpit de la forte progression des familles, les hommes vivant seuls restent de loin les plus nombreux. Le mme recensement indique que sans atteindre le niveau de la population algrienne, limmigration des autres pays du Maghreb a ellemme beaucoup progress. Limmigration marocaine, pourtant ancienne, triple entre 1968 et 1975, passant de 88 200 260 025. Limmigration tunisienne est moins importante. Elle passe de 4 800 en 1954 139 735 en 1975. Au cours de la mme priode, une immigration en provenance de lAfrique subsaharienne se dclenche et atteint vite des niveaux significatifs. Cest que, toutes choses gales par ailleurs, les anciennes colonies se retrouvent, au lendemain de leur indpendance, devant les mmes dilemmes que lAlgrie. Cest dabord lAfrique subsaharienne qui est concerne et, plus particulirement lethnie Sonink qui est cheval sur trois Etats : le Sngal, le Mali et la Mauritanie. Ds 1975, ses membres sont estims plus de 80 000, concentrs en rgion parisienne et principalement occups dans la voirie et la manutention. Ces chiffres sont loin de ceux relatifs aux Portugais. De 20 000 en 1954, ils sont 758 925 en 1975. Le gouvernement de ce pays est hostile lmigration de sa population. Des dparts ont pourtant lieu ds les annes 50 pour chapper la conscription lie aux guerres coloniales. Bientt, toutes les mesures dissuasives prises se rvlent inoprantes du fait de difficults conomiques structurelles qui se surajoutent laggravation des conflits. Du coup, le Portugal va perdre 20 % de sa population entre 1960 et 1970, la France tant le principal pays de destination. Il sagit dune immigration essentiellement irrgulire, les Portugais arrivant souvent sans passeport. Le Conseil conomique et social a rcemment rappel quen 1969, sur 80 000 entres, 8 000 peine avaient suivi les circuits officiels6. Mais les besoins de lconomie tant ce quils sont (le rythme de la croissance sacclre entre 1965 et 1970), on ne rechigne pas rgulariser. La prfecture de police de Paris ouvre mme en 1965 un6) Conseil conomique et social, Les dfis de limmigration future , avis adopt le 29 octobre 2003 sur le rapport prsent par M. Gevrey.

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bureau spcial, rue de Crime, exclusivement destin organiser la rgularisation des Portugais.

4 Lextension du champ de comptences de la SONACOTRAL et du FASLimmigration, au cours des deux ou trois dcennies qui suivent la Libration, nest ni rgule ni accompagne de la dfinition et de la mise en uvre dune politique de soutien social qui ait fait lobjet dune rflexion pralable approfondie, en dpit de quelques vellits en 1965 qui achoppent sur la question du logement. Il est vrai quon continue de croire ou daffecter de croire que cette immigration nest que temporaire. Cest surtout visible en Allemagne o le modle du Gastarbeiter (travailleur invit ) exclut par dfinition et trs explicitement linstallation durable. Pourtant, les immigrations italienne, espagnole et portugaise ont eu en commun davoir un caractre familial marqu les femmes occupant souvent un emploi : ds 1959, les femmes portugaises reprsentent Paris prs du tiers des personnes travaillant dans le secteur des services rendus aux particuliers. Les conditions de vie des immigrants sont mauvaises. Les conditions dhabitat sont prcaires et on assiste au dveloppement de bidonvilles dans diverses zones de la rgion parisienne. Celui de Champigny compte jusqu 12 000 habitants en 1966, en majorit Portugais. Lopinion publique commence smouvoir. La loi Debr de 19647 organise la rsorption progressive des bidonvilles. Mais pour autant, lextension du champ de comptences de la SONACOTRAL et du FAS apparat moins comme la traduction de la volont de mettre des outils adapts au service dune politique volontariste que comme la prise en compte de la ncessit dadapter les statuts dinstitutions anciennes, qui ont essentiellement grer le poids du pass, aux volutions politiques. Et de fait, ds lors que lAlgrie est devenue indpendante, il nexiste plus de raison particulire de continuer afficher quon lui rserve un statut privilgi.

a) La SONACOTRALLa SONACOTRAL illustre bien labsence dambition de la rforme. La Cour a dj eu loccasion de rappeler qu en 1962, aprs7) Loi n 64-1229 du 14 dcembre 1964 tendant faciliter, aux fins de reconstruction ou damnagement, lexpropriation des terrains sur lesquels sont difis des locaux dhabitation insalubres et irrcuprables communment appels bidonvilles .

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laccession (de lAlgrie) lindpendance, une modification des statuts de la SONACOTRAL, approuve par un dcret en Conseil dEtat du 27 juillet 1963, a tendu lobjet de la Socit au logement de travailleurs franais et trangers, en gnral, de leurs familles et, ventuellement, dtudiants et a adopt le nom actuel de SONACOTRA (Socit nationale de construction de logements pour les travailleurs). Toutefois, lpoque, faute de pouvoir se rfrer une politique dimmigration clairement dfinie, la socit na t en mesure ni dlaborer un programme ni de prciser dventuelles priorits daction. Son volution na pas manqu de se ressentir de cette absence de perspectives 8.

b) Le FASDe 1964 1983, le FAS ne financera que des actions sociales sur les fonds procurs par les allocations familiales, ce qui ne lempche pas de changer deux fois dintitul lorsque sa comptence slargit. La loi du 10 juillet 1964 le transforme en Fonds daction sociale pour les travailleurs trangers . Sa comptence, maintenue au profit des travailleurs devenus algriens, est tendue lensemble des travailleurs trangers venant travailler en France titre permanent, de faon rpondre au souci de prise en charge sociale manifest par les pouvoirs publics lgard des travailleurs en provenance du Maghreb et principalement, en dehors de lAlgrie, des deux autres pays qui avaient t placs sous souverainet franaise jusqu' 1956 (Maroc, Tunisie). Lobjet du FAS porte alors sur laccompagnement de ces travailleurs attirs par une demande importante de main-duvre peu qualifie en France (BTP, manutention industrielle, ouvriers agricoles) ou dans des secteurs conomiques en pleine croissance, pour lesquels sa mission consiste mettre en uvre des programmes annuels daction sanitaire et sociale . Son intitul change encore en vertu de larticle 59 de la loi de finances pour 1967. Il devient le Fonds daction sociale pour les travailleurs migrants . Sa comptence est tendue, dune part, aux travailleurs trangers venant occuper en France un emploi titre temporaire, et dautre part des groupes sociaux posant des problmes dadaptation sociale analogues ceux des travailleurs trangers, quel que soit leur statut du point de vue de la nationalit. Sa mission porte toujours sur la mise en place de programmes daction sanitaire et sociale, mais slargit laccueil, plac en tte de ses champs dintervention.

8) Rapport public de 1974, p. 120.

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D De la suspension de limmigration de mainduvre (1974) la situation aujourdhuiLa France est, en 1974, dans un contexte de crise. Le chmage commence progresser de manire significative. On retrouve les rflexes de 1890 ou des annes 30, dans des circonstances analogues : la rduction de la prsence immigre apparat comme la variable dajustement.

1 La suspension de limmigration de main-duvre et la monte du regroupement familialLe conseil des ministres a dcid le 3 juillet 1974 de ne plus dlivrer dautorisations de travail, suspendant de fait limmigration de main-duvre trangre. Les mots ne sont pas choisis au hasard. On sattend une crise brve et on pense que les mesures de suspension pourront tre leves aprs quelques mois ou quelques annes. Les effets de cette dcision traduite par une circulaire du 5 juillet 1974 sont la fois significatifs et dcevants, comme en tmoigne le tableau ci-aprs :Etrangers entrs en Franceen 1974 Travailleurs Familles Total Demandeurs dasile Total 130 000 75 000 205 000 2 200 207 200 en 1975 30 000 55 000 85 500 18 500 103 500

Limmigration caractre permanent a donc baiss de plus de moiti, mais, dans le mme temps, les demandes dasile ont augment de faon trs significative. Le flux annuel qui se maintient est suprieur 100 000. La monte du nombre des demandeurs dasile est lie laccueil, entre 1975 et 1980, de quelque 100 000 rfugis du sud-est asiatique connus sous le vocable de boat people . Mais, si on excepte la pression des employeurs et les consquences directes daccords prfrentiels passs avec les anciennes colonies de la France, cest la persistance du regroupement familial qui explique ces chiffres. Il est vrai que subsiste alors une rglementation librale du sjour en France des membres de la famille immdiate du travailleur tranger en

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situation rgulire. Les textes ne faisaient dailleurs que consacrer et largir une situation de fait, la France stant dj engage, par la voie daccords bilatraux ou multilatraux, faciliter le regroupement de la famille des trangers autoriss stablir sur le territoire national. Si un certain nombre de conditions taient mises au regroupement, plusieurs pouvaient paratre aller dans le sens dune protection des intresss : des ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de la famille, un logement adapt et un contrle mdical taient ainsi requis, en plus du respect de considrations traditionnelles relatives lordre public ; il ntait pas jusqu la demande de justification dune anne de prsence sur le territoire qui nappart comme la recherche de la garantie de la bonne intgration du postulant (dcret du 29 avril 1976). Pour des raisons dont il tait dit quelles tenaient lvolution ngative de la situation de lemploi, un revirement complet est intervenu : un nouveau dcret, en date du 10 novembre 1977, suspendait pour trois ans lapplication du dcret de 1976, sauf pour les membres de la famille qui renonaient demander laccs au march de lemploi. Mais le Conseil dEtat, saisi dune requte du Groupe dinformation et de soutien des travailleurs immigrs (GISTI) a annul, le 8 dcembre 1978, le dcret au motif quil rsulte des principes gnraux du droit et, notamment, du prambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se rfre la Constitution du 4 octobre 1958, que les trangers rsidant rgulirement en France ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale . Et il prcisait que le gouvernement ne pouvait interdire, par voie de mesure gnrale, loccupation dun emploi par les membres des familles des ressortissants trangers. Le regroupement familial tait ainsi dfinitivement consacr. Il ne restait plus qu lorganiser officiellement. On ne saurait trop insister sur le virage radical que lvnement constitue mme sil napparat pas quon en ait pris, lpoque ou depuis, toute la mesure. Lvolution de lenvironnement juridique international et europen, celle des mentalits et, en particulier, la monte des considrations humanitaires nont fait que confirmer et prenniser les situations cres. Dsormais, les pouvoirs publics ont une possibilit trs restreinte de procder des ajustements de la prsence trangre en fonction du contexte conomique et social comme ce fut le cas, par exemple, dans les annes 1930. Il ne sagit donc plus pour eux que de grer les consquences des dcalages ventuels. Limportance des flux quallait engendrer le regroupement familial avait en effet une triple explication. On pouvait y voir la reproduction de

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phnomnes dj souvent observs par le pass : en priode de restriction des entres, limmigration reste sur place a toujours tendance sorganiser et se stabiliser. Mais, par ailleurs, on peut discerner la confirmation et lamplification dune volution perceptible depuis quelques annes : alors que la dimension conomique avait prvalu jusque-l, les demandes dasile lies la multiplication des conflits et laspiration au regroupement familial changent la nature de limmigration. En ce sens, larrt de limmigration de main-duvre peut apparatre moins comme une dcision que comme un constat. Force est de rappeler, enfin, quen 1974, le nombre de clibataires est lev et quil y a un fort potentiel de croissance de limmigration au travers des regroupements qui vont soprer. Aucune des diverses mesures restrictives qui seront prises ne parviendra infirmer la tendance. Laide au retour de 10 000 F institue en 1976 sera un chec. On ne donnera pas suite aux programmes de retours autoritaires (500 000 taient prvus en quatre ans). Quant lextension par la loi du 10 janvier 1980 de la procdure dexpulsion des trangers en sjour irrgulier, elle naura pas les rsultats escompts. Il est vrai que des besoins continuent sexprimer dans diverses activits dont les emplois prsentent peu dattrait pour les Franais et que des drogations sont accordes : ainsi, les Houillres, qui doivent relancer leur activit pour participer la politique de diversification des sources dnergie, sont autorises recruter des mineurs au Maroc pendant plusieurs annes. Ces arrives sajoutent celles que continuent autoriser les exceptions prvues pour certaines anciennes colonies africaines.

2 De 1974 aujourdhuiLa priode qui souvre aprs la dcision de 1974 est marque par la politisation extrme du dossier de limmigration. Deux politiques, thoriquement contradictoires, principalement centres sur les conditions dentre et de sjour, vont alterner mais leurs convergences vont tre de plus en plus manifestes. En fait, les principales novations tiennent : - la transformation radicale et quasi totale dune immigration de main-duvre en une immigration de peuplement : cest la fin du mythe du retour, mme si on laisse subsister parfois des ambiguts ; - la prise de conscience chaotique de cette transformation et de la ncessit den tirer les consquences. Les grands axes dune politique paraissent se dgager et simposer, de manire progressive et empirique.

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a) Des politiques thoriquement contradictoiresLe dbat politique est trs vif tout au long des annes 80 et 90 ; il tourne autour de la matrise des flux et, surtout, des immigrants en situation irrgulire. Ds le dbut des annes 80, il apparat que les politiques conduites rpondent des principes qui sont voisins. Nul ne conteste larrt de limmigration conomique et, par voie de consquence, la ncessit de lutter contre limmigration irrgulire. De mme, on nobserve, malgr les changements de majorit, aucune solution de continuit qui leur serait lie dans laction des services et institutions qui ont en charge le soutien social aux immigrants. Enfin, la tendance pratiquer une politique trs active de naturalisations nest jamais dmentie. Certes, il est fait beaucoup de bruit autour de certaines mesures emblmatiques. On abandonne laide au retour en 1981 mais elle navait jamais donn de rsultats significatifs et, dailleurs, on la rtablit en 1983 sous un autre nom et on reprend les expulsions elles nont vraiment rien de comparable avec lampleur et la brutalit de celles des annes 30. De mme, la loi du 9 septembre 1986 instaure lobligation du visa pour les trangers hors CEE et la loi du 24 aot 1993 restreint les possibilits daccs la carte de sjour mais ni lun ni lautre de ces textes ne sera abrog par le gouvernement suivant. En fait, cest le sort des trangers en situation irrgulire qui va constituer longtemps la principale ligne de clivage. Deux grandes oprations de surcrot trs spectaculaires sont lances en 19819 et 1997-98. La premire dbouche sur 131 000 rgularisations. Les critres taient particulirement libraux : quelques mois de sjour (entre avant le 1er janvier 1981) et la preuve (ou la promesse) dun emploi. La deuxime porte sur prs de 80 000 personnes sans quon envisage lexpulsion des non rgulariss. Surtout, la loi RESEDA10 rend possible la rvision permanente des dossiers individuels possibilit laquelle le gouvernement suivant ne manquera pas de recourir.

9) Le principe de la rgularisation est retenu par le conseil des ministres du 23 juillet 1981. Ses modalits sont dfinies par la circulaire du 11 aot 1981 (complte le 22 octobre 1981) relative la rgularisation de la situation de certains trangers. 10) Loi n 98-349 du 11 mai 1998 relative lentre et au sjour des trangers en France et au droit dasile.

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b) La fin du mythe du retourAu cours des trente dernires annes, dimportants changements sont intervenus dans lorigine des flux migratoires. Depuis 1975, la part des ressortissants dorigine europenne est en baisse constante. La composition de limmigration non europenne a connu elle-mme une volution marque. Dabord essentiellement maghrbine 60 % des Algriens en France sont ainsi arrivs entre 1962 et 1975 elle sest depuis diversifie. Limmigration dAfrique subsaharienne apparat comme la plus rcente : 80 % des entres correspondantes se sont produites entre 1975 et 1990. En 1999, daprs lINSEE, la population immigre se rpartissait en trois grandes catgories : - les originaires de lUE taient 1,6 million, soit une baisse de 10 % depuis dix ans ; on peut leur ajouter 400 000 autres personnes originaires des pays europens ; - les Maghrbins sont 1,3 million, soit une hausse de 6 % au cours des dix dernires annes, due, pour les trois quarts, aux arrives de Marocains ; - les personnes venant du reste du monde sont 1,1 million, soit 20 % de plus en dix ans. Sur ce total, 400 000 immigrants sont originaires dun pays dAfrique subsaharienne, soit une hausse de 43 % par rapport 1990. Pour prendre la mesure de lampleur du phnomne, il faut savoir que, daprs les estimations officielles, depuis 1997, 100 000 150 000 trangers sont entrs chaque anne en France, de faon lgale, avec lintention de sy installer11. Il napparat pas, pourtant, que toutes les consquences aient t tires des volutions constates au cours des dernires dcennies. On ne distingue de lignes de force dune politique de limmigration que dans les annes 50 et 60 o elle prenait principalement la forme dun recrutement systmatique de travailleurs maghrbins. A lpoque, proccupations politiques et exigences industrielles convergeaient : la politique dimmigration consistait en lorganisation de la satisfaction dun besoin. Ce besoin tant exprim par les entreprises, on leur demandait trs naturellement de financer directement ou indirectement les actions mises en uvre en consquence, quil sagt de laccueil stricto sensu ou du sjour pour ce qui concernait le logement notamment.11) Source : DPM, M. Lebon Immigration et prsence trangre en France .

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Le vrai changement et il est capital provient du renv