Insurrection 1871

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HISTOIRE HISTOIRE DE DE L’INSURRECTION L’INSURRECTION DE 1871 DE 1871 EN ALGÉRIE EN ALGÉRIE PAR LOUIS RINN CONSEILLER DE GOUVERNEMENT VICE-PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE D’ALGER ANCIEN CHEF DU SERVICE CENTRAL DES AFFAIRES INDIGÈNES AVEC DEUX CARTES ALGER LIBRAIRIE ADOLPHE JOURDAN IMPRIMEUR—LIBRAIRE—ÉDITEUR 4, PLACE DU GOUVERNEMENT, 4 1891

Transcript of Insurrection 1871

HISTOIREDE

LINSURRECTIONDE 1871

EN ALGRIEPAR

LOUIS RINNCONSEILLER DE GOUVERNEMENT VICE-PRSIDENT DE LA SOCIT HISTORIQUE DALGER ANCIEN CHEF DU SERVICE CENTRAL DES AFFAIRES INDIGNES

AVEC DEUX CARTES

ALGER LIBRAIRIE ADOLPHE JOURDANIMPRIMEURLIBRAIREDITEUR 4, PLACE DU GOUVERNEMENT, 4

1891

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PRFACE

Linsurrection de 1871, en Algrie, na t ni la rvolte de lopprim contre loppresseur, ni la revendication dune nationalit, ni une guerre de religion, ni une guerre de race; elle na t que le soulvement politique de quelques nobles mcontents et dun sceptique ambitieux que le hasard de sa naissance avait rendu le chef effectif dune grande congrgation religieuse musulmane. Les indignes appellent aujourdhui cette anne 1871 : lanne de Moqrani, et lhistoire, un jour, racontant les vnements de cette poque, dira : linsurrection de Moqrani. Ce fut, en effet, le bachagha El-hadj-Mohammed-ben-el-hadjAhmed-el-Moqrani qui seul dchana cette lutte formidable. Ce fut lui qui entrana les populations soumises linuence plusieurs fois sculaire de sa famille, et aussi celles, plus nombreuses encore, subissant alors laction politique et religieuse des khouans Rahmanya dont il avait sollicit lalliance et obtenu le concours en attant les vises ambitieuses dAziz-ben-chikh-el-Haddad, le ls du grand matre de lordre. Les nobles de la Medjana et les seigneurs religieux de Seddouq ne combattirent que pour la conservation de privilges, dimmunits et dabus qui pesaient lourdement sur les pauvres et les humbles enrls sous leurs bannires. Ceux-ci, Arabes ou Qbals, comme jadis les paysans vendens ou bretons, se rent tuer et ruiner pour une cause qui ntait pas la leur. De cette lutte, que des reprsentants dun autre ge dirigeaient contre le droit moderne, la colonisation et la civilisation franaises

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sont sorties triomphantes, et, avec elles, la masse des vaincus, malgr un crasement terrible, bncie aujourdhui de notre victoire. Les faits qui se rattachent ce soulvement ont t jusquici mal connus et mal apprcis, car leurs causes, leur nature, comme aussi leur connexit, ont chapp plus ou moins ceux-l mmes qui ont t les hros, les victimes ou les justiciers de quelques-uns de ces pisodes qui, pendant plus dun an, ont ensanglant lAlgrie. En 1871, peu de personnes connaissaient le pass et la situation relle des chefs indignes qui commandaient dans la province de Constantine. Les colons, la presse, la magistrature mme(1) ne voyaient en eux que des agents ou des fonctionnaires arrogants, avides, peu scrupuleux et peu dvous la France, qui les avait investis, et, ajoutait-on, combls dhonneurs et dimmunits. On les savait pleins de morgue ou dorgueil et dtenteurs de vastes territoires en friche ou mal cultivs dont ou rvait de faire bncier la colonisation europenne et les proltaires indignes. Il y avait du vrai dans ces apprciations; mais ceux qui les faisaient tout haut oubliaient, ou plutt ignoraient, que plusieurs de ces personnalits indignes taient autre chose que de simples fonctionnaires, et quentre la France et elles, ou leurs ascendants immdiats, il y avait eu de vritables contrats synallagmatiques qui nous foraient respecter des situations acquises et tolrer des allures ou des abus en dsaccord avec notre tat social et nos aspirations dmocratiques. Ces chefs, en effet, en beaucoup dendroits, et notamment entre Bordj-Hamza et le Sahara, navaient jamais t des vaincus; les pays o ils commandaient avant nous, de pre en ls, navaient jamais t conquis par notre arme. Les matres et seigneurs hrditaires de ces rgions, rests plus on moins indpendants sous les Turcs, taient venus nous de leur plein gr. Ils nous avaient offert et livr, le plus______________________________________________________________ 1. Voici en quels termes lacte daccusation, dans le procs des grands chefs, sexprime sur le compte du bachagha Moqrani qui, tant mort, tait hors de cause : Si-Mohammed-ben-el-hadj-Ahmed-eI-Moqrani tait depuis plusieurs annes cad des Hachem. Pour augmenter son prestige, et sans doute dans lespoir den faire un serviteur plus dvou de la France, on avait nomm cet indigne bachagha de la Medjana. Autour de lui se groupaient treize ou quatorze cadats, remis successivement aux mains des Ouled-Moqrani, ses parents....

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souvent sans coup frir, de vastes territoires et de nombreux contribuables ; parfois mme ils nous les avaient donns alors que nous ntions pas encore en tat den prendre possession. Ils avaient agi ainsi parce quils avaient cru y trouver leur intrt et parce que nous leur avions promis, en retour, la conservation de leur situation et le concours de notre force militaire. Quand ces promesses avaient t faites, on tait aux premiers temps de loccupation, on ne savait ni ce quon ferait de lAlgrie, ni mme si on la conserverait en totalit ou en partie. Les gnraux en chef et les gouverneurs, qui la mtropole refusait largent et les moyens daction, avaient alors trait de puissance puissance avec les chefs venus en allis et acceptant notre suzerainet. A ces prcieux auxiliaires nous navions rien demand de plus que de se faire tuer notre service et de nous payer un tribut; en retour de quoi, nous leur avions garanti les dignits, honneurs et privilges dont ils jouissaient en fait comme en droit. Nous avons tenu notre parole, tant que nous avons eu besoin de nos allis pour conqurir ou gouverner; mais, le jour o nous nous sommes crus assez forts pour nous passer deux, nous avons trouv que nos engagements avaient t bien imprudents, et nous navons plus vu, dans ces allis de la premire heure, que des individualits gnant luvre de progrs et de civilisation que la France entendait accomplir en Algrie pour justier sa conqute. Nous avons alors essay de faire comprendre ces gens de vieille souche, ayant conserv les murs et les prjugs du XIIIe et du XIVe sicle, les conceptions humanitaires et politiques des socits, modernes ; ils ne comprirent quune chose, cest que nous voulions amoindrir leur situation et leur imposer les mmes devoirs et les mmes obligations auxquels nous avions astreint les agents et les collectivits vaincus les armes la main et subissant les volonts du vainqueur. De l bien des malentendus, bien des mcontentements, que sefforcrent dattnuer les ofciers des bureaux arabes, chargs de la dlicate mission de contrler ces chefs et de discipliner leur concours au mieux des intrts de notre action gouvernementale. Grce au zle et lhabilet de ces ofciers, si souvent calomnis, grce aussi au bon esprit et au sens politique dont ces grands chefs

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faisaient preuve lorsquon ne heurtait pas violemment leurs prjugs et leurs intrts, bien des amliorations, bien des progrs, avaient t accomplis en un temps relativement court. Mais nos colonies ont toujours t les victimes de nos dissentiments politiques ou des malheurs de la mre-patrie, et lAlgrie, qui depuis 1830 a eu si souvent souffrir des attaques inconscientes diriges contre elle dans la mtropole, devait, en 1870 et 1871, subir le contrecoup des impatiences de lopposition, et de lignorance des hommes que les circonstances appelrent, sans prparation aucune, la direction souveraine de ses affaires. Lauteur a essay, sans parti pris, sans ide prconue, de dire simplement ce quil a vu, entendu et tudi. Ce nest ni une histoire de lAlgrie, ni une tude militaire quil a entrepris dcrire ; cest lhistoire dune insurrection indigne, et rien de plus. Il na donc t parl ici de nos affaires, nous Franais, quautant quelles ont eu un effet direct sur les indignes. Ce sont ces derniers seuls que lauteur sest efforc de faire connatre et apprcier. Pour cela, il a dgag les individualits, prcis les faits, publi des documents inconnus ou indits, et enn il a complt les donnes ofcielles par ses notes, par ses souvenirs et par les renseignements quont bien voulu lui fournir plusieurs de ses anciens camarades ou amis. Il na pas hsit donner des dtails circonstancis, chaque fois que ces dtails lui ont paru ncessaires lapprciation des causes premires ou des mobiles qui ont fait agir les chefs de linsurrection. Cest ainsi quil a cru indispensable de faire prcder son rcit dune longue introduction rsumant lhistorique des Moqrani avant linsurrection, et donnant des dtails indits sur le pre du bachagha et sur le soulvement de 1864 dans le Hodna. Par contre, lauteur sest efforc dtre bref et concis dans le rcit des oprations militaires, oprations qui se ressemblent toutes en Algrie et pour la russite desquelles larme dAfrique depuis longtemps na plus rien apprendre. Mais cette concision na cependant pas t jusqu retrancher quoi que ce soit dans la longue numration de plus de trois cent quarante glorieux faits darmes qui nont pas toujours eu la notorit quils mritent. Malgr la multiplicit et le synchronisme dvnements, tantt connexes, tantt indpendants les uns des autres, malgr lparpillement

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des efforts, et malgr le dcousu forc des oprations de guerre, il est facile de classer les faits de linsurrection de 1871, qui, naturellement, se divise en quatre priodes bien nettes. La premire, qui va du 14 juillet 1870 au 8 avril 1871, est lpoque des difcults et des RVOLTES LOCALES. Les affaires de Souq-Ahras et dEl-Milia, laventure de Mahieddine, le sige de Bordj-bou-Arreridj et les premires oprations dans la Medjana et lOuennougha, en sont les principaux pisodes. Pendant cette priode, et malgr la gravit des faits, nous ne sommes pas en face dune insurrection gnrale : seuls le bachagha et ses frres sont rvolts, mais leur rvolte est localise sur une portion de lancien ef familial, et tous les Moqrani qui ne sont pas du soff de la Medjana combattent dans nos rangs avec lespoir avou de remplacer le bachagha, dont ils sont rests les rivaux ou les ennemis. Du 8 avril au 5 mai, linsurrection est devenue gnrale : elle stend de la mer au Sahara ; et, sous la direction des khouans Rahmanya qui ont proclam la guerre sainte, elle couvre lAlgrie de ruines et de sang. Cest la KHOUANNERIE qui bat son plein, alors que nous manquons de troupes, et que nous assistons impuissants ses dvastations. Du 5 mai, jour o le bachagha est tu, jusquau 13 juillet, jour o Chikh-el-Haddad se constitue prisonnier, nos colonnes ont pu tre organises; de tous cts elles crasent les rebelles : cest la priode des CHECS DE LA COALITION. Mais nos exigences vis--vis des vaincus et diverses circonstances empchent la soumission de quelques-uns des chefs les plus compromis ou permettent de nouvelles prises darmes : cest alors que souvre, le 13 juillet, la priode des DERNIRES LUTTES, priode qui se termine, le 20 janvier 1872, par larrestation de Boumezrag. A cette date, linsurrection est bien nie, lordre matriel est rtabli ; mais les poursuites ou la rpression des rebelles, lexpos des mesures imposes par cette anne de lutte, fournissent encore matire un chapitre complmentaire qui est lPILOGUE de cette histoire. Une Table chronologique des principaux faits met en relief le synchronisme des vnements qui, dans lintrt de la clart du rcit, ont d tre exposs en des chapitres diffrents. Deux Cartes, spcialement dresses pour lintelligence du texte,

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permettent dembrasser dun seul coup dil ltendue des territoires insurgs et de trouver sans fatigue des indications quil serait pnible de chercher sur des cartes topographiques trs dtailles, et, par consquent, morceles en de nombreuses feuilles. Enn un Index bibliographique donne quelques brefs renseignements sur les rares publications qui peuvent utilement tre consultes propos de linsurrection de 1871.

TABLE DES MATIRES

PRFACE..........................................................................................................................1 TABLE DES MATIRES..................................................................................................7 INTRODUCTION. LES MOQRANI AVANT LINSURRECTION............................9 INTRODUCTION. I Les Moqrani avant la Conqute..................................................9 INTRODUCTION. II. Le Khalifat Ahmed-el-Moqrani..............................................17 INTRODUCTION. III. Le Bachagha Mohammed-el-Moqrani..................................33 TABLEAU GNALOGIQUE DES MOQRANI...........................................................54 TABLEAU CHRONOLOGIQUE DES PRINCIPAUX FAITS DE LINSURRECTION..............57

LIVRE PREMIERLES RVOLTES LOCALESDu dpart des troupes la proclamation du Djehad (14 juillet 1870-8 avril 1871.) Chapitre I. Avant la crise (14 juillet-1er dcembre 1870)...........................................79 Chapitre II. La Crise (1er dcembre 1870-18 janvier 1871)......................................97 Chapitre III. Les Premires Hostilits (18 janvier 1871-10 mars 1871)...................121 Chapitre IV. La Rvolte du bachagha (18 fvrier-I4 mars)......................................143 Chapitre V. La Medjana (15 mars-12 avril)..............................................................155 Chapitre VI. LOuennougha. (16 mars-10 avril)......................................................171 Chapitre VII. Les Dceptions de Moqrani (17 mars-6 avril)....................................183

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TABLE DES MATIRES

LIVRE DEUXIMELA KHOUANNERIEDe la proclamation du Djehad la mort du bachagha (8 avril-5 mai 1871.) Chapitre I. Le Djehad (27 mars-8 avril)...................................................................197 Chapitre Il. Stif (13 avril-8 mai).............................................................................205 Chapitre III. Bougie (6 avril-8 mai)..........................................................................223 Chapitre IV. Les Isser et la Mitidja (8 avril-5 mai)...................................................237 Chapitre V. Dra-el-Mizane (8 avril-5 mai)...............................................................257 Chapitre VI. Fort-National (11 avril-5 mai).............................................................267 Chapitre VII. Tizi-Ouzou (4 avril-7 mai)..................................................................275 Chapitre VIII. Dellis (17 avril-5 mai).......................................................................289 Chapitre IX. Palestro (19 avril-25 avril)...................................................................301 Chapitre X. Batna (8 mars-8 mai).............................................................................315 Chapitre XI. La Mort du bachagha (11 avril-5 niai).................................................341

LIVRE TROISIMELES CHECS DE LA COALITIONDe la mort du bachagha la soumission de Chikh-el-Haddad (5 mai-13 juillet 1871.) Chapitre I. Du Sbaou la mer (5 mai-5 juin).........................................................353 Chapitre II. Autour du Hamza (6 mai-18 juillet)......................................................371 Chapitre III Entre le Babor et le Boutaleb (4 mai-14juin)........................................391 Chapitre IV. De Bougie Mila (6 mai-12 juillet).....................................................407 Chapitre V. Dans le Djurdjura (8 mai-I9 juillet).......................................................431 Chapitre VI. La Reddition de Chikh-el-Haddad (14 juin-13 juillet)........................455 Chapitre VII. Les Bandes de la Mestaoua (8 mai-13 juillet)....................................471 Chapitre VIII. Les Soffs du Sahara (30 avril-13 juillet)...........................................483

LIVRE QUATRIMELES DERNIRES LUTTESDe la soumission de Chikh-el-Haddad la prise de Boumezrag. (13 juillet 1871-26 janvier 1872.) Chapitre I. Malek-el-Berkani (30 avril-21 aot).......................................................507 Chapitre II. Moula-Chekfa (13 juillet-30 septembre)..............................................537 Chapitre III. Sad-ben-Boudaoud-el-Moqrani (3 juillet-30 septembre)....................551 Chapitre IV. Boumezrag-el-Moqrani (13 juillet-20 octobre)....................................565 Chapitre V. Ahmed-Bey-ben-Chikh-Messaoud (13 juillet-29 octobre)....................589 Chapitre VI. Bouchoucha (13 juillet 1871-20 janvier 1872)....................................611 PILOGUE....................................................................................................................645 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE......................................................................................669

INTRODUCTION

LES MOQRANI AVANT LINSURRECTION

I AVANT LA CONQUTELes Moqrani ont des parchemins qui les font descendre de Fatma, lle du prophte Mohammed ; mais les traditions locales les rattachent plus volontiers, et non sans raison, aux mirs de la Qalaa des Beni-Hammad, du Djebel-Kiana(1). Au XIe sicle de notre re, lors de linvasion musulmane hilalienne, les mirs des Ayad-Athbedj appartenaient aux familles des Ouled-Abdesselem et des OuledGandouz, noms qui ont continu tre ports par les Moqrani. Quoi quil en soit de ces origines lointaines, ce qui semble certain, cest que, dans la seconde moiti du XVe sicle, un mir ou prince, nomm Abderrahmane, quittait le Djebel-Ayad et venait sinstaller prs des Bibane, dabord Mouqa, puis Chouarikh, et enn la Qalaa(2), des Beni-Abbs. ______________________________________________________________1. Le massif montagneux situ entre Bordj-bou-Arreridj et le Hodna tait dnomm, au temps des Berbres, Djebel-Kiana. ou Djebel-Adjissa, du nom de ses habitants. A partir du XIe sicle de j.-C., il est devenu le Djebel-Ayad, nom quil porte encore aujourdhui concurremment avec celui de Djebel-Madid. Sur les ruines de Qalaa est aujourdhui la dechera des Ouled-Sidi-Fadel. 2. Le mot Qalaa veut dire forteresse. La prononciation de ce mot varie suivant les localits ; de l les diffrences dorthographe : Qalaa, Galaa, Guelaa, Queloa, El-Gola, El-Kala, Cola, etc.

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Son ls, Ahmed-ben-Abderrahmane, fortia cette localit, en t la capitale dune principaut stendant de lOued-Sahel au Hodna, et prit le titre de sultan. Il t une guerre acharne un de ses voisins, le sultan de Koukou(1) chef des tribus de la rive gauche de lOued-Sahel, et, ayant appel son aide le corsaire Aroudj, alors Djidjeli, il vainquit son ennemi, en 1515, chez les Ouled-Khiar, grce lemploi des armes a feu dont les Turcs dAroudj taient pourvus. Aussi fut-il un des premiers allis des frres Barberousse, devenus la mme anne souverains dAlger, et, en avril 1542, il tait ct de Hassan-Agha, qui, en qualit de khalifat de khireddine, tait venu iniger un nouvel chec au sultan de Koukou, rest ennemi des Turcs. Abdelaziz, son ls, dle lalliance turque, amena, en 1550, Alger, une petite arme de 15,000 Qbals la tte desquels il accompagna dans louest Hassane-Pacha, ls et khalifat du beglierbey Khireddine. Ce fut grce aux conseils et au courage personnel du sultan des Beni-Abbs que les Turcs battirent les Marocains sur le rio Salado et reprirent possession de Tlemcen. Pendant cette expdition, Abdelaziz stait attach un groupe des Hachem de Mascara et en avait, fait sa garde particulire. Il les ramena avec lui et les installa au pied de la montagne de Qalaa, au nord de la Medjana : ce fut le noyau de la tribu noble des Hachem, qui, jusquen 1871, resta le makhzne dle des Moqrani En 1552, Abdelaziz accompagna encore avec 8,000 hommes le beglierbey Salah-Res dans lexpdition contre Tougourt et Ouargla. Mais la puissance du souverain kabyle avait port ombrage aux Turcs ; un jour quAbdelaziz, venu sans mance Alger, tait log au palais de la Jenina, il avait failli tre assassin par les janissaires et navait d son salut qu lintervention de soldats gaouaoua, originaires de Koukou. Peu aprs, et sans dclaration de guerre, Salah-Res lanait son arme contre le sultan des Beni-Abbs. Un combat eut lieu Boni, prs Qalaa ; El-Fadel, frre dAbdelaziz, y fut tu, mais les Turcs ne purent aller plus loin, et la neige les fora rentrer Alger. Au printemps suivant 1553, Mohammed-Bey, ls de Salah-Res, revint, avec une arme plus forte, se faire battre au mme endroit. Ne pouvant russir en pays de montagne, les Turcs, en 1554, marchrent par le sud vers Msila, sous la conduite des rengats grecs Sinane-Res et Ramdane : ils furent encore battus sur lOued-el-Ham, et se rsignrent laisser en repos pendant quelques annes le sultan des Beni-Abbs. Abdelaziz, aid par son frre Ahmed-Amoqrane, prota de la paix pour tendre et consolider sa puissance. Il stait procur de lartillerie et avait organis ______________________________________________________________1. Le royaume de Koukou fut fond en 1510 par Ahmed-ben-el-Qadi, qui tait juge la cour des derniers rois de Bougie. Lors de la prise de cette ville, le 6 janvier 1509, il stait rfugi chez les Qbals des At-Ghoubri, Aourir ; il tait devenu le chef dune confdration puissante. A partir de 1618, la famille se divisa, son inuence dclina, le nom mme dOuled-el-Qadi, port par les chefs de Koukou, cessa dtre employ, et il fut remplac par celui dOuled-Boukhetouch. Aujourdhui la famille a t absorbe par llment berbre et na plus quune inuence insigniante dans le haut Sbaou. Koukou est une taddert de 600 habitants rpartis en six hameaux ; il fait partie de la fraction des Imessouhal des At-Yahia, aux sources du Sbaou.

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une solide milice chrtienne avec un millier dEspagnols chapps de Bougie lors de la prise de cette ville en 1555(1), par Salah-Res. Il avait form le projet de semparer de Bougie, et, en juin 1557, tout tait prt pour celle opration, quand il apprit qu la suite de troubles Alger son ami Hassane, ls de Khireddine, avait t nomm beglierbey et venait de dbarquer. Abdelaziz renona son expdition, et, sans se risquer aller lui-mme Alger, il envoya des lettres et des prsents son ancien alli. Les relations amicales reprirent ; Abdelaziz fournit des contingents dinfanterie kabyle, et il reut du souverain dAlger des lettres lui conrmant la possession de Msila. Hassane tait rest plus dun an occup par des expditions dans louest contre les Marocains, quil avait poursuivis jusqu Fez, et contre les Espagnols quil avait battus en aot 1558, Mazagran. Quand il rentra Alger, en septembre, Hassane Corso, dont Abdelaziz stait fait un ennemi mortel en 1550, Ahmed-elCadi, sultan de Koukou, et enn quelques chefs du Hodna qui avaient t razzs par les goums de Msila, dnoncrent au beglierbey les armements et les projets du sultan des bni-Abbs contre Bougie. Hassane-Pacha marcha en personne avec 3,000 Turcs contre Msila, quil reprit sans difcult (hiver de 1558-1559). Abdelaziz ne se mait pas, et il tait rest dans la montagne. Avant quil en ft sorti, le beglierbey stait avanc jusque dans la plaine de la Medjana, et il faisait lever la hte deux fortins en pierres sches, lun An-bou-Arreridj, lautre Zamora. Il y mit quatre cents hommes de garnison, dont il cona le commandement Hassane Corso. Mais il nosa pas sengager dans la montagne et rentra prcipitamment dans le Hamza, car sa faible colonne commenait tre gravement inquite par Abdelaziz et Amoqrane, accourus la bte avec leur cavalerie(2). Peu aprs son retour Alger il apprit que ses deux fortins avaient t enlevs et dtruits, que tous les janissaires de Bou-Arreridj avaient t massacrs, et que ceux de Zamora staient rfugis chez des montagnards voisins et indpendants. Le beglierbey changea alors de tactique : il t des avances au sultan de Qalaa, invoqua danciens souvenirs, lui t entrevoir la destruction du royaume de Koukou, et, pour cimenter lalliance quil dsirait, il demanda la main de la lle dAbdelaziz. Celui-ci refusa net : il tait pay pour ne pas se er aux Turcs. Hassane-Pacha sadressa alors au sultan de Koukou, qui lui donna sa lle et ______________________________________________________________1. Lincurie du gouvernement espagnol avait rendu la dfense de la ville impossible : le beglierbey Salah-Res commenait le sige le 16 septembre ; le 27 il offrait une capitulation honorable, sengageant rapatrier en Espagne la garnison entire avec armes et bagages. Le 28; il entrait en ville ; le gouverneur, Alonzo de Peralta, et cent vingt invalides, furent embarqus et arrivrent en Espagne, o Alonzo eut la tte tranche Valladolid. Le reste de la garnison fut dsarm et conduit en captivit contrairement la foi jure; mais presque tous les hommes schapprent et se rfugirent chez Abdelaziz, qui les accueillit, leur laissa la libert et les prit son service. 2. M. de Grammont, dans son beau livre Alger sous les Turcs, raconte un peu diffremment les dmls entre le beglierbey Hassane-Pacha et le sultan de Labez Abdelaziz. La version qui est donne ici est celle de Marmol, et aussi, peu de chose prs, celle des Moqrani, et celle reproduite dj par M. Fraud dans son Histoire des villes de la province de Constantine.

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ses soldats. Leurs armes runies entrrent en campagne la bonne saison et vinrent prendre position prs Tala-Mezida(1), o Abdelaziz avait son camp retranch couvrant Qalaa. On se battit pendant douze jours de suite; le huitime, Abdelaziz fut tu et eut la tte tranche. Son frre Amoqrane continua la lutte quatre jours encore ; les Turcs, puiss, renoncrent prendre la forteresse des Beni-Abbs et rentrrent Alger, emportant comme trophe la tte dAbdelaziz, qui fut expose la porte Bab-Azoun, et qui, ajoute la tradition, se mit parler. Encore une fois les Turcs laissrent en paix les Beni-Abbs pendant quelques annes ; Amoqrane prota de cette accalmie pour augmenter le royaume paternel et tendre son autorit sur les hauts plateaux et le Sahara. A la tte dune arme de 11,000 hommes, dont 3,000 chevaux, il se rendit matre de Tolga, Biskra, Tougourt, et des pays des Ouled-Nal de Bouada Djelfa. Son administration et son gouvernement furent remarquables, et sous son rgne le pays traversa une re de prosprit que jamais plus il ne retrouva. En 1580, sa puissance tait telle quil ne craignit pas denvoyer Alger un de ses ls pour souhaiter la bienvenue Djafar-Pacha, arriv le 2 aot 1580, en qualit de khalifat du beglierbey El-Euldj-Ali. Il lui apportait un royal prsent estim une vingtaine de mille francs. Dix annes de tranquillit avaient permis Amoqrane de perfectionner lorganisation de son royaume, mais, en dcembre 1590, le pacha Khieder, qui voyait augmenter autour des Beni-Abbs le nombre des gens refusant limpt au beylik, se mit en marche avec une arme de 15,000 17,000 hommes pour semparer de la Qalaa. Amoqrane lui opposa des forces non moins considrables(2) ; lassaut de la petite place ne put pas tre tent, et le pacha dut se borner un investissement qui dura deux mois, pendant lesquels les Turcs mirent beaucoup souffrir des attaques de la cavalerie dAmoqrane. Les environs de Qalaa taient ruins, les Kabyles fatigus ; un marabout intervint entre les belligrants et russit faire cesser les hostilits. Amoqrane paya les frais de la guerre, soit 30,000 douros ; et les Turcs sloignrent fort prouvs. Dix ans plus tard, en 1600, le sultan de Qalaa marchait contre les Turcs, commands par le pacha Solimane Veneziano, qui voulait pntrer en Kabylie ; il les battait et minait ltablissement militaire que ceux-ci avaient lev en 1595 Hamza (Bouira) ; mais lui-mme tait tu dans ce combat. Son rgne avait dur quarante et un ans, et son nom devait rester comme dsignation patronymique de tous ses descendants(3). Son ls El-Menaceur, plus connu sous le nom de Sidi-Naceur-el-Moqrani, tait un homme dtude et de prire il sentoura de tolba et de religieux, et fut plus tard vnr comme un saint ; mais il laissa pricliter les affaires du royaume et mcontenta la fois les chefs de larme et les commerants des Beni-Abbs. Ceux-ci lattirrent dans un guet-apens et lassassinrent. ______________________________________________________________1. Tala-Mezida est rest le meilleur camp prs de Qalaa; cest le seul point o il y ait de leau en abondance. Boni est mal pourvu, et Qalaa encore plus mal. 2. Jignore o a t pris par M. Berbrugger le chiffre de 30,000 cavaliers. 3. Amoqrane signie, en berbre, grand et an. Moqrani est lethnique arabe dAmoqrane. Les indignes disent : un Moqrani, des Moqranya, ou encore des Ouled-Moqrane. Mais lusage franais a conserv le mot Moqrani au singulier comme au pluriel.

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Il laissait trois enfants en bas ge; les deux plus jeunes furent sauvs par leurs mres, et ils restrent ds lors trangers la fortune des Moqrani(1). Lan, Betka, fut emport dans la Medjana par les Hachem dles, qui llevrent et laidrent reconqurir sa situation princire en le mariant la lle du chef des Ouled-Madi. Avec les nobles de cette tribu, et avec ceux des Ayad, alors commands par Slimane-el-Haddad, Betka-el-Moqrani prit part, dans la plaine de Guidjel, la grande victoire remporte sur les Turcs, le 20 septembre 1638, par tous les seigneurs et tous les nomades de lest, runis sous le commandement du chikh ElArab-Ahmed-ben-Sakhri-ben-Bouokkaz, lanctre de notre agha Ali-Bey. A la suite de cette bataille de Guidjel, il y eut dans la province de Constantine une recrudescence dindpendance vis--vis des Turcs, et Betka-el-Moqrani ne reconnut jamais leur autorit. Il avait renonc se parer du titre de-sultan ou dmir, et prenait celui de chikh de la Medjana, que conservrent ses descendants ; mais il reconstitua le royaume de son grand-pre, et battit plusieurs reprises les Reni-Abbs, sans vouloir retourner Qalaa. Il mourut en 1680, dans son chteau de la Medjana, laissant quatre ls Bouzid, Abdallah, Aziz, et Mohammed-el-Gandouz(2). Lan, Bouzid-el-Moqrani, exera le pouvoir dans les mmes conditions de souverainet que son prdcesseur(3) ; il sut maintenir la bonne harmonie entre tous les siens, et t rentrer dans lobissance le dernier de ses frres, qui avait un instant cherch chapper son autorit. Deux fois il battit les Turcs, qui avaient voulu envoyer une colonne Constantine travers sa principaut ; puis, la suite de ses succs, il consentit vendre, moyennant une redevance dtermine, le passage travers ses tats. Cette redevance ou coutume (ouadia), les Turcs ne purent jamais sen affranchir, et ils la payaient encore en 1830. Bouzid-el-Moqrani mourut en 1734, laissant quatre ls, dont le second, Elhadj-Bouzid, sur la renonciation volontaire de lan, Abderrebou, prit la direction de la principaut. Mais, quoique sage et dun caractre conciliant, il ne put ni maintenir la paix entre ses frres Bourenane et Abdesselem, ni empcher son cousin germain Aziz-ben-Gandouz-el-Moqrani de se mettre a la tte dun soff(4) qui se t lalli des Turcs. Ceux-ci avaient alors prcisment de graves griefs contre le ______________________________________________________________1. Lun, Mohammed-Amoqrane, emport par sa mre Bougie, avait les gots studieux de son pre. Il devint lanctre dune famille maraboutique qui, plus tard, se xa prs de Djidjeli au milieu des Beni-Siar, qui acceptrent sa direction politique et religieuse. Cette famille resta toujours en bons termes avec les. Turcs, et elle nous a fourni des cads modestes et dvous. En 1871, le chef de famille, qui se nommait encore Mohammed-Amoqrane, tait cad des Beni-Siar ; il senferma avec nous dans Djidjeli assig par les rebelles, et eut une attitude trs digne et trs correcte. Le troisime, Bou-Temzine-Amoqrane, fut emport dans louest ; il t souche dune petite fraction dnomme Temaznia, fraction qui na jamais jou aucun rle et est reste infode aux Bordjia de Cacherou, dpartement dOran. 2. El-Gandouz, en berbre, signie le dernier-n. 3. Cest lui que le voyageur Franois Peyssonnel vit en 1725, en passant la Medjana avec une colonne turque. Il lappelle le sultan Bouzit. 4. Le mot soff veut dire, au propre, ligne, rang, le ; et, au gur, ligue, parti, clientle politique.

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chikh de la Medjana qui, vers 1737, avait tratreusement fait massacrer toute une colonne turque ; massacre qui ntait du reste que la vengeance dun viol commis par le khalifat du bey de Constantine El-hadj-Bakir sur la mre des Moqrani, Elhadja-Zonina. Aids des Ouled-Gandouz, et exploitant la msintelligence qui existait entre Bourenane et Abdesselem, les Turcs russirent battre en dtail les diffrents groupes des Moqrani. Les choses en vinrent ce point que ceux-ci durent abandonner la Medjana et se rfugier dans les montagnes. El-hadj-Bouzid monta Qalaa des Beni-Abbs, Bourenane alla dans lOuennougha, et Abdesselem, Kolla prs Satour, au pied du Djebel-Bounda. Dj, cette poque, leur oncle Abdallah avait quitt le groupe familial et vivait dans les steppes du Hodna avec quelques djouads, dont la descendance devait former plus tard une tribu distincte, les Ould-Abdallah(1), qui eurent ds lors une existence part. Cest cette poque, vers 1740, que, pour la seconde fois, les Turcs vinrent en matres dans la Medjana, et relevrent les murs du fortin ou Bordj bti par eux en 1559 An-bou-Arreridj. Celte fois ils y laissrent 300 janissaires et donnrent linvestiture du cadat des Ouled-Madi Aziz-ben-Gandouz. Les Moqrani de la branche ane supportaient mal cet abaissement de leur puissance; un moqaddem des khouans Chadelya parvint rconcilier les trois frres, qui, unis, battirent les Turcs, turent leur chef, dmolirent le fortin, et renvoyrent les janissaires survivants Alger avec une lettre annonant au dey que les Moqrani entendaient rester indpendants. El-hadj-ben-Bouzid reprit ds lors, sans tre inquit par les Turcs, la direction nominale des affaires de la famille dans la Medjana. Les deys reconnurent implicitement celle indpendance en ne rclamant jamais dimpts aux tribus des Hachem, Ayad et Beni-Abbs, rputes tribus makhzne des Moqrani ; mais, tons les ans, ils envoyrent au chikh de la Medjana un caftan dhonneur et des cadeaux ; par ce moyen les Turcs foraient celui-ci des relations qui afrmaient leur suzerainet et qui leur donnaient des prtextes pour intervenir dans les affaires de la famille, ou pour rclamer lappui des contingents de la Medjana. Si-el-hadj-ben-Bouzid-el-Moqrani mourut vers 1783, deux ou trois ans aprs son frre Bourenane. Il avait mari au bey Ahmed-el-Kolli une de ses lles, Dakra(2) qui devait plus tard tre la grandmre du dernier bey de Constantine. Il ne laissait que deux enfants ; lan, Bouzid-ben-el-Hadj, accepta la position de khalifat de son oncle Abdesselem, rest le chef de la principaut. Mais, partir de ce moment, lhistorique des Moqrani nest plus quune suite de luttes fratricides entre les membres de la famille diviss en trois soffs rivaux : les Ouled-el-Hadj, qui ont avec eux les Ouled-Abdesselem et restent le soff ______________________________________________________________1. Ne pas confondre cette tribu noble des Ouled-Abdallah, qui habite le sud dAumale et qui, depuis un sicle, a cess de faire partie de la famille des Moqrani, avec le groupe ou soff tout moderne des Ouled Abdallah-ben-el-hadj-ben-Bouzid-el-Moqrani, que nous verrons jouer un rle dans les vnements de 1871. 2. Cette Dakra-bent-Moqrani fut la copouse dune lle des Bengana, dj marie au bey Ahmed-ben-Kolli, et qui neut pas denfant. Le ls de Dakra, Chrif, pousa une autre femme de la famille des Bengana, El-hadja-Rekia (Voir plus loin lextrait de la gnalogie des Moqrani.)

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principal, le soff des Ouled-Bourenane, et enn le soff dj ancien des Ouled-Gandouz. Les Turcs entretinrent avec soin ces divisions qui affaiblissaient les Moqrani, et qui rendaient de courte dure les rares rconciliations que le danger commun inspirait aux divers membres de la famille. Seuls les Ouled-el-Hadj et les Ouled-Abdesselem restrent toujours unis jusque vers 1826. Les Turcs nintervinrent presque jamais par la force dans ces querelles de famille : ils faisaient massacrer les uns par les autres, et se bornaient reconnatre tour tour comme chikh de la Medjana le chef de soff qui consentait percevoir pour leur compte un impt de 50,000 francs sur les tribus, entre lOued-Sahel et le Hodna. Ils changeaient dailleurs dalli au lendemain dun service rendu, si la prpondrance de cet alli vis--vis des autres Moqrani pouvait devenir inquitante pour lautorit beylicale : car, loin de se montrer hostiles aux soffs vincs, les Turcs les mnageaient et les tenaient en baleine par des promesses et quelquefois des cadeaux. Cest dans ces singulires conditions que les Moqrani furent, depuis la n du XVIIIe sicle, les feudataires des Turcs, qui ne purent jamais ni reconstruire le fort de Bou-Arreridj, ni saffranchir de louadia eux impose par Bouzid-elMoqrani ; le chikh de la Medjana administrait dailleurs comme il lentendait, et exerait sans contrle les droits rgaliens de haute et de basse justice. Il serait sinon sans intrt, du moins sans utilit, de faire ici lhistorique des luttes familiales des Moqrani de 1785 1830 ; il suft de rappeler les trois ou quatre grands faits dont le pays a gard un souvenir vivace(1). En 1806, tous les Moqrani se runirent momentanment en face des paysans des O. Derradj, Madid, Ayad, O. Khelouf, Ouled-Brahim, O. Teben, rvolts contre leurs seigneurs la voix du chikh Ben-el-Harche, qui, aprs avoir, en 1803, vaincu et tu le bey Ostmane, avait tabli son camp au pied du Mgris de Stif. Aids par les familles seigneuriales du pays, et de concert avec une colonne turque, les Moqrani battirent successivement les rebelles Mgris et Rabla, o le chrif fut tu. En ces deux affaires, les Moqrani sauvrent le beylik de Constantine. En 1809, le bey Tchaker, par une trahison longuement prmdite, massacra, dans la Medjana mme, les chefs du soir des Ouled-Bourenane auxquels il devait eu partie son lvation au beylik. De ce jour le soff des O. Bourenane cessa de compter. Ses dbris se rallirent soit aux Ouled-el-Hadj, soit aux Ouled-Gandouz. En 1819, ce sont les chefs des Ouled-Gandouz qui, leur tour, sont traitreusement massacrs, El-Arba, au sud de Bordj-bou-Arreridj, par les chefs du soff des Ouled-Abdesselem et des Ouled-el-Hadj, agissant linstigation du bey Ahmedel-Mili. Leurs dbris impuissants essayrent de se grouper avec les Ouled-Bourenane, et se rent battre, en 1824, El-Gomiz. Par contre, ils inigrent en 1825, prs Zamora, un lger chec au bey Ahmed ; mais ce fut tout. A cette poque, il ne restait en situation dexercer une action politique ______________________________________________________________1. On trouvera une monographie plus dtaille des Moqrani avant la conqute dans le livre de M. Fraud, Histoire des villes de la province de Constantine : Bordj-bou-Arreridj ; Revue archologique, Constantine, 1872.

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quelconque que le groupe des Ouled-el-Hadj et des Ouled-Abdesselem, habilement, conduit alors par Ben-Abdallah -ben-Bouz id-el-Moqrani, Mais, en 1825, leur parent et alli El-hadj-Ahmed ayant t nomm bey de Constantine, la bonne harmonie fut de nouveau trouble dans la Medjana. Sans autre motif que celui de se dbarrasser de ceux quil croyait gnants, le bey t arrter El-hadj-Mohammed-ben-Abdesselem, El-bey-el-Ouennoughi-benBourenane et Salah-ben-Gandouz. Sur les instances de sa femme Aichoueh et de BenAbdallah, il consentit relcher Ben-Abdesselem, son beau-pre, mais il ordonna de trancher la tte aux deux autres ; Si-el-bey-el-Ouennoughi chappa cependant. Ceux qui restaient des Ouled-Bourenane et des Ouled-Gandouz se rassemblrent Zamora et battirent les Turcs commands par El-hadj-Ahmed, mais ils durent se dissminer pour chapper la vengeance du bey, et vcurent depuis en proscrits. Ben-Abdallah, toujours chikh de la Medjana, avait alors comme lieutenants son neveu Ahmed-ben-Mohammed-ben-Bouzid et son parent Mohammed-Abdesselem. Il cona ce dernier, qui tait dun caractre pos, la perception des impts dans lOuennougha, fonction lucrative que convoitait Ahmed-ben-Mohammed. Ce dernier, trs froiss, sollicita et obtint du bey sa nomination la tte du cadat de Khelil. Mais Ben-Abdallah naccepta pas de voir un Moqrani dans ces fonctions trop dpendantes, et il rappela son neveu en lui faisant de belles promesses, que dailleurs il ne tint pas. Celle rivalit entre les deux cousins fut le point de dpart de la formation des deux soffs qui divisrent les Moqrani jusqu la chute de cette famille. A quelque temps de l, Ahmed-ben-Mohammed, qui saisissait toutes les occasions de sloigner de son oncle, accompagna Alger le bey de Constantine. Au retour, des gens du Tittery ayant attaqu ce bey prs de Sour-Ghozlane(1), Ahmed-el-Moqrani le dfendit avec un courage qui lui conquit les bonnes grces dEl-hadj-Ahmed Il en prola pour se faire charger du recouvrement des impts dans lOuennougha, au lieu et place de Mohammed-Abdesselem, menac dune arrestation sil nobissait pas. Celui-ci nattendit pas son rival, el il partit rejoindre, Sour-Ghozlane, Yahia-Agha, en ce moment en tourne. Ce haut fonctionnaire turc tait lennemi dElhadj-Ahmed ; il couta Mohammed-Abdesselem, et, avec un petit dtachement de janissaires, il se porta dans la Medjana pour razzer la zmala dAhmed-el-Moqrani, mais il choua, par suite de la vigilance des Hachem. A partir de ce premier combat, la guerre fut en permanence entre les deux cousins ; elle fut cependant interrompue bientt par la proclamation du djehad contre les chrtiens, dont on annonait larrive Alger. A lappel du dey, les reprsentants des grandes familles oublirent un instant leurs rivalits pour faire leur devoir de musulman, et ils allrent chercher, dans des combats appels un grand retentissement, loccasion dafrmer aux yeux de tous leur valeur et leur supriorit. Le vieil Ben-Abdallah, retenu par son ge, resta seul la Medjana ; Ahmedel-Moqrani et Abdesselem-el-Moqrani accompagnrent le bey avec leurs contingents. Tous deux se distingurent aux combats de Sidi-Feruch et de Staouli.______________________________________________________________________1. O plus tard fut bti Aumale.

II LE KHALIFAT AHMED-EL-MOQRANILa nouvelle de lentre des Franais a Alger fut vite connue dans toute la Rgence, et, comme loligarchie turque, renverse avec le dernier dey, navait ni racines ni sympathies dans le pays, le retour dans les tribus des contingents vaincus provoqua partout des dsordres et des rvoltes. Le dey Hussein tait peine embarqu quen dehors de ltroit espace occup par nos troupes et des cantons jusqualors indpendants, lanarchie menaait lexistence mme de la socit indigne ; mais, presque aussitt, les personnalits politiques ou religieuses, en pays arabe, et les anciens des tribus, en pays berbres, sentremirent pour reconstituer soit les efs hrditaires, soit les confdrations dmocratiques ou guerrires, que le despotisme et la politique des Turcs avaient amoindris ou briss. En dehors de ces confdrations, tablies surtout dans les massifs montagneux peu accessibles, la noblesse dpe et llment maraboutique furent tout de suite en comptition dintrts, chacun voulant accaparer au prot de sa caste la direction des masses affoles qui cherchaient des matres et des protecteurs. Dans louest, llment maraboutique triompha ; aux luttes fratricides entre musulmans il opposa la dfense sacre de lislam, et montra le pouvoir politique comme devant revenir de droit ceux qui se seraient le plus distingus dans la guerre sainte contre les chrtiens envahisseurs. Ds le dbut, les marabouts de louest entrevirent ce quon appela plus tard lre des cherfa, et, prparant la voie Abd-el-Kader-ben-Mahieddine encore ignor, ils nous forcrent conqurir les armes la main, et parfois tribu par tribu, la majeure partie du territoire louest du mridien dAlger, et cela, malgr lappoint considrable que nous donnrent les douars et zmalas, dont llment maraboutique navait su se concilier ni laffection ni les services. Dans lest et dans tout le Sahara, la noblesse dpe garda la prminence sur les marabouts. L, les djouads avaient en effet plus quailleurs conserv leur autorit politique, leurs privilges et leurs inuences. Par les grands efs, reconnus comme cheikhats hrditaires, ils dtenaient en ralit tout le pays, de Mda aux frontires tunisiennes, et la suzerainet des beys du Titteri et de Constantine tait bien plus nominale queffective. Il y avait en outre, en 1830, la tte du beylik de Constantine, un homme dune relle valeur, entour de conseillers intelligents qui surent tirer parti de la situation et furent servis par les circonstances. Au lieu de commettre la faute, com-

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me ses collgues du Titteri et dOran, de demander une investiture ou un secours aux chrtiens victorieux, ce qui heurtait le sentiment islamique et faisait le jeu des marabouts, le bey Ahmed se posa en dfenseur de la foi, et il utilisa les rouages existants et ses alliances familiales avec les grands feudataires de son beylik. Sachant bien quavec les musulmans toute innovation est dangereuse, il ne se proclama pas indpendant et affecta dagir en qualit de khalifat et de successeur du dey renvers, attendant, disait-il, du sultan de Stamboul des secours et le titre de pacha. Cette attitude la fois correcte et habile lui fut facilite par une dclaration solennelle du chikh-el-Islam de Constantine, qui, au nom du mufti, des imans, des jurisconsultes et des notables de la ville, publia un fetoua ou consultation disant en substance que telle tait la conduite que devait tenir le bey pour sauvegarder les intrts de la religion et empcher lanarchie . Les circonstances taient graves en effet ; la nouvelle de la prise dAlger, les janissaires de Constantine staient retirs sur le Mansoura et avaient proclam bey Mahmoud, ls de lancien bey Tchakeur : il tait, disaient-ils, dshonorant que des Turcs obissent un couloughli, un sang ml. Beaucoup dhabitants de Constantine staient tout de suite rallis au nouveau bey et avaient ferm les portes de la ville pour empcher la rentre dAhmed-Bey. Celui-ci avait quitt Alger accompagn dAhmed-el-Moqrani et des contingents de la Medjana; en arrivant aux Bibane, il avait appris quun Moqrani des Ouled-Gandouz stait mis la tte dun mouvement insurrectionnel dirig contre lui par les grandes tribus des Ameur(1), des Abdelnour et des Tlaghma, aids des Qbals des montagnes voisines de Stif. A cette nouvelle, le bey sarrta, et, en mme temps quil dpchait des missaires ses parents, les Bengana de Biskra, pour leur demander des secours, il expdiait Ben-Gandouz une trs longue lettre se terminant par la promesse de le nommer chikh de la Medjana et par linvitation de venir confrer avec lui. Ben-Gandouz se laissa prendre ces belles paroles, et il arriva au camp de bey, qui le maintint prisonnier. Cette trahison, excute sur le territoire de sa principaut, indisposa le vieux chikh Ben-Abdallah-el-Moqrani el son dle lieutenant Abdesselem, qui dj voyait dun mauvais il la faveur croissante de son rival Ahmed-el-Moqrani ; nanmoins ils laissrent le bey traverser tranquillement la Medjana. Celui-ci arriva sans encombre au del de Stif; larrestation de Ben-Gandouz avait fait avorter le plan des rebelles, qui nosrent dabord attaquer le bey. Mais Ben-Gandouz-el-Moqrani avait sa lle marie au cad des Ameur, Salah-benIlls, et, quand celle-ci connut laventure de son pre et linertie des Ameur, elle se mit parcourir cheval les campements de son mari, et, le visage dcouvert,______________________________________________________________________1. Le cadat des Ameur, sous les Turcs, tait compos des tribus avec lesquelles, en 1849, nous avons form les trois cadats des Ameur-Guebala, Ameur-Dahra et Ouled-Nabet, lesquels, est 1867, 1868 et 1870, furent rpartis en seize douars communes, devenus autant de sections communales dans lorganisation actuelle. Les Ameur, sous les Turcs, disposaient de mille cavaliers ; ils avaient pour cad, sous le bey Ahmed, Salah-ben-Ills, qui descendait dun des janissaires, chapp de Zemora en 1659. Son pre et son grand-pre avaient t cads dans le Hodna, Nous retrouverons les Ouled-Ills en 1871.

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les cheveux pars, elle appelait les guerriers la dlivrance de son pre. Cet acte insolite, lclatante beaut et lexaltation de la jeune et noble dame, rent un tel effet que, le surlendemain, au point du jour, le camp du bey, install Dra-el-Toubal, chez les Ouled-Abdelnour, tait cern par plusieurs milliers de cavaliers. Le bey Ahmed leur envoya des agents srs et discrets qui engagrent les rebelles parlementer ; il reut des dputs quil gagna prix dargent, et lattaque fut remise au lendemain. Dans la nuit, Ben-Gandouz tait trangl et enterr en un endroit du camp bien eu vidence; puis le bey, laissant ses feux allums, dcampa et arriva au point du jour Kef-Tarzout. Quand les goums rebelles, mystis et furieux, le rejoignirent, il leur tint tte bravement et fut secouru en temps utile par les nomades des Bengana. Aprs quoi, ta tte des Sahariens victorieux(1) arriva sous les murs de Constantine. Abandonn alors par ses janissaires, qui allrent rejoindre leurs camarades rvolts, le bey campa sur les bords du Roummel, prs de laqueduc romain. Ce fut l que la diplomatie des Bengana, admirablement servie par lintelligente mre du bey, El-hadja-Rekia, russit, obtenir le fetoua dont il a t parl plus haut, ce qui ouvrit les portes de la ville Ahmed. Le premier soin du bey, rentr dans son palais, fut de se dbarrasser de sa milice turque et du prtendant Mahmoud-ben-Tchakeur, ce quoi il russit par la ruse et par de nombreuses excutions ; aprs quoi il songea rompre la ligne des seigneurs arabes. Mais tous ces crimes, lassassinat de Ben-Guandouz, laffaire de Kef-Tarzout, et un nouveau guet-apens dans lequel Mohammed-ben-el-hadj-Bengana, oprant pour le compte du bey, avait attir les Abdelnour et les Telaghma An-Soltane, avaient eu pour effet de resserrer lunion de tous les anciens ennemis du bey. Cette fois, le vieux chikh de la Medjana, Ben-Abdallah, ou plus exactement son khalifat, Abdesselem-el-Moqrani, tait la tte de la ligue avec les Ameur ou les Ouled-Ills, les Abdelnour, les Telaghma, les Righa-Dahra de Si-Mohammed-sghirben-chikh-Saad, les Ouled-Mosly, les Ouled-Madi du soff Ouled-Bouras, etc. Quant Ahmed-ben-Mohammed-el-Moqrani, il resta dle au bey, et, appuy par les Ouled-Madi de loued Chellal (soff des Bouaziz), par quelques fractions de lOuennougha, par les Righa-Guebala de chikh Messaoud, il vint grossir les contingents des Bengana et dAli-ben-Assa. Mais bientt le parti hostile au bey de Constantine reut des renforts inesprs: lancien bey Ibrahim-el-Gueritli, destitu par Hussein, arriva un beau jour chez Salah-ben-Ills, prcd de lettres apocryphes annonant que les Franais, dbarqus Bne, lavaient nomm bey de Constantine. Ibrahim tait le gendre de Ferhat-ben-Sad-Bonokkaz, le chikh-el-Arah effectif du Sahara(2) ; celui-ci arriva avec les Arab-Cheraga (Ahl-ben-Ali, Ghamra, Cherfa), les Ouled-Sahnoun, etc.______________________________________________________________________1. Les Sahari et les Bouazid, Selmia, Rahmane, ou Arab-Gheraba, qui sont rests du soff des Bengana. 2. Mohamed-ben-el-hadj-Bengana tait titulaire nominal de cette charge, mais il navait aucune autorit au sud dEl-Oulaa.

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Le quartier gnral des rebelles fut dabord An-Kareb, chez les Ouled-Abdelnour, puis il se transporta, lautomne de 1830, Biar-Djedid, prs Mechira. Le bey Ahmed marcha contre eux ; eu une nuit, son argent et la diplomatie de Mohammed-ben el-hadj-Bengana russirent semer la division entre les divers chefs et en acheter quelques-uns, entre autres Sahli-ben-Boubegbla, qui, le lendemain, t volte-face avec les Ouled-Sahnoun au dbut du combat. Cette trahison entrana la droute gnrale des ennemis du bey. Aprs cette affaire, dans laquelle il reut en pleine gure en coup de feu qui lui brisa quatre dents, Ahmed-el-Moqrani rentra dans les environs de la Medjana, et, pendant que le bey allait guerroyer dans le Sahara de Biskra, il reprit, pour son compte personnel, la lutte contre Abdesselem-el-ben-Ills, quil russit rejeter momentanment vers le sud. Cest alors quen fvrier 1831 Abdesselem-el-Moqrani, Salati-ben-Ills et Ferhat-ben-Sad-ben-Bouokkaz envoyrent au gnral Berthezne, Alger, des lettres dans lesquelles ils offraient leur concours et leur soumission la France, condition quon les aidt dbarrasser le pays du bey Ahmed. A cette poque, nous ntions pas mme dapprcier la valeur de ces propositions, et encore moins en tat de les accepter ; laffaire en resta l, pour tre reprise lanne suivante, en janvier et mars 1832, avec une nouvelle insistance, par Ferhat-ben-Sad-ben-Bouokkaz. Quoi quil en soit, comme point de dpart de nos relations avec les grands chefs de la province de Constantine, cette triple dmarche de fvrier 1831 est retenir. Dus cette poque de leurs esprances de soutien par la France, Abdesselem-el-Moqrani et ses allis sadressrent au bey de Tunis. Le bey de Constantine intercepta la lettre dAbdesselem, et, quelques annes plus tard, stant empar de lui par surprise, il lemprisonna Constantine. Cette fois encore Abdesselem ne dut la vie quaux instances de sa lle, Achouch, femme du bey. Protant de la captivit de son cousin, Ahmed-el-Moqrani, investi par le bey du cheikhat de la Medjana, prit le commandement des Hachem et la direction du pays, en remplacement du vieil Ben-Abdallah, qui venait de mourir. En 1836 et 1837, lors des deux expditions de Constantine, Abdesselem resta dtenu la Kasba, et Ahmed-el-Moqrani combattit contre nous ; ses contingents eurent de nombreux blesss, notamment dans la retraite que couvrit, en 1836, le gnral Changarnier. A la prise de Constantine, Abdesselem put schapper la faveur, du dsordre qui suivit notre entre en ville ; protant son tour de labsence et de lloignement de son cousin, rest avec le bey Ahmed, il se hta de rallier lui les contingents de la Medjana et de prendre possession du ef hrditaire. Ahmed-el-Moqrani suivit quelque temps le bey vaincu et fugitif; il lui offrit de le conduire la Qalaa des Beni-Abb ou dans le Djebel-Maadid ; mais le bey prfra se coner aux Bengana, et chercher un refuge dans le Djebel-Aors. Un peu froiss de cette prfrence et nayant rien faire de ce ct, Ahmed-el-Moqrani reprit le chemin de la Medjana avec ses quelques cavaliers. Il tait trop tard, la place tait occupe, et Abdesselem en force lui interdit lentre du pays ; il alla alors chez les Ouled-Madi de loued Chellal, puis nit par gagner la Qalaa des Beni-Abbs, rests dles au soff des Ouled-el-Hadj. En dcembre 1837, lmir Abd-el-Kader, que le trait de la Tafna avait sacr,

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aux yeux de tous les indignes, souverain lgitime des musulmans dAlgrie, vint dans lOuennougha organiser son nouveau royaume et faire reconnatre ses prtentions sur les pays environnants. Ahmed-el-Moqrani et Abdesselem allrent lui, se dclarant prts accepter sa suzerainet si les conditions taient leur convenance. Abdesselem-el-Moqrani tait alors bien plus en situation dte utile que Ahmed : ce fut donc lui que Abd-el-Rader agra et investit en qualit de khalifat de la Medjana. Les OuledGandouz reurent aussi des cadats dans le Hodna. Ahmed-el-Moqrani, ne voulant aucun prix accepter lautorit de son cousin, essaya de le renverser, mais il ne put lutter avec succs, car Abdesselem tait soutenu par les Hachem, les Ouled-Madi de Msila, et aussi par llment maraboutique, que ses intrts ralliaient lmir et chrif Abd-el-Kader-ben-Mahieddine. Bientt, aux Beni-Abbs mme, la position ne fut plus tenable; les gens des villages de Tazaert, Azrou, et une partie de ceux dIghil-Ali et de Chouarikh, lui taient hostiles, et, pour ne pas tre bloqu Qalaa, il dut se rfugier chez les Beni-Yadel dEl-Man. Un jour, dans une sortie contre son cousin, Ahmed-el-Moqrani fut fait prisonnier; Abdesselem se contenta de lexiler dans le Hodna et de lui faire jurer de ne pas rentrer dans la Medjana. Un pareil serment ne pouvait avoir une longue dure ; Ahmed-el-Moqrani, bout de ressources, songea alors reprendre pour son compte lalliance franaise que son cousin avait vainement sollicite huit ans auparavant. Il se rendit dans ce but chez le chikh hrditaire de Fordjioua, Bouakkaz-ben-Achour, qui avait t comme lui un ami du dernier bey, et qui depuis stait ralli aux Franais. Le chikh Bouakkaz affermit Ahmed-el-Moqrani dans ses intentions de soumission, et celui-ci, aprs stre mis en relation avec Ali-ben-Baahmed, cad el Aouassi(1), se prsenta vers la n de juillet 1838 au gnral Galbois, qui commandait Constantine. Quand il arriva, nous venions de recevoir les offres de service de Benhenniben-Ills(2), qui protant de notre inexprience du pays, stait fait donner le titre de chikh de la Medjana, fonctions que dailleurs il nexera jamais. Tout ce quon put faire pour Ahmed-el-Moqrani fut de le nommer cad des Ameur ; deux mois aprs, en septembre, Benhenni-ben-Ills ayant t tu dans une expdition contre les Righa-Guebala, Ahmed-el-Moqrani eut le titre quil dsirait, ou plutt celui de khalifat, qui fut inaugur ofciellement le 30 septembre, et confr nos principaux allis ou lieutenants indignes venus spontanment nous. Il est important de dire ici un mot de cet arrt du 30 septembre, aujourdhui oubli, parce quil fut, cette poque, un acte politique dune haute porte et le______________________________________________________________________1. Le cad el Aouassi, ou cad des Haracta, tait, sous les Turcs, un des membres de la famille du bey ; il avait sous ses ordres la confdration des Haracta compose de quatre tribus makhzne : Ouled-Sad, Ouled-Siouan, Ouled-Khaufar, Eumara, et de trente-deux petites tribus vassales, Sellaoua-Kherareb, etc. Ctait tout le pays entre Bordj-Sigus et Halloufa, : tout ce qui fut plus tard le cercle dAn-Beida, divis en six cadats. Ali-ben-Baahmed tait un couloughli investi par nous ; il fut toujours un de nos plus dles serviteurs. 2. Ctait le frre de Salah-ben-Ills, qui venait dtre tu accidentellement en intervenant dans une rixe des Ameur.

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point de dpart de nos relations avec les grandes familles de la province de Constantine. Il contenait une sorte de contrat synallagmatique entre la France et ses khalifats, et les clauses de ce contrat expliquent la rsistance que plusieurs dentre eux ont apporte plus tard des mesures qui leur parurent restrictives des hautes fonctions dont nous les avions revtus, en change de leur concours volontaire et spontan. Tout dabord, il convient de remarquer que les fonctions de khalifat ne devaient tre confres que pour le gouvernement des territoires dont la France ne se rservait pas ladministration directe(1) . Aussi les khalifats relevaient directement du gnral commandant la province(2), dont ils taient les lieutenants(3) . Aux temps de la conqute, alors que tout tait militaire en Algrie, cela les assimilait implicitement des gnraux de brigade. Ces hauts fonctionnaires avaient droit, dans ltendue de leur commandement, aux honneurs attribus au khalifat sous le gouvernement du bey(4) . Ils nommaient les cheiks des tribus soumises leur autorit et prsentaient leurs candidats pour les emplois de cad, qui restaient la nomination du commandant de la province(5). Ils percevaient les divers impts pour le compte de ltat et gardaient le tiers du hokor comme traitement(6) et frais de reprsentation . Ils devaient gouverner les musulmans suivant les lois du prophte(7). , et, enn, ils avaient une garde particulire dun escadron de spahis irrguliers, en partie solds sur le budget de la France(8). Cinq indignes seulement eurent cette haute situation dans la province de Constantine(9). Aujourdhui, il peut nous paratre bien trange que la France ait consacr et rgularis de pareilles situations des indignes. Mais, au lendemain de la prise de Constantine, alors que lex-bey Ahmed tenait encore la campagne, alors que dans louest nous avions lutter contre lmir Abd-el-Kader, alors que dans la mtropole labsurde ide de loccupation restreinte avait tant, de partisans et faisait refuser nos gnraux les moyens daction ncessaires, notre intrt nous impo______________________________________________________________________1. Titre, prambule et article 1er de larrt. 2. Le gnral tait dit commandant suprieur . 3 Le mot khalifat na pas, en effet, dautre sens que celui de lieutenant ; les premiers souverains musulmans (les khalifes) prirent ce titre de khalifat comme lieutenants du prophte ; et le moindre agent indigne a son khalifat, cest-a-dire son aide, son remplaant. 4. Article 3. 5. Article 4. 6. Article 5. 7. Article 8. 8. Article 7, complt par larrte du 3 juillet 1840 B. O., qui crait des escadrons de spahis de khalifat. Chaque escadron avait cent cavaliers et quatre sous-lieutenants indignes. Ils squipaient et se montaient leurs frais, et navaient pour distinctive quune amme bleue. sur la tte , dit larrt; en ralit, leur uniforme fut le bernous bleu. 9. Ali-ben-Aissa, ancien lieutenant du bey, khalifat du Sahel Ali-ben-Hamlaoui, khalifat du Ferdjioua, et remplac, ds 1840, par Bouakkaz-ben-Achour, dont il tait lhomme de paille, et qui avait prfr dabord ne pas exercer de fonctions ofcielles.

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sait ces procds pratiques et peu dispendieux, Ce quil nous fallait alors, ce ntait ni des administrateurs ni des fonctionnaires, ctait des allis puissants et inuents, des gens dont le nom, les antcdents, la situation familiale, nous ssent accepter par les populations, travailles par lmir au nom de lislam. A ces allis inesprs, qui venaient nous offrir des pays que nous ne connaissions pas, et dans lesquels on ne nous avait jamais vus, il et t puril de demander autre chose quun concours politique et guerrier. Cest ce quon l; et, ds que notre autorit se fut affermie, il ne fut plus cr de khalifat, alors mme que dautres grands personnages vinrent se ranger spontanment, sous notre autorit, avec les populations dont leurs familles avaient eu jusqualors le gouvernement effectif. Ceux-l, dans la province de Constantine, furent de simples cads; cest ce qui arriva aux anciens chikhs hrditaires de lAors, du Bellezma, de Qsarettir, du Zouagha, du Dir et des Guerfa(1). Leurs cadats au dbut furent immenses mais ils entrrent, ds le premier jour, notre service comme fonctionnaires, et non comme allis. Les deux plus grands commandements de khalifat furent, en 1838, celui du chikh-el-Arab, qui on donna tout le Sahara (y compris le Djerid, qui est et a toujours t tunisien), et celui de la Medjana, qui comprenait tout le territoire stendant entre le khalifalik du Ferdjioua lest, larrondissement du chikh-el-Arab au sud, et la province du Tittery louest ; parmi les principales tribus explicitement dsignes dans larrt de nomination se trouvaient celles du Hamza, celle de Bouada et celle du Hodna. Le double de cet arrt, qui est du 24 octobre, fut, cette mme date, remis en grande crmonie Ahmed-el-Moqrani par le marchal Vale, dans le palais de Constantine. Le procs-verbal de cette remise et de la prestation de serment du khalifat fut sign par dix-sept personnes. Moins de deux mois aprs son investiture, le khalifat Moqrani se faisait fort de faire passer travers les Bibane deux colonnes franaises qui seraient parties dAlger et de Constantine, opration que le gouvernement voulait faire pour afrmer ses droits sur un pays que lmir sattribuait, en vertu dune interprtation______________________________________________________________________Ahmed-el-Moqrani, khalifat de la Medjana. Ferhat-ben-Sad, et, partir du 18 janvier 1840, Bouazid-Bengana, chikh-el-Arab, (un paragraphe de larrt disait que le chikh-el-Arab avait rang de khalifat.) Ali-ben-Baahmed, cad el Aouassi, nomm khalifat un peu plus tard. Le cad des Hanencha (ancien chikh hrditaire) et celui des Ameur avaient, daprs larrt, la mme situation que les khalifats, sauf lescadron de spahis. 1, Sous les Turcs, le beylik de Constantine se composait de : onze grands efs hrditaires reconnus, dont les chefs portaient le simple titre de chikh, et taient de grands vassaux avec lesquels on comptait. Vingt cadats de tribu ; quatre cadats de ville ; dix-huit tribus, apanages du bey ; et enn vingt-trois tribus reconnues indpendantes, cest--dire ne relevant nominalement daucun chef investi par les Turcs ou reconnaissant leur suzerainet. Un certain nombre de petits efs maraboutiques, indpendants en fait, et en bonne relation avec les Turcs, qui les dclaraient exempts dimpts.

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discutable des stipulations si trangement libelles du trait de la Tafna. La colonne de Constantine, commande par le gnral Galbois, se mit en route par Djemila et arriva Stif, sans coup frir, le 15 dcembre 1838 ; mais, celle dAlger ayant t immobilise par les pluies, lexpdition lut remise lanne suivante. Le khalifat prota de ce retard pour consolider ou tendre ses alliances; et les circonstances favorisrent ses dmarches. En effet, au commencement de 1839, et la suite dun chec inig Abdesselem, prs le Djebel-Youcef, par le chikh de Qsarettir, chikh Messaoud, chef indpendant des Righa-Quebala, lmir Abdel-Kader avait rappel son khalifat Mda, et lavait remplac par Ahmed-benOmar, le propre khodja dAbdesselem-el-Moqrani. Ctait la mise en pratique, par lmir, de la substitution de llment maraboutique(1) la noblesse dpe dans la direction des affaires. Pour quelle raison Abdesselem-el-Moqrani accepta-t-il lhumiliation davoir sincliner devant son secrtaire, on ne le sait pas au juste, mais il est permis de penser que ce fut la haine quil portait son cousin qui lui t dvorer cet affront, dont son orgueil de djouad dut cruellement souffrir. Au mois de mai 1839, le gnral Galbois revint Stif, o le khalifat Ahmed-el-Moqrani vint au-devant de la colonne avec un goum de brillants cavaliers des Hachem, Righa-Quebala, Ameur et Eulma ; le chikh Messaoud, de Qsarettir, laccompagnait et venait, son incitation, se mettre, avec les Righa de son soff la disposition du gnral et au service de la France. Abdesselem stait retir devant nos troupes et avait pris position SidiEmbareck. Le 25 mai, an soir, le colonel Lanneau, avec trois cents chasseurs et le goum du khalifat Moqrani, fort de mille cavaliers, se portait dans cette direction. Le 26, au point du jour, Abdesselem prenait la fuite, et notre cavalerie, se lanant sa poursuite jusquau del de Zemora, lui enleva tous ses mulets et une partie de ses troupeaux. Cette belle razzia tait le premier fait de guerre excut une de nos colonnes par le khalifat Moqrani ; elle eut un grand retentissement chez les indignes. Ctait du reste un acte de vigueur remarquable, car, en vingt-neuf heures, nos chasseurs et nos goumiers avaient parcouru, presque sans repos, plus de 100 kilomtres (aller et retour)(2). De nombreuses soumissions en furent la consquence immdiate, et quand, au mois doctobre suivant, le marchal Vale et le duc dOrlans arrivrent Stif, ce fut au milieu dune vritable ovation des tribus du voisinage. Le 25 octobre 1839, le marchal et le prince staient arrts An-Turc, quand, dans la nuit, le khalifat Moqrani vint annoncer que la route tait libre. Le 26, on campait Bordj-Medjana, dont on prit possession en plaant cinquante tirailleurs dans les ruines de lancien fortin turc. Le 28, toujours sans coup frir, la division dOrlans traversait les Bibane,______________________________________________________________________1. Ahmed-ben-Omar tait originaire de la famille chrienne des Ouled-Sidi-Assa Aumale. 2. Le duc dOrlans, dans son livre des Campagnes dAfrique, page 402, a fait un rcit tris color de cette charge fantastique, qui ne paratrait pas croyable si elle navait pas eu autant de tmoins .

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que les Turcs avaient nomm les Portes de Fer, et arrivait Alger le 2 novembre. Au point de vue de notre action politique en Algrie, cette marche militaire avait une grande porte; la prsence la tte des troupes dun prince cher larme dAfrique t quon donna ce fait un norme retentissement, et notre khalifat de la Medjana fut lobjet dune considration toute spciale. En ralit, sil avait t actif et habile, il avait travaill surtout en vue de la restauration de son ef hrditaire, et il avait t trs heureux de faire voir aux populations ces brillants et nombreux soldats appuyant ses droits et son autorit sur le pays. Ou ne sut pas non plus, et surtout on ne raconta pas cette poque, quen diplomate prudent, Ahmedben-el-hadj-el-Moqrani avait, de ses propres deniers, pay ses vassaux, comme venant de nous, le fameux tribut que les colonnes turques avaient toujours sold aux riverains des Bibane. Le 31 octobre, trois jours aprs le passage du duc dOrlans aux Bibane, deux cavaliers, envoys par Ben-Abdesselem-el-Moqrani, arrivaient Tagdemt(1), ayant franchi avec des relais 400 kilomtres en trente-six heures, et ils rendaient compte lmir de cette expdition et de laltitude des populations traverses. Le 3 novembre 1839, Abd-el-Kader tait Mda et nous dclarait la guerre. Pour faire tomber les oppositions de la fodalit indigne dispose se rallier nous, pour vaincre linertie des dmocraties berbres dsireuses de sisoler de la lutte, le 20 novembre, le jour de lAd-el-Kebir, lmir, parlant avec le double prestige de chrif ls du prophte, et de moqaddem des Qadria, proclamait le Djehad : la guerre sainte, qui est dobligation troite pour tous les musulmans ds quelle est proclame. Aussitt la Mitidja tait envahie ; et partout les lieutenants ou les missaires de lmir semaient la trahison et la dsaffection autour de nos meilleurs agents. En quelques jours le bnce de lexpdition des Portes de Fer tait perdu. Entour de contingents trop nombreux, notre khalifat avait d quitter la Medjana et regagner la Qalaa de Beni-Abbs, et, autour de Stif, notre rayon daction diminuait rapidement. Pour faire face cette prise darmes gnrale, nous navions ni effectifs sufsants, ni chef hauteur des difcults. Le marchal Vale avait toutes les qualits qui commandent lestime et le respect, mais ce ntait ni un homme de guerre ni un homme de gouvernement. Il connaissait, pour les avoir traverses, ces vastes plaines au sud et louest de Stif ; il avait vu luvre nos cavaliers et nos goumiers, et, au lieu de faire razzer tout ce qui en pays plat appartenait aux partisans de lmir, il prescrivait, pour protger Stif et appuyer laction de notre khalifat, la cration dun petit camp retranch An-Turc. Le point ne commandait ni ne dfendait quoi que ce soit, et, de plus, il tait situ quelques milliers de mtres seulement de montagnes habites par des populations kabyles trs denses, restes indpendantes sous les Turcs, et avec lesquelles nous navions pour le moment rien faire. Il y eut sur ce point, contre Abdesselem-el-Moqrani et ses contingents, une______________________________________________________________________1. Prs Tiaret.

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srie de combats trs brillants, mais absolument inutiles(1). Pendant ce temps, nos goums fondaient, et El-hadj-Mostafa, beau-frre de lmir, et Ahmed-Chrif-benchikh-Saad, son alli avec les Righa-Dahra, faisaient autour de Stif, au dtriment de nos allis indignes, une guerre de courses et de razzias qui coupaient nos communications et nous montraient impuissants protger nos nouveaux sujets. Le khalifat Moqrani guerroya, sans grand succs, jusquau 20 mai 1840, o une sortie du colonel Levasseur et de la garnison de Stif amena la soumission des Righa-Quebala et de Mohammed -Sgir-ben-chikh-Saad, frre dAhmed-Chrif, chef du soff des Quebala, jusqu ce jour lieutenant actif dAbdesslem et de lmir. Cette affaire, laquelle notre khalifat prit une part honorable, loigna pour quelques semaines les contingents dAbdesselem. Mais cette accalmie fut de courte dure; la ncessit de dmonstrations armes du ct de Philippeville et dautres points menacs nous avait forcs rduire la garnison de Stif et supprimer le camp dAn-Turc. Cela ressemblait une retraite, et il nen faut jamais avec les indignes. El-hadj-Mostafa, khalifat et beau-frre de lmir, prota de celte diminution de nos troupes pour arriver de Msila au mois de juillet, travers les Ayad et Bordj-Redir. Il avait avec lui, disaiton, 5,000 cavaliers et 1,500 fantassins. Devant de pareilles forces, le khalifat Moqrani fut oblig de se replier avec sa zmala dans les montagnes, prs de Zemora ; la garnison de Stif fut pour ainsi dire bloque. On se battit jusque sur lemplacement du march et sur celui du cimetire ; et, depuis les Abdelnour jusquau Sahara, les contingents afurent autour dEl-hadj-Mostafa. La situation, au mois daot 1840, tait devenue critique, quand le colonel Levasseur reut enn les renforts quil sollicitait depuis quelque temps, Aussitt il se porta sur le camp que El-hadjMostafa avait install 20 kilomtres seulement de Stif, Merdja-Zerga, et battit compltement les contingents du khalifat de lmir. Dans cette affaire, une poigne de Franais(2), aids des goums bien rduits dAhmed-el-Moqrani, de Ben-Ouari, de Chikh-Messaoud, eurent raison de 6,000 cavaliers et de 1,200 rguliers. Ce combat, qui fut sans contredit un des plus brillants de ceux livrs par larme dAfrique, ne t pas grand bruit chez les Franais ; mais il produisit un grand effet sur les indignes. El-hadj-Mostafa fut forc de se replier Bordj-Redir, et plus tard Msila. Le khalifat Moqrani dgagea la Medjana, reprit possession de son commandement et put ds lors afrmer notre autorit et aider utilement nos oprations militaires. Quelque temps aprs, le 15 octobre 1840, on crait la subdivision de Stif, comprenant le Djerid et le khalifat de la Medjana , avec extension des limites de larrondissement jusqu la Mditerrane, entre Bougie et Djidjelli. Larrt de cration maintenait nanmoins la situation faite au khalifat Moqrani et au chikh-el-Arab par larrt du 30 septembre(3). Le 22 fvrier 1841, le gnral Bugeaud(4) remplaait le marchal Vale et______________________________________________________________________1. Notamment celui du 8 mai 1840, colonel Lafontaine; celui du 9, commandant Richepanse ; 11 mai, lieutenant Bourbaki et commandant Richepanse ; 15 mai, colonel Lafontaine ; 20 mai, aux Righa-Quehala, colonel Levasseur. 2. Deux bataillons de ligne, deux compagnies de tirailleurs, quatre escadrons de chasseurs dAfrique, une demi-batterie, sept huit, cents goumiers. 3. Articles 3 et 4 de larrt du 15 octobre. 4. Nomm le 29 dcembre 1840.

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donnait aussitt aux affaires indignes et aux oprations militaires une direction pratique, sinspirant la fois des ncessits du pays et des intrts de la France. Tout dabord il substitua au systme des petits postes, dont la garde et le ravitaillement puisaient nos troupes sans effets utiles, des colonnes lgres sufsamment fortes et outilles pour passer partout et montrer nos soldats dans les tribus. Ds le mois de juin, les voies ayant t habilement prpares par le khalifat Moqrani, le gnral Ngrier arriva sans coup frir Msila, o il fut reu comme un librateur et on toutes les tribus du voisinage vinrent spontanment faire acte de soumission. En revenant vers Stif, on laissa, sur la demande du khalifat, 300 hommes An-bou-Arreridj, autour du petit rocher isol que surmontaient les ruines du fort Turc, dj occupes un instant en 1839. Pour se mettre labri dun coup de main, ces hommes dblayrent les ruines, et, sans outils, avec de la terre en guise de mortier, ils rent une enceinte de 190 mtres de contour quon nomma la Redoute. Telle fut lorigine de Bordj-bou-Arreridj. Peu de jours aprs cette installation, en juillet 1841, El-Hocene-Benazouz, ancien khalifat de lmir Abd-el-Kader, destitu la suite de sa dfaite au combat de Salsou(1) et depuis cette poque rfugi auprs dEl-hadj-Mostafa, crivit Ahmed-el-Moqrani pour le prier dtre son intermdiaire auprs des Franais et de lui faire accorder lamane. Moqrani lui rpondit de venir Msila, o il le verrait ; mais notre khalifat navait point oubli le concours effectif prt en diverses circonstances Abdesselem par Benazouz : il t dire aux gens de Msila darrter lancien khalifat de lmir et de le lui amener. Ce qui fut fait. Moqrani lexpdia alors Constantine, do le gnral lenvoya lle SainteMarguerite(2). Le commandement de la petite garnison de Bou-Arreridj avait t con au capitaine Dargent, qui avait surtout pour mission de guider et de conseiller le khalifat Moqrani. Il devait lui transmettre et lui expliquer les ordres de lautorit. Il ntait lui-mme ni le chef, ni le subordonn de khalifat, et cette situation, qui ressemblait fort celle quont nos rsidents modernes dans les pays de protectorat, demandait beaucoup de tact et dintelligence. Elle tait dautant plus dlicate pour le capitaine Dargent quen sa qualit dofcier commandant la garnison il tait le______________________________________________________________________1. Le combat de Salsou avait t livr le 24 mars 1840, non loin dEl-Outaa, par les nomades Gberaba remontant vers le Tell, et qui Benazouz voulait barrer route. Les Bengana, camps El-Mader, prs Batna, ny assistaient pas. Les cavaliers de leur zmala taient venus jusqu El-Kantara, mais ils avaient rebrouss chemin, un apprenant les dispositions prises par Benazouz. Les Gheraba, rent, eux seuls, un carnage pouvantable des rguliers de lmir. Quand un courrier en apporta la nouvelle Bou-Aziz-Bengana, chikh-el-Arab, celui-ci vint El-Outaa, et, moyennant 5,000 francs pays aux nomades de son soff , il t couper sur les cadavres cinq cents paires doreilles que Khaled-ben-Ali-el-Hanachi, parent par alliance des Bengana, porta Constantine, avec une lettre rendant compte des dispositions stratgiques et des prouesses des Bengana dont ce combat t la fortune. Le gnral Galbois ne sut que beaucoup plus tard la vrit. (Voir dans la Revue africaine, 1884, page 253, les dtails vridiques donns par M. Fraud sur cette affaire lgendaire.) 2. Plus tard, il fut intern Bne, o il mourut en 1841.

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subordonn immdiat du gnral chef de la subdivision de Stif, et que Moqrani, prenant la lettre son titre de lieutenant du gnral commandant la province, crivait directement celui-ci sans passer par lintermdiaire de la subdivision. Dautre part, le gnral qui commandait Stif tait sonnent gn par les mnagements quil lui fallait garder vis--vis le grand personnage qui commandait plus que lui dans la subdivision : de l des tiraillements et des froissements. La plupart des gnraux Stif ne saccommodrent pas volontiers de celte situation exceptionnelle, et leur grande proccupation fut, suivant une expression toute militaire souvent employe par eux, de faire rentrer dans le rang ce khalifat, qui navait pas au mme degr que les autres chefs indignes le ftichisme de lautorit. A chaque instant, le capitaine Dargent avait exercer sa patience et son habilet pour donner satisfaction ses chefs militaires, sans heurter les susceptibilits ombrageuses du khalifat, qui se plaignait sans cesse de notre intervention trop directe dans les affaires de son commandement. Du moment quil assurait la paix, la scurit, et le recouvrement des impts dans ses territoires, et quil se tenait, lui et ses cavaliers, notre disposition pour le service de guerre, il ne comprenait pas que nous lui demandions des comptes ou que nous lui imposions des mesures quelconques dans lintrt de ses tribus. Ce qui avait surtout le don de lindisposer contre nous, ctait de nous voir pardonner des ennemis de son soff et nommer des emplois de cad, dans sa circonscription, des gens qui, aprs lavoir combattu, taient venus nous demander Lamane directement sans passer par son intermdiaire. Il y eut prcisment, au mois de septembre 1841, un grand froissement de ce genre, propos de la nomination, aux fonctions de cad, du chikh Boudiafben-Bouras, chef du soff des Ouled-Madi de Msila. Boudiaf, qui tait grand(1) ami dAbdesselem, avait servi lmir Abd-el-Kader ; mais, voyant la prdilection de celui-ci pour llment maraboutique, il avait demand lamane au gnral Ngrier et avait offert ses services. Ctait un homme inuent, intelligent, et ayant une rputation mrite de loyaut et de bravoure. Ou le nomma cad, et jamais on neut regretter cette nomination. Mais le khalifat regarda cette mesure comme une offense personnelle ; il nous eu garda longtemps rancune, et il mit tout en uvre pour empcher le fonctionnement du nouveau cadat. Il ne fallait pas non plus demander au khalifat quelque chose qui ressemblt de ladministration(2), mot dont il ignora toujours le sens. Par contre, comme guerrier, et mme comme ngociateur, quand cela lui plaisait et quon sen remettait entirement son initiative, il tait pour nous un auxiliaire prcieux. Il le prouva bien en 1843, lorsquil conduisit Bouada la colonne du gnral Sillgue, qui fut fort bien accueillie sur sa route et dans la ville.______________________________________________________________________ 1. Cest le pre du cad Si-Sakhri-ben-Boudiaf et du cad Si-Mohammed-benHenni-ben-Boudiaf, que nous retrouverons dans nos rangs en 1871. 2. Le mot administrer na du reste pas dquivalent exact chez les indignes on est oblig de se servir dun mot voisin ; en arabe usuel, on gouverne, on commande, on ordonne, on dirige, on exerce lautorit, on statue, on gre, on coordonne, on juge, on soigne, on civilise mme, etc. ; mais on nadministre jamais dans le sens rigoureux du mot.

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Ds lors, Bouada, quoique non occup, resta absolument soumis, et de nombreuses tribus dOuled-Nal nous payrent limpt. En ce moment, Moqrani avait presque compltement repris linuence traditionnelle de sa famille, sauf aux Beni-Adel et aux Beni-Abbs, dont les fractions voisines de loued Sahel, et, notamment la ville dIghil-Ali, restaient toujours infodes sonrival Abdesselem. Ds lors, et malgr les efforts du capitaine Dargent, qui tait cependant devenu son ami et avait toute sa conance, Moqrani gouverna son khalifalik sans se soucier de nos admonestations, exploitant ses gens en seigneur et en maitre, et dpouillant ses ennemis pour combler ses anciens amis ou sen crer de nouveaux. En 1843 et 1844, les Ouled-Bourenane, Ouled-Gaudouz et Ouled-Abdesselem ayant fait leur soumission la France, on eut de nouvelles difcults avec le khalifat, qui ne voulait pas leur rendre les terres quils labouraient jadis, et dont il stait empar. Lordre formel qui lui fut donn de laisser ses cousins labourer lui parut trange, injuste et froissant. En ce qui concernait les deux premiers groupes, il sexcuta cependant, quoique pas content ; mais vis--vis dAbdesselem il t si bien, par ses procds haineux et ses tracasseries incessantes, quil le rejeta dans linsurrection au mois daot 1845. Abdesselem se retira aux Beni-Yadel, et, pendant un an, avec une bande de cavaliers dtermins, il ne cessa pas de couper la route de Stif Bordj-bou-Arreridj, et de mettre en dfaut la surveillance du khalifat. En mme temps, il travaillait activement tous les chefs indignes de son soff, dj rallis la France, et il les poussait non pas la rvolte contre nous, mais des campagnes dintrigues et de dnonciations calomnieuses contre le khalifat. Ahmed-el-Moqrani vit, tout de suite le plan de son ennemi, et il le djoua avec une rare habilet. Se sentant entour de comptiteurs et de rivaux indignes qui cherchaient le provoquer des rsistances et des manquements, pour se faire donner par nous quelques lambeaux de son commandement et mme le supplanter tout fait, il se montra particulirement correct et dvou, et il manuvra, au milieu des complications qui se droulaient autour de lui, de faon se crer des titres indiscutables notre bienveillance. Il nen fut pas rcompens son gr : ni son zle ni sa personnalit nempchrent en effet lautorit suprieure de poursuivre luvre dorganisation et de progrs, ce qui ne pouvait se faire, en bien des cas, quen sacriant les intrts particuliers du khalifat lintrt gnral. Lordonnance royale du 15 avril 1845(1) abrogea les arrts de 1838, et t, de cet alli et de ce grand vassal de la premire heure, un haut fonctionnaire, ofciellement plac sous les ordres dun ofcier suprieur commandant de cercle. Nous nous sentions dj assez forts pour gouverner nous-mmes et, notre______________________________________________________________________1. Promulgu le 31 aot 1845. Larticle 121 dit : Dans chaque circonscription de commandement, ladministration des territoires arabes est exerce, sous les ordres du lieutenant gnral, par les ofciers investis du commandement militaire. Ces ofciers ont sous leurs ordres : 12 les fonctionnaires et agents indignes de tout rang, institus par nous (bey et khalifat), ou par le gouverneur gnral (bachagha, agha).

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gnrosit naturelle souffrait de voir les abus de toutes sortes qui se commettaient dans les rgions relevant de nos beys et de nos khalifats, qui nous cotaient plus quils ne nous rapportaient ; nos distincts dmocratiques, nos exigences administratives et notre hirarchie militaire saccommodaient mal de ces situations privilgies, qui faisaient revivre sous nos yeux les murs et les ides du XIIIe et du XIVe sicle. Certes, nous avions dexcellentes raisons pour agir ainsi, mais il tait difcile de les faire accepter par le khalifat, qui se trouvait ls dans ses intrts et dans son orgueil, alors quil navait pas cess de nous servir loyalement ; il nous accusait dingratitude et ne comprenait quune chose: cest que nous voulions amoindrir sa situation et lui imposer, lui, noble seigneur, qui nous avait fait volontairement hommage de son ef hrditaire, les mmes obligations et les mmes devoirs que ceux imposs aux agents indignes que nous avions rduits par la force des armes ou que nous avions crs de toutes pices. Le khalifat protesta par sa mauvaise humeur et surtout par son inertie. On en prit texte pour complter et parfaire lorganisation du pays et mettre, autant que possible, des agents plus maniables et plus dociles. A la n de 1846, on retira du commandement de Moqrani les trois quarts de limmense confdration des Ouled-Nal : les Ouled-Zekri passrent dans le cercle de Biskra, et les autres tribus, lexception de celles de Bouada, passrent dans la subdivision de Mda(1). Ce coup fut trs sensible au khalifat, car, en temps de paix, les Ouled-Nal lui procuraient de beaux revenus. Lanne suivante, en 1847, lors de la soumission de Ahmed-Taieb-bensalem, ex-khalifat de lmir, on enleva encore Moqrani, au prot dOmar-Ben-Salem, nomm Bachagha de lOued-Sahel, dans la subdivision dAumale, les tribus kabyles Beni-Yala, Qsar, Sebkra, Beni-Mansour, Beni-Mellikeuch, Cherfa, sur lesquelles Moqrani navait jamais eu la moindre autorit, et celles de lOuennougha Gherba, Ksenna, Beni-Intacne, O. Msellem, qui taient danciens serfs (adamya) de sa famille, mais du soff Adbesselem. Rallies lmir, ces tribus de lOuennougha occidental, ou du soff (Oudcuou-Abiod) loreille blanche(2) avaient t razzes et soumises par le khalifat, en 1842. Mais il avait eu la main si lourde, et leur avait si durement fait expier leur attachement et leur concours Abdesselem, que les malheureuses populations staient de nouveau rejetes dans linsurrection et avaient demand assistance Ben-Salem. A aucun prix elles ne voulaient retomber sous lautorit de Ahmed-el-Moqrani. Celui-ci tait de plus en plus mcontent, car, cette fois, on lui avait bel et bien enlev une partie du ef hrditaire et incontest de sa famille. On essaya de lui faire comprendre que, nayant pas russi afrmer dune faon srieuse son autorit et la ntre sur ces tribus, il tait indiqu de les remettre aux mains de gens qui y seraient accepts sans nous obliger intervenir, et qui feraient rentrer les impts sans nous forcer de dispendieuses expditions, Ahmed-el-Moqrani tait_____________________________________________________________________________ 1. Ce sont celles qui ont gard ofciellement le nom gnrique dOuled-Nal, et qui ont form plus tard lannexe puis le cercle de Djelfa. 2. LOuennougha oriental tait dit loreille noire , Oudenou-Kahla : ces dnominations paraissent provenir de la couleur des montagnes de lOuennougha, vues dun peu loin.

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intelligent, et il comprit fort bien ; mais il ntait pas dun caractre modier sa manire de faire vis--vis ses anciens ennemis. Bientt, le Hodna tout entier, livr aux cratures du khalifat, fut dans un tat danarchie et de surexcitation tel quil fallut aviser. On cra donc, en Octobre 1849, le cercle de Bouada, la tte duquel ou plaa un commandant suprieur, ayant directement sous ses ordres des cads ne relevant plus du khalifat. Ctait pour Moqrani une diminution dautorit et de revenus, et cela mit le comble son mcontentement. Ds lors, il cessa de soccuper des affaires de son commandement, sisola dans son Bordj, et il fut impossible de rien tirer de lui. A toutes nos communications, ou il ne rpondait pas, ou il nous disait, en substance, avec plus ou moins de mnagements dans la forme : Cest vous maintenant, et non plus moi, qui tes les matres du pays ; vous avez des agents votre dvotion, et en qui vous avez plus conance quen moi, puisque vous avez t les choisir parmi mes ennemis, qui sont cependant aussi les vtres. Peut-tre sauront-ils vous contenter mieux que je ne pourrais le faire, malgr toute mon affection pour vous. Or prcisment, cette poque, nous aurions eu besoin du zle et de lunion de tous nos agents. Cest, en effet, en 1849 que parut, dans la subdivision dAumale, un individu qui devait, plus tard, jouer un grand rle dans les annales des insurrections algriennes. Il se nommait Si-Mohammed-Lemedjed-ben-Abdelmalek, et fut vite connu sous le sobriquet. de Boubeghla(1) en raison dune belle mule grise quil montait, et qui composait toute sa fortune. Cet homme, venu de louest, se donnait comme taleb et faiseur damulettes ; il stait mari et x aux Adaoura, et navait dabord t lobjet daucune plainte ; cependant, on le surveillait, et, sur des dnonciations dindignes, on avait ni par donner lordre de larrter. Prvenu temps, il avait pris la fu