INSTITUTIONS POLITIQUES Cours du professeur Guillaume Tusseau.
Institutions et Evolution politiques de KASAR MARADI.pdf
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Institu,tions et évolution politiques de Kasar. Maradi (Katsina Nord)
au XIXè siècle
, . ~ ,
CELHTO/UA
Collection Etude
Centre d'Etudes Linguistiques et Historiques par Tradition Orale CELHTO, B.P.: 878, Niamey, Niger
Photo de couverture : Palais actuel de Gidan Korau à Birnin Maradi
Photo Thomas R. Johnson, 3 Juillet 2002
© CELHTO/UA Niamey
Achevé d1mprimer sur les presses de la NIN Janvier 2003
3
AU PEUPLE NIGERIEN,
A MON PERE, FEU MAHAMANE DAN-LADY BAKOYE,
A MA MERE, HAJIYA TA-AUSAGI UBAN-DAWAKI,
A MON CHER FRERE, FEU ABDOU DAN-LADY
A MES FIDELES AMIS MADAME ET MONSIEUR BAKOYE SAMINOU
4
REMERCIEMENTS:
Il m'est pratiquement impossible de citer tous ceux qui ont
contribué à la réalisation de ce travail. Cependant toute ma gratitude
leur est adressée.
Néanmoins je ne manquerai pas de remercier:
- Pro Djibo Hamani, du Département d'Histoire de l'Université de
Niamey;
- Pr Kimba Idrissa du Département d'Histoire de l'Université de
Niamey;
- Pro Jean-Louis Triaud du Département d'Histoire de l'Université de
Provence, Aix-Marseille I. ;
- M. Aboubacar Adamou, Doyen de la F.L.S.H.fU.A.M. ;
- M. Mahamane Karimou, Chef du Département d'Histoire de
l'I.R.S.H. à Niamey;
M. Sallah Alhassane, Chef du Département de Géographie de
l'Université de Niamey;
M. Malam Issa Mahaman, Chef adjoint du Département
d'Histoire ;
qui ont apporté, au cours de la lecture de mon manuscrit, des
critiques et des suggestions solidement fondées sur des
connaissances spécialisées, scientifiques et méthodologiques.
Il serait ingrat de ma part de ne pas remercier :
- M. Oumarou Garba Youssoufou, Organ'isation of African Unity,
Executive Secretary to the United Nations (en retraite) , pour
tous ses soutiens dans mes études ;
-Dr Yusufu Baia Usman, de l'Université de Zaria, pour ses
précieuses indications ;
5
-Feu Pro Dan Dicko Dan Koulodo, de la Faculté des Sciences de
l'Université de Niamey, pour son aide et son encouragement au
cours de cette étude ;
- M. Hassane Dan Karami pour les divers services rendus dans le
cadre de ce travail.
Outre ces avantages, j'ai bénéficié de l'appui fidèle de nombreux
parents, amis, collègues et des Nigériens au Nigéria dont il sera
fastidieux de citer tous les noms.
Enfin la publication de ce travail ne serait pas possible sans le
soutien financier du Centre d'Études Linguistiques et Historiques par la
Tradition Orale (C.E.L.H.T.O./U.A.) qui a bien voulu supporter les frais
de cette publication et l'accepter dans sa célèbre Collection Etudes.
Que cette institution et son Directeur, Monsieur Mangone Niang,
trouvent ici l'expression de ma gratitude. Je suis particulièrement
reconnaissant à M. Sounaye Abdoulaye de l'Université Abdou
Moumouni, Mahaman Alio de l'Inspection de l'Enseignement
Secondaire Niamey IV pour avoir accepté de lire notre manuscrit et
faire des observations constructives. La révision de ce manuscrit
n'aurait pas été possible sans le concours matériel de M. Moussa
Bouzou Ibrahim, chef du Département de Géographie. Qu'il trouve ici
l'expression de ma gratitude. Je n'oublierai pas Monsieur Laouali
Dambo qui a gracieusement élaboré les cartes et schémas contenus
dans ce livre.
L'étude que nous publions aujourd'hui est le fruit d'un travail réalisé
dans le cadre d'un mémoire de Maîtrise, soutenu en juin 1985. Le Jury
avait recommandé sa publication, mais pour des raisons
indépendantes de notre volonté, cette publication a été à plusieurs
reprises reportée. Nous nous félicitons..cJe ce qu'elle a eu enfin lieu.
6
ABREVIATIONS:
A.D.M : Archives du Département de Maradi (Préfecture.)
A.N.N. : Archives Nationales de la République du Niger à Niamey.
A.W.A.I : Aspect of West African Islam.
BRO : Brochure, par exemple Brol = Brochure nOl à l'IRSH, Niamey.
Bull. : Bulletin.
B .U.K. : Bayero University Kano (Nigéria).
B.U.P.A. : Boston University Paper on Africa.
C.E •• L.H.T.O.: Centre d'Etudes Linguistiques et Historiques par
Tradition Orale; ex-C.R.D.T.O., (Centre Régional de Documentation
par Tradition Orale) Niamey.
C.N.R.S.H. Centre Nigérien de Recherches en sciences Humaines,
Niamey.
C.U.P. : Cambridge University Press.
D.A. : Document Anonyme.
Ea.C.E. : Entretien anonyme Collectif Enregistré.
E. C. E. : Entretien Collectif Enregistré.
E.Cn. E. : Entretien Collectif Non Enregistré.
E.I.E. : Entretien Individuel Enregistré.
E. In.E.: Entretien Individuel Non Enregistré.
E.N : Etudes Nigériennes.
H.G. : Hikayat al-Ghuzu.
H.M. : Hausawa da Makwabtansu.
H.G.A. : Histoire Générale de l'Afrique.
H.W.A.I. : History of West Africa, Volume 1.
I.F.A.N.: Institut Fondamental de l'Afrique Noire: ex- Institut
Français d'Afrique Noire.
7
I.R.S.H.: Institut de Recherches en Sciences Humaines ex-
C.N.R.S.H.
I.N.F. : Imprimerie Nationale de France.
I.U. P. : Ibadan University Press.
l.A.H. Journal of African History.
l.A.S. : Journai of African Society.
l.S.A. : Journal de la Société des Africanistes.
K.I.L.Z. : Kashim Ibrahim Library, Zaria (Nigéria.)
N.H.R.S. : Northern History Research Scheme, Zaria (Nigéria).
N.N.P.C. : Northern Nigeria Publishing Company.
O.U.P. : Oxford University Press ..
P.A. : Présence Africaine.
P.P. : Palmer Papers.
P.U.F. : Presses Universitaires de France.
R.A. Raudat al-Afkar.
R.T. Rapport de Tournée.
R.K. Recueil de Kirari.
Rev. T.M. : Revue du Tiers-Monde.
S.D. :Sans date.
S.L. : Sans lieu.
S.L.N.D : Sans Lieu Ni Date.
S.N. : Synthèses Nigériennes, Niamey.
M. : Monographie.
Ma. : Monographie anonyme.
Mn. : Manuscrit.
M.N.P. : Manuscrit Non Publié.
U.C.P. : University of California Press.
8
Transcription
Notre transcription de certains termes des langues locales
obéira aux principales conventions suivantes sauf cas exceptionnel.
Le e n'est jamais muet. Il se prononce toujours é.
Le son ch est donné par sh.
Le c ou ch se prononce tch.
Le 9 est toujours dur.
Le h est toujours aspiré.
Le s ne prend jamais la valeur de z.
Le w se prononce comme dans wallon.
9
La carte du Niger et le Département de Maradi.
REPUBUQUE DU NIGER
DEPARTEMENT DE MARADI
LEGENDE
• Cap!œ/o '" PlY' • Chof 1I0u du d6partemonl
--./ Flouve Niger
[S";1 D6panoment de Mal1ldl
10
INTRODUCTION
1 - Les raisons de notre choix
Tout travail scientifique valable se doit d'être global, en
particulier dans le domaine des sciences humaines. C'est seulement
ainsi qu'il nous permettra d'appréhender toutes les dimensions du
phénomène social, l'explication de tel ou tel fait social, le caractère
évolutif de la société, etc ...
Mais les soucis pédagogiques, les limites de notre compétence, des
contraintes indépendantes de notre volonté, etc. nous obligent à ne
traiter qu'un aspect de l'histoire du Katsina Nord au XIXe S, sans pour
autant négliger cette vision synoptique de l'histoire. Notre sujet porte
sur les institutions socio-politiques du Katsina Nord au XIXe siècle. En
abordant ce travail nous avons conscience non seulement de répondre
à une exigence académique, mais aussi d'accomplir un devoir à la fois
national et scientifique, celui de nous pencher sur le passé d'un
peuple. Encore faut-il préciser que toute société évolue dans un ordre
bien défini, pour montrer l'intérêt de notre sujet.
Toute société a impérativement besoin d'un cadre qui
réglemente sa bonne marche. Quand ce cadre ne peut plus contenir la
société en question, un nouvel ordre naît de l'ancien et, avec lui, une
nouvelle société animée par de nouvelles contradictions. En effet, les
institutions ou les normes qui réglementaient et réglementent encore
la société du Katsina, depuis l'apparition des premières organisations
Il
jusqu'à la pénétration européenne, ont connu une évolution
considérable qui mérite d'être examinée.
Ce que nous appelons le Katsina Nord, partie intégrante du Katsina a
été jusqu'ici négligé par les chercheurs, au point qu'une bonne partie
des intellectuels nigériens ignorent aujourd'hui encore ce qu'est un
Bakatsine. Au XIXe siècle par contre, une telle ignorance était moindre
au sein des populations africaines!. Comme nous le disions plus haut,
nous avons le devoir d'étudier de manière générale l'histoire
précoloniale de notre continent, et de manière plus particulière celle
de notre pays, ne serait-ce qu'en procédant par des études
sectorielles.
Ce travail est également entrepris au double plan de la
recherche historique et d'un combat contre « l'idée reçue d'un Etat
traditionnel, avec ses sociétés séculaires et statiques. C'est à partir de
ce cliché qu'on élabore parfois le « développement et la modernisation
après la parenthèse coloniale. Mais c'est là un tableau illusoire et vidé
de son vrai contenu social. Avant que l'homme blanc n'en fasse son
«fardeau», l'Afrique n'attendait pas, impassible et immuable, le
progrès des autres, les experts en «décollage», la photo de famille et
la renaissance de ses valeurs pour être, enfin «historique». Elle vivait
tout simplement, sur des modes divers, ce processus commun à toute
société, qu'est la dialectique de la continuité et du changement»2.
1 -ADAMU M., The hausa factor in west African historv. Zaria, ABU, 1978, pp. 143-163, - ALKAU M.B, A hausa community in crisis : Kebbi in the nineteenth century. M.A. thesis,
Zaria, ABU, 1969, 358 p. et cartes. 2 VIDROVITCH C.C. et MONIOT H., L'Afirigue Noire de 1800 à nos jours. Paris, Collection Clio, 1974, pp. 8 -13. .
12
Ainsi notre ambition d'étudier les institutions du Katsina Nord
au XIXe S, leur évolution et leur rapport avec d'autres institutions n'est
pas sans fondement. Cela d'autant plus que certains auteurs, tout en
reconnaissant la dynamique du changement dans le Soudan Central,
n'hésitent pas à lui appliquer un cachet essentiellement ethnique,
guerrier ou religieux. En réalité, la vie revêt un caractère global où
plusieurs facteurs s'imbriquent. Nous espérons que ce travail, à partir
de l'examen concret des institutions du Katsina Nord au XIXe siècle,
contribuera' au progrès des études historiques concernant la nature
d'un processus vieux d'environ cinq siècles qui a produit des systèmes
politiques successifs, plus ou moins semblables et dont les administrés
sont connus comme relevant du Katsina3. Déjà, les travaux de Yusufu
Baia Usman ont révélé que les véritables caractères de ce processus
ne tenaient pas en confrontations armées entre tribus ou races, mais
en transformations de la nature et de la configuration des activités de
production, ainsi qu'en des changements au niveau des croyances et
de l'idéologie politique correspondants4. Chaque changement met en
route un long processus.
2-Les difficultés rencontrées
Dans la réalisation de ce travail, nous avons rencontré quelques
difficultés.
Notre anglais défectueux et nos lacunes en langue arabe sont du
nombre des douloureux problèmes linguistiques que nous avons
3 USMAN Y. B., The transformation of Katsina : c 1400-1883. Zaria, A.B.U., 1981 (a), p. 3.
4 USMAN Y.B. , op. cit.,1981 (a), p. 4.
13
rencontrés au cours de l'élaboration de cette étude. Le manque
notoire d'études consacrées à la démographie historique et les
confusions quant aux mouvements des populations ont constitué un
handicap majeur à la progression de nos recherches historiques dans
le Soudan Central en général et le Katsina en particulier. A l'état actuel
de nos connaissances, il nous est très difficile d'affirmer que les
Gobirawa, les Katsinawa, etc, étaient dans le Soudan Central avant
d'être dans l'Ayar ou vice versa, même s'ils ont toujours été voisins.
L'interprétation des différentes légendes, qui devait nous éclairer sur
ces problèmes, reste un travail d'importance capitale à faire. Jusqu~ci,
beaucoup d'amateurs et même des historiens n'ont abondé que dans
le sens de la thèse hamitiqueS.
Beaucoup d'autres chercheurs ont négligé certaines réalités de
la culture du Soudan Central sans la prise en compte desquelles
aucune étude historique sérieuse n'est possible. L'exploitation de leurs
travaux est donc forcement limitée. A tous ces problèmes, il faut en
ajouter d'autres, spécifiques à un secteur où à une localité. C'est le cas
du Katsina Nord, notamment dans la partie qui constitue la vallée du
Gulbin Maradi. Cette partie serait longtemps restée en marge du
courant d'islamisation. Ce qui mérite une explication, surtout si on
tient compte du contexte régional, fortement islamisé et auquel cette
région appartient avant tout. A la question de savoir s'il existe un
rapprochement entre le terme : Maradi, Riyadi, Maradu et Yan Riyadi,
historiens et linguistes ne fournissent pas d'explications précises ou
alors se limitent à des hypothèses.
5 Rappelons que cette thèse veut que tout semblant d'organisation ou de civilisation soit apporté au Noir à partir de l'Orient ou Moyen-Orient.
14
L'absence d'une étude d'ensemble sur le Gobir6, sur les
rapports entre les Etats résistants7 du Katsina, du Gobir, du Rikon
KabïB, sur les révoltes de Kazakh (dans l'est de K8no), sur l'attitude de
certains centres de l'Emirat, comme Ruma, le rapport entre le Katsina
Nord et le Damagaram, et enfin sur les revirements politiques de deux
côtés au cours du XIXe siècle, apparaît également comme une lacune
particulièrement ressentie au cours de ce travail.
Faut-il encore parler des écarts qui existent, entre ces
différentes zones arbitrairement réparties entre les actuelles
Républiques du Niger et du Nigeria, dans le domaine des études
historiques? Cette situation déjà difficile est encore aggravée par une
politique nationale sous-estimant l'importance des sciences humaines
dans l'évolution et le développement d'une société. Notre sujet, qui est
un sujet spécifique -les institutions socio-politiques du Katsina Nord
au XIXe siècle- n'échappe pas à toutes les difficultés que nous venons
d'évoquer. Plusieurs autres problèmes auxquels nous avons été
confronté ont limité la qualité de notre travail.
Certaines circonstances nationales imprévisibles nous ont rendu
le travail sur le terrain presque impossible. Les maigres moyens qui
étaient à notre disposition, le délai académique incompatible avec les
dimensions géographiques de notre champ de travail, ne nous ont pas
perl)1is de mener une enquête systématique. Ces contraintes ont été
vivement ressenties, et ce d'autant plus que notre champ
6 A l'exception des travaux de AUGI A. R., The Gobir factor in the social and political History of the Rima basin C. 1650-1808. Ph. D. thesis, A.B.U., 1984. 7 Id le terme résistant est opposé aux Jihàdistes qui défendaient les territoires qu11s étaient en droit de défendre.
8 Rikon -Kabi (1849-1866) par opposition à Kasar Kabi, (Etat du Kabi) comprenait l'Arewa, le Zabarma etle Dendi ; ces régions étaient sous le contrôle du Kabi mais ne faisaient pas partie de l'Etat. Voir Alkali op.cit, p. 267
15
d'investigation est vaste et riche en sites et traditions orales: Korgom,
Kanche, Tirmini, Dan Kama, Ruruka, Garabi, Kontagora (où il y a un
quartier Katsinawa fondé au XIXe siècle), le village de Katsinawa dans
l'Etat de Bauchi, Kaduna, etc. constituent des localités importantes que
nous n'avons pas explorées.
3. Exposé des sources et considérations méthodologiques.
Nos principales sources sont: les documents d'archives, la
tradition orale, les documents cartographiques, les monographies, les
brochures, les manuscrits, les récits, les mythes, les louanges, les
croyances, le vocabulaire, etc.
Après les sources de première main, l'autre partie de notre
matériel de travail était essentiellement constituée d'ouvrages
généraux et d'études spécialisées. Il convient alors de se poser des
questions quant à notre démarche dans l'exploitation de ces
documents. Après le choix du sujet, notre souci a été de faire le tour
de la question à l'aide des documents écrits disponibles afin de voir ce
qui a été déjà fait sur le sujet, de découvrir les points qui méritent
d'être approfondis ou revus, et ceux qui n'avaient pas du tout été
abordés. Une fois cela réalisé, nous avons jugé indispensable de nous
mettre à l'écoute des populations concernées.
Après la collecte plus ou moins systématique des matériaux de
première main, nous nous sommes replongés dans la lecture avant de
passer à la confrontation et à 11nterprétation des différents documents
et sources9. En ce qui concerne les sources, notre analyse a montré
9 A ce sujet voir notre documentation.
16
que les récits de nos informateurs, les louanges des dignitaires, des
souverains ou des dieux, les chants et certaines expressions révèlent
un aspect important de l'histoire de notre région10 Les principaux
lieux visités au Niger sont dans le département de Maradi, notamment
les villages de Tsibiri, Jiratawa, Maradou, Tasawa, Gazawa, Madarunfa,
Gabi, Dan-Gaya, Tokarawa, Bargaja, et dans l'actuelle république
fédérale du Nigéria Kano et Zaria.
4. Critique des sources
Il est pratiquement impossible de faire œuvre d'historien sans
disposer d'un minimum de matériaux, véritable base de toute
réconstruction historique. Cependant, l'historien se trouve confronté à
deux difficultés : aucun document historique n'est absolument neutre
et même lorsqu11 est disponible, il peut être très difficile à exploiter.
Beaucoup de nos documents écrits, bien que contenant des
renseignements extrêmement précieux, abondent en vieilles
conceptions dérivant de la thèse hamitique, colonialiste et raciste qui
pêche par défaut de fondement historique véritable11.
Il est inutile d'entreprendre ici la critique systématique des
travaux des auteurs de cette conception. Des remises en cause et des
progrès ont été réalisés dans ce sens et nous en voulons pour preuve
les travaux de Yusufu Baia Usman12.
10 Voir notre partie annexe : Cornus de Kirari qui révèle des informations inédites sur l'histoire du Katsina.
11 Nous pouvons à cet effet donner l'exemple d'URVOV V., BARTH H., LUGARD L., TILHO, LEROUX H., etc ...
12 Otons parmi les travaux de USMAN V. B., «Sorne aspects of the external relations of Katsina before 1804» Savanna, Vol. l, nO 2, December, 1972, pp. 175-193 ; «The transformation of
17
On comprend aisément la tendance négative de beaucoup de
ces documents écrits lorsqu'on sait que leurs véritables mobiles étaient
la défense des intérêts coloniaux, religieux et féodaux. La tradition
orale, elle aussi, n'est pas neutre. La plupart des récits que nous avons
écoutés ou enregistrés tendent à justifier une position sociale, à
défendre les intérêts d'un groupe, ou sont extrêmement imprégnés
d'influences religieuses13. L'exploitation des sources est un travail
ardu qui nécessite la connaissance de l'évolution de la mentalité et de
la langue des populations.
Ne serait-il pas plus souhaitable que le chercheur soit lui-même
imprégné de la culture des populations dont il examine le passé? La
connaissance du terrain et de la langue peut faciliter le travail de la
collecte des données. Dans ce travaille moindre manque d'attention,
le moindre oubli, la moindre négligence ou le moindre laisser-aller
peuvent nous faire manquer des renseignements importants. Mais
lorsque les sources sont minutieusement exploitées, elles demeurent
une mine inestimable d'informations14. Le travail de l'exploitation de
ces deux catégories de documents est pénible et requiert de la
politicàl communities : Sorne notes on the perception of a significant dimension of the Sokoto Jihàd» Studies in the History of the Sokoto caliphate. Sokoto Seminar Paper. Zaria, A.B.U., 1979 (a) ; «The dynastic chronology of three polities of Katsina» Bull. IFAN, B, l'Xl, 2, 1978, pp. 396-414 « The formation of states in the central Sudan : Sorne professional and theoretical problems » in Seminar on the history of the central Sudan before 1804 », zaria, A.B.U, 8 th- 13 th January 1979 (d)
13 -SUTTON J. E. G., «Towards a less orthodox history of hausaland» J.A.H., XX, 1979, pp. 179-201 - Pour s'en convaincre nous proposons à nos lecteurs de lire des versions variées de la légende de Bayajida - Ensuite la plupart de nos informateurs du Katsina Nord, affirment qu11s n'ont jamais été vaincus au Katsina par les Jihadistes et qu~ls n'ont quitté la capitale ( 8imi Katsina) que parce qu~1 y avait la famine. 14 - C'est ainsi que notre recueil de Kirari de certains dignitaires du katsina Nord nous révèlent des informations que nous n'avons pu avoir nulle part.
18
patience, de la perspicacité , du courage, des moyens et une méthode
de travail. La tradition orale a l'avantage de conserver des.
informations de première main qui n'ont pas été rapportées par les
premiers écrivains pour une raison ou une autre.
Enfin, l'exploitation de tous ces matériaux nous permet
d'élaborer un texte articulé en six chapitres.
19
N o
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~UIISt'EAV
B. CAPiTALES
~LAC r.CH,.O
CHAPITRE 1er PRESENTATION PHYSIQUE ET HUMAINE
Le Katsina Nord15 était naturellement la partie nord de l'Etat
hausa du Katsina. Il serait très difficile de faire une délimitation
rigoureuse du Katsina Nord, étant donné les circonstances politico
militaires du XIXe Siècle. Ses limites variaient considérablement au fil
du temps.
Pour l'essentiel, nous pouvons dire que cet Etat était limité à
l'est par le Damagaram, au sud-est par les Etats Tsotsebaki et le
Daura, à l'ouest et au nord par le Gobir, au nord-est par le Damargu
aux frontières des cantons actuels de Kananbakashe et d'Urafan. Au
sud sa frontière était la plus instable. Elle passait par Dan-Kama,
Jibiya, Tchiyahe et Duhun Bara situés dans l'actuelle République
Fédérale du Nigeria16.
1. ASPECTS PHYSIQUES
a) Le relief
D'une manière générale, l'Etat du Katsina est situé entre deux
bassins sédimentaires : le bassin tchadien à l'est et le bassin du Niger
au nord et à l'ouest. Cette région a une altitude moyenne de 365,76 à
457,20 mètres et comprend un plateau légèrement ondulé.
15 - Le Katsina Nord en tant qu'Etat a été créé au XIXe Siècle, à la suite du Jihad. Quant à la chronologie nous y reviendrons plus loin. II faut garder à l'esprit que la création du Katsina Nord n'exprimait pas une volonté de division ou de scission. Dans l'esprit des résistants aussi taip.n que des Jihadistes il n'y a qu'un seul Katsina. Mais cette division du Katsina en deux sera consacrée par la force des choses.
16 E.C.E. : Cour de Maradi: à un moment Yandoto refuse de verser 11mpôt à Kure, Kaura Hasau du Katsina Nord, aSSiégea la ville et exécuta Yandoto.
22
Au point de vue topographique on peut diviser le Katsina en trois
zones: les vallées du nord, les plaines centrales et le plateau
disséqués couvrant les parties du sud.
Cette topographie du Katsina offre un écoulement facile aux eaux
qui se divisent en une infinité de cours. Tous les cours d'eau du
Katsina sont saisonniers.
Le climat est soudanien et le maximum des précipitations se situe
en juillet et août.
Après ces généralités arrêtons-nous brièvement sur les vallées du
Nord qui constituent notre champ de travail. Cette partie est en fait
l'extension est du bassin du Niger séparé du Bassin tchadien
seulement par une petite élevation du terrain variant entre 426,52 et
487,68 mètres. Les roches appartiennent au crétacé et sont de type
sédimentaire. Au nord-est de Gazawa, comme ailleurs, la présence de
dunes de sables forme un obstacle aux cours d'eau. Ces vallées du
nord sont larges et offrent beaucoup de possibilités telles que
l'agriculture, la chasse, l'élevage et la pêche. Elles forment aussi une
zone militaire stratégique. La vallée de Gulbin Kaba est large de deux
à cinq Kilomètres environ, souvent bordée de dunes fixes variant de
vingt cinq à trente mètres de hauteur. Elle atteint une largeur de
1609,432 mètres environ, au niveau de Tasawa. Le grand sillon est
orienté d'est en ouest. La vallée de Gulbin Maradi (Fadama) creusée
au sein d'une colline (Tudu en langue hausa) est un étroit sillon large
de trois à cinq kilomètres et profond d'une dizaine de mètres. La
région de Tasawa située entre le Gobir et Maradi à l'ouest et
Damagaram à l'est comporte des dunes sablonneuses.
23
b) Les principaux cours d'eau du Katsina Nord
Il s'agit essentiellement du Gulbin Maradi et de ses affluents à
savoir Gulbin Gabi, Gulbin Tasawa et Gulbin Kaba. Il n'y a aucun cours
d'eau permanent. Ce sont des cours d'eau saisonniers dont les hautes
eaux se situent en Juillet-Août. Seul le lac de Madarunfa, plus connu
sous le nom de Ruwan Madarunfa ou Tabkin Madarunfa est un point
d'eau permane~t. Ce lac de deux Kilomètres de diamètre environ
contient de très beaux poissons, très appréciés.
c) La végétation
La végétation de cette partie nord du Katsina est en grande
partie une végétation de savane rappelant le Sahel situé en bordure
du Sahara.
Cependant, la région de Maradi est assez boisée, non seulement sur
les rives du Gulbi et de ses affluents, mais aussi sur les plateaux
avoisinants.
La végétation devient de plus en plus dense en allant vers le
sud. Jusqu'au XIXe S, la vallée du Gulbin Maradi et celle du Gulbin
Gabi comportaient une forêt touffue, presque impénétrable où
grouillaient des animaux sauvages. A part son importance
économique, cette forêt, fréquentée jadis par les chasseurs et les
paysans, joua un rôle politique important dans l'histoire du Katsina
Nord, ce dont nous parlerons au cours de cette étude.
24
Le lac de Madarounfa17.
Lac de Madarounfa : schéma d'Implantation des échelles IImnlmétlfques
Légende
~ Echelle limnlméltiquo
• Villago
6 Lac do Madarounfa
Goulbln Matadi
N
A
17Cette carte est extraite de l'Étude de l'aménagement hydra-agricole du Goulbi Maradi. Niamey, O.R.S.T.O.M., M.D.R., Service du Génie civil, juillet 1978, Annexe 4. Sur cette carte il faut lire Bargaja au lieu de Bargaya.
25
d) Le climat
Le climat de tout le Katsina dépend du Front Inter-Tropical
(FIT). C'est le mouvement des masses d'air associé à ce front qui
détermine les précipitations et les types de temps dans cette zone. Le
relief n'a pas d'effet significatif sur le climat, quoique des régions de
Fadama ou vallée sont connues pour leurs nuits de basses
températures et de vapeurs au niveau de sommets. Le Katsina Nord
connaît un climat relativement favorable parce que mieux arrosé que
les régions situées plus au nord. On distingue essentiellement trois
saisons:
La saison sèche et chaude, ou Rani en hausa, dure du mois de mars
au mois de mai.
La saison des pluies, ou damana, va de juin à fin septembre-début
octobre. Enfin, la saison sèche et froide ou dari va de novembre à
février18.
2- ASPECTS HUMAINS
C'est dans ce cadre naturel, que des populations, certaines
s'associant à d'autres déjà en place, s'installent progressivement. Mais
d'où viennent ces populations, qui sont-elles et quelles sont leurs
préoccupations? Vouloir répondre à ces questions nous obligerait à
entreprendre une étude sur les mouvements des populations dans le
18 - Notre division de l'année en saison est très générale: pour plus de détails nous prions nos lecteurs de se référer aux documents suivants :
- USMAN Y.B., op. cit., 1974, partie physique; - HAMANI Dj;, L'Adar précolonjal, E.N n° 38,1975, pp. 8-12 ; - LEROUX H., «Animisme et Islam dans la subdivision de Maradi » Bull. IFAN, T.X,
1948, p. 667
26
Soudan Central, ce qui n'est pas l'objet de notre étude. Mais on peut
déjà constater que le pays n'est pas uniquement habité par des
Ha usa wa. Il va de soi que les Hausawa sont majoritaires dans tout le
Katsina.
Néanmoins, les brassages de populations imposés par les
vicissitudes de l'existence, les circonstances internes d'un Etat, la
situation de certains Etats voisins et parfois même lointains, exercent
une influence profonde sur notre région. Son histoire avait d'ailleurs
déjà été influencée par les mouvements migratoires très anciens qui
avaient caractérisé l'Afrique.
Tous ces facteurs, conjugués avec la croissance
démogràphique et bien d'autres font qu'on rencontre dans le Katsina
Nord des populations venues des horizons divers, même si leur
importance numérique varie selon les époques et les ethnies19. Nous
y reviendrons.
Le Katsina Nord appartient au monde hausa en pleine
expansion au XIXe. siècle 20. Cependant, il faut souligner qu'au
Soudan Central le peuplement présente un caractère hétéroclite. Ceci
n'est pas sans poser de sérieux problèmes quand il faut définir
clairement les différentes composantes des populations d'un Etat. Par
exemple, parlant du peuple hausa, on se pose la question de savoir
qui appartient à ce peuple? Pour répondre à cette question les critères
à considérer sont variés. On ne saurait définir un Bahaushe sans tenir
compte de son héritage historique, de la langue, de la religion et du
19 -Voir notre II ème Partie; 2 - Le Katsina Nord avant le Jihàd.
20 - ADAMU M., op. cit., 1978, pp. 1-2. Nous reviendrons plus loin sur la notion de Hausa.
27
phénomène d'extension de sa communauté, sans oublier l'aspect
capital de la filiation21. De même, parlant du Katsina, on ne peut dire
que cet Etat est uniquement habité par des Katsinawa, s'il faut
donner à ce concept un contenu purement ethnique et,lou dynastique.
La notion de bakatsine évoque à la fois les premiers habitants de l'Etat
du Katsina et tous ceux qui, par la suite, relèvent de la juridiction de
l'Etat du Katsina, sans considération de leur origine ethnique22.
Nous manquons malheureusement d'éléments qui nous
permettraient de nous faire une idée de l'importance numérique et de
la composition de cette population.
Les sources font état des Katsinawa parmi lesquels on peut dénombrer
des sous-groupes :
- les Maradawa qui appartiennent certainement à la lignée des
représentants de Birnin Katsina dans la vallée de Gulbin M~radi ou
à celle des fondateurs de la ville de Maradi.
- les Durbawa qui se réclament de la première dynastie du Katsina.
- les Nafatawa et les Jinjino-bakawa agriculteurs et chasseurs, etc.
On relève également dans cette population la présence des Gobirawa
dont est issu par exemple le groupe des Basarawa, des Shurubawa
dans la région de Korgom à l'extrême est du Katsina Nord, des
Kwararafa, des Kurkurawa, etc., toutes ces populations se
21 - ADAMU M., op. cit., 1978, pp. 3-4.
22 - Hypothèse plausible dans la mesure où l'on parle de Kasar Katsina ( pays de Katsina) ce qui sous-entend une entité politique. Au Katsina Nord les populations sont composées de Barebari, Zamfarawa, Kabawa, Tazarawa, Maradawa, Fu/ani, Bugaje, etc ...
-GADO B., Le Zarmatarey, E.N. n° 45, Niamey, 1979 pp. 83-119 ; -HAMANI Dj., «Courants migratoires Ayr -Hausa avant le XIXe S» BRO 505, Niamey, I.R.S.H.,
1979, 18 p. ; -HAMANI Dj., «Contribution à l'histoire de 11slamisation des populations nigériennes avant la
colonisation» Niamey, Université, Décembre 1981, 61 p.
28
regroupent en villages situés dans le Katsina Nord. Parmi ces
villages nous pouvons citer Maradi, Age, Gazawa, Turumbudi, Safo,
Udal, Sumarana, Riyadi, Yan-Riyadi, Tarna, Jiratawa, Ma da ru n fa,
Gabi, Tokarawa, etc ... Ces sites d'occupation encore observables
nous montrent que cette partie du Katsina n'était pas un «no
man's land».
- Les Peul et lesTouareg constituaient aussi une partie de la
population du Katsina Nord au XIXe siècle 23.
D'autres groupes, progressivement assimilés tels que les Tazarawa, et
les Kambarin Barebari, gardent le souvenir de leurs identités d'origine.
Les progrès de la recherche font ressortir de mieux en mieux
l'organisation économique de ces populations. Elle s'articule
essentiellement autour des activités des propriétaires agricoles et
fonciers, des éleveurs, des pêcheurs, des artisans et des commerçants.
Il n'est pas nécessaire de vouloir démontrer longuement cet aspect de
notre étude.
Il est plus qu'évident, lorsqu'on considère certains centres tels que
Tasawa, Kananbakashe, Ma ra di, Sumarana, Ma rda run fa, Gabi,
23 - USMAN Y.B., op. cit., 1981 (a), p.6 ; - MARIKO. A.K., Les regroupements paléonégritiques nigériens, manuscrit en possession de l'auteur, pp. 54-55 ; - DAVID. P., op. cit. , 1969, pp. 640 ; 644-645 ; - HAMANI Dj., op. cit., 1979 (a) 18 p et carte; - E.I.E., Maradu, Mai 1984 ; - E.In.E., Madarunfa, Septembre 1984 ; - USMAN Y. B., op. cit., 1981 (a), p. 30 ; - USMAN Y. B., « A reconsideration of the history of relation Between Borno and Hausaland before 1804» in Studies in the historv of precolonial Borno. Zaria, A.B.U.,1983 pp. 191, 193-194 , - ADELEYE R.A, « Hausa-Iand and Borno 1600-1800 » H.W.A .. 1, 1976, pp. 556-601. Nous reviendrons quoique brièvement, sur l'emplacement des composantes des populations sur certains sites dans notre aperçu historique.
29
Gazawa, Ruruka, etc, on remarque que l'entassement des populations,
dans ces sites à très riches potentialités en eau et en sols ne s'est pas
opéré sans préoccupation économique, même si des raisons d'ordre
stratégique sont également à considérer24.
L'augmentation des populations du Katsina Nord et les activités
économiques vont s'accélérer après les événements du jihàd du XIXe
siècle25.
24 - Selon notre informateur Mayana Barmo, âgé de 84 ans en avril 1984 et résidant à Tasawa, parmi les immigrants de Kananbakashe, venus de Kukawa on comptait 70 chasseurs. La présence d'autres chasseurs comme les Jinjino Bakawa dans la vallée de Maradi, les Basarawa plus à l'est, témoigne de 11mportance économique du Katsina Nord surtout quand on sait la place des produits de la chasse dans l'économie du XIXe S au Soudan Central. Le vocabulaire de la région conserve également des termes qui témoignent de l'existence des activités économiques intenses: Margi (viande séchée destinée à être conservée ou exportée) ; Kurga (veillée au cours d'une activité de production ou d'éducation). Ces pratiques sont des indications des activités économiques très anciennes au Katsina Nord.
En plus nos informateurs sont unanimes sur l'existence des centres anciens de teintureries dans le Katsina Nord.
Ensuite la fabrication des armes dans la vallée de Maradi pour la révolte de 1817 contre l'Emirat du Katsina indique que cette pratique ne date pas de 1817 dans la région. Notre informateur El hadji Idrissou Mahaman Alkali, né en 1908, témoigne de l'existence d'un centre d'extraction de minerai de fer à Ramun Tama près de Garin Ladan à l'Ouest de Maradi. D'autres preuves des activités économiques se trouvent dans les préoccupations religieuses des populations. Certains rites, sacrifices et cultes nécessitent des animaux bien choisis et des prodUits déterminés encourageant une production diversifiée. - TILHO, Documents scientifiques de la mission Tilho, Paris, LN, 1906, Vol. II pp. 647-648.
25 - Voir notre 4è chapitre notamment les conséquences de la révolte pour le Katsina Nord.
30
CHAPITRE II INTRODUCTION AU XIXe SIECLE
l-Apercu historique de la situation générale
Le but de ce chapitre est de faire un résumé succinct des
événements. Ce qui nous facilitera la compréhension de l'évolution du
Katsina au XIXe siècle. Nous ne saurions en retracer l'évolution
historique complète, si intéressante soit-elle, dans le cadre limité de ce
travail. Le processus de formation de l'Etat et de la société est un
phénomène très ancien dans le Soudan Central en général et dans le
Katsina en particulier. Peut être, pour mieux l'appréhender, faudrait-il
se référer aux travaux des savants africanistes comme Cheik Anta Diop
et Théophile Obenga respectivement Sénégalais et Congolais.26 Pour
ce qui concerne notre champ d'étude, des progrès ont été réalisés
dans le sens de la reconstruction historique27.
26 - .DIOP C. A., Nations Nègres et culture, Paris, P. A., 1955, 536p. Tables et cartes; - DIOP C. A., L'Afrique Noire précoloniale : Etude comparée des systèmes politiques et sociaux
de l'Europe et de l'Afrique Noire, de l'antiquité à la formation des Etats modernes. Paris, P.A" 1960, 220 p., tables et cartes; - ,DIOP C, A., Ovilisation ou barbarie: Anthropoloqie sans complaisance Paris, P. A. 1981 ; - OBENGA T., L'Afrique dans l'Antiquité: Egypte pharaonique /Afrique Noire Paris,_P.A,1973,
464 p.
27 - BARTH H., Travels and discoveries in North and Central Africa, London, Frankcass, 1965, 3 Vol. ; OANKOUSSOU L, Traditions historiques des Katsinawa après le jihad, Niamey, CROTOICNRSH, 1970, pp. 8-90 ; - HAMANI Dl., op. cit., 1975 ; - HAMANI DJ., op. cit., 1979 (a), pp. 3-4 ; - PALMER H. R., Sudanese memoirs. three volume in one. London, Frankcass, 1967, pp.79-85 ; - SMITH A., «The early states of the central sudan» H.W.A .. l, 1971, pp. 185-192 ; -USMAN Y.B., op. cit., 1981 (a), pp. 5-35.
31
Mais les constructions les plus brillantes sur le Katsina sont celles de
Y.B Usman, de l'Université de Zaria, exposées dans sa thèse sur cet
Etat.
Tradionnellement, la légende fait descendre les souverains du
Katsina des Juifs et Arabes par le biais du mariage de Bayajida «Arabe
venu de Bagadaza» (Bagdad) et Daura «fille du juif Lamarudu». Cette
légende est si répandue et ancrée dans l'esprit des populations qu'un
des quartiers de Kano est encore appelé Tudun Lamarudu (colline de
Lamarudu) et les membres de la dynastie de Durbawa comme ceux
de la dynastie de Muhammadu Korau se réclament tous de cette
origine d'une manière ou d'une autre. Cette façon de donner une
origine blanche à la classe règnante est une pratique courante dans
tout le Bilàd al Sudan (pays des Noirs). Ainsi, au Ghana on parlera de
la dynastie de Kaya Maghan à laquelle certains auteurs comme
Delafosse donnent une origine libyenne; au Songhay, la tradition
signalera la dynastie de Za qui serait fondée par un héros Yéménite:
Za al Yaman, au Kanem Borna il s'agirait de Sayf ben Dh; Yazan
également Yéménite. Au sultanat de l'Ayar on attribuera une origine
turque à la dynastie royale des Istambulawa, etc ...
Ces exemples peuvent être multipliés. Notre intention n'est
pas de faire l'étude critique de cette thèse. Mais nous ne pouvons
manquer de signaler en passant que cette pratique semble dénuée de
fondements historiques sérieux. Ce ne sont là probablement que des
manœuvres caractéristiques des classes dirigeantes et privilégiées, qui
entourent de mystère leur origine véritable. Cette « mythologisation »
de leurs origines devait accréditer l'idée qu'elles étaient fatalement
destinées au pouvoir, au prestige et à la jouissance de certains
32
privilèges. On peut également expliquer ce problème par l'attitude de
certains historiens dévoués à la cause raciste ou religieuse, qui ne
peuvent concevoir la moindre forme d'organisation autrement que
comme un emprunt fait du nord-est du continent africain ou du
Moyen-Orient, et jamais comme quelque chose de propre à l'Afrique
Noire. ~ans toutes ces régions évoquées, les conditions locales et
régionales susceptibles d'engendrer la naissance des Etats ou des
organisations socio-politiques ont été réunies à un moment ou à un
autre de l'évolution historique. Dès lors, l'attente d'un élément juif,
arabe ou turc n'a pas de vraie justification. Rien ne nous permet
d'attribuer, aujourd'hui, aux dynasties de Durbawa et Korau une
origine étrangère28, malgré les affirmations de H.R. Palmer29. Ces
deux dynasties, différentes mais locales, gardent en commun le Kasar
Katsina (pays de Katsina).
En réalité, la fondation de l'Etat de Katsina est attribuée à
Kumayau et remonterait au VIII e sièc/e30. Le premier centre politique
de Katsina était Durbi Ta Kusheyi à 28,8 Km au sud-est de l'actuel
Birnin Katsina, avec un autre centre politique important à Bugaje à 16
km à l'ouest du même Birnin_Katsina.
La dynastie de Durbawa fut destituée par la dynastie de Muhammadu
Korau.
28 _ Dans le cas du Katsina nous prions nos lecteurs de se référer à USMAN Y. B., op. dt., 1981 Ca), pp. 5-9 et notre bibliographie.
29 - USMAN Y.B., op. cit., 1981 (a), pp 5 - 10 ; - PALMER H. R., op. cit., 1965, pp. 82 - 83, situe le début du règne de Muhammad Korau à c.1320 alors qu'une autre dynastie précède celle de Korau ; - TILHO, op. cit., 1906, p. 456 .
30_ USMAN Y.B. op. cit. 1981 Ca) p. 10
33
Des organisations étatiques existaient au Katsina depuis des
temps très anciens, même si la première mention écrite de ce
royaume n'est faite qu'au XIVe siècle.
Ce furent d'abord des organisations animistes associées aux
activités politico-économiques du pays. Malgré l'influence considérable
de l'Islam dans la société du Katsina nous pensons avec Y.B. Usman
que la part de l'animisme est restée jusqu'à ce jour une caractéristique
vivace et permanente des institutions du Katsina : «The palace (Gidan
Korau) remained a stronghold of various cuits of iskoki under Maidaki
other senior wives and concubines.
The rites of installations of a new Sarki involved flagrantly
fetishistic practices in the Soran Bawada (Hall of Bawada) and other
places.
It is likely that most of the devout muslim among them patronised
shrines of the iskoki like the one at Kukar Jangare, through officiais
like the Durbi. The importance attached to tsafi in the government and
the palace would have varied with ruler, but it remained a permanent
feature of the political system c10sely identified with the dynasty.
The legitimacy of Korau was on his identification with his primordial
form of religious belief, the earth cult around Inna. In this way a solid
foundation for the dynasty, in the religious belief of the people already
living in the area that became the Kasar Katsina, was established.
Thus, although some of Korau's succesors were Muslim and encourage
islam, as a dynasty, their legitimacy continued to be based on the
Iskoki system of religious belief»31.
31 USMAN Y.B., op. cit., 1974, pp. 72-84.
34
Tous ces faits nous montrent bien l'influence de l'animisme
dans la société du Katsina. Encore faut-il rappeler que Gozo (c 1795-
1801) fut sévèrement critiqué pour avoir refusé certains rites lors de
son intronisation et qu'il a été ferme dans la reforme religieuse dont il
fut initiateur. Les organisations du Katsina n'ont pas subi que des
.influences animistes. Lorsqu'on connaît le contexte régional et
international'de l'évolution du Katsina et la facilité de contacts, que
nous avons évoquée plus haut, il n'est pas surprenant de relever des
influences islamiques et autres dans ces institutions32.
Henri Leroux pense qu'«au temps de la splendeur des empires
du Mali, puis du Sonhrai; du XIIIe au XVIe S, des marabouts et des
commerçants lettrés venus de l'Ouest sillonnaient déjà le pays, aidés
par la proximité du Wangara ou Gangara. Celui-ci, fondé par les
émigrants musulmans venus du Mali dès le XIIe 5 et établis dans la
partie sud-ouest du Katsina actuel, fut un centre actif de rayonnement
religieux. Au XVI e S, c'est par l'Est que s'exerça l'influence religieuse,
du fait des Kanuri de l'empire bornuan en pleine expansion. Le
voisinage des nomades touareg du Nord se fit également sentir»33.
De plus l'accession de Muhammadu Korau au trône de Katsina
fut considérée, dans une certaine mesure, comme un succès de l'islam
dans le pays34 où l'influence de ce dernier s'intensifiait. En témoigne
l'appel lancé par le 5heikh Abd al Rahman b, Abi Bakr as-5uyuti
-LEROUX. H., op. cit., 1948, pp. 600-602.
32_ Gozo lui même fut associé aux cultes animistes : cet état de fait est matérialisé par l'existence de Kukar Gozo, à 30 km au sud de Birnin Katsina et son intégration au panthéon de Iskoki.:. USMAN Y •. B., op. cit., 1981 (a), p. 69 alors qu11 gardait sa réputation de pieux d'Allàh «Gozo dan Rahmata ka san Allàh» Gozo fils de Rahamata croyait en Dieu.
33 - LEROUX H., op. cit., 1948, p. 599.
34 - USMAN Y. B., op. cit., 1981 (a), pp. 16-19. - TILHO, Document scientifiques de la mission lïlho II, Paris, I.N., 1906, PP. 458.
35
(1445-1505) à partir du Caire35. Ce mouvement d'islamisation marqua
fortement la société et favorisa l'apparition d'une intelligentsia surtout
dans les centres urbains comme Birnin Katsina, Yandoto, Dan-Ashita,
Kurmin dan Ranko, etc ... Au Katsina, deux musulmans, d'une
réputation intellectuelle et spirituelle extraordinaire, sont considérés
comme les plus grands saints du pays. Il s'agit d'Abu Abdullah.
Muhammad b. Massani b. Ghumehu Muhammad b. Abdullah b. Nuh. AI
Barnawi al-Kashinawi (1595-1667), plus connu sous le nom de Wali
Dan Masani et son disciple Muhammad Ibn al Sabbagh al Kashinawi,
plus connu sous le nom de Wali Dan Marina. Ils sont respectivement à
l'origine des quartiers Masanawa et Marinawa de Birnin Katsina. Avec
Muhammad B. Ahmad al Tazakhti (m. 1529), plus connu sous le nom
de Dan Takum, ils jouèrent un rôle intellectuel important au Katsina36.
Cette influence islamique dans les affaires du pays contribuera, pour
une large part, aux changements qui interviendront au XIXe 5 dans le
Katsina. Ainsi, le Katsina fut très tôt un centre intellectuel.
C'est aussi à travers une très ancienne tradition de contacts
que s'est faite l'évolution du Katsina.
Le caractère hétérogène des populations du Katsina, les
origines diverses de leurs composantes, constituent quelques-unes des
. preuves de ces contacts.37 Ces contacts jouèrent un rôle important
dans le développement du royaume. Ils furent d'abord développés
avec les voisins immédiats: Daura, Kano, Zazzau, Zamfara, Abzin
35 USMAN Y. B., op. cit., 1981, (a), pp. 16-19 36 - Pour plus de détails sur la vie et la légende de ces lettrés on se référera à: - USMAN Y. B., op. cit, 1981 (a), p.27. - DAN KOUSSOU 1., op. dt., 1970, pp. 38-53. - BELLO Sir Ahmadu, My Iife. cambrige University Press, 1962, pp. 28 et 31.
37 - Voir notre paragraphe sur l'aspect humain, plus haut.
36
(Asbin), Gobir, Damargu, ceux du Moyen Niger et ceux du Sud-Ouest.
Des relations serrées étaient également entretenues avec ~es
partenaires plus éloignés comme Borno, Nupe, Kebbi, Songhai~ les
communautés du bassin de la Volta, les cités sahariennes et les côtes
Nord africaines. Une ancienne route de commerce reliait le Katsina aux
villes occidentales du Borno par le Daura. Un autre courant reliant le
Borno au Gobir-Zamfara passait par les frontières nord du Katsina,
faisant ainsi la jonction avec les routes sahariennes d'Agades, de Tuat
et du Fezzan. Les courants d'échange favorisèrent l'installation des
immigrants au Katsina. C'est ainsi qu'apparaissent des quartiers
comme Tudun Malle, Tawatinke, Sararin Tsako dans la cité du Katsina
même et de nouvelles agglomérations comme Dutsin Agalawa, Kaffin
BUjawa38. Un des Kirari de la capitale du Katsina atteste également
ces contacts: «Katsina dakin Kara! Tudu garin dan Marina »39
(Katsina, le lieu de l'hospitalité! Colline, cité de Dan-Marina).
Ces quelques aspects de l'évolution historique du Katsina
fournissent un exemple d'intégration des éléments externes aux
éléments internes dans les institutions du Katsina et démontrent
l'intégration du Katsina aux courants socio-politiques et économiques
qui animent tout le Soudan Central et le reste de l'Afrique. les
changements intervenus au XIXe S ne sont que l'aboutissement de ce
long processus. Ainsi, Birnin Katsina, comme Birnin Kebbi, Birnin
Gazargamo (fondé en 1472), Agadès, Birnin Yauri, Nunkoro, les trois
marchés de la région de Magani, Raban Nupe et l'ancien Dyo étaient . des centres économiques, politiques et intellectuels d'importance
38 USMAN Y.B., op. cit., 1974, p. 75 et carte II. Pour tout détail sur ces contacts voir Usman Y.B., op. cit, 1972, et HAMANI Oj., Op. cit., 1975, pp. 64 -71.
39 - Kirari recueilli par USMAN Y.B., op. dt., 1981, (a), p. 59
37
capitale vers la fin du XVIIIe siècle, avant de décliner au profit des
autres pôles d'attraction40. Katsina, véritable porte nord des Etats
Hausa, était un des plus importants marchés d'un royaume en pleine
expansion. Les régions du Nord, pleines de potentialités, étaient
favorables à cette expansion et à l'immigration41.
2. Le Katsina Nord avant le lihàd: des facteurs favorables42
Au moment où le royaume du Katsina constituait un pôle
d'attraction dans le Soudan Central et avait besoin de consolider ses
bases territoriales, sa partie nord, plus ou moins autonome disposait
d'énormes potentialités. C'était une région dominée par le Lac de
Madarunfa, les lits de Gulbin Maradi et de Gulbin Kaba dont le cours
passe à 11 km à l'ouest de Tasawa. Les affluents fossiles de ces cours
d'eau sont nombreux et rendaient l'accès de la région très difficile,
surtout pendant la saison des pluies. Bon an mal an , cette région
recevait en moyenne 500 à 600 mm de pluie. La végétation était
dense, la terre lourde et fertile. La région correspondait parfaitement
aux besoins de la chasse, de l'agriculture, de la pêche, de l'élevage et
offrait, en plus, des positions de refuge et de repli. A défaut de
40_ ADAMU M., «Distribution of trading centres in the central sudan in eighteenth and nineteenth centuries» in the .seminar of the Sokoto caliphate édited by Usman Y. B., 1979, p. 84.
41 _ HULL R.W., «The impact of the fulani Jihàd on interstate relations in the central sudan, Katsina emirate a case study» A.W.A.I.,I, edited by Daniel FMCCALI, NORMAN R., BENNETT, Boston, B.U.P.A., 1971, p. 88.
42 _ La notion du Katsina Nord doit être prise dans un sens géographique d'abord; Même aUjourd'hui les populations de cette zone ont le sentiment d'appartenir traditionnellement à un seul Katsina :
E.C.E. Maradi Mai 1984 : cour de Sarki Buzu Elhadji Nagoje :chansons de Sarki Buzu de Maradi E.ln.E avec Habou Magaji, responsable de 11RSH Maradi • E .In.E Salissou Madougou, directeur national de l'alphabétisation ,Niamey, mars 1984
38
montagnes, les forêts d'épineux, les mares, les lacs et les affluents des
rivières qui rendaient déjà les communications malaisées aux piétons,
constituaient de véritables obstacles à l'avancée des cavaliers
lourdement armés de l'envahisseur.
La partie située dans l'extrême nord était moins boisée, de type
sahélien. Elle convenait mieux à l'élevage. Dans le développement du
Katsina le nord était important à plus d'un titre. Le royaume gardait
ainsi une position stratégique dans le commerce transsaharien,
extrêmement important pour tous les pays du Soudan Central et
même au-delà. Les relations des pays du sud du Sahara avec les
locuteurs de la langue hausa de l'Abzin (Gobirawa, Katsinawa,
Tazarawa) et les groupes touareg furent étroites tout au long des
siècles. La capitale du Gobir, Birnin Lallé, était à 80 km environ de la
frontière Nord du Katsina. Un autre centre politique du Gobir, Birnin
Naya était seulement à quelques kilomètres de la vallée du Gulbin
Maradi et au XVIIIe siècle était un centre commercial important pour
la région. Plus près du Katsina était Goron Rame, autre centre
politique du Gobir. Les migrations à partir de l'Ayar entraînèrent
également au début du XVIIe siècle la fondation de la ville d1/1éla par
un groupe que dirigeait Tambari IlIéla.
Ce groupe fit allégeance au Katsina43. Il serait excessif de notre
part de vouloir reconstituer l'histoire des différents sites d'occupation
du Katsina Nord. Même s'il est hasardeux d'avancer des dates précises
de cette occupation, il est certain que des centres comme Korgom,
Tasawa, Kananbakashe, Gazawa, Ma ra di, Sumarana, Jiratawa,
43USMAN Y. B., op. cit., 1981(a), pp.29-30 pour ce qui est des centres du Gobir nous prions nos lecteurs de se référer à ADELEYE R. A., op. cit., 1976, pp. 584-586 et TILHO, op. cit., pp. 470-471.
39
Basarawa, Ramun Tama, Gabi, Madarunfa, In Ya/wa, Riyadi,
Tokarawa, Garabi, Maraka, etc ... existaient bien avant le jihad. Même
si le jihad a provoqué des bouleversements dans· cette région, il n'est
pas à la base de l'installation des premières communautés humaines
au Katsina Nord. On peut cependant admettre qu'il a consolidé cette
installation au XIXe siècle. Selon Nicolas. « l'Etat ancien du Katsina
gouvernait les territoires de Maradi, Tassawa, Korgom et Sirkao. Il 44
Qu'est- ce qui caractérisait ces· sites?
Tasawa : toutes les sources que nous avons utilisées s'accordent sur
le fait que Tasawa existait sur son site actuel avant le XIXe 545. La
ville a été fondée par un groupe d'immigrants provenant d'Ayar. Nous
ignorons la cause de leur départ de l'Ayar. Mais on sait que vers les
XVII e et XVIIIe siècles, Katsina constituait un pôle d'attraction et
que le site de Tasawa était une étape importante pour les transactions
commerciales de l'époque.
Kananbakashé : d'après la liste dynastique établie par Boubé Ego
dans sa monographie, la fondation de Kananbakashe remonterait au
44_ NICOLAS. G., S.N .. Vol. l, n° 1, Niamey, IRSH, p. 18 ; TIlHO, op. cit., p. 461 ; E.C.E Maradi : Témoignage de El hadji Dan Sadaka ; SMITH M. G.,«A hausa kingdom: Maradi under Dan Baskore, 1854-1875» in FORDE D.and KABERY P. M., West African Kingdom in the nineteenth centurv. Oxford, O. U. P., 1971, p.95; . ADELEYE R. A., op.cit. 1976 p. 590.
45 -E.I.E. Tasawa : Témoignage de Mayana Barmo ; Mai 1984 ; A.N.N: Monographie de Tessaoua 1941, n020.1.1 ; EGO Boubé, Monographie sur le département de Maradi non éditée, 1981, p. 39 ; MARIKO K. A., Uste dynastique des Tazarawa dans son manuscrit intitulé : A la poursuite du passé, Dakar-Bamako, 1978, pp.6-7 ; USMAN Y. B., op. cit., 1981 (a), pp. 98 et 132 selon cet auteur Tasawa du Katsina serait fondée avant le XVIIIe S. USMAN «Sorne aspects of the extemal Relations of Katsina before 1804» Savanna l, II, Decembre 1972, p. 191 ; ADELEYE R. A., op. cit, 1976, p.591 ; URVOY Y., Histoire des populations du Soudan Central. Paris, larose, 1936, pp. 238-239.
40
plus tard au XVIIe siècle46. Parmi les immigrants installés à
Kananbakashe, les sources accordent une grande importance aux
chasseurs provenant du Borno. Notre informateur de Tasawa affirme
que parmi les fondateurs de cette ville on comptait soixante-dix
chasseurs. Le même informateur nous apprend que les dignitaires de
cette région firent allégeance à l'Etat de Katsina. Cette immigration
aurait eu lieu au XVIIIe siècle47.
Maradi : C'est encore un sujet flou tant au plan de l'étymologie de
son nom qu'à celui de l'époque de sa fondation48. Le terme Maradi
désigne à la fois une région géographique et l'administrateur de ladite
région. Selon P. David quatre maradi (représentants le Sarkin Katsina)
se sont succédé jusqu'à l'occupation par les jihadistes. Le dernier
administrateur en poste avant cet événement fut un certain
Wagaza49,
Que nous révèle la tradition orale à propos de Maradi?
Examinons d'abord le kirarPO de Maradi :
1.
46 - EGO B., op. cit., 1981, Uste généalogique des chefs de canton de Kananbakashe.
47 - E.I.E Tasawa, Mai 1984 ; . us MAN Y. B., op. cit., 1981(a), pp.15et 98 ;
USMAN Y. B., op. cit, . 1972 , p. 190 ; URVOY. Y. B., op. cit., 1936 p. 236.
48 - Pour ce qui est de l'étymologie de Maradi voir: - DAVID P., op . cit., 1969, pp. 70-71 ; - DAVID P., Maradi : l'ancien Etat et l'ancienne ville. Documents des~. N° 18, pp. 4-5 49 - DAVID P., op. cit., 1969, p. 645.
50 - Kirari (au pluriel kirara/) louanges.
41
l-Dan bako 1 Dan-bako 151
Dan -bako, autan saraki 1
Sabro da gatari hana kwana 1
Sarkin kauye matambaya labari 1
5-Babban gurunzumi sha da kafa 1
II.
Sarkin gayya kuwara ta fi kwadarko,
Jirgi kan nema 1
Babban baran Magajin Korau
l-Maradi gagaran gari 1
Kaya garin Dan-bako 1
Shiga da rakumi,
Hita da akala 1
5-Tsohon gari mai gafiya 152
III.
l-Garjanga ta Jatau 153
Ko wa fadaki shi kwana 1
Kashe mutun kiyi tuba,
In an kashe ki sai dagumma 1
5-Gama uku (takobi, garkuwa, mashi) na da wuya,
51 - Kirari recueilli auprès de Mayana Barmo: E.I.E Tasawa Mai 1984. Ce sont des onomatopées.
52 - Kirari recueilli auprès de Mati Dan -Lady, E.In.E. Dan Gaya 1983.
53 - Kirairi recueilli auprès de Uban dawaki Ire, E.I.E. liratawa Mai 1984
42
1.
Say barde
Naganin ki kan tai Bauchi
Traduction
1 -Dan - Bako ! Dan - Bako ! c
-Dan - Bako, Cadet des rois!
-Moustique à la hache qui perturbe le sommeil !
-Seigneur de la «Brousse», grand inquisiteur!
5 -Grand bassin où l'on s'abreuve débout !
-Seigneur plein de superbe, Grand fleuve qui dépasse le pont;
-Te traverser nécessite une pirogue!
-Grand serviteur de l'héritier de Korau !
II.
1 - Maradi, l'invincible ville!
-Ville de Dan-bako, «épine dans le pied»
-Ceux qui y entrent avec leurs chameaux,
-En sortent avec le seul licou !
5 - Vielle ville aux rats !
III.
1 - Invicible ville de Jatau !
-Quiconque t'implore verra demain !
- Tu tues l'adversaire et le dépouilles!
- Qui te tue ne trouve que gris-gris sur toi!
5 - Réunir épée, bouclier et lance est très délicat !
-Sauf pour un grand officier!
-Tes adversaires préfèrent attaquer Bauchi pas toi!
43
L'exploitation et l'interprétation de ce kirari imposent de la
prudence notamment en ce qui concerne sa datation, sa traduction,
les allusions et les implications. Actuellement, il nous est impossible
de dater ce Kiran54. Nous nous limiterons à des observations
superficielles. Le huitième vers de la première strophe montre bien
que Dan-Bako tirait sa légitimité de la dynastie de Korau. Il en faisait
un subordonné de l'héritier de Korau, d'où l'ancienneté de la
dépendance de Maradi (région) par rapport au Birnin Katsina. Ensuite,
Dan-Bakol fut-il le premier titre du représentant de l'Etat de Katsina
dans la région de Maradi ou bien ce titre a-t-il été adopté après celui
de Ma ra di ? Pour nousl la question reste posée du fait que nous ne
disposons d'aucune preuve. L'absence de date de référence est un
handicap supplémentaire à la résolution de ce problème. Nous
pouvons également constater que Maradi est employé à la fois comme
titre conféré à certains dignitairesSS comme nom de centre urbainS6
et de zone ruraleS7 ou une région au représentant belliqueuxS8. Des
témoignages écrits rendent compte également de l'existence de
Maradi avant le Jihâd d'Usman Dan Fodio. Selon Abd al Quadir b. al
Mustafa, Maradi fut assiégé par Soba (1680-1694 )1 souverain du
54 - La division ou la classification de ces fragments de kirari en strophes et vers n'est qu'arbitraire et provisoire. Nous l'avons adoptée pour la commodité de l'exposé. Il en est de même pour notre traduction qui n'est que superficielle et de fois iittérale. .
55 - 1ère strophe, 2è ,4è et 8è vers. 56 - 2è strophe.
57 1ère strophe, 4è vers.
58 - 1ère
strophe 3è et 4è vers, 2è strophe et 3è strophe .
44
Gobir au XVIIè siècle59 et la ville ne fut conquise temporairement que
par Bawa Jan Gwarzo ( 1771- 1789 ) un autre souverain du Gobi,00.
Palmer H.R, se référant à Abdal Qadir b. al Mustafa rapporte
les mêmes faits à propos du siége et de la conquête de Maradi par les
souverains du Gobir.
La question du site de Maradi au XVIIIè siècle et son
importance reste à éclaircir par les historiens. R. W. Hull donne une
origine plus ancienne du Katsina Nord dans son ensemble, et affirme
son rattachement au Katsina. Selon cet auteur: «Since the mid
seventeenth century the Kingdom had been advancing northward and
engulfed pagans around Maradi and Tessawa in present-day Niger
Republic. These people however, were never completely assimilated
into the mainstream of Katsina society. Nor were Fulani who had been
given a large measure of political autonomy within their own areas of
settlement but denied political representation in the central
government»61.
Des historiens, citant H.Lhote, proposent l'hypothèse d'un
rapprochement entre· la destruction de Marandet et la fondation de
MaradP2.
Pour H.Lhote Ma ra di fut fondé par les Gobirawa. A l'état actuel
de nos connaissances, rien ne nous permet d'apprécier cette
59 1 - ABD AL QADIR b al Mustafa, Raudat al Akfar cité par USMAN Y. B., op. cit., 1980, (a), pp. 36-37. HAMANI Dj., op. cit., 1975, p. 67. Les dates du règne de Soba sont de HAMANI Dj., op. cit. et USMAN, Y.B., op. cit., 1972, pp. 182-184.
60 - PALMER H. R., «Raudat al Afkar » J.A.S, Vol. XV, nO UX, PP. 268-269.
61 - HULL R. W., op. cit., 1971, p. 88.
62 - HAMANI Dj., op. cit. 1975, P 33. GADO B., ~ n° 45, p. 85 ;
- LHOTE H., «Ancienne route de l'or au Niger» in Revue Archeologia. n0 51, Octobre 1972, pp. 63-67.
45
hypothèse. La certitude que nous avons c'est que cette localité a été le
théâtre de conflits entre le Gobir et le Katsina 63.
Mais, il faut préciser que l'objet de ces conflits n'était pas la
localité de Maradi. H.Lhote confond-t-il Tsibiri et Maradi? Beaucoup
d'auteurs européens abordent l'étude de la région selon la division
administrative coloniale et actuelle. C'est une erreur historique qui ne
tient pas compte de la division administrative pré-coloniale. Maradi
dépendait politiquement et administrativement de Birnin Katsina. Il est
courant d'entendre les Gobirawa et les Katsinawa dire «Iyakar Katsina
Maradi» ce qui signifie «Maradi est la limite nord de Katsina».
Cependant, Maradi entretenait des relations intenses avec le Gobi,64.
Si l'appartenance de la région de Maradi à l'entité de Katsina est
incontestable, l'importance de la ville, longtemps négligée par les
chercheurs reste à établir.65 On retiendra que Maradi date au moins
du XVIIe Siècle.
Madarunfa : selon la légende de Madarunfa, ce nom dérive du nom
du fondateur de la ville, nommé Mada et sa femme nommée Runfa66.
Les deux conjoints fondateurs de Madarunfa seraient quraishites.
Cette ville devint importante depuis que le Prophète Muhammad eut
l'intention d'en faire un lieu de pèlerinage pour tous les musulmans67.
Cette thèse est invraisemblable. Quand nous avons demandé à notre"
63 - DAVID P., op. àt., 1969, p. 645.
64 - USMAN Y. B , op. cit., 1981 ( a ), p. 131 et cartes B et C.
65 -ADELEYE R. A., op. àt., 1976, pp.590-591.
6611 est possible que le fondateur s'appelle Runfa et sa femme Mada. Un des plus illustres souverains de Kano, voisin du Katsina, s'appelle Runfa. Dans cette hypothèse, le nom Madarunfa signifierait Mada l'épouse de Runfa. "
67 -E.In.E Madarunfa septembre 1984 : témoignage de Uman Haladu plus connu sous le nom de Uman Bagashe
46
informateur de nous préciser les références qui font allusion à
Madarunfa , il était incapable de le faire quoique ancien Imâm du site
en question . Pire, il donne à la lignée du fondateur de la ville une
origine Kanuri en provenance d'Egypte. Comme on peut le constater,
ses versions sont contradictoires et relèvent purement de la thèse
hamitique déjà critiquée plus haut. Selon P.David, Madarunfa a été
fondé après l'installation de Dan-Kasawa à Maradi par un de ses fils,
Dan Galadima Gwagware68. Les questions qui restent à élucider, en
rapport avec le site de Madarunfa, sont la tradition maraboutique très
vivace et les nombreuses tombes des saints musulmans. Faut-il fouiller
ces tombes pour en déterminer les implications historiques?
L'indication la plus crédible sur l'ancienneté de Madarunfa est peut
être celle rapportée par Y.B. Usman dans son article sur la chronologie
du Katsina. Cette indication concerne les victoires remportées par les
Sarkin Katsina Uban Yadi (ou Karyagiwa dan Muh. wari) contre les
dignitaires de l'Etat de Kano, notamment Turaki tué à Doka près de
Madarunfa69.
Gabi : P. David témoigne que Gabi est fondée au XIXe siècle.70 Alors
que la version officielle détenue par les princes de la cour de Gabi et
de leurs courtisans fait remonter la fondation de Gabi au XVIIe S. Un
candidat évincé du trône de Birnin Katsina serait venu fonder Gabi. Un
fait est certain: Gabi connaît aujourd'hui quatre sites et notre
informateur à la cour de Gabi précise que le deuxième site était âgé de
trois cent soixante deux ans avant l'arrivée de Dan Kasawa à
68 -- DAVID P., op. cit., 1969, p.668.
69 - USMAN Y. B., «The dynastie chronologies of three polities of Katsina» Bull. I.F.A.N .. T40, B,2,1978, p. 402.
70 - DAVID P., op. cit., 1969, p. 668 et E.C.E. Gabi, Mai 1984.
47
Maradj71. En réalité, seule une analyse fouillée de la situation
·politique et économique du Katsina aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles,
nous permettra d'apprécier objectivement la fondation de Gabi dans le
temps. Mais la tradition orale de ·Gabi admet que ce site est antérieur
au Jihàd de 1804.
Tokarawa: Beaucoup d'informations contradictoires existent
également sur la fondation de la ville de Tokarawa qui connaît
. aujourd'hui trois sites. Selon une enquête réalisée72 par l'instituteur
Souley Saki, la ville daterait de cent soixante quatorze ans en 1982.
La tradition de Tokarawa enseigne que le premier site a été
abandonné en raison de la guerre. Qu'ils aient existé ou non avant le
XIXe siècle, Gabi et Tokarawa jouèrent ·un rôle important dans
l'évolution de Katsina Nord au XIXe siècle. D'autres centres comme
Riyadi, Sumarana, Mokoye, Tarna, etc ... existaient avant le XIXe siècle.
Ainsi «le pays n'était donc pas totalement vide à l'arrivée des
premiers Katsinawa d'avant" Maradi»73. Le Katsina Nord dans son
ensemble était une région habitée .par des chasseurs, des agriculteurs,
des éleveurs , des pêcheurs , des commerçants etc .. avant même le
XIXe S. Cette zone n'était pas soumise au commandement unique d'un
dignitaire régional. Néanmoins, elle dépendait tout entière du pouvoir
de Birnin Katsina et jouissait d'une relative autonomie, sauf en cas de
troubles74. Alors que le royaume du Katsina, comme les autres États
71 - Texte de l'enquête, sous forme manuscrite, en possession de l'auteur . les raisons de l'abandon du premier site de Tokarawa constituent des preuves irréfutables de l'existence de Tokarawa avant le Jihàd. E. In. E.: témoignage de Maigari Neino Dan Djimo, chef du Village de Tokarawa Tajaye.
72 - Voir note précédente et DAVID P., 1969, pp. 643-645 .
73 - DAVID P., op. cit., 1966, p.643
74 - us MAN Y. B., op. cit., 1981(a), pp. 84 -98.
48
Hausa, connaissait un niveau de développement économique, politique
et culturel assez élevé vers la fin du XVIIIe Siècle, le système de la
sarauta engendrait le contraire de l'ordre qu'il assurait. La classe
dirigeante et les privilégiés négligeaient les conditions de vie de la
masse et s'adonnaient au faste et aux activités lucratives. En plus, les
conflits entre les différents États de la région devenaient sérieux et des
dissensions internes opposaient les dynasties régnantes dans chaque
Etat. Le mouvement d'islamisation très poussé avait engendré la
naissance d'une intelligentsia avec laquelle il fallait compter, au même
titre que les aristocrates et les riches, dans les affaires de l'Etat.
49
CHAPITRE III LE JIHAD AU KATSINA
"Depuis longtemps l'islamisation des peuples de notre région
était très avancée. L'islam était devenu une réalité sociale avec
laquelle il fallait désormais compter.
Les souverains d'Ayar, du Borno et du Songhay prenaient déjà le titre
d'Amir a/ Mumu'nÎn (commandeur des croyants). A partir du XVe siècle
ceux de Kano et de Katsina passaient pour les rénovateurs de
l'islam,,75.
Le jihad qui allait transformer profondément la configuration
politique du Soudan Central est l'aboutissement d'un long processus
amorcé depuis le XVIIe S par Hada-Hada dans l'Ayar et après par
Malam Jibril Dan Umaru marabout de l'Adar, originaire d'Agades, lui-
même maître d'Usman Dan Fodio76.
Ce processus se poursuit au XVIIIe siècle au Fouta Dja/on, au
Borno en 1725, au Futa Toro en 1776, et au Dyambur en 178677.
Des lettrés musulmans y avaient conduit des mouvements qui avaient
permis la fondation des Etats théocratiques et I~urs répercussions
n'épargneront pas 'le Soudan Central. Ce mouvement sera conduit par
un descendant de Musa Jokollo, originaire du Soudan Occidental. Au
Soudan Central, la situation appelait au changement. Les souverains
75 HAMANI Dj., «contribution à l'histoire de l'islamisation des populations nigériennes avant la colonisation», Niamey, Décembre, 1981, p. 43.
76 HAMANI Dj., idem., p. 44.
77 - Ces dates sont données selon la chronologie de NICOLAS G., «la question du Gobir» in . th th
Hlstory of the Central Sudan before 1804, 8 -13 Jannuary, 1979, p. 27 ; NICOlAS G., J.S.A .. TJOOCIX, 2, 1969, p. 199. * JUNAIDU M., Tarihin Fulani. Zaria, N.N.P.C, 1950, pp.7-8.
50
des États de cette région s'étaient enrichis et s'adonnaient au faste,
aux loisirs, etc ... et accablaient les Talakawa, hommes de commun,
d'impôts de toutes sortes. Les lettrés musulmans prenaient de plus en
plus de l'influence dans la société. Au Gobir, l'éducation des enfants de
Bawa Jan Gworzo était entre les mains d'Usman Dan Fodio. Et ce
dernier osait même tenir tête aux souverains du Gobir. Au moment où
les marabouts devenaient très influents dans la société et l'islam plus
pesant, les membres de la cour des souverains et d'autres privilégiés
de la société n'étaient pas prêts à céder leurs positions au profit d'une
classe intellectuelle montante. La situation était loin d'êre stable au
sein des Etats Hausa. Le Gobir qui sera le berceau du Jihad de 1804,
s'était confronté des années durant au Katsina78 et a tourné ses
intentions vers le Zamfara où il s'est finalement imposé. Le nouveau
royaume du Gobir avec pour capitale Alkalawa dans le Zamfara n'avait
pas eu le temps de se consolider. Les membres de la dynastie royale
avaient proliféré et s'affrontaient à la fin du XVIIIe siècle et au début
du XIX e siècle. Certains anciens souverains du Zamfara déchus du
trône par les Gobirawa, avaient formé un groupe d'opposition à
Kiawa79. Ce groupe soutenu par les Katsinawa était un facteur de
trouble entre les Etats de la région. Cette instabilité ne fera
qu'accentuer le mouvement du jihacftO. Au nord également le Gobir
devait faire face aux incursions des Touareg. C'est dans ce contexte
qu'Usman Dan Fodio comprit que par des moyens pacifiques
(négociation, compromis, etc ... ) il ne pouvait réformer un système
solidement implanté et vieux de plusieurs siècles. C'est contre un de
78_ Voir notre introduction au XIXe s et NICOLAS G., op. cit., 1979., pp. 26-27.
79 - Kiawa est situé dans le Katsina.
80 - NICOLAS G., op. cit., 1979, pp.26-28.
51
'.
ses anciens disciples qu'Usman Dan Fodio devait entreprendre un
affrontement décisifSl. Mais cet affrontement du Sheikh contre Yunfa,
fils et successeur de Nafata, fut malheureux pour le réformateur, qui
dut se retirer à Gudu au sud de Birnin Kwanni dans l'actuelle
République Fédérale du Nigéria. Les hostilités entre les réformateurs et
les résistants allaient se poursuivre jusqu'à la conquête européenne.
Au bout de quatre ans de guerre, les jihadistes constituèrent
un grand empire82.
Le Zamfara se rallia aux jihadistes en 1804, puis ce fut le tour du Kabi
le 13 Avril 1805 ; le Katsina quant à lui fut conquis en 1807, sous le
commandement de trois guerriers du jihàd.
• Kano et Zaria furent conquis à la fin de l'année 1807
• Alkalawa n'est tombée aux mains des jihadistes que le 3 octobre
1808
• La capitale du Borna, Birnin Gazargamu a été conquise le 12
Mars 1808.
81 - NICOLAS G., op. dt., 1979, p.l
82 Quelques indications sur le jihàd : ABUBAKAR S., The Emirate of Fombina, 1809-1903, Ph. D. thesis, Zaria, ABU, 1974 ; ADAMU M., opdt 1978, 26p et cartes;
ADEL YE R. A., op. cit., 1976, pp S7-93 ; ALKALI M.B., op. cit., 1969 ; AUYU Y. A. The establishement and development of Emirate govemment in Bauchi Ph. D.
thesis, Zaria, ABU, 1974 ; HAMANI (Dj., Op. cit., 1981, 61 p. ; LAST. M., op.cit., 1967 ; USMAN Y. B., op.cit. 1976, VII-601 p., tables et cartes; USMAN Y. B., (ed), Studies in the historv of the Sokoto caliphate. the Sokoto Seminar papers. Zaria, ABU, 1979, XIII-S04 p.
52
l-Les évènements du jihad au Katsina :
La conquête du Kasar Katsina (pays du Kat~ina) était d'importance
capitale pour l'établissement du Califat de Sokoto. A la fin du XVIIIe
Siècle, le Katsina était l'une des puissances économiques, politiques et
commerciales du Kasar Ha usa. C'était un entrepôt vital dans les
transactions nord-sud, entre l'Afrique du Nord, par delà même
l'Europe, et la zone forestière' des Etats du sud. D'autre part, c'est un
voisin immédiat et important du Gobir qui fut le premier centre du
jihad. Important encore, d'autant plus qu'il était d'une très ancienne
réputation musulmane et avec des centres intellectuels importants
comme· Birnin Katsina, Yandoto, Dan Ashita, Kurmin Dan Rankcf33.
Dès le XVIe siècle, des figures de réputation universelle sur le plan de
la piété, de la sainteté et de l'érudition vivaient dans ces centres84.
Ce n'était donc pas sans raison que les jihadistes se préoccupaient
du Katsina. Au début du XIXe Siècle, il y eut un influent marabout de
Katsina qui était ancien disciple du Sheikh et proche ami de son fils
Muhammad Bello. Il s'agissait du futur Emir du Katsina Umarun
Dallaje85. Tout échec dans la conquête du Katsina pouvait donc porter
83 ADAMU M., op. dt., 1979, pp. 61-84 :
BARTH H., op. cit., 1965, p. 477 ; R.W. Hull R. W., op.cit., 1968, p. 14 ; LEROUX H., op. dt., 1948, p.599 ; USMAN Y.B, op. dt., 198,1 5Ao pp. 59-60 .
84BELLO A., My life, cambridge University Press, London, 1962, pp.28,31 ; DAN KOUSSOU 1., op.cit., 1970, pp. 38-52 ;
USMAN Y. B., op. cit., 1972, pp.195-197 ; USMAN Y.B., op.cit., 1981 (a), p.27.
85 HULL H. W., op. cit., 1971, p. 89.
53
préjudice ou retarder le processus du mouvement de la réforme. Le
Katsina était aussi une étape dans la conquête des régions situées plus
à l'est et une grande puissance de l'époque. Mais la poussée de 11slam,
les succès militaires successifs des jihadistes, l'affaiblissement du
pouvoir de l'aristocratie au trône d'une part, et la division au sein de la
famille régnant à Katsina d'autre part, puis, la division entre l'armée et
le pouvoir central86 et l'influence de plus en plus croissante de
certains marabouts ne permettaient pas aux autorités du Katsina
d'écraser les jihadistes qui avaient pour base idéologique l'Islam,
facteur d'unité et de mobilisation de tous les mécontents. Tous ces
facteurs rendirent inévitable la chute du Katsina face à l'armée
jihadiste en 1807. Pourtant, pour en arriver là, les jihadistes durent
mener un combat loin d'être gagné d'avance. Ils ne formaient pas un
front uni et leurs influences étaient localisées et dispersées dans les
plus petits centres et parmi les populations.
Quoique leurs activités n'étaient pas coordonnées87, leur
influence gagnait du terrain. Parmi les leaders des supporteurs du
Sheikh au Katsina, on notait Malam Mahamman Na Alhaji dont
l'influence se répandait autour des centres comme Runka, Zakka et
bien d'autres au sud-ouest de sa ville natale88. Il prendra position
dans la partie ouest du royaume après 1805. Une autre figure, Malam
Muhammadu Na Seye essaya de diriger, de son côté, des activités
réformistes au niveau de Beye, Wurmi, Karofi, etc ... Muhammad Na
Seye et Umaru Dallaje (Umaru regagnera Yan-Tumaki après 1805)
rassemblèrent des adhérents dans le bassin de Karaduwa-Bunsuru.
86 - US MAN Y.B., op. cit., 1981 (a), p.95 on se rappellera également de l'assassinat de Gozo. 87 - UsMAN Y.B., op. cit., 1981 (a), p.103.
88 - UsMAN Y.B., op. cit., 1981(a), pp.249-250 et cartes B et C.
54
D'autres centres dans les plaines centrales regroupèrent des adhérents
aux idées du Sheikh. Au nord de "Birnin Katsina, Malam Umaru
Dumyawa, avec, résidence à Aina, rallia de son côté les éventuels
adhérents autour de Kusa, Garabi (à l'est de Madarunfa), Zan dam,
Morai, Kanwa et Shinkatf39. Le caractère disparate de ce mouvement
permet aux autorités du Katsina de négliger, sans danger immédiat,
les jihadistes au sein du royaume. Ainsi il n'y a pas eu de confrontation
directe entre les jihadistes du Katsina et les autorités du royaume
avant la victoire de Shehu sur l'armée du Gobir en 1805 à Tabkin
Kwato.90 C'est en effet cette victoire et l'appel lancé par Sarkin Gobir
Yunfa contre les jihadistes, qui amenèrent les rois du Soudan Central à
prendre désormais au sérieux le mouvement du jihad. Sarkin Katsina
mena immédiatement une répression sanglante contre les jihadistes
de son royaume. La plupart d'entre eux furent tués, d'autres arrêtés et
certains furent obligés de s'enfuir et de s'unir pour, se défendre91.
Comme la retraite (hégire) du prophète Mohammed en 622 et celle
d'Usman Dan Fodio en 1804, la fuite des marabouts survivants du
Katsina était également perçue comme l'hégire (Hijira)92.
Cette phase vit également la chute du Katsina et le partage du
royaume en trois zones d'influence : celle de Malam Na Alhaji, qui
commandait la région autour de Runka-Zakka dans le le sud-ouest;
Celle de Malam Umaru Dumyawa qui s'attribua la région de Gulbin
Maradi, Madarunfa, Hasau, Gabi, Tokarawa, Fototuwa, Jibiya, Zandam,
89 - Pour le détail sur le jihàd au Katsina voir USMAN Y. B., op. cit., 1981 (a), pp. 94-124.
90 - USMAN Y.B., op. cit.,1981,(a), p.lOS".
91 - USMAN Y.B., op. cit.,1981 (a), p.l0S.
92 - ABRAHAM R. c., op. cit., 1962, p. 386.
55
Ruma, etc ... et celle de Umarun Dallaji qui comprenait le bassin de
Karaduwa-Bunsuru et les plaines centrales.
Un fait mérite d'être précisé au cours de cette phase. Parmi les
résistants contre le jihad on note des Burmawa, une fraction des
Touareg Kel Geres, et des pasteurs Peuls93. C'est là une preuve contre
la thèse qui veut présenter le Jihad ou la résistance contre le Jihad
comme un conflit ethnique.
La période de 1807-1808 fut la phase finale de la conquête du
royaume. Au cours de cette phase, les sarakunan Katsina, prirent le
chemin de la retraite tout en continuant la lutte. Leur première étape
fut Dankama à 32 km environ au nord.
Malam Umarun Dallaji fut également intronisé émir du Katsina. en
mars 180894.
La situation évoluait ainsi en faveur des jihadistes mais de nombreux
problèmes subsistaient malgré tout, car, quoique victorieux, les
jihadistes étaient incapables de s'installer dans le Birnin Katsina.
Umarun DaUaji fut contraint de s'installer à Sa bon Gari à 24km au sud
est de la capitale. Après la mort de Na Alhaji, son fils Muhamman
Dikko fut nommé commandant du secteur sud-ouest. Ce qui fut rejeté
par certains groupes jihadistes : Dangin Dauda et Dakkala. Les Dangin
Dauda se faisaient dignitaires d'une section autonome de la
communauté musulmane. Cette situation était déjà un signe de la
division au sein des dirigeants de la communauté du Katsina. Le
procédé de la nomination de Umarun Dallaji par Mahammadu Bello en
défaveur de Na-Alhaji et Dumyawa était-il aussi une maladresse?
93 Hull R.W., op.cit., 1971, mentionne des résistants peuls de Ruma et les habitants de Karofi en plein XIXe 5; USMAN Y. B., op. cit., 1981, (a), pp.116-117.
94 USMAN Y. B., op. cit., 1981(a), p. 123 et note 1, p. 125.
56
Après la première phase du jihad au Katsina (1804-1805), la
deuxième sera décisive (1805-1806) pour les sarakuna, malgré la
coalition Katsina-Daura-Kano. Durant cette phase l'armée du Katsina
devait faire face aux opposants internes, qui devenaient de plus en
plus organisés, puis à celle du Sheikh et à l'est aux Jihadistes de Dan
Tunku de Kano et à ceux de Daura. Le Zazzau répondit favorablement
à l'appel lancé par. Usman Dan Fodio en 1805 après la bataille de
Tabkin Kwato. De ce côté le Katsina perdit un allié et se trouva aussi
menacé95. Le puissant royaume du Katsina se retrouva ainsi encerclé.
Au cours de cette phase de 1805-1806 les jihadistes remportèrent des
succès au Katsina. Ils utilisèrent des méthodes violentes et des
moyens pacifiques. Au cours de cette étape les centres de Daugani,
Papu, Gyaza, Karofi, Radda, Kamri Benye, Rugar Badde, Bindawa,
Dallaji, Kahin Dangi, etc ... ,se trouvèrent sous le contrôle des
jihadistes96.
Ils rencontrèrent cependant des difficultés à se rallier le groupe
de Yandoto qui a une très ancienne tradition musulmane. Ce groupe
prenait les jihadistes pour des hérétiques. Selon les marabouts de
Yandoto, le Katsina était un royaume musulman malgré certaines
pratiques répréhensibles. Ainsi, personne n'avait le droit de combattre
le Katsina comme une terre de mécréants. A ce sujet Usman rapporte
qu~: « ... and more serious opposition was met in Yandoto and
neighbouring settlements where Malam Sambo B. Ashafa and Alhadji
Umaru an ardon (clan head) Fulani living near Yandoto called upon by
Mallam Sambo to follow Allah by support for the Shehu, is said to have
95 - Sarkin Zazzau Isiaku Jatau répondit favorablement à la lettre du Sheikh Usman Dan Fodio, apportée par deux messagers : Abd al Rahman et Allamu Zamanu, Usman, op.cit., p. 106.
96 - USMAN Y. B., op.cit., 1981(a), p. 112.
57
answered that he saw no reason to support some ragged Malam
against a «5arkin Duniya» (Lord of the world) like the sarkin Katsina.
Malam Sambo had to resort to the sword to conc/ude the argument,
and managed to seize sorne horses with which he equipped his
contingent and attraeted more people to join him»97.
L'étape de 1806-1807 fut la troisième phase des évènements
du jihad au Katsina. C'est au cours de cette phase que Yandoto fut
conquis et le mouvement des réformistes du Katsina devait être plus
intégré au mouvement général, surtout à la suite de la rencontre de
Birnin Gada au Zamfara avec Muhammad Bello.
En plus de cela, une famine terrible survint après cette période de
guerre98.
2-Les lihadistes au Katsina Nord
Les détails précis de l'occupation du Katsina Nord par les jihadistes
nous échappent. Après les premiers succès militaires des jihadistes, la
région tomba sous la sphère que contrôlait Umarun Dumyawa. Dans
le contrôle de cette zone qui comprenait le nord-"ouest (Zandam,
Gu/bin Maradi, Kusa, jusqu'aux environs de la ville de Kaita) Umarun
Dumyawa était aidé par deux lieutenants, Ma/am Arade Makuma et
Ma/am Yusufu Na Garabi99.
97 - USMAN Y. B., op.dt., 1981(a), p. 112. - l.AST M., The Sokoto caliphate. London, Longman, 1967, p. 37.
98 - Cette famine est mentionnée par bon nombre de nos documents écrits et oraux.
99 USMAN Y. B., op.dt., 1981 (a), p. 126.
58
Selon David P., la région fut envahie par une colonne de 500
personnes100 qui devaient y vivre. La région de Maradi fut alors
soumise à l'administration de Mani Acha (Ascha), qui représentait les
autorités issues du jihad. Des points restent à éclaircir quant à
l'occupation des secteurs comme Tasawa, Gazawa et Age. Ces
secteurs101 se seraient très tôt ralliés aux jihadistes. Rauda aurait
même été livré aux jihadistes par les populations du secteur
Gangara(Gazawa) où il cherchait refuge. Selon Tilho, les populations
de ces sites, terrorisées par l'ampleur des combats dans les régions
voisines, s'étaient rendues aux jihadistes102.
De toutes les façons, que ce soit à Tasawa, Gazawa, Age ou
Ma ra di, l'occupation du Katsina Nord semble avoir été faite plus
pacifiquement que dans les autres régions. Jusqu'à l'arrivée de Dan
Kasawa dans la région, il y avait un dignitaire traditionnel, en la
personne de Maradi Ranau103. Maradi Ranau, représentant légitime
de l'ancien pouvoir de Katsina, ne manifesta aucune hostilité à Mani
Acha. Certainement très informé de l'évolution de la situation dans
toute la sous région et de la chute de ses supérieurs hiérarchiques, il
jugea plus sage d'accepter la nouvelle situation que lui imposait les
nouvelles autorités de Katsina, ou alors on peut supposer qu'il voulut
laisser en veilleuse tout un projet pour ne pas attirer un contrôle plus
strict dans la région susceptible d'accueillir un jour les exilés.
100 DAVID P., op.cit., 1989, pp. 645-649.
101 Le terme secteur est ici arbitrairement adopté pour la commodité de l'exposé, et n'a pas d'équivalent dans les langues locales. Indépendamment des considérations coloniales, il donne mieux une idée des divisions administratives précoloniales. Il est donc à considérer comme un terme technique: par exemple Tasawa fait plutôt référence à un centre urbain qu'à une division administrative dépassant le cadre de ce centre urbain.
102 llLHO, II, op.cit., 1906, p. 460.
103 DAVID P., op.cit., 1969, p. 647.
59
C'est dans cette région de la vallée du Gulbin Maradi que l'oppres
sion, l'humiliation et l'exploitation qui traduisent le pourrissement du
pouvoir des jihadistes, se sont le plus manifestés. Les témoignages sur
le contrôle de la vallée du Gulbin Maradi furent très négatifs. Aucune
œuvre de construction de cette région pourtant pleine de potentialités
naturelles ne fut entreprise. Les sources ne mentionnent la création
d'aucune véritable école coranique, alors que la légitimité du pouvoir
des jihadistes dépendait de l'islam. Cette occupation fut lourde et
cruelle. A ce propos, voici le témoignage rapporté par David P. :
«Pendant dix huit années, les Peuls ne tracèrent jamais un seul sillon.
Installés avec leurs femmes et leur progéniture dans de confortables
maisons, ils se faisaient nourrir par les anna, exigeant poulets,
chèvres, mil, maïs, gros mil et canne à sucre. Au total, plus de cinq
cents qui commandaient les anna et menaient douce vie. Chaque
vendredi, Mani recevait, à titre de contribution obligatoire, les denrées
nécessaires à son entretien et à celui de ses hommes. Pour toute la
semaine à venir, les paysans de la vallée remplissaient qui un sac ou
une calebasse de mil, qui une charge de maïs, ou de haricot et les
rapportaient à Sumarana. Au total, il fallait chaque semaine plus de
cinq cents sacs de céréales et de vivres pour faire vivre les Peuls ... Le
peul couchait avec la femme, tandis que l'anna, lui tenait dehors la
bride du cheval.. .. »104.
Ce récit, sans doute exagéré sur certains aspects, nous permet
néanmoins de voir la situation dans laquelle se trouvaient les anciens
administrés de Maradi Ranau autrefois soumis à un système plus
104 - DAVID P.,.idem., 1969, p. 646.
60
souple que celui de Mani10S. Ce témoignage nous permet aussi de
tirer des renseignements économiques sur la région et de constater
que Mani s'est installé dans la région avec un groupe de personnes
même si l'effectif avancé est à vérifier.
Les anna qui ne sont pas habitués à un système administratif si
oppressif ne pourront supporter celui de Mani Acha.
105 - Selon les informateurs on prononce : Mani Acha ou Mani Asha ou Manin Ashiya
61
d'organisation pour se limiter à des actions isolées. Pour eux, leur
action devait être de grande envergure.
a) Préparation de la révolte
Tout d'abord, rien n'empêche de penser que les Anna de la
vallée ont fait u~e appréciation correcte de la politique de Mani et ont
su que le moment était favorable pour canaliser le mécontentement
des populations.
Ils ont également su sonder l'intention de leurs anciens
souverains en exil à Gafey. En tout cas, l'envoi des émissaires auprès
de Dan-Kasawa fut très significatif. Ce dernier, à son tour, donna à
l'initiative des anna un sens politique beaucoup plus large en
contactant ses deux cousins, Sarkin Kano réfugié à Maradu (situé
entre Madarunfa et Maradi) et Sarkin Daura en exil à Magariya (dans
le Daura).
Ensuite, Dan-Kasawa, pour s'assurer de la bonne foi des Anna
et les motiver encore, leur fit une proposition très habile, non moins
importante dans la stratégie de la révolte: «Si les Peulhs vous
ordonnent de me livrer à eux, peut être en êtes-vous capables? Je ne
viendrai vous secourir qu'à une condition: supprimez d'abord Mani
Acha, afin que je juge de votre sincérité, apportez-moi sa tête pour
preuve de votre détermination, et alors je serai votre Sarki»108.
108 DAVID P., «Maradi précolonial: l'Etat et la ville» BI.IFAN, T.XXXI, B, 3,1969, p. 647 ; E .C.E., Jiratawa, Mai, 1984 i E.C.E., Maradi, Mai, 1984 ; E.I.E., Maradi, Mai ,1984.
64
Pour les Anna l'action qu'ils allaient entreprendre pouvait être
lourde de conséquence et ce d'autant plus qu'il s'agit d'attaquer un
adversaire puissant comme l'empire de Sokoto.
Les Anna prirent deux ans pour fabriquer leur armement et prévoir
militairement la contre révolte. Les forgerons avaient reçu l'ordre de
préparer secrètement arcs, flèches, haches, etc ...
Les chasseurs quant à eux devaient préparer du poison nécessaire
pour les flèches et les lances. Les réunions se tenaient dans la forêt
dont les anna seuls connaissaient les labyrinthes à l'époque. Car, il y a
parmi eux un grand nombre de chasseurs et de forgerons. Cette forêt
était touffue et infestée d' animaux sauvages de toutes sortes, disait
on.
Sur le terrain, la révolte était préparée, organisée et dirigée par
un comité de six personnes.
- Barki dont le nom est porté aujourd'hui encore par un grand gao109
de Maradi; cet homme aurait accroché son carquois au Gao à son
arrivée dans la région, Nakumbo, Dankaso, Gadabo, du village de
Sumarana où Mani Acha percevait ses impositions;
Le frère de Barki, le jeune Albarshi Mai Kumsa110 ;
Enfin, Ashalu, porteur du surnom Mai Tawaye (le révolté).
Il y a lieu de remarquer que les membres de ce comité ne sont pas
du même village. Il apparaît clairement que Barki et Gadado sont de
villages différents, même si nous ignorons les villages des quatre
autres. L'unanimité des gens issus des villages différents, la
participation harmonieuse des sarakunan sana'a (makera, mahalba,
109_ Gao :acada Albida
110 -Komsa : luth à deux cordes.
65
etc ... ), la préparation sur le terrain malgré le contrôle de Mani
donnèrent à cette résistance son caractère populaire. Et la
participation des souverains des autres Etats voisins lui apporta ses
dimensions politiques régionales. C'est surtout le caractère oppressif
de la politique de Mani qui entraîna les populations à la révolte. En
effet, . pendant que la révolte couvait, les exigences de Mani Acha et de
ses hommes devenaient excessives.
b) La révolte111
«Cette année là, en plus des exigences ordinaires, Mani Acha
demanda à chaque famille un fils pour être envoyé à Sokoto et servir
dans les places fortes du Sud et de l'Ouest de l'empire ... »112.
Cette nouvelle exigence correspondait-ell~ à des difficultés auxquelles
l'empire était confronté dans les lieux indiqués ? Si c'est le cas les
circonstances étaient alors favorables pour les résistances du nord.
Mais pour gagner du temps et finir leurs préparations les dominés
surent toujours tromper Mani Acha.
En effet, ils proposèrent aux occupants de patienter : un des
leurs, Dogo et ses deux femmes Fati et Tsima n'étant pas là, ce n'est
qu'après leur retour qu'ils pourraient satisfaire les nouvelles exigences.
Dans l'esprit des conjurés, Dogo qui signifie en hausa un homme
111 Cette révolte doit être comprise dans le contexte géopolitique du nord califat déjà évoqué plus haut et pas seulement dans la seule localité de Maradi , même si cette ville a été le berceau de la révolte.
1120AVIO P., op.cit., 1969, p.647. l'auteur ne précise pas l'année en question. Pour ce qui est de la date de la révolte voir notre quatrième chapitre - Pour ce qui est de 11ntrigue des anna, il existe un point obscur: par exemple, on ne comprend pas pourquoi ils insistent sur Fati et Tsima (des femmes) alors que l'exigence portait sur des enfants qui peuvent être envoyés sur les points forts du califat. Nous supposons que l'exigence portait surtout sur des hommes.
66
grand de taille est ici assimilé à l'arc. En parlant de ses deux femmes
Fati et Tsima, il faisait allusion aux flèches.
Quand Mani exigea de nouveau les enfants, les conjurés
avançèrent qu'ils étaient presque prêts: Dogo et ses deux femmes
étaient déjà là. En fait, cela voulait dire que la fabrication des armes
était finie. Les anna poursuivirent leurs intrigues, en disant qu'ils
avaient fini de tresser Fati et Tsima, et qu'il ne restait qu'à leur faire la
toilette et à les enduire de henné. Ici les anna voulaient tout
simplement dire que les barbelures des flèches étaient déjà faites, qu'
il ne restait plus qu'a leur faire la toilette et à les enduire de poison.
Voilà comment les anna trompèrent Mani Acha jusqu'au jour où ils
arrêtèrent leur plan de révolte. Il s'agit ici de l'habileté politique des
résistants ou de la naïveté et l'ignorance de la cult4re du pays de
Mani Acha ? Ecoutons encore ce récit de uban dawakin Safo rapporté
par P. David113 :
«Le vendredi venu, réunis autour de la calebasse de bière de mil, plus
connue sous le terme de burkutu, les conjurés furent prêts. Et qui va
donner le signal? qui va frapper le premier? Moi, dit Gadabo, et il
vint à Sumarana en tête. Ils trouvèrent comme chaque Vendredi, Mani
couché dans son vestibule».
Après que les anna se furent acquittés de leurs obligations en vivre, il
ne restait que deux hommes dans le vestibule.
«Alors Gadabo fit son entrée, la hâche sur l'épaule, prêt à l'action ; il
prit sa hâche, la brandit à bout de bras comme s'il voulait saluer le
gouverneur, tout en lui disant Ranka ya dade (que ta vie dure
113 DAVID P., op.dt., 1969, pp. 647- 649.
67
longtemps) s'approcha de lui, et brusquement d'un coup de sa hâche,
il lui fendit le crâne en deux.
Alors triomphant, il s'écria de toutes ses forces :
Yiihu, Dan bura Uba, na dama, kawaya sha !
Yiihu, ya tawaye, mun tada. (Et aussitôt, Ashalu sort aussi de la
maison et crie de toutes ses forces au dehors.
Yiihu, kai yan bura Uban nan ! Anna ! vau mun tada tawaye.
C'est l'appel général à la', révolte et au soulèvement. Et il
continue : et vous les Peulhs allez dire à vos chefs que c'est notre
révolte ! J'al tué aujourd'hui Mani... Mai shiga shi shiga ! s'engage celui
qui veut s'engager. Nous refusons de suivre les Peulhs, que chacun
fasse désormais à sa guise !
Alors tous le,s Anna se mirent à tuer les gens de Mani... Un
courrier spécial apporta à Dan Kasawa la tête de Mani. Dan Kasawa
courut informer ses cousins de Maradu et de Magariya, de la nouvelle,
puis fit ses préparatifs de voyage pour venir rejoindre les anna de la
vallée. A leur arrivée chez Maradi Ranau, dans la vallée, ils tombèrent
dans les bras les uns des autres et Dan-Kasawa criait de joie: voici
qu'aujourd'hui je retrouve mes parents»114.
Cette révolte était préparée de concert avec Dan-Kasawa. Il se
serait même placé à Tasawa, malgré l'hostilité des autorités de la ville,
pour suivre de ·très près les évènements de la vallée de Gulbin Maradi.
La proposition d'assassiner Mani était la sienne.
Car, à l'appel des Anna, il exigeait comme condition la tête de
Mani Acha pour se convair:'lcre de la bonrye foi des Anna.
114 - DAVID P., op.cit., pp. 647- 649.
68
Une phase s'achevait et une autre commença ainsi dans l'histoire
du Katsina· Nord. Nous y reviendrons plus loin. Nous avons laissé
volontairement l'analyse de cette tradition pour un travail ultérieur.
4.Nos tentatives d'explication du succès de la révolte du
Katsina Nord
Cette victoire des conjurés amène à se poser un certain nombre
de questions :
Pourquoi le puissant empire de Sokoto n'a-t-il pas pu réprimer
cette révolte d'une frange de son empire ?
Pourquoi les anciens souverains de Katsina, de Kano, du Gobir et
de Daura se sont-ils tous repliés dans cette zone qui va de Tsibiri à
Magariya?
Pourquoi la révolte fut-elle aussi populaire et régionale que le
jihad lui-même?
A ces quelques questions nous ne pouvons apporter que des
éléments de réponse. Examinons d'abord la situation au sein de la
classe dirigeante de l'empire de Sokoto.
L'empire de Sokoto remarquablement construit par la volonté
populaire au nom de l'islam, de la justice et de la loyauté commençait
à se dégrader.
Le pouvoir prenait un caractère ethnique et familial alors que le
succès du jihad était le fait d'ethnies d~verses et de plusieurs
catégories socio-professionnelles victimes de I~njustice de l'aristocratie
et de l'hypocrisie de certains marabouts attachés aux cours.
69
Tous les postes-clés de l'empire revenaient aux membres de la
famille et de l'ethnie d'Usman Dan Fodio. Ce qui n'est pas sans
offenser les autres héros de la victoire d.u jihad. Pendant que Shehu,
lUi-même, est sarkin musulmi (commandeur des croyants musulmans),
son fils Muhammad Bello devait s'occuper de la partie est de
l'empire, qui comprenait Kano, Katsin8, Zazzau et Adamawa, et son
frère Abdullahi Fodio devait lui aussi s'occuper de l'ouest de l'empire,
Gwandu, Gurma et plus tard Nupe, Ilorin, Junju, Borgu, Tamkala, Say,
Torodi, etc ... Ali Jedo, un Peul encore, mais bien que sarkin yaki du
jihad, devait s'occuper seulement de la partie nord-ouest de l'empire
dont certaines parties ne sont pas encore totalement soumises.
A Katsina même, le gouverneur du royaume était Umarun Dalladji,
un ami intime de Bello. Jusqu'aux provinces reculées comme celle de
Maradi, le responsable était un peul en la personne de Mani Acha ou
Manin Ashia, selon d'autres informateurs. Ce caractère ethnique et
familial du pouvoir montre bien que les dirigeants étaient tombés dans
les péchés qu11s combattaient à savoir le népotisme et 11njustice.
«Déjà avant la fin des grands combats militaires, Abdullahi Dan
Fodio, avait dénoncé cette tendance à la perversion du mouvement.
Déçu, il avait pris le chemin de la Mecque dès 1807 mais avait été
convaincu de rebrousser chemin. par les habitants de Kano. Il est
incontestable que les proches d'Usman Dan Fodio, familiaux ou
ethniques ont bénéficié plus que d'autres du succès du jihad. C'est
pourquoi Abdussalam, l'une des figures proéminentes des débuts du
jihàd, peut-être le deuxième après Usman Dan Fodio s'en plàignit
amèrement et alla jusqu'à la rébellion ouverte après l'avènement de
Muhammad Bello en 1817.
70
C'est pourquoi également, après le décès de Shehu, la nouvelle
aristocratie peul de Sokoto ferma à Abdullahi les portes de la ville lui
interdisant ainsi de. rendre les derniers hommages à son aîné et,
surtout de pouvoir prétendre à sa succession.
La révolte de Abdussalam, celles qui embrasèrent le Kabi et le
Zamfara après le décès de Shehu, sont significatives de la déception
de ceux qui crurent un moment à l'avènement d'une ère de justice
après le triomphe de Shehu Usman Dan Fodio»115.
Dans ce climat, Muhammadu Bello qui succéda à son père
devait lutter âprement pour consolider sa position l16. II apparaît donc
clairement que la situation est loin d'être celle d'une très grande
stabilité tant au niveau de la classe dirigeante qu'au niveau de
certaines parties de l'empire. Quand on sait que Dan-Kasawa s'est
installé à Maradi en 1817, au moment où Bello succéda à son père, on
comprend aisément pourquoi la révolte a eu lieu à un moment crucial
qui correspondait à peu près au décès de Shehu Usman Dan Fodio.
Quant au repli de certains souverains déchus, au sud de la zone qui va
de Tsibiri à Magariya, nous pouvons formuler quelques hypothèses : le
nord de l'empire de Sokoto dans son ensemble n'avait pas été
totalement contrôlé par l'administration de l'empire. Les exactions de
Mani Acha dans la vallée de Gulbin Maradi est une expression de
l'incapacité de l'autorité centrale' du califat de contrôler ses
administrateursl17. Au niveau de l'émirat du Katsina, la situation était
115 - HAMANI Dj., op.cit., 1981, pp. 51-52. 116 - HULL R. W., op.cit., 1969, pp. 89-90.
117 DAVID P., opcit., 1969, pp. 645-649 ; E.C.E., Maradi, Mai, 1984; E.a. E., Section Voix du Sahel, Maradi, Mai, 1984, ( S.D ) i E.I.E, Tasawa, Mai, 1984 ;
71
loin d'être stable. Certaines régions comme Ruma, Karofi se
permettaient même d'accorder des facilités de sabotage aux
résistants l18.
Cette partie nord de l'empire était donc une zone des révoltes
ponctuelles et permanentes: Kabi, Gobir, Zamfara, celle d'Abdusalam,
etc ...
Le Katsina Nord était une zone située à l'extrême nord du
Kasar Hausa (pays hausa) et n'attirait l'attention particulière des
dignitaires d'avant le jihad, qu'en cas de crise. C'était donc une zone
d'une ancienne tradition d'autonomie où les habitants pratiquaient
indifféremment leurs religions animiste ou musulmane. En gardant ou
en occupant cette zone, les anciens souverains contrôlaient une
portion de Kasar Hausa et nourrissaient ainsi l'instinct conservateur
des populations qui ne demandaient pas mieux que d'être autonomes.
Une autre hypothèse non moins importante est la suivante :
A l'est, les exilés avaient le soutien du Damagaram, lui aussi
menacé par le mouvement du Jihàd et derrière le Damagaram, il y
avait le Borna qui était aussi mécontent de voir Birnin Gazargamu
détruit et une partie de son empire perdue ne serait-ce que
provisoirement. En plus, le Borna n'entendait pas être combattu au
nom de 11siam, puisqu11 se proclamait aussi musulman l19.
Au nord, les résistants espéraient le soutien d'une fraction des
touareg de l'Ayar (Tegama et Kel Geres mentionnés plus haut).
E.I.E., Gabi, Mai ,1984. 118 HULL R. W., op.dt., 1971, pp. 95-96.
119 HULL R. W., op.dt., 1~71, pp. 98-99, le départ de Dan Baskore vers le Bomo, montre que les résistants espéraient les bonnes grâces du Bomo. Mais c'est surtout USMAN Y. B., op.cit., 1981 (a), pp. 34-35, qui stigmatise la position historique du Bomo.
72
A cette époque, l'Ayar, le Damagaram et le Borno avaient les
yeux tournés vers l'évolution du mouvement du jihad
Les exilés étaient sans doute conscients de cette situation
avant de se diriger vers le Nord. Même si certains exilés étaient venus
après le succès de la révolte, il n'en demeure pas moins important que
cette hypothèse est à approfondir.
Des indications sur les contacts entre les résistants militent en
faveur du succès de la révolte.
Le climat de résistance qui régnait depuis le Kabi jusqu'au nord du
Katsina était à priori un soutien moral pour chaque groupe de
résistants pris individuellement.
Il y avait tout d'abord le contact entre les dynasties déchues de
Kano et de Daura avec celle de Katsina120. Ces trois dynasties ont pris
la même direction nord-est de l'exil. Ce qui les a conduites à établir
des contacts directs ou indirects avec les autorités du Damagaram, du
Borna et de certaines fractions de Touareg Tegama et Kef Geres. Ce
contact du Damagaram avec les résistants entraÎna celui-ci dans une
confrontation directe avec les jihadistes. Mais dans beaucoup des cas,
cet Etat sortit victorieux des affrontements121.
Les Gobirawa' quant à eux, avaient essayé d'établir un front
contre les jihadistes depuis l'appel lancé par Yunfa aux Sarakunan
Kasar Hausa après la bataille de 1805 à Birnin Gada122.
120E.I.E., Maradu, Mai, 1984. 121 Voir nos enregistrements ; -LAST. M, op dt 1967 p. 31 ; -TILHO. op. dt., 1906 ; -Y.B. Usman, op cit 1981 (a) p. 121.
122 - TILHO, Il, op. dt., 1906, pp. 440-441.
73
Plus tard, Ali Dan Yakuba (1817-1835) était à Birnin Kummiya
(à environ 50 km à l'est de Dakurawa) quand son frère Batsiri, alors
réfugié à Maradi était venu le convaincre pour la continuation de la
résistance et l'assurer du soutien du Sultan de Katsina à Maradi.
Mai Nasara (1886-1894) revenant aux traditions de résistance
des Gobirawa rompit toute alliance avec les autorités de Sokoto et
conclut alliance avec Masalatchi, sultan à Maradi123.
Dans cette situation on ne peut pas ne pas également évoquer
la négligence et la naïveté de Mani Acha. Quoi qu'il en soit, cette
situation n'était pas sans engendrer des modifications dans le Katsina
Nord. En effet, à la suite de la révolte un État centralisé s'est t
constitué au nord du Katsina. Etait-ce aussi le résultat de la
détermination des résistants ?
Par ailleurs, des questions se posent aussi quant aux limites de
cette révolte.
L1nstallation de Sarkin Katsina à Maradi devait être provisoire,
en attendant la reconquête de Birnin Katsina. Pourtant, la cour s'y
reconstituait progressivement.
Enfin, vers la fin du siècle, l'objectif majeur, la reconquête, cède la
place à la gestion pure et simple du «royaume de Maradi». Qu'est ce
qui peut expliquer cet état de fait ?
Comme nous l'avons souligné, au XIXe Siècle soudanais, la
poussée incontestable de l'islam militait en faveur des jihadistes
comme devaient le dire Coquery-Vidrovitch et Moniot: «les mécontents
avaient un leader, une perspective d'action, un espoir commun, une
expression organisée de leurs désirs de changement, un terrain social
123 - llLHO, II., op. cit., 1906, pp. 476-478.
74
explosif, un terrain idéologique anciennement entretenu, jusque-là
autonomes, se sont prêtés de quoi rendre leurs virtualités
agissantes»124.
Alors que les réformistes étaient idéologiquement et
politiquement unis et jouissaient d'un terrain plus favorable, les
résistants n'avaient pas d'idéologie unitaire de lutte sinon le
conservatisme et restaient attachés à leur traditionnelle division
politique 125. Les divisions internes, maladies chroniques de l'ancienne
dynastie, le nouveau jeu des alliances et des revirements politiques126
et le rôle joué par Kaura Hasau peuvent aider à expliquer
l'affaiblissement de la résistance.
Ainsi, les résistants en voulant perpétuer le système de Sarauta
et les anciennes divisions politiques perpétuèrent inévitablement les
éléments de l'éclatement de la résistance.
124_COQUERV-VIDROVITCH C. et MONIOT H., op.cit., 1974, p. 26 .
125_ C'est ainsi que les résistants du Kabi, du Gobir, du Katsina, du Borno, quoique se donnant des coups de mains, restaient prisonniers de leurs anciennes divisions. Alors que l'évolution du Soudan Central appelait désormais à une redéfinition de l'entité politique et une nouvelle composition de la classe dirigeante.
126LAST M., op.dt., pp.UG-U18 ; - TILHO, op.dt., pp. 441- 444 ; 477; 478.
75
CHAPITRE IV-KATSINA NORD APRES LA REVOLTE
A la suite du jihad de 1804 des changements importants sont
intervenus dans le Soudan Central. Un vaste empire musulman s'est
constitué. Après l'année 1809, la plupart des capitales du Kasar Hausa
étaient plus ou moins intégrées au califat de Sokoto dont le
commandement de la partie orientale incombait à Muhammad Bello,
celui de la partie ouest à Abdullahi Fodio. Le Nord du califat était
supervisé par Ali Jedo et deux autres fils de Usman Dan Fodio,
Muhammadu Bukari et Abubakar Atiku se partageant le sud.
Mais il faut préciser que le nord et le sud étaient en plus sous
le regard de Bello127. La naissance des Etats résistants du Gobir et du
Katsina Nord fait également partie des conséquences politiques du
jihad. A ces conséquences politiques, il faut ajouter des conséquences
démographiques et économiques, dont celles du Katsina Nord ne
seront que très brièvement examinées ici. Dans ce pays, l'œuvre
entamée par Dan-Kasawa devait se poursuivre jusqu'à ce que des
troubles interviennent après le règne de Dan-Baskore d'une part et
d'autre part la conquête européenne et les dissensions des dynasties
régnantes.
Après la chute du Katsina, une bonne partie de la population
de ce pays s'est déplacée dans d'autres lieux. Les populations de la
ville de Yandoto détruite se sont dirigées vers d'autres centres. Des
127 AlKAU M. B., op.dt, 1969, p. 156 ; - LAST M., op.dt, 1967, pp. 53-54.
76
Rumawa, des Bambarawa, des marabouts (dont ceux qui ont fondé le
quartier Limanci à Maradl) et des Peul se sont dirigés vers le nouvel
Etat naissant à Maradi.
Au milieu du XIXe siècle deux groupes importants de la
population du Katsina ont quitté le pays. L'un s'est dirigé vers l'Etat de
Bauchi où il a fondé un village, de nos jours appelé «Katsinawa» et
l'autre, celui des marabouts, dirigé par un certain Shawai s'orienta vers
Kon tagora 128. Le jihad entraîna, sur le plan économique, une nouvelle
configuration des centres d'échange et du réseau de communications.
La plupart des principaux marchés du XVIIIe siècle ont été
détruits soit complètement, soit partiellement, d'autres sont apparus
pour refléter les nouvelles réalités politiques. Le développement des
situations politiques a également influencé de manière considérable le
volume des produits commerciaux.
Les centres commerciaux étaient entre autres, Birnin
Gazargamu fondée dans le dernier quart du XVe siècle, Agades, siège
du sultanat de l'Ayar depuis le XVe siècle, Birnin Katsina (Sarkin
Kasuwa) la porte Nord des Etats hausa, le plus important marché du
pays, une des plus opulentes cités des Etats Hausa comme l'atteste ce
témoignage :
«On the whole what caused the government to pass the Fulani
other than that the rich men boasted of their houses (full) of gold and
silver ? Every rich man had a square house which they filled with gold
and silver. And the result was that it was a city of vainglory. One of
them was the store of gold from the Guga gate to the Yan Daka gate ?
And the letters ma'adanawa (store/ware house) of salt from the gate
128 - E.Cn.E., B.U.K., Mai, 1984.
77
of Guga to the gate of Marusa. And outside the town, kwalli
(antimony), silver tinor lead. And that place is from the market or
Darma to inside Albaba ... And the kings tried to evade the
consequences of this by giving wealth to ulama and the ulama tried to
evade the consequences by means of charms for fear of disorder and
the killing of one another»129. 1
Kano (sarkin baba: centre de production de 11ndigo), Wukari,
Magami, Raban Nupe, d'autres centres comme Birnin Kabi, Birnin
Yauri, Nunkoro, l'ancien Dyo et Niki se sont considérablement
développés par le biais du transit.
Après le jihàd, tous ces centres ont connu des changements :
Birnin Gazargamu sera supplanté par Kukawa,
Birnin Katsina sera supplanté par Kano et Zinder,
Birnin Agades sera supplanté par Zinder,
Birnin KabLsera supplanté par Jega,
Raban Nupe sera supplanté par Bida,
Birnin Nunkoro sera supplanté par Keffl,
l'ancien Oyo sera supplanté par 1I0ri,
Birnin Kalfo et Birnin Gwari se développèrent pendant que Birnin Yauri
déclinait.
Après ce bref aperçu des conséquences générales, revenons sur le
cas du Katsina Nord.
129_ Adamu M., op.dt., 1978, p. 13 i Adamu M., op.cit., 1978, pp. 13,143-163 ; Adamu M., op.dt., 1979, pp.61-84 ; R.W.Hull, op.dt., 1968, pp. 24-25 ; Usman Y. B., op.dt., 1981(a), pp. 59-60 et note 23 i pp. 94-124.
78
l-Conséquences de la révolte pour le Katsina Nord
a) Conséquences politiques:
Après cette révolte, un Etat naquit dans cette partie nord du
Katsina. L'analyse des structures de cet Etat fera l'objet d'un chapitre
au cours de cette étude.
En attendant, nous prions nos lecteurs de se référer à l'ouvrage de
David. 130
La naissance de cet Etat, comme la durée de la domination de Mani
Acha ou l'exil de Dan-Kasawa fut un sujet de spéculation pour
beaucoup d'auteurs. Cette naissance dat~rait de 1866 selon Villomé,
1819 selon Urvoy, 1820 selon Périé, 1825 selon Boubou Hama. Et
David P., après une tentative de datation des traditions de la révolte,
obtint des dates qui s'échelonnent entre 1816 et 1825. Mais
arbitrairement, il situe la naissance de cet Etat ente 1818 et 1822.
Signalons d'abord qu'Urvoy se contredit en proposant la date de
1819, alors qu'il admet un exil de douze ans postérieur à la chute
finale de Katsina en (1812).
La tradition de Tsibiri nous apprend qu'après leur dernière
guerre avec Sokoto, avant de regagner Tsibiri, les Gobirawa se sont
arrêtés à Maradi pendant l'hivernage. Puis ils ont regagné Tsibiri au
moment de la récolte du mil. Ils précisent qu11s ont trouvé à Maradi un
pouvoir centralisé avec lequel ils se sont entendus131.
1300AVIO P., op.dt., 1969, pp. 655-667 .
131_ E.I.E, Tslbiri, Août, 1983, cassette en possession de notre collègue Mahamane Rigo
79
«Boori, chef de Kance, porta la nouvelle de l'intronisation de Dan
Kasawa à la connaissance de son oncle maternel Amadou» 132
Il s'agit ici de 11ntronisation de Dan Kasawa après le suicide de
Magajin Haladu, puisque Amadu Dan Tanimun régna de 1799 à 1809
selon la chronologie de A. Salifou.
Birnin Katsina est tombé entre les mains des jihadistes en
1807133 et les souverains déchus ont continué la résistance au moins
plus de deux ans après 1807. Donc 11ntronisation de "Dan Kasawa sur
le trône de Maradi doit être envisagée pendant le règne du Sultan
Sulleman (1809-1822) du Damagaram.
D'autre part, Adolf Overweg a fait un séjour à Maradi au début de
l'année 1851. Il nous rapporte deux renseignements d'importance
capitale. A son arrivée à Maradi c'était Dan Mahedi qui régnait. Et il
fut informé que la révolte des anna contre les jihadistes avait eu lieu
35 ans avant son arrivée.
Dès lors qu'on considère cette dernière information et la chute
de Katsina en 1807, on peut admettre que la durée de l'exil des
souverains déchus était de neuf (9) à dix ans, du départ de Magajin
Haladu à l'intronisation de Dan-Kasawa sur le trône de Ma ra di en
1816-1817.
Enfin, G.F Lyons a fait un séjour à Murzuk de mai 1819 au mois
de février 1820. Il rapporte que Maradi était un pays qui s'étendait à
mi-chemin entre Katsina et Gobir et en proie aux constantes attaques
132_ SAUFOU A., E.N., n° 27 P. 44.
133 -USMAN Y.B., «the dynastie ehronology of three polities of Katsina» Bull. de l'IFAN. T 40, B, 2, 1978 pp.396-414 ; -HAMANI Dj., op.eit., 1975, p.147 ; - HAMANI Dl., op.dt., 1981, p.50.
80
des «peul»134. Cette information de G. F. Lyons suggère que la
révolte du Katsina Nord a eu lieu avant 1819, puisque pendant son
séjour, Maradi était déjà un pays qui subissait les attaques de Sokoto.
Ainsi, on peut raisonnablement situer la révolte de Maradi entre 1816
et 1817.
Comme nous venons de le voir, la conséquence directe de
cette révolte fut l'indépendance du Katsina Nord par rapport à Birnin
Katsina et 11nstauration d'un pouvoir central indépendant à Maradi. Un
compromis fut trouvé entre les aristocrates immigrants et locaux. Les
sarakunan Gangara et Tasawa reconnurent la souveraineté du
nouveau sarki et continuèrent à exercer librement leur pouvoir. La
légi.timité de Dan kasawa fut reconnue par tous les habitants du
Katsina Nord. Les premières actions de· Dan kasawa furent la
consolidation de la base politique et territoriale de son État et ce
d'autant plus qu11 avait un objectif précis135, la libération de tout le
Katsina. Il construisit sa capitale provisoire à Maradi, à proximité de la
fameuse forêt où la révolte a couvé 136 .
Aujourd'hui encore, l'ancien site de Maradi est reconnaissable,
situé dans la vallée du Gulbi, à l'ouest du site actuel.
Il protégea sa capitale contre l'inondation du Gulbi en détournant le
cours de ce dernier. C'est seulement en 1945 que l'inondation du
Gulbin Maradi obligea les habitants de' Maradi à transférer leur
capitale dans son site actuel. Cette même inondation provoqua
134 LYONS G. F., Narrative of travel in Northem Africa in the Years 1818-1819 and 1820. Ladon, 1966 p. 143 rapporté par Y.B. US MAN, op.cit., 1978, p. 414. 135 Hull R. W., op.cit., 1968, p. 25.
136 - Tous nos enregistrements et les En. E. confirment cette volonté de libérer le Katsina.
81
également le déplacement des villages de Tokarawa, Gabi et Hasau
situés dans la vallée du Gulbin Gabi.
Dan Kasawa va également associer à son pouvoir les populations
locales aussi bien que les immigrants, les souverains exilés et les
souverains locaux. Toutes ces mesures et bien d'autres visaient à
prévenir la contre-offensive de Birnin Katsina et de Sokoto. Mais le
danger d'une expédition punitive par l'empire de Sokoto fut écarté par
le Katsina Nord quoique l'issue de cette situation était une
confrontation constante entre l'Etat des résistants et celui des
jihadistes et non entre les Peul et les Hausawa. Progressivement, l'Etat
du Katsina Nord élargissait ses bases territoriales. Les principautés de
Kananbakashe, de Tasawa et de Gazawa, tout en gardant leur
autonomie, dépendaient désormais de Maradi au lieu de Birnin
Katsina.
C'est surtout dans sa partie sud-ouest que cet Etat fera le plus
fortune. En effet, cette partie était la plus peuplée du Katsina Nord.
Elle étendait le royaume jusqu'aux villages de Ruruka et Takatsaba
situés au sud-ouest en amont du Gulbin Gabi (Niger) et au sud
jusqu'à Jibiya, Tsammai et Dumburun (Nigeria)137. Si le jihàd a
engendré des changements politiques, il faut ajouter que ces derniers
se sont conjugués à des modifications démographiques.
137 -E.C.E., Maradi, Mai, 1984, : Témoignage de Dan-Sadaka.
82
bl Conséquences démographiques
L'apport successif des populations est une constante de
l'histoire des Etats du Soudan Central en général et du Katsina en
particulier. On se souvient de l'ancienneté de la présence des Kanuri,
Gobirawa, Abzinawa, Wangarawa, Fil/ani (Fu/anl), Larabawa, Kabawa
etc ... au Katsina. Dans le Birnin Katsina même il existait des quartiers
d'immigrés138. Ce mouvement ·de populations n'a pas épargné les
provinces nord du Katsina avant le jihàd. Én effet, cette région pleine
de potentialités naturelles ne pouvait pas ne pas attirer des
chasseurs, des agriculteurs, des pêcheurs, des éleveurs, des
commerçants, etc... Mieux encore, cette zone était sillonnée par
certaines voies du commerce transsaharien. Ainsi, même si nous ne
pouvons dater avec précision l'arrivée des Kanuri à Kanambakashe,
l'arrivée des Tazarawa à Tasawa, la présence des Fu/anil. des Touareg
et des Gobirawa, nous avons néanmoins là une preuve de 11nfluence
des courants migratoires dans le Katsina Nord avant le XIXe ·siècle.139
138 DANKOUSSOU 1., op.cit., 1970, pp. 32 et 36 ; R.W.HULL R. W., op.cit., 1969, p. 25.; USMAN Y.B., op.cit., 1972, pp.189-193 ;
USMAN Y. B" «The birane of Katsina» in dties of savannah. Lagos, Nigéria Magazine 1979, pp. 37-42; Usman Y.B., «A reconsideration of the history of relations between Borno and hausaland
before 1804 A.D» Borna semlnar 1983, pp. 196-197; 204. 139 EGO B., sur le département de Maradi, section Voix du Sahel, Maradi, 1981, pp. 32-47 . - Les renseignements de monographie de Boubé.Ego. doivent être considérés avec prudence. Cet auteur est animé de contradictions incroyables quant à la chronologie des évènements, la légende de Bayajida et à la p. 37 il fait de Muhammad.Korau un fils de Sanau •
. - DÉPARTEMENT DE MARADI: République du Niger, Da. Ministère de l1nformation, janvier 1980, pp.9-13 : Ici aussi des erreurs grossières persistent: conception hamitique, tribale et ethnique de l'histoire.
83
Hamani Dj., dans son article, ne mentionne-t-il pas la présence
des Gobirawa, des Azna, des Katsinawa et des Tazarawa dans l'Ayar
avant leur descente vers le sud «au plus tard pendant les premières
années du XIVe siècle»140 ?
La légende de Bayajida, dont la véritable signification n'a pas
encore été élucidée, renseigne également sur ce caractère constant de
l'apport successif des populations dans les régions concernées. A partir
de 1805, le Katsina s'engagea dans des affrontements militaires avec
les jihadistes. Cette situation entraîna un ralentissement des activités
de production et des échanges. Une famine s'abattit sur le pays, et
contraignit les populations les plus déshéritées à chercher de quoi
subsister dans d'autres régions141. La destruction du centre
intellectuel de Yandoto par les jihadistes entraîna aussi le départ d'une
autre catégorie de populations idéolo'g(quément opposée aux
jihadistes.
D'autres catégories de personnes qui bénéficiaient du système
d'avant le jihàd notamment aux centres de Ruma et de Kogo,
n'avaient d'autres moyens que l'exil puisqu11s n'étaient pas prêts à se
rallier aux jihadistes en position de force. Cependant, certaines
personnes choisissaient de rester sur place sans pour autant
abandonner 11dée de la résistance142. Lorsqu'on comprend cette
situation, on voit aisément ce que pouvait être la répercussion
démographique du jihàd au Katsina Nord.
140HAMANI Oj., op.dt., 1979, pp. 6-7 •
141 - Tous nos informateurs font cas de cette famine qui a obligé les populations à quitter Katsina en direction du nord. Alors que nous avons déjà vu qu'avant le jlhàd le Katsina était en pleine croissance et cherchait à étendre ses bases. 142 Hull R. W., op.dt., 1968, p. 25.
84
Ensuite, il faut ajouter que le succès de la révolte du Katsina Nord
situé dans une zone de résistance contre le califat de Sokoto
contribuera à rapprocher tous les résistants qui pourraient former un
front uni, échanger les expériences et établir une base de résistance
de relative autonomie143. En effet, au cours de l'évolution du Katsina
Nord au XIXe 5 on y rencontrera des Kabawa, des Zamfarawa et des
Gobirawa venus respectivement de leurs Etats occupés par les
jihadistes. Nous avons déjà précisé plus haut que des Touareg
Tegama descendront plus au sud pour soutenir leurs alliés de Maradi.
Et puis, la tradition retient qu'une colonne de 500 jihadistes dirigés par
Mani Acha étaient venus s'installer dans les villages de la va liée 144.
Cette· immigration était-elle due à l'importance du pays à administrer
ou bien le but était-il d'occuper une zone jusqu'alors négligée? Ce qui
empêcherait les résistants de l'occuper. Ou alors ce nombre était-il
attiré par les conditions naturelles favorables, surtout que les
immigrants provenaient d'une région d'insécurité? Tant de questions
auxquelles nous sommes dans l'impossibilité de donner une réponse
valable. Dans ces conditions de domination aiguë, on peut également
poser l'hypothèse de départ des autochtones de la région. Nous ne
savons pas dans les détails comment se fit l'émigration de la masse
des Talakawa et des autres mécontents du Katsina sud vers le Katsina
Nord. L'analyse de la dénomination de certains quartiers de Maradi
nous révèle l'importance de l'apport de populations dans la région. Les
group~s de Yan Daka et Baga/am qui se réclament des Katsinawa
143 -E.In.E, 8 hadji labo, Maradi, quartier Kan-giwa. AI haji labo est un bakabe ayant une large famille; selon lui, ses ancêtres étaient venus à Maradi et à Unguwal Runji avant l'arrivée des Blancs.
144 David P., op.dt., 1969, p. 646.
85
purs, forment deux quartiers distincts actuellement à Maradi. Le
groupe de Liman forme le quartier Limanci. Leurs traditions révèlent
qu'ils sont arrivés à Maradi en nombre important. Leur groupe
comportait à leur arrivée vingt cinq mille filles en âge de se marier.
Après la révolte, Dan-Kasawa se serait installé avec six ou sept
cents hommes mis à part les trois ou quatre cents soldats fournis par
le Damagaram.
C'est longtemps après cette révolte que les Gobirawa ont
également installé leur traditionnel Etat à Tsibiri à proximité de Maradi
à environ 12 km.
Il y a donc là une région qui a vu un afflux de populations au
cours du XIXe Siècle.
La question de savoir comment se fit cette émigration reste
posée. Tout ce que nous pouvons dire c'est que cette émigration s'est
accentuée après le succès de la révolte. Au lieu d'un départ massif,
tout laisse croire à une émigration progressive qui s'est poursuivie
même après les premières euphories du succés de la résistance. Même
ceux qui se disent chassés par la famine ou la guerre ne s'étaient pas
directement dirigés vers Maradi ou Sumaralia et ce d'autant plus qu'il
y avait là-bas Mani Acha et ses hommes145.
L'apport des populations dans cette région influença énormément
le développement économique.
145 E.I.E, Niamey, Fevrier 1984. Témoignage du Professeur Dân Dlcko Dan Koulodo.
86
cl Conséquences économiques .
Nous avons déjà évoqué les conditions naturelles favoraqles aux 1
activités économiques dans le Katsina Nord. Cette région fut avant
tout une région de chasseurs, d'agriculteurs, d'éleveurs, de pêcheurs
et de commerçants.
Des céréales étaient produites en grande quantité ce qui
permettait d'ailleurs aux jihadistes, nouvelles autorités de la région,
d'exiger des redevances en céréales. On y trouvait du mil (hats/), du
sorgho (dawa), du blé (a/kama), du maïs (masara), du yakuwa, du
ridi, du pois de terre, une variété de canne à sucre (takanda), du riz,
du haricot, du aya, etc146 ...
Le jardinage : le jardinage est une pratique très ancienne dans
la vallée du Gu/bin Maradi. Certaines techniques de ce jardinage
comme le système d1rrigation du chadouf (kutora) mérite d'être étudié
et daté 147. Le vocabulaire de la région retient certains termes liés
aux outils qui témoignent de l'ancienneté des activités du jardinage ou
de l'agriculture en général: kwashe (la daba) ka/me (la houe), ga/ma
(houe particulière plus adaptée pour les terrains argileux et humides),
gatari (la hâche), wuka (couteau), /auje (faucille) dagi, etc ...
- Il est certain que la politique de Mani Acha et les drconstances des affrontements militaires ont poussé des populations à quitter le Katsina Nord. 146 Yakuwa: Hibiscus subdariffa ou Oseille; Ridi : semum a/atum ou sésame; Aya : cyperus esculentus ou amande souchet, E.I.E., Niamey, Février, 1984.
147 - E.In.E. Maradi, septembre, 1984, témoigne que les anna avaient leur système d1rrigation et de jardinage avant le XIXe Siècle. Pour plus de détails sur le système d'rrigation du chadouf voir C. RAYNAUT, 1969, pp. 13-39 et TILHO, op.dt., 1906, p. 462.
87
On produisait du manioc, du piment, des courges, des gourdes.
Certaines productions revêtent déjà un caractère industriel : tabac ;
indigo, coton, peau, henné, canne à sucre, etc ...
La cueillette et la chasse : On y trouvait également des
produits naturels comme le kapok, le ricin, le miel, des écorces et
graines à tanin. La chasse permettait une exportation de la viande
séchée ou margi, des peaux d'animaux pour la fabrication de certains
outils ou instruments de musique et du musc de civette ou jibda.
L'élevage : la pratique de burtali ou voie de passage des
animaux à travers les champs, aunaka ou salaire hebdomadaire de
celui qui conduit les troupeaux du village constituent entre autres des
preuves de l'élevage au Katslna Nord. L'élevage concernait les bœufs,
les moutons, des chèvres, des ânes, des chevaux ,etc ...
L'artisanat : il était développé ne serait-ce que pour la
production des outils de production tels que la filature de coton ou la
couture, qui témoignent de l'importance des activités de production
au Katslna Nord. Aujourd'hui encore des anciens sites d'extraction de
minerai de fer existent au Katsina Nord. Nous ne voulons pour preuve
que le site de Ramun Tama à Garin Ladan situé à l'ouest de Maradi sur
une colline et à une heure de marche environ et la colline appelée
tama, liée à l'extraction de ce minerai et des cultes animistes (tsahi).
Cette colline est située auprès du premier site de Tokarawa entre les
villages actuels de Dan Gaya et Dan Arau, à environ 25 km au sud de .
Maradi.
Toutes les informations rècueillies sont unanimes que le Katsina
Nord était dominé par des pratiques animistes. Or l'analyse du
panthéon animiste et des cultes et sacrifices consacrés aux différents
dieux de ce panthéon atteste également 11mportance et l'ancienneté
88
des activités économiques existant avant la révolte du Katsina Nord.
Toutes ces activités économiques existant avant la révolte du Katsina
Nord vont s'intensifier après le succès de cette dernière. En effet,
l'apport démographique considérable, déjà évoqué, appelait à un
accroissement et à une réorganisation de la production dans la
région. Cette question sera abordée dans la deuxième partie de notre
travail.
L'enquête sur le terrain a révélé des centres très importants de
teinture qui se sont développés au cours du XIXe Siècle.
A Maradi: on notait quatre centres de teinture
-Marinar Tudawa,
-Marinar Kofar Tarnai,
-Marinar Gabas,
-Marinar Dan Katso.
-D'autres teintureries existaient également entre Cikaji et
Bakawa: Marinar Dan-Bako et entre Maradi et Madarunfa: Marinar
Tsulum.
A Madarunfa même, des teintureries existaient et les sites sont
encore visibles au quartier dit kafin Marusa. Notre informateur Shawai,
témoigne de l'existence de 3 centres de teinture à Gabi. Quant à
Mayana Barmo il nous informe de l'existence de plus de vingt
teintureries à Tasawa. Dans tous les lieux visités, l'existence des
teintureries est attestée.
Cette activité est très importante dans l'économie de l'époque,
car les tissus teints occupaient une place de choix dans les échanges
précoloniaux. Cette activité est également liée à la culture de 11ndigo
dans la région.
89
Les témoignages d'Adolf Overweg qui a visité Tasawa, Gazawa
et Maradi dans le premier trimestre de l'année 1851 et ceux de Barth
qui était également dans la région ne permettaient aucun doute sur les
activités économiques et commerciales de cette région au cours du
XIXe siècle.
Les villages de la vallée de Maradi, de la vallée de Gabi étaient
de plus en plus intégrés au circuit économique transsaharien. L'apport
des populations dans la région, l'arrivée des Gobirawa à Tsibiri
suscitaient alors l'accroissement et le développement des activités
économiques.
A la suite de la révolte, des aménagements de centres de
production ont été entrepris autour du lac de Madarunfa, le long de la
vallée des cours d'eau, etc ...
Il serait intéressant, dans l'avenir, de déterminer depuis quand
le jardinage avec le système d'irrigation à chadouf a été introduit
autour des villages de Sumarana, Tarna, Safo, Gamjil48, etc ... et de
dater également l'existence des anciens centres d'extraction de
minerai de fer (tama).
148 TILHO, op.cit., 1906, p. 462.
90
Le Katsina nord intégré au circuit de communication en c. 1880149.
L.e I\8tslna Nora I~tegre ~u CircUit. aes. commUnications \#. 1 ~~
1'~~~~atduNis6rla .: LImIo~dr.lICctlÂIitHardOllX1X6 S.
LbIIodo:a~.~~
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.~ o· ~CIptIdodr.l.~.
-- VClCidoCOCM'lll'llclll
-+ L'lfnIceon_~
149Pour le commentaire de cette carte, voir les indications sur les secteurs administratifs précoloniaux.
91
2-Le pays après Dan Kasawa : de 1830 à 1910
De Dan-Kasawa (1817-1830) à Kure (1897-1920), dix-neuf rois
ont régné sur le trône de Maradi.
Les trois premiers règnes des résistants furent exceptionnels tant
sur le plan de la construction du pays que sur le plan politique et de la
stratégie militaire.
Un des premiers héros de la révolte de Maradi, Dan Kasawa
(m.1830) fut également le premier leader des résistants de Maradi à
entreprendre des tentatives de la reconquête du Katsina, pays de ses
ancêtres.
Il prit un certain nombre de dispositions pour atteindre son but.
Il consolida les structures de son État provisoire, construisit une
citadelle dans la vallée de Maradi, mobilisa les troupes et les moyens
matériels pour soutenir l'afflux des populations et les guerres, et
établit des contacts diplomatiques nécessaires pour atteindre ses buts.
Dan Kasawa fut également entouré des généraux de valeur comme le
Sarkin Kano déchu et ses hommes, les officiers du Damagaram, Dan
galadima Rauda, etc150 ...
a) Le premier successeur de Dan Kasawa fut Rauda qui
devait poursuivre la réalisation des idéaux des conspirés. Rauda ne
perdra jamais de vue, durant son règne, l'idéal politique et militaire de
reconquérir le Katsina. Pour ce faire, il fera cause commune avec
Sarkin Gobir Ali, et Ibrah, le leader d'une fraction des Touareg Kef
Geres contre les autorités du califat de Sokoto. Une bataille eut lieu à
150 - Pour tous les détails sur la politique de Dan Kasawa, voir les ouvrages de DAVID P., NICOLAS G. et USMAN Y. B., précisés dans notre bibliographie.
92
Dakurawa en 1836 dans le Gobir ouest. Rauda et Ali y trouvèrent la
mort au cours de cette bataille151. Le kirari de Rauda : Rauda gari,
dan Magajin Haladu (prends promptement la ville, fils de Magajin
Haladu) exprime bien les actes posés par Rauda152. Cependant, la
défaite de 1836 coûta cher aux résistants. Elle entraîna un
découragement parmi les résistants du Nord califat. Les autorités de
Birnin Katsina parviennent même à reconquérir certains de leurs sites
de Tsekki et Keffi Kuggi dans le Katsina Nord 153.
b) L'avènement de Dan Mari (1836-1843)154, successeur
de Rauda, alimenta le flambeau de la résistance. Dan Mari fut un
souverain remarquable dans le tawaye, (révolte). Intrépide, audacieux
et très habile, il fut sur le point de reconquérir l'émirat de Katsina.
Moins réconciliateur que Rauda qui aurait même signé un traité de
paix (Amàn : amitié) avec le Sultan Muhammadu Bello, Dan Mari
n'entendait pas faire de compromis155.
Avec Dan Mari le Tawaye devint ferme. Il déclencha une vaste
campagne très habile contre les jihadistes, faisant croire que les
jihadistes sont des « Peul» usurpateurs, et que leur pouvoir est
illégitime. Il propagea l'idée selon laquelle Usman Dan Fodio aurait
limité le règne des jihadistes à 40 ans après sa hijira. Concours de
circonstances ou habileté politique de Dan Mari, la mort du calife Atiku
151l..AST M., op.dt., 1967, p. 111 ; - URVOY.Y., op.cit., 1936, pp. 235-292 ; - TILHO, II, op.dt., 1906, p. 486. 152 E.I.E, Tasawa, Mai, 1984. 153 USMAN Y.B., op.cit., 1981 (a), p. 14.
154 USMAN Y.B., op.cit., 1981(a), p. 147-151. 155 USMAN Y. B., op.cit., 1981, (a), p. 149.
93
en novembre 1842 à Katuru, après une défaite, correspondait à la 40è
année lunaire après la hijira du Shehu en 1804. Ensuite, sa campagne
correspondait à un moment où les populations de certains centres
comme Karofi, Matazu, Gyaza, Takubawa, Wurma, Kukujau étaient de
nouveau déçues par la politique des jihadistes de Birnin Katsina alors
qu'elles avaient activement participé aux événements du jihàd. Ces
populations refusèrent de payer le kharaj (impôt legal ) cette année-là.
Gatari Abdulahi de Ruma et liman Gimshimi de Matazu déclarèrent
ouvertement la révolte contre l'Emirat156.
Par la sensibilisation, la propagande et la déstabilisation, Dan
Mari entraîna les populations de ces centres dans la révolte. Ses
supporteurs de Ruma et de Karofi l'auraient même introduit
secrètement dans le Birnin Katsina une nuit. Dan Mari était tellement
près de la victoire qu'il avait même tenté son askin sarauta157 à
Yauhoho, à 12 km à l'est du Birnin Katsina158.
Dan Mari devait disparaître mystérieusement à Madarunfa159 en
1843/4 alors qu'il préparait un soulèvement de grande envergure
contre l'Emirat .de Katsina. Le règne de Dan Mari sera suivi par une
succession de règnes de courte durée. En effet les trois souverains
successeurs de Dan Mari étaient des personnes âgées, nées à Birnin
Katsina au XVIIIe siècle et tous fils d'Agwaragi décédé en 1795. selon
la chronologie de Yusufu Baia Usman. Binoni (c.1843-1847), Dan
Mahedi (c.1847-1851) et Dan Baura (c1851-1853) régnèrent tous les
trois pendant une période d'environ 10 ans. C'est pendant le règne de
156 USMAN Y.B., op.dt., 1981 (a), pp.147-151.
157 Asld : acte de raser, ici acte rituel de raser un nouveau sarki. 158 USMAN Y.B., op.dt., 1981 (a), 149-150.
159 DAVID P., op.clt., 1969, p. 673.
94
Dan Mahedi qu'Adolf Overweg a visité Maradi au cours du premier
trimestre de l'année 1851.
cl Le règne de Dan Baskore (c1852/3-1875l fils de Rauda
Après Dan Kasawa c'est le roi le plus illustre tant par la durée de
son règne que par ses réalisations et ses qualités militaires et
politiques. Il régna pendant 24 à 25 ans environ. Avec lui Maradi
devint définitivement un birni fortifié avec quatre portes. La fondation
des murs de la fortification était remarquablement solide. La muraille
avait une hauteur de deux mètres environ et était protégée de
l'extérieur par un fossé très large.
Chacune des quatre portes stratégiquement établies avait un nom
propre.
Kofar Gobir, au Nord en Direction de Tsibiri ;
Kofar Tarna, au sud-est en direction de la vallée ;
Kofar Gabas, qui commandait la route des champs situés sur la
colline ou tudu en hausa ;
Et kofar Yamma, au sud ouest, d'où une grande rue remontait
jusqu'au palais du roi.
Un fonctionnaire portant le titre de kofa (porte) était prévu pour
chaque porte. Il contrôlait avec rigueur les entrées et les sorties, car la
sécurité du. birni et du royaume tout entier dépendait du contrôle de
ces portes. Malgré la vocation guerrière de Dan Baskore,. la sécurité
95
prévalut dans le birni durant son règne160. Dan Baskore devait être le
dernier sarki à tenter réellement la reconquête du Kastina. Il sut
mettre à son profit les bonnes relations qui exi~taient entre son Etat,
le Gobir (Tsibiri), le Damagaram, et les Touareg Kef Ewey. Il mobilisa
une importante armée de plus de dix mille hommes. Il disposait d'une
cavalerie aux mouvements rapides pour les guerres sur des grandes
distances. Il pratiquait la guerre-éclair, le siége, selon les
circonstances. Il voulait faire du sabotage et semer la terreur dans
l'ensemble du califat, ce qui lui aurait permis sa reconquête.
Il dirigea des expéditions contre les régions métropolitaines de Sokoto,
contre Kano (Gwarzo, Karaye, etc ... ) contre Kudau dans le nord Zazzau
et surtout contre l'émirat du Katsina. Il avait même saccagé le district
des Dallazawa, ville natale d'Umaru Dalladji, une des figures illustres
. du Jihàd au Katsina. Il installa son camp de guerre, dont le site est
aujourd'hui connu sous le nom de Kanyar Dan Baskore, sur une dune
(tudu) tout près de la tombe d'Abdulmumini père d'Umaru Dallaji161.
Il distribuait les butins de guerre aux populations ce qui lui permettait
d'acquérir le soutien de ces dernières au cours de ses expéditions dans
les émirats. Mais il eut à subir aussi des défaites notamment à
Unguwar Mata et à Muri dans le Katsina Nord.
Les raisons de l'échec de Dan Baskore restent à déterminer. Le
dernier quart du XIXe siècle coïncide avec la fin du règne de Dan
Baskore et marquera une période de troubles dans le Katsina Nord.
160 HULL R.W., op.dt., 1971, p. 99 ; - PÉRIÉ J., Cercle de Maradi: historique complet politique et administratif des origines à
1940. Il mena 83 à 90 guerres contre le califat.
161USMAN Y. B., op.cit., 1981 (a), pp. 164-168.
96
Une confusion va caractériser la période qui va du règne de Barmo
(Brahiya) (1875/6-1879/80) à celui de Kure (1897/8-1920).
Ces troubles entraînèrent l'éclatement des alliances qui faisaient l'unité
des Etats de la région contre la suprématie de Sokoto. L'arrivée de
Kaura Hasau, la guerre que Mazawaje (1879/80-1880/81) mena contre
le Gobir voisin sont des illustrations de l'éclatement de ces alliances.
Mazawaje se rallia aux Jihadistes, anciens ennemis de ses frères. Il fut
chassé et la cascade des règnes se poursuivit. Les trois règnes de
Mijinyawa (1890/91-1894/95), (1894/95-1897/98) et 1898 sont des
signes de l'instabilité politique au niveau de la cour de Maradi.
En ce qui concerne cette période de troubles nous ne pouvons que
poser des hypothèses générales pour l'ensemble de la période qui va.
de 1846 à 1910.
dl La fin du siècle au Katsina Nord
Le but de cette section est une tentative d'explication et de
formulation des hypothèses sur la crise qui caractérise le Katsina Nord
à la fin du XIXe siècle. La période qui va de 1840 à1910 marque un
tournant dans l'histoire de la sous -région.
Même avec la victoire de Gawakuke, les jihadistes furent
conscients d'être sur 'la défensive. Surtout que des Etats forts et
organisés furent' installés à Tsibiri et à Ma ra di. L'intégration des
fractions des Touareg Kef Geres et Kef Ewey à la révolte et les raisons
que nous avons évoquées dans nos tentatives d'explication des succès
de la révolte rendent encore plus difficiles ou même impossibles des
expéditions punitives contre les résistants. L'audace et la
détermination des souverains comme Ali du Gobir, Dan Mari et Rauda
97
de Maradi inspiraient aux autorités de Sokoto la prudence et l'habileté.
Cette situation obligea le Sarkin Musulmi Aliyu Babba à déposer l'émir
Saddiku du Katsina, parce que ce dernier voulait adopter une politique
punitive à l'égard des populations qui voulaient se rallier au tawaye.
Plus inquiétant encore fut l'exil de l'émir Saddiku auprès de ses
anciens ennemis de Maradl. La situation devint plus compliquée pour
les autorités du califat quand, dans les années 1849-1866, éclata la
lutte de la libération du Kabi, Arewa, Zabarma et du Dendi162. Alors
que cette lutte aboutit à un nouveau pouvoir, le Rikon Kabi qui se
consolida dans cette zone, des problèmes de succession se posaient à
Daura, comme ils se sont posés à Katsina avec l'émir Saddiku163.
Toutes ces raisons et puis d'autres poussaient le califat à résoudre ses
problèmes autrement que par la guerre. La fondation de Sa bon Birni
sous l'autorisation de Sarkin Musulmi Ahmed b. Attiku (1859-1866)164
et la signature du traité de paix lafiyar Toga (1866-1882)165 entrent
dans cette politique de l'habileté politique et de la réconciliation du
califat.
Du coté des résistants la situation n'était pas des plus aiséeS.
Le système de la sarauta comporte toujours ses dangers. La dynastie
s'était élargie à Maradi, Tsibiri et au Damagaram. Chaque prétendant
voulait accéder au trône à. tout prix. Cette situation amena certains
candidats des Etats résistants à faire alliance avec leurs' ennemis.
162 AlKAU M. B., op.dt., 1969, pp. 240-253.
163 llLHO, II, op.dt., 1906, pp. 242-245.
164 LAST M., op.cit., 1967, pp. 116-118, llLHO, op.dt, pp. 477-478.
165 ALKAU M.B., op.dt., 1969, p. 267. Ce traité ne dura que 7 à 8 ans.
98
se sont arrêtés dans un village nommé Hasau171, avant d'atteindre
Maradi. Le village existe encore de nos jours. Il serait originaire de
Mobereya, près de Shinkafi (province de Sokoto). Il serait venu de son
plein gré se fixer en compagnie d'un autre Peul du nom de Dan Isufa
près de Ruruka (Gabl) à la limite sud de Maradi, puis au village de
Hasau plus près de Gabi au nord. La réputation d'Abdu Alu parvint à
un' souverain de Maradi qui 11ncita à s1nstaller à Maradi. De peur d'être
considéré comme un esclave, Abdu Alu proposa au souverain de le
rejoindre plus tard.
Nous ne savons pas encore en quelle année Abdu Alu était
venu à Ruruka, à Hasau ou à Maradi pour se proclamer Kaura Hasau
jusqu'à sa mort un mardi de l'année 1910 à Innya/wa.
Si on considère les multiples guerres et victoires de Kaura Hasau, ses
qualités militaires sont incontestables.
Il participa avec succès à la guerre contre le Gobir (Tsibiri) aux
côtés de Mijinyawa. Il remporta des victoires dans ses guerres contre
Zamfara, Zazzau et Cikaji.
La bataille de Cikaji (1897-1898) opposa Kaura Hasau et ses alliés
(Katsina, Kauran Namoda alors capitales du Zamfara et Sokoto) à
Datchi, Sarkin Ma ra di et ses alliés aussi (Tasawa, Tsibiri et un
contingent de Touareg Tagamawa). Il mena d'autres guerres contre
Tsafe, Madarunfa et Takatsaba. La guerre contre ce dernier village
était pour s'opposer aux gens de Katsina qui avaient attaqué ce
village.
171 - Selon notre informateur de Gabi (mai1984) le surnom Hasau veut dire: «hasa gaba wuta littéralement « allume le feu de 11nimitié»! Ensuite Abdu Alu est le fondateur du village de Hasau. Voir E.C.E. Hasau; E.I.E. Gabl ; E.C.E. Maradi; E.C.E Dan Gaya mai 1984. Tous les villages sur lesquels Hasau a construit ses résidences temporaires existent de nos jours.
101
Cependant, un certain nombre de remarques s'imposent sur la vie
politique de ce personnage. Si Kaura Hasau avait étendu son influence
dans tout le Katsina Nord, dans beaucoup de villages de Zamfara,
Zazzau et la partie sud du Katsina, il ne demeure pas moins qu'il a
semé un certain nombre de confusions qui nous rendent encore plus
difficile l'appréciation de sa carrière politique et de la situation de la fin
du siècle172.
Son idéal politique n'est pas clair . Il paraît plutôt comme un
simple seigneur de guerre173 profitant des situations difficiles. Sa
politique tendait à faire et à défaire les rois, à conclure et à rompre les
alliances174. De sorte qu11 accentue la scission au sein du Katsina
Nord. Il rendit plus difficiles les rapports avec le Gobir. Du point de vue
de sa position politique et idéologique par rapport aux deux principales
tendances du Soudan Central à la fin du XIXe Siècle, il paraît
insaisisable. Alors que les Français s'installaient résolument dans le
pays, Kaura Hasau ne faisait qu'accentuer la dégradation du royaume
remarquablement construit par les jinjino- Bakawa, les Maradawa, les
Anna, Dan Kasawa, Dan Mari, Dan Baskore, etc ...
Au moment où les Français et les Anglais se partageaient le
pays, le Katsina Nord était divisé en deux zones de tensions. Du côté
de Kaura Hasau, il y a Maradi et le sud de Ma ra di ; du côté de
Mijinyawa, Tasawa et une entité autonome constituée par les régions
172USMAN Y. B.,op. clt., 1974, pp. 487-488
173 USMAN Y. B., op. ci.llt 1974, pp. 481-482 ; - DAVID P., op. cit., 1969, p. 677.
174 USMAN Y. B., op. clt., 1974, pp. 483-485 - E.C.E. Maradi et E I.E. Gabi, Mai 1984, etc ... ce témoignage est fortement soutenu par la tradition qui reconnaît que kaura Hasau a un charme, appelé «hwasa maZél» (disperse les hommes)
102
de Gangara-Gazawa contrôlée par Kaura Amma175, plus favorable à
Mijinyawa. Il nous semble ici que l'étude du personnage de Kaura
Hasau, faite par P.David est à refaire. Si P. David avait constaté que
les adversaires de Kaura Hasau le dénigraient, il aurait dû remarquer
également que le témoignage sur lequel il a construit sa geste du
grand «Kaura Assao», était le témoignage des propres fils de Kaura
Hasau, alors que ceux-ci étaient assez polis pour ne pas critiquer leur
père. En plus, il y allait de leur prestige et de leur honneur que de ne
pas le faire. Ici P. David fait preuve d'un manque d'esprit critique
notoire alors que le témoignage de Mahaman Ali, chef de quartier Yan
daka à Maradi, aurait dû lui inspirer d'autres idées. Pire, dans tous ses
écrits concernant la région, il tombe dans l'erreur banale de
l'opposition entre les Peul et les Habe176! Après ce bref aperçu
historique, examinons les institutions qui réglementaient la société du
Katsina Nord et son évolution au XIXe siècle.
175 E.I.E, Tasawa, Mai, 1984. -E.C.E., Gazawa, Mai, 1984. - E.C.E,.Jiratawa, Mai, 1984. -USMAN Y. B., op.cit., 1974, p. 489. - DAVID P., «Le geste du grand Kaura Assao», Niamey, IFAN/CNRS, E.N., nO 17, (sans date).
176DAVID P., Maradi. l'ancien Etat et l'ancienne ville, site, population, historique EN, n° 18, Niamey, IFAN/CNRS, 1965, p. 73.
103
CHRONOLOGIE DYNASTIQUE DES RQIS DE MARADI DE DAN
KASAWA A KURE
Selon Y.B. Usman
1. Dan Kasawa 1817-1830
2. Rauda 1830-1836
3. Dan Mari 1836-1843/4
4. Binoni 1843/4-1848/9
5. Dan Mahedi 1848/9-1851/2
6. Dan Baura 1851/2-1852/3
7. Dan Baskore 1852/3 -1875
"8. Barmo (Barafia) 1875/6 - 1879/80
9. Mazawaje 1879/80-1882/83
10. Malam 1882/3-1883/4
11. Salau Masalatchi 1883/4-1887/8
12. Dan Gulbi 1887/8-1889/90
13. Dan Dadi 1889/90
14. Mijinyawa 1889/90-1894/5
15. Naibo 1894/5
16. Mijinyawa (2è règne) 1894/5-1897/8
17. Datchi 1897/8
18. Burja 1897/8
19. Kure 1897/8-1920/1
® Cette chronologie nous semble la plus acceptable dans l'état actuel
des connaissances sur l'Etat et la région étudiés.
104
Définissons au préalable les institutions comme l'ensemble des
dispositions, des normes, des lois et des références dynamiques qui
permettent à une société de s'organiser, de se défendre, de réaliser
des progrès, de se situer par rapport à un ensemble plus vaste, bref
d'assurer de mieux en mieux son existence. Les facteurs historiques,
les coutumes, les contraintes de l'existence et l'apparition de données
nouvelles au cours de l'évolution influencent largement les structures
d'une société.
Des institutions, l'Afrique Noire n'en manquait pas. Mais compte
tenu de l'évolution particulière du continent, l'examen de ces
institutions reste un travail ardu. Les documents écrits nous manquent
pour établir rigoureusement leur évolution. L'exploitation des sources
anciennes de l'histoire de l'Afrique est difficile et suppose que certaines
conditions soient réunies: connaissance de certaines langues,
persévérance dans la collecte systématique des données et un
minimum de moyens matériels à consacrer à ce travail. Les
motivations qui ont inspiré les premiers écrits, comme les plus récents,
ont plutôt occulté qu'éclairer les chercheurs177. Dans l'élaboration de
la plupart des écrits contemporains, les sources anciennes, notamment
la tradition orale, n.e sont pas suffisamment exploitées178 quand il
177 Voir notre critique de la thèse hamitique. Ensuite Palmer, comme ses semblables, non content de noyer l'histoire du Soudan Central dans la légende de Bayajida, tient coûte que coûte à attribuer la naissance des organisations étatiques au Katsina à des étrangers. PALMER H. R., op.cit., 1967, pp. 82-91.
178 USMAN Y. B., op.cit., 1972, pp. 175-197, - USMAN Y.B., «The formation of states in Central Sudan : sorne professionnal and theoretical problems» in Seminar on the history of the Central Sudan before 1804, Zaria, A.B.U., 1979(d), 14 p.
106
s'agit d'établir des faits anciens en particulier les institutions dont les
détails peuvent faire avancer l'historien. En effet, toute société évolue
dans un cadre donné et la destruction de ce cadre n'est jamais totale,
quelles que soient les circo~stances d'un changement. Par conséquent,
si l'histoire d'une société est à faire, elle doit également se faire dans
le cadre de ses institutions. C'est grâce au langage, aux créations
littéraires et artistiques, à la survivance de certains rites et coutumes,
que la tradition orale rend un des plus grands services à l'historien.
Malgré tout, il demeure vrai que la société recouvre un
ensemble très complexe et en perpétuel mouvement de valeurs, de
mentalités, d'activités, de situations et de comportements. Il existe
une influence dialectique entre cette évolution de la société et le
pouvoir qui y est exercé. Toute société repose sur un système de
valeurs que le pouvoir politique doit prendre en considération (respect
de la vie et de la dignité humaine, croyance au progrès, nécessité de
contact, etc ... ). Ces facteurs commandent largement l'aménagement
des institutions. L'économie tenant une place centrale dans la société
subit à son tour l'influence de l'organisation sociale. Enfin, les
différentes catégories sociales et les groupes de pression (les hommes
riches, intelligentsia, les commerçants, les immigrants, les corporations
professionnelles, etc ... ). trouvent dans les institutions un cadre pour
exercer leurs différentes activités. Mais l'affermissement et l'évolution
des institutions d'une société subissent directement l'influence de ces
catégories. Ainsi, l'interaction entre ordre social et conditions de vie
d'une part, acteurs sociaux d'autre part, est très évidente. Les
différentes étapes de l'évolution du Katsina se présentent comme des
107
tableaux très riches179 qui offrent un grand attrait pour l'observateur
attentif. Dans l'étude des transformations du Katsina, les institutions
ne sauraient être négligées. Dans l'examen de cette évolution, notre
sujet a donc toute son importance. Cependant, précisons dès à
présent qu'un inventaire exhaustif des instituions ne nous a pas été
possible dans les limites de ce travail. De même, nous avons évité,
dans notre étude, d'aborder le thème du processus de la formation de
l'Etat déjà traité par nos ainés180. Après une analyse descriptive de
ces institutions nous 'en proposerons une interprétation possible.
179 - Voir notre rappel historique et notre analyse descriptive des institutions. 180 USMAN Y.B., op.cit., 1979(d).
108
CHAPITRE V - ANALYSE DESCRIPTIVE DES
INSTITUTIONS SOCIO- POLITIQUES DU KATSINA NQRD AU
XIX e Siècle
I. L'organisation administrative du territoire.
a) La division administrative du territoire.
La division administrative du Katsina Nord pose aujourd'hui un
problème quoiqu'elle ait réellement été en vigueur. A quels facteurs
cette difficulté est-elle imputable? Evolution particulière du Katsina
Nord au XIX e Siècle, intervention coloniale, manque d'intérêt des
chercheurs pour cette région, considération insuffisante pour le passé
de cette région ?
Certains de ces problèmes sont dus à l'absence de délimitation
précise du Katsina Nord. Notre informateur El hadji Dan Sadaka de
Maradi témoigne que le royaume s'étendit au Nord jusqu'à Kwarin
Maradi. Malheureusement nous n'avons pu identifié ce site. A l'est,
l'a'ppartenance de Korgom au Katsina Nord est discutée. Au sud, les
limites variaient en fonction des succès militaires.
Avec l'intervention coloniale, la convention de Paris du 14 juin
1898 délimitait dans son article 4, la frontière du Niger Est par rapport
à la zone anglaise. Au niveau du Katsina Nord elle traversait la
«subdivision» de Ma ra di à la hauteur de Dan Garki, sur le bord de
109
Gulbin Kaba, laissant ainsi aux Anglais le « canton» de Gobir et le
sud du «canton» de Kornaka.
En 1899 le «secteur» de Tasawa est créé et soumis au
commandement du Capitaine Brantomé.
La convention franco-anglaise de Londres (du 8 Avril 1904) fait
de Maradi une ville française et celle du 29 Mai 1906 fait des sultanats
de Maradi, du Gobir et du «secteur» de Tasawa une propriété
française.
En 1907, ces deux sultanats vinrent donc s'ajouter au «canton»
de Kornaka alors français depuis 1900. En 1909, ce bloc fut défini
comme «secteur», dit de Maradi, détaché de Tasawa et dépendant du
cercle de Madawa. Brévié en était l'administrateur. Le «secteur» de
Maradi ainsi créé sera abandonné le 7 juillet 1917 pour des raisons
liées à la politique coloniale et à l'approvisionnement de la région. Mais
il sera réoccupé par l'administration coloniale le 9 Août 1920. Le 7 juin
1921, un arrêté du Gouvernement Général crée le cercle de Tasawa et
lui rattache la subdivision de Ma ra di. Le 4 Décembre 1926 un autre
arrêté du Gouvernement Général éleva Maradi au rang du Chef-lieu de
cercle et l'ancien cercle de Tasawa prit le nom de cercle de Maradi. Le
transfert du chef-lieu à Maradi s'opéra le 8 Février 1927.181
Cette fiche de l'intervention et des différentes réformes
administratives coloniales nous montre quelles transformations et
distorsions ont subies les divisions administratives pré-coloniales.
Toutes ces réformes administratives coloniales ont été imposées au
mépris du passé des populations et de l'intérêt de ces dernières. Tout
cela s'ajoute aux difficultés que nous avons rencontrées.
181 PÉRIÉ J. 5 Carnets monographiques du cercle de Maradi Première partie: B. Histoire, A.N.N., p 6
110
Sur la question de la division administrative, I. Dan Koussou, R.
W. Hull et Y. B. Usman semblent favoriser l'émirat du Katsina dans
leurs travaux. I. Dan Koussou se contente d'établir la liste des titres et
leurs correspondants en français182, sur un plan tout à fait général.
Nulle part dans son livre il n'a entrepris la description du système
administratif du Katsina Nord, secteur par secteur, comme il l'a fait
pour l'émirat du Katsina~ R. W. Hull lui aussi ne fait pas mieux pour ce
qui concerne le Katsina, cet auteur dresse une liste de trente neuf
fiches dans l'émirat du Katsina en 1902183.
En 1972 Y. B. Usman rapporte une liste de quatre vingt un
postes de Hakimai avec cinq grandes divisions régionales184.
Même dans l'émirat qui semble être favorisé par les études, la
division administrative précoloniale est loin d'être nette. Les auteurs
qui ont traité des sujets se rapportant spécialement à Maradi ne vont
pas plus loin que ceux qui ont abordé l'étude de l'ensemble de la
région quand ils parlent de la division administrative précoloniale du
Katsina Nord.
P. David, dans son article s'attache plus à la description du
pouvoir central et de la capitale185 qu'à l'administration territoriale
précoloniale.
L'étude de G. Nicolas se veut ethnologique et n'attache pas beaucoup
d'mportance au découpage administratif historique186.
182 DAN KOUSSOU 1., op.dt., 1970, pp. 6 et suivante.
183 HULL R. W., op.dt., 1968, pp. 34-35.
184 USMAN Y. B., op.cit., 1974, pp. 599- 603.
185 DAVID P., op.dt., 1971, pp. 665-670.
186 NICOLAS G., Dynamique sociale et appréhension du monde au sein d'une société hausa : Paris, Institut d'Ethnologie, 1975, 670 p.
III
Sa délimitation est tributaire de la vallée du Gulbin Maradi.
L'article de M. G. Smith n'apporte pas plus de lumière quant à cette
division administrative. L'auteur s'attache seulement à présenter le
Katsina Nord comme un Etat guerrier187.
La plupart des monographies consultées sur la question restent
incomplètes, donnant plus de détails sur la légende de Bayajida et
cherchant coûte que coûte à présenter le cercle de Maradi comme , englobant d'autres entités historiques différentes du Katsina. Il ressort
donc que la base matérielle dont nous disposons pour reconstituer
cette division demeure fragile. Notre tentative de reconstruction ne
sera qu'un essai. Le jour où cette division sera nettement établie, elle
nous permettra de mieux comprendre comment s'effectuait la
gestion territoriale de cette partie du Katsina plus ou moins
autonome. L'administration du Katsina Nord ne sera unifiée qu'après la
révolte de 1817, date à partir de laquelle son système se
perfectionnera jusqu'à la crise de la fin du XIX e Siècle.
Après les succès de la révolte, un certain nombre de mesures
ont été prises par Dan Kasawa et son équipe pour faciliter
l'administration de l'Etat provisoire du Katsina Nord.
L'Etat centralisé installé au Katsina Nord, avait pour capitale Maradi.
Pour faciliter l'adhésion des populations au tawaye (révolte), l'équipe
centrale va intégrer à son pouvoir les dignitaires locaux classiques ou
autres, relevant du territoire de la rébellion.
D'autres mesures également ont été prises pour intégrer au
nouveau pouvoir et à la nouvelle administration, les sympathisants et
les dignitaires des autres Etats Hausa qui ont participé à la lutte, ou
187 SMITH M .. G., op.dt., 1971.
112
qui ont accouru après le succès de celle-ci. Sur cette question la
tradition révèle le cas de sarkin Kano déchu qui s'est vu attribuer la
ville de Maradu188 et sarkin Daura qui était avec Magajin Haladu, et
qui était resté dans la région de Magariya~89. On peut noter aussi le
Magajin Bakabe: ce poste relève sans doute de l'intégration d'un
partisan d'origine de Kabi. Cependant, cette hypothèse, tout à fait
plausible, doit être considérée avec réserve du moment que rien ne
nous permet de dater avec précision et certitude l'apparition de ce
titre. Aucune tradition du Katsina Nord ne nous renseigne sur la
première apparition de ce titre. Il semble qu'il existait depuis Birnin
Katsina. La pratique de samame (razzia d'esclaves) pouvait permettre
aux dirigeants du Katsina de se procurer un esclave originaire du Kabi.
Le poste de magajin bakabe est occupé par un homme d'origine
servile. M.G. Smith prétend que ce titre a été créé par Dan Kasawa
après la révolte190.
Le détenteur actuel de ce titre à la cour de Maradi ignore cette
origine. Il se réclame plutôt du groupe de Kambarin Barebari191.
Parmi les multiples fonctions de Magajin Bakabe, il y a celle qui
consiste à harmoniser les rapports entre le Barazaki (Age) et le Tazar
(Tasawa) d'une part, et entre ces deux secteurs et le pouvoir central
d'autre part.
Le pouvoir central laissait aux administrateurs (sarakunan
garuruwa), le soin d'organiser librement leur pouvoir, ce qui s'accorde
188 E.T.E., Maradu, Mai, 1984. Nous avons rencontré en personne un des descendants de ce sarkin Kano 189 E.I.E., Maradu. Nous ignorons les raisons qui ont empêché sarkin Daura de suivre Dan Kasawa. 190 SMITH M. G." op.cit., 1971, p. lOlo
191 E.C.E., Maradi, Mai, 1984, témoignage de A1haji Dan Sadaka.
113
avec les principes de la sarauta. Chaque dynastie locale exerçait ses
fonctions selon ses coutumes, ses traditions et son héritage historique.
Responsables administratifs à partir du pouvoir
central
Au sein même du pouvoir central, certains dignitaires se sont
vu attribuer le contrôle des différentes régions du royaume. C'est ainsi
que:
- Magajin 8akabe dont nous venons de parler eut la charge de
maintenir en bons termes les secteurs de barazaki (Age) , de tazar
(Tasawa) et certainement aussi de kashe (Kanambakashe).
Cependant, le premier vers du kirari de durbi enseigne que
celui-ci fut le premier responsble de toute la région est du Katsina
Nord. Ce serait là une innovation des dignitaires de Maradi, innovation
d'autant plus frappante qu'à l'origine, durbi n'exerçait sa juridiction sur
aucun secteur de cette partie nord du Katsina.
- Durbi. Poste détenu par les descendants de la première
dynastie du Katsina, il est le deuxième personnage de la "main
gauche" du sarki après le kaura. Sur le plan administratif, on constate
que cette partie est du Katsina Nord est soigneusement contrôlée par
la cour centrale. Mais cela se comprend aisément quand on tient
compte de l'importance économique de centres comme Tasa wa,
Gazawa, Kananbakashe, étapes obligées du commerce transsaharien.
Ils constituaient également des positions stratégiques dans les
rapports avec Damagaram, Agadez, Dankama, etc... Cette région
comportait également des centres aux structures administratives très
anciennes.
114
Mais le détenteur du titre de durbi est également responsable
du centre de Bakawa qui lui est attribué chaque fois qu'un nouveau
Sarki est intronisé. La tradition rapporte que durbi ne remet au
nouveau Sarki le bâton pour frapper les coups sur le tambour royal
que quand il renouvelle l'attribution du village de Bakawa.
- Magajiya, au plan administratif, nomme le mai gari de Riyadi
(responsable administratif de la ville de Riyadi) et joue le rôle
d1ntermédiaire entre ce mai gari et l'Etat. Magajiya est une princesse.
- Macika est le responsable de la région comprise entre Kurfi
et Gabi. Il perçoit des taxes sur le mil, comme par exemple la dîme.
- Dan Baganzame commande la région de Saulawa, Gamji,
Yan-Riyadi (à ne pas confondre avec Riyadi) où il perçoit les taxes sur
le blé.
- Maradi, premier représentant du pouvoir central de Birnin
Katsina dans la région avant le jihàd. Il demeure le plus grand
dignitaire des Anna (animistes); il nomme les responsables de
Sumarana, Yan mugu, Cikaji, Jiratawa, Bakawa, Kurfin Kura et
administre Maradi.
- Hazu qui commande les villages de Maradu, Sulum et Kurfin
Galadima.
Ce tableau nous montre comment le royaume est supervisé
depuis la capi~le. Voyons comment il est alors géré sur le terrain.
. Les administrateurs sur le terrain
Tasawa fut administré par la dynastie des Tazarawa jusqu'en
1892. Elle fut la capitale de ce secteur auquel elle donna son nom.
115
Tasawa était une ville importante au XIXe siècle . Elle se situait sur
l'une des principales routes reliant Agades au Katsina et à Birnin
Naya192. Les rapports administratifs liant Tasawa, Kanambakashe,
Korgom, Kwauna et Kurnawa193 n'ont pas encore été bien élucidés.
Chacune de ces villes était administrée par une dynastie locale ayant
sa propre histoire.
En . outre, le territoire comprenait un certain nombre de
subdivisions, que nous appelons "secteurs", il y en avait six et nous
allons les passer en revue.
192USMAN Y. B., op.cit., 1981(a), et carte c •
193 L'appartenance des centres, comme Korgom, Kumawa, etc... au Katsina Nord ou au Damagaram et aux Etats Tsotse baki est très discutée. A ce sujet consulter: -DUNBAR Roberta Ann : Damagaram, (Zinder, Niger) 1812-1906. The history of Central Sudanic Kingdom. Ph. D. thesis, Los Angeles, University of california, 1970, pp. 16, Map 1; 42; Map 2; 65, Map 3 ; 96, Map 4 ; -NICOLAS G., S.N. nO l op.dt., (SLND), pp. 18-19 ; -SALEY M., Les Etats-Tsotsebaki : des origines au XIXe Siècle. Mémoire de maîtrise, Université de Niamey, juin, 1982, pp. 1 ; 59-60 ; 70 ; -SAUFOU A., op.cit., 1971, pp. 115-144 et cartes; -SMITH M. G., op.dt., 1971, pp. 101-102; -lILHO, op.dt., 1906 -1909, pp. 440; 460 ; -URVOY Y., op.dt., 1936, pp. 238-239 ; - USMAN Y.B., op.cit., 1981(a), p. 122.
116
- Le secteur de barazaki:
L'institution de barazaki est très ancienne. Selon Palmer elle
existait depuis l'ancien Kukiya ou Kaw Kaw.
Au Katsina, toujours selon le même auteur, l'institution
désignerait un groupe d'artisans spécialisés dans le travail du cuir et le
harnachement des chevaux.
Tout suggère que barazaki dérive de baraya qui signifierait:
entrepôt, magasin, maison ou même provision194. Or le terme baraya
existait bien en hausa pour désigner la chambre privée de mai gida
(maître de la maison). Des renseignements recueillis à Gazawa et
Maradi en mai 1984 expliquaient le poste de barazaki comme étant
baraya dodo : ch.ambre ou maison du roi. Les mêmes renseignements
laissent entendre que barazaki, installé à Age était l'adjoint de kaura,
ce qui sous-entend deux choses : ce poste faisait fonction d'entrepôt
ou de trésor de l'Etat ou bien servait de dépôt pour les provisions
provenant du nord et de Zinder à destination de Maradi. Quoique nous
ne disposions aujourd'hui d'aucun vestige attestant cette hypothèse, il
existe des affinités entre les différents cas que nous venons d'évoquer,
qu'il s'agisse. d'un groupe spécialisé capable de ravitailler en certains
produits artisanaux, d'un magasin des biens de l'Etat, ou d'une étape
pour les commerçants.
194pALMER H. R., op.dt., 1967, p. 80 ; -USMAN Y. B, op.cit., 1981a, pp. 180-182.
117
Le kirari d'Age195 laisse même croire à un poste de perception
sur les transporteurs étrangers. Le secteur de barazaki a pour centre
Age: compte tenu des hypothèses que nous venons d'évoquer,
l'administration de ce secteur revêt une grande importance pour le
Katsina Nord. Elle peut permettre l'orientation de certains axes de
commerce en direction de Maradi et Tsibiri et couper ainsi des centres
comme Dan Kama et Birnin Katsina de certains courants de commerce,
surtout dans ce contexte du XIXe Siècle.
Par la suite le dignitaire de ce secteur portera le titre d'Age jusqu'à nos
jours. 196
Plus tard, l'évolution amènera la· création du secteur de Gangara
Gazawa : Gangara se trouve à environ 17 km au Nord de la frontière
actuelle du Nigeria et à 18/20 km au sud de Gazawa. '
La tradition de Gazawa enseigne que Gangara existait avant
même le jihàd. Après la révolte de Maradi, une partie de la population
de Gangara a émigré pour fonder avec les populations autochtones
animistes la ville de Gaza"wa. Toujours selon la même tradition, le
troisième Kaura de Gazawa, Kaura Kwado, a exercé son pouvoir au
temps de Sarki Barmo de Tasawa. Kwado est le fils d'un marabout
kanuri originaire de Gume/. Mais avant lui, deux autres kauraye ont
régné. Il s'agit de kaura A/u au temps d'un certain Ma/am fils de
Kabime. Alu est le beau-père de Kaura Amma successeur de Kaura
Kwado. Kaura Amma est contemporain et adversaire de Kaura
195Le kirari d'Age est «Agegeta a ci kayan bako» qu'on s'acharne pour dépouiller l'étranger. Ce qui est favorable à l'hypothèse d'une sorte de zango (étape) où les agents de l'Etat perçoivent des taxes 196 Voir le kirari d'Age note précédente.
118
Mahaman Sani dit Dan Waire de l'émirat de Katsina197. La tradition
précise que Kaura Amma est originaire de Adar. Avec l'installation d'un
Etat centralisé au Katsina Nord, il a été créé un poste de kaura à
Gazawa et la ville de Gangara était confiée à un dignitaire portant le
titre de Raha (adjoint de Kaura).
- Le secteur de Uban Dawakin liratawa
Le secteur situé entre Ma ra di et Maradu était placé sous le
contrôle de uban dawakin Jiratawa. Ce secteur comprenait les régions
cultivées de Yamadawa, Mallamawa, Basarawa, Okaji, etc ...
- Le Secteur de Sarkin kano :
Le centre de Maradu était confié au sarkin Kano déchu, où les
descendants de ce dernier résident encore de nos jours et portent
toujours le titre de sarkin Kano.
- Le secteur de Dan Zambadi :
Le secteur de Madarunfa était confié à un prince dan zambadi
résidant à Madarunfa. C'est le seul prince qui assurait officiellement
une fonction en dehors de la capitale avant la scission de Barmo
Barahiya en 1892. Dan zambadi devait conduire la reconquête de la
partie sud de son secteur et assurer l'exploitation des richesses
naturelles. Son domaine comprenait ente autres Garabi, Birnin
197USMAN Y.B., idem., pp.140-142 ; 157-196; 205.
119
Kaura198 (actuel Unguwal Runj/), lnyalwa, Dama et devait faire la
jonction avec Ruma surtout au moment des grands succès199.
- Le secteur de Dan TOKARI : on trouvait le secteur de
dan tokari avec résidence à Tokarawa aujourd'hui disloquée en
plusieurs villages. Ce secteur était tellement puissant à la fin du XIXe
Siècle qu'il menaça Gabi et Maradi, surtout à l'époque de l'avènement
de kaura Hasau200.
- Le secteur de Gabi situé au sud de Tokarawa. Le
dignitaire de ce secteur porte encore le titre de Gabi et réside dans la
ville du même nom. Il commande Tajaye, Tsidafawa, Mulmushi,
Takatsaba, Maraka, Badariya, etc ...
Plus tard les succès militaires des résistants d'abord, puis la
confusion de la fin du siècle, amèneront la création du secteur de
Ruruka. Il fut confié ~ Zarriya qui commandait Ruruka, Shirge,
Dunburun, Duhun Bara et menaçait aussi Ruma, Zandam et Zurmi. Par
la suite le dignitaire de cette région porta le titre de kaura au lieu de
celui de Zarriya. Ce changement de titre aurait été imposé par Kaura
Hasau201.
198 DAVID P., op.dt., 1969, p. 681 et cartes. 199nLHO, op.cit., 1906-9 p.462 ; M.G.Smith, op.dt., p.95.
200 E.I.E., Gabi, Mai, 1984, E.C.E, Maradi, mai, 1984, et E. In E., Tokarawa, 1975. 201SMITH M.G., op.dt., 1971, p. 104.
120
Comme nous l'avons vu, la crise de la fin du siècle entraîna la
dislocation de cette division à laquelle elle substitua une nouvelle dont
nous avons parlée plus haut202.
Ici comme ailleurs, chaque administrateur était une réplique à
moindre échelle du roi, avec sa petite cour composée de Fadawa, Iya,
Marusa, Sarakunan Sana/a, Yan sarki, etc ...
Ces différentes fonctions rappelaient celles de la cour centrale
et permettaient le bon fonctionnement de l'administration et de la
sarauta (système de la monarchie hausa).
L'encadrement administratif du territoire se prolonge par la
division de chaque secteur en garuruwa (villes) et kauyuka (villages).
Les villes et les villages sont divisés en unguwoyi (quartiers). Et
les unguwoyi sont composés de gidaje (maisons). A la tête de chaque
maison (gida) se trouve le mai gida (chef de famille).
Un seul gida peut comporter plusieurs familles. Le mai gida est
responsable de sa maison devant les autorités et la société203. Le gari
est également composé de segments de clan (zuri'a ou dangl) lui
même rassemblant plusieurs maisons et familles. Les dimensions d'un
clan peuvent dépasser le cadre d'un seul village.
202Notre division administrative en secteurs ne saurait être exhaustive et précise. II s'agit d'un premier travail provisoire sur cet aspect. Nous n'avons eu nulle part la liste complète des villes, villages et hameaux qui composaient chacun de ces secteurs au XIXe Siède. C'est pourquoi nous ne pouvons pas nous hasarder à dresser des listes. Pour les quelques centres cités il n' y a aucune incertitude. Le terme secteur est ici conventionnel. Il n'a rien de commun avec la division administrative coloniale.
203SMITH A., «Early states of the central sudan» H.W.A.,I ... London, Longman, 1976 p. 80 ; -USMAN Y.B,., 1981(a), pp.183-184 ; -USMAN Y.B., 1972, p. 176.
121
C'est sur ces bases sociales et administratives que sera bâtie la
superstructure de l'Etat204.
Le contour du Katsina Nord n'est pas net parce que des points
de repères nous ~manquent. Nous n'avons malheureusement pas à
notre disposition de données suffisantes pour faire l'ébauche de la
division administrative historique de cette partie sud-ouest du royaume
(Maradi, Jiratawa, Maradu, Madarunfa, Tokarawa, Gabi, Ruruka,
etc ... ).
A l'est et au nord-est, l'appartenance de Korgom au Katsina
Nord est très discutée. Selon Nicolas., Tilho, Mayana Barmo, Dan
Sadaka, etc ... Korgom appartenait à une certaine époque au Katsina
Nord20S. Par contre, pour Dunbar, Salifou. et Saley au XIXe Siècle,
Korgom se rattachait au Damagaram.
204 - Les éléments de la cour centrale, les corporations professionnelles et les organisations réligleuses seront abordés ultérieurement 205NICOLAS GII Evolutjon du canton de Kance. Etude ethnQgraphique d'une société de l'Est-
MIggr. Bordeaux, le 1er
Décembre 1957, pp. 5-15 ; -l1LHO, op.dt, 1906, pp. 445 ; -E.I.E., Tasawa" Mai, 1984 ; -E.C.E., Maradi, Mai 1984 : TémOignage de El hadji Dan Sadaka,
122
bl Le pouvoir central: le Sarki et sa' cour
La cour de Maradi comporte un nombre indéterminé de titres.
Cela tient-il à la création de certains postes répondant à de nouveaux
besoins et à la disparition de ceux dont l'existence ne se justifiait plus,
ou bien à la prolifération de la classe politique ?
En tout cas, le nombre des postes varie selon la tradition orale
et les auteurs. Cet état de fait rend difficile notre analyse descriptive
de l'organisation de la cour centrale. Selon J. Périé, la cour de Maradi
est composée de 9 classes de dignitaires constituées de 145 titres206.
M. G. Smith, quant à lui, dénombre plus de 130 titres officiels dont 12
d'administrateurs territoriaux, un tazar, 12 de princes, 9 de princesses,
9 de femmes et concubines du souverain, 4 de rukuni (conseil
électoral) et leur personnel de 45 membres, 27 de courtiers libres du
roi, 34 d'eunuques et esclaves du roi et 9 de lettrés musulmans207.
P. David, lui, se garde d'avancer un chiffre. Mais tout comme celle des
autres auteurs, sa description montre que la cour du Sarkin Katsina est
bien garnie208. Examinons le poste du premier personnage de l'État.
-Le Sarki: c'est un personnage important disposant de plusieurs
institutions de l'Etat pour exercer sa fonction. Il est à la tête de
l'autorité politique, religieuse et militaire du territoire. Le poste de sarki
est strictement réservé aux, membres de la lignée de Muhammad
Korau. Tant que le sarki détient le pouvoir, aucune décision importante
206 PÉRIÉ J., Cercle de Maradi: Historique complet, politique et adminIstratif des origines à 1940, 1944, 5 cartes, ANN, Niamey. 207 SMITH M. G., op. dt., 1971, pp. 101, 104, 107 ;
208 DAVID P., op.dt., 1969, pp. 658-667.
123
concernant les affaires du royaume ne peut être prise sans le
consulter.
L'institution du Sarki au Katsina rappelle la conception vitaliste du
pouvoir. En effet, le sarki doit avoir suffisamment de vitalité, non
seulement pour diriger les affaires du royaume et participer aux
combats, mais aussi parce qu'il est le symbole de l'équilibre des forces
qui gouvernent l'univers.
Nous verrons que les traditions veulent que le Sarki soit légi
timement élu parmi les descendants de Muhammad Korau et
remplissant un certain nombre de conditions requises. A défaut de
cela, le royaume subissait des fléaux de tout genre. Le moindre
manquement aux coutumes peut entraîner un désordre dans le
royaume et le milieu politique209. Le Sarki est le monarque absolu du
système politique (sarauta) des Katsinawa.
Cependant, son pouvoir est limité par des règles établies et
consolidées par l'évolution210. La succession au poste de sarki est
héréditaire. Mais, cette succession n'est pas directe, c'est-à-dire qu'elle
ne se fait pas de père en fils aîné ou de frère à frère. La succession au
trône de Sarki n'est héréditaire que par rapport à l'appartenance du
candidat à la lignée de Korau211. L'élection d'un nouveau Sarki relève
de la compétence d'un conseil électoral : sprakunan karaga ou
sarautal gargajiya. La liste dynastique des sarakunan Katsina (rois du
Katsina) mentionne des souverains portant le titre de karya giwa212
209pALMER R. H., op.dt., 1967, pp. 81-82 : Le sacrifice commis par Bawa Dan Giwa.
210USMAN Y. B., op.cit., 1981(a), p. 78.
211 USMAN Y. B., op.cit., 1972, p.176 et PlOT M., : La nomination de Sarkin Katsina, Maradi, 1944, p. 1
212pALMER R.H., op. dt., 1967, pp. 81-82.
124
avant d'être Sarki. Après leur accession au trône, ils ont conservé ce
titre comme surnom. A l'origine, le rôle officiel de tout détenteur de ce
titre est de destituer un Sarki qui se serait mal conduit, serait malade,
trop vieux, ou qui aurait perdu toute vitalité213. Cette institution de
karya giwa214 révèle non seulement une conception vitaliste du
pouvoir, mais aussi le début du conseil électoral. Ce conseil est
composé de sarakunan gargajiya (membres du conseil électoral) au
nombre de quatre: kaura, galadima, durbi et yan daka. Quand le choix
est litigieux, le conseil fait appel à un cinquième personnage, Imàm
(Liman), qui n'est pas membre du conseil électoral. L'institution de
sarautal gargajiya joue un rôle important dans le fonctionnement du
système de la sarauta215.
C'est le seul cadre de l'élection et de l'intronisation du nouveau
Sarki. Il constitue également une structure de contrôle du pouvoir de
sarki et des administrateurs territoriaux.
Si le sarki nomme les sarakunan gargajiya, ces derniers aussi
le nomment et peuvent le destituer à leur tour216. Ainsi, il existe un
contrôle réciproque des deux institutions, mais nous ignorons dans
quelles conditions le Sarki peut destituer un membre du Conseil
électoral.
Beaucoup de personnes confondent ce qu'on pourrait appeler
le conseil électoral et le conseil d'Etat. Le conseil électoral ne
comprend pas le Sarki mais ce dernier est membre du conseil d'Etat
213SMITH A., op. cit., 1976, p. 82.
214 - Giwa: éléphant en hausa, auquel est ici assimilé le sarki; karya vient de karyawa = casser; KaryaGiwa celui qui casse les sarakuna.
215 - Sarauta: système de la monarchie Hausa
216 - E.C.E., Maradi, Mai ,198~.
125
qui se compose de tous les membres du conseil électoral. Comme
nous l'avons signalé, le conseil électoral ne procède pas seulement à
l'élection du Sarki.
. Les membres du conseil électoral:
Ils sont au nombre de. quatre. En cas de litige, un cinquième
personnage intervient, le imam.
Le Galadima: c'est un eunuque dont la position était très
convoitée217. Il ne prend jamais part aux campagnes militaires.
Quand il s'agit d'élire un nouveau sarki, il assure la présidence du
conseil électoral. Par opposition au Kaura, le Galadima exerce une
fonction civile mais tous les deux supervisent la gestion et la sécurité
du royaume. Le Galadima était assisté dans ses fonctions par yan
daka.
- Le kaura218 : il était le chef suprême de toutes les armées du pays,
ou runduna (les hommes en armes). Dans l'exercice de ses fonctions
le kaura était assisté de son adjoint, Durbi, représentant de la
première dynastie du Katsina , celle des Durbawa. Il importe de noter
que le Kaura est d'origine servile219.
Les quatre membres du conseil électoral ne font appel au imam qu'en
cas de litige. Mais, comme le choix n'est jamais facile et que. les
candidats sont toujours nombreux, le imàm est pratiquement toujours
sollicité. La participation des lettrés musulmans à la cour des
217 E.I.E., Maradi, Mal, 1984. 218 E.I.E., Maradi, Mai, 1984.
219 SMITH M. G., op. dt., 1971, p. 115.
126
sarakunan Katsina est très ancienne. L'appel au imam lors des
élections se faisait depuis Birnin Katsina. Ce n'est pas une innovation
du Katsina Nord. Il nous est impossible de remonter à l'origine de
cette pratique.
L1ntervention du imam et la participation de durbi aux élections
du nouveau Sarki peuventt être interprétées comme une intégration
des autorités religieuses dans les affaires de l'Etat. Le rôle du conseil
électoral consistait aussi à empêcher les princes de plonger le royaume
dans le désordre pendant le temps que durait 11nterrègne.
127
· L'élection du Sarki:
Lorsqu11 y avait vacance du pouvoir pour une raison
quelconque, tous les candidats, membres de la lignée de Korau se
manifestaient par des dons et de largesses faits aux membres du·
conseil électoral et toute autre personne influente du royaume. Tous
les membres de la lignée avaient le droit de présenter leurs
candidatures. Ainsi, dans l'élection du sarki, des facteurs subjectifs
intervenaient, parce que c~aque membre du conseil électoral essayait
d'imposer le candidat qui lui serait le plus favorable et/ou lui avait fait
le plus de cadeaux et surtout qui le maintiendrait à son poste très
convoité. L'existence de ces facteurs subjectifs se justifiait en partie
par l'existence du procédé de tirage au sort par le imam quand les
membres du conseil se trouvaient dans l'embarras du choix220.
Cependant, les facteurs objectifs demeuraient les principaux
critères du choix d'un nouveau sarki. En outre, même d'un point de
vue subjectif, les électeurs avaient intérêt à choisir l'homme le plus
indiqué pour diriger le pays car de la stabilité et du développement du
royaume dépendaient leurs intérêts. Ainsi, les électeurs soumettaient
chaque candidat à un examen savant et complet. Il semble même que
les électeurs ne choisissaient le nouveau Sarki qu'après s'être enquis
de l'avis des chefs de quartiers.et de villages221. Après cela seulement
ils procèdent à l'élection, non pas d'après leurs préférences, mais en
vertu des exigences de la coutume, de celui qui réunissait l'ensemble
220pALMER H.R, op.cit., p. 82 ; - PlOT M., op.cit., 1941, p. 1 ; 221 PlOT M., op.cit., 1944, p. 1.
128
des qualités requises d'un prince222. Ces exigences auxquelles étaient
soumis les princes, limitaient énormément les possibilités d'abus de
leur part. Les aptitudes, les dispositions et le passé du candidat élu
étaient vérifiés immédiatement dans les divers rites régissant
l'intronisation et le sacre du nouveau sarki. Malgré le bien-fondé de
ces dispositions, l'histoire n'a pas manqué de révéler des cas de
violation de cette réglementation :
L'accession au trône de Muhammad Korau ne semble pas avoir eu lieu
dans les conditions légales de succession. Cependant, le récit de la
lutte entre Sanau et Korau peut expliquer la conception vitaliste du
pouvoir dont nous avons parlé plus haut223. Au-delà d'une conception
vitaliste du pouvoir, l'avènement de Muhammad Korau s'explique
mieux par l'apparition d'une nouvelle étape dans l'évolution du
Katsina. Ce qui explique que certaines traditions bien établies durent
changer. Cette époque qualifiée d'époque de Muhammad Korau au
Katsina, de Muhammad Rabbo au Zazzau et de Muhammad Rumfa à
Kan0224 devait être enVisagée dans une perspective' globale au
Soudan Central et dans l'Ayar.
Le jihàd du XIXe siècle constitue également un autre cas de
bouleversement de certaines structures : bouleversement non
conforme à la réglementation de la vie politique mais imposé par
l'exigence de l'époque. Cependant, même les jihadistes étaient
contraints de revenir à ces réglementations. Les dernières violations
222DIOP C. A., op.dt, 1960, pp. 49-50 ; -DAVID P., op.dt, 1955, pp. 71-72; - E. ca. E" Maradi, Mai, 1984.
223DIOP C. A., op.dt., 1960, pp. 49-50 ; -USMAN Y. B., op.cit., 1981, (a), pp.12-13 .
224 SMITH, A., op.dt., 1976, p. 190.
129
des réglementations de la succession au XIXe siècle sont celles
intervenues au Katsina Nord avec l'avènement de kaura Hasau225 et
celles du XXe siècle intervenues dans la période coloniale quand les
sarakuna étaient nommés par un décret de l'administration coloniale.
Après ces quelques exemples, revenons à notre sujet : les
élections. Quelle en était la procédure ?
C'est le Ga/adima qui devait convoquer le conseil en cas de
nécessité. Le Kaura et son adjoint Durbi, au cours de ce conseil, se
mettent d'un côté et de l'autre, le Ga/adima et son adjoint Yan daka.
Les quatre électeurs étant donc réunis, ils procédaient en commun aux
consultations, aux débats d'ordre politique et social.
De plus, ils recouraient aux techniques divinatoires ainsi qu'aux
oracles, car il s'agissait de découvrir parmi les princes celui qui
procurerait chance, prospérité, victoire et répandrait la paix dans tout
le royaume.
Quand le moment décisif approchait, le Ga/adima envoyait
Baga/am (un autre dignitaire de la cour et chef de quartier Baga/am
mais non membre du conseil électoral) chercher le imam226, premier
dignitaire de 11slam, attaché au sarki. Le imam arrivait accompagné de
quelques marabouts. Les noms des candidats retenus par les quatre
électeurs, symbolisés par les trous dans le sable, ou des grains de
chapelet dissimulant ainsi le nom de chaque candidat, étaient soumis à
l'appréciation du imam.
225 Kaura Hasau nommait et destituait les sarakuna sans consulter les autres dignitaires contrairement à la coutume. 226 SMITH M. G., op,dt., 1971, p. 110 ;
T1LHO, op.cit, 1906 - 9, pp. 467 - 468 ; Notre informateur de Maradu témoigne que la dynastie de Muhammadu Korau a de tout temps associé les marabouts à la cour et aux activités politiques.
130
Le imam consultait ses marabouts qui faisaient leur choix selon
leur science et leur pouvoir religieux. Au tout début de cette
institution, on employait un serpent sacré ou bien on projetait une
lance en prononçant le nom d'un candidat. Lorsque la lance se plantait
bien droit dans le sol, le nom du candidat qui avait été prononcé au
moment de jet de la I~nce était celui du nouveau sarki227.
Le résultat des élections était alors officiellement proclamé par
le galadima qui envoyait aussitôt chercher le nouveau sarki.
Immédiatement, Shantali karami, Magajin Bakabe 228et leurs hommes
montaient une garde farouche à l'entrée du palais. Car, tant que tous
les rites d'intronisation et d'installation n'étaient pas achevés, il y avait
toujours risque d'usurpation du pouvoir ou d'attentat contre le nouvel
élu229.
Selon Palmer, au temps de la dynastie des Durbawa le nouveau
sarki était installé sur un lit (gadon sarauta) au centre de la ville (kan
giwa). Après quoi un bœuf noir était tué à côté de lui. Puis il était
trempé dans le sang du bœuf sacrifié. La peau du bœuf servait à
envelopper le sarki défunt et à le traîner jusqu'au lieu de son
enterrement230. Tout laisse croire que cette pratique a évolué avec la
dynastie de Korau et 11nstitution du collège électoral.
. A Maradi, le nouveau S arki aussitôt convoqué subissait l'épreuve
du tambour(tambari ). II Y avait à la cour de Maradi douze tambours
227 PALMER H. R., op. cit., 1967, p. 82.
228Nous reviendrons sur certains titres comme baga/am, shantali, magajin bakabe, etc ... dans • l'organisation du palaiS et à d'autres occasions. 229pIOT M., op. cit., 1944, p. 1.
230pALMER H. R." ibidem.
·'131
(tambura)231 gardés par un officiel portant le titre de tambura. Mais
pour cette circonstance, c'est le plus grand tambour (gwabron
tamban) qui était apporté.
Durbi et Yan daka tenaient chacun une poignée. La Magajiya
hawa une des adjointes de Iya, s'avançait portant une batte avec
laquelle l'élu devait frapper trois fois le tambour232. S'agenouillant
près du grand tambour, magajiya hawa refusait, au nouvel élu, la
batte jusqu'à ce qu'il lui ait promis un cadeau. Prenant alors la batte,
il donnait le premier coup et s'apprêtait à frapper le second. Mais
Durbi l'empêchait de poursuivre, et ce n'est qu'après avoir dit Bakawa
(nom du village qu'il donne à durbl) qu'il pouvait frapper les deux
derniers coups. Une fois cette épreuve réussie, les griots de la cour,
Dan toma, Dan Kutu, Dan wardanga et dan homa annonçaient
l'évènement.
Le nouvel élu prêtait serment et jurait de respecter la voie des
ancêtres. Ensuite, le ga/adima, s'avançait accompagné de deux chefs
de quartier, baga/am et magajin bakabe, amenant le cheval blanc de
l'ancien chef. L'élu préalablement habillé d'un grand boubou noir
s'installait sur ce cheval dans le sens inverse de la marche. C'est dans
cette position que le nouveau Sarki faisait quelques tours du palais
royal233.
Il était ensuite habillé. d'un wa/ki (habit de peau que portaient
les hommes) et recevait un bauran zinariya (bracelet en or), un kirin
zinariya (un autre bracelet en or) de plus un gwado rouge (couverture
231E.C.E, Niamey, Février, 1984 ; - E.Ca.E, Maradi, Mai, 1984. 232 - E.Ca.E., Maradl, E.I.E., Niamey Février 1984. - PlOT M., op. dt., 1944, pp. 1-2. 233pIOT M., Ibidem.
132
locale) était suspendu à ses épaules. Le sarki était ensuite habillé d'un
boubou de velours noir brodé, il s'en couvrait entièrement, car il ne
devait pas se montrer avant la fin de tous les rites d1nvestiture. Il était
conduit alors dans la concession de galadima. Et les griots hurlaient
alors «Tu n'étais qu'un pauvre homme comme nous, mais c'était
encore beaucoup trop; maintenant tu es caché, tu dois tout oublier et
le galadima te mènera dans sa maison»234.
A partir de ce moment, une retraite de sept jours lui était
imposée chez le galadima, sous la garde de mashi. Pendant cette
retraite il se mettait du henné aux pieds et aux mains comme le
faisait encore tout nouveau marié (ango) dans la région. Chez le
galadima, le sarki subit des épreuves, reçoit des conseils et refléchit
sur sa nouvelle fonction. «Dès son arrivée le mari l'accoste, lui donne
quelques gifles bénignes d'ailleurs, et lui dit : mance, mance (oublie,
oublJe), oublie tout ce qu'on t'a fait; ne pense pas à user de tes
nouveaux droits pour te venger de ceux qui ont pu te faire du mal.
Pendant toute cette retraite les quatre membres du conseil électoral
ne ménagent pas les conseils au futur sarki et celui-d a tout le temps
d'y réfléchir> >235.
Durant sa retraite, le nouveau sarki est contraint de rester assis
ayant sur les genoux des épis de mil, des gousses de haricot, un
écheveau de fil de coton et une épée, symboles de son pouvoir sacré
qui doivent lui permettre, par cette consécration, de donner au
royaume la paix, l'abondance, la fécondité, la victoire, etc236 ....
234p10T M., op.cit., 1944, p.2.
235p10T M., op.cit., 1944, p. 2.
236LEROUX H., op.cit., 1948, pp. 664-665 ; E.Ca .E, Maradi, 1984 ; -PlOT M., op.cit., 1944, p. 2 ;
133
Le jour du wankan sarauta (le bain rituel d'intronisation ), le sarki doit
de nouveau frapper douze coups sur le gwabron tambari. Après toutes
ces épreuves, le sarki investi de tous ses pouvoirs, est installé dans le
palais royal de ses prédécesseurs, la maison de Korau (gidan Korau).
Toutes ses dispositions, ses aptitudes, sa sensibilité, etc ... ont aussi
été mises à l'épreuve et vérifiées. Puis, le sarki désormais habillé de
ses plus beaux habits, recevait les félicitations et les hommages des
ses pairs, souverains d'autres royaumes, de ses subordonnés, des
chefs de quartiers, des membres de la cour, des administrateurs
territoriaux, des familles, des amis, etc ... Les hommages étaient reçus
avec dignité. Puis, commençait le long défilé de ceux qui tenaient à
approcher le sarki237. Avant de quitter la maison de galadima, le
nouveau sarki nommait déjà ou reconduisait les hauts dignitaires :
sarakunan galgajiya, sarakunan sarki, barorin sarki, bayin Sarki,
etc238 ....
Toutes ces cérémonies étaient suivies de fêtes, de
manifestations, de dons et de contre dons, chacun cherchant à attirer
l'attention du nouveau souverain et de son équipe. Le premier cheval
sur lequel était monté le Sarki revenait à Durbi et les habits de la
cérémonie étaient remis à mashi. L'intronisation de la plupart des
hauts dignitaires et des administrateurs territoriaux rappelle celle du
Sarki à quelques différences près239.
-USMAN Y. B., op.cit., 1981, (a), pp. 78-79. 237pIOT M., op.cit., 1944, p. 3. 238Certains de ces titres seront abordés plus loin. 239 voir notre Essai d~nterprétation des institutions.
134
· L'organisation de la cour:
Le sarki disposait d'une importante cour : fada. L'organisation
de cette cour revenait au sarkin fada (chef de la cour)240 ; le sarkin
fada prenait toutes les dispositions pouvant faciliter le bon
fonctionnement de la cour. A la cour, ou au déplacement, le sarki est
entouré de ses gardes du corps ou lifida.
Nous pouvons donner ici un échantillon de ces lifida:
-Shantali babba ;
-Dan basaka;
-Doka;
-Gariya;
-Sarkin bai;
-Kan kya;
-Lihida (yan lihida) ;
-Mudda;
-Sarkin fawa ;
-Dan baganzame ;
-Etc ...
Lors de ses déplacements le sarki a toujours devant lui un
garde spécial qui va à pied : zagi.
240 Fada = cour, palais ; - Les fadawa, courtisans, au singulier bafade (courtisan), sont sous le commandement de sarkin fada.
135
La tradition de la dynastie du Katsina veut que la cour soit scindée en
«main gauche» et en «main droite» du sarki.
La « main gauche» : Elle est dirigée et organisée par le kaura.
Le kauran katsina: en plus de ses fonctions administratives et
politiques déjà évoquées, kauran Katsina a une fonction comparable à
celle de nos ministres de la défense et commandant en chef de toutes
les campagnes militaires. Il est le véritable maître des runduna (les
hommes en armes).
Les louanges et épithète (kirarai) de kauran katsina permettent de
mieux appréhender toute l'importance de son rôle dans la société
précoloniale du Katsina.
Kirarin kauran Katsina
1 - Gurrai!
- Gurrai Dan Gaba !
- Gurrai bakon da kan tara gudan dane da kuwa !
- Babban falke sha tabki ;
5-Babban lauje abin karta dundu !
- Yàddà sauri babban filata !
- Mai gona na fadan kan gona tai,
- Gurrai na fadan kan mai gona !
- Ciroma na daudu, Mahaman na daudu ;
10-Ciroma walkin Borno isagaba isabaya !
- Wake gaban Uban dawakin Katsina, kaci ka dara.
- Wake bayan Uban dawakin Katsina, ka dara !
- Kauran tsaron kofa!
- Mai tamna garazum, garazum
15 - Hadiya da sauran motsi !
- Ragiji komi shiga bakin ka,
136
- Ya zama nama !
- Amsa kuku, amsa kuwa !
- Bakon da kan tara, gudan dane da kuwa !
Traduction
1- Très envié 241 !
- Très envié tu es à la tête des armés !
- Très envié, l'assaillant qui charge en criant!
- Grand caravanier qui épuise une mare.
5- Grande faucille, moyen de dénuder les épineux.
- Débarrasse-toi de ton bâton, grand peul242 !
- Le propriétaire du champ se bat pour son bien
-Le très envié se bat pour défendre le propriétaire du champ!
- Ciroma243 de Daudu, Mahaman de Daudu !
10-Ciroma le tablier bor.noan, tu es à l'avant garde et à l'arrière
garde!
- Qui est à l'avant garde du chef de la cavalerie du Katsina,
sinon toi le valeureux!
- Qui est à l'arrière-garde du chef de la cavalerie du Katsina, si
non toi le plus valeureux!
-Kaura qui veille sur la cité,
- Qui mâche à grands coups244
15 - Et avale sa proie encore toute frémissante !
241Le mot Gurrai est difficile à traduire mais il semble évoquer guri, rechercher avec ardeur.
242Sauri est un terme d'origine peul qui veut dire bâton.
243 Oroma terme d'origine kan uri. - Daudu : épithète donnée à tout galadima (voir ABRAHAM R. C., op. cit., p. 199)
244 Ragiji : onomatopée qui nous semble intraduisible.
137
- Tout ce qui tombe entre tes mains
- Devient proie.
-Toi qui réponds à tout cri d'alarme:
- L'assaillant qui charge promptement en criant!
Ainsi dans les fonctions que ce kirari met en exergue, Kaura
dispose de tout un personnel central. Son adjoint à la cour et au
conseil est le Durbi, celui-là même qui est le représentant de la
première dynastie du Katsina, comme le montre un fragment de son
kirari:
Kirarin Durbi
1-Awalin saran Katsina Kumayau !
-Ina ne ba na kuba ?
-Magajin Dan-gangu !
Traduction
~ -Kumayau est le fondateur du Katsina
-Tout Katsinaoest à vous
-Héritier de Dan-gangu !
Durbi lui-même dispose de deux adjoints mashi et magajin
hamsheta. Mais Durbi ne peut jamais succéder au kaura. Les deux
autres adjoints du Kauran Katsina participant aux combats et
susceptibles d'être des kauraye étaient marusa et rafa.
Deux autres personnages importants de l'armée sont: uban
dawaki et magayaki. Le premier est le chef de la cavalerie. Le second
138
semble être le responsable de l'arsenal du palais et chargé de la
protection personnelle du Sarki245.
La liste de la «main gauche» du Sarki est complétée par d'autres
personnages:
-Sawa
-Rade
-Dan Bushiki qui dispose aussi de deux adjoints: zanuwa et sarkin
dogarai (chef de la police)
-Makama
-Doka246
-Shantali Babba, Shantali Karami,
Maradi et tous les percepteurs centraux sont de "la main gauche'247,
et. .. 248.
L'autre branche de la cour est la < <main droite> > de sarki (hanun
dama).
La main droite, elle était placéé sous le commandement du
Galadiman Katsina qui est la véritable épine dorsale de l'administration
centrale. Il est en quelque sorte «l'adjoint» du sarki sans pourtant
avoir le droit de lui succéder. Nous avons vu qu'il convoque le conseil
électoral et dirige tous les rites d'investiture du nouveau sarki. En cas
de vacance du pouvoir, il assure les responsabilités du sarki. En temps
245 USMAN Y .. B., op. cit., 1981(a), p. 80.
246 Certains de ces titres comme ceux des pages précédentes ont été l'objet d'un commentaire. D'autres seront commentés plus loin. Cependant, ils demeurent de titres dont nous ignorons la fonction précise. Notre souci est d'éviter de donner des significations partielles des titres comme l'ont fait nos prédécesseurs.
247 Pour les perceptions et les titres voir USMAN Y. B., op. cit., 1981(a), pp.61 ; 180-181 ; USMAN Y. B., op. cit., 1972, pp. 175-177 et notre paragraphe sur les ressources de l'Etat et de l'administration
248 kaura" magajin bakabe, doka" makama" etc .. sont d'origine servile.
139
de guerre, il représente l'autorité suprême dans la capitale et
l'ensemble du pays. Il doit y assurer la sécurité et expédier les affaires
courantes.
Comme 11ndique son kirari , le Galadima est vraiment l'un des
piliers du pouvoir central :
1-Babba hasken fada !
- Ta sashi, ba'a sashi !
- Ka bada gona
- Ka hana iri !
5-Babba toma kashin gari
-Gwabron giwa,
-Gulbi sha bakosani Daudu
Traduction
l-Grand dignitaire, lumière de la cour!
-Seule à la cour, il obéit!
-Tu donnes un champ,
- Mais refuses la semence!
5-Grand et unique pilier de la ville249 !
-Le plus grand dignitaire,
-Rivière amassant de flots acharnés, Daudu !
Dans ses fonctions, le Galadiman Katsina est aidé de quatre adjoints :
-Mashika son premier lieutenant;
249 Galadiman Katsina est un eunuque servile, malgré son statut, sa position était très recherchée. -ABRAHAM R. C., op. cit., pp. 190, 289.
140
-Dan baganzame (responsable de la teinture) ;
-Zariya (responsable du commerce de sel) ;
-Et Dan Negaba.
-Les deux derniers, bien que de "la main droite", participent à la
guerre.
Yan daka était un autre personnage soumis aux ordres du Galadima .
Il n'est pas superflu ici, de rapporter le kirari de yan daka :
Kirarin Yan Daka
1-Jimre rani, Jimre damana Bagube !
-Jimre magajin mai nasara !
-Mai nasara Yandoto !
-Guntun kirin kura, ko ya kire ya fadi !
5-Kare ba shi dauka tai, ko ya kasaita
Traduction
l-Bagube250 qui surmonte la saison sèche et la saison humide!
-Résiste, héritier de mai nasara !
-Mai nasara de Yandoto!
-Redoutable reste du charme de l'hyène, que, même traînant à
terre,
5- Le chien le plus hardi n'ose porter.
250 Les raisons des allusions à bagube ne sont pas daires. S'agit -il du peuple gubawa?
141
Comme le fait apparaître ce kirari, yan daka est le représentant
des plus anciennes populations du Katsina et de certains dignitaires
sûrement originaires de yan doto.
Yan daka dispose également, dans ses fonctions de deux adjoints non
moins importants. Il s'agit de :
Mari, chargé de gifler le sarki en prononçant le rituel «oublie,
oublie»251 ;
doka est chargé de l'exécution des sentences. Il a lui- même sous ses
ordres: galadiman doka, ubandawakin doka, Makama (chargé des
arrestations), dokan hatsi252 et dan tura (chargé d'emprisonnement).
Une autre personnalité très importante de la main droite est la
jakadiya ou jeka fada253. Elle doit coordonner les activités de la cour
et celles de l'intérieur du palais.
Quand le sarki est au repos, elle seule peut rentrer dans sa chambre
pour le contacter quand il s'agit d'une affaire d'État. La jeka organise
également la vie privée et conjugale du sarki. Son rôle est donc
capital.
Parmi les membres de la "main droite" on peut également citer
dagaci et dan-muri (palefrenier).
L'organisation de la cour ne peut être expliquée de façon rigide par la
distinction entre" main gauche" (hanun haunl) et "main droite" (hanu
dama) en prenant comme seuls critères les officiels qui" se trouvent
sous les ordres _de kaura ou ceux 'qui sont sous les ordres de galadima,
251Voir notre desëription des élections et.de "ntronisation du sarki. 252Dokan hatsi est l'un des percepteurs qulSôiïnî la main droite.
253 Elle détient aussLu[l poste clé. Ene -est la confidente du sarki. Voir: DAVID P., op. cit., 1971, p. 667 ; HAMANI Dj, op.dt., 1975, p. 110 et.MARIKO A. K., «Les aires culturelles mandingue et hausa : étude comparée : COll vergences et divergences» ln politique culturelle et unité africaine. Niamey, CELHTO, 7-11 Décembre 1981, p. 110
142
ou même ceux qui participent et ceux qui ne participent pas à la
guerre. Comme nous venons de le voir, il y a des recoupements entre
les deux ailes considérées de la cour. Ensuite, il existe d'autres
branches de la cour qu'on ne saurait classer ni à gauche, ni à droite :
c'est le cas de jeka fada, de iya, de mal/aman fada et de la catégorie
des princesses et des princes.
La iya réside à Maradi et occupe la seconde salle du palais.
Elle est la souveraine incontestée du bori, de toutes les femmes254 du
royaume et elle s'occupe du mariage des princesses. C'est une
princesse, nommée par le sarki pour l'aider dans ses fonctions après
consultation des marabouts (mallamai) et du conseil électoral. En
général, première adepte du bori dans le royaume, la iya peut ne pas
être initiée au culte de bori, donc n'être pas possédée par les génies
(iskoki ou boruruka). Le rôle de la iya ne se limite pas au plan des
affaires religieuses ou féminines. Elle remplace le sarki lors de la
procession du ramadan pour laquelle elle revêt des vêtements
d'homme: «Très souvent, lorsque son frère mourait, elle devenait la
première adversaire du nouveau ·sarki. Sa nomination ressemblait
d'ailleurs beaucoup à l'intronisation de son frère. Ce jour-là elle
revêtait des vêtements analogues à ceux du prince, après avoir été
portée sur le dos d'un haut fonctionnaire jusqu'à la porte de son
palais. Puis, elle vient frapper quatre coups sur UA tambour, sur lequel
__ " 254Femmes mariées, femmes divorcées, prostituées (karuwal) et veuves. -Le kirari de la iya laisse entendre qu'elle peut influencer un jugement. -Dabkari makama kafa - Dabkarari dont Il faut chercher le soutien -Mariyama ta Korau - Mariyama descendante de Korau -Mariyama raya Duwatsu ! - Mariyama qui redonne vie aux montagnes -Tada na kwance na zamne ya zama tsaye-Terreur des condamnés. -Mai yi da wuta faskara taba ta zaki ! Celle qui punit avec le feu et dont le jugement est sans
appel; parente du roi, -SMITH M. G., op. cit., 1971, pp. 107-108.
143
le sarki frappa lui-même douze coups avant de devenir l'époux du
pays. Puis elle se para des mêmes bracelets que le sarki et partit faire
une retraite de sept jours accompagnée d'un homlTJe et d'une femme
du clan gardien des bracelets d~ntronisation. La femme alla dormir à
ses côtés tandis que l'homme se place en travers du seuil. Au terme
de cette retraite elle doit être présentée à son peuple. Pour cela, elle
part faire à cheval une tournée du pays. Elle doit parmi ses multiples
fonctions, vérifier les dispositions et les compétences de yan bori». 255
Le poste qui se rapproche le plus de celui du sarki est celui de
iya. Cependant, elle reste, malgré tout son pouvoir, une souveraine
administrative et politique, dans la limite de son pouvoir défini par la
tradition en fonction de son sang royal et de sa position au sein de la
sarauta.
La iya256 est aidée dans ses fonctions par la sarauniya qui est sa
femme de confiance, la kaura, son intermédiaire, et la magajiya toutes
étant des princesses.
. Titres des princesses
Iya;
Jekadiya;
Magajiya hawa257 ;
Magajiya tashibdi ; .
Magajiya maskomi;
255MONFOUGA-NICOLAS Jacqueline, Ambivalence et culte de possession : contribution à l'étude du Bori hausa. Paris, ed. Anthropos, 1972, pp. 153-154.
256 Les postes comparables à ceux de Iya sont occupés par inna au Gobir, magaram au Damagaram" magajiya au Daura" magira au Borna, etc ... 257 Magajiya semble être nommée parmi les sœurs cadettes du sarki et détient le fief de Riyad/. Le rôle des autres princesses n'est pas précis (DAVID P., op. cit., p. 667). Selon SMITH M. G., op. cit., P. 18, elle dirige les femmes aux cérémonies de la fête du Ramadam devant le palais royal.
144
Magajiya mai Rimaye;
Magajiya dagabo ;
Magajiya bajini ;
Magajiya er Jigari ;
Magajiya er Jesa;
Mariya, etc.
Les lettrés musulmans constituent une autre catégorie des
dignitaires plus ou moins attachée au pouvoir central. Nous avons déjà
parlé de cette intelligentsia au début de ce travail. On se rappelle
encore aujourd'hui 11nfluence et le rôle joué par certains éléments de
cette intelligentsia dont les figures les plus marquantes furent Abu
Abdullàh Muhamad Masani b. Ghumehu b. Muhammad b. Abdullàh
Nuh al Barnawi al Kashinawi (1595 -1667) et son disciple Muhammad
Ibn al-Sabbagh al Kashinawi dit Dan Marina pour ne citer que ces
deux258.
Cette intelligentsia, puissante de sa science et de l'impact de
l'islam dans les États ha usa devait désormais être associée au pouvoir.
Nous avons également vu que l'importance de sa position idéologique
au XIXe siècle lui permettait de canaliser le mécontentement populaire
et d'entreprendre un mouvement de réforme. Ainsi, on trouve dans les
cours du Soudan Central des lettrés musulmans qui rédigent les
correspondances du roi ou dirigent les prières. Leur présence donne
également un certain crédit aux autorités politiques. Un dignitaire
2580ANKOUSSOU 1., op. cit., 1970, pp. 38-52 ; - PALMER H. R., op. cit., 1967 ; - USMAN Y. B., opcit 1981(a), pp. 27, 31, 34, 35, 37.
145
musulman, a/kali (juge), bien que ne siégeant pas à la cour, rend des
jugements dans des cas qui lui sont envoyés par le sarki.
Ici nous sommes réduits à ne rapporter que la liste des dignitaires
musulmans au niveau du pouvoir central telle qu'elle a été donnée par
Tilho.259
1. A/kali ;
2. Liman;
3. Dan Dubba/;
4. Dan A/kali;
5. Dan karami;
6. Dan mania;
7. Dan jirifi ;
8. Dan ga/shi;
9. Dan kudu;
10. Na ciki ou imam particulier du sultan ;
11. Na sara (ainsi nommé parce que pendant la prière du vendredi, il
se tient dans le sara ou niche du mur est de la mosquée) ;
12. Naibi ou représentant du liman.
Les princesses comme les princes sont pour la plupart oisives. Elles
sont toutes envieuses de la position de iya et n'attendent que de lui
succéder comme les princes espèrent tous succéder au sarkj2.60.
259nLHO, II, op. cit., 1906, pp. 335-536. Comme on peut le remarquer, cette liste comporte certaines imprédsions. Par exemple selon l'auteur « à partir du 3è tous ces titres sont ceux que portent les premiers titulaires de la dignité». Mais de quelle dignité s'agit-II? La liste de yan sarki ne fait· pas apparaître des princes portant un de ces titres, moins encore les autres grands dignitaires
2600AVIO P., op. dt., 1969, p. 667.
146
"
· Titres des princes
1. Dan galadima261 ;
2. Mayana;
3. Dan zambadi ;
4. Barahiya;
5. Dan dadi;
6. Magajin haladu ;
7. Tsiko;
8. Dan Baskore ;
9. Dan Basaka;
10. Maremawa;
11. Lambisa ;
12. Dan yakuba ;
13. Dan kobaye ;
14. Dan kasawa ;
15. Dan kimalle;
16. Sakawa;
17. Dan bindi;
18. Kanarwa ;
19. Dan bado;
20. Horoce;
21. Binoni;
22. Dan nana;
261 Les six premiers princes sont donnés dans l'ordre de successibilité théoriqUe. DAVID P., op.dt., 1969, p. 666.
147
23. Tsakuwa;
24. Machika262 ;
25. Magajin Tsiko ;
Etc ...
Les princes constituent une autre catégorie de privilégiés. Ils
forment un véritable groupe de pression dans la cour contiguë à celle
du sarki appelée unguwal Dan Galadima (quartier de Dan
Galadima263). leur propension à abuser du pouvoir est cependant
tempérée par leur ambition d'être un jour sarki.
262cette liste a été établie à partir de la tradition orale et des auteurs comme: -DAVID P., op.cit., 1971, pp. 665-667 ; -MARIKO A. K., op.dt., p. 40 ; -PÉRIÉ J., op.cit. ; -llLHO, Il, op.cit., 1906-1909, pp. 510-52. 263USMAN Y. B., op. cit., 1981(a), pp. 181-184 ; -DAVID P., op.cit., 1969, p. 667.
148
· Titres de Katsina et correspondants en francais selon 1. Dan koussou
Hausa(singuller) Hausa (pluriel) Français
1 Sarki Sarrakunàa Roi
2 Sarkin faadà Saraakunàn faadà Chef de service des renseignements
3 Gà/aàdimaà Ga/adimoomii Commissaire de police
4 Yaari Yaaraawaa Chef de la sûreté
5 Dookaa ? Huissier
6 Doogarii Doogàrray Agent de la police
7 Kauraa Kauraayee Ministre de la défense
8 Maà dawaki ? Commandant de la cavalerie
9 Ma gaà Yaaki ? Général de 11nfanterie
10 Maashi ? Intendant des munitions
11 Bardee Baraàdee Soldat
12 Durbi Durboobii Chef féticheur-prêtre
13 Yandaka ? Valet de chambre
14 Maruùsa ? Prétendant au titre de kaura
15 Shantà/i Shanœllay Qui tient le récipient où crache le sarki
16 Magaàji Magaàjay Maire
17 Daàgàad ? Secrétaire de la mairie
18 Wàkiilii Wàkillay Représentant
19 Haakimii Haàkimay Barons, Ducs
20 Bàrgaa Bargaàyee Maréchal de logis
21 Dan muuri Yan muuri Palefrenier
22 Waalii Wallaàyee Président de la cour suprême
23 lyaà lyooyii Titre d'un prince responsable des
affaires matrimoniales264.
264plutôt d'une' princesse. DANKOUSSOU 1., op. cit., 1970, pp. 6 et suite. Cette liste, quoique très intéressante à certains égards, nous paraît schématique et ne permet pas de comprendre les dimensions de différents titres ou rôles. Ainsi certains rôles ne sont que partiellement définis tel que celui de iya , le rapport entre kaura et durbi, la variante du titre de marusa (rahwa, daudu, Yérima, etc ... ); le rapport entre ga/adima et yandaka, le rôle de lihidi, alkali, imàm, magatakarda, zaggi, etc ... sont absents.
149
C ) L'organisation militaire
Puisqu'ils devaient reconquérir leur pays, la guerre était l'un
des objectifs des représentants de la dynastie de K~rau, retranchés à
Ma ra di. Ils ne manquaient pas alors d'~ccorder à I~frmée une place
importante dans leurs institutions. Du reste, l'État req:mstitué à Maradi
n'était que provisoire dans l'esprit des jikokin Korau (descendants de
Korau) et la ville de Maradi n'était autre chose pour eux qu'un
sansanin yaki (camp de rassemblement pour la guerre), du moins
jusqu'en 1875. D'ailleurs jusqu'ici, cet idéal demeure dans l'esprit de
Jikokin Korau de Maradi à en croire Alhaji Nagoje et les dignitaires
actuels de la cour de Maradi. Cependant nous nous gardons de dire
que l'État de Maradi n'avait d'objectif que la guerre et le pillage
comme le pensaient et le pensent encore David, Smith, Tilho et
autres265.
Au Katsina Nord, le sarki lui-même va à la guerre, mais le
véritable maître des runduna demeurait le kaura évoqué plus haut. Il
est toujours au devant des armées et au retour il tient l'arrière garde
de celles-ci266.
L'une des principales forces de frappe de l'armée du Katsina
Nord est la cavalerie lourde comme nous l'avons vu au temps de Dan
Baskore. Mais celle-ci demeure l'apanage. des nobles, de leurs
265Wakar Sarkin Katsina (Maradf), (chanson de sarkin Katsina (Maradl) par A1haji Baia NAGOJE, cassette disponible à la Voix du Sahel ; -E.C.E., Maradi, Mai, 1984 ; -A la mort de Usman Nagogo (avant dernier émir de Katsina, en 1985) un prince, Dan Haido, était parti de Madarunfa pour présenter sa candidature au trône de Biml Katslna. -DAVID P., op. clt, p. 667 ; -SMITH M. G., op. dt., p. 118 ; -llLHO, n, op. dt., p. 520.
266 - Voir le Kirari de Kaura
150
serviteurs et des guerriers spécialisés ou des soldats de métier
(barade/ barde au singulier), la différenciation sociale se traduisant
même au cours des combats. Le corps de la cavalerie est sous le
commandement de Uban dawakin Katsina (chef de la cavalerie). Le
gros de l'armée est constitué de 11nfanterie. Les éléments de ce corps,
dakaru, yan karma, etc ... sont levés en masse en cas de besoin par les
sarakunan kasa sur l'ordre du pouvoir central. Tous les corps de
l'armée sont mobilisés de la sorte. Les sarakunan kasa à leur tour
donnent des ordres aux sarakunan samari pour la mobilisation.
Le corps des archers est avant tout sous le commandement de
sarkin baka (chef des archers), lui-même sous les ordres du maradi
qui supervise les archers en arrière- force autour du sarki. Le kauran
Katsina supervise de manière permanente tous les corps d'armée. Le
plan de guerre est établi par le conseil d'État qui regroupe le conseil
électoral et le sarki. En cas de besoin, le soutien du Gobir et de tout
autre État allié peut être sollicité. Au moment de la préparation et du
départ en guerre tout mouvement entre les villes, entre les États et les
sorties des villes sont strictement et officiellement contrôlés par le'
Galadima et ses hommes. Le rassemblement pour le départ a lieu à
une heure et en un lieu appelé sansanin yaki (camp de rassemblement
pour la guerre). Deux éclaireurs dan yusufa et baita, précédent
l'armée pour dégager la route la plus' stratégique et la plus opportune,
ou du moins pour procéder à la mise en application de la stratégie
déjà établie.
A l'approche des adversaires, ce sont les gens de la lignée de
yan ja yaki ou yan 50 yaki qui attaquent les premiers.
151
Les principales armes de combat sont le sabre (takobi), la lance
(mashl), asigiri (arme de jet), des couteaux et de nombreuses armes
pour le combat corps à corps. Le fusil fait partie également des armes
utilisées. Les yan bindiga. (détenteurs du fusil) sont sous le
commandement de sarkin bindiga (qui commande le corps des
guerriers armés de fusil). L'armement est aussi composé des moyens
de protection: surke ( cottes de maille), lihidi (caparaçon), garkuwa
(bouclier), etc ... Les habits lourds de protection sont surtout utilisés
par la cavalerie267.
dl La justice
Nous avons vu que le monarque, souverain du kasar Katsina,
est le sarki. Il est placé au sommet de la hiérarchie politique. Tant qu11
est au trône, le sarki est investi de tous les pouvoirs, y compris les
compétences juridiques. Tous les délits graves, entraînant des
sanctions sévères (troubles à l'ordre public) sont soumis à la
juridiction du sarki. L'un~ des principales affaires dont se p'réoccupe ,
sérieusement le sarki c'est la contestation d'un pouvoir ou d'une
autorité (renuwar ikon sarauta). Le respect des normes de la société
était de rigueur dans la société précoloniale du Katsina, du moins
jusqu'en 1892. Seule une période de troubles ou de crise peut
permettre à certaines personnes d'aller au-delà de la «constitution».
Mais à partir de 1892, des désordres interviennent dans beaucoup de
domaines. Kaura Hasau établira sa propre cour en tant que kaura avec
267 E.C.E, Maradi, mai, 1984; -SMITH M. G., op. dt., pp. 118-120 ; -USMAN Y. B., op. cit., pp. 186-187.
152
un lieu d'exécution à Hasau. Ce lieu est même de nos jours connu
sous le nom de marken doka (arbre au pied duquel on exécutait les
condamnés)268. Mais si le sarki peut trancher sur le cas de quiconque
conteste le système, il peut également être jugé et destitué ou même
tué par le conseil électoral (sarakunan karaga en abrégé karaga, ou
sarautar galgajiya selon les auteurs)269. Ce conseil participe
également au jugement concernant son personnel ou ses administrés.
Le Galadima est responsable du jugement des princes. Il est
aidé par dan negaba, personnage officiel qu'il nomme lui-même et
dont le rôle est de limiter le pouvoir des autres hauts responsables de
l'Etat ou des princes. Malheureusement les autres aspects du rôle de
dan nagaba sont aujourd'hui mal connus. Tous les princes qui
commettent un acte d'expropriation (kwace) objet des critiques
d'Usman Dan Fodio contre les souverains des États Hausa, un adultère
ou un abus, sont convoqués par dan negaba devant le Galadima.
Cependant, il ne semble pas que les victimes pouvaient déposer des
plaintes directement contre les princes. Les princes, non plus, ne
subissaient pas des peines d'emprisonnement ou de châtiment
corporel. Néanmoins, les princes ne sont pas moins punis à leurs
points les plus sensibles. Un prince qui commet fréquemment un ou
des actes condamnables voit de jour en jour sa popularité
compromise. Le conseil d'État autorise le Galadima à donner, au prince
fautif, un avertissement, compromettant ainsi ses chances futures
ou les faveurs royales. Cet avertissement est d'autant plus important
268 - E.C.E., Hasau, mai, 1984. Marke: une espèce d'arbre.
269 SMITH M. G., op. cit., 1971 et US MAN Y. B., op. cit., 1981, (a), p. 78.
153
qu'il est donné par la personnalité même qui convoque le conseil
électoral et dirige les élections pour le choix d'un nouveau sarki. Alors
que l'ambition de tout prince est d'être un jour sarki.
. L'islam jouissait d'une place privilégiée dans la société
précoloniale du Katsina, un juge lettré musulman (alkali) rendait la
justice officiellement. Il est chargé de régler les différends de moindre
ou de grande importance entre les musulmans. Toutefois les
différends qu'il doit régler lui sont envoyés par le sarki. Ses sanctions
se limitent aux paiements des amendes et au serment coranique. Il a
aussi la compétence sur le divorce, les conflits à propos des dettes ou
des contrats, sur l'adultère et sur des petits torts. Il verse une partie
de ses amendes dans le trésor du sarki.
Les sarakunan garuruwa ou les masugari à leur tour,
disposaient des cours analogues à la cour centrale et rendent la justice
pour les différends qui ne dépassent pas leur compétence.
La prison (kurkuku) est aménagée dans le palais royal. Il s'agit
d'une fosse profonde fortifiée. Ici des dispositions sont prises pour
veiller à la sécurité des prisonniers. Par exemple, on s'assure qu11 n'y a
pas de serpent dans la fosse. Ensuite, la durée d'emprisonnement est
très Iimitée270. La prison est gérée par deux catégories d'agents mais
tous d'origine servile. La catégorie d'agents chargés des arrestations
dont chacun porte le titre de makama et la catégorie de ceux chargés
de l'emprisonnement, qui portent chacun le titre de dan tura.
270 E.C.E, Maradi, mai, 1984 i -E.I.E, Tasawa, mai, 1984 i -E.I.E, Maradi, mal, 1984.
'~''''''''
154
Les condamnés à la peine capitale sont exécutés par un agent qui
porte le titre de doka271.
Les propriétaires d'esclav~s sont responsables des fautes
commises par leurs esclaves. Un homme libre qui tue l'esclave
d'autrui, doit lui en fournir un, en compensation272. Un homme peut
aimer son esclave femme. Cette situation confère à l'intéressée le
statut de er sa da ka (intégrée) et ses enfants sont des enfants
légitimes autant que les autres enfants des mères d'origine libre.
el Les ressources de l'État et de l'administration
Nous allons à présent examiner la base matérielle de l'Etat et
de l'administration à partir des institutions.
D'ores et déjà, il faut préciser qu'à partir de 1817, au Katsina
Nord, il n'a existé aucune taxe prélevée sur les protégés des
musulmans (Ah al dhimma). Les taxes sont p~élevées sans tenir
compte des considérations religieuses. Comme l'examen des
réglementations de la société du Katsina le révèle, les revenus de l'Etat
et de l'administration du royaume ne provenaient pas seulement de la
guerre. D'ailleurs, la part de celle-ci est aléatoire. Les revenus de l'État
et de son administration proviennent essentiellement des activités de
production du royaume. Quiconque accède à une promotion ou à un
titre fait un cadeau obligatoire au sarki (kudin sarauta).
Les kudin sarauta et la gaisuwa ('don au sarki ou aux autorités)
augmentent aussi les revenus de l'État et de ses organes. Toutes ces
271Loi ; l'exécuteur.
272SMITH M. G., op. cit., pp. 117-118.
155
ressources que nous venons d'évoquer, ajoutées aux conditions de
l'évolution du Katsina au XIXe siècle, déjà signalées, nous montrent les
véritables fondements économiques de l'État au Katsina Nord.
Les institutions de cet État, ne permettent pas de croire qu'il
n'arrive à fonctionner que sur les revenus de la guerre273.
L'une des ressources les plus importantes de l'État et de
l'administration demeure les produits des grandes propriétés foncières
royales(gandayen sarkl), exploitées par les esclaves, les serviteurs et
les paysans.' L'État prélève également le kudin kasa qui est une taxe
prélevée sur chaque mai gida (chef de famille)274. Cette imposition
vise à prélever une petite portion du revenu familial annuel, pour le
compte de l'État.
D'autres impositions sur l'agriculture concernent les activités de
l'exploitation de la vallée (fadama), kudin rafi (taxe sur les points
d'eau), les activités agricoles pour la production industrielle ou
commerciale : arachide, tabac, indigo, etc ...
A ces taxes, il faut ajouter les recettes provenant de l'élevage
plus connues sous le nom de jangali. Dans le contexte du XIXe siècle
au Katsina Nord, nous avons vu que la chasse tient une place
importante aussi bien dans la distribution géographique des
populations que dans la production de leurs moyens d'existence275.
Ainsi, cette chasse a des retombées financières dans les caisses de
mE. ca. E et E. c. E,. Maradi, mal, 1984 : -DAN KOUSSOU .1., op. dt, p. 98 ; -DAVID. P., op. dt, 1969, pp. 659-660 ; -USMAN Y. B., op. dt, 1972, p. 177.
274USMAN Y. B., op. dt., 1981(a), p. 83.
275volr notre partie sur le Katslna Nord avant le Jlhàd.
156
l'État. Des impositions existent sur certains animaux comme la civette
ou des produits de la chasse comme le margi (viande séchée)276.
L'existence, dans les institutions de postes, comme ceux de
sarkin mahalba (le chef de la corporation des chasseurs) ou de sarkin
bindiga (le chef des chasseurs au fusil) se justifie en partie par la
collecte des taxes sur les différents produits de ces corps de
chasseurs. Mais ces postes ont d'autres fonctions que la perception
des impositions.
Certains centres du Katsina Nord ont une vielle tradition du
commerce et sont servis par des grandes voies commerciales277. Or
l'existence du poste de tafarki (agent de sécurité sur les voies
commerciales), de madugu (caravanier en chef ), des sarkunan sana'a
(responsable des corps de métiers), du poste de kofa (gardien d'une
porte de la cité), des taxes prélevées sur les métiers (kudin sana'à),
etc .. et les multiples activités industrielles et artisanales ne permettent
pas de douter sur la contribution du commerce278 dans les revenus
de l'État et de l'administration.
Selon M. G. Smith, une charge moyenne de 1200 cauris est
versée chaque année à l'État pàr toute personne exerçant un métier
dans le royaume : les griots de toutes sortes, pêcheurs, marchands279
itinérants, tailleurs, tanneurs, travailleurs de cuir, teinturiers,
276E.C.E, Hasau, mai, 1984; -USMAN Y. B., op.cit., 1972, pp. 176-177.
277USMAN Y. B, op. cit., 1981(a), carte B.
278la terme kurga (veillée au cours d'une activité de production notamment le filage du coton) est une indication de 11ntensité des activités de production; -USMAN Y. B., op. dt., 1981(a), p. 83. 279 .. SMITH M. G., op. Clt., 1971, pp. 112-115
157
forgerons, barbiers, marchands de potasse, tisserands, marchands du
fourrage, bûcherons, charpentiers, maçons, potiers, etc ...
A chaque arrivée, les marchands étrangers doivent payer cinq
cent cauris par chameau et deux cents par âne280. La zakkat (taxe
légale sur les gains), la dÎme (un dixième du revenu), kudin girka (taxe
sur l'initiation au culte de bon), d'autres taxes perçues par la iya et son
personnel gonflent les revenus de l'État.
bu statut du nouveau marié jusqu'à celui de sarkin anna, de
tambara et celui de sarkin noma, le porteur d'un de ces titres doit
manifester le changement de son statut par le versement d'une
certaine redevance à l'État281. Ainsi, cent cauris sont versés au sarki
pour chaque fille qui se marie282. Chaque année des responsables,
chacun selon sa fonction, vont en tournée et ramènent les
contributions de leur domaine, rasse"mblées près des sarakunan
garuruwa par un personnel auxiliaire. Il est certain qu'une partie de
ces perceptions va à tous ceux qui ont participé aux prélèvements et
au regroupement.
Mais, les abus dans ce sens étaient réduits par un système de
contrôle qui régnait entre le sarki .et le conseil électoral, entre le
pouvoir central et le pouvoir des sarakunan garruruwa, entre «l'aile
gauche» du sarki et son «aile droite» et entre les dignitaires, nobles et
libres, et les dignitaires d'origine servile ou eunuques:
Ainsi, nous disposons de suffisamment d'éléments concluants
pour rejeter les déclarations non scientifiques et tendancieuses de
Tilho qui écrivait que «leur (les sarakuna) principale ressource était
280SMITH M. G., op. dt., 1971, pp. 112-115.
281Nous reviendrons sur ces termes plus loin.
282SMITH M. G., ibidem.
158
plutôt la part de butin qu'ils recevaient en retour des expéditions
auxquelles ils participaient. Cette seule raison suffisait à expliquer
pourquoi l'Afrique centrale n'a connu jusqu'à ces derniers temps que
désordres, pillages, anarchies et guerres perpétuelles»283.
Cette déclaration de Tilho résulte des idées préconçues, ne
reposant sur aucune analyse du fonctionnement de la société hausa
et des bases matérielles de ce fonctionnement.
Les recherches n'ont pas encore révélé un seul Etat hausa qui
n'aurait disposé que de butin comme principale base économique.
Ensuite, l'Afrique Noire n'a pas connu que des désordres, des pillages,
des anarchies et des guerres perpétuelles284.
Que des preuves s'accumulent aujourd'hui contre une telle
conception colonialiste de l'histoire, on ne peut qu'en être heureux.
Quand on sait que Tilho a publié le résultat de son travail au début du
XXe Siècle, au moment où le système colonial s'installait et où les
colons avaient besoin des justifications sur leur entreprise coloniale, on
comprend aisément les raisons des telles affirmations qui ont fait
fortune dans les milieux colonialistes et opportunistes285.
283nlHO, II, op. dt., pp. 519-520.
284Nous reviendrons sur cette question des moyens économiques de l'Etat et de l'administration. Sur la question de la signification des guerres entre les Etats de la région nous pensons avec Y.B Usman que l'histoire du Soudan Central est autre chose que l'histoire des guerres fratriddes entre les peuples ; -USMAN Y. G., histoire de Katsina : bande enregistrée à Niamey le 1/4/1975. Sonothèque, IRSH,
BR0460; -USMAN Y. B .• , op. cit., 1972, pp. 177-197 ; -USMAN Y. B., op. dt., 1979(a) ; -USMAN Y. B., op. cit., 1983, pp. 175-210.
285USMAN Y. B., op. cit., 1979(d), 14 p.
159
fJ Le contrôle de la gestion du royaume:
Beaucoup d'études faites sur les Etats hausa présentent encore
les sarakunan sana'a (chefs de corporations) comme de simples
agents de perception de taxes ou d'impôts. Pourtant une analyse de
l'organisation de la société montre que chacune de ces fonctions a un
caractère pluriel. Le sarkin kasuwa (chef du marché) n'est pas un
simple agent de perception des taxes sur le marché. Il organise ce
dernier, l'administre et veille au bon fonctionnement· de cette
institution d1mportance capitale dans la société286. Le sarkin mahalba
(chef de la corporation des chasseurs) à son tour rassemble non
seulement les taxes sur la chasse, contrôle cette dernière dans le
pays, mais aussi participe avec les chasseurs à la guerre et aux
cérémonies religieuses. C'est pourquoi, dans ce paragraphe, nous nous
contenterons de dresser une liste sommaire de ces agents de gestion
et contrôle.
Les biens publics sont soumis au contrôle et à la gestion des
fonctionnaires tels que :
-ma aji ou ajiya : trésorier;
-sarkin barga ou barga : chef des chevaux de la cour royale;
-sarkin Iihida ou Iihidi: responsable des caparaçons;
-sarkin surke ou surke: responsable des côtes de maille;
-sarkin mashi ou mashi: responsable des lances et munitions;
286Rappelons que la notion de chef signifie ici: qui est à la tête de (sarkin kasuwa : chef du marché) ou responsable de (sarkin lihida: responsable des caparaçons) c'est par contraction que les Katsinawa appellent sarkin lihida: Uhldi; sarkin surke: surke; sarkin mashi: mashi, etc ... Pour ce qui est des détails sur le marché voir :
-ADAMU M., op. cit., 1978, p. 12. -NICOLAS G., op. cit., BRO 185, I.R.S.H., p. 17 .
160
-barori (serviteurs) travaillent sur les domaines fonciers (gandayen
sarkl) ou autre propriété du sarki.
Cette organisation de contrôle et de gestion ne se limite pas aux
affaires de l'État. Elle se retrouve dans tous les domaines des activités
socio-économiques du royaume: circulation des biens et des
personnes, sécurité et défense du territoire, etc ... Voici une liste
sosmmaire d'agents :
-tafarki chef de la sécurité d'une voie commerciale dans un royaume.
-sarkin zango chef du quartier des étrangers où y sont souvent
construits des hôtels, des boutiques, etc ...
-sarkin alaru : chef de la corporation des porte-faix.
-sarkin kofa : responsable des portes d'une ville, des entrées et sorties
de cette ville; Ju contrôle des importations et des exportations et
de la sécurité des portes de la ville.
-sarkin kasuwa: (responsable du marché), rôle assumé dans certains
cas par le sarkin fawa (chef de la corporation des bouchers) ; les
dillalai ~ntermédiaires et témoins entre l'acheteur et le vendeur) et
al'mudda (mudda) ou sarauniya constituent une partie de son
personnel.
-sarkin noma 287 : grand agriculteur possédant de vastes domaines
agricoles.
-uban farauta : responsable de la battue.
-sarkin makera : chef de la corporation des forgerons
-tarno: chef de la corporation des tisserands
287 - Nous y reviendrons dans la cérémonie de dubu (mille).
161
-dan baganzame ou sarkin marina chef de la corporation des
teinturiers.
-sarkin majema : chef de la corporation des tanneurs.
-zannuwa: responsable de la corporation des vendeurs du natron.
-gariya: (massai) responsable de la vente du sel.
-almudda ou mudda ou sarauniya : responsable de la vente de grains
sur le marché.
-sarkin dawa ou sarkin daji: responsable de la brousse et de la forêt,
des défrichements, des feux de brousse et de la protection de la
faune.
-sarkin zaki : chef de la corporation des apiculteurs.
-sarkin magina chef de la corporation des maçons.
-sarkin aski ou aska ou sarkin ·wanzamai: chef de la corporation des
barbiers.
-sarkin giya chef de la corporation des distillateurs de la bière du mil.
-sarkin rogo chef de la corporation des producteurs du manioc.
-dokan hatsi: responsable des lois sur le mil.
-sarkin makoda : responsable de la corporation des pileuses du mil •
-magajin yado: responsable de la culture de certaines plantes
rampantes : courges, haricots, calebasses, etc ...
-sarkin hako : responsable de la corporation des chasseurs qui utilisent
les pièges.
-sarkin maroka : chef de la corporation des laudateurs.
-sarkin makada : chef de la corporation des joueurs de tam-tam.
-sarkin koli : chef de la corporation des marchands ambulants.
-sarkin bori: chef de la corporation des pratiquants du culte de
possession.
162
-sarkin an na 288 : responsable des animistes. Lesarkin anna est une
autorité réligieuse.
-sarkin bindiga : chef de la corporation des chasseurs au fusil.
-kauran noma289 : responsable en chef de la culture collective.
-sarkin gwabraye: responsable des hommes divorcés et qui sont
restés sans se remarier.
Tous ces responsables ou agents de contrôle ont chacun un adjoint
qui peut porter le titre de magaji, daudu, yerima, marusa,
ciroma290, etc ... et un personnel dont les postes rappellent à plus d'un
titre ceux du niveau central de l'État. Le véritable but de toutes ces
dispositions est le contrôle de l'organisation des biens, des
potentialités du royaume, des échanges et des transports.
Tous les moyens et les secteurs. de production et d'échanges ,sont
soumis à un contrôle ~t une organisation systématique sans ~ue cela
nuise à l'esprit d1nitiative.
288Le terme anne a· en même temps une connotation religieuse et professionnelle •. Il désigne tous ceux qui pratiquent la religion hausa ante-islamique et à la fois l'agriculture et la chasse comme le veut le kirari suivant: «cinakin anne noma, in rani yayi sai sassabe da farauta » soit littéralement «pendant la saison des pluies l'anne pratique l'agriculture; pendant la saison sèche, Il défriche et va à la battue». 289 A ne pas confondre avec sarkin noma dont nous dirons un mot plus loin.
290Certains de ces termes ont déjà fait l'objet d'une explication, d'autres seront commentés plus loin. Notre corpus de kirari donne plus de détails sur certains de ces titres. -E.C.E, Dan Gaya, mai, 1984 : témoignage de Issa Dan Gaya ; -E.C.E, Gazawa, mai, 1984; --Alhaji Dan Anace : Wakar Mutan Dan Alli: cassette en notre possession.
163
2. Autres institutions.
Dans le Katsina Nord, toute institution revêt à la fois un
caractère politique, économique, social et religieux. Nous procéderons,
dans cette analyse et pour I~ commodit~ de l'exposé, à une approche
de cette catég9rie des institutions par sections même si, dans la
réalité, elles étaient intimement liées. La richesse des institutions et le
souci de concision nous obligent à n'en présenter qu'un nombre
limité.
a) Les différentes catégories sociales
On peut schématiquement scinder la société du Katsina Nord
au XIXe siècle en trois catégories sociales : les masu sarauta291 (le
souverain et les princes du sang) ; les talakawa (les hommes du
commun, libres mais n'appartenant pas à la classe des princes et du
souverain), et les bayi ou bayu (esclaves).
Cette division est très schématique et ne rend pas compte de la
.complexité des catégories sociales, de la possibilité du passage d'une
catégorie sociale à 'une autre et des dynamiques qui animent les
groupes qui composent la société du Katsina. L'analyse du groupe de
l'aristocratie révèle des gens d'origine servile (kaura292, bayin sarki,
. 291Nous avons précisé à plusieurs reprises que le souverain porte le titre de sarki. Le prince porte le titre de biya maradl, ou de ma/na dans les secteurs situés plus à l'est, la princesse porte aussi le titre de blya ,marad/, ou malram dans les secteurs situés plus à l'est. 292L'adage hausa : «mal kuddl abokin sarki» (le riche est l'ami du roi) en dit long sur la position du riche et de son Importance sodale et économique.
164
etc ... ), des eunuques comme Ga/adima, des lettrés musulmans
(imam, a/kali, etc .. ) et des commerçants293.
Ce ne sont pas seulement les princes (yan sarkl) qui forment la
catégorie la plus distinguée de la société, mais tous ceux qui se sont
fait distinguer par leurs aptitudes, leurs talents ou leur instruction.
Bref, les gens qui ont accumulé une certaine richesse ou qui sont
jugés nécessaires pour le fonctionnement du système d'alors, se
trouvaient intégrés dans le groupe le mieux distingué.
C'est ainsi que les gens d'origine servile, ou socialement
méprisés peuvent avoir plus de pouvoir que d'autres, d'origine noble
et/ou libre. En effet, le Ga/ad/ma et le kaura bien qu'eunuques et
esclaves participent activement à l'élection du sarkl et peuvent même
le déposer. Ils contrôlent et limitent, avec d'autres personnes, le
pouvoir des princes.
Le groupe des ta/akawa est le groupe le plus important
numériquement; c'est aussi le groupe qui travaille le plus. Les
ta/akawa sont majoritaires et composés des agriculteurs, artisans,
éleveurs, de tous ceux qui ne sont théoriquement ni ba-sarake
(membre de la dynastie des souverains) ni bawa (esclave). Malgré la
tendance à la spécialisation .au sein des ta/akawa, le cloisonnement
dans la pratique de certains métiers n'est pas assez rigide. Il est vrai
que l'exercice de certains métiers, voire de tous les métiers, est lié à
293Notre enquête à Tasawa, révèle qu'au moment de l'arrivée de Dan Kasawa à Tasawa, Il fut refoulé par les autorités de la ville. Mals une femme du nom de Talle, une riche Touareg lui accorda ·l'hospitalité dans un quartier de la ville : E.I.E, Tasawa, mal, 1984. La vie de kaura Hasau nous montre aussi de quoi sont capables des gens qui n'appartenaient pas à la /ignée des princes.
165
l'expérience et à des pratiques religieuses et magiques, que les
détenteurs ne veulent transmettre qu'à leur descendance, leur
garantissant ainsi le monopole du secret de ce métier. Cette situation
a favorisé la formation des corporations. Mais beaucoup de talakawa
sont à la fois agriculteurs294, chasseurs, éleveurs, marabouts .... selon
les occasions. Dans la société ha usa en général et dans celle du
Katsina Nord en particulier, il n'y a pas une limite rigide dans la
pratique de la sana'a (métier), pourvu que les exigences que requiert
la pratique d'un métier soient satisfaites par celui qui veut le pratiquer.
En général, comme l'a observé 1. Kimba dans l'ouest nigérien,
il faut dire que «la tendance au cloisennement entre les différentes
activités n'a pris véritablement forme qu'avec et' après la
colonisation»295. -,
La pratique libre du commerce, du bori, des études coraniques,
de l'exogamie, etc ... , ne permettent pas de considérer la société du
Katsina Nord au XIX e Siècle comme une société à castes, où sévit
une séparation rigide des différentes catégories sociales.
Des restrictions' existent certes, dans les alliances sociales, pour
des personnes exerçant certains métiers (griots, bouchers), mais la
tendance générale de la société est à la mobilité.
Les esclaves: l'esclavage a bien existé au Katsina Nord du XIXe
siècle. La pratique de Samame (razzia d'esclaves) 296 dans tout le
Katsina Nord est une indication de l'existence de l'esclavage dans la
région. Notre informateur Mamane Galadima Tarna, témoigne que la
294j1 est courant d'entendre les Katsinawa dire: cinakin anne noma, in rani yayi sai sassabe da farauta (l'animiste est agriculteur ou chasseur selon la saison ). Cet adage nous montre bien qu'un habitant du Katslna pouvait être à la fols agriculteur, chasseur et animiste. 295 .' IDRISSA K., op. dt, 1982, p. 27. 296 E.C.E., Gabi, mai, 1984.
166
ville de Tarna est un des centres de vente des esclaves au XIXes297.
Mais, ni nos enquêtes sur le terrain, ni nos consultations, ne nous
permettent d'apprécier l'importance de cet esclavage. La pratique de
samame est limitée et surtout orientée contre les Etats adversaires.
Les guerres du Katsina Nord contre les jihadistes avaient-elles eu des
incidences sur la pratique de l'esclavage dans la région ?
L'absence de données précises ne nous permet pas de
répondre à cette question. Mais déjà au XIX e Siècle, le mouvement
anti-esclavagiste est développé, et la demande est de plus en plus
réduite. Le mouvement de l'islamisation peut avoir également limité
l'esclavage. Quoi qu'il en soit, l'analyse de la catégorie des esclaves
révèle également qu'à ce niveau aussi les différenciations sociales et
les inégalités persistent.
Il y a des esclaves de sarki qui, bien qu'esclaves, jouissent du
pouvoir du sarki. Toute atteinte à leur personnalité est considérée
comme un manque de respect au pouvoir du sarki ( renuwar sarauta)
et de la propriété du sarki.
Ils ont ainsi plus du pouvoir qu'un talaka quelconque. Ainsi, les
esclaves de toute personne distinguée, peuvent bénéficier de la
position de leur propriétaire. Mais quel que soit le sort des esclaves,
leur liberté est très limitée et ils restent la propriété et les moyens de
production de leur maître. La guerre, le commerce et la naissance sont
les principaux moyens de se procurer des esclaves.
Le statut des esclaves de l'époque précoloniale leur permet
d'accumuler des richesses au point de s'affranchir (fansa). Certaines
297E.In E, Niamey, 21 mars, 1985: Témoignage de Mamane Galadima Tarna. Notre Informateur né en 1935 affirme qu11 détient encore la chaine avec laquelle on attachait les esclaves au marché de Tama.
167
.----\
esclaves peuvent bénéficier du statut de yan sa daka au singulier yar
sa daka (intégrées ou concubines légales) et deviennent ainsi les
femmes de leurs maîtres. Ses enfants sont des enfants libres et
peuvent jouir du même droit que les enfants d'une co-épouse libre.
Comme nous le disions tantôt, la question de l'esclavage reste
pertinente dans le cas précis du Katslna Nord. Malgré certaines
données générales sur l'esclavage dans la région 298, rien ne nous
permet d'apprécier à sa juste valeur, la part de l'esclavage dans les
préoccupations des habitants du Katsina Nord au XIX e Siècle.
b) ·Le mariage ---
Com~e dans beaucoup dé sociétés africaines, le mariage au
Katsina Nord est une institution très importante. Il permet non
seulement de perpétuer l'espèce humaine dans l'ordre, mais aussi
permet au groupe qui donne et/ou qui reçoit en mariage, d'élargir ses
partenaires sociaux. Le mariage revêt également un caractère
économique surtout qu11 s'agit ici d'une société polygame, où nourrir
une grande famille exige de gros efforts de production. Mais avoir une
grande famille offre aussi une importante force humaine de
production, quand. on sait que la principale force productive était
l'homme.
298SeJon le témoignage de Oapperton, en 1824 la population de Kano est à 50 % composée des esclaves ; en 1827 le même auteur rapporte le fait que les esclaves dépassaient les hommes libres. Barth pense que les esclaves étaient aussi nombreux que les hommes libres. Irmgard Sell nous donne une proportion des esdaves qui variait entre 25 et 50 % des populations totales. Ces propos critiquables bien sûr sont rapportés par: -ASHER HumphreyJ., «The Sokoto caliphate in
----" diplomatie perspectives» LAJf,.Volume XIII, 1972, p.334. - E.C.E, J/ratawa , mal, 1984 : Alhajl Iro nous rapporte que les jeunes qui faisaient un enfant naturel étalen vendus comme esclaves. Mais ils pouvaient être rachetés par les leurs.
168
Le mariage est aussi une institution religieuse. Le panthéon
animiste révèle un aspect d'une structure fondée sur le mariage entre
les différents dieux et déesses. Ainsi, l'ordre religieux anne, qui fut le
premier fondement idéologique de la société du Katsina, enseigne
pour une grande part le mariage. Beaucoup de manifestation des
cérémonies du mariage sont liées au culte anne, et bon nombre de
mariages, au début du XIX e siècle sont célébrés de façon purement
anna, selon une de nos informatrices, Hajiya Gado299.
~-----l'islam, religion adoptée par beaucoup de Katsinawa dont les
sou\l~r~ins--mêmes du XIXe siècle, recommande aux fidèles de se
marier. Parmi les réformes entreprises vers la fin du XVIII e siècle par
le roi du Katsina Ibrahim Maje, figurent des>mesures dictées par la
religion musulmane : la chronique de katsina enseigne "qu11 ordonna
aux gens de se marier et de prier"300.
L'ordre de la sarauta peut s'expliquer, dans une èertaines
mesure, comme un acte de mariage, entre le sarki mijin kasar Katsina
(le roi époux du territoire du Katsina) et le royaume (Kasar
Katslna)301 i ce qui rend possible le rapprochement de l'~liance du roi
(sarkl) avec son royaume (kasa), l'alliance qui régit le rapport entre le
ango (jeune marié) et la amarya üeune mariée). Le rapport entre le
rôle du sarki et le rôle du mari est évident- dans la mentalité des
Ka tsinawa. Le sarki est le maître du royaume comme le mari est le
299.LEROUX H., op. cit., 1984, pp. 604-620 ; -MOUNFOUGA-NICOlAS Jacqueline, op. cit., 1972, pp. 355-360 ; -E.In.E, Bargaja, Mars, 1983, Avril et Mai 1984, témoignage de Hajiya Gado. 300pALMER H. R., op. cit., 1967, pp. 81-82.
-------301 Précisions que Kasa est au féminin dans la langue hausa et le terme sarki au masculin d'où le mariage entre le masculin sarki (le roi) et le féminin kasa (la "terre" au sens du pays).
169
maÎtre du foyer. Lorsqu'on saisit l'importance de ce rapport on
comprend aisément le sort réservé au gwabr0302.
Le mariage étant un acte qui régit les relations sociales, il
impose aussi aux partenaires des conduites modèles. Les jeunes
doivent se comporter d'une manière convenable entre eux, d'une part,
et à l'égard de leurs beaux-parents d'autre part. De même que les
beaux parents doivent adopter une certaine conduite à l'égard de leurs
gendres ou brues.
La polygamie est une pratique très ancienne au Katsina Nord.
Deux sortes de mariages existent: le premier mariage entre deux
jeunes ouauran farin et le mariage d'un homme avec une femme
ayant chacun déjà contracté un autre mariage. Ce dernier cas
s'appelle auran jawarci. Une troisième forme intermédiaire existe dans
le cas du mariage entre homme déjà marié et une fille qui contracte
avec lui son premier mariage ou vice versa 303 .
Le premier mariage de deux jeunes gens est précédé par une
période defiançailles au cours de laquelle le jeune homme·fait la cour
à sa fianc~~ (tsarince). Au cours du tsarince, qu'on peut rapprocher du
terme Songhay-zarma fakarey, les deux jeunes peuvent même passer.
la nuit ensemble sans pour autant consommer l'acte charnel.
302Gwabro au masculin singulier, gwabruwa au féminin singulier et gwabaraye au pluriel. Ce terme s'applique à l'homme où à la femme, d'un certain âge, non mariés. 303Nous ignorons comment les Katsinawa appellent un tel mariage.
170
Au cours des fiançailles, le jeune homme fait des cadeaux à sa
fiancée pour manifester ses sentiments à son égard. Pendant le temps
des fiançailles, les deux amants apprennent à se connaître pour savoir
s'ils peuvent vivre ensemble ou" pas. Mais c'est surtout la conduite et
l'origine sociale des jeunes gens qui sont déterminantes dans le
mariage304.
Si la tagode30S est une aide du jeune à sa belle famille, elle n'en
demeure pas moins un moyen de contrôler les relations sociales du
garçon. Un jeune homme qui entretient des bonnes relations dans son
milieu social parvient à mobiliser beaucoup de personnes pour sa
tagode. En plus, les personnes sollicitées par ce jeune homme sont
plus déterminées à faire un meilleur travail.
Les relations de fiançailles et d'appartenance à la classe des
jeunes, imposent une certaine conduite. Le jeune homme ou la jeune
fille ne doit pas manger n'importe comment et n1mporte où.
Tout jeune qui enfreint cette règle· se voit sanctionner par les
• jeunes du sexe opposé. Cette sanction est connue sous le nom de
dubu.306 De même qu'il existe une relation de respect et de retenue
304les jeunes d'une certaine distinction sociale ont tendance à se marier entre eux. -l1lHO, op. cit., 1906-1909, p. 514.
305Tagode : Un travail collectif organisé par un garçon pour sa belle famille. Il pouvait le faire volontairement ou sur la demande de la belle famille. 306 Dubu : U ne faut pas confondre ici le dubu réalisé par le sarkin noma et le dubu qui consistait à fournir une grande quantité d'aliments au jeune de sexe opposé trouvé en train de manger d'une certaine manière ou dans un certain lieu. Il est certain qu11 existe un rapprochement entre les deux faits. Nous reviendrons plus loin sur le dubu du sarkin noma.
171
\
entre les jeunes, de même cette relation de respect et de. scrupule est
de rigueur entre les jeunes et leurs beaux-parents307.
Une fois que le mariage est décidé par les deux belles familles,
une dot en cauris est versée à la famille' de la jeune fille. Le montant
de cette dot varie entre 20 000 et 60 000 cauris selon Tilh0308.
Les cérémonies du mariage durent une bonne semaine et
rappellent à beaucoup d'égards la semaine de 11nvestiture du sarki. Si \
au cours de cette semaine le sarki se retire chez le Galadima, le ango
ou la amariya, eux, se retirent chez leurs oncles avec leurs amis (es) ;
on constatera également que si le sarki élu subit le wankan sarâuta,
le <Jngo ou la amariya, subissent aussi le wankan aure et dans
certains cas la amariya est même montée sur un cheval comme le
sarki ou la iya. Les rites religieux liés au mariage varient selon les
groupes ou les corporations professionnelles.
La durée de zaman lalle309 varie aussi selon qu'il s'agit des fils
des taJakawa ou des enfants des dignitaires ou dès princes.
Pour les enfants des taJakawa ou des dignitaires cette durée
est d'une semaine310.
En cas de mariage des princes et des princesses, le zaman Jalle
dure deux bonnes semaines.
L'organisation du mariage des princesses incombe à la iya,
tandis que celui des princes incombe au Galadima.
307 IDRISSA K., op. dt., 1982, p. 20.
3°BnLHO, II, op. cit., 1906, p. 514, pour tous les détails des dépen~es du mariage et certaines pratiques nous prions nos lecteurs de bien vouloir se référer aux Documents scientifiques de la mission Tllho, II, op. dt., 1906-1911, pp. 513-515
309 Zaman lalle : semaine consacrée aux cérémonies de mariage. Durant cette semaine le ango ou la amarya s'enduisaient le corps, les pieds et les mains du hénné. 310E•ca E, Maradl, mai, 1984 i -E.C.E, Gazawa, mai, 1984, Témoignage de Yérima Nomao.
172
Selon Yerima Nomao de la catégorie de bayin sarki, à la cour
de Gazawa, le zaman Jalle des enfants de kaura doit durer un mois ;
mais aujourd'hui, il n'est que de deux semaines selon le même
informateur. Les raisons de ce changement ne nous ont pas été
données.
c) La cérémonie de van sha
Il ne saurait être question de faire un inventaire de toutes les
fêtes de la société du Katsina Nord.
Beaucoup d'institutions ont déjà été évoquées. La nomination
du sarki, le mariage, le tra~ail collectif, les victoires entre autres, sont
des occasions de faire la fête et de manifestations. D'autres, que nous
évoquerons par la suite, revêtent également un caractère de fête. Il
s'agit ici de présenter 11nstitution de yan sha311.
Le yan sha est un exemple significatif compte tenu de
l'organisation sociale qui l'anime, de son importance dans les relations -
entre les régions et entre les jeunes et de la période de sa célébration.
Ce serait, sans aucun doute, une erreur de qualifier le wasa
kara de simple fête. Le Yan sha est une fête de la jeunesse, célébrée à
la suite de la récolte du mil. Ainsi, si les activités agricoles sont
inaugurées par des cérémonies de budin daji, leur fin est annoncée
par cette fête des jeunes. Elle demeure une occasion de jeux, de
danse, de visite afin de lier amitié ou de renforcer celle-ci, dans le
cadre des organisations des jeunes gens de villages voisins. Chaque
311 Yan sha ou wasa kara. à travers la samariya, l'évolution tend à ne retenir que l'aspect organisationnel de cette institution. Le wasa kara ou yan sha, comme l'expression 11ndique, est une fête de fin de récoltes à travers une organisation.
173
jeune au sein de l'organisation de son village, rivalise d'ingéniosité,
d'hospitalité et de solidarité pour dépasser en prestige son partenaire
'du village voisin, en même temps que l'organisation du partenaire. De
ce fait, le yan sha est l'occasion des dons et des contre-dons entre les
membres des organisations partenaires. En tant que maillon de
l'organisation sociale, le wasa kara est en même temps une école de
vie pour les jeunes. Tout en favorisant les contacts entre les jeunes
d'une région, elle est en même temps une émulation à la réussite
collective, puisque tout se fait dans son organisation et pour l'honneur
de son village et de ses ancêtres. Cette organisation permet
également l'intériorisation par les jeunes de l'ordre'socio-politque312.
Elle exprime toute l'organisation sociale en vigueur. La plupart des
jeunes reçoivent chacun une fonction ou un titre des institutions de la
société et joue avec conviction le rôle qui y est attaché. Tous les
niveaux de l'o~ganisation sociale sont représentés au sein de cette
institution. Elle est dirigée par un sarkin samari (roi des jeunes)
correspondant du sarkin kasar Katsina (le roi du pays de Katsina).
Les ta/akawa, les barori, les bayi, le sarkin anna et tous les
sarakunan sana'a y sont représentés. Cette organisation n'a pas été
statique. Elle intégra au fur et à mesure de l'évolution des éléments de
la religion musulmane-mallamai (marabouts), des juges (a/ka/al), le
poste de l'imam (liman)- et du système colonial313. C'est ainsi qu'on
verra apparaître au sein de cette organisation les postes de : likita
312MOUNFOUGA-NICOLAS Jacqueline, op.c It., 1972.
313MOUNFOUGA-NICOLAS Jacqueline, op. cit., 1972, pp.35-36,
174
(infirmier), juju üuge occidental), kumandan (le commandant de
cercle), mai dajp14 (garde des eaux et forêts), etc ...
d) Les institutions de dubu et kan kwariva :
Il est très difficile de remonter à l'origine de certains titres
auxquels sont liées certaines cérémonies. Beaucoup de travaux
intéressants ont été réalisés sur le thème du processus de la formation
de l'État et les organisations sociales dans le kasar hausa (pays
hausa)315.
Mais l'étude de certains titres comme le sarkin noma, la
tambara, etc ... reste à faire. Dans beaucoup de cas, ces faits n'ont pas
été examinés avec attention ou alors ils ont été très peu abordés. Ces
faits, pour être mieux élucidés, devraient faire . l'objet d'une étude
spéCiale. Les. cérémonies de dubu et de kan kwariya, encore vivaces
aux XIXe et même au XXe Siècles devraient faire l'objet d'une étude
minutieuse. Nous ne pouvons nous étendre sur ces deux institutions
dans le cadre de ce travail, malgré leur importance.
314Avant la colonisation, le poste de sarkin daji et de mai daji ou mai dawa existaient. Mais ils ont gardé leur seul contenu professionnel et religieux : la chasse par exemple, laissant au garde des eaux et forêts, la fonction d'administrateur dans la circonstance de wasa kara. Ainsi l'appellation de mai daji n'est pas nouvelle.
315 SMITH A., op. cit., 1971 ; - SMITH A., op .dt., 1976, pp. 152-195 ; -SMITH A., op. dt., 1982, pp. 16-51. - SUTION J. E.G., «Towards a less orthodox history of hausaland» MJ:b. XX, 1979, pp. 179-201 ; -USMAN Y. B., op. cit., 1978, pp. 396-414. - Usman Y. B., op. cit., 1979(d).
175
1
' ....
• Le Dubu:
Le dubU316 peut être défini comme la cérémonie qu'un
agriculteur organise pour célébrer sa promotion d'agriculteur distingué.
Toutes les études réa1isées sur la question des organisations
économiques et socio-politiques dans le kasar hausa, comme ailleurs,
accordent une importance considérable aux agriculteurs. Mais aucune
étude ne nous permet de dater l'apparition du titre de sarkin noma.
Néanmoins, grâce aux travaux de Smith, Nicolas et d'Usman Y. B.
nous pouvons constater que des institutions relatives aux sàrkin noma
existaient au Katsina avant l'avènement de Muhammad Korau et le
XlXe Siècle317.
Malgré ces tr~vaux, rien ne nous permet de savoir s11 était
toujours obligatoire de passer par le dubu pour acquérir le titre de
sarkin noma à l'époque étudiée par A. Smith. La cérémonie avait-elle
disparu puis réapparu, ou bien était elle intervenue à un moment où la
demande en produits agricoles était importante et où la technique
avait permis aux agriculteurs d'acquérir un surplus de production pour
316NICOLAS G., op. dt, 1976, pp. 114-117 i 297-9 aborde cette question. Mals sa perspective accorde trop d1mportance à la structure clanique. Dubu : signifie le nombre mille en hausa. ·11 s'agit Ici d'un minimum de mille bottes de mil qu'un agriculteur doit produire pour cette cérémonie. Tandis que la kan-kwarya littéralement «amener la· calebasse» est une cérémonie féminine, au cours de laquelle une femme fête sa puissance économique et prend le titre de Tambara. Nous avons déjà parler de tambara (masculin :. tambarl ), tambours royaux et tambari,titre d'un dignitaire d'une tribu twareg, tambari Gabda par exemple au nord de Maradl au XlXe S : selon ABRAHAM R. c., 1962, p. 847, tambara est un titre de la sarauta des femmes cf Abzln i une connexion est donc possible entre ces différentes variantes de tambari. 317SMITH A., op. dt., 1976, pp. 152-195. -USMAN Y. B., op. dt., 1981, (a), p. 12, signale bien l'existence des Institutions politiques avant l'époque de Muhammad Korau i -NICOLAS G., op. dt, 197~t-Pp. 114-117 i 297-299.
176
se payer le luxe d'une telle cérémonie ? Nous estimons que c'est dans
cette démarche qu'il faut aborder la question. Mais d'ores et déjà, à
partir de cette cérémonie, nous pouvons constater, l'importance
accordée à la production agricole et à ceux qui la contrôlaient.
La cérémonie de dubu était de rigueur au XIXe Siècle pour être
sarkin noma, dli moins "au Katsina NorcP18.
Dans cette région où l'agriculture et la chasse tenaient une
place de choix, il n'est pas surprenant de voir un titre relevant de ces
activités prendre de I~mportance.
L'agriculteur qui avait I~ntention de réaliser le dubu devait produire au
moins mille bottes de mil, au préalable319.
Le dubu intéressait les agriculteurs qui avalent la réputation
d'être des grands exploi~nts, capables de meilleure production bon
an, mal an. C'est au stade de l'épiaison du mil que cette cérémonie
comme·nce. Car c'est avec les épis qui se dégagent que la gerbe
rituelle de la cérémonie doit être formée.
Ainsi, le nouveau prétendant au titre de sarkin noma informait
les autorités dont il relevait, de son intention de réaliser le dubu. Le
jour de la cérémonie, le sarki ou son représentant dans la localité,
fournissait à l'agriculteur en question les habits de son investiture
comme sarkin noma.
Ensuite, le candidat choisissait parmi les anciens sarakunan
noma son initiateur et guide de la -cérémonie (shugaba). La cérémonie
31s,-ous les témoignages de 'nos informateurs convergent sur cette question. 319En réalité, un millier de bottes de mil était nettement Insuffisant pour réaliser cette cérémonie. Il faut beaucoup plus de moyens pour entretenir tous les Invités. En plus, le candidat doit disposer d'un surplus de produits agricoles pour subvenir aux besoins de sa famille et se montrer à la hauteur de son nouveau rang social en cas de nécessité.
177
de dubu est associée aux cultes de certaines divinités du domaine de
l'agriculture : kure, doguwa fara, uwal gona.
Le dernier jour de la cérémonie -ranar rabon dukiya- est
l'occasion des grandes festivités; les repas' et la bière de mil étaient
abondants. Le sarkin noma subissait le wankan sarauta, c'est à dire
certains rites d1nitiations.
Comme le sarkin kasa au moment de son intronisation, le
nouveau sarkin noma est également soigneusement gardé, car il est
guetté par de mauvais sorts et des attentats de la part de ses
congénères qui n'ont 'pas pu acquérir le titre dé sarkin noma ou par
les anciens sarakunan noma qui voient arriver un nouveau concurrent.
Le jour de rabon dukiya, le nouveau sarkin noma fait beaucoup de
dons et reçoit des aides. Le titre de sarkin n()ma était très recherché
par les grands agriculteurs. Ce titre conférait. un grand prestige à ses
détenteurs : le droit de s'asseoir sur une natte lors des cérémonies
publiques, le port d'une hache, insigne d'agriculteur distingué. A
TSibiri, le sarkin noma tenait une épée qui serait le symbole de celle
du fondateur des sept États Hausa320.
Les sarakunan noma forment une catégorie distinguée,
supposée détenir un stock important de produits agricoles. Ils ont des
facilités pour se marier ou pour marier leurs enfants. Un grand
agriculteur ~ui n'arrive pas à réaliser cette cérémonie se sent frustré.
Cette catégorie est aussi supposée detenir le secret de l'agriculture et
leurs voisins se sentaient protégés en cas de nécessité.
Le titre de sarkin noma est donc le signe d'un pouvoir
économique et religieux dans le contexte précolonial du Katsina. Le
320 Nicolas G., op. cit., 1976, planche II p. 116.
178
détenteur de ce titre est capable d'aider les populations de sa région,
voire les autorités, en cas de difficultés ou de besoin. Ainsi, une région
qui comportait un nombre important de sarakunan noma, faisait figure
de région plus ou moins invulnérable économiquement et est censée
attirer les marchands.
Si le titre de sarkin noma est une distinction professionnelle,
économique et sociale, le détenteur de ce titre ne demeure pas moins
important pour la société tout entière. En plus, l'institution est
également une émulation sociale dans les activités de production. Et si
les détails de cette cérémonie nous échappent, son importance et sa
signification sont, aujourd'hui, connues. Le titre de sarkin noma est
différent du titre de goje ou kauran noma321. La catégorie de
sarakunan noma est hiérarchisée.
Un candidat qui arrive à réaliser un second dubu porte le titre de
sarki hatsP22. Il est nommé par une assemblée de sarakunan noma;
il dispose d'une cour composée de
- Son adjoint : kauran hatsi ;
- Tambarin hatsi : chargé de rassembler les aliments et la bière
de mil nécessaires à l'organisation des cérémonies de dubu ;
- Giyarci: organise les invités et présente les gerbes de mil
offertes au sarkin hatsi par un nouveau sarkin noma ;
- Maji dadi (l'heureux), intermédiaire entre le sarkin hatsi et ses
sarakunan noma.
321le titre de goje ou kauran noma relève d'une organisation des jeunes pour un labour collectif. Kauran noma qui a pour adjoint marusa est toujours à la tête d'une culture collective. Il est aussi différent du titre de sarkin anna qui a plutôt une connotation religieuse.
322Sarkin hatsi: hatsi = mil, sarkin hatsi = littéralement le maître du mil.
179
Après ces quatre dignitaires, viennent les sarakunan lafiya, chargés
de médecines, puis les sarakunan noma et enfin les yan galadiman
gona (littéralement: prinées de champs) prétendants présumés au
titre de sarakunan noma323 .
. La kan kwariva
La kan kwariya était donc la version féminine du dubu. Des
femmes préparent discrètement, des années durant, leur cérémonie
de kan kwariya littéralement "porter la calebasse". L1déal était pour
chaque femme de réaliser cette cérémonie dans un t~mps record et au
plus, trois fois dans sa vie324. Dans la mesure de ses pOSSibilités, elle
aidait ses filles et ses petites-filles à réaliser cette cérémonie. Comme
l'agriculteur qui désire réaliser le dubu, la femme qui a l'intention de
réaliser la kan kwariya informe par des dons les autorités
administratives et politiques dont elle relève.
Le jour de la cérémonie, elle invite toutes les femmes de sa
région qui ont réalisé cette cérémonie, ses amies, ses parents, des
connaissances et surtout des griots notamment sa zabaya325.
L'intéressée faisait des cadeaux aux griots, à ses servantes et
serviteurs (barori ; au singulier: bara) ; à Jiratawa elle donnait des
zugaigai (au singulier: zugu), du bugai,326 etc .. à Uban dawaki.
323N1COLAS G., op. dt., 1976, p. 116.
324La Kan Kwariya n exprimait autre chose que la réussite et la promotion sOdo-économique. - la première cérémonie est appelée : kan kwariya ta farko ; -la deuxième : kan kwariya wankin idanu ; -La troisième : kan kwarfaya ta tsarki ; -E.C.E, Jiratawa ; E.C.E, Dan Gaya, E.In.E., Bargaja, Mai, 1984. 325 Zabaya, cantatrice, femme qui chante les louanges. Très souvent, à travers les louanges de certaines femmes, elle se moque des autres (zambo).
180
Comme dans la plupart des cérémonies dans cette société, le
festin ne manquait pas. Le bugai était prépar~ en grande quantité ;
l'intéressée immolait deux boucs, faisait du tuwo (pâte de mil),
etc ... Elle pouvait recevoir, sous forme de contre dons, des aides
(taimako) de la plupart de ses partenaires sociaux et de ses parents.
La kan kwariya est une occasion de grandes dépenses pour son
auteur. Le plus 'souvent, la richesse distribuée le jour de la cérémonie
requiert des efforts de travail, de bonne gestion, d'économie durant
des années. Par la kan kwariya, l'auteur acquiert du prestige, un rang
social élevé et porte le titre de tambara qui est socialement valorisé.
En plus, elle a droit à la danse arauraye327 réservée aux seules
femmes qui ont réalisé la kan kwariya. Le titre de tambara suscite la
curiosité328. Il rappelle le tambari (ettebel en tamasheq329) qui est
un dignitaire d'un groupe des Touareg situés au nord ouest de
Maradi; il rappelle également le tambari qui est un des douze
tambours royaux et le gar~ien de ces tambours (tambura).
Ici aussi, comme dans le cas de sarkin noma, il nous est impossible de
situer dans le temps l'apparition du titre de tambara et ses rapports
avec les tambours de la cour du sarki (tambura) ou le dignitaire
responsable de ces tambours.
Le rapport très étroit entre les différentes institutions dans la
société étudiée permet de poser 'l'hypothèse d'un rapport plausible
326zUgu : une sorte de rouleau d'étoffe de production locale. Bugai ou bagayi: cadaba farinosa dont les feuilles ou les écorces sont utilisées avec du mil pour faire une sorte de biscuit local sucré. 327 A Rauraye: littéralement «qu'on sélectionne».
328ABRAHAM R. C., op. cit., 1962, p. 847 ; -SMITH R. C., op. dt., 1971. -E.In.E, Témoignage de Hajiya Gado. Bargaja, 1983 et 1984. 329USMAN Y. B.f op.cit., 1972, p. 195.
181
entre le titre de tambara et celui de tambura gardien des tambours
royaux (tambura). Cette hypothèse n'exclut pas un rapport avec le
titre tambari des Touareg, peuple voisin. On serait tenté de qualifier
les institutions de kan kwariya et de du bu d'ostentatoires. Cette
hypothèse apparaîtrait plausible dans la perspective occidentale de la
loi de «l'offre et la demande» . Cependant, nous ne pensons pas que
ces pratiques aient suscité du gaspillage : elles reflétaient simplement
le désir de valorisation économique et sociale des populations qui s'y
adonnaient. Le jugement des détracteurs de ces pratiques ne repose
donc sur aucun fondement.
D'abord nous ne saurions apprécier des éléments de la société
du Soudan Central au XIXe Siècle uniquement à partir des lois de
l'économiè capitaliste. Ensuite, bien que les deux institutions abordées
ici im'pliquent de grosses dépenses, il n'en demeure pas moins qu'elles
stimulaient la production, l'initiative, les échanges, la concurrence, les
rapports sociaux et exprimaient les préoccupations de la recherche du
rang social, et de 11nfluence.
Dans ces conditions, les détenteurs des titres de sarkin noma
et de tambara faisaient partie de la catégorie de masu zarafi (les
riches) auxquels il fallait faire recours pour des emprunts, pour
proposer des achats et pour chercher certains produits rares. Si ces
cérémonies occasionnaient des dépenses, il n'en demeure pas moins
qu'e"e~ offraient à leurs auteurs des possibilités330 énormes de faire
des affaires. Or, le commerce et les affaires tiennent une place
importante dans l'évolution de la société hausa.
330ees deux institutions abordées ici n'ont pas été étudiées en détail. le cadre de ce travail ne le permet pas. Mais un projet d'étude sur les deux institutions est envisagés pour l'avenir. - ADAMU M. et SAUFOU A., «Naissance et évolution des Etats hausa», 1981, pp .8 - 51 cité par SALEY M., op. dt, 1982, pp.12, 19,82. '
182
e) Deux modèles de travaux collectifs: La gawa et la gukkun
«Dans les société où l'énergie humaine est la principale source
d'énergie, où l'équipement est précaire, où les variations de
productivité sont limitées, le seul moyen de rendre le travail efficace
et rentable est l'union des forces, la coopération. Nous avons vu que
celle-ci existe déjà au niveau de la communauté familiale. Elle revêt au
niveau de l'ensemble villageois et parfois même à l'échelle
intervillageoise un caractère plus spontané et collectif, avec des
fonctions socio-économiques diverses et concerne des secteurs aussi
variés qu~ l'agriculture, la chasse, les travaux publics, la construction
d'habitation, etc ... » constate Idrissa K. dans ses travaux sur l'ouest
nigérien331.
Il est heureux de constater cette ressemblance dans
l'organisation du travail entre les populations de l'espace nigérien
précolonial. Mais cette ressemblance cesse d'être une surprise quand
on sait que les populations de l'espace nigérien précolonial évoluaient
dans des conditions naturelles semblables et qu'elles avaient
historiquement évolué côte à côte332.
331IDRISSA K., op. cit., 1982, pp. 17-18.
332HAMANIDj., «Courants migratoires Ayr ha usa avant le XIXe siècle», Niamey I.R.S.H., BRQ, 585, 1979(a), pp. 6-7 -~ II, op. dt., 1970, pp. 5-6 ;. -ADAMU M, The hausa factor in west African hlstory. Zaria, A.B.UP., 1978, pp. 2-4. -USMAN Y. B., «The transformation of politcal communities, some notes on the perception of a
significant dimension of the Sokoto caliphate» in USMAN Y. B. (Éd.), Stud1es in the history of the Sokoto cailiphate. The Sokoto seminer paDers. Zaria, A.B.U.P., 1979, pp. 48-51,
-PAMER H. R, op. dt., 1967, pp. 79-83 ;
183
Ainsi, cette description de boogu faite par Idrissa ressemble
beaucoup à la gawa333 de la société du Katsina Nord au XIXe S. U~
membre de la communauté· qui se trouve dans le besoin, peut faire
appel à l'aide de .Ia communauté pour un travail quelconque. Le
principe était de faire circuler I~nformation en indiquant la nature, la
date et le lieu du travail. Ce travail collectif sur invitation s'appelait la
gawa. Le travail peut réunir plus ou moins de participants selon la
nature et I~mportance du travail à effectuer. Dans le cas précis de la
culture, I~nformation passe d'abord de l'intéressé au kauran noma de
sa communauté . Ce dernier informe à son tour les jeunes qui sont
sous sa conduite pour toute question concernant ce genre de travail.
Si nécessaire, le kauran noma passe l'information au niveau de ses
homologues des autres villages ou villes. Les griots ne manquaient
jamais à 'ce genre de rendez-vous.
L'invitant prend en charge le repas de tous les travailleurs
venus pour la circonstance. Mais il reçoit des aides (taimako) tant pour
la nourriture que pour l'hébergement. Une autre forme de travail
collectif, la gukkun, concerne uniquement la cuiture. Sa particularité
tient au fait que ce n'est pas le propriétaire du domaine de travail qui
invite les travailleurs. Le kauran noma d'une -communauté et ses
travailleurs entreprennent discrètement, le plus souvent la . nuit, de
cultiver dans un temps record, les domaines d'un grand propriétaire,
peut-être un sarkin noma.334
La nouvelle se répand dans toute la région et les kaurayan
noma des autres garuru'('la accourent avec leurs jeunes en gudumuwa
333 Boogu terme Zarma, forme de travail collectif, voir IDRISSA K., op. dt., 1982, p. 18, se rapproche du Gayya : travail collectif organisé par les jeunes sur une invitation.
334 Voir le paragraphe précédent.
184
ou taimako (aide ou assistance) aux kauran noma qui est à l'origine de
ce travail335. C'est une gloire pour les travailleurs de gukkun de
cultiver entièrement et dans un temps record tous les champs d'un
même propriétaire, si vastes soient-ils. Comme c'est une gloire pour le
propriétaire des champs, en question que les travailleurs soient
incapables de cultiver tous s~s champs ou qu'ils mettent beaucoup de
jours avant d'y parvenir. Si les travailleurs en question n'arrivent pas à
cultiver entièrement les domaines entrepris, le propriétaire sera fier
d'être un grand propriétaire terrien dont les domaines dépassent le
travail des jeunes de toute une région, même avec l'exhortation de
tous leurs griots et des filles.
Si la gayya et la gukkun étaient des formes de solidarité et de
coopération, elles étaient aussi l'occasion pour les jeunes de tester la
capacité de leur union et leurs efforts. C'était également une occasion
pour les travailleurs de s'affronter. ,Chaque équipe voulait se montrer
la meilleure et chaque travailleur désirait être le plus fort, le plus
résistant, le plus expérimenté dans le travail.
D'autres formes de travail collectif sont organisées pour le
travail du domaine de sarki (gandun sarkl), pour aider un malade,
pour travailler les champs de quelqu'un qui est absent au moment où
tombent les premières pluies ou chez les beaux-parents d'un jeune.,
Ici comme ailleurs, la hiérarchie ou l'organisation ne faisaient
pas défaut. Dans tous les cas, la gayya ou la gukkun était dirigée par
le kauran noma ou goje, comme l'indique son kirari :
335 l'étymologie des termes gayya et gukkun n'a pas été établie.
185
Gaje gaban gayya !
Abin da ya yi Gaje ai shi ya yi Kaura !
Gaje ta aiki !
Traduction:
Gaje le travailleur principal de gayya336 !
Gaje et kaura sont deux titres identiques !
Gaje, titre de travail !
Kaura mobilise les jeunes qu'il dirige, convoque le griot
makadin gayya (le griot du travail collectif) ou makadin nama qui va
exhorter les laboureurs au cours du travail. Le Kauran nama est
secondé de son adjoint: marusan kauran nama. Ce dernier est le
prétendant au titre de kauran nama.
f) La cérémonie de budin daji ou budin dawa337
La société du Katsina Nord au XIX e Siècle était une société
autant animiste que musulmane. L'animisme au même titre que l'slam
intervenait dans toutes les manifestations de la vie et présidait à
toutes les activités338. Il suffit d'écouter le.s récits d'ntronisation des
336ABRAHAM R. C., op. cit., 1962, p. 332 et Mati Dan Lady, Dan-Gaya, mars, 1983 ;
337 Daj; ou Dawa signifie en hausa la brousse id il englobe aussi la forêt. Et bud;n daji signifierait 11nauguration des activités dans la brousse et la forêt. 338pour tout détail voir : -LEROUX H., op.cit., 1948, pp. 595-697. -MOUNFOUGA-NICOLAS J., op. dt., 1972. -Nicolas G., op. cit., 1975, 670 P ; -AlKAU M. B., op. cit., 1969, pp. 120-124.
186
sarakuna, des cérémonies qui accompagnent les activités relatives à la
vie dans cette société ou d'y assister même en plein vingtième siècle
pour se convaincre de cette vérité339.
Les activités agricoles, la chasse, la pêche et l'élevage
comptaient pour une large part dans la vie des populations du Katsina
Nord au XIXe Siècle. Or, chaque année, une cérémonie animiste
inaugurait toutes ces activités. Aucune activité significative n'était
entreprise avant la cérémonie et les consultations religieuses.
La question de l'origine de cette cérémonie se pose encore.
Selon G. Nicolas, les Basarawa, derniers responsables de ce culte au
XXe siècle auraient émigré du Gobir au début du XIXe siècle et se
seraient installés au Nord du Katsina à Jiratawa340. Le même groupe
aurait émigré de Jiratawa pour s'installer à 12 km à l'est de Jiratawa,
où ils auraient fondé un hameau dénommé Gidan Basare341, l'actuel
village de Basarawa. Ce déplacement aurait eu lieu en 1910342. Les
raisons qui ont poussé le groupe de Basare à quitter le Gobir au début
du XIXe siècle et à s~nstaller au Katsina Nord ne sont pas explicitées.
Le lieu même de leur départ du Gobir est à découvrir. De même, les
causes du départ des Basarawa de Jiratawa à Gidan Basare restent à
éclaircir d'autant plus qu'après leur installation à Gidan Basare, ils
reviennent toujours à Jiratawa quand il s'agit de la cérémonie de budin
daji.Les Basarawa seraient-ils à l'origine de l'introduction de
cérémonie de budin daji au Katsina Nord. Sinon comment peut-on
339LEROUX H., op.cit., pp. 595-596. E.C.E, liratawa, mai 1984; E.C.E Gazawa, mai 1984; E.C.E, GASI, Mai, 1984 et E.I.E, Tasawa, Mai, 1984.
340NICOlAS G., op. cit., p. 125. 341Nous reviendrons plus loin sur le titre basare.
342NICOlAS G., op. cit., p. 122.
187
expliquer qu'ils ont la responsabilité de ce culte dans leur nouvelle
région d'accueil. Autant de questions sur lesquelles les recherches
doivent être approfondies, mais d'ores et déjà, on sait que d'autres
groupes responsables du culte de budin daji existaient au XIXe siècle
, ~ b· , ~ , -r. 343 t a ua l, a uazawa, a 1 asawa, e c ...
Donc, seule une chronologie de l'emplacement et des
mouvements des populations confrontée à l'analyse des circonstances
historiques des régions concernées, permettra de répondre à certaines
questions.
Sur tout un autre plan, les témoignages de nos informateurs et
des auteurs sont divergents quant à la date précise de cette cérémonie
dans le calendrier animiste. Pour certains, c'est au début du troisième
mois que cette cérémonie a lieu; pour d'autres, elle a lieu au
quatrième mois344. Pour l'essentiel, les intéressés s'arrangeaient pour
qu~ cette cérémonie précède toutes les activités d'exploitation de la
brousse et de la forêt pour l'année nouvelle. Les études faites par
Hamani sur les saisons et le calendrier saisonnier des animistes établi
par H. Leroux peuvent nous permettre d'avoir une idée dans le
déroulement chronologique des activités des anna au XIXe siècle345.
Il semble que c'est après une consultation entre basare, guide
rituel, et maradi que la cérémonie de budin daji commence chaque
343E.C•E., Gabi, mal, 1984 ; E.C.E., Gazawa, mai, 1984 ; E.I.E, Tasawa, mal, 1984.
344 Enregistrement précédemment dté ; -LEROUX H., op. dt., pp. 629-635 ; -MARIKO K. A., Les regroupements paléonégrltiques nigériens, manuscrit non édité en possession de l'auteur, p. 21. 345 Hamani Dj., op. cit., 1975, pp. 8-12 ; -LEROUX H., op. cit., 1948, p. 667.
188
année346. On se rappelle que maradi est le plus ancien administrateur
des habitants de la vallée du gulbin Maradi, représentant du pouvoir
de Birnin Katsina. Avec l'installation d'un État centralisé au Katsina
Nord, il aura en plus d'autres fonctions, la responsabilité du quartier
Maradawa et il porte le titre de maradi ..
La supervision du culte de budin daji par maradi est-elle une preuve
de l'ancienneté de cette cérémonie dans la région ?
Le budin daji est une cérémonie collective dont le plus grand
dignitaire religieux porte le titre de basare. Il est élu parmi les
meilleurs chasseurs du groupe de Basarawa. Son intronisation se
déroule à Jiratawa dans l'habitation d'une femme du même groupe347
et dans l'enclos qui serait celui de leur ancêtre.
Avant le départ pour le budin daji, tous les membres du clan
basare devaient se soumettre aux rites purificatoires, la chasteté par
exemple, pendant sept jours. Ils faisaient aussi au départ des toilettes
et des ablutions avec un bain dans lequel des plantes magiques
avaient été macérées. Pendant leur absence, leurs femmes doivent-,- - ---
sous peine de sanctions sévères, observer strictement les règles des
interdits sexuels. Pour chaque cérémonie maradi fournissait au basare
des chaussures (takalma), une couverture (gwado) et un pagne
(zane).
La cérémonie de budin daji regroupait chaque année les
Sangerawa348 et les makera (responsabl~s de la même cérémonie) de
Gabi et les responsables de la même cérémonie au Gobir voisin, dans
la région de Tasawa, Kananbakashe, Mayahi, etc ...
346 Basare est le guide religieux des cérémonie de budin daji
347 NICOLAS G., op. dt., 1975, p. 135, (il s'agit certainement de basare Macituwo).
348Sangerawa : clan des agriculteurs dans la région de Gabl. .
189
Selon la tradition, des participants provenaient des régions très
éloignées. Le jour indiqué, après un rassemblement, basare assisté de
sarkin baka, dirigeait la cérémonie. Tous les participants se rendaient
d'abord à la cour de sarkin Katsina de Maradi, puis au marché de la
ville où ils prenaient au près de chaque marchand ou vendeur, sa
contribution (taimako), pour la circonstance. Personne ne refusait sa
contribution car il s'agissait d'une cérémonie officielle légale et
normale dans l'esprit des populations. Et puis, musulman ou non,
chacun souhaitait que l'année qui commence lui soit bonne, d'où la
raison de contribuer à la réussite de budin daji pour attirer la santé, le
bonheur et la prospérité sur le pays. Cette cérémonie était aussi
importante que la fête du ramadan ou la tabaski. Personne ne
commençait les activités de production exercées dans la brousse ou la
forêt, avant la fin de cette cérémonie. Après le marché, les initiés se
rendaient à Jiratawa, à l'entrée d'une forêt sous un tamarinier
(tsamiya).
Au pied de cet arbre se faisait des sacrifices propitiatoires,
offerts à uwal-dawa-baka349. Les offrandes consistaient en une
chèvre noire, une chèvre rousse, un bélier noir, deux poulets tachetés
de blanc et noir (wake-wake)350 et deux poulets de couleur brune,
couleur de l'épervier (shirwa).
349Pour ce qui est des détails sur le panthéon des dieux animistes voir ALKAU M. B., op. dt., 1969, pp. 110; 181-186 ; -MANFOUGA-NICOLAS Jacqueline, op. dt., 1972, pp. 355-360 ; -lILHO, II, op.dt., pp. 529-532 ; -Uwal-dawa-baka signifie la déesse de la brousse inculte.
350 Wake : haricot, d'où wake wake qui signifierait gris couleur de h~ricot local.
190
Le sacrificateur portait le titre de mOkoy0351 . A cette occasion,
le repas commun, arrosé de bière de mil (burkutu) était abondant. Le
musicien du bori, mai goge ou autres instruments, jouait la musique
de la déesse uwal dawa baka, de façon à amener certains initiés à
entrer en transe. Après cette étape, tous les participants à cette
cérémonie entreprenaient la farautar budin dajp52, battue inaugurale
de l'année nouvelle.
Ils sont armés de leurs armes traditionnelles de chasse et
accompagnés de chiens. Dans le temps, le chien était utilisé pour la
chasse. Tout animal ou oiseau rencontré était abattu. Le basare et le
sarkin baka arrêtaient la chasse au moment prévu quand ils jugent
que l'animal qu11 faut est abattu. Selon A.K. Mariko353, l'hyène est
l'animal souhaité pour cette circonstance. Car cet animal serait réputé
hanté par les mauvais génies et jeteurs de mauvais sorts. Tous les
participants regagnent ensuite Maradi, chez le maradi .
Là, l'animal choisi est soigneusement éventré et selon l'état des
viscères et des produits qu'on y trouve, les sacrificateurs par des
interprétations font des prévisions pour l'année nouvelle. Les
prévisions portaient sur les productions agricoles, la chasse, la santé
du pays, ses relations avec l'extérieur, etc... En fonction de ces
prévisions, les populations et les autorités sont appelées à prendre
toutes les dispositions nécessaires pour éviter les difficultés et les
catastrophes au cours de l'année qui va commencer. Cette cérémonie
351 Un <les quartiers de Maradi porte même de nos jours la dénomination de MOkoyo. .
352Farautar budin daji: il s'agit d'une battue ou chasse à l'occasion de la cérémonie de 11nauguration des activités de l'année nouvelle.
353MARIKO K. A., Les regroupements paléonégritiques nigériens, manuscrit non édité en possession de l'auteur, pp. 59-60 ; - NICOLAS G., Evolution du. canton de Kantché : Etude ethnographique d'une société de l'Est -Niger. Bordeaux, le 1 er Décembre, 1957, p. 5; 14-15.
191
est très importante à plus d'un titre : elle est organisée par des grands
dignitaires de la capitale notamment mokoyo et maradi, un
administrateur traditionnel des anna et de la région .
Ils disposaient des connaissances approfondies sur la région et
l'état d'esprit des populations. Le clan des basare"(ou Basarawa) et le
représentant des archers (sarkin baka) étaient au centre de cette
cérémonie. Cette catégorie était composée des agriculteurs qui
n'étaient pas moins actifs dans la chasse. Or, on sait le rôle joué par
ces chasseurs notamment les jinjino bakawa dans l'économie et la
révolte du Katsina Nord. Elle regroupait également des participants
venus des horizons divers et elle était considérée par toutes les
populations, dans la mesure où personne ne s'opposait aux quêtes de
ses acteurs- au marché de Maradi et personne ne commençait
l'exécution de ses projets pour la nouvelle année avant la fin de la
cérémonie.
Elle était d'autant plus importante que sa finalité était de
chercher le bien-être du pays au cours de l'année. Certaines étapes de
cette cérémonie se déroulaient à la capitale même et au niveau de
Jiratawa où résidait le Uban dawaki du royaume.
Tous ces aspects ne laissaient aucun doute sur l'importance de
cette cérémonie pour la société. L'analyse des institutions du Katsina
Nord nous permet de constater que cette société ne fut jamais
statique.
192
3. Un aspect de l'évolution des institutions leur
dynamisme
Un aspect important des institutions du Katsina Nord est leur
dynamisme. Ces institutions tirent leurs racines du passé de Katsina,
des réalités géographiques et des circonstances historiques du KatsitJa
Nord. Or le dynamisme de l'évolution du Katsina n'est plus à
démontrer354. Nous n'en voulons pour preuve que les multiple"s
changements intervenus à chaque étape de l'évolution du Katsina,
depuis l'époque qui précède la dynastie de Durbawa jusqu'aux
événements du jihàd de 1804 : l'adoption et l'adaptation de l'islam,
différentes mutations dans les échanges et les mouvements des idées,
perfectionnement qu'ont subi certaines institutions comme le conseil
électoral qui est, en effet, passé du poste occupé par une seule
personne portant le titre de karya giwa à un comité de cinq
personnes355.
Certains changements intervenus au XIXe siècle au Katsina Nord
" permettent d'illustrer, ne serait-ce que superficiellement, ce
dynamisme. Avant 1817 les détenteurs de titres de sarakunan noma,
sarakunan hatsi, tambari (tambara), sarakunan mahalba, uwayan
farauta et les dattawan garuruwa avaient une influence plus directe
auprès des dirigeants locaux des provinces puisqu'ils étaient
représentés au niveau du pouvoir central. A partir de 1817, leur
354USMAN Y. B., op. cit., 1972 ; -USMAN Y. B., op. cit., 1974 ; -USMAN Y. B., op. cit., 1979 ; -HULL R. W., op. dt., 1968 et 1971 ; -PALMER R. H., 1967 ;
355 PALMER H. R" 1967.
193
influence devient de moins en moins directe, car elle devait respecter
. toute une hiérarchie administrative depuis le mai gari (chef du village)
jusqu'au sarki en passant par tous les intermédiaires possibles. Avec le
pouvoir central, toutes les régions du Katsina Nord sont soumises à
un commandement unique. La machine dirigeante devient plus
complexe, plus perfectionnée de sorte qu'un problème d'une certaine
importance qui pouvait être résolu localement avec le mai gari, les
dattawan gari et les autres responsables des corps de métiers, devait
désormais être soumis au pouvoir de Ma ra di puis, informer le sarki
même après avoir traité la question. Certaines catégories sociales se
tournèrent alors vers des activités économiques et religieuses, les
affaires, la recherche d'une certaine promotion, l'éducation et la
préservation des mœurs. Après la révolte de 1817, tout le Katsina
Nord, de Korgom 356à Ruruka, et de Kwarin Maradi à Garin kaura
sera soumis à un commandement unique et direct, disions-nous
tantôt. Les secteurs administratifs étaient progressivement définis. Les
structures s'affermissaient. De nouveaux postes apparaissaient en cas
de nécessité : Madarunfa qui serait dirigé par un dignitaire portant le
titre du même nom s'est vu affecter un prince titulaire du titre de dan
zambadi et nous en avons expliqué les raisons ailleurs.
C'est également après 1817 que les postes des gouverneurs
d'Age et de Jiratawa, portant respectivement le titre de barazaki et
d'uban dawaki ont été créés. Nous en avons également parlé plus
haut.
Le poste de cikaji à l'ouest de Jiratawa est apparu avec
l'installation de l'État à Maradi. Son rôle était de s'occuper de la cuisine
356E.C.E, témoignage de Elhaji Dan sadaka .
194
du sarki au cours des tournées357., alors que les autres postes
administratifs de Gabi, Tokarawa, Madarunfa, Gangara, Tasawa,
Kananbakashe, Korgom étaient antérieurs à 1817. Il est important de
noter. que les villes de Sumarana, Riyadi, perdaient leur importance
d'avant 1817 au profit de Maradi, Jiratawa, Cikaji et Tarnai ( ou
Tarna)358.
Cette derni.ère ville devenait un marché très réputé. Cette
évolution prendra un autre tournant vers la fin du siècle. A cette
époque, . une crise entraîna une nouvelle configuration politique et
administrative au Katsina Nord. Ce changement engendra une
prolifération des détenteurs de certains titres. Avant d'aborder cette
crise signalons un processus ayant survécu à toute époque et à toute
crise. Il s'agit du souci d'appartenir à un même peuple, à une même
communauté, relevant d'un même pouvoir et ayant un même passé.
Faut-il voir en cela la marche vers la formation d'une nation dans
l'Afrique précoloniale359 ?
Nous avons déjà abordé cette question avec la notion de
bahaushe et la notion de bakastsine. Ce phénomène trouve encore
son expression et sa signification dans l'apparition au XIX e Siècle des
notions de Sakwatawa, Gabawa, Maradawa360, expressions qui ne se
définissent pas· en fonction du critère ethnique. Les deux dernières·
357 E.I.E, Maradi, Mai, 1984.
358 E.In .E, Niamey, 21 Mars 1985 : témoignage Mamane Galadima Tama
359 L'AFRICAIN Léon, op. cit., 1956, p. 472 ; -SALEY M., op. cit., 1982, p. 23.
360 USMAN Y. B, op. cit., 1972, p. 189.
195
intéressent le Katsina Nord: les Gabawa ( singulier bagabe), sont les
habitants de Gabi et de ses environs.
Ces expressions sont des illustrations qui entrent dans le
processus indiqué361. Mais revenons à la crise362 de la fin du siècle
au Katsina Nord.
A partir de 1892 la dynastie de Korau, installée à Maradi au plus
tard en 1817, se scinda363 en deux branches principales: Mijinyawa
se retira à Tasawa où il' reconstitua un autre État, laissant Maradi et le
sud de Maradi à kaura Hausa et aux autres membres de la dynastie de
Korau eux-mêmes en perpétuels conflits avec kaura Hasau. La fraction
de la dynastie de Korau restée à Maradi devait continuellement
affronter kaura Hasau qui avait créé un autre centre politique à Hasau
dont il était le véritable maître. Cette situation de confusion, les succès
militaires de kaura Hasau de son vrai nom Abdu Alu et surnommé
encore Jinga364, (salaire), contraignent ce dernier à une réforme
administrative et institutionnelle.
361pour ceux qui aimeraient poursuivre les débats, qu11s essaient d'examiner l'origine ethnique de ceux qui se définissaient au XIXe S comme des Damagarawall des Agadasawall des Adarawa, etc.. Le processus de la formation de Rlkon Kabl quoique bloqué, mals regroupant des gens du Dendl, du Zabarma, de l'Arewa et du Kabl est significatif. Nous pensons que <<l'ethnicisation>> de la société du Soudan Central a été ressuscitée et accentuée avec la colonisation, bloquant ainsi un processus 'historique dynamique. '
362Les raisons de cette crise ne sont pas encore claires, mals doivent être envisagées dans le contexte régional tout en tenant compte de la situation au Kats/na Nord. 363 Pour les détails sur cette situation on pourra consulter: -DAVID P., La geste du grand Kaura Hasao (S.L .N.D) ; -l1LHO, op. dt., 1906 ; -USMAN Y. B, op. cit., 1978 et notre chapitre IV -MlnJlnyawa a tenté plusieurs fois de reprendre Maradl 364Ce surnom linga de Kaura Hasau, apparu à la fin du siècle doit attirer 'l'attention de tous ceux qui veulent faire une étude sur le personnage de Kaura Hasau, sa carrière et ses projets politiques.
196
De Mijinyawa (1889/90-1894/5 et 1894/5-1897/8) à Dan
Zambadi Kure (1897-1920/21) en passant par Naibo (1894/5), Datchi
(1897/8) et Muhammad Burja (1897/8), le rôle de sarki devient
purement et simplement nominal. Le véritable maître du pouvoir étant
kaura Hasau.
Le conseil électoral perd tout son sens et son contenu, seul
kaura Hasau faisait et défaisait les sarakuna selon sa volonté, alors
que du point de vue institutionnel un kaura à lui seul ne pouvait faire
ou défaire un sarki, même s11 était membre du conseil électoral.
La cour du Katsina Nord devenait mobile puisque Dan Zambadi
Kure a été intronisé à Tokarawa, Mahammad Burja à Madarunfa,
Naibo, Datchi et Mijinyawa à Maradi.
La ville de Hasau devint le centre de décision le plus important,
puisque c'était la rés;dence la plus permanente de kaura Hasau,
quoiqu11 avait d'autre~ résidences à Inya/wa, à Maradi, à Birnin Kaura
(actuel Unguwal Runjh,' à Garin Kaura (village situé à l'ouest de Jibiya
au Nigeria) et à Mad~runfa.
Le «sarki» résidant à Hasau près de Tokarawa, le responsable du
secteur de Tokarawa, est élevé au rang de uban dawaki dan
tokarj365 alors que le titre de dan tokari était porté par l'un des fils de
kaura Hasau. La région agricole située au nord-est de Tokarawa, y
compris le premier site de Tokarawa est sous le commandement d'un
dignitaire portant le titre de Dan Gayya.
Le responsable de la ville de Ruruka qui portait le titre de Raha
est élevé au rang de kaura : il commande toutes les régions du sud-
365 DAVID P., «la geste ... », p.20 et E.C.E, Dan Gaya: témoignage de Issa Dan Gaya.
197
ouest jusqu"à Tsahe dans le Zamfara. Parmi ces Kauraye de Ruruka la
tradition retient le nom de Haruna Adam à qui le yan doto Usman de
Tsahe a refusé le tribut366.
A la fin du siècle, la ville de Madarunfa et le secteur seront
scindés en deux commandements: celui de kafin sarki et èelui de
kafin marusa367.
Maradi devenait un théâtre politique contrôlé tantôt par Kaura
Hasau et ses alliés, tantôt par les adversaires de ce dernier.
A l'est, la situation n'était pas moins confuse.
Un changement dynastique intervient sur le trône de Tasawa
jadis détenu par les Tazarawa. Ces derniers se trouvent dans
l'obligation de céder le trône à Mijinyawa. Une autre cour de Katsina
s'installa de plus en plus à Tasawa, et le rôle de la dynastie de
Tazarawa se réduità l'administration de la ville.
Kaura Amma de Gazawa trouva Kaura Hasau insupportable et se
rallia à Tasawa. Cette prise de position de Gazawa entraîna la prise de
position de Gangara contre Kaura Hasau. En effet, Gangara était
administrée par un dignitaire portant le titre de Raha qui est en fait un
adjoint du Kaura de Gazawa.
Cette situation entraîna un déclin des activités économiques et
la famine dans le pays. Le comportement de kaura Hasau exprimait à
la fois la faiblesse et la force des institutions. En effet Kaura Hasau
bien que maître du pouvoir avec des qualités militaires
exceptionnelles, n'avait pas su s'imposer sur l'ensemble du pays et ne
366 . DAVID P., «la geste ... », pp. 24-25 367La rue 'Principale qui traverse actuellement Madarunfa et longe le lac est la limite de ces deux commandements. Il est Intéressant de rappeler Id que marusa est l'adjoint de kaura.
198
CHAPITRE VI -ESSAI D'INTE-RPRETATION DES
INSTITUTIONS.
L'objet du présent travail n'est pas l'étude du processus de la
formation de l'État dans le Kasar Ha usa. Cette question a déjà été
abordée par des auteurs comme Usman et Smith pour ne citer
qu'eux368. Il porte sur l'examen des institutions du Katsina Nord au
XIX e siècle. Dans tette perspective, on ne peut parler que de
11nstallation à Maradi d'un État qui se voulait provisoire. Cependant
les performances de la société en question sont animées par les
conditions d'évolution, bien sûr, mais aussi par une expérience vieille
d'au moins cinq siècles.
Dans ce chapitre nous nous pencherons sur les fondements du
pouvoir au nord du Katsina, la dynamique du changement au cours de
l'histoire, et le caractère commun des institutions abordées.
368SMITH A., op. cit., 1971 ; -SMITH A., op. cit., 1976, pp. 152-195 ; -SMITH A., «The legend of the seifawa : A study in the origin of a tradition of origins" in lmmQ. studjes édited by USMAN Y. B. and NUR ALKALI Muhammad. Zaria, ABU, 9 octobre, 1982, pp. 16-51 ; -SUTrON J. E. G., «Towards a less orthodox history of hausaland J.A H .. XX, 1979, pp.179-201
, -USMAN Y. B., op. cit., 1979(d), 14 P ; -COQUERY VIDROVITCH c., «Les structures du pouvoir et le village africain précolonial» 25
pages Dactylographiées.
200
pouvait porter le titre de sarki. Même ses admirateurs et son griot Dan
Barmo ne lui donnaient pas le titre de sarki.
A son fils aîné, Musa, il se contenta de donner le titre de hasau
au lieu du titre de dan galadima que devait porter un prince digne
dl être sarki. Kaura Hasau n'a pas réussi à intégrer à son pouvoir, les
membres de la dynastie de Korau, de Maradi, comme ces derniers ont
intégré à leur tour les membres de la dynastie de Durbawa, les
dignitaires Tazarawa, les dignitaires de Tokarawa et Gabi, tout comme
les dirigeants de l'État résistant du Gobir ont pu associer à leur pouvoir
les Mazumawa. La faiblesse de ces institutions réside dans le fait
qu'en période de crise ou de trouble, des personnes peuvent passer
outre les institutions en vigueur pour donner une autre orientation à
la société.
199
1. Les fondements du pouvoir dans un royaume africain:
le cas du Katsina Nord
C'est par une idéologie qu'une société appréhende l'univers dans
son ensemble et conçoit la vie. L'explication d'un aspect quelconque
d'une société doit tenir compte de l'idéologie prédominante de cette
société.
La société du Katsina, dès sa naissance, était non seulement fondée
sur le travail mais aussi sur l'idéologie animiste. Dans les quelques
institutions que nous venons de décrire, il apparaît que l'animisme
présidait à toutes les activités de la vie et intervenait à tous les
échelons de la société. A la suite de 11ntroduetion de l'islam dans le
royaume, cette religion deviendra progressivement une des bases
idéologiques et religieuses de la société. Au fil du temps, l'islam
deviendra même l'idéologie principale de la société. Les relations du
Katsina avec l'extérieur369, le succès de Muhammadu Korau au XVe
siècle comme réformateur musulman, la lettre d'AI Sùyùti adressée à
Ibrahim Sùra ou Ibrahim Soro (c.1493/4-1495/6), souverain du
Katslna et contemporain de Muhammad Sattafan d'Agades370, le titre
murabit (guerrier musulman) que portait le souverain du Katsina Ali
(c.1498-1524), etc ... sont autant des preuves qui montrent que dès les
XV e et XVI e siècles, l'organisation de la société du Katsina était pour
une large part basée sur 11slam.
369USMAN Y. B., op. cit., 1972, pp. 175- 197.
370USMAN Y. B., op. dt., 1978, p. 397.
201
Au cours de l'évolution d'autres éléments révéleront le progrès
de 11slam et son importance dans les affaires de la société.
L1nstallation de l'érudit Aida Ahmad al Tàzakhti (m. 1529/1530)
dans la cité de Birnin Katsina, la visite d'un autre célèbre érudit
Makhlùf b. 'Ali b. Sàlih al-Bilbàli (m.1533/1534) du Hawd371, le rôle
joué par des érudits et saints comme Muhammad b-Masanih
(1595/1667) et son disciple Muhammad Ibn as-Sabbaqh al Kashinawi
et Muhammadu b Ahmad al-Tazakhti (m.1529) illustrent l'importance
fondamentale de l'islam dans la société abordée372.
La dernière preuve en date et la plus manifeste qui explique le
mieux le fondement Idéologique musulman de la société du Soudan
Central est le lihàd du 'début du XIXe siècle. En effet, c'est au nom de
l'islam qu'Usman Dan Fodio a su canaliser les mécontentements
populaires pour renverser un système monarchique vieux de plusieurs
siècles, et mettre plus l'accent sur 11slam dans l'organisation de la
société. Mais cette importance croissante de l'islam dans la société n'a
nullement éliminé l'animisme de la société373.
Les dignitaires animistes, au même titre que des dignitaires
musulmans au niveau du pouvoir central de Maradi, témoignent de la
présence de l'animisme dans les institutions du Katsina. Un des
reproches faits par les jihadistes, au début du XIXe siècle aux
souverains du Soudan Centr~/, était leurs pratiques animistes. Le non
371 HUNWICK J. o., «Songhay, Borno and Hausaland ln the slxteenth century» H.W.A.I. London, long man, 1976, pp. 274-280. 372 DANKOUSSOU 1., op.cit., 1970, pp. 38-53 ; -PALMER H. R., op. dt., 1967, pp. 83-84 ; -USMAN Y. B., ,op. dt., 1972, pp. 175-197 ; -USMAN Y. B., op. cit., 1981{a), p. 27.
373ADAMU M., op. dt., 1978, p. 9. -USMAN Y. B., op.cit., 1981(a), pp. 15 et note 48,16,18, 78,79.
202
respect du souverain Son Allàh Gozo, pour un lieu sacré du Katsina
vers le début du XIXe siècle, était durement ressenti par les
populations374.
Loin d'être éliminé de la société du XIXe siècle, l'animisme s'y
adaptait. A partir d'un moment le panthéon animiste sera inspiré de la
terminologie islamique ; et il s'en dégagera des divinités comme
Ma/am A/haji (marabout pèlerin), Umma Aida (femme préférée du
Prophète, ici déesse épouse de Ma/am Jangaral), etc .. Des dieux
anciens porteront le qualificatif musulman de ma/am : ma/am jangarai
(fils de ma/am a/haji et protecteur des captifs et fuyards; ma/am Duna
(dieu de la brousse)375, etc ...
Cette dynamique se poursuivra même pendant la période
coloniale. C'est ainsi qu'il apparaîtra dans le panthéon animiste des
dieux ou des esprits comme kumandan mugu (le méchant
commandant), soji (soldat) de l'anglais "soldier", surtout à travers le
phénomène de yan babu/e ou hauka en zarma376.
Cette évolution paraît à la fois comme intégration et parodie du
nouvel élément introduit dans la société377. Dans leurs
manifestations, les adeptes de babu/e montrèrent qu'ils se sont
appropriés des pouvoirs du colonisateur et sont devenus eux-mêmes
des autorités. Ainsi, au XIX e siècle, toutes les populations
374Adeleye R. A., op. cit., 1976, pp. 598- 599.
375 LEROUX H., op.cit., 1948, pp. 689-690 ; -MONFOUGA-NICOLAS Jacqueline, op. cit., 1972, pp.355-360; -l1LHO, op. cit., 1906, pp. 529-530 ; -USMAN Y. B., ibidem; -NICOLAS G., op. cit., 1975, 670 p planches et cartes. 376 NICOLAS G., op. cit., 1975, et MONFOUGA-NICOLAS J., op. cit., pour le phénomène yan babule. 377MONFOUGA NICOLAS J., op. cit.,
203
participaient pour l'essentiel au même système d'échanges et de dons,
aussi bien chez les animistes que chez les musulmans; le marché et
la monnaie étaient connus. Le corps d'institutions sociales et
politiques, les structures de parenté étalent sans discrimination
religieuse ou Idéologique378.
La présence de ces deux idéologies ne gênait en rien l'équilibre
de la société. Les populations et les autorités gardaient, encore au XIX
e siècle une conception à la fois religieuse et temporelle de
l'évolution379.
Cet aspect religieux des fondements Idéologiques de la société
est inséparable des préoccupations matérielles des populations. Il fut
d'ailleurs, de tout temps, en étroite relation avec les activités
économiques. Les principaux lieux de culte étaient soit liés à des
activités de production économique, soit des postes de contrôle des
surplus de production par les principaux sacrificateurs et les guides
religieux. A ce sujet, il est très significatif que le développement
économique, religieux et social du Katsina ait comme premiers centres
jusqu'alors connus, des sites très réputés situés surtout dans le
Katsina Laka, la partie du royaume la mieux indiquée pour les activités
économiques. A ce propos, on se souviendra de Durbi-ta-kusheyi,
Kwatarkwashi, Kwiambana, etc380 ...
Un coup d'(EiI sur le panthéon animiste revèle qu'un dieu est
affecté à chaque domaine de l'activité socio-économique de
378MONFOUGA NICOlAS J., op.cit., 1972, p. 44.
379DIOP C. A., op. cit., 1960, p. 77 ; USMAN Y. B., op. cit., 1978, pp. 397-401 et NICOlAS G., op.cit., 1969, P 228. 380 USMAN Y. B., op. cit., 1981(a), pp .. 5 -16.
204
l'homme381. D'ailleurs, le besoin de certains cultes rendait
indispensable certaines activités économiques382 et toutes les
activités économiques exigeaient certaines pratiques religieuses. Dès
lors, on comprend aisément le souci des autorités politiques d'intégrer
à leur pouvoir cet élément religieux indissociable des activités
économiques. Des hauts dignitaires, au niveau de la cour du sarki,
devaient s'occuper de la question religieuse : iya, maradi et durbi.
Tous ces trois dignitaires avaient chacun un personnel, et étaient
très influents dans la conduite des affaires de l'Etat.
Selon Nicolas, quatorze lettrés musulmans (mallamal) détenaient
des postes religieux officiels au niveau de la capitale du Katslna
Nord383, quoique Tilho les limite à douze384. Ces quelques exemples
soulignent l'importance de l'élément religieux dans les structures de
l'Etat.
En effet, l'importance de ces deux religions dans la société ne
permettait pas aux autorités centrales de les mettre à l'écart. Les
éléments religieux intimement liés à l'économie étaient à la fois raison
de vivre des populations et base de toutes les structures étatiques.
Si le pouvoir politique repose sur des systèmes qui exprimaient
les idées morales, religieuses et les préoccupations matérielles des
populations385, il n'en demeure pas moins que les circonstances
historiques. ont, de tout temps, une influence considérable dans la
381 MOUNFOUGA-NICOLAS J., op. dt, 1972, pp. 355-361 ; -LEROUX H., op. dt, 1948, pp. 689-690 ; -TiLHO, op. cit, 1906, pp. 529-530. -E.I.E, Tasawa, mai, 1984. 382Voir notre paragraphe sur le dubu. 383NICOLAS G., ibidem.
384 TlLHO, II, op.dt, 1906, pp. 535-536.
385 Voir notre paragraphe sur le Dubu ..
205
consolidation et la stabilité des institutions. La légende de Bayajida,
malgré les considérations déjà évoquées, n'exprimait pas moins, à un
moment donné de l'évolution, une étape dans la consolidation des
structures économiques dans les États de la région386.
Au Katsina, le processus amorcé depuis Durbi- ta -Kusheyi
connaîtra une évolution en raison des progrès dans la technique,
l'accroissement des populations, le brassage des populations et le
contact avec d'autres États en liaison avec le commerce et l'Islam387.
Au Katsina Nord, les conditions du jihàd au XIX e siècle et les besoins
de sécurité amèneront les populations à accepter plus facilement un
pouvoir centralisé pour mieux résister à la politique très oppressive des
jihadistes à leur égard et maintenir la liberté dont elles jouissaient
avant le jihàcJ388. Dans l'analyse des fondements des structures
étatiques, le rôle des. systèmes de croyance religieuse. et morale liés
aux préoccupations matérielles des populations et aux circonstances
historiques favorables, ne fait aucun doute. Mais dans cette optique
on ne peut pas ne pas constater les rapports dialectiques qui existent
entre les institutions sociales et les institutions étatiques. De telle sorte
que chaque aspect de ce corps social reflète l'autre. Cette situation
amène les populations à prendre conscience des institutions politiques
386N1COLAS G., «Fondements Magico-rellgleux du pouvoir politique au sein de .Ia principauté hausa du Goblr» J.S.A .. XXXIX, 2,1969, pp. 228-229 ; -ADAMU M., op.dt., 1978, pp • 9-10 ; -LAST M., « Reforms in west Africa : the jihàd movement of the nlneteenth century» J:1aW.A II,
1974, p. 1-56.
387CHRONICLE OF ABUJA, Ibandan, I.U.P, 1952, pp. 3-4 ; -HALLAM W. K. K., «The Bayajlda legend» lA.!::Iu VII, 2, 1966, pp.47-60. 388ADAMU M., op.dt, 1978, pp. 2,13 ; -SMITH A., op. dt., 1976, pp. 190-195 ; -HUNWICK J. O., «Songhay, Bomo and hausaland», .l::!:.WA.I, 1976, pp. 264-301 ; -ADELEYE R. A., «Hausaland and Bomo», .l:i.rïlzA.I, 1976, pp. 556-601. -BARTH H., l, op. cit., 1965, pp. 476-477.
206
..
et s'en approprier. En effet, les institutions politiques sont vécues à
tous les niveaux de la vie quotidienne des populations. Le titre de
sarki, qui est le poste le plus élevé, pouvait être porté par les
dignitaires de la cour aussi bien que par tous les responsablès des
organisations socio-économiques. Les ensembles suivants en donnent
une idée.
Fiches d'illustration
Sarakunan galgajiya
Sarakunan karkara
Sarakunan garuruwa
Sarakunan sana'a
Sarakunan samari
Sarakunan bori
Sarakunan alaru
Sarakunan kofa
Sarakunan kasuwa
Sarkin gwabraye
Sarkin bayi
Sarkin makafj389
Sarkin kutare
Ces fiches nous montrent clairement que le titre de sarki intervient
dans toutes les catégories sociales.
389makafi au sing. makafo: aveugle; - A/aru : transport.
207
En plus, il était permis à n'importe quel détenteur du titre de
sarki relevant du pouvoir central ou de l'administration du territoire, ou
autre domaine, de composer un personnel reflétant, plus ou moins,
tous les hauts postes de l'Etat.
L'organisation de la cérémonie de wasa kara reflète toutes les
organisations sociales et politiques du territoire390. Au cours de cette
cérémonie la iya yan mata (une fille responsable de ses camarades
filles) et ses assistantes sarauniya et magajiya, rivalisent avec le sarkin
samari et le daima (le garçon responsable des jeunes filles) ; ce qui
est une autre version de la dynamique entre la cour du sarkin kasar
Katsina et celle de sa iya avec son personnel391. Sur tout un autre
plan, chaque garçon, lors de son premier mariage a l'occasion de
vivre, d'une certaine manière, les cérémonies de la nomination du
sarki. La semaine de zaman lallé392 rappelle à plus d'un égard la
retraite d'une semaine qu'effectue le nouveau sarki chez le Galadima.
Au cours de cette semaine, le ango et la amariya subissaient le bain de
mariage (wankan aure) comme le sarki subissait lui aussi le bain de la
sarauta (wankan sarauta). Si le sarki tenait certains insignes de son
pouvoir et de sa nouvelle responsabilité, le ango, à son tour, tenait un
couteau et portait des habits de mariage, différents de ses habits
ordinaires. Les habits du mariage (kayan . aure) reviennent à
39Oyoir notre analyse descriptive de la dite cérémonie. 391Iya yan mata a le commandement de toutes les filles, de leur organisation communautaire. Elle est en étroite collaboration avec le daima qui est aussi le responsable masculin des filles. Tout comme durbi, en contrôlant le bon, contrôle aussi la lya. 392Zaman Jalle littéralement «semaine de henné» correspond à ce qu'on pourrait appeler aUjourd'hui la semaine du mariage.
. 208
-)
'"
a/wanka393, et aux griots. Comme il y a lieu de remarquer ici aussi
que le premier cheval de l'intronisation et certains habits de
l'intronisation (kayan sarauta) revenaient respectivement à durbi et à
mashi. Pour conclure sur cet aspect, répétons que l'installation d'un
nouveau sarki était perçue, dans une certaine mesure, comme un
mariage entre le souverain et le royaume.
D'autres ressemblances relatives à la permanence de l'interaction
des institutions se retrouvent à un notre niveau de la vie en société. A
ce sujet, nous avons déjà fait cas du principe de rabon duklya
(partage de la richesse) quand nous avons abordé la kan kwariya et le
dubu. Il est alors nécessaire de préciser ici que la ressemblance entre
les principes de rabon dukiya à l'occasion d'une part de la nomination
d'un sarki ou d'un autre dignitaire et d'autre part de la consécration
d'un sarkin noma ou d'une tambara, est manifeste394. Ces aspects
que nous venons d'évoquer sont importants, mais ils ne peuvent à eux
seuls, expliquer le fondement du système de la sarauta.
Les mécanismes de confiance et de contrôle qui régissent les
relations entre le souverain et ses cadres, le souverain et ses sujets ,
entre les administrateurs et les administrés, enfin entre les ta/akawa
eux-mêmes, ne peuvent être mis de côté dans l'analyse des bases des
structures d'une société.
Il est certain que le système de la sarauta est un système
monarchique où seuls les princes de sang peuvent prétendre au trône.
Le sarki est l'autorité suprême de la hiérarchie. Cependant, le
pouvoir du sarki est strictement· contrôlé par les sarakunan ga/gajiya
393 Il s'agit de la chargée des bains du marié.
394 NICOLAS G., op.cit., 1968(a), pp. 65, 66-67,43-98;
209
(conseil electoral). En cas d'incompétence, nous ayons vu que ce
conseil a la prérogative de destituer le sarki et de nommer un autre.
Mais il n'est pas à son tour plus puissant que le sarki puisque c'est ce
dernier qui nomme chacun de ses membres et peut aussi mettre fin à
ses fonctions. En même temps donc qu~1 y a confiance, il y a contrôle
mutuel à ce niveau des institutions.
Quant aux princes, candidats avides du trône, leurs abus étaient
portés à la connaissance de l'eunuque Galadima et dan nagaba,
d'origine servile. Cette mesure contre les éventuels abus des princes
est d'autant plus efficace qu'elle est sous l'autorité de celui-là même
qui convoque et dirige le conseil électoral (karaga). Le contrôle de
Galqdima et de dan nagaba s'étend aussi sur les autres hauts
dignitaires395.
L'institution de hauts postes occupés par des personnalités
d'origine servile (kaura, dan nagaba) et le poste clé de l'eunuque
Galadima, la catégorie de barori et bayin sarki tend également à
équilibrer les forces de ceux qui s'occupent des affaires de l'État ou qui
prétendent s'occuper des affaires du royaume.
Nous avons constaté la présence des responsables des secteurs
à" partir de la capitale, et des responsables sur le terrain. A ce niveau
également, rien n'est soumis au hasard, des resppnsables de la cour
veillaient au bon fonctionnement de l'administration de sarakunan
garuruwa et des masu gari.
Les sarakunan sana'à, les tafarkai (tafarki au singulier: chargé
de la sécurité des voies commerciales), les kofofi, les sarakin "kofa et
le falke (chef des caravaniers), n'avaient pas pour seule fonction la
395voir notre dnquième chapitre notamment le paragraphe consacré à la justice.
210
collecte des impositions, des taxes ou des patentes. Ils devaient veiller
au développement du pays, à la compréhension et l'entente entre les
gens exerçant un même métier, et aux bons rapports avec d'autres
corporations. Ils contrôlaient la circulation des produits, la sécurité
des voies commerciales, les importations et les exportations.
Il n'y a pas de doute que le kofa, qui était parfaitement au
courant de tout ce qui entrait et sortait de la ville ou de la cité, était un
poste clé. Il pouvait ainsi permettre l'évaluation et l'évolution du
volume des échanges. Ce qui n'était pas sans faciliter la gestion du
pays. S'il en était ainsi, il y 'a lieu de remarquer que le poste de kofa
ne pouvait pas avoir que la fonction militaire comme l'ont expliqué
jusqu'à présent beaucoup d'auteurs.
Les postes de dillalp96, sarauniya hatsi, almudda,etc ..
montrent également que le système du marché et des échanges
1 reposait sur des structures précises qui permettaient de savoir qui a
vendu quoi et à qui, combien tel article ou produit est vendu sur le
marché, etc. Ces structùres permettaient aussi d'avoir des
renseignements sur les marchés, les régions d'approvisionnement en
certains produits et l'évolution des prix, etc .... Enfin, au Katsina Nord,
le pouvoir est fondé sur plusieurs facteurs animés par une
dynamique: les conditions de vie, les circonstances historiques
régionales et internationales, rendaient indispensables la naissance et
le maintien d'un pouvoir centralisé.
Les principes et les normes de ce pouvoir se trouvaient vulgarisés
dans la vie de tous les jours. Ce pouvoir, à première vue monarchique,
mais une monarchie contrôlée, trouvait ses fondements et son
396ADAMU M., op. dt., 1978, p. 199 ; -USMAN Y. B. op. cit., 1981(a), p. 228 ;
211
efficacité dans sa capacité à faciliter les rapports à tous les niveaux et
dans tous les secteurs de la société. Rien n'y était soumis au hasard
sans pour autant que ce système rende la société figée.
2. Quel changement au Katsina du XIXe siècle?
Même si cette question ne peut être traitée dans le cadre du
présent travail, il convient de la poser. Beaucoup d'études et de
travaux intéressants ont été réalisés sur le jihàd du XIXe siècle au
Soudan Central397. La plupart des auteurs du jihàd ont abordé cette
question sans nuance ou avec des idées préconçues. Ainsi, le jihàd
était abordée comme une révolution398. Et on évite la question de
savoir si le système de la sarauta était en soi inopérant et anarchique
à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècles. L'ancienneté de 11slam
dans la région, son influence dans l'économie et dans
l'affermissement et l'évolution de certaines institutions socio-politiques
sont' indiscutables. Des écolès coraniques,· naîtra une classe
intellectuelle ·avec laquelle il fallait désormais compter pour traiter les
affaires de la société tout entière. Et le jihàd, conséquence de ce
processus, a contribué à l'émergence d'un ensemble politique très
vaste avec un pouvoir centralisé: le califat de Sokot0399. Ce jihàd va
397Voir notre bibliographie à propos des écrits sur le jihàd.
398Revolution ou pas, précisons que ni le jihàd, ni la tentative de la formation des grandes entités politiques ne sont ni étrangers au système de la sarauta, ni propres au XIXe siècle du Soudan Central. . -HAMANI Dj., op. dt., 1981, pp. 14-42 et surtout 43-44 ; -LAST M." op. cit., 1983, pp. 67-91 ; -LAST M., op. dt., 1967. 399 LAST M., op. dt, 1967 ; -PALMER H. R., op. dt., 1967,
212
de pair également avec des changements dynastiques. Faudrait-il alors
commencer par le constat suivant: le califat de Sokoto a connu une
résistance permanente au cours du XIXe siècle. Cette résistance
n'avait rien d'ethnique, elle n'était pas, non plus, une lutte entre les
musulmans et les non musu(mans400. Si tel était le cas quel pouvait
être alors le problème du système de la sarauta.
Compte tenu du niveau de développement atteint par les Etats
Hausa au XVIIIe siècle et de l'accroissement démographique qui lui
était lié, on serait tenté de croire que les structures sociales,
politiques et économiques de l'époque ne pouvaient plus contenir la
société. Mais que nous a appris l'histoire à ce sujet?
Il est certain que l'animisme, 11slam, la culture hausa, l'économie
et le commerce sont intimement liés. La présence des institutions
islamiques dans les structures de la société hausa ne date pas du jihàd
seulement. Les autorités intellectuelles les plus réputées du XIXe siècle
étaient issues du système de la sarauta ou descendaient de cette
catégorie formée avant le jihàd. Les leaders du jihàd eux-mêmes
étaient le produit du système de la sarauta401. Une lecture attentive
des ouvrages que nous venons d1ndiquer, rend bien co~pte que l'élite
-ADElEYE R. A., POwer and diolomacv in northern Nigeria. 1804-1906 ; The Sokoto caliphate and its enemies. London, Longman, 1971 400 Le califat de Sokoto a connu une résistance tout le XIXe siècle. Nous ne dterons que celles du Katsina Nord, d'Abuja" de Rikon Kabi,. de Tsibiri, deBomo, du Damagaram, etc ••• et les résistances internes. Concernant ce dernier point, se reférer à USMAN Y. B., op. cit., 1981(a), pp. 149-152 •• 401 HULL R. W., op. cit., 1968 ; -HULL R. W., op. dt., 1971 ; -DANKOUSSOU 1., op.cit., 1970 ; -USMAN Y. B., op. cit., 1974 ; -HAMANI Dj., op. dt., 1981 ;
213
musulmane du jihàd provenait du système de la sarauta. Malgré tout,
cette question reste pertinente quand on sait que le califat de Sokoto
n'a pas eu une longue durée de fonctionnement comme le système de
la sarauta bien que le jihàd soit posé en Afrique de manière générale
dans l'espace et le temps.
Du point de vue administratif, politique et militaire, le système
du califat de Sokoto était contraint de se servir des institutions du
système de la sara u ta402 . Dans la pratique, le système du califat n'a
été ni plus ni moins juste que le système de la sarauta, malgré les
principes islamiques émis par Amir al muminin Bello (1817-1837) dans
son guide de la politique (Usûl as siyàsa)403. Ce constat est loin d'être
une fiction pour les populations de Rikon Kabi, Tsibiri, du Katsina Nord
et de certains sites de l'émirat du Katsina : Ru"ma, Matazu, Karofi,
Gyaza, Gambarawa404. Les pratiques islamiques et animistes n'étaient
pas des moindres tant au niveau de l'émirat que de l'État du Katslna
nord. Rappelons qu'après le jihad du XIXe siècle apparaissaient des
nouveaux centres d'activités et des changements dynastiques qui sont
des preuves irréfutables de changement40S.
Un changement entraîné par une situation économique,
démographique, intellectuelle, interne et des influences externes. Mais
s'agissait-il pour autant d'un changement de nature différente. La
question reste posée. Les souverains de la fin du XVIIIe siècle au
402ALKAU M. B., op. dt, 1969 ; -LAST M., op.dt., 1967 ; -USMAN Y. B., op. dt, 1981(a), pp. 54-124; 180-189 ; -ADAMU M., op. dt., pp.144-158 ; 179-186. 403 . LAST M., op. dt, 1967, pp. 56-57.
404 USMAN Y. B., op. dt, 1981(a), pp. 149-151. 405 ADAMU M., op .dt, 1978, pp. 143-163 ; -ADAMU M., op. dt, 1979, pp. 61-84.
214
Katsina et dans les autres États de la région avaient commis des
erreurs politiques: l'élite intellectuelle de l'époque n'avait pas manqué
de s'appuyer sur l'idéologie musulmane pour essayer une reforme de
la société. Cette situation n'était pas sans attirer l'attention des
souverains sur 11slam et les conditions de vie des populations. On peut
donc affirmer que le jihàd marque une étape dans une évolution
engagée depuis longtemps et qu'en tout cas l'idéologie prédominante
était 11slam.
3. La similitude des institutions du Katsina Nord avec
celles des autres États hausa et de leurs voisins.
La liberté de circulation, les brassages de populations, les contacts
entre les États du nord, du sud, de l'est et l'ouest du Kasar Hausa
étaient une constante de l'évolution. Ces contacts liaient le Kasar
Hausa à d'autres continents par l'intermédiaire des autres États
africains. Les rapports entre les États africains et entre ceux-ci et les
États des autres continents ainsi que l'ancienneté de ces rapports ne
sont plus à démontrer406. Ces contacts sont d'autant plus vrais que
la définition du Bahaushe407 ou du Bakatsine oblige à prendre en
considération plusieurs critères. Dans la plupart des États du Soudan
406 - Cette question a déjà été abordée par nombre d'auteurs dont nous ne pouvons citer tous les ouvrages id. Nous prions nos lecteurs de se référer à notre bibliographie. Les témoignages de nos informateurs ne passent pas sous silence ces contacts. Pour le cas du Katsina on consultera à titre d'exemple: ADAMU M., op. cit., 1972, 264 p. -HAMANI Dj., op. cit., 1979(a), 18 p ; op. cit., 1975, pp. 64 -71 ; -USMAN Y. B., op. dt., 1972, 24 p. 407Voir notre premier chapitre, troisième paragraphe; -ADAMU M., op. dt., 1978, pp. 1-20 ; -ADAMU M., «The spread of Hausa culture in west Africa : 1700-1900», 10 p., Sol., S.d., texte obtenu auprès de K. Idrissa de l'Université de Niamey.
215
Central, les agriculteurs, les éleveurs, les chasseurs, les pêcheurs, les
artisans, les commerçants et les marabouts ont joué un rôle très
important dans l'évolution historique jusqu'au XXe siècle. On est donc
en droit de faire un rapprochement entre certains événements
survenus en Afrique, et la consolidation des institutions dans le
Soudan Central. Ainsi, le dessèchement du Sahara, l'installation du
sultanat de l'Ayar à Agades en 1405, le coup d'Etat d'Askia Muhammad
contre le souverain Sonni Ali en 1492, l'invasion marocaine du
Songhay en 1591, la fondation de Birnin Gazargamu (1472),
l'extension du Borna sous le Mai Idris Alaoma (c. 1569-1600), enfin
l'émergence de la puissance des États Hausa et leur jonction dans les
activités d'échange et de production avec les États situés plus au sud,
ont exercé des influences et des interactions directes ou indirectes sur
l'évolution de chacun de ces États408. De tels contacts peuvent
expliquer l'existence des similitudes dans les institutions des différents
États partenaires.
Quant aux états Hausa eux-mêmes, tout en partageant avec les
autres États du continent certaines activités et pratiques religieuses, ils
formaient une communauté linguistique, culturelle et géographique
408Les dates indiquées id sont de HUNWICK l. O., op. clt., 1976, pp. 244-301 ; Pour plus de détails sur cette question on consultera : -ADAMU M., op. dt., 1975, 236 p. -ADAMU M., op. dt., 1979, pp. 59-104 ; -ADELYE R. A., op. cit., 1976, pp. 556 -601 ; -HAMANI Dl., op. dt., 1979(a) ; -HAMANI Dj., op. dt., 1979(b) ; -J:L..M, II, 1970, pp 5 - 6 ; -PALMER H. R., op.cit., 1967, pp. 79- 83 ; -SMITH A., op. cit., 1976, pp. 152 -195 ; -USMAN Y. B., op. cit., 1972,24 P ; -USMAN Y. B, op. dt., 1979, (a), pp. 37-42 ; -us MAN Y. B., op. clt., 1983(b), pp. 175-210.
216
bien définie409. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que le
titre de sarki ait revêtu un caractère général depuis Gobir de l'Ayar
jusqu'à Abuja, Zamfara et Damagaram. Même si, au XIXe siècle, le
calife de Sokoto se faisait officiellement appeler Amir al mu'minin
(commandeur des croyants), aux yeux des populations imprégnées de
la culture hausa il est resté le souverain des musulmans (sarkin
musulmi). Le caractère permanent de l'institution de sarki se trouve
dans tous les états Hausa. Le poste n'est héréditaire que par rapport à
la dynastie. C'est-à-dire qu'il n'y a pas une succession directe de père
en fils ou du frère aîné au frère suivant. L'organisation de la cour
(fada, zaure ou k~n gi~a selon le cas) est la même dans la plupart
des États Hausa : elle est composée d'un personnel abondant ;
princes, hommes libres, esclaves et eunuques.
Partout il y a un responsable de la cour : les courtisans du roi ou
fada wa étaient sous le commandement de sarkin fada; les
dogarai 410 étaient administrés par le sarkin dogarai. Au Katsina
comme ailleurs, l'usage du terme de sarki n'est p~s exclusivement
réservé à celui qui est à la tête de l'état: on trouve partout un sarkin
fada, sarkin dogarai, sarkin bayi, sarkin kofa, sarkin kasuwa, sarkin
fawa, sarkin yaki pour ne citer que ceux-là. Cet aspect atteste le
rapport dialectique qui existait entre différentes institutions. Parmi le
personnel de la cour du sarki, certains fonctionnaires pouvaient
accéder au sarki, jusque dans sa vie privée: dan kuraka au
409 ADAMU M., op. cit., 1978, pp. 1, 17 et carte XII ; -ADAMU M., «The spread of hausa culture in west Africa : 1700-199», op. cit., pp. 4-8 ; - MONFOUGA-NICOLAS J., op. cit., 1972, p. 44.
410Sarkin dogarai: chef de la police du roi, il s'occupait des annonces aux populations, de l'ordre intérieur, de la police des marchés, de la répression des délits, de l'application des peines, de la collecte de la dîme, etc ... : HAMANI Dj., op. cit., 1975, p. 110
217
Damagaram, jeka fada et ga/adima au Katsina, sarkin gida ou bagaji
en ·Adar, etc ...
Dans le Kasar Hausa, le sarki ne gouverne ni de manière absolue,
ni seul. Il y a au niveau de beaucoup de cours un conseil électoral qui
a même le pouvoir de déposer le sarki, des responsables des différents
services, des responsables des corps de métiers chargés à la fois de
faciliter la perception des taxes et d'organiser la gestion du pays.
Le conseil électoral, structure vitale pour l'équilibre des pouvoirs et
le maintien de l'ordre en cas de vacance de pouvoir existait au Katsina,
au Gobir, au Borna, à Kano, etc ....
Un autre aspect était la présence des femmes (iya, magira, inna,
magajiya), des esclaves (sarkin bayi, bayin sarki, kaura au Katsina),
des eunuques (Ga/adima au Katsina, Mustarama au Damagaram), et
des responsables religieux (imàm, a/kali, durbi, sarkin mazu, sarkin
anna, etc ... ).
Les structures militaires, administratives, les institutions fiscales
(kharaj, jangali, zakkat, etc ... ) et économiques (fatauci, kasuwa,
tafarki, bojuwa, kali, madugai,411 etc ... ) s'intégraient dans un
ensemble régional et international constitué des États voisins et
partenaires.
Certains éléments ne se situant pas toujours au même niveau de
l'organisation générale de toutes les cours, peuvent se retrouver au
niveau local dans un cas et au niveau central dans l'autre. C'est ainsi
que le titre de turaki et de nasarawa présents à la cour de Kano sont
411ADAMU M., «The spread of the hausa culture in west Africa : 17000-19000» op. dt., pp. 10-13 ; -HAMANI Dj., op.dt., 1975, pp. 217 -222 ; -USMAN Y. B., op.clt., 1972, 24 p. ; -USMAN Y. B., op.clt., 1979(a), pp. 37- 42;
218
absents à la cour centrale de Maradi mais présents à la cours de Gabi
alors dépendant de Maradi. Les titres de maina, mairam,
respectivement attribués au prince et à la princesse dans le
Damagaram ne sont d'usage que dans la région de Tasawa et
Kananbakashe, au Katsina Nord.
Le titre de tambara pourrait très bien dériver du titre de gardien
des tambours royaux (tambura) ou du titre ettebel en tamasheq
(tamban); l'institution permanente de sarakunan sana 'à, de
sarakunan garuruwa, certaines réglementations des échanges, les
pratiques de Zango 412expliquent également les similitudes des
institutions dans la région considérée.
Dans la plupart des États Hausa, les populations sont scindées en
trois principales catégories sociales: les masu sarauta, les talakawa
(hommes du commun libres) et les bayi ou bayu (esclaves).
Le peuplement dans le Kasar Hausa présente un caractère
composite : on rencontrait partout des Peul, des Touareg, des Arabes,
des Kanuri, des Wangarawa, etc ...
Les organisations sociales décrites au Katsina Nord ne lui étaient
pas spécifiques. Le yan sha se trouvait dans d'autres états.
Le trava!1 collectif (gayya, gukkun) existait dans la plupart des
états, certainement sous des formes variées ou des appellations
différentes. Et la recherche de certaines positions sociales, du prestige
ou de l'influence était commune aux autres États du Kasar Hausa
puisque la pratique de barance (une forme de relation de clientélisme),
l'utilisation des esclaves (bayi ou bayu) , le maintien de certains
412Zango: quartier d'une ville, étape ou lieu des repos pour les voyageurs surtout les caravaniers.
219
privilèges ou techniques liées· à un métier ou une pratique (gado), la
pratique des sports comme la lutte (kokowa), la boxe (dambe)
observés au Katsina Nord existaient ailleurs.
Les différenciations sociales intervenaient dans les alliances et les
rapports sociaux. Les personnes d'un certain rang social ont tendance
à se marier et, à lier des amitiés entre elles. L'expression : mai kudi
abokin sar/d (le riche est l'ami du roi), bien connue dans le monde
hausa, est une preuve de cette tendance. La plupart des institutions
du Katisna Nord revêtaient un caractère régional. En effet, les
justifications de beaucoup des institutions41~ religieuses,
commerciales, économiques et des échanges sociales et politiques
dépassaient le cadre d'un seul État.
On peut en conclure que les institutions du Katsina Nord au XIX e
siècle s'intègrent dans un ensemble plus vaste qui d~passe le cadre
d'un seul état. Les différences dans cet ensemble ne sont que des
détails non moins importants. L'installation d'un État centralisé au
413 - Donnons quelques exemple convaincants de ces Institutions : -Oillali au masculin singulier, dlllalai au pluriel et dlUaliya au féminin singulier: ADAMU M., op. dt., 1978, p. 199, U5MAN Y. B., op. clt., 1981(a), p. 228 ; -Tafarki : E.C.E, Maradi, mai, 1984, U5MAN Y. B., op.cit., 1981(a), p. 231 ; -5arkin Alaru : ADAMU M., op. dt., 1978, p. 203, un quartier de Maradi porte même de nos jours
la dénomination de Unguwar sarkin alaru ; -Sarkin alaru est responsable de la corporation des transporteurs, A Maradi c'est aujourd'hui le
chef de quartier dit alaru. ; -Zango: quartier ou camp de repos des voyageurs: ADAMU M., op. dt., 1978 ; -Budin daji, tsafi (sacrifice), yawon almaj/rancl (voyages d'études ou de prédications), etc ... pour
plus de détails on consultera : -ADAMU M., op.dt., 1978, 264 p. ; -ADAMU M., op.dt., 1979, pp. 59-104 ; -ADAMU M., «The spread of hausa culture ln west Africa : 1700-1900», op. dt., 10 p. -ALKAU M. B., op. dt., 1969, 97-125; 240-278 ; -HAMANI Dj., op. cit., 1975, pp. 108-125 ;127-234 ; -IDRISSA K., op. dt., 1982, pp. 25-56 ; -NICOLAS G., op. cit., 1979, 31p. ; -5AUFOU A., op. dt., 1971, pp. 115-199-127 ; -U5MAN Y. B, op. dt., 1972, 24 p.
220
Katsina Nord ne date que de 1817 environ. A Tsibiri elle est
postérieure à cette date tandis que l'installation des États comme le
Damagaram, l'Adar, le Kabi, Kano et même celui de Birnin Katsina est
nettement antérieure à l'année 1817 et couvre dans chacun des cas
cités un espace beaucoup plus vaste. Les proportions des différentes
composantes des populations varient fortement selon les cas: par
exemple au Damagaram il y avait beaucoup plus de Kanuri, de Peul,
de Touareg, d'Arabes qu'au Katsina Nord comme en Adar il y avait
plus des Touareg qu1au Katsina Nord.
Au Kabi, la proportion des Zabarmawa et des Dendawa était
plus significative que celle qu'on pourrait trouver au Katsina Nord. La
diversité des composantes de populations d'un État n'était pas sans
influencer les rapports politiques avec d'autres États et la situation
interne des États partageant les mêmes composantes des populations.
Dans la plupart de ces États, le mode de succession était le même que
celui indiqué plus haut414. La structure d'élection du nouveau sarki
était une constante, même si en Adar elle est l'œuvre de l'Amattakes,
au Damagaram composée de 11 membres, au Gobir elle comprenait 9
membres, au Katsina Nord au maximum 5 membres, etc ...
Il est d'ailleurs inutile de s'attarder sur ces comparaisons. Nous
pensons que ces comparaisons seront plus significatives avec le Borna
ou l'Ayar.
414 HAMANI Dj., op. cit., 1975, pp. 110-111.
221
CONCLUSION
Cette étude nous a conduit, d' une esquisse succinte de la
situation du Katsina à la veille du jihad, puis à l'éclatement du jihad et
ses conséquences, à une -analyse descriptive et à un essai
d1nterprétation des institutions du Katsina Nord.
Mais l'histoire de cette société du Soudan Central, si riche et si
complexe, est dificile à étudier. Beaucoup d'obstacles et de difficultés
ont été rencontrés au cours de notre travail et font qu'il reste encore
des points de l'évolution du Katsina Nord à expliquer :
Les limites du Katsina Nord ne sont pas nettes et le manque de
renseignements sur chaque secteur administratif historique rend très
difficile, dans l'état actuel de nos connaissances, l'établissement d'une
carte des régions et provinces historiques. La carte que nous
proposons dans ce travail est donc perfectible.
L'étude de l'évolution du Katsina Nord suppose un travail préalable
sur une chronologie des différentes dynasties qui sont à la tête de
chaque secteur administratif historique.
La confusion de la fin du siècle impose une étude objective415 du
personnage de kaura Hasau et des véritables causes de cette
confusion.
Quand ces données et d'autres, seront maîtrisées, une étude
comparative intéressante des institutions du Katsina Nord avec celles
du Borna ou du Songhay, et des conséquences de l'évolution du
4150AVIO P., a recueilli des informations très intéressantes dans sa Geste du grand Kaura Hasau mais son étude souffre d'un manque d'analyse pertinente des données.
222
Katsina Nord au XIXe siècle sur son évolution au XX e siècle, peut être
envisagée.
Cependant, on peut déjà constater qu'après le jihad, la région a connu
un afflux progressif des populations et un regain des activités
économiques et politiques surtout avec l'installation d'un état
centralisé à Maradi.
A la base de la révolte du Katsina Nprd, il y avait une résistance
contre un pouvoir trop oppressif, la défense d'une certaine manière
de vivre qui est propre aux populations et la reconquête de tout le
Katsina. L'installation des structures étatiques centralisées au Katsina
Nord s'est faite en harmonie avec les organisations trouvées sur place.
Les institutions du nouvel état installé à Maradi, permettaient non
seulement d1ntégrer tous les dignitaires régionaux et autochtones au
pouvoir, mais encore elles étaient l'expression des préoccupations
socio-économiques et religieuses des populations.
Nous avons montré comment l'institution de sarki reflète la vie
quotidienne des populations. Le conseil électoral, de par le statut de
chacun de ses membres, r~flète toutes les catégories sociales.
Eunuque, homme de confiance de sarki, responsable des affaires
civiles, le Galadima est non seulement le symbole de la confiance, de
la participation des eunuques aux affaires de l'État mais aussi il
exprimait 11mportance que la société attachait aux civils.
Le poste de Yan da ka est une distinction aux populations·
autochtones et aux hommes libres. Le groupe de yan daka est l'un des . . premiers occupants de Yandoto. En effet, une des traditions du
Katsina est d'intégrer, à chaque étape de l'évolution, les anciennes
populations et les anciens dirigeants.
223
D'origine servile, le Kaura416 représente la participation des esclaves
aux affaires de l'État et il est aussi le représentant de l'aile militaire.
Occupé par un homme libre, le poste de Durbj417 démontre que la
dynastie de Durbawa, fondateurs de l'Etat de Katsina, bien que
déchue, n'est pas exclue du pouvoir par la dynastie de Korau. Durbi
est également le plus grand responsable du premier crédo officiel
(l'animisme) du pays. Tous les sarakunan anna sont sous ses ordres.
La participation de liman aux élections témoigne de la
considération faite à l'islam et aux musulmans dans les affaires du
pays.
L'état installé à Maradi devait, en fait, satisfaire plusieurs
exigences des populations: s'adapter au courant d'islamisation
irréversible de la région et aussi résister au califat de Sokoto tout en
assurant aux populations des bonnes conditions de vie.
Les institutions permettaient à toutes les couches des
populations d'avoir un espoir de réussite soit dans la conduite des
affaires de l'État, soit dans les affaires comme le fatauci, le dubu, la
. kan kwariya, les études (yawon almajiranc~, etc ...
La superstructure de la société du Katsina Nord au XIXe siècle ,
était une émanation des infrastructures sociales, économiques et
religieuses, qui, elles-mêmes, trouvent leurs justifications dans les
préoccupations des populations418.
416 Cette Interprétation de la partidpation de ga/adima et de kaura n'exclut pas les raisons qui veulent que ces postes soient occupés par un eunuque et un esclave pour équilibrer le rapport des forces qui aspirent au trône et limiter les ambitions des princes. Rappelons que galadima est aussi un esclave. 417FUGLESTAD F., op. dt., 1978, P 327 ; -NICOLAS G., op. cit., 1975, pp. 57, 159. 418USMAN Y; B., op. cit., 1972, pp. 176-177.
224
Ces structures permettaient aux populations de s'organiser afin
de mieux assurer leur existence, mais aussi elles laissaient des
possibilités d1nnovations et d'abus.
Cette analyse des institutions révèle que l'histoire d'un peuple
dépasse le cadre schématique de guerres, même dans un État qui se
voulait résistant. Elle ne se réduit pas à une confrontation entre les
ethnies ou à un récit légendaire.419
«L'ethnicisation» est un phénomène développé et exploité
récemment.
Ce travail nous montre également qu'aut"ant il existait des
positions recherchées au niveau des superstructures de la société
autant ces positions existaient au niveau des structures de base de
cette même société.
419USMAN Y. Bt op. cit., 1979, pp. 34-55 ;
225
•
Annexe 1 . CORPUS DE KIRARI
KIRARIN GALADIMA
1 - Babba hasken fada!
- Ta sashi, ba a sa shi!
- Ka bada gona !
- Ka hana lri!
5. - Gardaye kashln gari !
- Babba tomo kashin gari !
Traduction
1 - Grand dignitaire, lumière éblouissante de la cour!
- A elle seule tu obéis, personne d'autre ne te donne des ordres!
- Tu donnes un champs !
- mais refuses la semence!
5. - gardaye 420 le pilier principal de la ville. !
- Grand dignitaire, tomo 421 unique pilier de la ville.
. Kirarin Yan Daka
1-Jimre rani, jimre damana bagube !
-Jimre magajin mai nasara422 !
420Gardaye : est une espèce d'arbre.
421signifie galadima voir ABRAHAM R. c., op. dt., 1962, p. 869.
726
-Mai nassara yandoto !
-Guntun kirin kura, ko ya kire ya fadi,
5-Kare ba shi, dauka koya kasaita !
Traduction
1-Bagube qui surmonte la saison sèche, et la saison des pluies !
-Résiste, héritier de Mai Nasara !
-Mai nasara de Yandoto !
-Redoutable charme de l'hyèJ1e, que, même traînant à terre
5-Le chien le plus hardi n'ose porter 1
422Mai Nasara: titre officiel qui signifie le vainqueur.
227
Kirarin Kaura
1 -Gurrai!
-Gurrai, dan Gaba !
-Gurrai, bakon da kan tara gudan dane da kuwa !
-Babban falke sha tabki !
5 -Babban lauje abin karta dundu !
-Yadda sauri babban filata !
-Mai gona na fadan kan gona tai
-Gurrai na fadan kan mai gona !
-Oroma na daudu, mahaman na daudu !
10 -Ciroma walkin Borno, Isa gaba, isa baya!
-Wake gaban,Uban dawakin katsina ?
-Wake bayan, Uban dawakin katsina, ka dara!
-Kauran tsaron kofa !
-Mai Tamna garazum, garazum,
15. -Hadiya da sauran motsi !
-Ragiji ka mi shiga bakin ka ya zama nama !
-Amsa kuku, amsa kuwa ;
-Bakon da kan tara, gudan dane da kuwa !
Traduction
l-Gurraf423 !
-Gurrai tu es à la tête des armées !
-Gurrai l'attaquant qui charge en criant!
423Gurra/ : terme intraduisible, onomatopée qui serait assimilée à un cri de guerre.
228
-Grand caravanier qui épuise une mare ~
5-Grande faucille, moyen de dénuder les épineux424 1
-Débarrasse-toi de ton bâton, grand Peul425 !
-Le propriétaire du champ se bat pour son bien,
-Le très envié se bat pour défendre le propriétaire du champ !
- Ciroma de daudu, Mahaman de Daudu
10 -Ciroma le tablier d'origine bornuane, tu es à l'avant et à l'arrière
garde 1
- Qui est à l'avant-garde du chef de la cavalerie de Katsina, toi le
valeureux!
-Qui est à l'arrière-garde du chef de la cavalerie de Katsina, ! Toi le
plus valeureux 1
-Kaura qui veille sur la cité 1
-Qui broie à grands coups et
15. - Avale sa proie encore toute frémissante 1
- Ragijj426, tout ce qui tombe entre tes mains devient proiel
- Toi qui réponds à tout cri d'alarme427 1
- L'attaquant qui charge promptement en criant 1
KirarinAge
1-A gegeta a ci kayan baki
-Barazaki, baraya dodo
424 Dundu : espèce d'épineux
425 Sauri ici terme d'origine peulh, qui veut dire bâton, -Fi/ata ici terme d'origine peulh qui veut dire peulh. 426 Ragiji : terme intraduisible qui fait allusion au caractère intrépide de kaura
427 Kuku onomatopée qui est assimilée au cri.
229
Traduction
-Isoler l'étranger pour le dépouiller
-Barazaki, entrepôt du roi !
Kirarin Gazawa
l-Gazau gazau ta Magaji!
-Gagarabadan gabas !
-Badan ke ba da gabas tai Kango !
Traduction
l-Gazau gazu ville de Magaji
-Forteresse de l'Est !
-Tu es la seule défense de l'Est.
Kirarin Iya
l-dabkarai makama kafa !
-Mariyama ta korau!
-Mariyama raya Duwatsu!
-Tada na kwance, na zamne ya zamtsaye !
5-Mai yi da wuta, faskara taba ta zaki
230
Traduction
1-Dabkarari, sur qui on s'appuie!
-Mariyama descendante de korau!
-Mariyama qui donne vie aux montagnes!
-Qui est débout se couche, qui est assis se retrouve debout!
5-Celle qui punit avec le feu, et dont le jugement est sans appel,
Parente du roi !
Kirarin Anna
1-Cinakin anne noma !
-In rani ya yi,
-Sai sassabe da farauta.
Traduction
1-L'activité de l'animiste, Cl est l'agriculture!
-Pendant la saison sèche,
-Il défriche et pratique la battue.
Kirarin Jiratawa
1-Ta magagi birnin kauye !
-Ko wa fada ki shi kwana !
-Dikko ya kwammatse duhu !
-Da dokin Dubu
231
Traduction
l-Ville de magaji, cité rurale!
-Quiconque passe tes portes est quitte !
-Dikko a dû préférer les buissons épineux,
-A son cheval d'honneur !
Kirarin Marad; (dignitaire)
l-Dan-bako ! dan- bako !
-Dan-bako, autan saraki!
-Sabra da Gatari hana kwana!
-Sarkin kauye, matanbaya labaru!
5-Babban guruzumi sha da kafa !
-Sarkin gayya kuwara tahi kwadarko,
-1irgi kan nema
-Babban baran magajin Korau!
Traduction
l-Dan bako! Dan bako!
-Dan bako cadet des rois !
-Moustique à la hâche qui perturbe le sommeil !
-Seigneur de la" brousse", grand inquisiteur!
5-Grand bassin où l'on s'abreuve débout !
- Seigneur plein de superbe, fleuve Niger428 qui dépasse le pont !
428 Kuwara : la partie nigériane du fleuve Niger.
232
\
- Nécessite une pirogue !
- Grand serviteur de l'héritier de Korau !
Kirarin dan galadima429
l-Mahaman Na Daudu !
-Ciroma Na Daudu !
-Mahaman Dan-Galadima!
Traduction
l-Mahaman fidèle de Daudu
-Qroma fidèle de Daudu
-Mahaman Dan-Galadima
429 Dan-galadima «il avait la charge la plus élevée que pouvait recevoir un prince, il était l'adjoint du sarki, qu11 remplaçait en cas d'absence. L'épithète accolé au nom Dan-Galadima Daudu ka na jiran gado , (<<daudu, tu attends le trône»), montre qu11 était celui qui, très souvent (mais pas toujours) remplaçait sur le trône le souverain dont il était l'adjoint» : HAMANI Dj., op.cit., 1975, p. 109.
233
Kirarin Maradi (ville)
l-Maradi gagaran gari
-Kaya garin Danbako
-Shiga da rakumi
-Hita da akala !
5-Tsofon gari mai gahiya !
-Garjaga ta jatau !
-Ko wafada ki shi kwana !
-Gamma uku (taikobi, garkuwa, mashi) na
-Da wuya sai barde
10-Kashe mutum kiyi tuba
-In an kashe ki sai dagumma !
-Na ganin ki ka tahi Bauchi !
Traduction
l-Maradi, 11nvincible ville !
-Ville de Dan Bako, «épine dans le pied» !
-Ceux qui y entrent avec leurs chameaux
-En sortent avec le. seul licou.
5-Vieille ville aux rats
-Invincible ville de Jatau430 !
-Quiconque t'implore verra demain
. ;" , 43fJGaljanga : onOl1R'l~, ", .' . -Jatau : nom propre dont le rôle historique est Indéterminé,
234
-Réunir trois armes (épée, bouclier et lance) est très délicat
-Sauf pour un grand officier!
10-Tu tues l'adversaire et le dépouilles !
-Quiconque te tue ne trouve que gris-gris sur toi !
-Tes adversaires préfèrent attaquer Bauchi 431!
Kirarin Korau
Korau na sauri fallasa gari !
Traduction
Korau de sauri,432 vainqueur de la ville !
Kirarin durbi
1-Tasau babban gabas !
-Fasa mika, magajin na lunfasa !
-Na lunfasa na Iddiri, Iddiri na gadi !
-Gadi na mai Jabama !
5-Awalin saran Katsina, Kumayau
-Inane ba naku ba ? Magajin Dan Gangu ?
-Ruwan durun durumi wanda ya sha ya mutu,
-Wanda ya gani ya makance !
431La dernière partie de ce kirarl est tantôt récitée pour Maradl, tantôt pour Jiratawa.
432Pour la suite du kirarl de Korau voir USMAN Y. B., op. dt., 1981(a), pp. 12-15.
235
Traduction
1-Tasau433, soleil levant ou dignitaire de l'est.
-Infatigable héritier de nalunfasa !
-Nalunfasa de Iddiri, Iddiri de Gadi,
-Celui-là même de Jabama 434!
5-Kumayau est le premier pionner de Katsina !
-Tout Katsina ne vous appartient-il pas, héritier de Dan-Gangu?
-Source de Durun Durumi, qui boit de ton eau périt,
-Quiconque la voit perd la vue.
4DrASAU peut signifier en hausa immigrant, révolté ou dignitaire de la ville de TASAWA. 434 Nous ignorons la signification de Jabama, gadi, Iddlri, dan-gangu et nalunfasa. Ils peuvent être des noms propres ou des titres.
236
Annexe 2
Généalogie de Korqom d'après la chronique de Raffin Daqi
(Daji ?)435
Pumpamgari 1200
Arahige 1240
Raidi 1270
Richi 1295
Mungufir 1320
Baburuwana 1350
Maikishifi 1377
IlIa 1417 .
Nika 1475
Zuzu 1506
435 - Nous rapportons cette liste telle que nous l'avons recopiée dans PÉRIÉ J., Carnet monographique numéro 4, A.N.N, 1945, p.7 Ce même document rapporte que la dynastie de Korgom est d'origine Mazumawa et apparentée à la famille des andens chefs de Konni.
237
Kumburi
Gama' 1537
Ka ra ri
Baidu 1548
. Gambulna 1580
Dutchi 1601
Anfari 1631
Zakantchi 1651
Kombida '1681
Gandao 1701
Gogarma 1701
Intada 1748
238
DOCUMENTATION
1 LES SOURCES
1 - La tradition orale
a) Enregistrements de seconde main
Enregistrement anonyme sur l'histoire du Katsina: nous avons
écouté cette bande à la section Voix du Sahel de Maradi en mai
1984.
Enregistrement réalisé par Mahamane Rigo à Tsibiri (cassette en
possession de Mahamane Rigo).
Usman Y.B., Interview sur l'histoire de Katsina, réalisée par 11RSH,
à Niamey le 01-04-1975, (bande disponible à la sonothèque de
l'I.R.S.H.).
b) Tableaux de nos principaux informateurs
Le tableau qui va suivre présente des lacunes. Entre autres
difficultés il est difficile d'obtenir l'âge, même approximatif, de certains
informateurs.
239
TABLEAU DE NOS PRINCIPAUX INFORMATUERS
~ flio2m tj2m 2Y AB 5mmt 2Y f2Dgi2D B.égIg& DBm
mmmn iJRR[2Xi- 3dII!um d'tmoYête
DliJtjf ~
1 Abubakar Kammasu ? sarkin Kano(Maradu) Maradu 17/05/84
2 Barmo Bakoye 75 ans Chef du village de Tokarawa 20/05/84
Tokarawa ta gabas ou ta gabas
Dan gaya ou Dan
gaya
3 Dan Dicko Dan Koulodo ? Professeur Niamey 11/02/84-
18/02/84
4 Dan Dodo ? 82 ans Détenteur du titre de Maradi 19/05/84
dan dodo à la cour de
Maradi
5 Dan shibo Bakoye 55 ans Cultivateur et and en Dan gava 20/05/84
sarkin samarl
6 Dan ? 60 ans Griot à la cour royale Maradi 19/05/84
wardanga de Maradi
7 El Hadji Mahaman 76 ANS Ancien alkali de Maradi Maradl 22/09/84
Idrlssou
8 El Hadji ? ? Cultivateur Maradi 22/07/84·
Labo
9 Hajiya ? ? Tambara et matrône Bargaja Mars 1982 et
Gado août 1983
10 Hajiya ta Uban dawaki ? Tambara et ménagère Dan Gaya Plusieurs
Ausagi entretiens
11 Issa Dan Gaya 70 ans Cultivateur Dan Gaya 20/05/84
12 Kanta ? 90 ans sarkin anna Gazawa 22/09/84
13 Uman Bagashe 87 ans Ancien liman de Madarunfa 21/09/84
Haladu Madarunfa
240
14 Magaji Habou ? Responsable de la base Maradi et Avril 1984 et
I.R.S.H. Maradi Niamey septembre
1984
15 Mahaman ? ? Magajin Bakabe et Maradi 19/05/84
Dan agent du pélerinage
Sadaka
16 Malan ? ? Marabout et cultivateur Hasau 20/05/84
Yahaya
17 Mamane Galadima 50 à 56 Manoeuvre à la sous- Madarunfa 21/03/85
Tama ans préfecture de
Madarunfa
18 Mati Dan lady ? CUltivateur Dan GijlYa Plusieurs
entretiens
19 Mayana Banno 84 ans Prince et anden chef Tasawa 21/05/84
de canton
20 Neino Dan Djimo 45 ans Chef du village de Niamey 24/01/85
Tokarawa Tajaye
21 Roko ? ? CUltivateur et griot Hasau 20/05/84
22 Sani Kwayau ? Uban dawaki de liratawa 17/05/84
liratawa
23 Sarkin ? 85 ANS Chef de la corporation Gazawa 22/05/84
aski Waje des barbiers
24 Sarkin ? 85 ans Chef de la corporation Hasau
bindiga des chasseurs à fusil 20/05/84
Gadi
25 Shayau ? 108 ans Dogari en retraite . Gabi 20/05/84
26 Uban ? ? Ancien ubandawaki de liratawa 17/05/84
dawaki Iro liratawa
27 Yan Roni ? n Notable Gazawa 22/05/84
28 Yerima ? ? Dogari Gazawa 22/05/84
Nomau
241
C) Les monographies et les manuscrits
CUNIN, Division de Gober en Cantons: A.N.N.f14Maradi1.4, Sp et une
carte
EGO B., Monographie sur le département de Maradi (section Voix du
Sahel Maradi), (5.0).
GEBER P., Rapport de chefférie de cantons, 12 Octobre 1950, 6 p.
A.N.N.f14 Maradi 1.3.
LE CANTON DE GABI et son histoire: document anonyme (S.L.N.D) en
possession de Hachirou prince de Gabi. II prétend obtenir ce
document de son grand frère Moussa Na-Abou.
MARIKO K. A., La poursuite du passé (manuscrit en possession de
l'auteur).
MARIKO K. A., Les regroupements paléonégritiques nigériens
(manuscrit e'n possession de l'auteur).
PÉRIÉ J., 5 carnets monographiques de cercle de Maradi 1945
A.N.N.f14 Maradi 1.2 :
Première partie :
A -Le milieu, 12 p. ;
B -Histoire, 6 p. ;
Deuxième partie :
-7 cartes et plan ;
Troisième partie :
-9 fiches de renseignements sur les chefs de cantons, activités
commerciales et maisons de commerce, 9 fiches +7 pages ;
Ouatrième partie :
-Impôts, taxes et services publics, 9 p. ;
Cinquième partie :
-Force publique, 3 p.
242
PÉRIÉ J., Cercle de Maradi : historique complet, politique et
administratif: des origines à 1940, rédigé par le commandant de
cercle Périé (1947-1948) A.N.N. (Niamey).
PÉRIÉ J, Notes historiques sur la région de Maradi (5.0.), 22 p.
I.R.S.H.
PlOT M., La nomination de sarkin Katsina, Maradi 15 Novembre 1944,
4 p. A.N.N/14 Maradi 1.1.
SARKI Souleymane, Enquête sur l'histoire de Tokarawa (1982 ) (texte
en possession de l'auteur).
VILLOMÉ: Monographie secteur Maradi (double) avec les cartes
annexes, 1913-1914
d) Les chansons
-El hadji Dan Anace : wakar annan Dan -Alli ;
-El hadji Mahaman Shata : wakar sarkin Daura ;
-El hadji Baia Nagoje : wakar sarkin Maradi
-Orchestre Kaura de Maradi : Le disque Na Maradi Dan-kasawa
243 b
"
Cartes des principales zones d'enquête.
Carte des principales zones d'enquête
L6gende
• • •
Froriu6r\s lIClUelles du NIgII!' et du NIg6rla
UrntD approxIrn:JIiye du Katslnll Nord au XIX6 B.
U~ des 8edeu1D Ddninlatrntlfa prkolon!1IUX
G\IIbin Maudi
LaodoM~8 Ueult d'enqu&te
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ToIœrawD .Madmunfa. ~ . /
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.. ., Hasou 1. a
244
\J o s DAURA
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BALANDIER G., Anthropologie politigue. Paris, P.U.F., 1969, 240 p.
BARTH H., Travels and discoveries in North and Central Africa.
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BARTH H., Voyages et découvertes dans l'Afrigue septentrionale et
centrale pendant les année 1849-1855, Paris, F. Diderot, 1963 ; 4
tomes: T.I. 360 p., T.Il. 318 p. ; T.IIl. 306 p. et T.IV. 306 p.
BARTH H., Travels and discoveries in north and central Africa. London, •
Frank Cass and Company Ltd, 1965, 3 volumes (originally published in
Germany in 1857-8, 657 p. ; 709 p. et 800 p.
COQUERY-VIDROVITCH C., «Les structures du pouvoir et le village
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méthode, réalisation. perspectives» Cahiers d'Histoire mondiale:
Volume XII, 4, 1970 pp. 560-587.
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256
Remerciements
Abréviations
Transcription
Introduction
Tables des matières
1. Les raisons de notre choix
2. Les difficultés rencontrées
3. Exposé des sources et considérations
4. Critique de sources
méthodologiques
5
7
9
11
11
13
16
17
Première Partie: Naissance et évolution du Katsina Nord. 21
Chapitre 1er : Présentation physique et humaine
1. Aspect physique
a. Le relief
b. Les principaux cours d'eau du Katsina Nord
c. La végétation
d. Le climat
2. Aspect humain
Chapitre II : Introduction au XIXe siècle
1. Aperçu historique de la situation générale
22
22
22
24
24
26
26
31
31
2. Le Katsina Nord avant le Jihàd : des facteurs favorables· 38
257
Chapitre III. : Le Jihad au Katsina 50
1. Les évènements du Jihad au Katsina 53
2. Les jihadistes au Katsina Nord 58
3. La révolte du Katsina Nord 63
a. Préparation de la révolte 64
b. La révolte 66
4. Nos tentatives d'explication du succès de la révolte du Katsina
Nord 69
Chapitre N. : Katsina Nord après la révolte
1. conséquences de la révolte pour le Katsina Nord
a. conséquences politiques
b. conséquences dém~graphiques
c. conséquences économiques
2. Le pays après Dan Kasawa : de 1830 à 1910
a. Le premier successeur de Dan Kasawa
b. L'avènement de Dan Mari (1836-1843)
c. Le règne de Dan Baskore, fils de Rauda
(c. 1852/3-1875)
d. La fin du siècle au Katsina Nord.
Deuxième Partie: les Institutions
Chapitre V. Analyse descriptive des institutions
socio-politiques du Katsina Nord au XIXe siècle
1. L'organisation administrative du territoire
a. La d~vision administrative du territoire
258
76
79
79
83
87
92
92
93
95
97
105
109
109
109
• Responsables administratifs à partir du
pouvoir central 114
• Les administrateurs sur le terrain 115
b. Le pouvoir central : le Sarki et sa cour 123
• Les membres du conseil électoral 126
• L'élection du sarki 128
• L'organisation de la cour 135
• Titres des princesses 144
• Titres des princes 147
• Titres de Katsina et correspondants en
français selon Issaka Dan Koussou 149
c. L'organisation militaire 150
d. La justice 152
e. Les ressources de l'Etat et de l'administration 155
f. Le contrôle de la gestion du royaume 160
2. Les autres institutions: 164
a. Les différentes catégories sociales 164
b. Le mariage 168
c. La cérémonie de Yan sha 173
d. Les institutions de dubu et de Kankwarya 175
• Le dubu 176
• La Kan Kwarya 180
e. Deux modèles de travaux collectifs : la gawa et la
gukkun 183
f. La cérémonie de budin daji ou budin dawa 186
259
3. Un aspect de l'évolution des institutions: leur dynamisme 193
Chapitre VI. : Essai d'interprétation des institutions 200
1. Les fondements du pouvoir dans un royaume africain :
le cas du Katsina Nord 201
2. Quel changement au Katsina du XIXe siècle? 212
3. La similitude des institutions du Katslna Nord avec celles
des autres Etats Hausa et de leurs voisins. 215
Conclusion 222
Annexe l : corpus de Klrari 226
Annexe II : Généalogie de Korgom d'après la chronique de
Raffin Dagi (Daji ?) 237
Documentation 239
1. Sources 239
2. Ouvrages généraux 245
3. Etudes plus spécialisées consacrées au Soudan Central 247
4. Quelques études consacrées au Katsina et au
Katsina Nord 254
Tables des matières 257
260 ~-
"
Addo Mahamane est né vers 1957 à Tokarawa Ta Gabas dans le département de Maradi (République du Niger ). Il est actuellement Chef du Département d'Histoire de l'Université Abdou Moumouni de Niamey. Enseignant de carrière, il mena plusieurs études historiques, sur le monde Hausa, parmi lesquelles on peut citer:
- Le Katsina, l'impossible unité, 1988 ; - Étude documentaire des relations commerciales entre
le Niger et le Nigéria, en collaboration avec Dr. Chako Chérif, Niamey, PA5PEjU5AlD, 1993 ;
- Les institutions politiques du Katsina aux XVIIIe et XI Xe siècles: introduction à l'étude de la civilisation hausa, DEA, Aix-Marseil/e l, 1994 ;
- Institutions et imaginaires politiques hausa : le cas du Katsina sous la dynastie de Korau (XVe-XIXe 5), thèse de doctorat unique soutenue en 1998 à Aix-en-Province ;
- La légende de Bayajida. ou l'''invention'' d'une mémoire en pays hausa, 1999 ;
- Les relations entre les mondes Hausa et 50nghay, Colloque de l'AssQciation des Historiens Nigériens (A.H.N), juin 1999.
Addo Mahamane est aussi co-auteur de certains manuels d'histoire rédigés par 17nstitut National de Documentation, de Recherche et d'Animation Pédagogiques (I.N.D.R.A.P.) rédigés entre 1986 et 1992.
Il se consacre aujourd'hui à des recherches sur les thèmes suivants : Institutions et dynamiques des sociétés: fondement du pouvoir dans
la société hausa ; - Les institutions politiques en Afrique : la question de légitimité
et légalité en rapport avec la stabilité et l'instabilité politiques.
Addo Mahamane milite aussi dans plusieurs organisations socioprofessionnel/es tel/es que l'A.H.N, l'Association des Amis du Professeur Dan Dicko Dan Koulodo (A.D.D.K), etc.
L'étude qu'il vient de publier est le premier volume d'une série qui sera consacrée à la région de Maradi dans sa mutation. Actuellement, il a mis en chantier trois volumes : la biographie de 5arki Buzu, les transformations de la région de Maradi de 1900 à 1960 et Maradi après l'indépendance du Niger: 1960-1990.
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