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1 INSTITUT NATIONAL SUPERIEUR DES ARTS ET DE L’ACTION CULTURELLE REVUE IVOIRIENNE DES ARTS ET DE LA CULTURE ISBN: 978-2-9535414-0-3 EAN: 9782953541441 ISSN : 2226-5503 N°6 juin 2014

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INSTITUT NATIONAL SUPERIEUR

DES ARTS ET DE L’ACTION CULTURELLE

REVUE IVOIRIENNE DES ARTS ET DE LA CULTURE

ISBN: 978-2-9535414-0-3 EAN: 9782953541441

ISSN : 2226-5503

N°6 juin 2014

N°6, Juin 2014

Revue scientifiqueCulture, des Lettres et Sciences

Publication semestrielleSupérieur des Arts et de l’Action Culturelle

ISBN: 978

Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle (INSAAC)

Boulevard de l’Université08 BP 49 Abidjan 08

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ISSN : 2226

Revue scientifique des Arts, de , des Lettres et Sciences

Humaines

Publication semestrielle de l’Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle

Numéro coordonné par

ISBN: 978-2-9535414-0-3 EAN: 9782953541441

Supérieur des Arts et (INSAAC)

Boulevard de l’Université

UFR Information, Communication et Art(UFRICA)

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2226-5503

de la , des Lettres et Sciences

de l’Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle

UFR Information, Communication et Art

BOIGNY

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REVUE IVOIRIENNE DES ARTS ET DE LA CULTURE

DIRECTION SCIENTIFIQUE : Prof. KOUADIO N’guessan Jérémie

Rédacteur en chef : Prof. GORAN Koffi Modeste Armand Rédacteur en chef adjoint : Dr ADIGRAN Jean-Pierre COMITE SCIENTIFIQUE ET DE LECTURE Pr. KOUADIO N’guessan Jérémie, Université de Cocody Pr. LEZOU Dago Gérard, Université de Cocody Pr. KONATE Yacouba, Université de Cocody Pr. SIDIBE Valy, Université de Cocody Pr. N’DA Paul, Ecole Normale Supérieure Pr. ABOLOU Camille Roger, Université de Bouaké Pr. Eliane CHIRON, Université de Paris 1 (France) Pr. Mohamed ABIDINE, Université de Tunis (Tunisie) Pr. BROU Benjamin, Université de Lille/Ecole des Beaux-arts de la Martinique (France) Pr. Jean-Louis LELEU, Université de Nice Sophia-Antipolis (France) Pr. Eric MELOCHE, François-Rabelais de Tours (France) Pr. Michel De LANNOY, François-Rabelais de Tours (France) Pr. SCHEINFEIGEL Maxime, Université Paul-Valery-Montpellier III (France) Pr. LIBER Gérard, Université Paul-Valery-Montpellier III (France) Pr. ROLOT Christian, Université Paul-Valery-Montpellier III (France) Pr. ACHEMCHAME Julien, Université Paul-Valery-Montpellier III (France) Pr. LE BIHAN Loig, Université Paul-Valery-Montpellier III (France) COMITE DE REDACTION ADIGRAN Jean-Pierre NANGA-ADJAFFI Angéline GORAN Koffi Modeste Armand HIEN Sié KAMATE Banhouman KOUASSI Adack OYOROU Benson OUMOU Dosso

MARKETING ET PUBLICITE INSAAC

INFOGRAPHIE/WEB MASTER ALI Djaniklo AMANI Yao

EDITEUR : INSAAC

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Sommaire

Editorial Goran Modeste Armand Koffi 7

Arts KAKOU Kouadio Jean Parfait 11 L’expressivité dramaturgique kwahuléen dans bintou

Anthropologie BOA Assemien 27 Gestion d’une maladie chronique par les patients : cas de l’hypertension artérielle en côte d’ivoire. KORE Bally Claude 35 La politique sociale dans les collectivités décentralisées : l’exemple de la mairie de Cocody

Histoire NFOULE Mba Fabrice 58 Historiographie de la reforme administrative au Gabon (1971-1977): appropriations technique et politique « incantatoires ADJO André 76 Le rôle international de l’Union Africaine : entre non-afrirmation et logique de dépendance 50 ans après

Geographie KOUASSI Konan 94 La vulnérabilité du système d’assainissement autonome et vulnérabilité environnementale à Attécoubé

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Psychologie BOUSSOUGOU-MOUSSAVOU Jean Aimé 111 Influence du stress professionnel sur la vie hors travail du personnel féminin des hôpitaux publics : le cas des sages-femmes BOULINGUI Jean-Baptiste 134 Les facteurs influençant les performances des arbitres de football : cas des arbitres gabonais du championnat professionnel de 1ère division

Linguistique KOUAME Yao Emmanuel 156 Le nom en Avikam : description morphologique et syntagmatique

Communication

NDONG NGOUA Anaclet 171 Les institutions Universitaires (Universités, Centres, etc.) et les médias en Afrique noire francophone TOPPE Gilbert 194 Système numérique spécifique lié à la pédagogie à l’université Alassane Ouattara de Bouaké OULAÏ Jean-Claude 206 La restauration de la cohésion sociale en Côte d’Ivoire : approches communicationnelles KOFFI Hamanys Broux De Ismaël 217 Le téléphone mobile : un produit de la mondialisation

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Editorial

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Arts

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SANKOFA N°6, juin 2014, pp.11-23 ISSN: 2226-5503

L’EXPRESSIVITÉ DRAMATURGIQUE KWAHULÉEN DANS BINTOU

Kakou Kouadio Jean Parfait Doctorant à l’Université Félix Houphouët-

Boigny d’Abidjan-Cocody (Côte d’Ivoire)

RÉSUMÉ L’analyse textuelle de Bintou de Koffi Kwahulé révèle une richesse inouïe des marques d’expressivité dramaturgique qui configurent son sens. Les procédés scripturaux décelés sont entre autres les flash-back doublés de mise en abîme sous douche, le temps suspendu, la choralité, la vision, les espaces imbriqués et scène éclatée. L’utilisation de tels procédés étant quelque peu rares, émanent de l’imagination créatrice du dramaturge. Ils confèrent ainsi la marque de l’originalité à Bintou renforcée par un incipit dévoilant son sens par le biais des thématiques qui la parcourent : délinquance juvénile, excision, vie d’immigrés africains en France. Mots -clés : Dramaturgie-Esthétique- Expressivité- Littérarité- Poétique. ABSTRACT The textual analysis of Bintou by Koffi Kwahulé reveals an incredible wealth from the dramatic expressiveness marks that shape its meaning. Detected Scriptural processes are among others flashbacks in pair with some mise en abyme (story within a story/droste effect) under shower, suspended time, the choralité (chorus devices), vision, embedded spaces in a split up scene. The use of such methods being somewhat rare, emanate from the creative imagination of the playwright. They thus provide Bintou with the brand of originality enhanced by an incipit revealing its meaning through the themes running through it: juvenile delinquency, excision, life of African immigrants in France. Keywords: Dramatic art- Aesthetic - Expressiveness- Literality- Poetics.

INTRODUCTION L’Art et la Littérature sont nés dans la société des humains pour un besoin de communication de valeurs cultuelles, culturelles et idéologiques. À la base de toute communication, notamment de la communication artistique et littéraire, il y a certes l’échange et la transmission des informations dans son versant ordinaire et simple, mais il y a également et surtout le comment du message transmis ou échangé, c’est-à-dire la manière dont le message est brodé et rendu au récepteur. Ce pan, que nous qualifions de non parnassien, cristallise la poétique dont l’objet, à en croire Roman Jakobson, culmine dans cette question : « Qu’est-ce qui fait

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d’un message verbal une œuvre d’art ? 1». Dans une acception extensive, qu’est-ce qui fait d’une œuvre littéraire une œuvre d’art ? Sur la base de cette pensée Jakobsonienne, nous notons que, entre " un message verbal (une œuvre littéraire) " et "une œuvre d’art", il y a un trait d’union, un pont, voire un auxiliaire érigé en convertisseur : la poétique. Elle est la science de la littérature et « l’objet de la science littéraire n’est pas la littérature mais la littérarité, c’est-à-dire ce qui fait d’une œuvre donnée une œuvre littéraire »2. La poétique interroge les propriétés du discours particulier qu’est le discours littéraire, à savoir tout ce qui a trait à la création dont le langage est à la fois la substance et le moyen. L’acception de Jakobson réfère aussi à la manière d’organiser le message, donc à l’esthétique que nous définissons comme étant les traits caractéristiques qui fondent la spécificité et l’originalité d’une œuvre littéraire. Le propos de Jakobson est perceptible dans la notion d’expressivité que Henri Morier définit ainsi : « L’expressivité est un rapport de convenance qui s’établit entre la chose exprimée et la manière de l’exprimer 3». Aussi voulons-nous nous intéresser aux marques d’expressivité d’un domaine connexe à l’Art et à la Littérature : le théâtre. À la fois art du spectacle et genre littéraire, le théâtre fait appel à la convergence d’un faisceau de moyens qui mobilisent l’individu social au cours d’une action jouée dans un processus d’expression artistique. Ce qui précède nous conduit au sujet suivant : « L’expressivité dramaturgique kwahuléen dans Bintou4 ». En quoi consiste t-elle ? Quels sont ses marques ? Ces dernières ressortissent aux procédés dramatiques, aux techniques scripturales, langagières, scéniques et à certaines innovations que le dramaturge a utilisés dans Bintou et qui font sens. Elles consistent à mettre en lumière le fonctionnement de la pièce en participant de son sens à travers leurs organisations pour une meilleure intelligibilité de l’œuvre. Ces marques révèlent les moyens de création et, par conséquent, sont liées à l’esthétique. Sur ce point, Tzetan TODOROV rappelle ce qui suit :

On formule très souvent cette exigence face à toute analyse littéraire, qu’elle soit structurale ou non : pour être jugée satisfaisante, elle doit pouvoir expliquer la valeur esthétique d’une œuvre, dire, en d’autres mots, pourquoi on juge telle œuvre belle et non telle autre. 5

Notre analyse prend en compte uniquement le texte Bintou tel qu’il s’énonce et s’appuie sur des faits textuels précis pour déceler et expliciter les mécanismes textuels de la construction de sens envisagés

1 -Roman JAKOBSON, Essais de linguistique générale, Paris, Les Éditions de Minuit, 1963, p. 210. 2 -Tzetan TODOROV, Poétique, Paris, Éditions du Seuil, 1968, p.106. 3-Henri MORIER, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, PUF, 4e édition revue et augmentée, 1989, p. 482. 4 -Koffi KWAHULE, Bintou, Bruxelles, Lansman, 2003. 5 - Tzetan TODOROV, Op. cit., p.98.

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dans leur aptitude à produire de la poéticité ou de la littérarité. Notre méthode est une analyse textuelle doublée d’observations minutieuses du fonctionnement du texte. Pour être plus précis, il s’agit de repérer et de dégager les moyens expressifs pertinents et d’élucider la manière dont ils font sens dans Bintou. D’ailleurs, « une réflexion théorique sur la poétique qui n’est pas nourrie d’observations sur les œuvres existantes se révèle stérile et inopérante.6» Pour mener à bien cette étude, nous avons organisé les marques d’expressivités identifiées autour des lignes d’analyse suivantes : 1-L’incipit comme mode de configuration du sens 2-Les flash-back doublés de mise en abîme sous douche 3-La technique du temps suspendu 4-La manifestation de la choralité 5-La vision 6-La technique du dédoublement 7-Les espaces imbriqués et scène éclatée 8-L’expression proverbiale 1- L’INCIPIT COMME MODE DE CONFIGURATION DU SENS L’incipit d’une œuvre littéraire est composé d’éléments para-textuels tels que le titre, la préface, la postface, l’épigraphe, etc. Pour ce qui est de l’œuvre dramatique, en plus de ces indications, il faut ajouter, si elle existe, la liste des personnages qui est un élément didascalique extratextuel dont l’explicitation de l’organisation dévoile le sens de la pièce. Celle de Bintou s’énonce comme suit : « -Bintou : Type africain, treize ans, Chef du gang "Les Lycaons". Ses amis l’appellent "Samiagamal". - Manu : Type européen. Dix-huit ans. Emmanuel de son vrai nom. Petit ami de Bintou. Lycaon. -Kelkal : Type maghrébin. Dix-sept ans. Kader de son vrai nom. Lycaon. -Blackout : Type africain. Seize ans. Okoumé de son vrai nom. Porte sur lui un flingue. Lycaon. -La mère de Bintou : Cinquantaine. Femme de ménage. -L’oncle Drissa : La quarantaine. Jeune frère du père de Bintou. -La tante Rokia : La trentaine. Épouse de Drissa. -Moussoba : Le chœur l’appelle "La dame au couteau". -Le chœur : Trois adolescentes. -Nénesse : La cinquantaine. Tiens un bar. -La mère de P’tit Jean : Peut être aussi bien noire que blanche ou jaune. La quarantaine. -P’tit Jean : Dix-huit ans. Chef de gang "Les Pitbulls". -Terminator : Dix-huit ans. Pitbull. -Assassino : Dix-huit ans. Pitbull. 7»

6 -Tzetan TODOROV, Op. cit., p.21. 7 - Koffi KWAHULE, Op. cit., p. 4.

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La liste comprend quatorze personnages dont le premier cité est Bintou, nom donné au titre de la pièce et qui érige celle-ci en œuvre éponyme. Bintou est le personnage principal et central autour duquel se tisse l’intrigue. Sa vie est la substance de l’œuvre. Les trois personnages qui suivent, et Bintou, constituent le gang "Les Lycaons" dont elle est le Chef. Les trois derniers noms de la liste constituent également un autre gang, "Les Pitbulls", avec pour chef P’tit Jean. Il y a deux gangs en présence, des gangs rivaux, l’affrontement ou la guerre des gangs est à envisager. Après avoir égrené les membres de la liste "Les Lycaons", le dramaturge a mis le personnage nommé La mère de Bintou, et avant d’énoncer ceux de "Les Pitbulls", il a indiqué la mère de P’tit Jean. La lecture qui se dégage est un peu comme si les deux gangs avaient été mis en présence dans une formule chiasmique qui vient renforcer l’idée d’affrontement entre eux. Par ailleurs, le bar que tient Nénesse est l’un de leurs lieux de prédilection pour l’expression de leur vie de débauche et de dépravation. Leurs âges oscillant entre treize et dix-huit ans, dévoile la thématique de la délinquance juvénile. La nationalité ou la race des personnages mis en présence, " type africain, type européen, type maghrébin", laisse transparaitre l’espace englobant dans lequel se déroule l’action. Une telle cohabitation de races est rare en Afrique, mais possible en Europe. De plus, le mot "P’tit" mis pour l’adjectif "petit", dans son orthographe comme dans sa prononciation, est couramment utilisé en France. Il est donc question de la vie d’immigrés en France. De cette liste de quatorze personnages, il n’y a que deux qui ont une profession : La mère de Bintou est femme de ménage et Nénesse est tenancier de bar. Il ressort que les familles d’immigrés sont pauvres. Elles n’ont pas les moyens d’assurer l’avenir et l’éducation de leurs enfants. D’où le dévoiement de ceux-ci pour la délinquance. La présence du personnage du chœur rappelle le chœur tragique grec. Le chœur porte alors en lui les gènes de la tragédie. Il imprime ainsi cette marque à la pièce Bintou. L’indice inconditionnel de la tragédie est "la mort" ; elle est soupçonnée ici par le biais du personnage que le chœur seul surnomme singulièrement "La dame au couteau". Elle répond au nom de Moussoba. En langue malinké, ce nom signifie "vieille dame ou grande dame". Si "le couteau" participe spécifiquement de sa caractérisation, c’est parce qu’il dévoile son métier : exciseuse. Bintou est morte des suites de son excision par Moussoba. La pratique des us et coutumes africains en France est aussi une des problématique de la pièce. 2- LES FLASH-BACK DOUBLÉS D’UNE MISE EN ABIME Le flash-back, aussi appelé retour en arrière, est un procédé cinématographique utilisé par le dramaturge dans Bintou. Dans cette pièce, nous avons constaté l’existence de deux flash-back doublés de mise en abyme.

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2.1-FLASH-BACK DOUBLÉ DE MISE EN ABYME DANS ‘’TENTATION‘’ Le Dramaturge procède par une douche qui, sur l’espace scénique, isole d’abord Bintou. Celle-ci est, par la suite, rejointe par son oncle Drissa. Enfin les deux personnages sont circonscrits par la même douche. La lumière est ici un moyen privilégié d’écrire l’espace. Sous cette douche, ils sont mis en spectacle où la mère de Bintou et l’épouse de l’oncle Drissa (la tante) assistent à cette scène rétrospective dont elles n’avaient aucun soupçon. Koffi Kwahulé utilise ce procédé dramaturgique pour mettre en lumière, pour dévoiler, aux yeux de la tante, l’infidélité de l’oncle Drissa (son époux) et au regard de la mère de Bintou, le comportement incestueux de l’oncle Drissa (son beau frère). Cette situation est perçue dans l’œuvre à la référence suivante :

La lumière circonscrit un espace qui isole Bintou. Le chœur l’y rejoint. Une des filles lui présente le miroir tandis que les deux autres l’aident à se maquiller. L’oncle s’avance jusqu’au seuil du faisceau de lumière. La mère et la tante "assistent" à la scène.

L’oncle : Bintou, tu es-là ? Bintou : Tu peux entrer, la porte n’est pas fermée (…) L’oncle :Tu t’es trouvé un amoureux ?(...) Bintou : Toi, oncle Drissa, je parie que tu as un truc qui te zigzague dans tous les coins de la tête comme une bille de flipper. Et tu voudrais que Bintou t’aide à l’arrêter, n’est-pas ? (il glisse sa main sur les fesses de Bintou. Elle se retourne vivement ; elle tient un couteau à cran d’arrêt. Pour la première fois, les deux sont face à face. Dure et ferme) Recommence ce que tu viens de faire et je te vide de ton sang comme un porc d’abattoir. Allez, sors ! L’oncle : je voulais simplement voir si tu portais… Bintou : Dehors ! (L’oncle sort du cercle lumineux. Bintou range le couteau. La lumière s’élargit pendant que le chœur regagne sa place du début)8.

Le flash-back tel qu’employé dans Bintou est doublé d’une mise en abyme aussi appelé théâtre dans le théâtre : « la mère et la tante assistent à la scène.9 ». 2.2- LE FLASH-BACK DOUBLÉ DE MISE EN ABYME DANS ‘’US‘’ Dans cette section de la pièce, Moussoba (une vieille femme) est venue chez les parents de Bintou, suite aux appels de détresse de la mère de celle-ci, pour s’enquérir des actions menées par la famille pour ramener Bintou sur le droit chemin.

8- Koffi KWAHULE, Op. cit., pp. 8-10. 9- Idem.

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À ce propos, sa mère souligne à Moussoba : J’ai tout essayé pour l’empêcher d’édifier sa propre vie comme une gigantesque statue de dépravation.10. Et à La tante Rokia de renchérir sur les propos de la mère de Bintou : J’en suis témoin, Moussoba, sa mère a tout tenté. Mais vous ne connaissez pas encore Bintou. J’étais là le jour où ma belle-sœur l’a appelée… 11. À la suite de ces trois points de suspension, vient l’évocation des faits par la tante Rokia. Ici, l’auteur a pris le parti de dramatiser le récit, c’est-à-dire de le mettre en action ou de le faire jouer sur scène par les personnages concernés, avec pour spectateurs Moussoba et les parents de Bintou. La référence de ce flash back doublé d’une mise en abîme est : [ La mère : Bintou ! Bintou ! Bintou !... Bintou : N’oublie jamais ce que je viens de te dire, maman. Allez, amène-toi, mon

Envoûtement. (Ils sortent. Bribes de musique orientale. Silence).12] Cette portion textuelle, dans la présentation matérielle de son « espace textuel ou livresque » et sur la base de sa délimitation par rapport au reste du texte, est insérée dans une sorte de segment. Elle s’étend de la page 31 à la page 33. Le procédé de flash-back doublé de mise en abyme ici vise à convaincre Moussoba de toutes les tentatives échouées de la famille pour envoyer Bintou en Afrique pour l’exciser. 3- LE TEMPS SUSPENDU Ce temps est une pause momentanée que le dramaturge insère intentionnellement au niveau de l’action de certains personnages dans le déroulement de l’intrigue. Ceci permet de faire un gros plan sur la présentation du personnage Bintou par le chœur, dans la partie exposition de la trame de Bintou.

Modeste intérieur d’une famille d’immigrés noirs africains. L’oncle Drissa, sa femme Rokya et la mère de Bintou guettent visiblement le passage de quelqu’un. Entre Bintou précédée par le chœur formé de trois filles adolescentes. Elles portent un miroir et une trousse à maquillage. Bintou traverse la maison sans jeter le moindre coup d’œil à ses parents.

10- Koffi KWAHULE, Op. cit., p. 31. 11- Idem. 12 - Koffi KWAHULE, Op. cit., pp.31-33.

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La mère : Bintou ! (Bintou s’immobilise. Temps suspendu) Le chœur : Bintou Bintou Bintou Petite fleur sauvage poussée envers et contre tous poussée sur le froid béton d’une cité où même les flics n’osaient pas allés Bintou Bintou Bintou Bintou tête de gang La cité je n’aimais pas L’école je n’aimais pas La loi du père je n’aimais pas Bintou Bintou Bintou Bintou n’aimait pas que trois choses au monde son gang que sa tante appelait "les Lycaons" son nombril autour duquel elle dansait son couteau que lui avait offert Manu Manu son petit ami ne voyait que par Bintou ne respirait que par Bintou n’écoutait que par Bintou Bintou Bintou Bintou Bintou qui était "bonne à rien" comme disait sa mère Bintou qui n’était "bonne qu’à blasphémer" comme disait son oncle Bintou "la dépravée" comme disait sa tante Pourtant j’avais un rêve Un rêve pour lequel j’étais prête à tout…

… Bintou a treize ans. Bintou : Qu’y a t-a-il encore maman ? 13.

Avant que Bintou ne réponde à sa mère « Bintou : Qu’y a t-a-il encore maman ? 14» pour que leur deux propos constituent un début de dialogue, il y a l’enchâssement d’une longue intervention du chœur (chant ou narration) sur deux pages qui donne des informations essentielles sur la vie de Bintou. A ce niveau du déroulement de l’intrigue, Bintou et sa mère

13- Koffi KWAHULE, Op. cit., pp.5 et 6. 14- Idem

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sont en pause plastique. Mais, signalons que le chœur, seulement visible par Bintou et par les spectateurs, est en mouvement sur le plateau et fait la présentation de celle-ci. Le passage narratif du chœur sert à introduire Bintou et l’action dramatique, à influencer le spectateur dans sa perception des faits. Après l’intervention du chœur, la mère de Bintou reçoit la réplique de sa fille et l’enclenchement de leur conversation qui a été stoppée, reprend et se poursuit simultanément avec l’action. 4- MANIFESTATION DE LA CHORALITÉ Le chœur, aussi bien en musique qu’au théâtre, est composé de plusieurs voix. Mais ce sont des voix concourantes et dans la plupart des cas où un groupe de personnages prend la parole, on retrouve un fonctionnement choral ; toutes les voix séparées finissent par n’en faire qu’une seule pour énoncer un propos ou un dire collectif. On alors affaire à une instance collective à fonctionnement langagier homogène. Le collectif constitue un seul et même énonciateur ou locuteur. Dans l’antiquité grecque, précisément dans le genre de la tragédie, le chœur était présent. Sous le nom de stasima au pluriel et de stasimon au singulier, le chant du chœur participait de la structuration de l’action dramatique en ponctuant chacun des trois épisodes. Le rôle du chœur était passif, c’est-à-dire qu’il était chargé de commenter l’action. Dans Bintou, la présence du chœur est un clin d’œil du dramaturge à la tragédie antique grecque ou en d’autres termes ce que d’aucuns appellent un recours aux Anciens, l’imitation des Anciens. Il y a ici une sorte d’imbrication temporelle : antiquité et époque contemporaine. La notion de chœur et précisément celle de chorale a engendré le concept de choralité qui, avec l’opinion de Martin Mégevand, est :

disposition particulière des voix qui ne relève ni du dialogue, ni du monologue ; qui, requérant une pluralité (un minimum de deux voix), contourne les principes du dialogisme, notamment réciprocité et fluidité des enchainements, au profit d’une rhétorique de la dispersion (atomisation, parataxe, éclatement) ou du tressage entre différentes paroles qui se répondent musicalement (étoilement, superposition, échos, tous effets de polyphonie)15.

Le chœur apparaît respectivement dans les sections ‘’1.Tentation‘’, ‘’2.Jazz‘’ et ‘’7.Viol‘’ de Bintou. La trajectoire du chœur, ressortie à la dynamique de l’action, recouvre plusieurs fonctions. Dans ‘’1.Tentation‘’, le chœur est d’entrée de jeu le personnage qui, sur deux pages, nous révèle, dès l’exposition, les traits de caractère de Bintou dans une forme textuelle poétique. A sa première entrée sur scène, elle est précédée par le chœur qui lui apporte un miroir et une trousse à

15 - Martin MEGEVAND in Nouveaux territoires du dialogue (sous la direction de Jean-Pierre Ryngaert), Ales, Actes Sud/ CNSAD, 2005, p. 37 et 38.

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maquillage. Le chœur étant composé d’adolescentes, elles apparaissent alors comme des dames de compagnie et des éclaireuses pour Bintou. La section ‘’2.Jazz‘’ met en exergue, pour ce qui est du chœur, sa fonction musicale, de la page 24 à la page 26. Le texte ayant l’allure d’un poème est un chant dont le titre pourrait être ‘’deale‘’ où le couplet est assuré par Bintou et le refrain par le chœur. L’alternance des répliques entre ces deux personnages auraient fait penser à un dialogue ou à un échange discursif entre eux. Cependant, il s’agit d’un chant où Bintou exhorte P’tit Jean à abandonner la consommation de la came mais à la vendre aux décideurs, à leurs femmes et à leurs enfants pour déglinguer leur monde. La fonction du chœur dans la section ‘’viol‘’ s’apparente, dans la Tragédie antique grecque classique, à celle des Érinyes ou (Érinnyes), anciennes déesses grecques de la vengeance, appelées aussi les Euménides, c'est-à-dire les ‘’bienveillantes’’ par ironie. L’incipit de Bintou indique que le chœur est composé de trois adolescentes. Elles représentent trois sœurs (Alecto, Tisiphone et Mégère), ces déesses primitives violentes, que les Romains identifieront avec leurs furies, châtient les crimes et la démesure des humains en bannissant le meurtrier ou en le frappant de folie. Le châtiment réservé à l’oncle Drissa en sera similaire. Il est le pivot de l’orchestration de la mort de Bintou :

Lorsque la lumière revient. L’oncle achève de refermer la tombe encore. Soudain. Il découvre le chœur autour de lui… comme pris de panique devant le silence du chœur, l’oncle recule. 16

Mais, avant que l’oncle Drissa ne sorte, son dernier propos, dans la pièce, nous permet de noter que les membres du chœur sont des amies de Bintou et, dans l’élan de sa panique, toutes les interrogations qui leur adressent ne reçoivent aucune réponse. Elles lui affichent un mutisme absolu signifié par l’itération du mot ‘’silence‘’ au nombre de sept fois. Elles ont vengé Bintou comme l’indique subtilement la dernière didascalie qui clôt la pièce en ces termes : « il (l’oncle Drissa) sort, suivi par le chœur. 17». En fait ‘’suivi‘’ doit ici être compris dans le sens de ‘’poursuivi ‘’. Nous dirons alors que la séquence linguistique ‘’l’oncle Drissa poursuivi par le chœur‘’ peut être interprétée comme un bannissement ou une excommunion car sa fuite le conduit à quitter l’espace dramatique (l’espace scénique). Par ailleurs, le chœur est témoin de l’action. Sa présence dans la pièce renforce le tragique et accomplit ainsi une de ses plus importantes fonctions. En somme le chœur, en tant qu’une amie de Bintou, sa dame de compagnie et son éclaireuse, la venge de l’oncle Drissa en le bannissant de la famille.

16- Koffi KWAHULE, Op. cit., p. 46. 17- Koffi KWAHULE, Op. cit., p. 47.

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5-LA VISION Elle est incorporée dans l’interview journalistique ou l’interrogatoire policier de Kelkhal dans la section 2, page 19 de Bintou. Cette intervention linguistique est composée de trois parties. La première se déroule dans un espace réel de celui de l’action dramatique, « un terrain vague 18» où kelkhal évoque dans un récit une de ses rencontres personnelles avec Bintou. Ce jour-là, elle lui a exposé son intimité. Aussi dit-il :

Elle a replié ses jambes sous elle, et comme sa jupe était courte, je n’ai pas pu m’empêcher de voir qu’elle ne portait pas de culotte...J’ai détourné les yeux qui se noyaient sous sa jupe pour les engloutir dans son nombril…Sans même avoir eu le temps de le penser, ma langue a plongé dans son nombril. Et une étrange vision m’a zébré l’esprit 19

Kelkhal profite alors de l’occasion pour plonger sa langue dans le nombril de Bintou. Cette action coïncide avec le début de la vision. La deuxième partie repose sur la vision proprement dite. Elle met aux prises Kelkhal avec une femme (une danseuse du ventre) sans qu’il se rende compte que celle-ci est en réalité sa mère. Ainsi, dans le feu de la danse, dit-il :

Je me mets à genoux et ma langue plonge une fois, deux fois, trois fois, dix fois, cent fois, mille fois dans le nombril de la danseuse...Je lève les yeux. C’est ma mère… 20

La troisième partie est non seulement la continuité de la première, mais également que son début coïncide avec la fin de la vision où il se produit une prise de conscience chez Kelkhal qui sort aussitôt de son hallucination et d’emblée revient à la réalité : « ma langue s’est alors rétractée du nombril de samiagamal (Bintou) 21 ».

En résumé, le dramaturge utilise ici un même personnage (Kelkhal) qui réalise une double action dans deux espaces distincts mais superposés : l’espace réel avec Bintou et l’espace psychique (la vision, l’imagination) avec sa mère. Il y a donc une confusion au sens de prendre quelqu’un pour un autre en son esprit entre Bintou et sa mère, toutes deux danseuses du ventre. Si le dramaturge a choisi le procédé du récit pour donner la substance de la vision aux spectateurs, c’est à cause de la difficulté matérielle de la représentation d'une telle scène. Au cinéma, la réalisation de cette vision aurait été aisée grâce à la technique et à la technologie. Mais au théâtre, du point de vue de la représentation scénique, cela n’est pas toujours évident. Le récit au théâtre n'a pas seulement pour fonction de traduire, pour les besoins d'une vraisemblance stricte, un ailleurs et des événements difficilement représentables sur scène. Le récit est choisi aussi pour relayer un espace et des événements imaginaires, sur le mode de

18- Koffi KWAHULE, Op. cit., p.14. 19- Koffi KWAHULE, Op. cit., p.19. 20-Idem. 21-Ibidem.

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l'hallucination, de la rétrospection, de la vision prophétique, de la reconstitution. 6- LA TECHNIQUE DE DEDOUBLEMENT Avec Bintou, nous avons constaté dans l’écriture de la pièce l’emploie de la technique de dédoublement, notamment entre « Samiagamal et Bintou », et entre « Bintou et Bintou », c’est une sorte de brouillage intentionnel pour perturber la compréhension du lecteur-spectateur. 6.1-SAMIAGAMAL ET BINTOU Un dédoublement se rapporte à Bintou et à Samiagamal. Ce nom-ci est le surnom de Bintou en tant que artiste danseuse du ventre. Mais dans le fonctionnement du personnage Bintou, il y a une distinction entre Bintou et Samiagamal alors qu’il est question du même personnage :

Kelkhal : Elle (Bintou) voulait être seule. Elle s’en est allée, à la fois belle et inquiétante, comme une pleine lune… comme dans les moments terribles où elle décide d’envoyer paître Samiagamal pour ne plus être que Bintou. 22

Cette séquence linguistique soulignée en italique atteste qu’il y a ici deux personnes distinctes. Et ce, pour insister sur l’idée de démarcation, de rupture entre ces deux appellations renvoyant à un même personnage. Au théâtre, les spécialistes appellent cela l’effet d’étrangeté. Il survient quand l’objet montré est critiqué, déconstruit, mis à distance. La rupture entre Bintou et Samiagamal « dans les moments terribles » est un aspect de la distanciation brechtienne :

toute rupture casse ce que Brecht appelle l’identification, ce que nous appellerions volontiers la « sidération » du spectateur, et l’oblige à quitter non seulement l’action, la suite du récit, mais l’univers du théâtre, pour revenir à son monde à lui23.

6.2- BINTOU ET BINTOU Un autre aspect du dédoublement est ce que nous avons constaté dans certains propos de Bintou parlant d’elle-même à son interlocuteur, comme si elle parlait d’une autre Bintou qui n’est pas elle : L’Oncle : le caméléon sait changer, Bintou, mais jamais il ne pourra

prendre la couleur de la pensée d’une femme. Bintou : toi, oncle Drissa, je parie que tu as un truc qui te zigzague

dans tous les coins de la tête comme une bille de flipper. Et tu voudrais que Bintou t’aide à l’arrêter n’est ce pas ? 24.

Nenesse : Déconne pas, Bintou ! Je me suis toujours comporté comme un père pour vous.

22- Koffi KWAHULE, Op. cit., p.18. 23 -Anne UBERSFELD, Lire le théâtre, Paris, Messidor, Éditions sociales, 1982, p. 211. 24- Koffi KWAHULE, Op. cit., p.10.

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Bintou : (laissant tomber la bouteille) : Ne me parle plus jamais d’une telle débilité, Nénesse ! Je n’ai plus besoin de père. Ecoute bien.

Bintou a horreur de trois choses : qu’on lui parle de père, qu’on lui fasse perdre son temps et qu’on ne tienne

pas ses promesses… 25.

Dans ces deux exemples qui précèdent, Bintou a deux interlocuteurs distincts : l’oncle Drissa et Nénesse. A chacun d’eux, elle adresse une réplique que nous appréhendons comme une énonciation au sens d’acte individuel d’utilisation de la langue dans une situation donnée. Dans chacun des énoncés de Bintou face à ses interlocuteurs, elle emploie le pronom personnel de la première personne du singulier « je » dans ses premières phrases. Mais dans la suite de l’énoncé, elle utilise volontiers le nom « Bintou » à la place du « je » et les autres pronoms « lui, son, ses » respectivement à la place de « me, mon, mes ». Nous constatons dans les énoncés de Bintou même qu’il y a un changement de pronom à son sujet dans un même énoncé. Autrement dit, le locuteur Bintou, parlant d’elle-même, passe de la première personne du singulier à la troisième personne du singulier. Ce passage traduit un écart, un changement de personne, une mise à distance. En tant qu’acte de communication, c’est le passage de la fonction expressive à la fonction référentielle. D’où l’idée de duplication ou de dédoublement. C’est une dualisation qui fait voir l’intérieur et l’extérieur pour montrer la double articulation de l’être aux prises avec lui-même pour se transcender et surpasser le réel. 7-LES ESPACES IMBRIQUÉS ET SCENE ECLATÉE Au théâtre, il existe deux types d’espaces. L’espace dramatique et l’espace scénique. L’espace dramatique est celui décrit dans le texte. Il comprend des lieux évoqués (toutes les références au hors-scène) et des lieux réels qui eux coïncident avec l’espace scénique au niveau de la mise en scène. Cependant, dans Bintou, le dramaturge fait apparaitre l’espace scénique dans l’espace dramatique. D’où l’idée d’imbrication :

Bintou : Viens voir. (P’tit Jean les rejoint sur le plateau. Bintou fait un signe à Blackout qui remet son revolver à P’tit Jean. Désignant le public) Tu vois ces gens là-bas ? Eh bien, tu vas en buter un26.

Conjointement à cette imbrication, se réalise la scène éclatée lorsque « P’tit Jean les rejoint sur le plateau », il rompt le quatrième mur ; mur imaginaire inventé par André Antoine qui sépare l’espace scénique de la salle ou du public. Ainsi la communication directe de ces deux espaces aboutit à l’éclatement de l’espace scénique. 25- Koffi KWAHULE, Op. cit., p.38. 26 - Koffi KWAHULE, Op. cit., p.22.

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8- L’EXPRESSION PROVERBIALE Le proverbe étant à la fois une unité phraséologique et une œuvre poétique27, l’utilisation des proverbes abondent dans le discours des personnages, notamment dans le lieu d’habitation des parents de Bintou. Nous en citerons quelques-uns dans l’ordre textuel :

-L’Oncle : Le caméléon sait changer, Bintou, mais jamais il ne pourra prendre la couleur de la pensée d’une femme.

-La Tante : Même impuissant, le sexe ne continue-t-il pas d’uriner ? -La Tante : Le regard ne peut donner tort à l’œil. -La Mère : Quand la main n’arrive pas, c’est le bâton fourchu qui cueille le

fruit. -La Mère : Mais le fleuve permet-il que son bras se dessèche et meure pour

toujours ? Non,…Une querelle entre membres d’une même famille n’est que de l’eau chaude, elle ne brûle pas la maison.

-Moussoba : Même ivre, l’œuf ne se met pas à danser sur du gravier. -Moussoba : Et n’oubliez pas que tant que le mur ne fend pas, le cancrelat ne

parvient pas à s’y loger.

CONCLUSION Des marques de l’expressivité dramaturgique de Bintou, il se dégage des procédés scripturaux empreints de techniques dramatiques, scéniques et langagières. On note que les procédés tels que le flash-back doublé de mise en abîme, le temps suspendu (la pause plastique), la vision, la technique de dédoublement et la choralité, sont entre autres procédés que le dramaturge a utilisés dans l’écriture de Bintou. Ces procédés sont assortis d’exemples et d’explications contextuelles. Ils nous paraissent originaux, innovants et mettent en relief la beauté de Bintou où des thèmes essentiels cristallisent la vie de l’héroïne. BIBLIOGRAPHIE - JAKOBSON, Roman, Essais de linguistique générale, Paris, Les Éditions de Minuit, 1963. -KOUADIO, Kobenan N’Guettia, De l’Expressivité au sens dans la poésie ivoirienne d’expression française, Thèse de Doctorat en Poétique et littérature de l’UFR des Lettres, Langues et Sciences Humaines, Université de Savoie, Soutenue en 2005 sous la direction du Professeur Jean DERIVE. - KWAHULE, Koffi, Bintou, Bruxelles, Lansman, 2003. - MORIER, Henri, Dictionnaire de Poétique et de Rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, 4è édition revue et augmentée, 1989. -PAVIS, Patrice, Dictionnaire du théâtre, Paris, Dunod, 1996. -RYNGAERT, Jean-Pierre (s.d), Nouveaux territoires du dialogue, Ales, Actes Sud/ CNSAD, 2005. -SOURIAU, Etienne, Vocabulaire d’esthétique, Paris, PUF, 1990. - TODOROV, Tzetan, Poétique, Paris, Éditions du Seuil, 1968. -UBERSFELD, Anne, Lire le théâtre, Paris, Messidor, Éditions sociales, 1982. -UBERSFELD, Anne, Lire le théâtre III : Le dialogue de théâtre, Paris, Belin, 1996. 27 -Shimkin cité par Roman JAKOBSON, Op. cit., p.31.

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Anthropologie

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SANKOFA N° 6, juin 2014, pp. 27-33 ISSN : 2226-5503

GESTION D’UNE MALADIE CHRONIQUE PAR LES PATIENTS : CAS DE L’HYPERTENSION ARTERIELLE EN CÔTE D’IVOIRE.

BOA Assemien

Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody (Côte d’Ivoire)

RESUME La santé est une exigence de la société. Elle demande effort et discipline. La faible connaissance de l’hypertension artérielle par les patients associée à la situation financière précaire de ceux-ci fait apparaître l’émergence de pratique médicale non recommandable telle que l’automédication chez certains patients. La réduction du taux de mortalité et de morbidité nécessite le développement des séances d’écoute et de communication. En d’autres termes, un changement d’attitude et de comportements de la part des différentes personnes impliquées dans sa gestion, à savoir le personnel de santé, les malades et leurs familles s’avère nécessaire en vue de mieux la faire connaître par la population. Mots-clés : Hypertension artérielle – gestion de l’hypertension par les malades - Côte-d’Ivoire

INTRODUCTION

Les maladies non transmissibles (MNT) ou les maladies chroniques, notamment les maladies métaboliques, les maladies cardio-vasculaires (hypertension artérielle), les cancers et la déficience auditive ou visuelle, sont des affections de longues durées, c’est-à-dire des maladies qui persistent dans le temps. De ce fait, elles ont des retentissements sur les dimensions sociale, psychologique et économique de la vie du malade (OMS, 2005). Elles prennent de plus en plus de l’ampleur.

Parmi ces affections, l'hypertension artérielle (HTA) est actuellement en nette progression. Un adulte sur trois en souffre dans le monde. Elle constitue l’un des principaux facteurs de cardiopathie et des accidents vasculaires cérébraux (AVC). Ces affections constituent la première cause de décès prématuré et de handicap dans le monde.

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En Côte d’Ivoire, selon le ministère de la santé, le taux de prévalence de l’HTA sur l’ensemble de la population âgée de 15 à 64 ans est de 21,7%. Le nombre de personnes atteintes de l’HTA augmente avec l’âge pour atteindre 58,4% dans le groupe d’âge des 55-64 ans (MSHP, 2008).

L’hypertension artérielle a fait l’objet de plusieurs études ailleurs dans le monde et en Côte d’Ivoire. La plupart de ces études relèvent du domaine médical. Elles indiquent toutes que l’HTA est un véritable problème de santé publique, car elle est responsable aujourd’hui de mortalité et de morbidité importante.

En effet, selon les résultats d’une étude réalisée par Assé K.V et al (2012) auprès de 30 enfants âgés de 1mois à 15 ans au Centre hospitalier universitaire de Yopougon (Abidjan), on observe que 60% de ces enfants étaient menacés par cette affection. Chez 23,3% de cette population d’enquête, elle avait été déclarée limite. Par contre, chez 16,3% autres de ces enfants, l’HTA avait été confirmée. La même source indique que cette affection avait été responsable de 6,6% de décès au niveau de cette même population d’étude.

La présente réflexion se veut une contribution d’ordre socio anthropologique. Elle vise à la compréhension de sa gestion par les hypertendus eux-mêmes.

Elle s’est appuyée sur une analyse de contenus des travaux antérieurs et des entretiens individuels approfondis auprès des malades, du personnel soignant et de certains parents de malades. Au total, 50 entretiens ont été réalisés auprès de ces personnes ressources (30 malades d’hypertension, 10 personnels de santé et 10 parents de malades). Tous ont été rencontrés à l’hôpital lors des visites des malades.

Le traitement et l’analyse des données recueillies ont permis de structurer la présente réflexion en deux principaux points: la connaissance de l’hypertension par les malades et les déterminants de la gestion de l’hypertension chez les malades. I. CONNAISSANE DE L’HYPERTENSION PAR LES PATIENTS I.1- Les signes de l’hypertension artérielle

Il ressort des données collectées que le plus grand nombre d’hypertendus rencontrés (20/30) est adulte (30 - 50 ans). Toutefois, d’une manière générale, les malades ont un âge qui varie entre 20 à 60 ans. On retient aussi avec cette variable que l’hypertension survient à un âge relativement jeune 20 - 30 ans (MSHP, 2008 ; Assé K.V et al, 2012 ; Coulibaly T., 2013). Pour Assé K.V et al (2012) d’ailleurs, étant donné que l’HTA n’épargne pas les enfants, son diagnostic précoce contribue à l’amélioration de son pronostic. C’est la raison pour laquelle, ils préconisent « la nécessité de promouvoir la prise systématique de la tension artérielle lors de tout examen clinique chez l’enfant ».

Selon la plupart des malades et leurs parents, « une personne est dite hypertendue quand sa tension est trop élevée ou montée, quand sa tension n’est pas normale ». Ils ajoutent qu’un individu peut dire que sa

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« tension est montée » ou peut se soupçonner hypertendu « lorsqu’il a de fréquents vertiges et/ou des maux de tête ». Cependant, tous ont déclaré avoir eu la confirmation de leur état d’hypertendu après une visite médicale. Pour certains, la visite médicale a été précédée de contrôles irréguliers dans des pharmacies. Pour d’autres au contraire, ces contrôles ont été faits à domicile par des personnes ambulantes détenant des tension-mètres et se déclarant des auxiliaires de la médecine chinoise. Selon des hypertendus, souvent, ces agents de la médecine chinoise leur font acheter certains de leurs produits pour faire « baisser la tension». Pour une autre catégorie de personnes, c’est de façon fortuite qu’elles ont su qu’elles sont hypertendues comme l’attestent les propos de cet enquêté: « j’ai accompagné un ami un jour chez un cardiologue. Après l’avoir consulté, je lui ai demandé de contrôler ma tension. Je ne présentais aucun mal. Ma tension (16/10) était plus élevée que celle de mon ami que j’accompagnais (15/9). Le médecin m’a recommandé de contrôler régulièrement ma tension pour être bien situé. La semaine qui a suivi, j’ai fait contrôler ma tension à quatre reprises dans des endroits différents. Les conclusions étaient les mêmes. Je ne faisais donc pas de poussées hypertensives mais j’étais bel et bien hypertendu sans le savoir ».

L’hypertension artérielle reste « une maladie très dangereuse » selon la majorité des malades (23/30), car elle « donne des maux de tête et/ou des vertiges », « paralyse les gens qu’elle attaque (hémiplégie) », « fait tomber souvent les gens », « tue parfois sans prévenir ». En somme, l’hypertension artérielle reste « un tueur silencieux ». Elle est caractérisée par certains facteurs de risques. I.2- Les facteurs de risque de l’hypertension artérielle

Les principaux facteurs de risque évoqués par les malades ont été : « la consommation excessive du sel (plus citée) », « les excès de colère », « l’alimentation quotidienne », « les soucis ou le stress qu’engendrent la pauvreté, les problèmes de famille ou de foyer, l’absence d’emploi », « le manque d’exercice physique (faiblement cité) » (Assoumou A. A. N., 2013 ; Koffi N.M., 2001).

En se référant à l’évocation des facteurs de risque de l’hypertension, on observe que les enquêtés ont une connaissance des causes de ce fléau. Mais cette connaissance reste limitée (Coulibaly Joseph, 2008 ; Coulibaly T., 2013 ;). Car, à ces facteurs, il convient de mentionner aussi l’âge, le sexe, l’hérédité. Joseph Coulibaly (2008) fait observer que « l’hypertension artérielle est retrouvée comme un facteur de risque dans la moitié des AVC en Afrique. L’HTA est très fréquente chez la personne âgée (30 à 40%) des hommes et 50% des femmes ».

La connaissance limitée des facteurs de risque de l’hypertension artérielle peut être due aux principales sources d’information de la quasi-totalité des enquêtés, à savoir : «le lieu de travail, les mass media, les proches ou les anciens malades, c’est-à-dire ceux qui souffrent de l’hypertension depuis plusieurs années et les centres de soins ou de prise en charge médicale (plus grand nombre) » (Assoumou. A. A. N., 2013).

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Outre ce fait, on peut aussi incriminer le comportement des agents de santé lors des visites des malades. En effet, pour des malades et leurs parents, «les médecins ne prennent pas suffisamment le temps de bien expliquer les causes de la survenue de l’hypertension ainsi que ses complications aux malades afin qu’ils puissent à leur tour en parler à leurs proches. Le temps de réception consacré à chaque malade est bref et ce, quel que soit le lieu de consultations, c’est-à-dire les centres de santé publics et privés » (Coulibaly T., 2013; Assoumou A. A. N., 2013).

Ces propos suggèrent la mise en œuvre de l’écoute et de la communication dans les services de prise en charge de l’hypertension artérielle. Or, selon des agents de santé, là où existe une cellule d’écoute et de communication, « les patients ne viennent pas. Ceux qui s’y intéressent sont irréguliers à ces séances et ne respectent pas les périodicités. Ce qui conduit à la démotivation de la tenue des séances d’écoute et de communication. Par ailleurs, on observe chez les malades qui s’intéressent aux séances d’écoute et de communication, que certains n’arrivent pas à suivre correctement les conseils qu’on leur prodigue, surtout ceux d’ordre nutritionnel». Nelly Assoumou A. A., 2013 et Joseph Coulibaly, 2008 avancent qu’outre la non observance des conseils nutritionnels, bien de malades hypertendus ne respectent pas les rendez-vous pour les contrôles médicaux et les prescriptions médicales.

Ces comportements des hypertendus reflètent la manière dont ils gèrent leur maladie. Car pour les agents de santé, il existe deux catégories de malades : « les malades disciplinés », c’est-à-dire ceux qui suivent correctement leur traitement en respectant tous les interdits qui y sont liés et « les malades indisciplinés », à savoir ceux qui ne suivent pas correctement leur traitement. II. DETERMINANTS DE L’OBSERVANCE DU TRAITEMENT CHEZ LES

PATIENTS La problématique de l’observance du traitement de l’hypertension

se perçoit à travers le manque de moyens financiers et/ou de solidarité familiale et l’automédication. II.1- Le manque de moyens financiers et/ou de solidarité familiale

De l’avis général de tous les enquêtés, la prise en charge de l’hypertension artérielle requiert de la discipline de la part du malade mais aussi et surtout la possession de moyens financiers pour les consultations, les examens de contrôle, l’achat des médicaments et l’alimentation (Essé C. et al. 2013). Or, bien de malades hypertendus sont économiquement faibles et ne bénéficient pas d’appui financier au niveau de leur entourage, comme l’attestent les propos ci-après de certains enquêtés :

- « je suis sans emploi et hypertendu. Celui chez qui je vis se débrouille. Il est donc difficile pour moi de suivre le régime alimentaire d’un malade hypertendu qui est un régime de rectitude. Si je ne mange pas ce qu’on prépare, je vais mourir de faim. En mangeant aussi, je m’expose à une mort certaine. Que faire sans

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moyens ? Je remets mon sort à Dieu. D’ailleurs, je ne suis pas le seul dans ce cas. J’en connais beaucoup qui sont dans mon cas et qui ne sont pas encore morts. C’est dire que, la mort ou la vie, c’est une affaire ou une volonté de Dieu » ;

- « Le respect strict du régime alimentaire est difficile surtout quand on dépend de quelqu’un ou qu’on travaille et mange dehors. Les tenancières de restaurant présentent en général des menus à base de sel et de « cube maggi ». Si tu as faim, tu peux avoir le vertige. La faim peut réveiller ta tension »;

- « L’hypertension impose beaucoup trop d’exigences. Normalement le pauvre ne devait pas avoir cette maladie : les médicaments, les différents examens de contrôle sont beaucoup trop chers pour un sans emploi qui ne bénéficie pas d’une solidarité familiale, pour un travailleur qui n’a pas un bon salaire ou encore qui n’a pas une assurance-maladie. Elle a de nombreuses exigences alimentaires : on ne doit pas manger n’importe comment, n’importe quoi et n’importe où. Il existe des personnes qui ont cette maladie depuis plus de vingt ans. Mais, elles n’ont pas de soucis dans sa gestion, car elles sont soutenues financièrement par leurs enfants ou d’autres parents». Les faits qui précèdent appellent deux remarques. D’une part, un

malade peut être motivé, c’est-à-dire vouloir se montrer discipliné. Mais, il n’arrivera pas à se décider parce qu’étant sans moyens financiers et/ou sans appui social. D’autre part, on retient aussi que plus un traitement est long et coûteux, moins les patients respectent toutes les prescriptions. La gestion de l’hypertension artérielle ou de la maladie, en général, est liée donc à certains facteurs notamment la conception de la maladie, la place du patient dans la famille, la situation financière du patient, l’environnement dans lequel vit le patient. Ces différents facteurs conduisent souvent à l’adoption de l’automédication. II.2- L’automédication

Elle est davantage liée au manque de moyens de financiers et à la connaissance limitée de cette affection mais aussi et surtout à l’environnement dans lequel vit le malade. L’environnement renvoie, dans le cadre de cette réflexion, aux contacts ou entretiens que le malade hypertendu a avec les personnes qui ont la même maladie. Pour Claudine Herzlich et Janine Pierret (1991), appartenir à un groupe ou une famille de malades est « un moyen de lier des contacts, de se retrouver dans le même contexte de façon à parler un peu et de se distraire. Entre malades, il y a une espèce de sympathie qui se produit, on vit la même expérience». Cependant, certains patients hypertendus outrepassent cet objectif que vise la rencontre entre des personnes ayant la même maladie pour ne plus adopter des comportements rationnels. Des agents de santé et des hypertendus rapportent que, souvent, sur « les conseils des anciens malades, c’est-à-dire ceux qui vivent depuis longtemps avec cette maladie, des nouveaux malades adoptent l’automédication ».

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Le principe de l’automédication est, certes, de gagner du temps en se soignant soi-même à partir des médicaments obtenus sans prescription du médecin traitant mais de l’entourage ou d’un pharmacien. Mais, elle reste un mésusage fréquent selon les professionnels de la santé et ne convient pas à toutes les pathologies et à tout le monde. En d’autres termes, selon certains agents de santé interrogés, le recours à l’automédication exige des précautions. Parmi celles-ci, ils ont évoqué entre autres : « la conformité à la posologie, le respect des indications, la non adoption de l’automédication par les femmes enceintes, les femmes allaitantes et personnes atteintes de maladies chroniques telles que l’hypertension ». CONCLUSION

L’hypertension artérielle constitue un véritable problème de santé publique. Sa gestion par les malades est difficile à cause de leurs conditions socioéconomiques précaires et de leur faible connaissance de cette pathologie. De ce fait, la réduction du taux de prévalence de cette pathologie au sein de la population doit être envisagée à travers la combinaison des facteurs médicaux et non médicaux.

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d’Ivoire) : aspects diagnostiques, thérapeutiques et évolutifs à propos de 30 cas », RAMUR (Tome 17, n°1, 2012).

2. Assoumou (A. A. N). Impact de l’écoute et de la communication dans la prise en charge des maladies chroniques : exemple de l’hypertension artérielle à l’unité de d’hypertension artérielle du centre de santé urbain à base communautaire de la Riviera Palmeraie, Abidjan, Mémoire de Master 1 de sociologie (Abidjan, IES, Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, 2013

3. Coulibaly (J.). Etat de connaissance des malades hypertendus à propos de l’hypertension artérielle dans le service de médecine, unité de cardiologie du CHU Gabriel Touré. A propos de 210 cas (Faculté de Médecine, de pharmacie et d’Odonto Stomatologie, Thèse pour le grade Docteur en Médecine, Université de Bamako, République du Mali, année universitaire 2007-2008, Ministère des Enseignement secondaire, supérieur et de la recherche scientifique, 2008)

4. Coulibaly (T.). Attitudes et comportements des populations vis-à-des maladies chroniques : cas de l’hypertension artérielle à Yopougon Andokoi, Mémoire de Master 1 de sociologie (Abidjan, IES, Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, 2013)

5. Essé C. et al. (2013). « Pollution urbaine et hypertension artérielle chez les populations de Port-Bouët (Abidjan, Côte d’Ivoire) », Africa

6. Herzlich (C.) et Pierret (J.). Malades d’hier, malades d’aujourd’hui. De la mort collective au devoir de guérison (Paris, Payot, 199)

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7. Koffi (N.M.) et al. « Faciès de l’hypertension artérielle en milieu professionnel à Abidjan », Médecine d’Afrique Noire (2001, 48 (6), PP 257-260).

8. MSHP. Diabète et hypertension artérielle : tueurs silencieux (Abidjan, MSHP, 2008). Document consulté sur Google le 21/08/2014 à 3h 47

9. OMS. Prévention des maladies chroniques, un investissement vital (Genève, OMS, 2005)

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SANKOFA N° 6, juin 2014, pp.35-54 ISSN : 2226-5503

LA POLITIQUE SOCIALE DANS LES COLLECTIVITES DECENTRALISEES : L’EXEMPLE DE LA MAIRIE DE COCODY

Claude Koré BALLY Université Alassane Ouattara de Bouaké

(Côte d’Ivoire)

INTRODUCTION Le travail et son cadre d’exécution constituent des éléments qui généralement, affectent le comportement du travailleur ainsi que ses besoins. Bien qu’il soit au centre de toute activité productrice, l’homme, avant la révolution industrielle, occupait une position de second rang dans les préoccupations des responsables d’entreprise, car considéré comme un coût et non une ressource. Mais aujourd’hui, avec la compétitivité devenue le repère de toute entreprise et l’introduction de nouvelles technologies sur le marché du travail, le facteur humain est devenu une ressource précieuse et stratégique que l’entreprise se doit de développer en tant qu’élément de son avantage compétitif. Pour ce faire, elle est appelée à déployer un ensemble de mesures et de moyens pour rendre son capital humain plus performant et assez rentable. Au nombre de ces mesures et moyens, l’on peut noter la présence d’un ensemble d’avantages sociaux à même de permettre aux travailleurs de s’épanouir pleinement. La satisfaction de leurs besoins sociaux revêt une importance capitale. Or, ceci pour eux tous, et à l’apposé cela constitue une préoccupation secondaire pour certains employeurs. Cet état de fait pourrait expliquer les nombreux conflits auxquels l’on assiste dans les entreprises. En Côte d’Ivoire, comme dans bien d’autres pays, une attention particulière est accordée aux conditions de vie de l’ensemble des travailleurs. C’est pourquoi, il existe de nombreuses dispositions légales en la matière. Et la Mairie de Cocody qui se veut une organisation dynamique au service de la population à l’instar des autres collectivités territoriales, promet

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d’atteindre son objectif à travers un personnel dévoué au travail. Cela n’est possible qu’avec l’existence d’une politique sociale bien définie susceptible de satisfaire les agents. Alors, comment parvenir à un épanouissement social du personnel ? Autrement dit, quel type de politique sociale la Mairie de Cocody doit-elle mettre en place pour que les travailleurs trouvent en leur structure un cadre professionnel épanoui et capable de conduire à une auto motivation ? Cette épineuse interrogation trouve ses bases dans l’étude qui porte sur : « Problématique de la politique sociale dans les collectivités décentralisées : Une étude à partir de la Mairie de Cocody». En effet, le fondement de cette réflexion part du constat que les entreprises dont font partie les collectivités précisément la mairie de Cocody, ont de tout temps été préoccupées par une productivité de plus en plus grande, gage de leur compétitivité. Ainsi, les facteurs qui concourent à la production sont d’une importance capitale. Elles sont confrontées dans la recherche de la meilleure rentabilité à de nombreux blocages. Généralement, ce ne sont pas des évènements économiques qui posent, mais plutôt les faits sociaux. Le facteur humain accompagné de son insertion harmonieuse dans l’ensemble du système de production, constitue l’un des problèmes les plus sensibles et les plus délicats en entreprise. Si, ce problème est relativement moins complexe dans les organisations des pays occidentaux, du fait de la grande expérience qu’elles ont acquise et qui sans doute est lié à leur tradition entrepreneuriale ; et aussi grâce aux dispositions légales en la matière, il n’en est-il pas de même pour les organisations africaines. Hormis ce fait, la faible qualification des ressources humaines et l’insuffisance de ses rendements restent aussi des sources de dysfonctionnement dans les organisations africaines. Cette situation pourrait s’expliquer non seulement par le taux d’analphabétisme, l’insuffisance de la formation professionnelle et souvent l’origine rurale de la main d’œuvre à laquelle l’on reproche sa nonchalance et sa paresse liées à l’absentéisme, mais aussi à l’instabilité sociopolitique du pays (Diby, 1998 :25-33). Outre ces problèmes, il faut également prendre en compte les besoins sociaux et les conditions de vie des travailleurs. En effet, si les problèmes d’outillage, de production et certains problèmes de ressources humaines tels que les systèmes horaires et les traitements salariaux connaissent une attention particulière de la part des responsables dans les organisations, la politique sociale reste par contre le parent pauvre en général. Dans la gestion des entreprises, très souvent, les problèmes sociaux des travailleurs, notamment l’intégration des nouveaux salariés et la prise en compte des préoccupations sociales de l’individu et des chaînes de solidarité ne constituent pas une priorité.

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Donc, tout investissement en matière de politique sociale, est perçu par de nombreux responsables d’entreprises comme un fait peu rentable, mais plutôt coûteux. Considérer alors les choses sous cet angle, « c’est oublier qu’avant d’être une organisation économique formelle ou une juxtaposition d’objets, de bruits, de lumière et de mouvements, l’entreprise est d’abord un ensemble structuré de groupes d’individus, une communauté d’hommes et de femmes au travail, dont les interactions dynamiques conditionnent le fonctionnement. » (Albou, 1975 : 215). Lorsque les besoins sociaux des travailleurs ne sont satisfaits, cela peut générer des frustrations capables d’influencer négativement leur disponibilité et leur ardeur au travail. Le travail à lui seul, ne peut pas prétendre satisfaire les besoins physiologique (besoin corporel) et psychologique (besoin moral) du travailleur, car dès que l’homme satisfait ses besoins primaires, la rémunération ne suffit plus à le motiver. Une politique sociale s’impose pour lui, comme étant le moyen lui permettant de subvenir à ses besoins secondaires. Dans la plupart des entreprises de type occidental, la politique sociale est souvent objet de contestation et de conflits entre le patronat détenteur des capitaux et les travailleurs détenteurs de la force de travail. C’est la lutte pour la préservation de leurs intérêts respectifs auxquels chacun s’accroche. La conséquence la plus expressive de ct antagonisme est la grève qui « n’est des multiples manières qu’ont les travailleurs d’exprimer leur insatisfaction ». (Treanton in Friedman et Neville : 1972) la nécessaire collaboration entre les employés et employeurs impose aux derniers cités de recourir au consensus en vue de répondre aux besoins sociaux des premiers et ce à travers des interventions réglementaires et surtout financières. C’est à cet effet, que la mairie de Cocody, soucieuse d’une organisation répondant aux normes sociales, veille au gré selon les autorités municipales pour le bon traitement du personnel. Cependant, malgré ces efforts, la satisfaction n’est pas encore acquise du point de vue social chez les travailleurs de la mairie. Les responsables n’arrivent pas alors à apporter des explications à ce fait. Toutefois, ils envisagent faire mieux dans le domaine du social pour le personnel. Au vu de la demande des travailleurs de recevoir davantage du social malgré les efforts consentis par les dirigeants de la mairie, l’on se pose la question suivante, déjà plus haut : quelle politique sociale faut-il à la mairie de Cocody pour permettre aux agents de s’épanouir et de cultiver en eux des qualités ou dispositions contribuant à les rendre dévoués au travail ? Cette interrogation nous conduit à d’autres questions pour un souci de clarté:

- Quelle politique sociale la mairie de Cocody met-elle en place pour le bien social de ses agents ?

- Quelle influence cette politique sociale a-t-elle sur le comportement des agents et leurs conditions de vie ?

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- Quelles perspectives pour un épanouissement souhaité des travailleurs ?

En grattant le vernis de notre réflexion nous procédons par des méthodes d’analyse que nous prenons soins de présenter au préalable. I. METHODES D’ANALYSE I.1. Analyse structurale « C’est une démarche de l’esprit qui consiste non pas à retrouver une structure qui existerait par elle-même, mais à définir les éléments d’une structure sous-jacente ». (Ibidem) Découvrir une structure, c’est donc établir une cohérence interne, permanente dans le temps. Une structure est un ensemble de rapports qui fait l’unité d’un groupe social : on parle de la structure économique d’un pays, de la structure interne d’un parti politique. Dans le cadre de notre travail, il s’agit de l’analyse structurale de la politique sociale en entreprise précisément de la mairie de Cocody. Cette démarche a permis à notre étude, de dégager et d’appréhender le contenu de cette politique détermine les conditions sociales du personnel. La tendance étant d’exclure la pensée dialectique, la démarche structurale se détermine par l’importance des stabilités. Ce qui consiste à décrire l’objet étudié tel qu’il est sans y ajouter un aspect étranger. C’est pourquoi, elle a défini le contenu de la politique étudiée tel qu’il est, en tenant seulement compte des règles d’association qui lient ses éléments. I.2. Analyse fonctionnelle Le fonctionnalisme est une démarche qui consiste à saisir une réalité par rapport à la fonction qu’elle a dans la société ou à son utilité. L’Anthropologue Malinowski B., est le père de cette méthode qui a permis à notre étude d’observer depuis la présentation de nos champs géographique et sociologique jusqu’à l’analyse même du thème de recherche, les fonctionnements et les dysfonctionnements des structures et des phénomènes sociaux. Avec cette démarche, on a pu alors expliquer la politique sociale de la mairie de Cocody à partir de son fonctionnement qui décrit l’ensemble des prestations sociales et repérer aussi ses dysfonctionnements liés aux faiblesses de celle-ci. Les prestations sociales dont bénéficient les agents de la mairie de Cocody ont été décrites à partir de leur utilité. Ainsi, notre étude a analysé la fonction ou l’importance de la politique sociale de cette structure qui consiste à favoriser l’amélioration des conditions de vie et de travail des agents. Cette analyse a été faite par rapport à la situation sociale des agents. I.3. Analyse dialectique A politique sociale étant à la base de nombreuses situations conflictuelles entre salariés et employeurs partout dans le monde, il nous est paru nécessaire d’utiliser cette méthode. Elle a servi à faire ressortir les contradictions qui existent dans la recherche perpétuelle de la satisfaction des besoins sociaux des travailleurs de la mairie de Cocody. D’un côté, les

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autorités municipales estiment que la mairie de Cocody porte assez d’intérêts à la satisfaction sociale des agents. Par contre, de l’autre côté les agents considèrent que leur structure s’occupe moins de leurs conditions sociales. Cette situation conflictuelle de pensées constitue aujourd’hui un blocage à l’achèvement des aspirations sociales des agents. N’étant associés à la prise de décisions, ces derniers se contentent de ce que les autorités décident pour leurs conditions sociales, tout en les interpellant pour le relèvement et la qualité de leur niveau de vie. II. HISTOIRE DE LA POLITIQUE SOCIALE La politique sociale dans le système de production est à la fois ancienne et nouvelle, car si elle est extensive à la production depuis les sociétés anciennes ou traditionnelles, c’est dans le mode de production moderne ou industriel que l’on découvre ses formes les plus complexes et les plus élaborées. Dans les sociétés anciennes, la terre qui est le support de l’activité productrice (pêche, chasse, agriculture, …), revêt un caractère hautement communautaire. C’est cet aspect que recherchent les sociétés industrielles à travers les prestations sociales dont bénéficient les salariés. Les avantages sociaux jouent un rôle important dans les organisations. Ils remplissent une fonction non moins efficiente dans les activités pratiques de la gestion des ressources humaines. Tout comme la communication, le recrutement, la formation professionnelle, la sécurité au travail sont aussi efficaces pour ce qui est de la gestion des opérations dans l’organisation qu’en ce qui concerne la création d’un climat favorable à la performance et à la bonne entente entre les employés. Comment se présentent alors ces différentes prestations sociales ? II.1.Classification des prestations sociales selon l’OIT Selon l’OIT, les prestations ou services sociaux destinés au bien-être des travailleurs peuvent être repartis en trois grands groupes :

- les services sociaux qui s’inscrivent dans le cadre d’une politique de protection de la santé sur les lieux de travail ; par exemple la fourniture dans les conditions et à des endroits appropriés, d’installations sanitaires (water-closets et d’urinoirs), d’eau potable, les travailleurs peuvent ranger pendant les heures de travail leurs vêtements de ville dans des conditions de sûreté et d’hygiène concevable et faire sécher leurs vêtements de travail.

- les prestations sociales qui contribuent à prévenir ou à atténuer la fatigue des travailleurs, par exemple la fourniture de sièges au personnel dont le travail peut en grande partie s’effectuer dans la position assise ; l’installation de salle de repos permettant aux travailleurs de prendre pendant les périodes de travail un repos momentané les éloigne des conditions d’ambiance pénible (chaleur, froid, bruit, vibrations, émanations toxiques, etc.) ; enfin les prestations destinées à réduire les déplacements entre le domicile, le lieu de travail et la fatigue qui en résulte.

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- les services sociaux qui s’inscrivent dans le cadre d’une politique d’amélioration de la productivité, par exemple ceux qui permettent aux travailleurs de s’alimenter pendant le service et ceux qui assurent la garde des enfants à bas âge des travailleurs. Aussi avons-nous des activités sociales telles que le sport dont sa pratique combat efficacement le stress et certaines maladies.

En Côte d’Ivoire, la politique sociale est le résultat de l’héritage colonial. En effet, depuis les premières années d’indépendance, notre pays, ancienne colonie française, a construit sa politique sociale du travail sur le modèle de la métropole. Ainsi, en 1964, le premier code du travail inspiré de celui de la France, a vu le jour. On y trouve des dispositions sociales au SMIG, au syndicalisme, aux institutions de prévoyance et d’entraide, aux délégués du personnel, à la limitation de la durée du travail, à l’hygiène et à la sécurité, à l’inspection du travail et des lois sociales, aux conflits sociaux du travail, aux économats et aux œuvres sociales. Cette classification a l’avantage de couvrir l’ensemble des prestations sociales visant l’amélioration des conditions globales de travail des producteurs directs. Ce qui nous permet d’appréhender la politique sociale dans un sens assez large. Cependant, il faut noter que cette typologie laisse une marge de manœuvre assez large aux entreprises afin qu’elles élaborent des politiques sociales qui tiennent compte de leurs réalités et leurs moyens. Aussi, tiennent-elles compte des aspirations sociales de leurs employés. Dans le cadre de notre étude, nous allons tenter d’appréhender le contenu de la politique sociale élaborée par la mairie de Cocody en vue de satisfaire les aspirations sociales de son personnel qui vit sous pression communautaire à l’instar des autres salariés Africains. II.2. Contenu de la politique sociale de la mairie de Cocody Pour un épanouissement social de son personnel, outre la rémunération, la mairie lui fait bénéficier d’un certain nombre de prestations sociales. Elles sont d’ordre financier et médical. II.2.1. Prestations d’ordre financier

II.2.1.1. Prêts scolaires Comme cela se fait dans la plupart des entreprises en période de rentrée scolaire, la mairie octroie des prêts aux agents pour leur permettre de faire face aux difficultés financières liées à la période. Pour faciliter ces opérations de prêts, les responsables ont scellé un partenariat avec des maisons bancaires, notamment la COOPEC de Cocody afin que les agents puissent s’y rendre pour effectuer leurs demandes de prêts. Grâce à ce partenariat, les agents peuvent aussi bénéficier d’autres prêts selon leurs besoins. II.2.1.2. Prêts de la Mutuelle La Mutuelle des Travailleurs de la Mairie de Cocody (MUTAMAC), en collaboration avec les responsables a signé un accord avec des partenaires

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extérieurs pour faire bénéficier à ses agents des prêts en cas de besoins. Il peut s’agir de la rentrée scolaire, de décès, de mariage ou de maladie. C’est une manière pour les responsables de la Mutuelle avec la complicité des autorités de la mairie de permettre aux agents d’être assistés socialement. Ces prêts sont rarement sollicités car selon les agents, ils ne répondent pas au principe d’assistance du fait de leur taux de remboursement qu’ils jugent top élevé. D’ailleurs, nombreux sont les agents qui ignorent l’existence de cette forme de prêts. II.2.1.3. Assistance sociale par cotisation et visite des agents Les travailleurs instruits par le sens de la solidarité, de s’apporter assistance sociale, initient des cotisations en cas d’évènements heureux ou malheureux d’un agent. La somme collectée est versée à celui-ci pour lui signifier le partage des moments de joie et de tristesse. Ce type de prestations sociales est estimé par les agents eux-mêmes selon les services du fait d’une absence de caisse de fonds de solidarité à la mairie. En plus des ses cotisations, des visites sont organisées chez l’agent bénéficiaire. II.2.2. Prestations d’ordre

II.2.2.1. Prise en charge médicale Les délégués du personnel soutenus par les syndicats représentatifs et du personnel de la mairie de Cocody, ont toujours inscrit dans leurs doléances, une prise en charge médicale des agents. Cette demande longtemps souhaitée, a enfin obtenu satisfaction de cause en 2006. Les autorités de la mairie ont signé un contrat de mandat avec la Société de Gestion et de Représentation (SOGER), pour gérer les charges médicales des agents depuis février 2006. C’est par adhésion volontaire qu’un travailleur peut bénéficier de cette prestation. Nouvellement fonctionnelle à la mairie de Cocody, la SOGER connaît des difficultés du fait de l’utilisation abusive des bons d’assurance. Cependant, elle a fait et continue de faire le bonheur de nombreux bénéficiaires. Il faut noter qu’elle couvre 80% des dépenses médicales. Le prélèvement sur les salaires se fait selon les couches socioprofessionnelles et le montant de la rémunération des agents. Ces prestations que nous venons de décrire constituent pour l’heure l’essentiel de la politique sociale de la mairie. Les loisirs et la formation professionnelle manquent pratiquement aux prestations sociales de la mairie de Cocody. Il est à préciser que des prestations telles que la prise en charge médicale viennent de prendre forme. Quel comportement les agents adoptent-ils face à ces prestations sociales ? II.3. Prestations sociales et comportement des agents au travail La question de comportement d’un homme au travail relève toujours des conditions dans lesquelles celui-ci exerce sa fonction et des problèmes qu’il vit. La mairie étant une structure administrative au service de la population, emploie un personnel qui est en contact permanent avec les

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administrés, qu’il est appelé à servir avec engouement. Les activités de la mairie au service de ses administrés étant d’ordre social, le personnel lui-même a besoin d’un appui social pour mener à bien les tâches assignées. Il est évident que pour rendre heureux quelqu’un, il faudrait que l’on soit soi-même satisfait de ses conditions de travail et de vie. Les prestations sociales fournies par la mairie que les responsables jugent capables de couvrir les besoins sociaux, ne satisfont pas encore les travailleurs. Certains parmi eux, adhèrent entièrement aux modalités des prestations sociales. D’autres par contre n’y trouvent pas d’intérêt. Ces derniers pensent par exemple que les prêts sont plus bénéfiques aux maisons bancaires à cause de leurs intérêts qu’elles prélèvent sur les salaires chaque mois. Les agents préfèrent alors s’endetter chez les usuriers pour répondre à leurs besoins financiers. Ces deux types de travailleurs continuent de se plaindre non seulement de leur rémunération qu’ils trouvent faible et de leur qualité de vie, mais aussi de la qualité managériale du personnel. Cependant, ils considèrent leur présence à la mairie comme étant un devoir pour eux de rendre service à la population administrée. Il faut donc travailler et bien travailler. C’est pourquoi, malgré les grognes des uns et des autres, ils accomplissent les tâches qui leur sont assignées. Les prêts de la Mutuelle sont rarement sollicités parce que les travailleurs que les salaires sont très bas et les remboursements de lourds poids. Pour l’heure, ces différentes prestations qui constituent la politique sociale de la mairie de Cocody suscitent des réactions assez bonnes chez les agents, mais laissent entrevoir sur leur capacité à constituer un quelconque facteur motivationnel chez ces derniers. Il est important de savoir qu’à côté de ces prestations sociales, d’autres facteurs influent le comportement des agents. Pour ce qui est des préoccupations des travailleurs de la mairie de Cocody, nous nous sommes intéressés aux relations socioprofessionnelles et à leur traitement salarial. II.4. Autres facteurs sociaux II.4.1. Relations professionnelles

Dans une entreprise, la communication joue le rôle semblable à celui du sang dans le corps humain. La bonne santé de l’entreprise dépend de sa bonne circulation. Ce sont les relations entre les travailleurs de toutes les catégories socioprofessionnelles qui déterminent la qualité de la communication. En effet, entre les agents de la mairie et la hiérarchie(les chefs de directions), les relations sont bonnes dans leur ensemble. Nous avons pu constater que la communication entre le premier magistrat, les directeurs, les agents, les délégués du personnel et les syndicats est au beau fils, mais beaucoup informelle. Chaque employé expose directement de façon isolée sa préoccupation à la hiérarchie. Au delà de ces relations que les agents ont jugées bonnes dans l’ensemble, les notes de service et d’information servent aussi d’outils de communication. Tous ces facteurs contribuent à renforcer le climat de

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fraternité qui favorise le travail bien fait. Malgré quelques mécontentements, les employés adhèrent aux mesures prises pour le fonctionnement de la mairie. Selon eux, le fait d’être engagé à la mairie est un signe de récompense, car la plupart des agents y arrivent sans formation de base, ni compétence. Il s’avère que les relations entre les salariés et les autorités municipales sont jugées bonnes, mais les résultats de ces rapports professionnels sont encore moins satisfaisants car les premiers estiment que les seconds procèdent à « la politique d’Autriche », selon un adage chinois. Celle-ci consiste à ne rien entendre, à ne rien voir, à ne rien savoir, donc à ne rien entreprendre. Le constat c’est qu’il s’agit simplement de relations fraternelles. C’est pourquoi, les vœux ou doléances des agents sont rarement réalisés. Qu’en est-il de la rémunération ? II.4.2. Rémunération

« Dans un environnement extrêmement concurrentiel, le système de rémunération, joue un rôle très important dans les entreprises, surtout quand il s’agit de maintenir les travailleurs les plus performants ou d’attirer des meilleurs de son secteur d’activité afin de se maintenir parmi les meilleurs du marché », nous dit Gnapka (2003 :129). Cette préoccupation est l’un des soucis majeurs de la mairie de Cocody du fait de la pression des agents. Cette ambition de satisfaire au maximum les administrés, conduit la mairie à prendre sans cesse des mesures pour encourager son personnel au travail. C’est pourquoi, il y a eu amélioration au niveau des conditions de traitement salarial qui permet aujourd’hui aux agents de percevoir de façon régulière leurs salaires après plusieurs protestations contre les retards accusés dans les paiements. Cependant les salaires n’ont pas connu de hausse. Les salariés jugent cette amélioration de condition insatisfaisante à cause de nombreuses difficultés sociales auxquelles leur vie est confrontée. Alors, la régularité des salaires qui devrait constituer un facteur redresseur de la vie des travailleurs, laisse toujours ceux-ci dans l’angoisse chaque fin de mois. Pour les travailleurs, les salaires sont insuffisants parce qu’ils ne sont pas fixés en fonction du travail, mais plutôt sur des normes arbitraires. Il peut arriver que le salaire d’un chef soit bas par rapport à celui d’un agent de son service. C’est une information tirée des propos de certains de nos enquêtés. A l’analyse, nous pouvons dire que la compétence ou la fonction n’est pas un critère pour la fixation des salaires. Cependant, les autorités municipales soutiennent que les salaires sont fixés conformément aux dispositions légales du contrat de travail et des lois sociales. Les syndicalistes et délégués du personnel, aidés dans leur lutte par l’ensemble des agents, réclament une augmentation des salaires. Cette préoccupation demande une révision du statut des agents de la mairie pour une amélioration de leurs conditions de travail et de vie. Une

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telle action pourrait consolider les effets de la politique sociale de la mairie. La politique sociale ainsi présentée, que peut-on envisager dans le sens d’une amélioration de la qualité de vie des agents de la mairie de Cocody ? III. SITUATION SOCIALE DES AGENTS Les prestations sociales qui constituent aujourd’hui la politique sociale de la mairie de Cocody résultent des revendications et doléances sociales des agents par la voix de leur syndicat et mutuelle. Il est important pour notre analyse de comprendre comment ceux-ci perçoivent ces prestations dont ils bénéficient et ce qu’elles leur procurent comme satisfaction. C’est à cela que nous envisagerons une esquisse de prestations sociales pour accompagner celles qui existent afin de renforcer la politique sociale de la mairie de Cocody. III.1. Conditions de vie des agents de la mairie de Cocody Les travailleurs de la mairie dans leur ensemble, soutiennent que la vie qu’ils mènent est le résultat de la politique sociale jugée non satisfaisante. Ainsi, 89,10% souhaitent voir leurs conditions de vie et de travail améliorées et 10, 90% restent sans avis. Les premiers pensent que la politique sociale de leur institution a des influences très négatives sur leur quotidien. Ils expliquent cette situation par le fait qu’ils sont confrontés à diverses difficultés sociales et familiales. C’est le cas d’un agent qui se trouve dans l’obligation de s’endetter pour les charges funéraires lorsqu’il perd un parent. Lorsque l’agent sollicite la mutuelle, l’aide financière accordée est prélevée sur le salaire. Alors, selon les travailleurs, cet avantage ne fait que déplacer les problèmes au lieu de les résoudre. Car, ils estiment qu’avec les salaires jugés bas, les prestations sociales ne devraient pas exiger des remboursements. Ils sont en général des anciens salariés déflatés qui se retrouvent à la mairie avec de nouveaux statuts. Ils voient alors leurs salaires diminués puisqu’ils ne bénéficient plus des avantages de leurs anciens statuts. Conscients de cette réalité, ces agents souhaitent que la politique sociale soit redéfinie en vue de leur permettre de bénéficier du statut de travailleurs socialement épanouis. Ceux qui reconnaissent des mérites à la politique sociale de la mairie sont essentiellement des nouveaux salariés qui n’ont pas encore été à la charge d’une quelconque entreprise et n’ont pas aussi trop de charges familiales. Ils se servent des prêts accordés pour financer des activités génératrices de revenu. Cette stratégie leur permet évidemment de joindre les « deux bouts » chaque fin de mois. Les premiers préfèrent les prêts en dehors du service pour éviter des prélèvements sur les salaires. Il y a parmi eux, certains qui n’arrivent pas à s’occuper de manière responsable des charges familiales. Débordés par ces problèmes, ils passent beaucoup de leur temps à tenter de trouver des solutions ; d’où l’absentéisme et la lenteur dans les services. Ils estiment que la mairie n’a aucune considération pour la valeur humaine.

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Si notre enquête nous a permis de comprendre les interactions entre les conditions de vie des travailleurs de la mairie de Cocody et la politique sociale, elle a également permis de mesurer le degré de satisfaction que cette politique procure aux agents. III.1.2. Attitudes des travailleurs vis-à-vis de la politique sociale

La tranche des travailleurs (89,10%) qui considèrent la politique sociale insuffisante, manifeste le désir de trouver un autre emploi si cela était possible. Dans cette tranche, d’autres agents soutiennent qu’il n’existe pas de politique sociale à la mairie. Par contre l’autre tranche (10,90%) se plait des conditions que leur offre la mairie, car il est mieux de se contenter de peu que de ne rien avoir du tout. Toutes ces attitudes que les travailleurs ont vis-à-vis de la politique sociale s’expliquent par rapport à ce qu’ils ressentent des prestations sociales de la mairie. C’est pourquoi, interrogés sur ce fait, nous avons déterminé les degrés de satisfaction à consulter dans les tableaux ci-après. III.1.3. Degré de satisfaction des agents

Les agents de la mairie ont apporté leur jugement sur l’ensemble des prestations sociales. A partir de ces jugements, nous avons pu dégager les différents niveaux de satisfaction qu’on a portés dans des tableaux suivant les catégories socioprofessionnelles :

1- les cadres ; 2- les agents de maîtrise ; 3- les employés ; 4- les manœuvres.

Ainsi, nous avons inscrit les résultats de notre analyse dans les tableaux ci-dessous : Tableau n°2 : Degré de satisfaction chez les cadres TAUX DE SATISFACTION

Tendance spécifique Tendance générale

Degré de satisfaction

Niveau de satisfaction

Nombre d’agent

Proportion %

Nombre d’agent

Proportion %

Bonne satisfaction

Très satisfait 0 0 1

14,28

Satisfait 0 0 Assez satisfait

1 14,28

Moyenne satisfaction

Passablement satisfait

0 0 0 0

Insatisfaction

Moins satisfait

1 14,28 6

85,70 Pas du tout

satisfait 5 71,42

Total 7 99,98 7 99,98 Source : données de notre enquête (2013-2014)

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Concernant la politique chez les cadres, nous pouvons constater que les « pas du tout satisfait » (71,42%) sont les plus nombreux par rapport aux autres avec des propositions qui varient entre 0 et 14,28%. Au delà de ce fait, nous remarquons qu’il n’y a pas de cadres « très satisfait », ni « passablement satisfait » de la politique sociale. Tableau n°3 : Degré de satisfaction chez les agents de maîtrise TAUX DE SATISFACTION

Tendance spécifique

Tendance générale

Degré de satisfaction

Niveau de satisfaction

Nombre d’agent

Proportion %

Nombre d’agent

Proportion %

Bonne satisfaction

Très satisfait 0 0 3

21,42

Satisfait 1 7,14 Assez satisfait

2 14,28

Moyenne satisfaction

Passablement satisfait

1 7,14 1 7,14

Insatisfaction

Moins satisfait

2 14,28

10

71,42 Pas du tout satisfait

8 57,14

Total 14 99,98 14 99,98 Source : données de notre enquête (2013-2014) Au regard du tableau ci-dessus, nous constatons un taux d’insatisfaction beaucoup élevé avec 71,42% repartis entre les « moins satisfaits » et les « pas du tout satisfaisant ». Ici, nous n’avons enregistré aucun « très satisfait ». Tableau n°4 : Degré de satisfaction chez les employés TAUX DE SATISFACTION

Tendance spécifique

Tendance générale

Degré de satisfaction

Niveau de satisfaction

Nombre d’agent

Proportion %

Nombre d’agent

Proportion %

Bonne satisfaction

Très satisfait 0 0 1

11,11

Satisfait 0 0 Assez satisfait 1 11,11

Moyenne satisfaction

Passablement satisfait

0 0 0 0

Insatisfaction Moins satisfait 2 22,22

8

88,88 Pas du tout

satisfait 6 66,66

Total 9 99,99 9 99,99 Source : données de notre enquête (2013-2014)

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Au vu de ce tableau, nous constatons que le taux de satisfaction est moins élevé que celui de l’insatisfaction chez les employés avec un très faible taux de 11,11% par rapport à la politique sociale. En plus, nous remarquons qu’il n’y a pas de « moins satisfait » et « très satisfait » chez les employés. L’insatisfaction comme dans les couches socioprofessionnelles précédentes, présente la proportion la plus déterminante avec un taux de 88,88%. Tableau n°5 : Degré de satisfaction chez les manœuvres TAUX DE SATISFACTION

Tendance spécifique

Tendance générale

Degré de satisfaction

Niveau de satisfaction

Nombre d’agent

Proportion %

Nombre d’agent

Proportion %

Bonne satisfaction

Très satisfait 0 0

1 11,11 Satisfait 0 0 Assez satisfait

1 11,11

Moyenne satisfaction

Passablement satisfait

0 0 0 0

Insatisfaction

Moins satisfait

2 22,22 8 88,88

Pas du tout satisfait

6 66,66

Total 9 99,99 9 99,99 Source : données de notre enquête (2013-2014) Tableau n°6 : Degré de satisfaction chez les manœuvres TAUX DE SATISFACTION

Tendance spécifique

Tendance générale

Degré de satisfaction

Niveau de satisfaction

Nombre d’agent

Proportion %

Nombre d’agent

Proportion %

Bonne satisfaction

Très satisfait 0 0

1 11,11 Satisfait 0 0 Assez satisfait

1 11,11

Moyenne satisfaction

Passablement satisfait

0 0 0 0

Insatisfaction

Moins satisfait

2 22,22 8 88,88

Pas du tout satisfait

6 66,66

Total 9 99,99 9 99,99 Source : données de notre enquête (2013-2014)

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Au regard du tableau 4, nous faisons le même constat que les tableaux 1 et 2. Le taux d’insatisfaction est plus élevé que les autres et les « pas du tout satisfait » sont encore les plus nombreux avec une proportion de 52,94% contre des proportions qui varient entre 2,94 et 11,76%. Contrairement aux autres tableaux, nous notons ici quelques cas de « très satisfait ». Ce sont eux qui soutiennent qu’il est mieux de se contenter de peu que rien. Donc, ils adhèrent à la politique sociale, quelque soit son contenu. D’une manière générale, ces différents tableaux qui décrivent les degrés de satisfaction, présentent des taux de satisfaction qui varie d’une catégorie professionnelle à une autre. Cependant, le constat commun est que les « insatisfaits » sont les plus nombreux et nous enregistrons rarement les proportions de « très satisfait », outre deux agents chez les manœuvres qui se disent satisfaits de la politique sociale actuelle de la mairie. Selon les sources de notre enquête, ces agents pensent que la mairie fournit des efforts pour satisfaire son personnel. III.1.4. Motivations et rendements des travailleurs

Selon notre enquête, 1,53% des travailleurs estiment être motivés par la politique sociale de la mairie contre 98,46% qui pensent que sa forme actuelle n’a aucune incidence positive sur la motivation au travail. Par la même occasion, 3,07% d’entre eux affirment que leur performance est en fonction de cette politique. D’autres par contre, soutiennent que leur motivation au travail est fonction non pas de cette politique, mais plutôt d’autres facteurs extérieurs à elle. Ces proportions nous montrent que chez les travailleurs, il existe une corrélation entre leur motivation et leur rendement au travail. Il apparaît clairement que la politique sociale de la mairie n’a pas un impact considérable sur la motivation de ses agents. Cependant, les bons rapports que les agents entretiennent entre eux d’une part, et avec la hiérarchie, d’autre part, favorisent le fonctionnement normal de la mairie, malgré les grognes. C’est sans doute, ce qui explique la rareté les mouvements de grève et d’autres formes de protestations que les agents seraient en droit d’engager pour réclamer de meilleures conditions de vie et de travail. Cette complicité a souvent amené les patrons à régler les problèmes de certains agents avec des moyens propres à eux. Ainsi, la mairie fonctionne sans embûche avec l’adage qui : « le linge sale se lave en famille ». III.1.5. Forces et faiblesses de la politique sociale de la mairie de Cocody

III.1.5.1. Forces Comme toute action de bienfaisance, l’actuelle politique sociale de la mairie de Cocody présente des forces. Dans sa forme, elle se caractérise par des prêts et des prises en charge médicales. Notre étude nous a révélé que les prestations sociales d’autre financier, ont permis aux bénéficiaires de régler un bon nombre de problèmes tels que la scolarisation des enfants, la réalisation de microprojets. Ce qui a contribué à réduire considérablement les difficultés sociales de ces derniers. Quant aux

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assistantes médicales, elles les aident à se soigner à moindre coût, à subvenir aux besoins de santé de leurs familles respectives. Aussi, les embauchés sont-ils tous déclarés à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS). Et cette déclaration leur permet de bénéficier de toutes les prestations de cette institution. C’est l’esprit d’équipe, de solidarité, ou simplement de communion qui amine les agents de la mairie dont les relations sociales, l’ambiance et l’auto motivation dans le travail par autant de valeurs et de prestations humaines. C’est ce qui explique l’assistance par cotisation des agents. III.1.5.2. Faiblesses Derrière les quelques forces de la politique sociale avec un contenu jugé moins satisfaisant pour les agents, se trouvent évidemment des faiblesses que nous avons pu déceler lors de notre étude. Nous avons dans un premier temps constaté, le rejet de certaines prestations sociales notamment, les prêts scolaires, les prêts de la mutuelle par certains travailleurs parce que les conditions de remboursement sont jugées complexes. Cette situation fragilise l’idée de solidarité de la hiérarchie vers les agents. Dans un second temps, nous notons une certaine méfiance des travailleurs à l’égard des prestations sociales qu’offre la mairie de Cocody liée à la méconnaissance du bien fondé de celles-ci, du fait d’un manque de communication appropriée. C’est le cas de la prise en charge médicale à laquelle de nombreux agents n’adhèrent toujours pas. A l’analyse de cette situation, nous pouvons déduire que la cause profonde de la fragile politique sociale de la mairie est spécifiquement liée à la politique managériale, à l’instar des entreprises publiques qui porte moins d’attention à la valeur de la ressource humaine. Aussi, faut-il noter que de façon générale, la politique sociale ne couvre pas un éventail assez large des besoins sociaux des travailleurs. III.2. Modèles de prestations sociales Les résultats de notre étude laissent entrevoir que des actions restent à mener pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des agents de la mairie de Cocody. Cependant, nos investigations nous ont permis de nous apercevoir que beaucoup de mesures pour répondre aux besoins sociaux des agents seront bientôt prises. L’épineuse question de la prise en charge médicale des travailleurs, a trouvé une solution depuis le début de l’année 2006. De nombreux d’employés bénéficient aujourd’hui des prestations de la SOGER. D’autres par contre, n’ont pas encore adhéré parce qu’ils bénéficient déjà d’une autre assurance ou par simple ignorance du bien fondé de cette initiative. Les autorités municipales devraient aider cette société mandatée dans ses différentes missions afin que les clauses du contrat soient strictement respectées pour le bien-être des agents.

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Déjà, les responsables de la mairie autorisent de plus en plus des études visant l’amélioration des conditions de vie et de travail des employés. C’est une initiative qu’il faut fortement encourager. Par ailleurs, il faut motiver les acteurs volontaires de ces études en les intéressant, et en insérant les résultats des études dans le programme de fonctionnement de la mairie. Pour le succès de ces initiatives, nous recommander aux autorités compétentes de renforcer le matériel de travail afin de faciliter les tâches assignées aux agents. Il faut réorganiser les services de la mairie en y apportant des conditions agréables de travail. Cela fera évidemment du bien aux agents de l’Etat Civil qui travaillent dans des conditions pénibles à cause de la chaleur que dégage la grande salle des différents bureaux où l’on certifie ou légalise les documents des administrés. En dehors du matériel, il faut instaurer à la mairie un service de prise en charge psychosociale du personnel afin de renforcer la socialisation et une cellule de communication en vue du partage des informations relatives à l’épanouissement social des agents. Tout ceci devrait être l’affaire d’un manager capable de valoriser les ressources humaines. L’on doit considérer les collectivités territoriales comme étant des entreprises de fabrication, de production. Dans ce cas, il faut y encourager la concurrence. Alors, pour parvenir à un résultat escompté, il va falloir apporter la formation professionnelle adaptée aux besoins du moment. Tout ceci devrait être conçu à partir d’une chartre de politique managériale pour répondre aux besoins de l’institution qui sont de deux(02) ordres :

- besoins de rentabilité de la mairie de Cocody ; - besoins sociaux des agents.

Cette politique managériale doit pouvoir conditionner le comportement de chaque travailleur en le rendant efficace et épanoui socialement. C’est le cas dans les entreprises. Le souci de gain ne devrait pas amener les dirigeants de la mairie, à « sacrifier » la politique sociale qui permet de garantir l’efficacité de la structure. C’est pourquoi, la gestion des ressources humaines devrait occuper une place importante dans la politique managériale de la mairie. Aussi, devrait-elle couvrir les domaines divers tels que la gestion des carrières, la formation professionnelle et l’équipement en matériel, qui relèvent de l’aspect instructif ; la couverture médicale, la vie associative et le sport qui sont d’ordre médical et culturel ; l’assistance sociale, facteur de solidarité. Afin d’impliquer davantage les travailleurs dans les efforts de production, il faudrait les associer au partage des résultats à travers une politique d’intéressement. III.2.1. Assistance sociale par financement

Il faut bénéficier aux travailleurs des financements à caractère social en créant des fonds sociaux au sein de la mairie. Les agents les plus dévoués au travail pourraient bénéficier de décoration ou de prime de rendement. C’est un moyen efficace pour amener un travailleur à accroître son rendement.

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Quand aux fonds sociaux, ils permettraient à apporter une solution à la pression communautaire. Il est évident que pour motiver que pour motiver efficacement un salarié, il est nécessaire que l’entreprise qui l’emploie, sans se transformer en une institution de bienfaisance, soit proche de lui et l’aide à résoudre les problèmes liés à la pression communautaire. Au travail, le salarié est beaucoup motivé et efficace s’il se sent en famille. Ces fonds sociaux pourraient permettre alors à créer ou renforcer l’esprit de famille au sein de la mairie. Il s’agit du Fonds de Solidarité (FS) et du Fonds Epargne-Emprunt (FEE). Quels apports offrira chacun de ces fonds ? Aussi, comment vont-ils fonctionner ? III.2.1.1. Fonds de solidarité (FS) Il sera la caisse d’entraide constituée par des cotisations mensuelles prélevées directement sur les salaires des travailleurs et la contribution de la mairie. Les cotisations devraient varier suivant la classification du salarié. Si ce fonds devient un acquis, il pourrait être utilisé au bénéfice des salariés à la survenance d’un événement heureux ou malheureux, avec une subvention en vue de supporter les charges. Cette subvention doit être la même pour tous les salariés. Le fonds de solidarité apparaîtra ainsi comme une assurance pour se couvrir contre les risques les plus importants de dépenses liées aux divers événements sociaux. La chaîne de solidarité qui sera tissée à travers ce fonds, aura un rôle capital dans le maintien d’un bon climat social au sein de la mairie. Sachant que la solidarité n’a pas de limite, le FS ne peut pas faire disparaître les cotisations informelles dans les services. III.2.1.2. Fonds Epargne-Emprunt (FEE) La pression communautaire a un effet déstabilisateur sur les agents. La conséquence la plus grave de cette pression est le lourd endettement des travailleurs auprès des maisons bancaires et des usuriers. Pour remédier à ce fait, il est nécessaire de mettre en place un fonds épargne-emprunt. Il aura pour de développer chez les agents, le goût de l’épargne avant d’emprunter. Le mécanisme du fonds consistera à faire épargner l’agent à sa demande par un prélèvement automatique sur son salaire, pendant quatre mois au moins. Ceci doit se négocier avec une maison bancaire en vue d’obtenir un partenariat pour la réalisation du projet. Si l’épargne est constituée, le travailleur peut solliciter un emprunt qui soit égal au double de celle-ci. Aussi le prêt devrait être consenti sans taux et sa période de remboursement pourrait s’étendre sur douze(12) moins au moins. Cela pourrait susciter chez les agents un grand engouement au travail. Ces prêts serviraient en effet, à réaliser des projets d’équipement, de construction de logement ou à s’occuper de manière responsable des charges familiales.

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Des prêts sans taux de remboursement, bien négociés avec des conditions faciles d’accès feront de ce système de financement une œuvre fortement sociale. En conséquence, tous ces fonds constitueront des maillons beaucoup essentiels de la solidarité qui participera à l’amélioration de la condition sociale des agents. De cette politique, l’autorité municipale connaîtra une grande satisfaction dans la mesure où, il va en résulter l’assiduité à la tâche et une productivité améliorée des collaborateurs. III.2.2. Prestations sociales à caractère instructif

Il faudra prévoir dans la chartre managériale la formation continue du personnel. Ce qui pourrait renforcer les capacités ou compétences des agents, les rendre plus professionnels, favoriser leur épanouissement et améliorer le rendement. La formation devrait s’étendre à toutes les catégories socioprofessionnelles. Ce qui pourra accroître la compétitivité de la mairie de Cocody. Un travailleur qui bénéficie d’une formation concernant son poste de travail, trouve en lui des qualités requises qui le rassurent désormais dans tout ce qu’il entreprend comme tâche. La formation constitue de ce fait une source de confiance au travail pour le salarié. Les agents qui, la plupart arrivent à la mairie sans qualification peuvent avoir des repères après la formation dans les tâches qui leur sont confiées. Au total, elle permettrait d’offrir des moyens de satisfaire les intérêts et les aspirations de carrière des agents tout en servant ceux de la mairie. III.2.3. Prestations sportives et culturelles

Il faut ajouter à tout ce qui est cité plus haut, les activités et culturelles qui luttent efficacement contre le stress, et d’autres maladies qui provoquent les absences et la lenteur dans les services. Elles renforcent les liens sociaux entre les travailleurs et créent l’enthousiasme au travail. Le sport a eu beaucoup de succès auprès de nombreux chefs d’entreprises, lesquels n’hésitent pas à développer sa pratique dans leurs établissements, eu égard à ses effets hautement bénéfiques pour les travailleurs et l’entreprise. Selon Fixx (1997), dans Jogging : courir à son rythme pour mieux vivre, lorsque les ouvriers d’une usine soviétique se sont mis à pratiquer la course, ils ont réduit de quatre cent trente six (436) à vingt deux (22) le nombre de journées perdues annuellement pour cause de maladie. Il faudra prévoir des programmes de sortie détente du personnel et des tournois sportifs (football, course). Au terme de ce qui précède, nos prières vont à l’endroit des autorités municipales et compétentes en la matière, en vue d’une politique sociale révisée avec les prestations sociales proposées ci-dessus en y associant le personnel à son élaboration ; tel est son souhait.

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CONCLUSION Comme nous venons de le constater, la politique sociale occupe un rôle déterminant dans tout système de production. Elle permet aux employeurs de subvenir dans la mesure de leurs possibilités aux charges sociales de leurs salariés. Cette action leur permet par conséquent, de se libérer de certains soucis et d’amener les salariés à donner le meilleur d’eux-mêmes au travail. La politique sociale de la mairie de Cocody quoi qu’ayant un contenu de prestations intéressantes à l’endroit des agents, elle présente encore des faiblesses qui noient ses forces. De ce fait, elle ne peut pas prétendre constituer un quelconque facteur de motivation chez l’ensemble des travailleurs. C’est pourquoi, ceux-ci ignorent le bienfondé de la politique sociale de la mairie. Cela est lié en partie à l’inexistence d’un service d’assistance sociale du personnel. BIBLIOGRAPHIE

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Histoire

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SANKOFA N° 6, juin 2014, pp. 58-74 ISSN : 2226-5503

HISTORIOGRAPHIE DE LA REFORME ADMINISTRATIVE AU GABON (1971-1977): APPROPRIATIONS TECHNIQUE ET

POLITIQUE « INCANTATOIRES »

Fabrice Nfoule Mba Chercheur en Histoire de l’Administration IRSH-CENAREST

RESUME : De 1971 à 1977, des dispositifs politiques et techniques, en vue d’une réforme administrative, sont déployés au Gabon. Ils suggèrent des évolutions visant à rationaliser le fonctionnement, et l’organisation, de l’administration. Mais, en dépit d’une vraie ambition réformiste, les modalités envisagées franchissent difficilement l’étape de la rhétorique et des recommandations. Sur fond d’une approche «incantatoire», la réforme administrative, ainsi préconisée, s’enferme alors dans un affichage institutionnel au détriment d’une application concrète. Mots-clés : réforme, administration, historiographie, incantation, Gabon

INTRODUCTION Trente années après les indépendances, et au gré des réalités de leurs contextes, on pouvait considérer que les Etats africains s’étaient largement appropriés les arcanes, les techniques, et les méthodes, de l’ancien appareil administratif hérité de l’époque coloniale (Conac, 1979). Mais si la contextualisation qui s’ensuivit s’avérait véritablement porteuse, en termes de « nationalisation », et de maîtrise des rouages de l’administration, il n’en demeurait pas moins qu’elle laissait apparaître des pratiques, et autres mœurs, déviantes. Il était alors courant d’indexer, avec Tohngodo, les travers de l’action et des organismes publics africains (1967 : 13-31). La lourdeur, l’inadéquation des procédures, mais aussi le clientélisme, la politisation excessive, voire l’incompétence des agents publics… figuraient alors dans une liste non exhaustive des maux, et autres insuffisances, globalement, imputés à l’administration africaine. Le constat parut si accablant qu’il questionnait la légitimité, non seulement des institutions administratives, mais aussi de leurs actions et de leurs personnels (Nembot, 2000). Cette inclinaison à l’interrogation paraissait d’autant plus opportune, pour l’histoire administrative et institutionnelle, que pour pallier aux carences, ainsi dénoncées, des initiatives dites de « réformes administratives », furent déployées au Gabon dans les années

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soixante-dix. Censées induire des transformations profondes, les modalités élaborées avaient alors pour dessein de « rénover », « refonder », « réorganiser », ou « rationaliser », l’administration. Mais, sous quels angles, l’historiographie aborda-t-elle la question de la réforme administrative et les logiques qui la sous-tendaient? Comment, techniquement et politiquement, s’appropria-t-on cette notion, ainsi que les exigences qu’elle entraînait, au Gabon? Il nous importe de sonder ces questions dans un cadre chronologique circonscrit entre 1971 et 1977. Cette période marque, non seulement l’introduction de la réforme administrative dans l’appareil politique, mais également son expérimentation à l’intérieur du dispositif technique au Gabon. Aussi, l’année 1971 vit-elle la réforme administrative intégrer, officiellement, les attributions du ministère de la Fonction publique28. Loin d’être anodin, le rattachement à ce ministère technique indiquait son nouveau positionnement dans l’amélioration tant des procédures de gestion des carrières que des mécanismes de fonctionnement, et d’organisation, des services administratifs de l’Etat. Toutefois, après certaines acclimatations, et sans véritablement se matérialiser, la réforme de l’administration disparut subrepticement de l’ossature ministérielle, six ans seulement après son apparition. Aussi l’année 1977 témoignait-elle de sa suppression29 des prérogatives du ministère de la Fonction publique redevenu, pour la circonstance, autonome. Aveu d’échec, signe d’une atteinte des objectifs fixés, ou perception intermittente de la réforme, cette inconstance dévoilait les hésitations, voire les tergiversations, quant à la pérennité et à l’efficience des mesures visant la refondation du service public au Gabon. Privée de visibilité institutionnelle, la réforme administrative n’apparaissait plus que sporadiquement dans les missions dévolues à quelques procédés techniques ponctuels. Cette situation fut d’autant plus dommageable que les initiatives prises privilégièrent une

28 Le décret n° 661/PR, du 29 juin 1971, fixant la composition du gouvernement, JORG du 1er juillet 1971, p. 460, fit apparaître un ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative, confié au docteur Benjamin Ngoubou. Toutefois, en l’absence d’archives administratives et politiques sur l’année 1970, au Gabon, et du fait de la forte détérioration du Journal Officiel (JO) de cette même année, il nous est impossible d’établir, avec exactitude, n’inexistence de ce ministère sous la même dénomination avant 1972. Cette précision est d’autant plus importante que jusqu’à 1969, le ministère de la Fonction publique était raccordé à la Coopération Technique Administrative. Aussi, sous réserve des sources, et en acceptant, le cas échéant, d’être corrigé, sommes-nous enclin à penser que le rattachement de la Réforme administrative au ministère de la Fonction publique s’est probablement opéré entre 1970 et 1971. 29 Le décret n° 565/PR, du 3 juin 1977, portant modification de la dénomination du ministère de la Fonction publique, JORG, 1er-15 juillet 1977, p. 1, supprima la Réforme administrative de la dénomination du ministère de la Fonction publique. Recentré sur les missions de gestion administrative des personnels et d’organisation des services de l’Etat, ce ministère fut confié à un magistrat du nom de Jules Bourdès Ogoulingoundé. Il s’ensuivra une véritable appropriation, et affirmation, du poids juridique de la Fonction publique. Outre le profil de juriste du Ministre, la « juridicisation » du ministère se traduira par une réorganisation générale des procédures, et autres textes réglementant et encadrant la gestion des carrières des agents publics, mais aussi les activités et l’organisation des services d’Etat. Le statut général de la Fonction publique de 1977 s’inscrivait dans cette logique de rationalisation de l’action publique.

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appropriation théorique dont les applications techniques, et politiques, consistèrent, principalement, en un affichage institutionnel. C’est à l’intérieur du cadre chronologique, ainsi délimité, que notre étude ambitionne de questionner la réforme administrative au Gabon. Il s’agit d’analyser les approches historiographiques préconisées ainsi que les applications politiques, et techniques, expérimentées de 1971 à 1977. L’hypothèse, ici, soutient que, dans le cas du Gabon, les mesures prises à l’effet de "réformer" l’administration se sont limitées aux préconisations techniques et aux indications politiques au détriment d’une application effective. Cette situation a maintenu la réforme administrative dans une posture essentiellement « incantatoire ». Dépourvue de cadre opératoire, et de volonté politique, l’ambition réformiste, ainsi que les incidences souhaitées, ne se sont pas véritablement concrétisées au-delà des exhortations politiques et autres incitations réglementaires limitées, dans le meilleur des cas, à l’affichage institutionnel. Aussi notre analyse s’articule-t-elle en deux points principaux: d’une part, une historiographie de la réforme administrative, en Afrique francophone, en général, et, au Gabon, en particulier, et d’autre part, les inclinaisons techniques et politiques de cette notion au Gabon, de 1971 à 1977. 1. Historiographie de la Fonction publique : vivification d’une histoire

administrative et institutionnelle La notion de réforme, appliquée à l’administration d’Etat, est souvent désignée par des formules aussi diverses que variées. Celles-ci évoquent tant « la modernisation de l’Etat », que « la refondation de l’action publique », ou « l’amélioration du service public », etc. En outre, la modernisation de l’administration, ou plutôt, les réformes qu’elle suscite, ont induit de nombreuses études sur la fonction publique en Afrique, en général, et au Gabon, spécifiquement. Aussi, nous intéresse-t-il de saisir les angles sous lesquels l’historiographie a abordé cette question. 1.2. L’approche historiographique Les questions de réforme administrative ont captivé l’attention tant en histoire de l’administration qu’en droit de la fonction publique. A l’échelon continental, il s’est essentiellement agit de questionner autant l’organisation (Servel, 1912 et Mangin, 1962), les structures (Lampué, 1924) que les techniques administratives, notamment la centralisation-déconcentration (Jacquier, 1946), l’évolution (Cornevin, 1961), le contrôle (Breton, 1978)… de l’administration d’abord coloniale, puis nationale. Cela a contribué à fermenter un champ d’étude particulièrement fertile, et focalisé, non seulement sur l’administration, mais aussi, et plus généralement, sur l’Etat. Aussi, les problématiques invitant à la réforme administrative se retrouvent-elles sous-jacentes dans plusieurs travaux juridiques et historiques. Consistant à sonder les insuffisances des fonctions publiques africaines, les interrogations portant sur les prérogatives de l’administration, et son action (Bockel, 1978), ainsi que sur la redéfinition du droit administratif (Mescheriakoff, 1982) ont

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particulièrement vivifié cet axe de la recherche. Dans une perspective historique, et au-delà de l’approche juridique, certaines études ont évalué la genèse (Deschamps, 1965) et la capacité d’adaptation de l’administration face aux enjeux de la conjoncture. Aussi les évolutions intervenues au sein de l’administration en Afrique équatoriale française (AEF) dans la gestion des personnels, la politique budgétaire, la restructuration des services… en vue de faire face aux méfaits de la crise de 1929 (Ndombi, 1995) ont-ils spécifiquement intéressé la recherche historique. A l’instar de ses homologues du continent, le processus de réforme administrative au Gabon a aussi capté l’intérêt de la recherche. Dès la fin des années soixante, une recherche juridique, et technique, à forte consonance historiciste, analysa l’organisation, et l’évolution, mais également les structures, et les textes, de la fonction publique gabonaise de l’époque coloniale à la période du parti unique (Max Remondo, 1970). Les travaux sur les réformes introduites, en matière fiscale (Mengue Me Engouang, 1980), dans la gestion des ressources humaines (Di Qual, 1981 et Remondo, 1981), la décentralisation-déconcentration (Essono Nkomo, 1985), et les juridictions administratives (Brard, 1985), jaugèrent la capacité d’adaptation de l’administration gabonaise face aux mutations de la société. Des contributions émanant de la coopération, ou assistance, technique manifestèrent une attention soutenue pour les dispositifs financiers, législatifs et réglementaires (Cadène, 1978), la gestion des personnels (Mercier, 1979), ainsi que pour les techniques de gestion administrative (Buffelan-Lanore, 1982). En règle générale, les investigations historiographiques sur l’administration se particularisaient par un positionnement analytique allant bien au-delà de la description et de la critique. Elles formulèrent des pistes de solutions dans le dessein de corriger les anomalies et, subséquemment, d’améliorer le rendement, et l’efficacité, de la fonction publique. Ce faisant, elles jaugèrent, bien qu’en seconde intention, la notion de réforme administrative. Une historiographie, spécifiquement consacrée à l’administration, et à l’Etat, gabonais s’est également inscrite dans cette démarche. 1.2. La réforme administrative dans l’histoire du Gabon L’histoire du Gabon, dans ses composantes politique et sociale, mais aussi économique, administrative et financière, examina abondement la question de la réforme de l’administration publique. Bien que l’administration ne fût pas toujours la problématique centrale, il n’en reste pas moins que les questions abordées dans plusieurs travaux interpelaient diversement cette institution. Dans une approche résolument politiste, la recherche historique appréhenda les métamorphoses de l’administration au gré des modifications du statut juridique du Gabon. C’est dans cette perspective que l’évolution statutaire du Gabon de comptoir à territoire français (Assa Mboulou, 2003 : 105-124) suscita un intérêt particulier. Privilégiant une lecture comptable des mesures initiées par l’administration, la réflexion se porta également sur les dispositifs

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économiques, et financiers, expérimentés dans le dessein de réaliser les grands projets socio-économiques d’avant et après l’indépendance. Dans cette optique, les réformes entreprises pour matérialiser les politiques publiques en matière de fiscalité (Nzenguet Iguemba, 2004), d’infrastructures hospitalo-sanitaires (Longo, 2007)… constituèrent un axe particulièrement fertile. Au-delà de ses dimensions sociale, économique, et financière, l’histoire administrative observa particulièrement le fonctionnement, et l’organisation, des services publics. Les dispositifs déployés pour rationaliser le recrutement et la promotion des cadres (Nfoule Mba, 2007, 2011), mais aussi pour optimiser l’action de certains services comme l’administration pénitentiaire (Nguiabama Makaya, 2006), le service de santé (Ayenie, 2007), l’inspection du travail (Messi Me Nang, 2010)… participèrent d’un raffermissement de la recherche en histoire administrative et institutionnelle au Gabon. Il en fut de même pour les mécanismes administratifs mobilisés pour maximiser l’effort de guerre et leurs impacts socio-économiques (N’nang Ndong, 2010). Sous une consonance à forte inclinaison « juridiste», les préoccupations d’ordre législatives, et réglementaires, commandèrent un examen approfondi du rôle de l’administration dans la codification, et la normalisation, de l’action publique. Sa participation à l’élaboration, et à l’application, des conventions et autres textes, à l’instar des codes, et autres concessions ou conventions, mais aussi des lois, arrêtés, et autres décisions, dans les domaines énergétique (Mehyong, 2008, 2011), minier (Ndong, 2009), électrique (Lekoulekissa, 2009), matrimonial (Esseng Aba’a, 2010)… captiva ce pan de la recherche historique. Il s’agit alors d’interroger la capacité d’adaptation, et d’harmonisation, de la législation, mais aussi des infrastructures, aux réalités des contextes. Au total, l’étude de l’administration, et de l’Etat, a suscité un vif intérêt au milieu des années cinquante jusqu’au début des années quatre-vingt-dix avec la recrudescence des travaux juridiques, mais aussi des forums techniques, sur les fonctions publiques en Afrique. En histoire économique et sociale, il s’est surtout agit d’étudier les structures administratives coloniales et la mise en place des fonctions publiques, et plus généralement de l’Etat, dans les pays africains nouvellement indépendants. Une multitude de travaux, et de colloques, tendant à produire, expliciter, ou adapter, un droit de la fonction publique en Afrique, mais aussi à redéfinir le rôle, les missions des services publics, à énoncer, ou proposer, les réformes à entreprendre… participa, de beaucoup, à la vivacité d’une histoire administrative et institutionnelle. Il appert alors que la réforme administrative est une notion largement abordée par l’historiographie en Afrique et au Gabon. Cela a permis de questionner l’administration, à travers sa capacité à transformer structurellement son organisation, son fonctionnement, et ses actions. Toutefois, et au-delà de l’approche historiographique, il importe de s’arrêter, à travers l’histoire administrative et institutionnelle, sur le sort réservé à quelques expérimentations significatives ayant ambitionné une réforme administrative au Gabon, notamment dans les années soixante-dix.

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2- Institutionnalisation de la réforme administrative (1971-1977) : une posture « incantatoire »

Bien qu’admettant l’importance des différents angles sous lesquels la réforme de l’administration, et les problématiques qui s’y rapportent, ont été esquissées par l’historiographie, en générale, et l’histoire administrative, en particulier, notre propos ne les analysera pas tous pour autant. Il portera plutôt son attention sur les tentatives de concrétisation de la réforme administrative au Gabon. Aussi les dispositifs d’intégration politique, et les initiatives d’appropriation technique, débouchant sur une posture « incantatoire » des réformes expérimentées, constitueront-ils les points focaux de notre analyse. 2.1. L’intégration politique (1971-1974)

L’intégration politique a résulté de l’incorporation officielle dans les missions du ministère de la Fonction publique. En effet, c’est en 1971 que la réforme administrative apparaît dans l’espace institutionnel gabonais. A la suite d’un réaménagement du gouvernement, le 29 juin 1971, le ministère de la Fonction publique, vit ses attributions s’élargir. En plus de la gestion des carrières des agents de l’Etat, il s’occupa dorénavant de la réforme de l’administration. Historiquement, après les rattachements au ministère du Travail, des Affaires sociales et de la Prévoyance, puis au département de la Coopération Technique Administrative, dans les années soixante, il s’agissait de la troisième « cohabitation » institutionnelle de la Fonction publique avec un autre volet de l’action de l’Etat. L’année suivante et après plusieurs remaniements ministériels, la composition du gouvernement le 30 septembre 197230 pérennisait l’intégration de la Réforme administrative dans les attributions du ministère de la Fonction publique. Au-delà de la constance de la nouvelle dénomination ministérielle, la présence d’un département « Réforme administrative » était censée renforcer, et rationaliser, le rôle de l’Etat dans l’organisation et le fonctionnement de l’administration. En plus de la régulation du cadre juridique et réglementaire des activités publiques ainsi que de la gestion administrative des personnels, la Fonction publique devait désormais se déployer dans l’organisation et le fonctionnement des services des autres ministères, institutions et organismes publics. Conséquemment, le fait d’amplifier les prérogatives de ce ministère dans la configuration, et l’évolution, de l’appareil administratif d’Etat dévoilait une perception, bien spécifique, de la réforme administrative au Gabon. Celle-ci se concevait comme une simple réorganisation de la Fonction publique. Il fallait donc la comprendre comme une amélioration tant des modalités de gestion des carrières que des mécanismes de fonctionnement, et d’organisation, des structures. Mais si, l’intervention dudit ministère dans la gestion des carrières des personnels de l’Etat n’était pas nouvelle, son

30 Le décret n° 01051/PR, du 30 septembre 1972, portant composition du gouvernement, JORG, n° 33 (numéro spécial), du 4 octobre 1972, confirme, un an après, la présence et l’existence d’un ministère technique autonome, chargé de la Fonction publique et de la Réforme administrative.

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implication dans l’organisation et le fonctionnement organismes publics, bien que présentée comme telle, n’apparaissait pas fondamentalement comme novateur. En effet, Bien avant que la Réforme administrative ne soit rattachée au ministère, nous nous occupions déjà de l’organisation, ou de la réorganisation, de la Fonction publique ainsi que du perfectionnement des méthodes de travail. Nous n’avons pas attendu la Réforme administrative pour nous impliquer dans la gestion des incidences administratives, et réglementaires, des changements intervenant dans l’administration suite à la création d’une fonction, d’un service ou de tout autre organisme. Les principales autorités politiques, à l’instar du Président de la République, ou des Ministres, prenaient toujours la peine de recourir à nos services pour l’exécution, ou l’application, des mesures, et même des décisions, ayant un impact sur le fonctionnement et l’organisation de l’Etat. Cette étape était primordiale, car elle conditionnait la prise en compte financière par le ministère du Budget. Ces activités de codification des actes, et la gestion des situations administratives des fonctionnaires, constituaient l’essentiel de notre travail au ministère31. Bien que faisant référence à une période antérieure aux années soixante-dix, il restait que la réforme administrative n’élargissait pas véritablement les missions du ministère de la Fonction publique. Bien avant son apparition, dans les prérogatives dudit ministère, les missions de ce département technique consistaient déjà en la réorganisation du système administratif dans le dessein de le rendre plus performant. Par ailleurs, la perception, ainsi déclinée, de la réforme administrative semblait assez étriquée, voire restreinte. Elle lui conférait un caractère contemplatif. La réforme administrative, se bornait à consolider le ministère de la Fonction publique dans la conception, et l’exécution, des actes administratifs relatifs à la création, ou à la réorganisation, des services et des fonctions, mais aussi des affectations, détachements, avancements, nominations... des agents publics. Il était alors courant de clôturer les actes réglementaires (décrets, arrêtés et décisions) résultant de la création, ou du réaménagement d’un service, d’une fonction, voire d’une mission, en appelant le ministère de la Fonction publique, à prendre, en ce qui le concerne, les dispositions nécessaires pour l’application des mesures prises par les autres composantes de l’espace institutionnel. Pour autant, qu’il s’agisse des personnels, ou des structures, la posture du ministère de la Fonction publique paraissait assez passive. Réduit à constater les transformations introduites dans l’appareil administratif et politique, à l’aune des nécessités de service, le ministère de la Fonction publique, chargé accessoirement de la Réforme administrative, n’intervenait que pour leur normalisation administrative. A l’exception des initiatives menées en son sein, il n’opérait qu’à la fin du processus de réglementation. Dans la pratique, les structures administratives ainsi que les personnels publics, fluctuaient sans que le principal dépositaire technique de la gestion

31 Vincent Alévina, administrateur civil en chef retraité, attaché d’administration à la direction de la Fonction publique de 1967 à 1975, Entretien, le 22 juillet 2013, à Libreville.

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administrative de l’Etat ne puisse véritablement influer de quelle que manière. Il ne faisait que constater, enregistrer, et codifier, les actions entreprises par les autres pans de l’Etat. En considérant que le ministère de la Fonction publique, dans son ancienne configuration, jouait déjà ce rôle de gestionnaire des carrières et de régulateur des structures administratives, il était légitime de se demander si la réforme administrative n’était en fait qu’une question de rajout institutionnel ou de simple dénomination. L’inclinaison à interroger l’efficience même de cette politique, en fustigeant cette posture, à la limite du méditatif, était d’autant plus accentuée qu’il n’existât aucun dispositif technique permanent, spécifiquement consacré à cette question au sein même du ministère de la Fonction publique. Même si le Bureau organisation et méthodes (BOM), en 1973, pouvait faire illusion, la Fonction publique ne créa pas de structure technique chargée de la réforme administrative. Par ailleurs, l’avènement de ce service était bien antérieur à la mise en place du département de la réforme. On le retrouvait, déjà, dans l’organigramme du ministère de la Fonction publique, en 1968, soit trois années avant l’apparition officielle de la réforme administrative dans une composante de la sphère gouvernementale. Par ailleurs, les activités des services de ce ministère, n’accordaient que peu de place au traitement de la question. A ce titre, Le Bureau organisation et méthodes, dans lequel j’exerçais, fut mis à contribution pour proposer des pistes de réforme pour l’administration. Mais, alors que nous nous attendions à recevoir des instructions claires sur la question, aucune directive ministérielle ne vint officiellement élargir les compétences de notre service et définir nos nouvelles missions. Dans ses conditions, nous consacrions notre temps à nos activités habituelles sans traiter de la réforme administrative. Pour nous, les cadres, et même certains agents, nous constations et considérions que la réforme administrative se limitait, en fait, aux titres des Ministres qui se sont relayés à la tête de la Fonction publique32. Sans forcément adhérer à la personnalisation, ainsi évoquée, on pouvait convenir que, dans la pratique, la réforme administrative ne s’affirmait pas comme un département à part entière du ministère de la Fonction publique. En dehors de son incorporation dans la sémantique désignant ce ministère, elle n’avait pas d’incidence réelle sur son fonctionnement et ses missions. Cela était d’autant plus palpable qu’en observant l’organigramme du ministère de la Fonction publique, en 1977, force était, en effet, de constater qu’aucun dispositif technique, chargé spécifiquement de la réforme administrative n’émergeait. On n’y retrouvait un cabinet ministériel, une direction de la fonction publique et deux bureaux33, auxquels s’ajoutait l’Ecole nationale d’administration (ENA). L’absence flagrante de la réforme administrative dans l’armature technique du

32 Bernard Médoua, administrateur civil en chef retraité, cadre administratif au Bureau organisation et méthodes (BOM) au ministère de la Fonction publique et le Réforme administrative, 1969 à 1977. Entretien, le 13 octobre 2013, à Libreville. 33 Bureau études et contentieux (BEC) et Bureau organisation et méthodes (BOM).

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ministère de la Fonction publique témoignait de la marginalisation de cette question dans son cadre institutionnel d’accueil. Techniquement, aucune direction, service, bureau, ou commission, ne vint consolider les modalités d’une réforme de l’administration. La figuration, ou l’inscription, dans les attributions du ministère et les titres des personnalités politiques34, ayant exercé la fonction de Ministre de la Fonction publique, constitua donc le seul élément de visibilité dont la réforme administrative bénéficia dans les années soixante-dix. Le raccordement au ministère de la Fonction publique ne s’était donc pas suivi d’une identification et d’une mobilisation des services disposant de personnels, et de moyens, avec pour mission de rendre la réforme administrative effective. Dans cette configuration, et privée d’ossature technique, l’institutionnalisation politique de la réforme administrative n’allait pas au-delà de « la figuration » qui lui conféra, néanmoins, une certaine visibilité institutionnelle. Ainsi, s’est sous le sceau d’un affichage, consistant à la simple évocation dans les attributs d’un ministère, chargé de la Fonction publique, que la réforme administrative intégra la sphère gouvernementale. A défaut de moyen, et de véritable cadre opératoire technique, elle y jouira, cependant, d’une visibilité institutionnelle attirant, par moment, l’attention des autorités politiques. En effet, sans être une priorité, cette préoccupation pénétra, néanmoins, le niveau décisionnel. Politiquement, il s’agissait de s’approprier, et de s’imprégner, de la réforme administrative. Mais, il semblait qu’au lieu que de matérialiser, et de déployer, la réforme administrative dans l’ensemble de l’appareil administratif, les pouvoirs publics se résolvaient, plutôt, à initier de simples modalités de réflexion, et de discussion, sur la réorganisation et la rationalisation de la Fonction publique. Mais, bien que dépourvu d’une véritable ossature technique, la nécessité de réformer l’administration s’inséra dans le dispositif institutionnel. Cette imprégnation de la sphère politique décisionnelle fut telle que la volonté de réformer l’administration arbora une consonance beaucoup plus technique au milieu des années soixante-dix. 2.2. L’appropriation technique (1974-1977) Si l’intégration politique de la réforme administrative se manifesta par l’affichage, dans le titre des Ministres de la Fonction publique, son appropriation technique intervint véritablement en 1974. Trois ans après le raccordement au dispositif gouvernemental, et pour pallier le manque d’ossature technico-administratif, la réforme administrative revêtira une consonance technique. Elle figura, dorénavant, dans le dispositif technique.

34 De 1971 à 1977, il eut trois Ministres de la Fonction publique et de la Réforme administrative, à savoir Benjamin Ngoubou (1971-1974), Théodore Kwaou (1974-1976) et Jules Aristide Bourdès Ogouliguendé (1976-1977). Il importe, toutefois, de préciser que le magistère de Jules Bourdès Ogouliguendé se prolongea bien au-delà de la période étudiée. Il fut, en effet, Ministre de la Fonction publique (de juillet 1977 à 1978), puis Ministre de Fonction et de la Justice, à partir de 1978.

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L’avènement de la Commission administrative spéciale (CAS)35 concrétisa cette nouvelle inclinaison. Créé par le décret n° 520 du 20 avril 1974, et placée sous la tutelle du Président de la République, une commission spéciale fut chargée d’enquêter sur l’organisation de la Fonction publique. Dépositaire de la mission de rénover l’action publique, il lui revenait d’examiner certains problèmes minant l’administration et de proposer des solutions au gouvernement. Elle devait réfléchir sur les procédés susceptibles d’améliorer le fonctionnement et l’organisation de l’administration. Mais épisodique, et composée des cadres des principaux ministères et de certaines institutions, répartis inégalement entre plusieurs hauts commis de l’Etat, quelques hauts fonctionnaires et un expert, la CAS n’avait pas vocation à pérenniser le processus de réforme administrative. Pourtant, et bien qu’amplifiant les effets déjà induits par le rattachement gouvernemental, en 1971, la mise en place de cette commission participait encore de la « conscientisation » des gouvernants. En cela, elle s’inscrivait dans la continuité des manquements, auparavant, constatés dans le traitement de la question au sein du ministère de la Fonction publique. Toutefois, l’arrimage à la présidence de la République donnait assurément plus de hauteur, et de visibilité, institutionnelles à la réforme administrative. Naguère limitée aux seules compétences du ministère de la Fonction publique, cette question revêtit désormais une dimension multiple. La création de la CAS offrait, en effet, l’opportunité à la présidence de la République, aux principaux ministères, et à certaines institutions constitutionnelles, de se retrouver avec, non seulement des praticiens de l’administration, mais aussi un spécialiste en gestion administrative, pour débattre des modalités d’une rénovation de la Fonction publique. Il en résultait une certaine mobilisation institutionnelle autours de la question de la réforme administrative. Hors du ministère de la Fonction publique et de ses services, d’autres institutions et organismes de l’Etat investirent cette problématique. Dans une dynamique unitaire, il leur revint d’aiguillonner les gouvernants sur l’initiation des mesures adéquates dans l’optique de moderniser, non seulement l’administration, mais aussi, et plus généralement, l’Etat. Toutefois, certaines restrictions ainsi que le caractère consultatif de la commission en nuançaient fortement la portée. Tout un pan important de la sphère institutionnelle et administrative était exclu de la commission spéciale. Parler de « principaux ministères » supposait, en effet, que plusieurs départements ministériels « mineurs » ne participaient pas aux travaux de la commission présidentielle. Cette restriction concernait également les institutions constitutionnelles, parmi lesquelles seule la Cour suprême était conviée à mandater un Magistrat. Au niveau des organismes administratifs et techniques, on ne retrouvait que l’Inspection affaires administrative (IAA). Outre, la disqualification des services comme la Direction de la Fonction publique, le Bureau

35 Décret n° 520/PR du 20 avril 1974, instituant une commission administrative spéciale, JORG, 1er mai 1974, p. 385-386.

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organisation et méthodes (BOM), et bien d’autres structures techniques intéressées par l’organisation et le fonctionnement de l’administration, la présence de cette instance du Contrôle général d’Etat (CGE), donnait, assurément, une consonance répressive aux éventuelles futures propositions. L’intégration de l’inspection du travail ne suffisait pas à atténuer cette velléité inquisitoriale. Par ailleurs, le caractère consultatif, et sporadique, condamnait la commission à émettre de simples avis, des idées, et autres conseils, n’ayant aucun caractère exécutoire. En cela, la commission présidentielle ne se démarqua pas fondamentalement de l’approche méditative naguère développée au sein du ministère de la Fonction publique. Au-delà de l’imprégnation institutionnelle, l’avènement de cet organisme technique perpétuait l’option discursive et ponctuelle. Il apparaissait alors évident qu’au lieu de passer à la matérialisation, la mise en place de la commission d’enquête sur la fonction publique prolongeait la période de conception et de réflexion entamée deux années auparavant. Il ne s’agissait encore que de « sensibiliser » les gouvernants sur les vertus d’une réforme administrative. La perspective des mesures concrètes semblait pas la préoccupation principale. On ne pouvait alors que regretter la logique « d’affichage » confortant la réforme dans une posture incantatoire. 2.3. Une posture « incantatoire » de la réforme Théorisée par Bernard Abate, la réforme par l’incantation consiste en l’évocation permanente de la réforme des administrations (Abate, 2000 : 5-7). Se limitant aux discours, et autres exhortations, marquant une volonté politique, et un juridisme assez affiché (Barilari, 2000), les évolutions y ont souvent du mal à se concrétiser. Engluées dans les méandres de la théorie et de la bureaucratie (Crozier, 1963), les actions avancées pour atteindre des buts, souvent généreux, donnent alors l’impression de balbutier. Le temps passant, les plans déclinés diffèrent, et se contredisent, les uns des autres sur des points parfois cruciaux. Les hésitations qui en résultent se matérialisent par des variations récurrentes dans la déclinaison des dispositifs censés incarner la réforme. A bien observé, cette posture cadre avec la réflexion et la conceptualisation. Cela explique qu’elle scrute surtout les difficultés et les retards accusés (Barouch et Chavas, 1993). Toutefois, les hésitations, et autres tergiversations, ainsi mises en exergue, sont à inscrire au crédit d’un processus encore en lancement, sinon en rodage. Or, en examinant, à travers l’histoire administrative et institutionnelle, le traitement accordé à la question de la réforme administrative au Gabon, force est de constater qu’il a surtout relevé des recommandations, des forums et autres dispositifs techniques intermittents. Il s’agissait des discussions, et autres réflexions, d’experts, de cadres et de responsables politiques. Les préconisations émises ne dépassèrent pas le rattachement de la réforme administrative aux attributions d’un ministère et d’une commission à la technicité largement atténuée. Dans ces conditions, les traductions les plus visibles furent donc, non seulement l’apparition de la réforme administrative dans les

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prérogatives du ministère de la Fonction publique, mais aussi à la mise en place d’une commission spéciale à la présidence de la République. Sans véritable perspective, que celle d’une simple figuration institutionnelle, la réforme administrative n’eut aucune portée réelle. Cette situation s’accentuait d’autant plus que les dispositifs, et les organismes, techniques expérimentés furent souvent sporadiques et consultatifs. En effet, l’agrégation de la réforme administrative aux missions du ministère de la Fonction publique, n’occultait en rien son caractère secondaire par rapport aux activités traditionnelles de ce département ministériel. La gestion des carrières, et des situations administratives, reléguait la réforme administrative au second plan des activités du ministère de la Fonction publique. A ce titre, un ancien cadre supérieur à la direction de la Fonction publique attestait que : Dénuée de service, et d’agents publics, spécifiquement, chargés de la question, la réforme administrative, n’était évoquée qu’épisodiquement dans l’année à l’occasion des rares réunions convoquées par le cabinet du Ministre de la Fonction publique. Le reste du temps, nous étions accaparés par le traitement des situations administratives36. La primauté des missions traditionnelles du ministère de la Fonction publique renseignait sur le fait que la réforme administrative constituait une activité marginale. En cela, l’incorporation de la réforme administrative dans ce ministère n’était qu’indicative. La seule visibilité dont cette question bénéficia résidait dans l’évocation lors des réunions techniques organisées, par intermittence, à l’instigation de l’autorité ministérielle. Cette préoccupation disparaîtra, d’ailleurs, des attributions du ministère de la Fonction publique en 1977. Six années seulement après son apparition officielle, la réforme administrative fut supprimée des attributions du ministère de la Fonction publique. On pouvait alors attester que la réforme administrative ne fut pas efficiente. La création de la commission présidentielle spéciale, en 1977, ne changea pas fondamentalement la donne. Elle se composait de neuf membres comprenant, non seulement, les représentants des institutions politiques (présidence de la République et principaux ministères) et judiciaire (Cour suprême), mais aussi des organismes techniques (inspection des affaires administratives et inspection du travail) ainsi qu’un expert en science administrative37. La prépondérance des hauts commis de l’Etat dans la commission en nuançait considérablement la connotation technique. Limité à un seul expert, n’ayant qu’un rôle consultatif et ne participant nullement aux délibérations, il paraissait évident que ladite commission présidentielle n’eut de technique que la dénomination et les missions. Dans les faits, elle s’apparenta à une modalité de plus de la logique « incantatoire ». Cela ne laissait pas beaucoup de marge quant à une matérialisation éventuelle.

36 Gervais Mayombo, Administrateur en chef retraité, commis d’administration à la direction de la Fonction publique, de 1970 à 1978. Entretien, à Bikélé, le 10 janvier 2013. 37 Articles 3 et 4 du décret n° 520/PR du 20 avril 1974, instituant une commission administrative spéciale, JORG, 1er mai 1974, p. 386.

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En somme, deux principaux mécanismes ponctuels, se sont relayés, de 1971 à 1977, dans le dessein de réformer, non seulement l’administration, mais aussi action de l’Etat. On pouvait, à ce titre, citer l’incorporation de la réforme administrative dans les attributions du ministère de la Fonction publique et la création d’une commission de réflexion à la présidence de la République. Au plan politique, le ministère de la Fonction publique a été le dépositaire de la réforme de l’administration durant la période étudiée. Mais, il ne concentra ses efforts que sur la normalisation administrative, et réglementaire, de l’action publique. Arrimée à l’intitulé dudit ministère, cette mission dévoilait une ambition de rationalisation de la gestion administrative des agents publics et une amélioration des procédures ainsi que de l’organisation et du fonctionnement de la Fonction publique. Pour autant, elle ne matérialisa aucunement la réforme de l’administration. Nullement inclues dans l’ossature du ministère de la Fonction publique, la combinaison technique imaginée, par la suite, pour réorganiser la Fonction publique souffrit de son caractère restrictif et consultatif. Dépourvus de véritables moyens opérationnels, la réforme administrative se borna aux débats, discussions, et autres recommandations, sans grand impact sur l’organisation, et le fonctionnement, de l’administration. En dépit des efforts consentis, à travers l’élaboration des pistes de réorganisation des services, parfois intéressantes, il restait que la réforme de l’administration, et de l’Etat, ne se concrétisa guère. Elle procéda, pour beaucoup, de l’affichage institutionnel. Conclusion : Une logique d’affichage institutionnel De 1971 à 1977, l’administration gabonaise fut appelée à évoluer en améliorant son fonctionnement et son organisation. Les réformes déclinées, à cet effet, expérimentèrent certains dispositifs politique et technique. Aussi, évoqua-t-on successivement, et entre autres, le raccordement aux prérogatives du ministère de la Fonction publique et la création d’une commission présidentielle spéciale. Les deux dispositifs, ainsi déployés, souffrirent de leurs caractères ponctuel, consultatif, voire restreint. Prise dans une inconstance institutionnelle, et privée d’ossature ainsi que de moyens, la réforme administrative se limita, politiquement et techniquement, à l’affichage institutionnel. Il était alors aisé d’indexer une «incantation » consistant en l’évocation de la réforme à l’occasion des forums, colloques, et autres réunions, dont les recommandations restaient, en réalité, lettres mortes. Pour autant, la réflexion sur la question de réforme de l’administration, ainsi que les dispositifs expérimentés, ne sauraient compter pour quantité négligeable. Historiquement, il s’agit des premiers procédés ayant introduit, et évoqué, dans l’appareil institutionnel, la nécessité de moderniser l’action publique. On peut leur faire le crédit d’avoir suscité des débats, et exhumer des idées, voire des propositions, pour édifier les gouvernants sur la problématique de la réforme administrative. En cela, ils

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sont assimilables aux modalités de « conscientisation » et de maturation de l’idée de refonder, non seulement l’administration, mais aussi l’Etat. Il importe alors qu’ils servent de base tant à la consolidation d’une histoire administrative et institutionnelle pour l’élaboration des mesures pouvant aider la matérialisation effective de la modernisation, non seulement de l’administration, mais également, et plus largement, de l’Etat au Gabon. Sources et bibliographie Sources Sources orales Alévina Vincent, administrateur civil en chef retraité, attaché d’administration à la direction de la Fonction publique de 1967 à 1975. Entretiens, les 22, 26 et 30 juillet 2013, à Libreville. Mayombo Gervais, Administrateur civil en chef retraité, commis d’administration à la direction de la Fonction publique, de 1970 à 1978. Entretiens, les 10 et 15 janvier 2013, à Bikélé. Médoua Bernard, administrateur civil en chef retraité, cadre administratif au Bureau organisation et méthodes (BOM) de 1969 à 1977 au ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative. Entretiens, les 13, 14 et 17 octobre 2013, à Libreville. Textes réglementaires Décret n° 661/PR, du 29 juin 1971, fixant la composition du gouvernement, JORG du 1er juillet 1971, p. 460. Décret n° 01051/PR, du 30 septembre 1972, portant composition du gouvernement, JORG, n° 33 (numéro spécial), du 4 octobre 1972. Décret n° 520/PR du 20 avril 1974, instituant une commission administrative spéciale, JORG du 1er mai 1974, p. 385-386. Décret n° 565/PR du 3 juin 1977, portant modification de la dénomination du ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative, JORG, 1er-15 juillet 1977, p. 1. Bibliographie Abate B. (2000), La nouvelle gestion publique, Paris, LGDJ. Assa Mboulou L. (2003), Influence catholique et pouvoir colonial au Gabon (1848-1958), thèse pour le doctorat en histoire, Lille III. Ayenie A. (2007), Les femmes dans les services de santé au Gabon, des années 1950 aux années 1980 : De leur formation à l’Ecole de santé de

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SANKOFA N° 6, juin 2014, pp.76-90 ISSN : 2226-5503

LE ROLE INTERNATIONAL DE L’UNION AFRICAINE : ENTRE NON-AFFIRMATION ET LOGIQUE DE DEPENDANCE 50 ANS APRES.

Adjo André

Attaché de recherche/ IRSH-CENAREST Résumé : Au moment où l’Afrique commémore le cinquantième anniversaire de l’Union africaine un certain nombre d’interrogations, autant que de défis, inhérentes au degré de raffermissement de cette entité politique continentale se posent. Au nombre de ces interrogations il y a la question du rôle international de l’Union africaine, cinquante ans après. Questionner celui-ci c’est disposer d’un indice sur la bonne articulation, ou non, de l’intégration au niveau endogène. Il ya donc un lien entre la solidité interne de l’Union africaine et la possibilité qu’une politique extérieure s’élabore et acquiert une identité sur la scène internationale. Le défaut de politique extérieure engage, dans ce cas, à une réflexion sur les stratégies à mette en place pour combler ce manque. C’est, entre autre, le défi auquel l’Union africaine est confronté au moment où elle aborde la deuxième partie de son centenaire, dans un monde de plus en plus complexe. Mots clés : Intégration africaine, Politique extérieure, Union africaine, relations internationales, dépendance international, communauté économique régionale, Etat, souveraineté, Independence, politique commune. Summary: When Africa commemorates the fiftieth anniversary of the African Union a number of questions, as well as challenges inherent to the degree of tightening the continental polity arise. Some of these questions there is the issue of international role of the African Union, fifty years later. Questioning the international role of the African Union is to have a clue about good articulation or not the integration endogenous levels. There is therefore a link between the internal strength of the African Union and the possibility that foreign policy is developed and becomes an identity on the international scene. The lack of foreign policy commitment, in this case, to reflect on the strategies put in place to fill the gap. This is, among other things, the challenge facing the African Union when it addresses the second part of its centenary, in a world of increasingly complex.

Keywords: Common African Integration, Foreign Policy, African Union, international relations, international dependency, regional economic community, states over eignty, Independence, political.

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INTRODUCTION En tant qu’Organisation inter-gouvernementale, l’Union africaine est un acteur international de fait. Ce statut soumet cette entité politique à une situation d’interrelation avec les autres acteurs qui bénéficient du même statut. L’occupation de l’espace politique sur la scène internationale confère à l’acteur une posture qui lui permet, au moins une présence, sinon une omnipotence dans les instances suprêmes de décision internationale. Le poids international de l’acteur est la conséquence d’une politique offensive qui tient non seulement compte, de la solidité structurelle de ce dernier, mais aussi surtout de l’ambition internationale traduite en termes de volité. Dans un monde de plus en plus complexe ou les relations de pouvoir conditionnent pour beaucoup la politique des acteurs internationaux, la défense des intérêts nationaux se situe aussi à l’international, bien au-delà du cadre national. Parallèlement, une absence au sein instances internationales de pouvoir prive l’acteur international d’un certain nombre d’outils à partir desquels une affirmation au sein de la société internationale reste possible. Dès lors, la nature du dialogue se caractérise par un déséquilibre au profit du plus puissant. L’Union africaine incarne et concentre les aspirations continentales. Au titre de ces aspirations, il y a la participation active du Continent à un ordre international dont les contours et le contenu sont aussi définis par l’Union africaine. A défaut de remplir cette promesse, les principes d’un rôle international doivent déjà se dévoiler. Alors que 2013 marque le 50ème anniversaire de la création de cette organisation politique, les interrogations essentielles doivent être tournées vers l’avenir pour explorer les pistes susceptibles de permettre à l’Union africaine de s’inscrire dans une évolution qualitative. Comment l’organisation politique panafricaine peut-elle entrevoir un rôle novateur qui échappe aux logiques de dépendance ou de convoitise ? Qu’en est-il de son rôle international cinquante (50) ans après ? Dans quelle mesure peut-elle jouer un rôle de plus en plus significatif au sein de la société internationale ? C’est autour de ce questionnement que notre réflexion va se faire ; car un demi-siècle après le rôle international de l’Union africaine soulève des interrogations sur sa solidité et sur sa lisibilité. Sur le plan méthodologique, cette réflexion va s’appuyer sur l’observation, une recherche documentaire et la recherche des variables explicatives quant à la place de l’entité politique africaine. I. L’UNION AFRICAINE : ENTRE FRAGILITE ENDOGENE ET DEPENDANCE

INTERNATIONALE L’Union africaine est une organisation politique supranationale qui recouvre des réalités complexes. En effet, un certain nombre de domaines essentiels constituent des ressorts pour une projection extérieure efficace et efficiente. Or, dans le cadre de l’Union africaine, il est intéressant d’examiner quelques facteurs pour mieux mesurer sa fragilité endogène.

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I.1- Sécurité et défense : un talon d’Achille De façon générale, l’Union africaine a beaucoup de difficultés à

assurer sa propre sécurité et sa propre défense. Dans bien des cas, la gestion de la sécurité du Continent africain parait lui échapper. Une forme de tutelle sécuritaire, qui prend des formes multiples semble, au regard des faits, s’exercer sur le Continent africain par des puissances extérieures en particulier. Pendant les cinquante (50) dernières années des exemples peuvent être soulevés. D’abord, la dépendance prend la forme d’une aide opérationnelle. L’ « opération léopard » à Kolwezi (Zaïre) en 1978 dévoile déjà l’impuissance du Continent africain à mener une opération militaire de façon autonome. En effet, en juin 1978, une force africaine composée du Gabon, du Sénégal, de la Côte d’ivoire, du Maroc, du Togo bénéficiera d’un soutien logistique pour mener une intervention sur le sol africain. Cette force africaine sera équipée par la France et transporté par les Etats-Unis à Lubumbashi pour faire face aux rebelles katangais qui avaient, entre autre, pris en otage des ressortissants occidentaux. Au milieu du mois de mai 1978, elles vont intervenir au Shaba. Cet épisode dévoile, déjà à cette époque, une faiblesse opérationnelle. Lorsque la menace est imminente, la réponse africaine n’est jamais à la hauteur de la menace. Le soutien extérieur conditionne le plus souvent le début de l’opération. Parallèlement à cette forme de dépendance, il y a les interventions étrangères sur le sol africain. Ces interventions ne tiennent pas toujours compte du point de vue de l’Union africaine. Le cas de l’intervention en Lybie illustre cette fragilité du Continent africain. Sur la base de la résolution 1973 de l’ONU autorisant le recours à la force contre la Lybie, une coalition d’acteurs internationaux38 est intervenu au-delà des prescriptions de la résolution 1973 et contre la position de l’Union africaine39. Cette résolution des Nations-Unies ne va conférer aucun rôle, même mineur, à l’Union africaine. L’organisation panafricaine va simplement constater son impuissance. La position de l’Union africaine, totalement ignoré par les puissances occidentales, permet de comprendre et d’apprécier la perception que les auteurs ont de l’organisation politique panafricaine. Elle n’a pas les moyens de défendre sa position au niveau des instances suprêmes de décision comme le Conseil de sécurité des Nations-Unies, même lorsqu’il s’agit de traiter ces propres affaires. On assiste à un phénomène significatif et emblématique de la condition politique de l’Union africaine sur la scène internationale : l’agenda politique l’Union africaine est parasité dans le meilleur des cas, sinon dicté par des acteurs plus importants.

38 Le samedi 19 mars 2011 la France, la grande –Bretagne, les Etats-Unis ont pris la tête d’une coalition qui bombarda la Lybie. L’organisation de l’alliance Atlantique s’est aussi mobilisée dans me cadre de cette intervention. Certains pays du golfe tels que le Qatar, les Emirats arabe unis s’étaient aussi mobilisé. 39 La position de l’Union africaine privilégiait la médiation entre le gouvernement légitime de Lybie et les rebelles.

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Cette situation est certainement le produit d’une gouvernance mondiale40 devenu de plus en plus inadapté, mais c’est surtout due à la faiblesse structurelle du Continent africain dans le domaine de la sécurité et de la défense. Cette faiblesse permet sa soumission à un agenda extérieur lorsque cela est nécessaire. Or, le monde tel qu’il évolue, contraint les acteurs à défendre leurs intérêts au-delà du cadre national, c’est-à-dire à l’international. La situation de l’Union africaine place cette dernière dans une logique de dépendance sur les questions de souveraineté à l’exemple des problématiques de sécurité et de défense. Cette dépendance est logistique, opérationnelle, financière, etc. Cette dépendance autorise une perméabilité qui alimente un certain déséquilibre interne. La persistance de cette fragilité ne permet pas au continent africain de s’intéresser au monde avec les mêmes logiques que les autres acteurs internationaux. Il s’agit donc d’un moment historique ou la faiblesse quasi-structurelle casse toute dynamique de projection extérieure. L’Afrique est donc contrainte à l’introversion plutôt qu’à l’extraversion. L’autre conséquence réside dans la perception que les autres acteurs ont de l’Union africaine. L’incapacité à influer sur l’évolution de l’environnement international renforce le caractère permissif des autres acteurs y compris en termes d’ingérence. I.2- la dette comme un outil d’alimentation de la dépendance Une rapide exégèse sur la dette africaine autorise à penser qu’elle n’a pas les mêmes implications au niveau de la souveraineté que les autres entités plus puissantes. D’abord, la dette africaine est le fait des Etats africains par le niveau d’endettement élevé de ces derniers. A ce sujet, la dette extérieure a été multipliée par 3,4 entre 1980 et 2000. Chaque année, l’Afrique subsaharienne paie en service de la dette quatre fois plus que l’addition des budgets de santé et d’éducation de toute la région. La dette africaine concerne très largement les gouvernements occidentaux et les institutions financières internationales aujourd’hui. Cette situation a pour conséquence la réduction de la marge de manœuvre des Etats africains en termes de possibilité de décaissement. Autrement dit, si les Etats qui soutiennent l’Union africaine sont handicapés, son désavantage est donc logique. La politique extérieure requiert pour sa mise en œuvre des moyens notamment financiers. Or, le niveau d’endettement du continent réduit la marge de manœuvre dans la capacité jour de jouer un rôle sur la scène internationale. La dette non-maitrisée détenue par l’Afrique vis-à-vis du reste du monde est un facteur qui nourrit la dépendance et fragilise, par la même, le continent. Parallèlement, la question des logiques budgétaires des Etats africains, des communautés économiques régionales et de l’Union africaine pose à nouveau le problème de la dépendance. Le budget de l’Union africaine est

40Le fonctionnement de l’Organisation des Nations-Unies est de plus en plus contesté. L’ONU n’incarne plus la diversité et la pluralité des acteurs au monde. la question de la réforme de cette Organisation inter-gouvernementales à vocation générale et mondiale se pose de plus en plus.

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financé, en partie, par l’Union européenne pour sa grande part et par des partenaires extracontinentaux. En 2013, sur 280 milliards de dollars US, les partenaires extérieurs ont contribué à hauteur de 130 milliards de dollars US pour le budget de l’Union africaine41. En mars 2011 Jean Ping42 déclarait que : plus de 77% de nos ressources proviennent de nos partenaires étrangers. Or la main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit. La constitution du budget dévoile une vulnérabilité qui, de fait, ne permet pas à l’Union africaine de proposer aux partenaires extracontinentaux une vision crédible. Il y a au moins une conséquence logique à la condition financière de l’Union africaine : le renforcement de la posture d’introversion. Cela procède aussi de la situation inconfortable des Communautés économiques régionales sur un plan budgétaire. En ce qui concerne la South africain developpement community (SADC), plus de la moitié des recettes budgétaires proviennent des partenaires extérieurs. Il en est de même pour plusieurs organisations sous-régionales africaines43. Au niveau des Etats africaines, la structure du budget obéit aux mêmes logiques de fragilité quant à leur élaboration. A partir du moment où ceux qui contribuent au financement du budget de l’Union africaine sont aussi des concurrents directs de cette dernière sur la scène internationale, la question de sa subordination est posée. Ceux qui financent finissent par créer des besoins qui rendent l’Union africaine dépendante. Les capacités de projection à l’extérieure, pour une entité comme l’Union africaine, sont donc réduites significativement. La politique étrangère reste aujourd’hui un domaine de souveraineté pour les acteurs étatiques notamment. Or, c’est l’indépendance qui est l’élément protecteur de la souveraineté. Si cette indépendance est fragile, l’entité politique se trouve dans l’incapacité de développer des politiques extérieures souveraines. I.3- Une politique extérieure inexistante dans l’acte constitutif de l’Union

africaine. Les textes fondamentaux qui régissent l’Union africaine, notamment son Acte constitutif de juillet 2000, ne font pas mention de la politique extérieure de l’Union africaine. Parmi les treize (13) objectifs44 mentionnés

41Africa 24 magazine, N°10 Mai - juillet 2013, p. 96. 42 Ex-président de la commission de l’Union africaine, il s’exprimait à Addis Abeba au Centre de conférence de la Commission économique des Nations-unies pour l’Afrique. 43Communauté économique des Etats d’Afrique centrale, Communauté Economique et monétaire d’Afrique centrale, Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, l’autorité intergouvernementale pour le développement, etc… 44Les objectifs de l’Union sont les suivants : (a) réaliser une plus grande unité et solidarité entre les pays africains, et entre les peuples d’Afrique ; (b) défendre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de ses Etats membres ; (c) accélérer l’intégration politique et socio-économique du continent; (d) promouvoir et défendre les positions africaines communes sur les questions d’intérêt pour le continent et ses peuples ; (e) favoriser la coopération internationale, en tenant dûment compte de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration universelle des droits de l’homme ; (f) promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent ; (g) promouvoir les principes et les institutions démocratiques, la participation populaire et la bonne gouvernance ; (h) promouvoir et protéger les droits de l’homme et des peuples

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dans l’article trois (3) de l’acte Constitutif de l’Union africaine, la politique extérieure n’y figure pas. En ce qui concerne les autres objectifs de l’Union africaine, ils sont tournés vers l’intérieur du continent. La conjoncture interne dicte l’agenda de l’Union africaine dans la définition des principes et objectifs cardinaux. Par ailleurs, dans la répartition des priorités au sein de la commission de l’Union africaine, aucune des commissions n’est dédiés aux affaires extérieures. Il n y a pas de commissaire chargé de conduire les affaires extérieures du continent africain. Il y a certainement un deuxième niveau de lecture pour expliquer cette situation. Une simple observation permet de noter que c’est le président de la Commission et le président en exercice de l’Union africaine qui se charge de représenter l’Union africaine au niveau des rencontres internationales. Ce système de représentation ne s’appuie en réalité sur aucun agenda propre et cohérent ou les objectifs extérieurs épousent en toute logique les objectifs internes. Il s’agit d’un système de représentation qui diffère donc de la conduite d’une véritable politique étrangère. Le cadre juridique et réglementaire est un indice important pour déceler les ambitions d’une entité socio-politique en ce qui concerne la politique extérieure. En l’espèce, celui qui n’a pas un agenda propre, subi l’agenda des autres acteurs. C’est cette politique extérieure qui permet de prendre toute sa place dans les instances de décision suprême du monde et de titrer avantage des politiques adoptés. Il y a un troisième niveau de lecture qui prend en compte la politique étrangère des différents Etats de l’Union africaine. Ces Etats ont le monopole de la politique étrangère au détriment de l’Union. Ce constat permet de noter la contradiction d’un tel comportement politique avec la logique d’un processus d’intégration. Comme le souligne Haas Ernst (1966) l’intégration est un processus par lequel des acteurs politiques de nationalité différente sont amenées à transférer leurs allégeances, attentes et activités politiques vers un centre nouveau dont les institutions ont, ou cherchent à avoir compétence sur les Etats nationaux préexistants. Or, on note des résistances de la part des Etats africains. L’Union africaine qui agit par délégation est donc fragilisée par la base à cause des résistances des Etats. La politique extérieure d’une entité politique comme l’Union africaine ne peut pas prospérer avec cette configuration aussi complexe que diffuse.

conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de l’homme ; (i) créer les conditions appropriées permettant au continent de jouer le rôle qui est le sien dans l’économie mondiale et dans les négociations internationales ; (j) promouvoir le développement durable aux plans économique, social et culturel, ainsi que l’intégration des économies africaines; (k) promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l’activité humaine en vue de relever le niveau de vie des peuples africains ; (l) coordonner et harmoniser les politiques entre les Communautés économiques régionales existantes et futures en vue de la réalisation graduelle des objectifs de l’Union; (m) accélérer le développement du continent par la promotion de la recherche dans tous les domaines, en particulier en science et en technologie ;(n) œuvrer de concert avec les partenaires internationaux pertinents en vue de l’éradication des maladies évitables et de la promotion de la santé sur le continent.

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L’absence de politique extérieure, qui s’explique par un certain nombre de facteurs avec des implications importantes, n’aide pas l’Union africaine à se positionner comme un acteur international actif. Ainsi, l’Afrique se prive d’un outil qui sert aussi à défendre ses intérêts sur la scène mondiale. II- L’UNION AFRICAINE : ENTRE IMAGE DEFAVORABLE ET CONTINENT

D’AVENIR Dans un monde de plus en plus ouvert et dans lequel les interactions et les interrelations de la société internationale sont de plus en plus complexe, la maitrise de l’agenda international permet d’être en situation de contrôle par rapport à son évolution au sein de l’environnement international. Or, l’Union africaine en plus des éléments structurels qui nourrissent sa dépendance internationale, se trouve dans une situation de convoitise de la part des autres acteurs internationaux. Pour aller plus loin, convient-il de se demander si la défaillance objective de l’Union africaine pose-t-elle des difficultés quant à sa capacité à gérer ses rapports internationaux ? Comment gère-t-elle la convoitise dont elle fait l’objet ? Comment les autres acteurs internationaux perçoivent l’Union africaine? Quelles sont les implications de cette perception ? Il serait intéressant de prendre la mesure de la place que l’Union africaine occupe sur la scène internationale. II.1- L’Afrique, un continent faible et menaçant ? Le continent africain que l’Union africaine incarne souffre d’une perception défavorable de la part des autres acteurs internationaux. L’aspect sécuritaire occupe une place importante au niveau des éléments de perception. Dans un chapitre intitulé « l’incertitude stratégique », le Livre blanc de la République française (2010) notait que Sur le continent africain subsistent de nombreux conflits et des situations de guérilla. Ils deviennent de plus en plus complexes, en raison de la multiplication des acteurs et des phénomènes d’extension de ces conflits au niveau régional [...]45. Ici, c’est la tendance à la multiplication et à la contagion territoriale de ces conflits qui est susceptible de freiner le retour de l’Afrique à la stabilité. Le continent africain est d’abord une menace pour lui-même. Les implications de cette perception sont multiples. De façon globale, cela se traduit par les différentes formes d’aide que le continent reçoit dans le cadre sécuritaire. Mais à côté de ce type de perception, il y a aussi la tentation de percevoir le Continent comme une menace pour l’Europe et pour le monde. À ce sujet le Livre blanc énonce que La sécurité en Afrique pâtira d’abord des conditions de vie liées à l’urbanisation croissante, à l’absence de structures sanitaires appropriées, à la raréfaction des ressources alimentaires locales. Le réchauffement climatique aggrave cette situation. La France et l’Europe doiventcontribuer à la lutte contre la dégradation de ces conditions, afin de juguler les mouvements migratoires poussés par la détresse économique et sociale. Dans le même temps, l’éradication des

45La Documentation française, (juin 2008), Défense et Sécurité nationale le Livre Blanc, Paris, Odile Jacob, p. 33.

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conditions permettant à des trafics de plus en plus importants de transiter vers l’Europe par ce continent est un objectif de premier plan, rendu plus sensible encore par la croissance spectaculaire des flux de stupéfiants en provenance d’Amérique latine46. La menace que constitue l’Afriques’étend jusqu’à la problématique du terrorisme avec l’activisme notoire de groupes armés islamistes de plus en plus disséminé dans l’espace africain. La présence de plus en plus active des forces de défense européennes47 s’explique par le fait qu’il considère le terrorisme qui se déploie en Afrique comme une menace48. Il y a donc ce double regard de faiblesse d’une part et de menace de l’autre que les acteurs internationaux portent sur le continent africain. Cela amène à une conclusion élémentaire : cette situation favorise les ingérences sur le Continent. Les rapports internationaux rendent possible l’exercice de la domination par la puissance. Il y a un autre regard que les puissances extérieures portent sur l’Afrique. Ce continent est un terrain de jeu géostratégique et géopolitique. La réalité des aires d’influence49 en Afrique avec un degré de pertinence qui évolue et la nouvelle répartition des espaces géostratégiques en fonction des doctrines réaménagés des grandes puissances, place l’Afrique dans une situation délicate. C’est ainsi que la France a vocation à contrôler et à réguler les évolutions dans certaines parties du continent africain. La longue crise que la Côte d’Ivoire a traversé depuis le début des années 2000, la crise au Mali en 2013, la crise en République centrafricaine en 2013-14 ont été gérées en premier lieu par la France si on en juge par les initiatives au niveau des résolutions prises par les Nations unies. Au-delà de ce constat, la France tisse des liens privilégiés avec les pays de l’espace francophone africain. Dans un environnement endogène incertain, les grandes puissances s’invitent comme des acteurs géopolitiques dont la vocation est de contrôler les ressources, les espaces politiques, etc… Nous voyons que la faiblesse structurelle dans bien des dimensions s’accompagne des regards qui autorisent les immixtions, les ingérences des grandes puissances dans les affaires intérieures du continent africain. L’Afrique est perçu tantôt comme faible, tantôt comme menace. Il faut noter que la perception qu’une entité a de la capacité de résilience d’une autre détermine pour beaucoup la nature de leur relation. De ce point de vue, les autres acteurs internationaux s’ingèrent beaucoup plus facilement parce qu’ils perçoivent l’Union africaine comme vulnérable.

46La Documentation française, (juin 2008), Défense et Sécurité nationale le Livre Blanc, Paris, Odile Jacob, p 44 47Au-delà de la France, les troupes européennes s’impliquent aussi dans le conflit du Mali et de la République centrafricaine avec l’Eufor-RCA 48« Les problèmes de l’Afrique ont des incidences directs sur nos intérêts : immigration clandestine, radicalisation religieuse en terrain musulman […] implantation des groupes fondamentalistes se réclamant d’Al-Qaïda » page 46 du livre blanc de la France. 49 Il est généralement admis que l’ensemble des pays francophone d’Afrique constitue une aire d’influence de la France, le pré-carré français.

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II.2- l’Union africaine, un continent d’avenir Dans cet environnement complexe et en dépit de l’image peu glorieuse du continent africain, il bénéficie, en termes de perspective, d’un regard favorable. La première indication vient du fait que le potentiel économique africain intéresse les autres acteurs internationaux. Ce potentiel économique concerne aussi bien les ressources naturelles que le marché africain en devenir. Ainsi, La France et l’Europe ne peuvent se désintéresser du continent qui leur est plus proche. L’Afrique, riche de nombreux atouts, dispose d’un potentiel humain et économique considérable. A long terme, ces capacités pourraient lui permettre de figurer parmi les acteurs de premier plan de la croissance économique et de la sécurité mondiale […]. L’abondance de matières premières stratégiques et de ressources énergétiques appelle une valorisation, d’abord au bénéfice des populations africaines elles-mêmes. Elles constituent une ressource essentielle pour l’Afrique. Par ailleurs, elles peuvent contribuer à favoriserles technologies européennes. Une stratégie européenne organisant un partenariat équilibré avec les pays concernés, pour un accès équitable à ces ressources, doit donc être mise en œuvre 50. Au-delà du regard que les autres acteurs internationaux portent sur l’Afrique, ils déploient une stratégie offensive avec pour seul but, l’accès aux ressources africaines. Parallèlement, les acteurs internationaux comme la Chine, l’Europe, les Etats-Unis se proposent de plus en plus d’établir et de raffermir des partenariats privilégiés avec l’Afrique. Les Accords de partenariat économique51 que l’Europe tente de signer avec l’Afrique rentrent dans ce cadre. Une forme de compétition économique semble s’établir entre l’Union européenne et la Chine au sujet de l’Afrique. C’est ainsi que le poids économique important de la Chine52 dans l’économie africaine pousse l’Europe à formuler des nouvelles formes de coopération pour ne pas perdre du terrain. Les Etats-Unis quant à eux, portent un intérêt au moins sur deux aspects : géopolitique et économique sur le continent africain. Quant au monde arabo-musulman, l’Afrique reste un continent ou la diffusion de l’islam reste un projet53 permanent.

50La Documentation française, (juin 2008), Défense et Sécurité nationale le Livre Blanc, Paris, Odile Jacob, p 44-45 51« Selon les engagements pris par l’union européenne et les pays ACP à l’OMC, le système actuel de « préférences de Cotonou » devra être remplacé par un accord de Libre-échange (ALE) entre les deux parties compatible avec les règles de l’OMC, au premier janvier 2008. Cet ALE appelé Accord de partenariat économique (APE) car il prétend aussi couvrir de nombreuses questions liées au commerce […]. Dans les négociations APE, la commission européenne a interprété cette règle comme signifiant que les pays ACP pourraient libéraliser environ 80% de leurs échanges avec l’UE, dans un délai de 12 à 15 ans, avec une prorogation possible pouvant aller jusqu’à 25 ans pour certains produits sensibles », in « de sel », N°39 juin-Août 2007, numéro spécial APE, la Revue de l’inter-réseaux 52 Les échanges bilatéraux on atteint 166,3 Mds $ en 2011, soit une augmentation de 83% par rapport à 2009, une année ou la Chine a supplanté les Etats-Unis, et une augmentation de 30% en rythme annuel. En 2012, les relations entre le continent et la Chine ont pesé 200 Mds $. 53 Les implications du Qatar dans le soutien des frères musulmans au Maghreb en général est une donnée géopolitique majeure. L’illustration de la dégradation des relations entre

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La perception que les autres acteurs internationaux ont de l’Afrique est complexe. Car, ce regard est teinté de multiples paradoxes. Le rôle de l’Union africaine sur la scène mondiale se confronte à ces multiples facteurs qui in fine rendent laborieuse l’affirmation du continent africain. On voit donc que les entités politiques qui environnent l’Afrique nourrissent des ambitions qui ne vont pas forcément dans le sens des intérêts continentaux. Un certain nombre d’éléments de fragilité interne au Continent, nourrit des perceptions paradoxales de la part des acteurs internationaux qui environnement l’Union africaine. D’abord, le Continent est perçu comme structurellement défaillant. Cette condition politique, économique, etc... autorise les autres acteurs à s’immiscer dans ses affaires internes. Car, cette forme de défaillance actée est une opportunité de se rendre utile et incontournable. Ensuite, le Continent est, aux yeux des autres acteurs internationaux, porteurs d’un avenir glorieux. Ce regard permet aussi une immixtion dans les affaires internes du Continent. On note que ce regard contrasté et paradoxal a, en termes d’implications, les mêmes conséquences.

Par ailleurs, la formulation d’une politique extérieure n’est pas fortuite. Elle découle d’une condition politique, économique, culturelle, etc…suffisamment cohérente et forte à l’intérieur de l’entité panafricaine. Or, l’absence d’une telle condition endogène occasionne un vide qui est comblé par des acteurs exogènes plus puissants. Ces intrusions peuvent avoir pour conséquences de nourrir la dépendance qui finit par s’installer. Car, l’Union africaine n’est plus en situation de contrôle par rapport à son évolution. Ces intrusions nourrissent aussi la dissipation et les dérégulations internes à l’Union africaine. La situation interne a légitimé les formes de présence extérieure dans le Continent. Si la formulation et la nature de l’aide restent systématiquement extérieures, la question de l’adéquation entre cette aide et les aspirations profondes du Continent reste posée. III. LES CONDITIONS D’ECLOSION D’UNE POLITIQUE EXTERIEURE DE

L’UNION AFRICAINE La mise en place d’une politique extérieure est laborieuse cinquante (50) ans après la création de l’Union africaine. Dans les conditions politiques actuelles, un certain nombre de préalable nécessite d’être posé afin d’envisager le début d’un rôle international pour l’Afrique. Il y a au moins deux façons d’envisager l’outil diplomatique pour l’Afrique. Premièrement, la diplomatie comme un moyen d’expression de l’indépendance par une affirmation progressive sur la scène internationale. Cela requiert donc un ensemble de posture, de pratiques, de règles en phase avec cette philosophie. Cela nécessite aussi la définition d’une stratégie précise dans le but de répondre à cet objectif d’indépendance, donc d’affirmation.

l’Egypte et la Qatar se traduit par le refus par l’Egypte d’accorder des vols supplémentaires à Qatar Airways ou alors la fermeture des bureau d’Al Jazeera au Caire.

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Deuxièmement, la diplomatie est considérée comme un facteur de puissance. Dans cette optique, cela revient à influer sur l’environnement international. L’Union africaine doit plutôt choisir de s’inscrire sur la voie de l’indépendance et de l’affirmation. Car, objectivement elle ne dispose pas des éléments de la puissance à l’instar des Etats-Unis. Cette deuxième conception de l’outil diplomatique apparaitrait, pour l’Afrique comme une deuxième étape. Que doit faire l’Afrique pour permettre l’éclosion d’une diplomatie au service de son indépendance et de son affirmation sur la scène mondiale ? III.1- Une politique extérieure articulée Les trois échelons que sont les Etats, les communautés économiques régionales et l’Union africaine constituent à priori une architecture complexe qui nécessite une articulation conçu pour servir la politique extérieure de l’Union africaine. Cet objectif, pour être atteint, doit être accompagné par une stratégie sectorielle, crédible et réaliste, devrait intégrer les intérêts des Etats et des communautés économiques régionales. Ensuite, elle devra faire correspondre ces intérêts et l’objectif d’indépendance et d’affirmation du Continent africain sur la scène internationale. La défense des intérêts immédiats de tout ou partie du Continent africain reste un axe fondamental de cette stratégie sectorielle inhérente à la diplomatie. Car, l’Union africaine reste vulnérable lorsqu’il s’agit de défendre ces intérêts communs. Par rapport aux Accords de partenariat économique et faute d’avoir un accord avec l’Union africaine, l’union européenne à cibler les Communautés économiques régionales et parfois les Etats. Au final, des Etats comme le Cameroun, le Ghana ont signé finalement des accords transitoires avec l’Union Européenne. Cela peut être interprété comme une stratégie permettant à l’ensemble du continent de se présenter comme un bloc homogène. Sur un plan diplomatique, face à la crise libyenne l’Union africaine disposait d’un plan de sortie de crise propre. Mais certains pays comme le Gabon se sont distingué en votant en faveur de la résolution qui imposait la zone d’exclusion aérienne. Des enseignements doivent donc être tirés pour permettre une cohérence interne lorsqu’il s’agit de défendre ces intérêts, donc de s’affirmer. L’Union africaine a toute les difficultés à assoir une politique cohérente au niveau endogène. Cela s’explique par un certain nombre d’éléments qui tient aussi bien à l’histoire qu’aux contingences propres à chaque pays. De façon paradoxale, c’est au niveau interne que l’Union africaine doit commencer à construire sa politique extérieure. III.2- Un système de représentation diplomatique A l’instar des autres acteurs internationaux comme l’Union européenne, l’organisation des Nations-Unies, etc… l’Union africaine doit développer un système de représentation diplomatique propre dans le monde. Il doit donc exercer son droit de légation active en installant un réseau diplomatique avec au moins quatre (4) objectifs fondamentaux. D’abord, il s’agit d’assurer une présence régulière au sein des entités politiques qui

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présentent un intérêt certain. Cette présence physique permet, au moins symboliquement, d’occuper un certain espace. Ensuite, il faut développer des programmes qui auront pour objectif de gérer l’image du continent africain. La philosophie de ces programmes devra certes refléter la diversité qui caractérise le Continent africain, mais un dénominateur commun devra, à chaque fois, être trouvé. Le principe de cet objectif reste de garder l’initiative par rapport à la gestion de l’image du continent africain. La gestion de l’image est vertueuse dans un environnement international mouvant. Par ailleurs, ces différentes représentations africaines à l’extérieur devront renseigner l’Union africaine sur les domaines d’opportunité qui s’offrent pour le Continent. Par ailleurs, la création d’un poste supplémentaire de commissaire aux affaires étrangères devient une nécessité. Cela va permettre à la Commission de l’Union africaine de dégager une perspective claire par rapport à la politique extérieure du Continent africain. Ce commissaire aura à charge de porter la politique étrangère que l’Afrique aura choisi. L’inexistence de ce poste de commissaire aux Affaires extérieures traduisait un manque d’ambition qui doit être comblé. La création d’un tel poste doit s’accompagner d’une réforme de l’Acte constitutif de l’Union africaine qui devra dorénavant intégrer les missions de cette dernière en ce qui concerne la politique extérieure. Cette réforme est nécessaire parce qu’elle va dénoter d’une ambition partagée par tous. Le choix du commissaire aux Affaires extérieures doit tenir compte des critères qui permettront à l’Union africaine d’être suffisamment visible. La réforme des Nations-Unies qui se prépare dans le cadre de la gouvernance mondiale54 doit interpeller les africains. Lorsque la question de la réforme de l’organisation des Nations-Unies aura atteint son point d’achèvement l’Union africaine aura installé une politique extérieure. Dans cette perspective, ce sera la continuation d’une stratégie débuté plusieurs années plutôt. Car celui qui ne défend pas ses intérêts sert les intérêts des autres. L’Afrique doit donc se préparer pour se saisir de la question de la gouvernance mondiale avec justesse. C’est l’expérience qui nait de la pratique qui confère un savoir-faire. III.3- Des moyens financiers consacrés à la politique extérieure La problématique des ressources financières propres et sécurisé, devra être pour l’Afrique une préoccupation majeure. La fiabilité et la crédibilité d’une politique extérieure sont fonction d’une indépendance financière notamment. Comment l’Union africaine peut-elle s’assurer le financement d’une politique extérieure afin de garantir l’indépendance de cette dernière ? De la réponse à cette question dépendra, en partie, la mise en place et l’organisation d’une politique extérieure africaine. Les ressources actuelles de l’Union africaine proviennent pour une bonne partie, de l’aide extérieure. Cette configuration budgétaire ne permettra que très difficilement l’indépendance de l’Afrique. Le budget apparait dès lors

54 Les Africains n’arrivent pas à se mettre d’accord sur une position commune par rapport à la perspective d’une réforme de l’Organisation des Nations –Unies.

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comme une fonction stratégique pour l’Union africaine en particulier et pour le continent en général. III.4- Les Etats africains et le rapport à la souveraineté. Les Etats africains doivent questionner leur souveraineté pour l’avenir. Si l’indépendance qui est l’aspect protecteur de la souveraineté est mise en mal dans bien de pays africains, cela veut dire que cette indépendance ne permet pas à ces pays de vivre leur souveraineté. Dans cet aspect particulier de la politique extérieure, un transfert progressif et encadré doit se faire au profit d’Addis Abeba. Aujourd’hui, après New York, Bruxelles et Genève, Addis Abeba est la quatrième capitale diplomatique mondiale. Près de 75% des dossiers traités au Conseil de sécurité de l’ONU à New York sont africains. Plus de 110 ambassades sont installés à Addis Abeba. Elle est aussi devenue une plateforme desservant tout le Continent africain. Ces indications traduisent l’importance grandissante de l’Union africaine. La présence de l’Union africaine à Addis Abeba a changé le dimensionnement de cette ville. Une discussion poussée sur le transfert de compétence en matière de politique extérieure des Etats africains vers l’Union africaine aura pour conséquences de faire d’Addis Abeba comme une véritable capitale diplomatique mondiale. La souveraineté des Etats africains ne s’accompagne pas d’une crédibilité suffisante. Des cessions de compétence au profit de l’intégration africaine et précisément dans le domaine des Affaires extérieures auraient le mérite de donner, au moins sur le plan du symbole, un signal fort. Le statut quo valide l’idée que les Etats africains ne nourrissent pas les mêmes rêves d’intégration africaine. De plus, ce statut quo consacre l’émiettement symbolique du Continent africain. CONCLUSION Il ressort à l’issue de cette réflexion que l’Union africaine subit l’agenda international formulé et impulsé par les organisations inter-gouvernementales, les grandes puissances mondiales. Il s’agit donc d’une posture à partir de laquelle une (1) observation peut être faite : les principes et les objectifs de l’Union africaine sont tournés vers l’intérieur du Continent africain. La conséquence immédiate et quasi-mécanique de cette situation, c’est que l’entité politique continentale est absente des espaces politiques internationaux dans lesquels se prennent les grandes décisions. Cette posture introvertie de l’Union africaine est certes le résultat de la fragilité endogène, mais elle résulte aussi d’un manque de volonté politique collective qui se traduit notamment par une absence de cadre juridique au sujet de la politique extérieure dans les textes qui régissent le fonctionnement de l’Union africaine. Il en résulte une multitude de points de vue portés par les différents Etats africains. Mais les

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« petites souverainetés africaines » n’influent pas sur l’environnement politique international pour plusieurs raisons55 objectives. Le domaine spécifique de la politique extérieure doit bénéficier d’un intérêt particulier en termes de réflexion et en faveur d’une politique commune africaine porté par l’Union africaine. Cela veut dire que le principe doit déjà être acquis avant qu’une stratégie ne soit adoptée. Cette démarche devra poursuivre deux objectifs majeurs : un objectif symbolique et un objectif politique. Il s’agit pour le premier d’émettre un message fort à visée interne et externe en faveur de l’intégration. Pour le deuxième objectif, il s’agira de la matérialisation d’une prise de conscience dans le cadre de la défense des intérêts africains. BIBLIOGRAPHIE : African union Commission, (2009), l’état de l’intégration en Afrique. Auphan Paul, Histoire de la décolonisation, Paris, France-empire, 1967. Azikiwe Nnamdi, The future of pan-africanism, London, High commissioner, 1961. Baccouche Hacheni, Décolonisation, grandeurs et servitudes de l’anticolonialisme, Paris, Nouvelles editions latine, 1962. 442 Bangoura Dominique, l’Union africaine face aux enjeux de paix, Paris, l’Harmattan, 2003, 253.P. Charnay J-P, L’islam et guerre, Paris, fayard, 1986 Commission de l’Union africaine, (2007) rationalisation des communautés économiques régionales : révision du traité d’Abuja et Adoption d’un programme minimum d’intégration. Congo, a case study of the formative stages of Nigeria’s foreign policy, University D’aimeda-Topor Hélène, Naissance des Etats africains, XXème siècle, Italie, Casterman-Guinti, 1996. Dario Battistella, théories des relations internationales, Paris, presses de science po, 2012, 425 pages David Charles-Philippe (Dir), les institutions de la paix ? Intégration européenne etperspective de sécurité, Boucheville Québec, l’Harmattan, 1997. Europe and Africa, New York, Ed Africana Publishing Co, 1974. Douglas, A.Y., 1998, « Central Africa: Oil and Franco-American rivalry », Afrique Politique GeissImaneul, the Pan-african movement, a history of Pan-africainism in America, Ghassan Salamé, Quant l’Afrique refait le monde, Paris, Fayard, 2005. Gueye Lamine, Itinéraire africain, Paris, Présence africain, 1966.

55Les pays africains sont économiquement, technologiquement, scientifiquement, etc…dépendants des pays occidentaux par exemple. Même l’initiative de résolutions examinées au conseil de sécurité qui concernent l’Afrique sont portés par les pays les plus puissants.

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Géographie

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SANKOFA N° 6, juin 2014, pp. 94-107 ISSN : 2226-5503

LA VULNÉRABILITÉ DU SYSTÈME D’ASSAINISSEMENT AUTONOME ET VULNÉRABILITÉ ENVIRONNEMENTALE À

ATTÉCOUBÉ

KOUASSI Konan Université Alassane Ouattara (Bouaké)

RÉSUMÉ : Cet article analyse les facteurs de la défaillance du système d’assainissement autonome et les effets spatiaux subséquents à Attécoubé. Avec l’augmentation rapide de la population urbaine et son corollaire de production vertigineuse des eaux usées, il s’observe une défaillance du système d’assainissement autonome. Cette défaillance est lisible à travers la précarité des infrastructures de collectes des eaux usées et la prolifération des eaux usées stagnantes. La défaillance du système d’assainissement autonome imputable aux contraintes spatiales, économiques et démographiques traduit l’échec de l’initiative populaire en matière de gestion des eaux usées dans la commune d’Attécoubé. La prolifération des eaux usées stagnantes et la circulation anarchique des eaux usées constituent des facteurs la dégradation de l’espace vécu. Mots clés : Attécoubé, défaillance, précarité, système d’assainissement autonome, vulnérabilité environnemental, eaux usées ABSTRACT: This paper analyzes the factors of failure of on-site sanitation and subsequent spatial effects Attécoubé system. With the rapid increase in urban population and its corollary of dramatic production wastewater, it has been a failure of on-site sanitation. This failure can be read through the poor infrastructure of wastewater collection and proliferation of stagnant sewage. The failure of the private sewerage system due to spatial, economic and demographic constraints due to a failure of the popular initiative for wastewater management in the municipality of Attécoubé. The proliferation of stagnant sewage and uncontrolled flow of sewage are factors degradation lived space. Keywords: Attécoubé, failure, insecurity, self-cleaning system, spatial vulnerability, wastewater

INTRODUCTION

En général, dans les pays en développement, le niveau d’assainissement reste faible (Le Jalle et Al, 2004 ; KOADAN, 2006). La carence du système d’assainissement collectif est imputable aux contraintes financières. En raison des contraintes financières (Dufour et Colcanap, 1981) que subissent les états africains, la dynamique spatiale des

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territoires urbains n’a pas été accompagnée par l’extension des réseaux d’assainissement collectif. Avec,la dynamique démographique, spatiale, économique de la ville d’Abidjan,le rythme de production quotidienne des eaux usées s’est accru. Pour éliminer ces effluents liquides,le schéma d’assainissement de la ville d’Abidjan a préconisé le système d’assainissement collectif. Depuis 1974, le schéma d’assainissement d’Abidjan qui visait le raccordement de la totalité des espaces habités à un réseau collectif de transport des eaux usées (Colcanap et Dufour, 1981) a permis de construire trois collecteurs de bases. Face à l’extension spatiale démesurée de la ville, le système d’assainissement collectif s’est avéré incapable de satisfaire les attentes des populations. Le taux de raccordement au réseau d’assainissement collectif reste marginal. Environ 65% des ménages d’Abidjan n’ont pas accès aux réseaux collectifs d’assainissement (Institut National de la Statistique, 1999 ; 2003). Pour pallier ce déficit, il a été envisagé une juxtaposition des systèmes d’assainissements collectifs et autonomes. A l’échelle de la commune d’Attécoubé, du fait de la carence d’infrastructure d’assainissement collectif, la majorité (environs 90%) des ménages ont opté pour les ouvrages d’assainissement autonome. Cependant, cette solution alternative reste vulnérable. Le sujet soumis à notre étude, nous permet d’aborder le problème de vulnérabilité du système d’assainissement autonome à l’échelle de la commune d’Attécoubé. Quelles sont les caractéristiques physiques des infrastructures d’assainissement autonome à Attécoubé ? Quelles sont les facteurs explicatifs de la précarité des infrastructures d’assainissement autonomes à Attécoubé ? Quelles sont les répercussions spatiales induites par le dysfonctionnement des infrastructures d’assainissement autonome à Attécoubé ? Après une analyse de l’état des infrastructures d’assainissement autonome à Attécoubé, ce travail se propose d’examiner les facteurs explicatifs de la précarité des ouvrages d’assainissement autonome à Attécoubé. Pour terminer, cette étude se propose d’évaluer les effets environnementaux de la vulnérabilité des ouvrages d’assainissement autonome à Attécoubé.

Méthode et Outils

La vulnérabilité est appréhendée comme l’incapacité d’un système à résister à un choc (GIEC, 1997). Ainsi, la vulnérabilité du système d’assainissement est l’incapacité des infrastructures à résister aux forces érosives et la pression démographique. Cette vulnérabilité des infrastructures d’assainissement a contribué à l’agression de l’environnement physique à travers la prolifération des eaux usées. La modification des conditions d’hygiène et la dégradation des sols sous l’effet des eaux usées illustrent la vulnérabilité environnementale liée à la défaillance dusystème d’assainissement autonome.Le système d’assainissement autonome est l’ensemble des dispositifs matériels mis en place à par les populations en vue de collecter les eaux usées domestiques. A la différence du système d’assainissement collectif qui fonctionne selon un réseau, le système d’assainissement autonome est fondé sur

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l’exploitation des points de collecte (fosse septique, latrine à fosse simple) des eaux usées. Le modèle ci après présente les facteurs de la vulnérabilité environnementale du système d’assainissement autonome

Figure 1 : Les facteurs moteurs de la défaillance du système

d’assainissement autonome et de la vulnérabilité environnementale

Source : KOUASSI Konan, 2012 La défaillance du système d’assainissement autonome est la résultante de l’interaction d’une combinaison de facteur spatial, démographique et économique. Ce travail s’appuie sur des enquêtes de terrain menées entre Janvier 2012 et Juillet 2012 auprès de 300 ménages issus de 15 quartiers (20 ménages dans chaque quartier) sur 29 que compte la commune d’Attécoubé. Le choix des quartiers a été défini en fonction des formes d’occupation spécifique de l’espace. Ce faisant, nous avons défini deux critères discriminants : le type d’habitat et le niveau de peuplement de ces fragments urbains. Le tableau ci-après indique les caractéristiques des quartiers investigués.

Contrainte physique (Surface disponible, pente, perméabilité des sols, profondeur de la nappe phréatique)

Endommagement des fosses septiques et des latrines

Vulnérabilité des sols et Dégradation voies des voies routières

Niveau de vidange des fosses de collecte des eaux usées

Niveau de précarité des fosses de collectes des eaux usées

Forme d’occupation de l’espace

Prolifération des eaux usées stagnantes Circulation anarchique des eaux usées

Contrainte économique

Pression démographique

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Tableau 1: Caractéristique des quartiers investigués

Quartiers Type d’habitat Niveau de peuplement

Abobodoumé Habitat précaire et concession

Moyennement peuplé

Agban-village Concession Fortement peuplé

Agban-Attié Habitat précaire et concession

Moyennement peuplé

Attécoubé III Habitat précaire et concession

Moyennement peuplé

Cité Fermont Habitat économique Très fortement peuplé

Bidjan-té (Ebrié) Habitat précaire et concession

Très fortement peuplé

Djéne-Ecaré Habitat précaire et concession

Moyennement peuplé

Douagoville Habitat précaire, concession, habitat économique

Moyennement peuplé

Espoir Habitat précaire Très fortement peuplé

Gbèbouto Habitat précaire Très fortement peuplé

Jerusalem I Concession Fortement peuplé

Lackman Habitat précaire Moyennement peuplé

Locodjoro Habitat précaire, concession, habitat économique

Moyennement peuplé

Santé III (Mossikro)

Habitat précaire et concession

Très fortement peuplé

Sébroko Habitat précaire Très fortement peuplé

Source : RGPH, 1998 ; Enquête personnelle, 2012 Dans le cadre de cette étude, nous avons alterné la démarche qualitative (recueil et analyse des discours des enquêtés, entretien) et la démarche quantitative (collecte et traitement des données quantitative). Pour le traitement statistique des données, nous avons utilisé le logiciel Small Strata.8. L’expression spatiale des faits observés et des données recueillies à l’échelle des quartiers investigués à travers l’élaboration des cartes a été possible à travers l’usage des logiecielsArcview GIS 3.3 et Adobe Illustrator CS11.0.0 RÉSULTATS ET DISCUSSIONS 1- LES CARACTÉRISTIQUES PHYSIQUESDES INFRASTRUCTURES

D’ASSAINISSEMENT AUTONOME À ATTÉCOUBÉ A Attécoubé, il existe deux types d’infrastructure d’assainissement

autonome. Ce sont : les latrines à fosses simples et les fosses septiques.

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1.1- Les latrines à fosses simples sont des installations précaires La plupart (76%) des latrines à fosses simples sont dans un état

défectueux par faute d’entretien. Les ménages utilisant ces latrines sont inégalement répartis à l’échelle de la commune d’Attécoubé.

Figure 2 : Répartition des ménages selon l’état des latrines

La majorité (76%) des ménages utilisent des latrines précaires. Cependant, cette vue générale occulte des nuances entre les quartiers. Dans les quartiers à urbanisation irrégulière tels que Sébroko (95%), Gbêbouto (93%), Mossikro (93%), Djéné-Ecaré (80%), Douagoville (80%), Lackman (78%), plus de trois quarts (¾) des ménages disposent des installations sommaires au niveau desquelles foisonnent les mouches et les cafards. Tandis que dans les quartiers Agban-Village (59%), Agban-Attié (60%), Cité Fermont (64%), Abobodoumé (65%) moins de trois quarts ( ¾ ) des ménages utilisent des latrines précaires. Cette précarité est lisible à travers les formes de constructions des abris, la prédominance des matériaux de récupération dans la construction des

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cabanes56. Ces latrines à fosses simples ont été construites au détriment des règles de l’art. 1.2- Des fosses septiques fissurées et endommagées Nos investigations révèlent que la proportion de ménage raccordée à une fosse septique57 reste faible. Celle-ci représente environ 19% des ménages investigués. Près de 75% des fosses septiques sont dans un état de délabrement avancé. La présence des fissures et l’effondrement des dalles expriment la défectuosité des installations de rétention des effluents liquides. Ainsi, la présence des fissures au niveau des fosses érodées constitue l’un des marqueurs spatiaux de dégradation de cette infrastructure de collecte des eaux usées. Cette fissuration a accentuée l’étanchéité des fosses. La défectuosité des regards mal construits, facilite l’écoulement des eaux usées à l’échelle des fragments urbains. Il ressorts de nos observation que la majorité (59%) des fosses localisées sur les sites à risques est endommagée. C’est le cas de celles qui sont implantées sur les versants des vallées. La fissuration des fosses septiques résulte par moment d’une rupture d’équilibre induite par dynamique des forces érosives des eaux de ruissellement. Le niveau de résistance des fosses septiques aux forces érosives des eaux de ruissellement est étroitement assujetti à la qualité de ces installations de rétention des effluents. Du fait de leur vétusté58, ces réceptacles d’eaux usées restent vulnérables aux effets érosifs des eaux de ruissellement. Les forces érosives des eaux de ruissellement accélèrent l’effondrement des fosses septiques. Ce phénomène d’effondrement des fosses septiques est très récurent sur les versants des vallées à pente forte. 2- LES FACTEURS EXPLICATIFS DE LA VULNÉRABILITÉ DES

INFRASTRUCTURES D’ASSAINISSEMENT AUTONOME À ATTÉCOUBÉ

2.1- Les contraintes physiques : des facteurs accélérateurs de la vulnérabilité des fosses septiques et des latrines à fosse simple

La commune d’Attécoubé présente une configuration spatiale particulière. La Lagune Ebrié divise cette commune en deux rives : la rive gauche et la rive droite. Cette commune présente une morphologie discontinue (figure 3).

56 Les cabanes qui entourent les fosses (couvertes de dalles perforées) sont construites à l’aide des matériaux de récupération (morceaux de tôle, planche de rebut, les couvertures plastiques). 57La fosse septique est un dispositif destiné à recevoir les eaux vannes et les eaux ménagères. Celles-ci sont reçues dans ce dispositif par l’intermédiaire d’un tuyau PCV. Elle est une installation de rétention des effluents liquides et solides. Dès lors, sa construction vise à assurer l’immobilité des effluents liquides et la sédimentation des matières solides. 58 En moyenne, l’âge médian des installations est d’environ 25 ans.

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Figure 3 : Topographie de la commune d’Attécoubé

La commune d’Attécoubé s’étale sur une succession de plaine et de plateau. Dans la partie méridionale de la rive droite, l’espacement des courbes de niveau traduit l’existence d’une plaine. Cette planéité du relief est observée dans les quartiers tels que Locodjoro, Lackaman, Jérusalem et Abobodoumé. Le site plat des plaines lagunaires a conféré à cette partie de la commune d’Attécoubé une structure régulière. Cependant, le relief est disséqué au niveau de la rive gauche. L’organisation des courbes de niveau montre que le site de la rive gauche est entrecoupé de vallée à pente forte.On retrouve ces vallées dans les quartiers tels que Gbêbouto, La Paix, Espoir et Agban Village.

Les fosses de collectes des eaux implantées sur des versants à pente forte, sont souvent endommagées du fait des forces érosives des eaux de ruissellement. En effet, les forces érosives des eaux de ruissellement favorisent la vulnérabilité des couches de sols qui stabilisent surtout l’équilibre des fosses septiques. A la différence de la rive droite, le plateau de la rive gauche est fortement accidenté. La majorité (63%%) des fosses de collecte des eaux usées situées au niveau des dépressions sont souvent inondées par eaux pluviales pendant la période hivernale. Ces risques naturels accentuent davantage la vulnérabilité voire la destruction des latrines à fosses simples et des fosses septiques à l’échelle des quartiers tels que Boribana et Lackman.

Source : CNTIG, 2007

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L’occupation anarchique de ce site contraignant est une entrave à la gestion adéquate de la salubrité (Béchi, 2009). Le désordre spatial induit par l’occupation anarchique des sites inconstructibles constitue une contrainte à l’installation des points de collecte des eaux usées. Par ailleurs, compte tenu de la vulnérabilité des sols,l’éboulement des parois des fosses accélère l’endommagement des latrines. La majorité des latrines implantées sur les sols sableux fluvio-lagunaires sont endommagés au cours des saisons pluvieuses (Mai – Juin ; Mi-Août – Septembre). A cause de leur faible profondeur (moins de 5 mètres de profondeurs sur un diamètre d’environ 1 mètre), les fosses de collecte des excrétas sont régulièrement inondées. L’effet conjugué de l’infiltration des eaux de ruissellement et la montée des eaux souterraines (en raison de la faible profondeur de la nappe phréatique) est un facteur accélérateur de la saturation voire de la destruction des latrines. Ces cas ont été observés à l’échelle des quartiers Boribana et Lackman. Dans ces deux quartiers riverains de la Lagune Ebrié, les fosses des latrines sont régulièrement endommagées en raison de l’affleurement de la nappe phréatique. La nappe phréatique remonte dans les fosses à travers les parois non étanches. Face à ces difficultés d’aménagement des latrines à fosses simples, certains ménages (14%) utilisent des toilettes construits sur pilotis. Par contre, dans les quartiers Agban et Cité Fairmont, la profondeur des nappes phréatiques facilite le forage des puits ainsi que l’aménagement des fosses septiques. Dans ces quartiers, les crêtes constituent des sites topographiques favorables à l’installation des latrines à fosses simples. Sur ces sites topographiques, les fosses sont très profondes. En moyenne, celles-ci avoisinent 8 mètres. 2.2- Les contraintes économiques A l’échelle de la commune d’Attécoubé, environ 38% des ménages utilisent des latrines à fosses simples. Cependant, la majorité des ménages (68%) utilisant ce types d’infrastructure de collecte des excrétas vivent dans les quartiers à urbanisation irrégulière. La prédominance des latrines à fosses simples est surtout imputable aux contraintes économiques. Du point de vue économique, le coût de réalisation des latines à fossessimples reste accessible aux ménages. A la différence des fosses septiques (150 000 FCFA), le coût de réalisation des latrines à fosses simples reste faible. Leur coût médian de réalisation est d’environ 50 000 F.CFA.

Estimée à environ 150 000 FCA, le coût de réalisations de la fosse septique paraît excessif pour les ménages à faible revenu mensuel59. Ces ménages affectent prioritairement ces revenus aux besoins nutritionnels. Ce faisant, l’affectation d’une partie des revenus à l’amélioration des commodités reste le cadet de leur souci. L’installation des infrastructures d’assainissement constitue le cadet des préoccupations de la majorité des promoteurs de l’habitat à Attécoubé. Ce faisant, la construction des fosses

59Le revenu mensuel de ces ménages est supérieur ou égal à 50 000 FCFA. En moyenne, la majorité des ménages (76%) investigués estiment leur mensuel à environ 50 000 FCA. Ce montant représente environ le tiers du coût de réalisation d’une fosse septiques.

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septiques et des latrines est toujours différée. Dès lors, dans la majorité des cas, celles-ci sont réalisées après l’occupation des maisons.En raison de ces contraintes, les fosses septiques sont construites au détriment des règles de l’art. En générale, l’installation des infrastructures de collectes des eaux usées domestiques n’obéit à aucune norme. Compte tenu des défauts de construction, ces fosses de rétention des eaux usées sont endommagées sous l’effet de la force érosive des eaux de ruissellement. En absence de fosses septiques, la baie du Banco constitue l’exutoire des eaux usées domestiques. Les ménages riverains de la baie du Banco plutôt que de construire des fosses septiques évacuent directement les eaux usées dans la lagune. Ils font une connexion entre les latrines et la lagune par le biais d’un tuyau PVC. 2.3- Pression démographique et vulnérabilité des fosses de rétention des

eaux usées La population d’Attécoubé connaît un rythme de croissance

vertigineux. Estimé à 9,65% entre 1978 et 1988, le taux de la croissance moyen annuel a connu une régression de 1988 à 1998 (5,5% par an). Les rythmes accélérés des taux de la croissance moyens annuel de la population se traduisent par un véritable dynamisme démographique. Estimée à environ 65 089 habitants en 1978, la population d’Attécoubé a atteint 279 768 habitants en 1998. Celle-ci a été estimée à environ 350 000 habitants en 2005. Le processus d’urbanisation enclenché par l’érection d’Attécoubé en commune en 1980 a été un facteur inducteur de ce dynamisme démographique. Au-delà de ce facteur, cette dynamique démographique peut être imputable, à la localisation de cette commune à proximité de la commune du Plateau (centre administratif) et d’Adjamé (centre commercial). La localisation de cette commune a été un facteur discriminant dans le choix des lieux de résidence des populations en quête de logement à proximité des lieux de travail. Dès lors, de par sa fonction dortoir qu’elle incarne, la commune d’Attécoubé constitue un foyer de peuplement des travailleurs du Plateau et des commerçants d’Adjamé. Le flux massif des populations dans ce foyer de peuplement a inéluctablement induit une dynamique spatio-temporelle de densification humaine. Ainsi, à Attécoubé, la densité de peuplement est passée de 28 hab/ha en 1978 à 151 hab/ha en 2005. En 1998, la densité de peuplement était estimée à environ 121 hab/ha. Cette concentration humaine est inégalement répartie. A la différence de la rive droite dont les quartiers abritent moins de 600 hab/ha, la rive gauche est le support spatial de peuplement d’une forte concentration humaine. Sur cette rive, les densités de peuplement oscillent entre 200 à 1000 habitants. Cette forte concentration humaine, s’explique par le fait que les populations qui logent sur cette rive bénéficient de la contiguïté spatiale de la commune d’Adjamé et du Plateau. Les quartiers Saint Joseph, La paix, Gbêbouto, se caractérisent par une forte densification du bâti et de peuplement. Cette densification humaine a favorisé l’exiguïté des espaces disponibles par habitants.

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Dans les quartiers d’habitat évolutif et précaire, en raison des difficultés d’acquisition d’espace libre, l’implantation des infrastructures de collectes des eaux usées domestiques reste un véritable goulot d’étranglement. Ces quartiers regroupent de forte concentration humaine qui produit quotidiennement des fortes quantités d’eaux usées. Le rythme de production des eaux usées est corrélé à la dynamique démographique à l’échelle des ménages et des fragments urbains. L’accélération du rythme de production des eaux usées induite par la forte pression démographique favorise la saturation régulière des fosses de rétention des effluents. Malgré quelque contraste à l’échelle des fragments urbains, la fréquence de remplissage des latrines à fosse simple est 2 fois par an. Tandis que celle des fosses septique à 1 fois l’an. La saturation régulière de ces nœuds de collecte des effluents révèle l’incapacité des fosses à contenir les eaux usées face à la pression démographique. La forte pression démographique sur les ouvrages d’assainissement autonome est liée à l’inadéquation entre l’évolution des tailles des ménages et le rythme de construction de ces points de collecte des effluents. En moyenne, construit pour 5 habitants en 1980, les infrastructures de collectes subissent trois décennies plus tard la pression d’une forte concentration humaine à l’échelle des ménages. A l’échelle de la commune d’Attécoubé, le ratio d’utilisation très élevédes ouvrages de collectes des effluents accentue la fréquence de saturation des fosses. En moyenne, ce ratio est d’environ 47 habitants par fosses septiques et 54 habitants par latrines. Le problème de disponibilité d’espace libre induit par l’exiguïté des espaces vécus, ne favorise pas la construction itinérante des ouvrages de collectes des eaux usées. Spatialement, les ratios d’utilisation des fosses septiques varient selon les types d’habitats. Dans les quartiers d’habitats économiques, ces ratios restent marginaux. Tandis que dans les quartiers d’habitat évolutif et d’habitat précaire, ce ratio reste très élevé. 3- LES EFFETSENVIRONNEMENTAUX DE LA VULNÉRABILITÉDU SYSTÈME

D’ASSAINISSEMENT AUTONOME À ATTÉCOUBÉ 3.1- L’insalubrité induite par la prolifération des eaux usées stagnantes et

la circulation anarchique des eaux usées stagnante La circulation anarchique et la stagnation des eaux usées

domestiques constituent dessignifiantsspatiaux du dysfonctionnement du système d’assainissement autonome. La présence des eaux usées domestiques à l’échelle des espaces publics constitue un support matériel qui traduit les difficultés d’intégration du système d’assainissement autonome dans le tissu urbain d’Attécoubé. Les pratiques endogènes de perforation des fosses de rétention des effluents liquides représentent des facteurs inducteurs de prolifération des points de stagnation des eaux usées (voir figure 4) à l’échelle des espaces publics.

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Figure 4: Distribution des points de stagnation et des itinéraires de circulation anarchique des eaux usées à Attécoubé

L’ampleur de l’ancrage spatial des eaux usées diffère selon les fragments urbains. A la différence de la rive droite, la rive gauche est fortement parsemée d’eau stagnante. Il ressort de la carte précédente que les quartiers Jerusalem 2, Abobo-Doumé village, La paix et Bidjanté, Santé III (Mossikro), AgbanAttié, Attécoubé III, Sébroko (Boribana), sont davantage parsemés de points de stagnation des eaux usées. Dans certains quartiers, la majorité des ménages investigué (57% à Jérusalem2, 51% à Abobodoumé Village, 55% à La paix, 68% à Mossikro) déversent les eaux usées ménagères sur les voies de communication et les terrains vagues. Par contre, dans les quartiers tels que Lackman (53%), Sébroko (51%) et Gbêbouto (50%) environ la moitié des ménages investigué connectent les tuyaux des douches entre les espaces mitoyens des concessions pour évacuer les eaux usées domestiques. Aussi, convient-il de noter que pour décongestionner partiellement les fosses septiques en état de saturation, celles-ci sont perforées par les usagers. Ainsi, 65% des fosses septiques ont été volontairement percées par les ménages. Ces pratiques endogènes de gestion défectueuses des effluents se justifient en partie par les difficultés d’entretien des fosses de collectes des eaux usées. Ces difficultés sont assujetties aux contraintes spatio-économiques. Les contraintes économiques et spatiales respectivement induites par la faiblesse des revenus et l’enclavement des espaces de production des eaux usées entravent la vidange régulière des fosses. Dès lors, au niveau des espaces

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mitoyens des concessions il s’observe un écoulement quotidien et une stagnation pérenne des eaux usées. Dans certains cas, l’écoulement des eaux est rendu difficile par les déchets ménagers. Les eaux usées mêlées aux ordures ménagères génèrent des odeurs pestilentielles. Confronté aux problèmes d’écoulement des eaux usées et de ruissellement non canalisé, Attécoubé subit des dégradations spectaculaires de son tissu. 3.2- La dégradation des voies routières par les eaux usées

La fonction principale du réseau routier est d’assurer les liaisons intra et interurbaines. Les voies servant de liaison intra-urbaine sont dégradées du fait de l’inexistence de réseau d’évacuation des eaux usées. La prolifération et circulation anarchique des eaux usées constitue le véritable ennemi des voies routières à l’échelle des fragments urbains d’Attécoubé. En raison de l’inexistence de réseau d’évacuation des eaux usées, les rues tortueuses et sinueuses qui desservent les quartiers à urbanisation irrégulière constituent les supports de circulation et de stagnation des effluents domestiques. Ce faisant, les rues restent impraticables en raison de la prolifération « des nids de poules » et de la forte présence des boues. La variation saisonnière de l’effet dégradant des eaux de ruissellement sur les voies non asphaltées est significative. La détérioration des voies routières sont plus accentués au cours de la saison pluvieuse. Au cours de cette saison, la fragilité voire la vulnérabilité des revêtements et des sols des voies routières est plus accentuées. Ces voies routières sont régulièrement submergées par les eaux usées et les eaux pluviales. Pendant cette période, il s’observe une augmentation de la fréquence de saturation des fosses dans la mesure où ces infrastructures de collectes des eaux reçoivent également les eaux de pluies. La forte densité des trafics automobiles a accentué la dégradation de voies routières parsemées de points de stagnations d’eaux usées. Sous l’effet de la lourde pesanteur des automobiles qui empruntent quotidiennement ces liaisons routières, il s’observe un élargissement et un approfondissement des points de stagnation des eaux usées. La circulation quasi-permanente des eaux usées sur les sols dénudés favorise progressivement le ravinement des versants. Ainsi, l’effet conjugué de l’ablation des sols et de l’infiltration en profondeur des eaux usées un facteur accélérateur de la détérioration des routes.La circulation anarchique des eaux usées sur les voies de communication est récurrente à l’échelle de la commune d’Attécoubé. En l’absence d’infrastructure de collectes des eaux usées, les déchets liquides sont déversés sur les voies routières. À Attécoubé plus de 65% des voies sont inaccessibles aux véhicules. Cela entrave la rapidité des mobilités quotidiennes. Ce faisant, les populations, à travers la marche, parcourent des longues distances pour accéder au lieu de travail. Comme on le voit, la circulation anarchique des eaux usées domestiques soumet les quartiers à des vulnérabilités d’ordre physique.

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CONCLUSION

Le système d’assainissement autonome constitue la principale solution de collectes des effluents à Attécoubé. A l’image des études menées par FRANCEYS R., PICKFORD J. et REED R. (1995) dans les pays en développement, WETHE, RADOUX et TANAWA (2003) à Yaoudé,(SY (2006) à Rufisque, CREPA-CI et Al (2002) à Bouaké, ZERBO (2011)dans les province du Kourittenga (Burkina Fasso), nos investigation à Attécoubé, révèlent que le système d’assainissement autonome reste vulnérable. La vulnérabilité de ce système est liée à la précarité des ouvrages. La précarité des fosses est lisible à travers la prolifération des arthropodes et le délabrement des infrastructures d’assainissement autonome. La précarité des fosses est imputable à un faisceau de contraintes d’ordre spatial, économique et démographiques. La vulnérabilité des ouvrages d’assainissement autonome a entraîné la prolifération des eaux usées stagnantes, la circulation anarchique des eaux usées ainsi que la dégradation des voies routières. L’insalubrité et la dégradation des voies routières constituent des manifestations spatiales de la vulnérabilité environnementale induite par la prolifération des eaux usées à Attécoubé. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES AMRI (B). (2008).Pollution et nuisances environnementales : Problème de décharge et carence en assainissement, Thèse de Doctorat d’Etat, Université Mentouri de Constantine, Constantine, 318p. BECHI G.F.(2009).Urbanisation et risque environnementaux à Abidjan, in « Le journal des sciences sociales » n° 6 – Décembre 2009, Abidjan, pp. 75 – 92. BERRABA G.M.(2007).Assainissement non collectif dans la province de Kenitra : analyse et perspective, Ecole Nationale du Génie de l’Eau et de l’Environnement, Institut Agronomique et Vétérinaire, Hassan II, Rabat, 82p. COLCANAP M. et DUFOUR P.(1981).L’assainissement de la ville d’Abidjan : Evaluation, recommandation, proposition d’alternatives, ORSTOM, 299p. DUFOUR P.(1985).L’assainissement d’Abidjan et la sauvegarde de sa lagune : quelles alternatives, ORSTOM, 10p. FRANCEYS R., PICKFORD J. et REED R. (1995).Guide de l’assainissement individuel, Organisation Mondiale de la Santé, Genève, 258p. GIEC (1997). Rapport spécial du GIEC. Incidences de l'évolution du climat dans les régions: évaluation de la vulnérabilité. Résumé à l'intention des décideurs. Genève, Organisation météorologique mondiale, 27 p. [En ligne]. http://www.ipcc.ch/pdf/special-reports/spm/region-fr.pdf (Page consultée le 5 septembre 2009). HAUHOUOT A.C. (2008).Analyse du risque pluvial dans les quartiers précaires d’Abidjan. Etude de cas à Attecoubé, IGT, Abidjan, pp.75-82.

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Psychologie

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SANKOFA N° 6, juin 2014, pp. 111-132 ISSN : 2226-5503

INFLUENCE DU STRESS PROFESSIONNEL SUR LA VIE HORS TRAVAIL DU PERSONNEL FEMININ DES HÔPITAUX PUBLICS :

LE CAS DES SAGES-FEMMES

Jean Aimé BOUSSOUGOU-MOUSSAVOU (H.D.R.)60

Université OMAR BONGO de Libreville

RESUME Cette étude se situe dans le prolongement des travaux menés sur le stress, en milieu médical, notamment chez les infirmiers (Verquerre & Rusinek-Nisot, 1998) et chez les médecins généralistes (Van Daele, 2000 ; Vidal, Gleizes & Rasavet, 2000) et s’appuie sur la problématique suivant laquelle les personnels de santé en milieu hospitalier, notamment les personnels soignants, dans l’exercice de leur fonction, sont confrontés souvent à de contraintes multiples dans leur lutte sans répit contre la souffrance et la maladie chez les patients dont ils ont la charge.

L’objectif ici est donc de montrer que le stress ressenti, en milieu hospitalier, est susceptible d’influencer négativement l’organisation de la vie hors travail du personnel féminin, notamment les sages-femmes (n= 36), exerçant dans les hôpitaux publics. Les résultats obtenus grâce aux diverses techniques statistiques utilisées (statistique descriptive, analyse corrélationnelle, régression multiple), indiquent que ces dernières, dans leur vie hors travail, focalisent leur satisfaction principalement autour des relations amicales. Par contre, elles paraissent très stressées, dans le cadre de leur travail. Mais, cet état de stress a peu d’influence sur le déroulement des activités extra-professionnelles. Cela peut s’expliquer par l’organisation sociale de notre environnement basée sur la solidarité, l’entraide, l’esprit de communauté, etc. ; ce qui peut avoir pour conséquence, l’atténuation du stress ressenti au travail.

En définitive, cette étude suggère que, dans sa prévention ou sa thérapie, le stress ne peut être traité de manière isolée et que c’est l’ensemble de la personnalité de l’individu qu’il faut prendre en compte et préconise ainsi la nécessité de mêler des méthodes cliniques d'intervention orientées vers des individus, avec des mesures ergonomiques et organisationnelles orientées vers la situation de travail où l'hôpital est vu comme un système. Mots-clés : stress professionnel, vie hors travail, sages-femmes, hôpitaux publics.

60 Université OMAR BONGO de Libreville, Département de psychologie. E-Mail : [email protected]

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ABSTRACT This study is a continuation of work on stress in health care, especially in nursing

(Verquerre & Rusinek-Nisot, 1998) and among general practitioners (Van Daele 2000 Vidal Rasavet & Gleizes, 2000) and relies on the following issues which health workers in hospitals, including carers, in the exercise of their functions, are often faced with multiple constraints in their constant struggle against suffering and disease in patients under their care.

The objective here is to show that the stress experienced in hospital, is likely to affect the organization of the non-working life of female staff, especially midwives (n = 36), working in hospitals public. The results obtained through the various statistical techniques used (descriptive statistics, correlational analysis, multiple regression) indicate that the latter, in their non-work life satisfaction focus mainly on friendly relations. By cons, they seem very stressed in their work. But this state of stress has little influence on the conduct of extra-curricular activities. This can be explained by the social organization of our environment based on solidarity, mutual aid, community spirit, etc.. , Which can result in the attenuation of perceived work stress.

Ultimately, this study suggests that, in its prevention or its therapy, stress can not be treated in isolation and that the whole personality of the individual must be taken into account and therefore recommends the need to mix oriented individual clinical intervention methods, with ergonomic and organizational measures oriented work situation where the hospital is seen as a system. Keywords: professional stress, life outside work, midwives, public hospitals.

INTRODUCTION L’étude du stress professionnel et son incidence sur la vie des

employés suscite un intérêt particulier dans le domaine des sciences sociales. Dans cette optique, notons que si en psychologie, le stress est utilisé pour évoquer les multiples difficultés auxquelles l’individu a du mal à faire face et les moyens dont il dispose pour gérer ses problèmes, il semble par contre que le stress au travail désigne le stress provoqué par des agents stressants qui appartiennent au monde du travail (Kahn & Byosiere, 1992 ; Ponnelle & Vaxvanoghou, 2000). En effet, le stress au travail est reconnu partout dans le monde comme un problème majeur pour la santé des travailleurs et celle de l’organisation qui les emploie. De ce fait, il est indéniable que les travailleurs stressés sont plus exposés que d’autres aux risques d’être en mauvaise santé, peu motivés, moins productifs, etc. (Gaussin, Karnas & Sporcq, 1998). Les employeurs ne peuvent généralement pas protéger les travailleurs contre le stress extra-professionnel, mais ils peuvent les protéger contre le stress qui survient au travail.

Dans cet ordre d’idées, Renaud (1996, cité par Lancry & Ponnelle, 2004, p. 285), insiste sur l’idée qu’on croit généralement que le travail ne présente pas de danger pour la santé de l’homme, à l’exception évidemment de l’exposition à des agents pathogènes, aux cadences excessives ou encore aux accidents. C’est ce qui, du reste, justifie ce proverbe : « le travail, c’est la santé ». Mais, avec l’avancement de la recherche on commence à introduire des nuances. Car, d’après cet auteur, nous pouvons saisir aujourd’hui des problèmes de santé au travail qui ne se

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posent plus seulement en termes d’accidents ou d’expositions aux agents pathogènes mettant en danger la santé physique de l’opérateur, mais plutôt en termes de maux psychologiques. Notons que par maux psychologiques, il faut entendre toute maladie occasionnée par la situation de travail susceptible d’affecter la santé mentale et physique de l’employé à court ou long terme. Partant de cette définition, il est donc possible d’envisager le stress professionnel comme l’un de ces maux (Loiselle, Roger, Dussault & Deaudelin, 2000).

Pour leur part, des auteurs tels que Selye (1979), Lazarus et Folkman (1984), Thoits (1991) considèrent le stress comme un processus d’adaptation tant biologique que psychologique de l’individu à son environnement, quand ce dernier devient contraignant. De ce point de vue, le stress serait une réaction de l’organisme en vue de s’adapter aux menaces et aux contraintes de notre environnement. A cet égard, il importe de noter toutefois que le stress peut devenir nocif, s’il est activé à un niveau très élevé et aussi s’il est répété sans possibilité de récupération. Cet aspect de réaction de stress provoque un épuisement professionnel ou burn-out chez l’individu (Canoui, 1996). En considérant ce qui précède, nous étudions ce phénomène de stress chez les sages-femmes gabonaises des hôpitaux publics qui sont soumises à un travail assez délicat : celui de prendre en charge les femmes enceintes jusqu’à leur accouchement. Cela, bien-entendu, entraîne une charge de travail très élevée. L’objectif de cette étude est donc de montrer que le stress ressenti, en milieu hospitalier par les sages-femmes, est susceptible d’influencer de manière significative le déroulement des activités liées à leur vie hors travail ; entendant par-là toutes les activités qui relèvent de la vie à la maison (tâches ménagères, soins et éducation des enfants, vie de couple, etc.), de la vie sociale (affiliation à des associations de type religieux, politique, à des groupes de tontine, fréquentations familiales et amicales, etc.) et de la vie des loisirs (cinéma, danse…). En d’autres termes, l’intérêt ici est de montrer que le stress professionnel a des répercussions sur la vie hors travail des sages-femmes ; ce qui est de nature à perturber le déroulement de leurs activités extra-professionnelles. Dans ce cadre de réflexion, il est possible de penser qu’en raison des exigences particulières que constitue le travail de sage-femme (horaires atypiques, charge de travail importante, animation des séances de préparation à la naissance, telles que la relaxation, la sophrologie, aide à la future mère jusqu'à l’accouchement, etc.) et au regard des multiples obligations auxquelles elles doivent faire face dans la vie hors travail, les sages-femmes seraient exposées au stress. En effet, cette réflexion s’appuie sur l’organisation sociale de la société gabonaise où l’on constate que le plus souvent, les femmes ont des charges familiales trop pesantes et, de ce fait, ont du mal à gérer le conflit travail-famille, comparativement aux hommes (Boussougou-Moussavou, 2012). Autrement dit, par la nature de leur travail, les sages-femmes gabonaises sont exposées au stress. Leur métier comporte un certain

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nombre de difficultés, notamment les conditions de travail précaires, le rythme effréné de travail, les gardes de nuit, les contraintes d’heures, etc. et de risques de contamination, par exemple, à l’hépatite B, au VIH SIDA, parce qu’elles manipulent le sang et le liquide amniotique. De ce fait, il est loisible de penser que le stress qu’elles subissent influence négativement les activités relatives à leur vie hors travail et peut déboucher sur le conflit travail-famille (cf. par exemple Allen, Herst, Bruck & Sutton, 2000). Cette étude se situe donc dans le prolongement des travaux menés sur le stress, en milieu médical, notamment chez les infirmiers (Verquerre & Rusinek-Nisot, 1998) et chez les médecins généralistes (Van Daele, 2000 ; Vidal, Gleizes & Rasavet, 2000). Quant à sa structuration, nous allons d’abord présenter la revue de la littérature et la problématique. Ensuite, nous indiquerons la méthodologie, les résultats et une discussion de notre analyse, avant de conclure. I. REVUE DE LA LITTERATURE Le stress a d’abord été considéré comme une réponse physiologique de l’organisme à divers agents stressants (Selye, 1974 ; 1979) ; mais, ce modèle mécaniste et linéaire du stress est apparu rapidement insuffisant pour expliquer l’ensemble des phénomènes observés. Progressivement, les processus mis en jeu dans le stress sont apparus comporter non seulement des aspects physiologiques, mais aussi des aspects affectifs et cognitifs (Boussougou-Moussavou, 1997 ; Hellemans & Karnas, 2000). En effet, le stress est aujourd’hui défini comme une transaction individu-environnement dans laquelle l’activité du sujet dans le domaine perceptivo-cognitif devient essentielle (Lazarus & Folkman, 1984 ; Peltezer, 1997). Envisagé dans les premières définitions du stress comme l’objet passif d’une agression, l’individu est aujourd’hui considéré comme un sujet actif qui joue un rôle dans l’évaluation cognitive de la situation génératrice de stress tout comme les stratégies qu’il va mettre en œuvre pour s’adapter à la situation rencontrée (Dianne-Proulx & Boulard, 1998). A ce titre, il est important de noter que l’approche du thème stress a fait l’objet d’un nombre impressionnant de textes dans la littérature qui ont permis de le cerner sous ses multiples facettes (cf. par exemple Gaussin, Karnas & Sporcq, 1998 ; Caruso, 2000 ; Davezies, 2001 ; De Keyser & Hansez, 2002). Mais, nous nous plaçons ici du point de vue de stress au travail ou stress professionnel. Pour ce faire, nous partons de l’idée qu’il est généralement admis que l’activité professionnelle et le monde du travail peuvent être générateurs de stress et il existe probablement des professions qui, plus que d’autres, le suscitent. Le stress professionnel est donc une réalité à laquelle les travailleurs sont de plus en plus souvent confrontés (cf. par exemple Vallée, 2003). Le milieu médical n’échappe pas à ce constat. Ainsi, dans ce milieu qui intéresse la présente étude, de nombreux travaux ont souligné l’existence de différentes sources de stress : la surcharge de travail, les relations avec les patients, la confrontation à la mort et à la souffrance, les prises de décision sous

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incertitude, etc. (Gadbois, 1981 ; Orozco, 1993 ; Van Daele, 2000). Il faut, par ailleurs, signaler que la plupart des études se focalisent surtout sur les causes du stress dans la pratique médicale, parfois sur les conséquences : irritabilité, dépression, consommation d’alcool et de drogue, suicide, etc. (Ponnelle & Vaxvanoghou, 2000 ; Van Daele, 2000). Les variables qui médiatisent la relation entre le personnel médical et les situations génératrices de stress, ont été moins souvent abordées (Myerson, 1990 ; Hobbs, 1994). Or, nous savons aujourd’hui que le stress ne peut être dissocié de ces variables.

Par ailleurs, il faut noter que la relation patient-malade et la responsabilité du personnel soignant face aux malades, l’incertitude des situations à affronter et leur caractère imprévisible sont évidemment des sources de stress (Stora, 1991 ; Verquerre & Rusinek-Nisot, 1998). D’autre part, la nature des horaires peut accentuer l’influence de ces éléments, tout comme la surcharge de travail. De ce point de vue, il semble qu’en milieu hospitalier, la prédisposition du personnel soignant et des autres professionnels au stress est omniprésente du fait de la spécificité de l’organisation hospitalière, notamment : l’existence de plusieurs intervenants dans la mission de soins (médecins, infirmiers, techniciens, etc.) obligés de travailler en équipe, afin d’accomplir convenablement ladite mission ; l’imprévisibilité : on ne peut pas prédire le genre de patients qu’on va recevoir et peut-être même l’évolution de leur état (le risque zéro n’existe pas) ; l’obligation d’assurer la permanence 24 heures sur 24 ; la responsabilité des vies humaines nécessitant toujours un esprit éveillé, une concentration et une parfaite maîtrise des actes techniques ; la confrontation avec la souffrance et la mort et ce qu’elles posent comme difficultés de réponses psychologiques chez les soignants (Dionne-Prouls & Boulard, 1998)

Donc, dans la genèse du stress, l’activité professionnelle peut jouer un rôle important et c’est la raison pour laquelle cette étude se réalise sur des sages-femmes qui exercent une profession considérée comme exposée au stress. En effet, le contact permanent avec la souffrance, la maladie, la mort des mères et nouveaux-nés pendant ou après l’accouchement, etc. constituent le plus grand facteur de stress pour ces sages-femmes. Etant donné que cette étude s’inscrit dans le prolongement des recherches réalisées en milieu médical, comme nous l’avons souligné plus haut, nous allons de ce fait résumer l’essentiel de quelques-unes de ces recherches.

C’est ainsi que Verquerre et Rusinek-Nisot (1998) ont mené une étude sur le stress chez les infirmiers, en France. L’hypothèse générale qui a guidé la réalisation de cette étude est que les individus éprouvent le besoin de contrôler leur environnement et l’absence de ce contrôle provoquent des conséquences néfastes pour le sujet dans la transaction individu-environnement et peut être générateur de stress. Donc, la perception de perdre le contrôle de son environnement est fortement associée au stress. La population était composée de 97 sujets : 81 infirmières et 16 infirmiers appartenant à différents services du Centre

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Hospitalier universitaire de Lille. Deux mesures du stress ont été effectuées : une mesure des manifestations physiologiques du stress comportant 13 énoncés notés en quatre points (alpha de Cronbach= 0,78) et une mesure du stress perçu (Echelle de stress perçu de Cohen, Kamarket & Mermelstein, 1983, cité par Verquerre et Rusinek-Nisot, 1998, p. 63) concernant 10 énoncés évalués sur une échelle en cinq points. Deux mesures en rapport avec le sentiment de contrôle ont été réalisées, l’une concernant la dimension externalité-internalité (Echelle française de locus de contrôle de Dubois, 1985 cité par Verquerre et Rusinek-Nisot, 1998, p. 64) avec 28 énoncés et l’autre la perception du contrôle des situations professionnelles (Questionnaire de Perception de Contrôle en Situation de Travail de Pittersen, 1980 cité par Verquerre et Rusinek-Nisot, 1998, p. 64) avec 27 énoncés ; le format des réponses est en cinq points. Deux autres mesures concernent l’estime de soi (Echelle de Harttley, 1980 cité par Verquerre et Rusinek-Nisot, 1998, p. 66) avec 50 énoncés et la satisfaction au travail (Minnesota Questionnaire Satisfaction) comportant 20 aspects de l’emploi. Les résultats auxquels sont parvenus les auteurs confirment les hypothèses opérationnelles émises. En effet, les manifestations physiologiques du stress et le stress subjectif (ou perçu) sont liés de manière négative à l’internalité, tout comme les manifestations physiologiques du stress au sentiment de contrôler son environnement professionnel. La satisfaction au travail est fortement liée au sentiment de contrôler son environnement de travail. L’estime de soi est fortement associée aux manifestations physiologiques du stress, au stress subjectif, à l’internalité et de manière plus faible à la satisfaction au travail.

Donc, conformément à la problématique générale de cette étude, le sentiment de ne pouvoir contrôler son environnement est associé au stress. Cependant, les auteurs font observer, à cet égard, que les résultats ne peuvent pourtant être généralisés à d’autres professions et des études comparatives paraissent nécessaires. Car, selon eux, même si l’hypothèse d’une somatisation des difficultés rencontrées dans le monde du travail peut être formulée, le stress psychologique des sujets ne semble pas lié de manière majeure aux événements de la vie professionnelle. Néanmoins dans les résultats observés, le caractère particulier de la profession d’infirmier est peut-être à prendre en compte, car elle implique de manière particulière l’engagement personnel des sujets et favorise peut-être ainsi le rôle des variables psychologiques dans la genèse du stress. Autrement dit, le stress, aussi bien en ce qui concerne ses manifestations physiologiques que sa perception psychologique, serait surtout lié à des variables psychologiques comme l’internalité et l’estime de soi. Ce phénomène peut être lié à la nature de l’activité professionnelle de l’infirmier qui oblige à une forte implication et à un engagement personnel important mobilisant l’ensemble de la personnalité du sujet. Il peut être aussi causé par la mesure du stress réalisée qui envisagerait le stress sur un plan général et non pas le stress lié de manière directe à l’activité professionnelle. Rien n’indique que les processus soient identiques d’une profession à l’autre et

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les résultats observés seront comparés avec ceux observés auprès d’autres professions. Dans le même esprit, Van Daele (2000) a, pour sa part, utilisé l’approche transactionnelle de Lazarus et Folkman (1984) pour étudier le stress dans le contexte médical. Dans ce modèle, le stress apparaît comme le résultat de la relation entre l’individu et l’environnement. Deux médiateurs interviennent dans cette relation : le processus d’évaluation cognitive (perception) et les stratégies d’ajustement. En adoptant ce modèle, Van Daele a étudié le stress chez les médecins généralistes. Deux questions principales ont sous-tendues cette étude : quelles sont les variables issues du modèle qui président le mieux au niveau de stress des médecins généralistes ? Et quelles sont les relations entre ces variables ? Les objectifs visés dans cette étude consistent à scruter chez les médecins généralistes l’influence des caractéristiques des situations et des perceptions individuelles qui y sont attachées sur la mise en œuvre des différentes stratégies d’ajustement et finalement, sur le niveau de stress ressenti. Plusieurs questions ont orienté cette étude : les médecins généralistes sont-ils stressés ? De quelle manière ? Quelles sont les situations qu’ils perçoivent comme stressantes ? Quelles sont les variables qui président le mieux au niveau de stress ressenti chez les médecins généralistes issues du modèle transactionnel ? Quelles sont les relations que ces variables entretiennent entre elles ? Le recueil des données s’est effectué à l’aide d’un questionnaire auprès de 500 médecins généralistes dont 110 hommes et 32 femmes. La moyenne d’âge est de 42 ans. Le questionnaire a été envoyé à 500 médecins généralistes : 172 renvoyés, 142 exploitables dont 110 hommes et 32 femmes, d'une moyenne d'âge de 42 ans. Les résultats auxquels est parvenu l’auteur montrent clairement une configuration des variables différentes pour les hauts et bas niveaux de stress. En d’autres termes, il semble exister des profils particuliers des médecins, selon le niveau de stress qui les caractérise. Par ailleurs, sur la base des notes brutes obtenues au Ministère de la santé publique (M.S.P.), on constate une grande variabilité interindividuelle. Autrement dit, certains médecins s’auto-évaluent comme très stressés, les situations que les médecins généralistes considèrent comme stressantes sont également très variées. En conclusion, cette étude a montré qu’il existe dans l’échantillon des profils particuliers des médecins, selon le niveau de stress qui les caractérise. Ces profils sont liés à des variables personnelles et environnementales différentes, ainsi qu’à un processus d’évaluation cognitive et à des stratégies d’ajustements différentes. Les médecins les plus stressés sont ceux qui font le plus des gardes. Les raisons pour lesquelles les gardes contribuent à élever le niveau de stress, c’est le fait qu’ils se confrontent avec des patients exigeants et agressifs. Par ailleurs, les femmes sont plus stressées que les hommes. Elles sont plus jeunes et donc moins expérimentées et vivent plus seules (en dehors du couple). Ceci peut engendrer une plus grande vulnérabilité aux situations stressantes.

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L’étude réalisée par Vidal, Gleizes et Rasavet (2000) s’inscrit dans le même registre. En effet, cette étude a pour objectif de faire le point sur les sources de stress professionnel du médecin généraliste français et de dégager quelques pistes de réflexion pour y faire face. Du point de vue méthodologique, l’étude s’appuie sur une revue de la littérature étrangère et sur le travail de thèse entrepris sous la direction de Vidal, Gleizes et Rasavet, cherchant à évaluer le stress professionnel perçu chez le médecin généraliste et d’en préciser les causes, en Haute Garonne et à Paris, au printemps (2000). Les résultats de cette étude montrent que 10% des médecins rapportent un stress important, 50% notent des réactions de stress fréquentes ou très fréquentes liées au travail. Le score moyen de stress des médecins généralistes, que ce soit en France ou à l’étranger est significativement plus important que celui de la population générale. Trois causes essentielles ont été identifiées à cet effet : 1) la perturbation de la vie privée par le travail est la première cause de stress. La surcharge de travail ne peut se faire qu’au détriment de la vie personnelle du médecin. La disponibilité permanente attendue du médecin peut amener à un sentiment de culpabilité à "dire non". Refuser des demandes cependant excessives ou mal venues, est vécu comme un échec. Ce sentiment de culpabilité peut s’étendre à la famille et en particulier aux enfants dont les demandes sont parfois, sinon souvent, négligées au détriment de l’action professionnelle ; 2) les contraintes administratives et financières en deuxième lieu, sont des notions peu abordées au cours des études médicales : les médecins ont mal intégré ces aspects dans leur bagage professionnel. Ces contraintes sont vécues comme très perturbatrices de la vie professionnelle ; ce que corroborent les études étrangères. Les médecins sont mal préparés et peu disposés vis-à-vis de la gestion administrative, perçue comme trop consommatrice d’un temps qui serait mieux utilisé au soin et à la disponibilité due aux patients. Dans ce domaine, l’arrivée de l’informatique ne semble pas avoir allégé la charge administrative et paperassière de l’entreprise médicale. De même, le niveau faible de rémunération comparé aux autres professions libérales, l’augmentation des charges d’exploitation des cabinets médicaux, la stagnation des rémunérations et donc la baisse des revenus des médecins, sont une source de préoccupation, en particulier pour les médecins les plus anciens. La rémunération du médecin est symbolique de sa valorisation par la société, mais le lien entre l’argent et la pratique médicale est parfois vécu comme problématique ; 3) les demandes de l’entourage du patient viennent en troisième position dans les causes de stress alléguées par les médecins généralistes. Intervient aussi la notion de temps consacré à d’autres personnes qu’au malade lui-même, avec la crainte de trahir le secret professionnel, alors que des explications sont légitimes pour la prise en charge par l’entourage proche des patients. Cette contrainte n’est pas retrouvée dans la littérature étrangère et peut sembler spécifique à la médecine française.

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Selon ces auteurs, sur le plan familial, 19% des médecins déclarent des désordres dans leur couple et 18% des perturbations émotionnelles. Il y a peu d’études portant sur la répercussion du stress sur les enfants des médecins, mais elle n’est pas négligeable. Sur le plan individuel, nous avons les conséquences pathologiques du stress qui sont connues : suicides, perturbations mentales, utilisation de drogue, d’alcool, mais aussi fatigue importante, irritabilité, colère, sentiment d’être débordé ou accablé, manque de concentration et de résistance aux changements. Prés de la moitié des médecins souffrent d’anxiété modérée ou sévère. Le niveau de stress est peu différent, selon les régions d’exercice bien que les conditions de travail soient très dissemblables. Les causes de stress apparaissent comparables. II. PROBLEMATIQUE

La revue de la littérature qui vient d’être présentée montre que les personnels de santé en milieu hospitalier, notamment les personnels soignants, sont confrontés souvent à de contraintes multiples dans leur lutte sans répit contre la souffrance et la maladie chez les patients dont ils ont la charge. Ils peuvent ainsi être soumis à des contraintes physiques de travail importantes et aussi à des contraintes mentales croissantes dans l’exercice de leur fonction. Toutes ces contraintes peuvent entraîner une atteinte à leur santé physique et mentale, lorsque les conditions de travail sont défavorables et mener au stress au travail dont la manifestation extrême est le syndrome d’épuisement professionnel ou Burn-out (Canoui, 1996 ; Dionne-Proulx & Boulard, 1998 ; Verquerre & Rusinek-Nisot, 1998 ; Van Daele, 2000 ; Vidal, Gleizes & Rasavet, 2000 ; Lancry & Ponnelle, 2004). Outre les conséquences sur la santé des individus, le stress en milieu de travail entraînerait aussi des conséquences sur l’organisation des activités liées à la vie hors travail (tâches ménagères, soins et éducation des enfants, vie de couple, affiliation à des associations diverses, fréquentations familiales et amicales, loisirs, etc.). Une évaluation a d’ailleurs été faite par Gadbois (1981) dans une étude sur le travail de nuit et les modes de gestion des contraintes de ce travail au plan de la famille chez le personnel soignant féminin des hôpitaux. En effet, l'analyse de qui est vécu par ce personnel, en dehors du temps de travail, montre que les exigences sociales des activités extra-professionnelles tendent à prendre partiellement le pas sur les conditions optimales de récupération du déficit du sommeil ; le sommeil diurne qui suit la nuit de travail est comprimé (4 heures 30 en moyenne dans un système de nuit de travail, 6 heures 20 dans un système de 4 nuits de repos). Ce sommeil est quelque fois pris en deux fois, afin de permettre à la femme de faire face à certaines contraintes familiales (repas de midi, par exemple) ; son début est pour les mêmes raisons retardé : la femme rentrée à 7 heures 30 chez elle, se couche seulement à 8 heures 30, une fois ses enfants partis à l'école. L'étude montre également que la vie sociale de ces femmes (invitations familiales ou amicales, vie associative, sorties...) est plus

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restreinte si on la compare à un groupe de référence du personnel de jour. Les effets du travail de nuit se répercutent, par ailleurs, sur les autres membres de la cellule familiale : « le père, obligé d'assumer un certain nombre de fonctions classiquement remplies par la mère (repas du soir, coucher des enfants) voit aussi sa vie sociale diminuée (p. 451) ». Il y a aussi le fait que les travailleurs de nuit tendent à solliciter de leurs enfants un apprentissage plus précoce de l'autonomie, amenés à supporter les effets des contraintes qui empêchent leurs mères de leur fournir certains types d'aide habituellement reçus par les enfants de leur âge.

La présente étude s’inscrit dans ce contexte et se propose, dans une optique de relation vie au travail-vie hors travail, de mettre en exergue l’influence du stress professionnel sur l’organisation des activités extra-professionnelles, chez les sages-femmes au niveau des hôpitaux publics, étant donné qu’au Gabon aucune recherche n’a été jusqu’à présent effectuée sur cette thématique. En d’autres termes, il s’agit de comprendre le risque qu’induit le stress professionnel des sages-femmes des hôpitaux publics, quant à l’organisation de leur vie hors travail.

En effet, nous pensons que la profession de sage-femme est particulièrement exposée au stress. Bien entendu cette profession recouvre des réalités diverses, mais il semble néanmoins possible de recenser un certain nombre de facteurs qui la caractérisent et qui sont susceptibles de générer le stress. La sage-femme prescrit et effectue les examens nécessaires à la surveillance de la grossesse normale. Elle anime des séances de préparation à la naissance : relaxation, sophrologie, yoga. Responsable du déroulement de l'accouchement, elle pose le diagnostic du début du travail, dont elle suit l'évolution, et aide la future mère jusqu'à sa délivrance. Son activité ne se limite pas à des gestes techniques, son rôle est également d'ordre relationnel. Elle doit savoir expliquer ce qui va se passer, rassurer la mère, associer le père à ce moment important ; aidée des technologies de pointe (monitoring, échographies), elle assure toute seule les trois quarts des accouchements. Lorsque des complications surviennent, elle doit savoir apprécier la situation et agir très vite, en faisant appel au gynécologue obstétricien ou au chirurgien. Après l'accouchement, la sage-femme s'occupe du nouveau-né, vérifie qu'il est en bonne santé et accomplit des gestes de réanimation si nécessaire. Elle surveille également le rétablissement de la mère et lui donne des indications sur l'allaitement et l'hygiène du bébé. Il s'agit d'une profession médicale à part entière, qui comporte de lourdes responsabilités. Les conditions de travail sont souvent très dures : horaires irréguliers, gardes de nuit, stress, etc. Une grande résistance à la fatigue physique et nerveuse est nécessaire pour exercer ce métier.

Soulignons par ailleurs que la plupart des sages-femmes travaillent dans les hôpitaux ou les cliniques privées. Quelques-unes d’entre elles exercent en libéral, ou bien dans des centres de protection maternelle et infantile (PMI) ou des centres de planification familiale ; elles ont alors un rôle axé davantage sur la prévention et la pédagogie.

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Au terme de l’énoncé de cette problématique, on peut retenir que le risque de stress professionnel chez les sages-femmes résulte de la combinaison de multiples facteurs défavorables dont les conditions de travail. Quels peuvent alors être les répercussions de ce stress professionnel sur la gestion de leur vie hors travail ? Aussi, le stress généré par les contraintes du travail hospitalier n’affecte-t-il pas négativement le déroulement des activités liées à la vie hors travail de ces femmes ?

Dans cette optique, étant donné que notre étude porte sur les sages-femmes qui ont un double statut, celui d’être à la fois salariées et femmes au foyer, il est indéniable qu’elles aient parfois du mal à gérer ce double statut (Boussougou-Moussavou, 2004) ; ce qui peut déboucher sur le conflit travail-famille (Cinamon et Rich, 2002 ; Duxbury et Higgins, 2003). Rappelons à cet effet qu’autrefois, un homme pouvait essentiellement compter sur la présence de sa femme à la maison pour prendre soin des enfants, des personnes malades ou âgées et, lui, évitait toutes les préoccupations domestiques. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, car les femmes peuvent maintenant travailler et même occuper des postes de responsabilités importants. C’est l’addition des charges professionnelles aux charges extra-professionnelles qui rend difficile la conciliation entre le travail et la famille. Plus la femme a des responsabilités à son travail, plus elle a des difficultés familiales ; d’où le problème du stress au travail et dans la vie privée.

Ainsi, conformément à la problématique développée, nous nous proposons de tester les hypothèses suivantes :

- H1 : le stress professionnel ressenti par les sages-femmes en milieu hospitalier a une influence négative sur leur vie hors travail, en raison des multiples charges domestiques auxquelles elles doivent faire face quotidiennement ; - H2 : la prise en compte de l’ancienneté dans la profession de sage-femme module de façon significative l’influence négative du stress professionnel sur la vie hors travail ; on s’attend à ce que cette influence soit plus élevée chez les sages-femmes ayant une ancienneté de moins de trois ans (-3 ans) que chez celles qui en totalisent trois ans et plus (3 ans et +). L’idée directrice qui sous-tend ces hypothèses est que les sages-femmes, au regard du mode d’organisation sociale de notre société, ont des charges familiales trop pesantes et, de ce fait, ont du mal à gérer le conflit travail-famille ; d’où le stress. Par ailleurs, lorsqu’elles sont nouvelles dans la profession, elles ont plus de difficultés que les anciennes à concilier les rôles professionnels avec les rôles non professionnels, donc à gérer des dissonances diverses au niveau des deux sphères. III. METHODOLOGIE III.1. Sujets

L’enquête a été réalisée au Gabon dans deux hôpitaux publics, à savoir : le Centre Hospitalier de Libreville et l’Hôpital Régional de l’Estuaire Mélen, notamment au Bloc opératoire gynéco-obstétrique (BOGO qui

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comporte la Maternité, la Salle d'accouchement, le bloc opératoire, Gynéco-obstétrique). Ce service fonctionne24/24 h et 7/7 jours grâce à des rotations entre les sages-femmes qui assurent les gardes.

Les données ont été recueillies sur le lieu de travail auprès de 36 sages-femmes qui, en fonction de leur disponibilité, ont accepté de participer à notre enquête ; c’est donc un échantillon tout-venant. Elles sont âgées de 22 à 45 ans, soit une moyenne de 29,52 ans et leur ancienneté est comprise entre 1 et 18 ans, soit une moyenne de 4,19 ans.

III.2. Instruments de collecte de données Pour évaluer le stress professionnel, nous avons eu recours à une

échelle de mesure de type Likert qui s’intitule « Profil personnel du stress » mis au point par Kiev et Kohn (1979, rapporté par Turcotte, 1982, p. 71). Cette échelle comporte 14 items. Chaque item est coté de 1 à 4 points (rarement jamais : 1 ; parfois : 2 ; souvent : 3 ; très souvent : 4). Exemple : item 1 : « j’ai des problèmes de sommeil » ; item 2 : « je suis agité et semble ne pas pouvoir relaxer » ;… item 8 : « ma santé a été affectée défavorablement par mon travail », etc.

Pour apprécier la vie hors travail des sages-femmes, nous avons utilisé l’Inventaire de Satisfaction de la Vie. Il a été mis au point par Francès, en 1982 (rapporté par Boussougou-Moussavou, 2003).

C’est un questionnaire composé de 6 échelles détaillées et d’une échelle générale, à savoir :

1- Amis ; 2- Loisirs ; 3- Vie de couple ; 4- Vie en général ; 5- Vie de famille ; 6- Environnement ; 7- Satisfaction de soi.

Chacune d’elles correspond à un aspect de la satisfaction. Les sujets doivent exprimer leur accord ou leur désaccord avec chacune des phrases descriptives composant l’inventaire. Ils y répondent à l’aide d’une échelle de type Likert en 4 points : Tout à fait d’accord (4) ; D’accord (3) ; Pas d’accord (2) ; Pas du tout d’accord (1).

Mais, nous n’avons pas retenu les deux dernières échelles, à savoir, Environnement, Satisfaction de soi, pour nous en tenir essentiellement aux dimensions qui mesurent directement la vie hors travail.

Soulignons que nous avons pris la précaution de prétester ces deux questionnaires auprès de 10 sages-femmes des hôpitaux publics concernés. Les items n’ont présenté aucun problème de compréhension. IV. RESULTATS

Les données recueillies ont été traitées à l’aide du logiciel STATISTICA grâce auquel nous avons réalisé les analyses suivantes : la statistique descriptive, l’analyse corrélationnelle et la régression multiple.

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IV.1. Statistique descriptive La statistique descriptive qui a été effectuée, nous a permis de

comparer les scores moyens des différentes variables mesurées, afin d’évaluer leur contribution dans la variance expliquée, par rapport à la problématique développée. Le tableau 1 donne un aperçu des résultats obtenus à cet égard.

Tableau 1 : Moyenne et Ecart-type ainsi que les valeurs moyennes de chaque variable mesurée (n=36)

Variables mesurées Moyenn

e Ecart-type

Valeur minimum

Valeur maximum

1- Amis 50,69 10,08 0,00 68,00

2- Vie de couple 34,02 20,51 0,00 57,00

3- Loisirs 22,55 7,90 10,00 48,00

4- Vie en général 31,50 7,35 0,00 42,00

5- Vie de famille 23,11 8,18 12,00 52,00

6- Stress professionnel

71,72 12,44 21,00 90,00

Au regard de ce tableau 1, il apparaît que la distribution des

cotations sur l’ensemble des dimensions relatives à la vie hors travail mesurées semble presque homogène. Cependant, parmi ces dimensions, on note que la vie amicale enregistre le score le plus élevé (moyenne= 50,69 et écart-type= 10,08 ; valeur minimum= 00,00 et valeur maximum= 68,00).

Ce score prouve que les sages-femmes accordent une importance de premier choix à la vie amicale, dans la quête de leur satisfaction au-delà du travail. Elles perçoivent donc comme positive cette dimension dans l’équilibre de leur vie hors travail.

Dans cet ordre d’idées, on observe que les loisirs présentent le score le plus faible. Ce score démontre que les sages-femmes sont moins satisfaites de leur vie des loisirs (moyenne= 22,55 et écart-type= 7,90 ; valeur minimum= 10,00 et valeur maximum= 48,00).

En ce qui concerne la perception que les sages-femmes ont du stress, il convient de noter qu’elles ont le profil des femmes très stressées, puisque le stress professionnel enregistre un fort score (moyenne= 71,72 et écart-type= 12,44 ; valeur minimum= 21,00 et valeur maximum= 90,00).

Pour illustrer ces observations, nous reproduisons sous forme de représentation graphique le tracé des scores moyens obtenus au niveau de chaque variable mesurée (fig. 1).

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Figure 1 : Illustration graphique du tracé de scores moyens Tracé de scores moyens des sages-femmes

Moyenne ±0,95 Intervalle Conf.

Str

ess

Am

is

Vie

cou

pl

Lois

irs

Vie

gén

é

Vie

fam

il.

10

20

30

40

50

60

70

80

Légende : - Stress. : Stress professionnel ; - Amis : Vie d’amis ;

- Vie coupl : Vie de couple ; - Loisrs : Vie de loisirs ; - Vie géné : Vie en général ; - Vie famil. : Vie de famille. Cette figure 1 illustre les scores moyens des variables mesurées. Ainsi, comme, on peut le voir, à travers l’allure de la courbe, la distribution de ces scores permet de distinguer nettement les variables stress professionnel et vie d’amis des autres. La vie des loisirs a le score moyen le plus faible, puisqu’elle se positionne au bas de la courbe.

IV.2. Analyse corrélationnelle

Dans cette analyse, nous avons, d’abord, testé en terme de corrélations les liens que les différentes dimensions mesurant la vie hors travail (variable dépendante) entretiennent entre elles (matrice d’intercorrélations) et, ensuite, apprécié les relations que ces dimensions ont avec le stress professionnel (variable indépendante). Les tableaux 2 et 3 donnent un aperçu des résultats obtenus dans ce sens.

Tableau 2 : Matrice d’intercorrélations des variables mesurant la vie hors travail (n=36)

Inventaire de satisfaction de la vie

1 2 3 4 5

1- Amis 1,00

2- Vie de couple 0,31 1,00

3- Loisirs 0,03 -0,21 1,00

4- Vie en général 0,71* 0,23 0,14 1,00

5- Vie de famille 0,17 -0,33* 0,63* 0,26 1,00

* p<0,05

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Ce tableau synthétise les intercorrélations entre les dimensions qui mesurent la vie hors travail : sur 10 testées, 3 présentent des saturations significatives. Les autres sont, soit faibles, soit nulles et rendent, de ce fait, leur interprétation difficile. A cet égard, on note que la dimension amis est fortement reliée de manière positive à la vie en général (r= 0,71, p<0,05). Cela permet de penser que les relations amicales que les sages-femmes développent dans leur vie privée ont une incidence positive sur la satisfaction de la vie en général.

Dans le même ordre d’idées, on observe un lien positif assez élevé entre la vie des loisirs et la vie de famille (r= 0,63, p<0,05). Il est visible ici que le fait, pour les sages-femmes, d’avoir une vie de famille satisfaisante, contribue positivement à la satisfaction de la vie des loisirs. Ainsi, plus la vie de famille leur paraît satisfaisante, plus elles trouvent leur vie des loisirs très épanouissante.

En revanche, on observe une relation significative mais négative entre la vie de couple et la vie de famille (r= -0,33, p<0,05). Ce résultat signifie que les sages-femmes sont insatisfaites de leurs relations de couple et cette insatisfaction a une incidence négative sur leur vie familiale.

Nous avons, par la suite testé, les liens entre le stress professionnel et les dimensions qui mesurent la vie hors travail (tableau 3). Les résultats auxquels nous avons abouti montrent que, dans l’ensemble, le stress professionnel (V.I.) n’est pas corrélé de manière significative avec les dimensions de la vie hors travail (V.D.). En considérant donc ces résultats, il est difficile de conclure que le stress que les sages-femmes ressentent dans les situations de travail affecte négativement la satisfaction des différentes dimensions de leur vie hors travail telles que mesurées ici. Ce qui ne permet pas de valider notre hypothèse 1, selon laquelle le stress professionnel ressenti par les sages-femmes en milieu hospitalier a une influence négative sur leur vie hors travail, en raison des multiples charges domestiques auxquelles elles doivent faire face quotidiennement. En effet, ces résultats montrent que le stress éprouvé au travail par les sages-femmes a très peu d’influence sur leur vie hors travail. Cela peut s’expliquer par les liens qui existent entre les différents paramètres contextuels, dans notre pays (par exemple, l’organisation sociale, le rôle de la famille élargie, la solidarité communautaire basée sur l’esprit d’entraide, etc.) qui sont susceptibles de tempérer le stress au travail. Tableau 3 : Corrélations entre le stress professionnel (V.I.) et les variables mesurant la vie hors travail (V.D.)

Inventaire de satisfaction de la vie (V.D.)

Stress professionnel (V.I.) r

1- Amis -0,02 ns

2- Vie de couple 0,05 ns

3- Loisirs 0,12 ns

4- Vie en général 0,02 ns

5- Vie de famille -0,11 ns

ns : r non significatif

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IV.3. Analyse de la régression multiple L’analyse de la régression multiple que nous avons réalisée, nous a

permis de tester l’effet de l’ancienneté sur l’influence qu’exerce le stress professionnel sur la vie hors travail. Autrement dit, nous avons voulu savoir si la prise en compte de l’ancienneté dans la profession pouvait moduler de façon significative l’influence du stress professionnel sur la vie hors travail des sages-femmes. Pour ce faire, nous avons utilisé comme indice la moyenne arithmétique de l’ancienneté de notre échantillon (3,19 ans). Les résultats de cette analyse sont résumés dans le tableau 4.

Tableau 4: Synthèse de la régression multiple

Stress professionnel Stress professionnel

Ancienneté de – 3 ans (n= 15)

Ancienneté de 3 ans et + (n= 15)

Valeur statistique Valeur statistique

Inventaire de satisfaction de la vie

Bêta F(1,13) P< Bêta F(1,13) P<

1- Amis -0,00 ns 0,00 0,97 -0,05 ns 0,05 0,81

2- Vie de couple -0,20 ns 0,64 0,43 0,41 ns 3,45 0,08

3- Loisirs 0,07 ns 0,07 0,78 0,20 ns 0,78 0,38

4- Vie en général

0,01 ns 0,00 0,95 0,01 ns 0,00 0,93

5- Vie de famille -0,04 ns 0,03 0,85 -0,19 ns 0,69 0,41

ns : valeur Bêta non significative

De ce tableau 4, il ressort que l’ancienneté, quelle soit la durée dans la profession : moins de trois ans (-3 ans) ou trois ans et plus (3 ans et +) ne module pas de façon significative l’influence du stress professionnel sur la vie hors travail, puisque nous observons ici que toutes les valeurs Bêta sont soit faibles soit nulles. Ce qui contredit l’orientation de notre hypothèse 2, à savoir que la prise en compte de l’ancienneté dans la profession de sage-femme module de façon significative l’influence négative du stress professionnel sur la vie hors travail ; on s’attend à ce que cette influence soit plus élevée chez les sages-femmes ayant une ancienneté de moins de trois ans (-3 ans) que chez celles qui en totalisent trois ans et plus (3 ans et +). On voit donc ici que l’ancienneté dans la profession a peu d’effet sur l’influence qu’exerce le stress professionnel sur la vie hors travail, chez les sages-femmes. V. DISCUSSION DES RESULTATS

A la lumière des résultats qui viennent d’être présentés, il ressort le constat suivant : premièrement, la statistique descriptive indique que la distribution des cotations sur l’ensemble des dimensions relatives à la vie hors travail mesurées semble presque homogène. Néanmoins, on observe

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une nette prédominance de la vie amicale sur les autres dimensions de la vie hors travail, du fait de son score le plus élevé (moyenne= 50,69 et écart-type= 10,08 ; valeur minimum= 00,00 et valeur maximum= 68,00). Ainsi, il semble que les sages-femmes, dans leur vie hors travail, focalisent leur satisfaction principalement autour des relations amicales.

De ce fait, si l’on veut prédire la satisfaction de la vie hors travail de ces sages-femmes, il faut donc s’intéresser aux relations amicales qu’elles développent dans leur vie privée. Ceci est illustré dans le questionnaire par des items tels que : « toute amitié m’apporte quelque chose », « mes amitiés sont enrichissantes »... Cela peut s’expliquer par le rôle que jouent les relations amicales, dans le cadre du travail de sage-femme où l’on a tendance à développer l’entraide, la solidarité, à l’intérieur des équipes de travail, mais aussi au-delà du travail. En effet, ce travail, basé principalement sur les accouchements, contribue à tisser des relations amicales durables à l’extérieur, notamment, avec les mères des nouveau-nés qui manifestent souvent une reconnaissance à l’égard des sages-femmes. Elles arrivent donc à compenser à travers les relations amicales les frustrations qu’induisent les contraintes liées au travail (Barnett, 1994).

Dans le même cadre d’idées, on note que les sages-femmes ont une perception moins satisfaisante de leur vie des loisirs (moyenne= 22,55 et écart-type= 7,90 ; valeur minimum= 10,00 et valeur maximum= 48,00). Cette observation conforte dans une certaine mesure l’étude de Gadbois (1981) qui a montré que la vie sociale du personnel soignant féminin est très restreinte, du fait des contraintes liées au travail hospitalier.

En revanche, les sages-femmes paraissent très stressées, dans le cadre de leur travail, au regard du score moyen obtenu à cet égard (moyenne= 71,72 et écart-type= 12,44). Ce stress peut s’expliquer par des conditions de travail souvent difficiles à supporter (horaires atypiques, gardes de nuit, etc.) et l’exposition permanente aux risques de contamination aux virus de toutes sortes, du fait des accouchements. Ajouté à cela le fait que les sages-femmes, dans leur pratique médicale quotidienne, sont constamment confrontées à la mort fœtale in utero (MFIU) des femmes qu’elles font accoucher ou encore à la mort qui intervient pendant ou après l’accouchement à la suite d’une hémorragie, par exemple. Ce qui, inéluctablement, est source de stress.

Ce constat corrobore la réflexion faite par Verquerre et Rusinek-Nisot (1998), à savoir que le caractère particulier de la profession d’infirmier est à prendre en considération, puisqu’elle implique de manière particulière l’engagement personnel des sujets et favorise ainsi le rôle des variables psychologiques dans la genèse du stress. Pour leur part, Vidal, Gleizes et Rasavet (2000) ont montré que parmi les causes essentielles du stress dentifiées, la perturbation de la vie privée par les contraintes liées au travail hospitalier en était la première cause, chez les médecins généralistes. Dans le même sens, Van Daele (2000) qui a étudié le stress dans le contexte médical a rapporté que les femmes étaient plus stressées que les hommes et sont enclines à une plus grande vulnérabilité aux situations stressantes.

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Deuxièmement, l’analyse intercorrélationnelle effectuée entre les différentes dimensions de la vie hors travail, révèle que la perception que les sages-femmes ont de leur vie amicale influence très positivement la satisfaction de la vie en général (r= 0,71, p<0,05). En effet, les relations que les sages-femmes nouent dans leur vie privée contribuent à la satisfaction de leur vie, d’une manière générale. Dit autrement, plus ces relations sont perçues comme positives, plus les sages-femmes ont tendance à être satisfaites de leur vie en général. D’autre part, on note que plus la vie de famille leur paraît satisfaisante, plus elles trouvent leur vie des loisirs assez intéressante (r= 0,63, p<0,05). Ces résultats confortent ceux observés au niveau de la statistique descriptive (tableau 1).

En revanche, on a enregistré une relation significative mais négative entre la vie de couple et la vie de famille (r= -0,33, p<0,05). Il est visible ici que les sages-femmes sont insatisfaites de leurs relations de couple et cette insatisfaction affecte négativement leur vie de famille.

Par ailleurs, l’analyse corrélationnelle réalisée, en vue de tester les liens entre le stress professionnel et les dimensions de la vie hors travail, n’a pas permis dans l’ensemble de mettre en évidence le lien significatif attendu entre le stress ressenti au travail et ces différentes dimensions, chez les sages-femmes. Ce qui, à notre avis, semble contredire les conclusions auxquelles sont parvenues les études qui nous ont servi de cadre de référence théorique (Gadbois, op. cit. ; Verquerre & Rusinek-Nisot, op. cit. ; Van Daele, op. cit. ; Vidal, Gleizes & Rasavet, op. cit.), selon lesquelles les contraintes que le personnel médical, notamment les médecins, les sages-femmes, les infirmiers, etc. vivent dans l’exercice de leur travail seraient considérées comme des sources de perturbation de leur vie hors travail. Les résultats de notre étude prouvent que le stress professionnel a peu d’effet sur le déroulement des activités extra-professionnelles des sages-femmes. Cela peut s’expliquer par l’organisation sociale de notre environnement basée sur la solidarité, l’entraide, l’esprit communautariste, les suppléances de toutes sortes, etc. ; ce qui peut avoir pour conséquence, l’atténuation du stress ressenti au travail.

Enfin, troisièmement, la prise en compte de l’ancienneté dans la profession (-3 ans versus 3 ans et +) ne permet pas de moduler de manière significative l’influence du stress professionnel sur les dimensions de la vie hors travail, chez les sages-femmes, puisque toutes les valeurs Bêta obtenues ont des saturations soit faibles, soit nulles (cf. tableau 4). Ainsi, le fait pour la sage-femme d’être moins ancienne ou plus ancienne dans la profession n’a aucune incidence significative sur la façon dont le stress professionnel exerce son influence sur la vie hors travail.

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CONCLUSION

Au terme de cette étude portant sur l’influence du stress professionnel sur la vie hors travail du personnel féminin des hôpitaux publics : le cas des sages-femmes, nous sommes parvenu au constat selon lequel les sages-femmes, dans leur vie hors travail, focalisent leur satisfaction principalement autour des relations amicales. Par contre, elles paraissent très stressées, dans le cadre de leur travail. Cela peut être imputable aux conditions de travail souvent difficiles auxquelles elles sont confrontées (horaires atypiques, gardes de nuit, etc.) et à l’exposition permanente aux risques de contamination aux virus de toutes sortes, du fait des accouchements. Par ailleurs, la perception que les sages-femmes ont de leur vie amicale influence très positivement la satisfaction de la vie en général. Autrement dit, les relations qu’elles nouent dans leur vie privée contribuent à la satisfaction de leur vie, d’une manière générale. Dans le même ordre d’idées, les sages-femmes sont assez satisfaites de leur vie des loisirs. Cette satisfaction a une incidence positive sur leur vie de famille, dans la mesure où elles la trouvent équilibrée. Mais, elles ne sont pas satisfaites de leur vie de couple ; ce qui affecte négativement leur vie de famille et, donc, peut être source de stress. Aussi, cette étude n’a-t-elle révélé aucun lien significatif entre le stress ressenti au travail et les différentes dimensions qui traduisent la vie hors travail. Donc, apparemment, le stress qu’éprouvent les sages-femmes en milieu de travail hospitalier n’entrave que très peu le déroulement de leurs activités extra-professionnelles.

En outre, la prise en compte de l’ancienneté dans la profession (-3 ans versus 3 ans et +) ne permet pas de moduler de manière significative l’influence du stress professionnel sur les dimensions relatives à la vie hors travail, chez les sages-femmes. En d’autres mots, le fait d’être moins ancienne ou plus ancienne dans le métier de sage-femme n’a aucune incidence réelle sur la manière dont le stress professionnel influence la vie hors travail. En définitive, les études réalisées en Occident qui nous ont servi de cadre de référence théorique reconnaissent que la profession de sage-femme est particulièrement exposée au stress, et que ce stress perturbe le déroulement des activités de la vie hors travail. Mais, la présente étude apporte quelques nuances, à savoir que même si cette profession est de nature stressante, elle n’entrave pas de manière totale l’accomplissement des activités extra-professionnelles. Evidemment, les résultats ici doivent être relativisés, car il faut tenir compte des référents culturels de notre société (organisation sociale basée sur l’esprit communautaire, l’entraide, la solidarité, l’appartenance au groupe, y compris les suppléances de toute nature, etc.). En effet, comme l’a souligné Boussougou-Moussavou (2004), c’est à travers la réalité sociale et culturelle que l’homme va attribuer une signification à la relation travail/hors travail, aux éléments de son environnement.

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Quant aux perspectives de la recherche, nous suggérons que dans sa prévention ou sa thérapie le stress ne peut être traité de manière isolée et que c’est l’ensemble de la personnalité de l’individu qu’il faut prendre en compte. En outre, comme le préconise De Keyser (2007), il faut épingler la nécessité de mêler des méthodes cliniques d'intervention orientées vers des individus, avec des mesures ergonomiques et organisationnelles orientées vers la situation de travail où l'hôpital est vu comme un système. Puisque certains facteurs de pénibilité du travail, comme le côtoiement de la souffrance et de la mort ne peuvent être éliminés, des mesures de support social sont nécessaires : stress lié à la mort du patient, échec ou absence de progrès d'une thérapie, etc.

Exemple de mesures cliniques d'intervention : - groupes de parole lorsque les facteurs de stress échappent à tout

contrôle ; - prise en prise en charge des erreurs humaines engendrant un

sentiment de culpabilité qui peut conduire au suicide ; - détection et prise en charge d'individus à risque plus sensibles que les autres ou affectés par un burn out qui n'est pas nécessairement partagé par tout l'entourage.

Exemple de mesures ergonomiques et organisationnelles : -révision des espaces et du matériel pour diminuer la charge de travail et faciliter la prise d’information ; - formation aux technologies nouvelles ; - développement d'une stratégie de communication inter-services, inter-équipes et vis-à-vis du patient et de sa famille ; -recueil et traitement des incidents à l'échelle de l'hôpital, etc. ; - révision des horaires et de la durée des gardes.

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SANKOFA N° 6, juin 2014, pp.134-152 ISSN : 2226-5503

LES FACTEURS INFLUENCANT LES PERFORMANCES DES ARBITRES DE FOOTBALL : CAS DES ARBITRES GABONAIS DU

CHAMPIONNAT PROFESSIONNEL DE 1ère DIVISION.

Jean-Baptiste BOULINGUI Maitre de recherche

RESUME Cette étude se situe dans le prolongement des travaux menés sur la performance des arbitres, en milieu sportif, notamment chez les arbitres de championnat d’élite (Bortoli & Robazza 2002, Vautrot, 1999) et chez les arbitres de football (Balmer, et al., 2007) et s’appuie sur la problématique suivant laquelle les arbitres, notamment les arbitres de football, dans l’exercice de leur fonction, sont confrontés souvent à certains facteurs susceptibles d’influencer leurs performances. L’objectif ici est donc de montrer qu’il existerait certains facteurs ressentis, en milieu du football, qui sont susceptibles d’influencer négativement ou positivement sur les performances des arbitres, notamment les arbitres de football (N=24). Les résultats obtenus grâce aux divers techniques statistiques utilisées (statistique descriptive, statistique inférentielle), indiquent que ces derniers, dans l’exercice de leur fonction, ont tendance à mettre en exergue des facteurs psychologiques, des facteurs physiques et techniques, les facteurs morphologues et des facteurs sociaux, dans le cadre des facteurs susceptibles d’influencer leurs performances. Par ailleurs, les arbitres des ligues provinciales que nous avons interrogés mettent en exergue comme facteurs pouvant influencer leurs performances : les facteurs morphologiques. En définitive, cette étude suggère que, dans sa prévention ou sa thérapie, si on veut que les performances des arbitres ne soient pas impactées, il faut prendre en considération tous ces facteurs afin de permettre d’évoluer dans des conditions meilleures. Cette prise en compte de ces facteurs dans l’exercice de leur métier leur permettrait d’avoir plus de confiance en eux, en développant des ressources personnelles, de façon à pouvoir mieux officialiser les rencontres de football. Ce qui constitue pour eux une source de motivation focale. Mots-clés : Facteurs, performance, football, stress, formation, évaluation, coping. ABSTRACT This study is in the continuation of the works done with regard to the referees’ performance, in soccer field, especially as far as elite championship referees are concerned (Bortoli & Robazza 2002), Vautrot, 1999) and soccer referees (Balmer, et al., 2007) and based on the issue according to which the referees, especially soccer referees, when accomplishing their function, are facing elements opened to influence their performances. The purpose aims at showing that it should exist some elements felt, in the field of soccer, are opened to influence negatively or positively on the referees’ performances, especially soccer’ referees, (n = 24). The results acquired from diverse used statistics techniques (descriptive statistics, inferential statistics), show that these ones, when accomplishing their function, tend to raise psychological elements, physical elements and techniques, morphological and sociological elements, regarding the elements opened to influence their performance. Moreover, referees from provincial

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leagues we have questioned have risen as elements able to influence their performances: morphological elements. Finally, this work suggests that within its prevention or therapy, if we want referees’ performance to not being impacted, all these elements have to be taken into account in order to allow working in the best conditions. The consideration of the elements when doing their work would allow them to have more confidence in themselves, by developing personal resources, in the way of directing better the soccer games. That is for them a source an important source of motivation. Keywords: Elements, performance, Soccer, Stress, Training, Evaluation, Coping

INTRODUCTION Il ne fait plus l’ombre d’un doute que le football a connu une évolution considérable, occupant aujourd’hui une place dominante dans le répertoire du sport mondial. Cette ascension rapide du football a entraîné une évolution notoire de toutes ses composantes. L’arbitrage, composante chargée de veiller au respect des règles du jeu lors d’une rencontre n’est pas en reste. Il joue un rôle essentiel dans la réussite d’un match de football. Mal effectué, il peut être source de contestations et de perturbations. Cependant réalisé par des arbitres impartiaux et physiquement présents à proximité des actions de jeu, l’arbitrage peut favoriser le bon déroulement et l’achèvement d’un match dans la sportivité. « A l’origine du football, les joueurs s’auto arbitraient. L’homme au sifflet n’est apparu que par la force des choses et par le travers des humains, incapables de s’auto gérer dans le cadre d’une compétition même sans enjeu financier ». (Vautrot, 1999). C’est en 1863, à Londres, à l’auberge des francs-maçons qu’un groupe d’hommes engagera la discussion en vue de se mettre d’accord sur un ensemble de règles communes permettant à plusieurs clubs de jouer les uns contre les autres. L’objectif recherché, était de permettre de jouer au football dans des conditions équitables, en toute sécurité, et se faire plaisir. C’est alors que va intervenir l’arbitre qui sera chargé de veiller à l’application des règles ou lois du jeu. De lourdes responsabilités pèsent sur les épaules de ce dernier, devenant ainsi un centre d’intérêt au football. Dans cet ordre d’idées, Bortoli & Robazza (2002). L’arbitre idéal serait-il fait de granit, ne laissant pas influencé par certains facteurs? Comme un athlète, l’arbitre va ressentir des émotions à la fois positives et négatives liées à l’évènement sportif Ces facteurs peuvent avoir un impact sur la performance de l’arbitre, notamment au niveau de la prise de décision. On l’observe par exemple dans le cas d’un match à domicile, où les cris du public constatant une faute peuvent, en influençant le degré d’anxiété de l’arbitre, avoir un impact sur les décisions de ce dernier (Balmer, et al., 2007). L’objectif de cette recherche est d’amener à une prise de conscience de l’influence de certains facteurs sur la performance des arbitres, et à en comprendre les mécanismes pour pouvoir réduire les biais que cela peut engendrer. Aujourd’hui, le football est devenu une industrie et plus qu’hier, le rôle des arbitres est capital. Partout, on attend

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d’eux qu’ils produisent des performances comme des professionnels. De ce fait, nous nous posons la question de savoir quels sont les facteurs susceptibles d’influer sur la performance des arbitres gabonais? Cependant, cela n’a toujours pas été le cas. D'où les incessantes diatribes à leur égard. L’arbitrage gabonais n’échappe pas à cette critique acerbe. Aussi, la présente étude mène t-elle une investigation en vue d’identifier les facteurs influents sur la performance des arbitres gabonais et de suggérer des éléments d’amélioration. Cette étude vise à rechercher les facteurs influant sur les performances des arbitres Gabonais. L’objectif de cette étude est donc de montrer que certains facteurs ressentis dans le milieu du football, par les arbitres Gabonais, sont susceptibles d’influencer de manière négative ou positive le déroulement des activités liées à leur vie professionnelle ; entendant par-là toutes les activités qui relèvent du football. En d’autres termes, l’intérêt ici est de montrer qu’il existe des facteurs dans le cadre du professionnel des arbitres de football qui ont des répercussions sur leur performance; ce qui est de nature à perturber le déroulement de leurs activités professionnelles. Dans ce cadre de réflexion, il est possible de penser qu’en raison des exigences particulières que constitue le travail des arbitres (la maîtrise émotionnelle, la gestion du stress, la peur, les capacités énergétiques, les facteurs cardio-vasculaires, etc.). Cette étude se situe donc dans le prolongement des travaux menés sur les performances de l’arbitre (Sylvain Laborde & Fabrice Dosseville, 2010) et (Bortoli & Robazza, 2002 ; Balmer, et al., 2007, Lazarus, 2000, Taylor, Daniel, Leith & Burke, 1999, Aushel, & Weinberg, 1999). Quant à sa structuration, nous allons d’abord présenter la revue de la littérature et la problématique. Ensuite, nous indiquerons la méthodologie, les résultats et une discussion de notre analyse, avant de conclure. I. REVUE DE LA LITTERATURE Selon Brigitte Charles-Pauvers, Nathalie Commeiras, Dominique Peyrat-

Guillard et Patrice Roussel (2006), parmi les déterminants psychologiques, la motivation, la satisfaction et l’implication s'avèrent essentielles pour expliquer le processus de la performance au travail. Longtemps étudiés indépendamment, ces concepts sont aujourd'hui développés dans des modèles intégrateurs (Meyer et al., 2004) qui visent à comprendre comment ils sont inter reliés avec les comportements attendus par l'organisation, et comment ils contribuent à la performance de l'individu. Par ailleurs, leur intérêt réside dans le fait qu'ils redonnent une place centrale à la variable de personnalité. Dans le même temps, la taxonomie des cinq facteurs, le "big five", offre une modélisation qui unifie la littérature sur les traits de la personnalité, et sur laquelle reposent de nombreux travaux de recherche, dans le but d'exploiter les liens entre la personnalité et d'autres variables, parmi lesquelles la performance au travail. Parallèlement, la littérature souligne l'importance des affects, leur lien avec ces facteurs et par là même, avec la performance au travail. Les dispositions affectives embrassent plusieurs concepts qui sont inter reliés :

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les affects, les émotions et l’humeur. Les recherches du domaine entrecroisent ces différents concepts et nécessitent au préalable de les distinguer. L’affect est souvent utilisé en tant que concept générique qui inclut les émotions et l’humeur. Il est défini tantôt comme un sentiment qui exprime ce que l’on ressent comme étant agréable ou désagréable, tantôt comme un trait de personnalité, tantôt comme une attitude (Garcia-Prieto et al.7 2005). Il exprime en un terme générique les sentiments que l’individu éprouve vis-à-vis de quelqu’un ou de quelque chose. Pour Brigitte Charles-Pauvers et al (Op.cit), globalement, un affect durable et faiblement intense relève de l’humeur ; un affect éphémère, mais intense, relève de l’émotion. Ainsi, l’humeur exprime un sentiment plus diffus, plus généralisé, moins intense, plus durable, mais dont les causes sont plus difficiles à cerner. L’humeur est parfois définie comme un état émotionnel qui perdure (Locke, 1997). Ce peut-être le cas du plaisir ou du déplaisir ressenti dans un emploi occupé. Changer de poste, ou modifier le contenu ou l’organisation de l’activité de travail, peut provoquer un changement susceptible de modifier l’humeur (vers le plaisir ou le déplaisir). Enfin, l’émotion est un phénomène plus éphémère et dirigé vers une cible précise (une personne, une chose, une situation). C’est un épisode temporaire qui implique un changement visible chez l’individu sous l’effet de facteurs externes (réaction à un comportement d’autrui, à un objet reçu) ou internes (réaction à une pensée, un souvenir, une sensation). Une littérature croissante montre que les affects peuvent influencer les processus cognitifs (ex. la motivation au travail) et la performance dans certaines activités. Un état de l’art récent de travaux empiriques (Mitchell et Daniels, 2003) recense les facteurs qui peuvent être influencés par les affects et qui peuvent ensuite induire de la motivation et de la performance au travail. Il souligne que les affects peuvent ainsi agir positivement sur la créativité, la facilité de prise de décision, les comportements pro-sociaux, l’adaptation face aux événements stressants, l’utilisation d’approches constructives pour résoudre les conflits. Lorsque ces facteurs sont influencés positivement par les affects, on peut en attendre subséquemment des effets positifs sur la performance au travail. Cet état de l’art indique également que l’humeur influence le développement du sentiment d’auto-efficacité dès lors qu’une tâche ou une activité est bien maîtrisée. Il s’appuie par ailleurs sur les recherches de Wright et Cropanzano (2000) qui montrent l’influence positive du bien-être psychologique sur la performance au travail. Il s’agit de la propension de l’individu à ressentir des émotions positives et non des émotions négatives. Dans ce cas, le bien-être psychologique s’apparente à une orientation générale, en l’occurrence à l’humeur. Mitchell et Daniels (2003) concluent néanmoins à l’ambiguïté des résultats de recherche. Certains ont trouvé que les affects résultaient de la performance – les émotions et humeurs seraient consécutives à la réussite, à la réalisation des objectifs – et d’autres, que les affects influenceraient la performance. Ils suggèrent que les recherches à venir considèrent l’existence d’une relation réciproque entre les affects et la performance. Pour ce faire, il

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serait nécessaire d’identifier clairement les affects qui influencent la performance, de ceux qui en dépendent. La seconde voie de recherche exige des études plus poussées du rôle des affects négatifs (ex. anxiété, frustration) dont les effets sur la performance sont insuffisamment connus à ce jour. La naissance des concepts de motivation et de satisfaction au travail est étroitement liée au développement du concept de performance au travail. Les résultats de recherche sur ces deux concepts ont abouti à des conclusions parfois convergentes, parfois divergentes, selon les périodes et les avancées de la connaissance. A ce titre, il est important de noter que pour Brigitte Charles-Pauvers, Nathalie Commeiras,Dominique

Peyrat-Guillard et Patrice Roussel (2006), depuis Taylor et Fayol, la performance est un objet de recherche fondamental des auteurs en théorie des organisations. Chez Taylor, l’homme est un « flâneur », il n’est pas disposé de lui même à travailler dur pour une entreprise ou une organisation. Il faudrait par conséquent le contrôler et le motiver. Cette proposition sous-tendrait que les concepts de motivation et de traits de personnalité s’opposeraient. Le premier interviendrait pour remédier aux déficiences suscitées par le second. Cette idée est remise en cause avec l’émergence du courant des relations humaines. Avec lui, l’analyse des déterminants de la performance au travail se focalise sur les attitudes et les comportements humains dans les organisations. Les travaux des années 1920-1930, sur l’effet Hawthorne par Elton Mayo et ses collègues à la Western Electric Company, et sur la dynamique des groupes par Lewin et ses collègues, posent les premiers principes selon lesquels la motivation et la satisfaction au travail seraient des déterminants individuels importants de la performance au travail. La mise en relation de la motivation au travail avec la performance est de plus en plus examinée au cours des années et aboutit à l’une des théories de la motivation les mieux adaptées à l’étude du phénomène : la théorie des attentes (Vroom, 1964). Avec cette théorie, la notion de « motivation à être performant » devient couramment utilisée. La performance au travail sera même centrale dans l’extension de la théorie des attentes proposée par Porter et Lawler (1968). La motivation apparaît dans le modèle théorique de ces deux auteurs comme le déterminant essentiel de la performance. Elle explique l’orientation des efforts de l’individu dans son travail, ainsi que l’intensité des efforts qu’il déploie et de leur permanence dans le temps. « Faire des efforts significatifs pour faire un bon travail » serait la traduction observable d’un comportement motivé dans le travail. Ce comportement résulterait en performance, à condition que l’individu, d’une part, dispose des capacités pour atteindre les objectifs de performance attendus par l’organisation, d’autre part, perçoive adéquatement son rôle dans l’organisation. Puis, si les performances réalisées génèrent des récompenses intrinsèques et extrinsèques, un sentiment de satisfaction ou d’insatisfaction apparaîtra. Ce sentiment dépendra de l’équité ressentie à l’égard des récompenses intrinsèques et extrinsèques obtenues. Le modèle théorique s’achève par une boucle de rétroaction montrant que le sentiment de satisfaction éprouvé à l’égard des expériences de travail à un instant donné,

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conditionne les perceptions futures qui motiveront l’individu à orienter ses efforts pour être de nouveau performant. Les principales théories de la motivation au travail poursuivront ce travail de compréhension et de modélisation de l’influence de la motivation sur la performance. D’autres cheminements que ceux proposés par Vroom, Porter et Lawler seront développés dans le cadre de perspectives théoriques concurrentes. Parmi les plus étudiés, les travaux sur la fixation des objectifs, développés entre 1968 et 1981 par Locke, suggèrent que la nature des objectifs fixés à l’individu explique l’orientation, l’intensité et le maintien de ses efforts dans le travail (Locke & Latham, 1990). La théorie de la fixation des objectifs énonce les différentes conditions de définition des objectifs aux salariés qui conduisent à la motivation, puis à la performance au travail : précision des objectifs, difficulté, intensité, sens et clarté du contenu, feed-back, transparence de l’information initiale, récompenses associées, soutien de l’encadrement, cohérence avec ses propres capacités perçues par l’individu. Les mécanismes qui transforment la motivation en performance sont de quatre ordres selon cette théorie (Locke et al., 1981). Parmi les résultats empiriques observés sur cette théorie, deux méta-analyses ont montré le lien positif et élevé entre la difficulté des objectifs et la performance au travail (Mento et al., 1987 et Wright, 1990). Un état de l’art ajoute que la fixation des objectifs montre des liens positifs à la fois avec la performance individuelle, la performance du groupe (équipe) et la performance organisationnelle (Mitchell & Daniels, 2003). Des travaux récents précisent également que le lien entre les objectifs et la performance serait modéré par l’engagement dans les objectifs (goal commitment). Ce modérateur est défini par Tubbs (1994) comme la force de l’attachement d’une personne envers un objectif personnel. Cependant, les premiers résultats sont contradictoires. Une métaanalyse de Donovan et Radosevich (1998) sur 12 études empiriques observe un faible effet modérateur sur le lien entre la difficulté des objectifs et la performance. Celle de Klein et al. (1999) exploite 83 études qui montrent un effet modérateur plus élevé (corrélation moyenne corrigée de 0,23). Une autre question de recherche est discutée sur l’effet combiné des rémunérations et de l’engagement dans les objectifs, sur le lien entre objectifs et performance. Dans leur état de l’art, Mitchell et Daniels (2003) relèvent des résultats décevants. Les premières études empiriques montrent soit un effet négatif de la rémunération, soit un effet nul. Ce même état de l’art analyse les travaux sur l’effet modérateur possible de la complexité des tâches sur le lien entre objectifs et performance. De nombreuses études ont montré un faible effet, voire un effet négatif des objectifs sur la performance lorsque les tâches sont complexes dans le travail. La même analyse est faite dans le cas de nouvelles tâches affectées dans un emploi. Il est suggéré alors que les stratégies développées pour réaliser les tâches auraient un effet positif. Dans les cas de tâches complexes et nouvelles, travailler « intelligemment », plutôt que « durement », conduirait à de meilleures performances. Un second courant de recherche rencontre un fort engouement dans les travaux sur la motivation et la performance au

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travail. Il s’appuie sur les travaux de Bandura (1986, 1997) qui proposent notamment, de considérer le sentiment d’auto-efficacité et le processus individuel d’autorégulation comme permettant d’accroître et de soutenir les efforts par l’intermédiaire d’objectifs nouveaux et difficiles choisis par l’individu. Le concept d’auto-efficacité décrit le sentiment ou les croyances de l’individu à l’égard de ses propres capacités à mobiliser sa motivation, ses ressources cognitives et les types d’actions nécessaires pour satisfaire aux exigences d’une situation donnée. Ce concept suggère que les entreprises devraient encourager toutes formes d’organisation du travail, de style de management, de changements de comportements individuels, de développement des compétences, qui permettraient de favoriser le sentiment d’autoefficacité et l’amélioration des capacités d’autorégulation. En effet, le sentiment d’autoefficacité aurait un effet positif sur la performance au travail. Deux méta-analyses observent des niveaux de corrélation moyens relativement élevés entre l’auto-efficacité et la performance (0,37 pour Hysong & QuiNones, 1997 ; 0,38 pour Stajkovic & Luthans, 1998). Néanmoins, certaines recherches soulignent que le sentiment d’autoefficacité pourrait ne pas prédire correctement la performance, la corrélation ne constatant qu’un lien réciproque entre deux phénomènes. L’auto-efficacité serait liée aux compétences, aux aptitudes mentales et à la qualité d’être consciencieux. L’une ou l’autre de ces variables peut agir positivement sur la performance et toutes peuvent se combiner pour produire des performances élevées (Chen et al., 1999). Ou encore, le sentiment d’auto-efficacité pourrait être généré par l’accumulation d’expériences passées, celles-ci devenant un facteur plus consistant de la performance (Vancouver, etal., 1999). D’autres travaux suggèrent que l’effet serait bien réel (Kanfer & Ackerman, 1996 ; Bandura, 1997). Le sentiment d’auto-efficacité agirait positivement sur les efforts, la persistance à accomplir les tâches, et sur l’attention portée au travail. Tsui & Ashford (1994) montrent que ce sentiment accroît la recherche de feed-back, alors que selon Wood et al. (1999) il conduirait les individus à choisir les stratégies de résolution des tâches les plus efficaces. Ainsi, différents arguments s’opposent sur ce concept. Néanmoins, ses qualités potentielles, les arguments qui plaident en faveur de son influence sur la performance, incitent au développement de nouvelles études. Malgré ces nombreux résultats, nous devons souligner que la plupart des théories de la motivation au travail n’ont pas pour objectif principal d’expliquer la performance au travail. Leur objet premier est de prédire les processus de décision et les choix effectués volontairement par l’individu. Par exemple, dans le modèle théorique de Porter et Lawler, c’est l’effort qui est le type de comportement directement prédit ; dans celui de Locke, c’est la réalisation d’objectifs de travail ; dans celui de Vroom, c’est le choix d’occuper tel type d’emploi. L’analyse des conséquences de ces comportements sur la performance vient dans un second temps, avec plus ou moins d’acuité. Ainsi, à ce jour, l’évolution des théories de la motivation au travail ne remet pas en cause le rôle fondamental de la motivation de l’individu dans le processus comportemental qui le conduit à être, ou non,

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performant. Les avancées de recherche se penchent actuellement sur la conception de modèles théoriques intégrateurs de la motivation au travail (Klein, 1989 ; Locke, 1991 et 1997 ; Mitchell et Daniel, 2003 ; Meyer et al., 2004). L’objectif est de parvenir à articuler les principales théories de la motivation au travail pour expliquer les comportements de l’individu dans les organisations. Chaque théorie apporte une explication partielle à ces comportements et se place plus ou moins en amont, ou en aval, du processus qui conduit l’individu à être ou non performant. Ces modèles intégrateurs sont généralement complexes. Ils reflètent, d’une part, l’abondance des travaux de recherche et la très grande fragmentation des résultats empiriques, d’autre part, l’extrême diversité des courants théoriques qui soit se complètent, soit s’opposent. Parmi ces modèles, celui de Mitchell et Daniels (2003) présente l’avantage d’être très synthétique et de parvenir à intégrer de façon très globale les différents apports théoriques des théories de la motivation au travail. Ce modèle décrit les trois processus psychologiques qui interviennent dans le déroulement de la chaîne séquentielle de la motivation : - Le premier est la composante de déclenchement du comportement. Celui-ci est causé par des besoins ou le désir d’objet ou d’état (ex. réalisation de soi) partiellement satisfaits. L’attrait pour un objet ou un état, ou encore un écart à combler par rapport à des attentes non réalisées, déclenche un comportement ou un ensemble d’actions. Ce processus est particulièrement bien expliqué dans les théories des besoins, mobiles et valeurs (Maslow, Alderfer, Herzberg notamment). - Le second est la composante directionnelle du comportement. Les buts sont dans ce cas considérés comme des exemples types de directions fournies aux individus ou que ces derniers se fixent à eux-mêmes pour guider leurs actions. Ce processus fait notamment l’objet des travaux de Locke sur la théorie de la fixation des objectifs.

- Enfin, la composante d’intensité d’un comportement représente l’effet de l’importance d’un besoin ou de la difficulté d’un objectif sur le comportement individuel. Elle est présente dans la plupart des théories de la motivation (ex. la hiérarchisation des besoins chez Maslow, la valence d’un objet, d’un résultat ou d’un état chez Vroom, la difficulté des objectifs chez Locke).

Les résultats de ce processus motivationnel sont la mise en œuvre de comportements spécifiques. La motivation permet de focaliser l’attention des individus sur une action déterminée, sur des personnes, ou sur des tâches particulières. Elle est alors productrice d’efforts (physiques, intellectuels, mentaux). Ainsi, la motivation se traduit-elle par le déclenchement, l’orientation, l’intensité, mais aussi la persistance, des efforts vers la réalisation de buts personnels. Enfin, la motivation résulte dans des stratégies de réalisation de tâches, c’est-à-dire des schémas de comportements ou des tactiques qui permettent de réaliser les objectifs définis. Puis, le processus motivationnel se prolonge par un résultat direct, la performance. Le modèle de Mitchell et Daniels (2003) montre la

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complexité du processus motivationnel, qui s’articule à la fois des variables individuelles et des variables contextuelles, mises en relation dynamique, et qui engendre la performance au travail. Ainsi, être performant dans le travail nécessite d’être notamment motivé, c’est-à-dire de mettre en action des efforts, de les orienter vers les objectifs attendus par l’organisation, de les déployer avec intensité et de persister dans ce déploiement d’efforts. Donc, dans la genèse de la performance, l’activité professionnelle peut jouer un rôle important et c’est la raison pour laquelle cette étude se réalise sur les arbitres qui exercent une profession considérée comme exposée à plusieurs facteurs. Etant donné que cette étude s’inscrit dans le prolongement des recherches réalisées en milieu du football, comme nous l’avons souligné plus haut, nous allons de ce fait résumer l’essentiel de quelques-unes de ces recherches. C’est ainsi que Demer (1999 & 2000) a mené une étude sur les connaissances des lois du jeu comme facteur déterminant de l’amélioration de l’arbitrage. L’hypothèse générale qui a guidé la réalisation de cette étude est que les associations nationales (les Fédérations) en tiennent compte dans l’évaluation et la promotion de leurs arbitres. Pour lui, la connaissance des lois influence autant que la condition physique, la qualité de l’arbitrage. L’amélioration de la prestation des arbitres implique qu’ils maîtrisent d’abord en théorie les lois du football. Enfin, l’importance des qualités techniques apparaît dans le programme Futuro III de la FIFA. Ce programme recommande fermement que les lois du jeu soient connues de bout en bout par les arbitres pour une meilleure interprétation, ce qui gage d'une bonne prestation. Il ne doit y avoir de doute dans l'interprétation des lois. Donc, conformément à la problématique générale de cette étude, le sentiment de ne pas pouvoir maîtriser les lois du football peut avoir une incidence sur la performance de l’arbitre. Dans le même esprit, Maria (2003), a, pour sa part, utilisé l’approche psychologique de la préparation des arbitres, qui pour lui est un facteur important qu’il faut prendre en compte pour l’amélioration de la production de l’arbitre. Pour lui les notions telles que personnalité, cohérence, confiance, concentration etc., sont des éléments psychologiques qu’il faut considérer dans la recherche de l’amélioration de la performance de l’arbitre. Aussi préconise-t-il que des spécialistes de la psychologie interviennent dans la préparation des arbitres comme il en existe dans la préparation physique. Il place donc la condition physique de l’arbitre dans les facteurs déterminants de sa performance. II. PROBLEMATIQUE La revue de la littérature qui vient d’être présentée montre que les arbitres, notamment les arbitres de football, sont confrontés souvent à de contraintes multiples ou facteurs qui peuvent avoir un impact positif ou négatif sur leurs performances. L’étude de Brigitte Charles-Pauvers, Nathalie Commeiras, Dominique Peyrat-Guillard et Patrice Roussel(2006), montre que l’arbitre, est comme un athlète, qui va ressentir des émotions positives et négatives, qui sont susceptibles d’avoir une influence sur sa performance, notamment sur les décisions qu’il va être amené à prendre.

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L’objectif de ce chapitre est de conduire à une prise de conscience de l’influence des émotions sur la performance des arbitres, et à en comprendre les mécanismes pour pouvoir réduire les biais que cela peut engendrer. Pour ceci, les notions voisines de stress, d’évaluation, de stratégie d’efficacité du coping seront abordées et discutées, pour aboutir à la présentation d’un outil original destiné aux organismes de formation ainsi qu’aux arbitres. Cet outil, construit à partir d’une synthèse de l’analyse de la littérature scientifique sur le sujet, utilisé comme un débriefing émotionnel après un match, aura pour but d’aider à prendre conscience de l’influence des émotions sur les décisions de l’arbitre, et pourra servir de point de départ à une réflexion et une discussion avec des collègues ou des superviseurs. Il est important de souligner que la performance, selon Motowidlo (2003), n’est ni un comportement à part entière, ni simplement le résultat de comportements, c’est une propriété du comportement. Elle est la valeur attendue par l’organisation de ce que réalise l’individu dans son travail. Plus précisément, l’organisation attribue de la valeur aux comportements qui l’aident à atteindre ses objectifs de productivité, de créativité, de profitabilité, de croissance, de qualité, de satisfaction des clients, etc. En effet, si l’on assimile la performance seulement aux résultats de l’individu, on prend le risque d’ignorer les facteurs contextuels qui aident ou freinent l’individu dans la réalisation de son travail (disponibilité et qualité des équipements, décisions stratégiques et opérationnelles hors de contrôle de la personne, situation du marché). Dans cette définition, c’est la part et l’orientation de la contribution individuelle aux résultats collectifs qui est finalement reconnue. Par ailleurs, cette définition accepte l’idée qu’une personne ayant des résultats insatisfaisants, mais donnant le maximum de son énergie, de sa disponibilité et de ses compétences pour atteindre les objectifs attribués par l’entreprise, pourra être considérée comme performante si les raisons de son échec lui échappent totalement. La position de Motowidlo (2003) quant au statut conceptuel de la performance individuelle au travail, en l’occurrence, la performance considérée comme une propriété plutôt qu’un résultat du comportement, est une hypothèse. Les travaux de recherche sont loin d’être unanimes à l’égard de cette approche. La revue de littérature proposée ici, le montrera. Néanmoins elle marque une avancée significative dans la connaissance du concept et devrait servir pendant plusieurs années, de point de repère pour les discussions, les tests empiriques, et les contre-propositions théoriques. L’intérêt de retenir une définition qui s’intéresse à la propriété du comportement est de permettre une meilleure compréhension des déterminants psychologiques de la performance. Cette définition induit que la performance est liée à des déterminants individuels et évite de créer « une boîte noire » entre des facteurs psychologiques et des résultats de performance. Par ailleurs, cette définition s’inscrit dans un courant récent qui vise à aborder les propriétés comportementales de la performance selon une perspective multidimensionnelle. En effet, les travaux de recherche se sont essentiellement focalisés, historiquement, sur les liens de causalité entre

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un déterminant psychologique, parfois quelques uns, et la performance au travail. Depuis les travaux de Campbell (1990), la recherche tente d’adopter des perspectives intégratives, en essayant de rassembler et d’analyser l’ensemble des connaissances sur ces liens, en vue de proposer des modèles multi-factoriels des propriétés comportementales de la performance au travail. Le modèle de Campbell constitue la seconde approche conceptuelle qui nous retenons dans cette étude. Il permet de situer l’état de la connaissance du domaine et d’identifier les déterminants psychologiques majeurs de la performance au travail, à partir d’une meilleure compréhension des propriétés comportementales de la performance au travail. Notre propos dans cette recherche est d’examiner les conditions de certaines de ces expériences, qui nous permettront de nous interroger sur les facteurs susceptibles d’influencer les performances des arbitres de football. Autrement dit, quels sont les facteurs qui peuvent influer sur les performances des arbitres de football ? L’intérêt de cette recherche est donc de rechercher les facteurs susceptibles d’influer sur les performances des arbitres Gabonais de football. III. METHODOLOGIE III.1. Sujets

L’enquête a été réalisée au Gabon dans les ligues de football de l’Estuaire, Woleu-Ntem, de l’Ogooué Maritime et du Haut-Ogooué. Les données ont été recueillies sur le lieu de travail auprès de 24 arbitres qui, en fonction de leur disponibilité, ont accepté de participer à notre enquête ; c’est donc un échantillon tout-venant. Ils sont âgés de 24 à 34 ans, soit une moyenne de 29,52 ans et leur ancienneté est comprise entre 8 et 18 ans, soit une moyenne de 6,19 ans. III.2. Instruments de collecte de données

Pour évaluer le stress professionnel, nous avons eu recours à une échelle de mesure de type Likert qui s’intitule « Profil personnel du stress » mis au point par Kiev et Kohn (1979, rapporté par Turcotte, 1982, p. 71). Quant à sa structure, il comprend des échelles d’attitudes de type Likert mesurant, les différents facteurs susceptibles d’influer sur les performances des arbitres de football officiant dans le championnat de première division du Gabon. Pour ce qui est de ces facteurs, nous avons les échelles suivantes :

- Les facteurs psychologiques (12 items) ; - Les facteurs physiques et techniques (14 items) ; - Les facteurs morphologiques (9 items) ; - Les facteurs sociaux (9 items).

Chaque échelle comprend entre 9 et 14 énoncés (ou items). On demande aux sujets de donner leur degré « d’accord » ou de « désaccord » avec ces énoncés en fonction de leur métier ou profession actuelle. Ils y répondent à l’aide d’une échelle en quatre points : pas du tout d’accord (1) ; plutôt pas d’accord (2) ; plutôt d’accord (3) ; d’accord (4).

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IV. RESULTATS Les données recueillies ont été traitées à l’aide du logiciel PHNX LEXICA 2000 grâce auquel nous avons réalisé les analyses suivantes : la statistique descriptive, l’analyse corrélationnelle et la régression multiple. IV.1. Statistique descriptive La statistique descriptive qui a été effectuée, nous a permis de comparer les scores moyens des différentes variables mesurées, afin d’évaluer leur contribution dans la variance expliquée, par rapport à la problématique développée. Le tableau 1 donne un aperçu des résultats obtenus à cet égard. Tableau n°1 : Les facteurs susceptibles d’influencer les performances des arbitres : les facteurs psychologiques (N=24).

Variables mesurées : Facteurs psychologiques Effectifs Pourcentage

1-La maitrise émotionnelle 16 66.66%

2-La gestion du stress 20 83.33%

3-La peur de commettre une faute 17 70.84%

4-Confiance en soi 17 70.84%

5-Capacité de concentration 19 79.1%

6-Dépassement en soi 15 62.5%

7-Peur d’une agression 17 70.83%

8-Angoisse 19 79.17%

Au regard de ce tableau, il apparaît que la distribution des cotations sur l’ensemble des facteurs mesurés semble presque homogène. Cependant, on note une prévalence manifeste, chez les arbitres, de la gestion du stress (effectifs= 20 et pourcentage= 83.33%), par rapport aux autres facteurs. Les arbitres de football considèrent que la gestion du stress est un facteur de premier choix susceptible d’influer sur leurs performances. Comme le stress, ces arbitres considèrent aussi que les autres facteurs consignés dans ce tableau sont susceptibles d’avoir un impact négatif sur leurs performances. Tableau n°2 : Les facteurs susceptibles d’influencer les performances des arbitres : les facteurs physiques et techniques (N=24).

Variables mesurées : Facteurs physiques et techniques

Effectifs Pourcentage

1-Les capacités énergétiques 20 83.33%

2-Les facteurs cardio-vasculaires (endurance, résistance)

19 79.17%

3-Les capacités musculaires 17 70.84%

4- La marche 17 70.84%

5-La course lente 16 66.67%

6-La course modérée 16 66.67%

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7-La course rapide 13 54.17%

8-L’enchaînement des efforts physiques 15 62.5%

9-La qualité des déplacements 16 66.67%

10-La capacité de contrôler l’effort physique 15 62.5%

11-La charge de travail physique 14 58.33%

Parmi les 24 personnes interrogées, 20 sur 24, soit 83.33% déclarent que les capacités énergétiques sont parmi les facteurs physiques et techniques susceptibles d’influencer les performances des arbitres de football. Ensuite viennent les facteurs cardio-vasculaires (79.1%), les capacités musculaires (70.84%). Tableau n°3 : Les facteurs susceptibles d’influencer les performances des arbitres : les facteurs morphologiques (N=24).

Variables mesurées : Facteurs morphologiques Effectifs Pourcentage

1-Le poids 16 66.67%

2-La mase de graisse 19 79.17%

3-L’âge de l’arbitre 22 91.66%

4- La course 14 58.33%

5-La marche 14 58.33%

6-La course lente 17 70.84%

7-La course rapide 13 54.17%

8-La course modérée 14 58.33%

Parmi les facteurs morphologiques susceptibles d’influencer les performances des arbitres de football, nous avons l’âge des arbitres. En effet, sur 24 arbitres interrogés lors de cette enquête, 22 déclarent que l’âge est un facteur susceptibles d’influer sur leurs performances soit 91.66%, après nous avons la masse de graisse (79.17%), la course lente (70.84%), le poids des arbitre (66.67%). Tableau n°4 : Les facteurs susceptibles d’influencer les performances des arbitres : les facteurs sociaux (N=24).

Variables mesurées : Facteurs sociaux Effectifs Pourcentage

1-La situation professionnelle 18 75%

2-La rémunération 22 91.67%

3-Les conditions liées à l’arbitrage 19 79.17%

4- La course 14 58.33%

5-La marche 14 58.33%

6-La course lente 17 70.84%

7-La course rapide 13 54.17%

8-La course modérée 14 58.33%

147

Ce tableau synthétise les pourcentages des facteurs sociaux susceptibles d’influencer les performances des arbitres de football. Ainsi, sur huit facteurs testés, huit sont retenus par les arbitres comme facteurs susceptibles d’influencer leurs performances. A cet égard, on note que le facteur rémunération (effectif= 22, p : 91.67%). Cela laisse à penser que la rémunération est un facteur à prendre en considération et susceptible d’avoir un impact négatif au niveau des performances des arbitres de football. Ensuite nous avons les conditions liées à l’arbitrage (79.17%), la situation professionnelle (75%), la course lente (70.84%). L’analyse inférentielle que nous allons effectuer, va nous permettre d’apprécier les liens que les différents facteurs mesurés entretiennent avec la performance des arbitres. Tableau n°5 : maitrise émotionnelle et sexe (24 observations)

Sexe Variable maitrise émotionnelle

Non Réponse

Masculin Féminin

Total

Non Réponse 0 1 0 1

1. D’accord 0 10 1 11

2. Plutôt d’accord 0 4 0 4

3. Plutôt pas d’accord 0 2 0 2

4. Pas du tout d’accord 1 4 1 6

Total Observation 1 21 2 24

NB. Les valeurs du tableau sont les moyennes calculées sans tenir compte des non-réponses. Aucun critère ne permet de discriminer les catégories. Les nombres en couleurs correspondent à des moyennes par catégorie significativement différentes (test t) de l'ensemble de l'échantillon (au risque de 5%). La dépendance n’est pas significative. Chi2=9, ddl=8, 1-p=69%. Au regard de ce tableau, il apparaît qu’il n’existe pas de lien entre la maitrise émotionnelle et le sexe. On note aussi que la distribution des cotations sur l’ensemble des variables semble presque homogène. Cependant, on note une prévalence manifeste, chez les arbitres de football, de « d’accord (10), par rapport aux autres modules. C’est-à-dire que les arbitres de football reconnaissent que l’émotion est un facteur susceptible d’influencer leurs performances. Ce qui vient conforter notre hypothèse n°1 selon laquelle : Plus l’arbitre est émotif, plus ses performances en arbitrage sont négatives. Nous reproduisons sur le graphique n°1, ci-après, le tracé de ces scores moyens.

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Ce graphique illustre les scores moyens des modalités mesurées. Ainsi, comme, on peut le voir, à travers l’allure de sa courbe, la distribution de ces scores permet de distinguer nettement la modalité « d’accord », puisqu’il se positionne en haut la courbe. Tableau n°6 : Contrôle de l’effort physique et sexe (24 observations)

Sexe Variable Contrôle de l’effort physique

Non Réponse

Masculin Féminin

Total

1. D’accord 0 8 1 9

2. Plutôt d’accord 0 5 1 6

3. Plutôt pas d’accord 0 3 0 3

4. Pas du tout d’accord 1 5 1 6

Total Observation 1 21 2 24

Arbitres de football accordent donc une importance de premier choix à la capacité de contrôler leur effort physique, afin de prouver leur capacité à mieux officier les matchs de football. Pour ces arbitres, lorsqu’on n’est pas prêt physiquement, cela peut avoir des répercussions sur leurs performances sur le terrain de football. Nous reproduisons sur le graphique n°2, ci-après, le tracé de ces modalités.

'Maîtrise émotionnelle' x 'Sexe'

10

0 0 0

1

0 0

1

10

4

1

5

0

1

0

1

0

Non réponse D'accord Plutôt d'accord Plutôt pasd'accord

Pas du toutd'accord

Non réponse M F

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L’allure du tracé de scores moyens montre que les arbitres de football sont unanimes pour dire que l’effort physique est un facteur susceptible d’influencer les performances de ces derniers. C’est un facteur déterminant dans leurs performances » Ces résultats permettent de conforter notre hypothèse n°2 selon laquelle : « Plus la préparation physique est mal faite, moins il sera performant ». L’analyse corrélationnelle que nous allons effectuer, va nous permettre d’apprécier les liens que les différents facteurs mesurés entretiennent entre eux, d’une part, et avec la motivation à exercer les métiers traditionnellement réservés aux hommes, d’autre part. Tableau n°7 : Matrice de corrélations entre les facteurs mesurés (V.I.) et

la performance des arbitres (V.D.), chez les arbitres de football (n= 24).

Facteurs susceptibles d’influencer les performances des arbitres (V.I.)

Facteurs sociaux (V.D.) r

1- Facteurs psychologiques 0,17 ns

2- Facteurs physiques et techniques 0,20 ns

3-Facteurs morphologiques 0,03 ns

ns : r non significatif. De ce tableau, il ressort que, dans l’ensemble, les facteurs sociaux (V.D.) sont corrélés de manière significative avec les facteurs susceptibles d’influencer les performances des arbitres (V.I.). En considérant donc ces résultats, on peut conclure que les facteurs mesurés affectent de façon significative les performances, chez les arbitres de football. Ce qui nous permet de valider nos trois hypothèses, à savoir : H.1 : Moins l’arbitre est bien formé, plus il éprouvera des difficultés pour officialiser un match de football. H.2 : Plus un arbitre est stressé lors d’une rencontre, plus il a des chances de mal arbitrer une rencontre de football. H.3 : Moins il a l’expérience, plus il aura tendance à mal officier un match de football.

'Contrôle de l'effort physique' x 'Sexe'

9

0 0 0 0

1

9

5

3

4

0

1

0

1

D'accord Plutôt d'accord Plutôt pasd'accord

Pas du toutd'accord

Non réponse M F

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En effet, ces résultats montrent que les facteurs susceptibles d’influencer les performances des arbitres ont été mesurés ici ont une incidence sur les performances de ces arbitres de football. V. DISCUSSION DES RESULTATS A la lumière des résultats qui viennent d’être présentés, il ressort le constat suivant : premièrement, la statistique descriptive indique que la distribution des cotations sur l’ensemble des variables mesurées est presque homogène. Néanmoins, on observe une prévalence manifeste de la gestion du stress, des capacités des arbitres de football. Ainsi, ces arbitres ont tendance à mettre en exergue la gestion du stress dans l’exercice de leur métier, afin de ne pas entraver leurs performances. Effet, comme le souligne Brigitte Charles-Pauvers, Nathalie Commeiras, Dominique Peyrat-Guillard et Patrice Roussel (2006), parmi les déterminants psychologiques, la motivation, la satisfaction, l’implication s’avèrent essentielles pour expliquer le processus de la performance au travail. On dira qu’une personne est considérée comme motivée, lorsqu’elle fournit les efforts nécessaires à l’accomplissement d’une tâche et qu’elle adopte des attitudes et des comportements lui permettant d’atteindre les objectifs de l’organisation, ainsi que ses propres objectifs. Les arbitres de football de première division, doivent donc faire face au stress, aux émotions, doivent s’entretenir physiquement et énergétiquement pour que leurs performances ne soient pas influencer par ces facteurs. En prenant en compte ces facteurs, ils vont s’imposer et construire un projet personnel et professionnel dans l’arbitrage. C’est, dans ce sens que les théories de l’autorégulation, à l’instar de celle de Locke (1968, cité par Louche, op. cit.) soutiennent que les buts constituent un déterminant essentiel de la motivation, puisqu’ils dirigent l’attention et mobilisent les efforts. Dans le même ordre d’idées, ces résultats montrent que les arbitres de football ont une perception assez positive des facteurs psychologiques, des facteurs physiques et techniques, des facteurs morphologiques et des facteurs sociaux. Les arbitres n’énoncent pas seulement les facteurs sociaux comme facteurs susceptibles d’influencer leurs performances, d’autres facteurs comme les facteurs environnementaux, les aptitudes à exercer le métier d’arbitre ont un impact sur la performance Ici, on s’inscrit dans la théorie de TR Mitchell et D. Daniels (2003), qui stipule que le processus motivationnel n’explique pas à lui seul la performance, mais il le place au centre des facteurs qui interagissent. La première interaction est celle de la motivation et des habiletés. Sans les aptitudes à occuper son poste, un individu très motivé n’obtiendra probablement pas toutes les performances recherchées. Deuxièmement, l’analyse inter corrélationnelle des différents facteurs susceptibles d’influencer les performances des arbitres, révèle que les arbitres des ligues provinciales que nous avons interrogé lors de cette enquête mettent en exergue comme facteurs pouvant influencer leurs performances : les facteurs morphologiques qui se traduisent par : la taille, le poids, la masse de graisse, la course, la marche, la course lente, la course

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modérée, la course rapide et l’âge de l’arbitre (r= 0,43, p<0,05). Par ailleurs, l’analyse corrélationnelle fait apparaître qu’il n’y a aucun lien significatif entre la motivation à exercer le métier d’arbitre et les facteurs susceptibles d’influencer les performances des arbitres de football. Il est donc visible ici que ces facteurs ne sont pas de nature à prédire de façon significative la motivation, ou l’implication, chez les arbitres de football des ligues provinciales que nous avons interrogé, à exercer. D’autres facteurs que ceux mesurés dans cette étude doivent être recherchés pour expliquer cette motivation. Troisièmement la synthèse de l’analyse de la Régression multiple réalisée, en vue de tester l’effet des différents facteurs susceptibles d’influencer les performances des arbitres, montre que cet effet est nul, puisqu’aucune valeur bêta ne s’est révélée significative. Ce qui confirme les résultats de l’analyse corrélationnelle. CONCLUSION Au terme de cette étude portant sur la recherche des facteurs influant sur la les performances des arbitres des ligues provinciales interrogés, nous sommes parvenue au constat selon lequel les arbitres de football, ont tendance à mettre en exergues des facteurs psychologiques, des facteurs physiques et techniques, les facteurs morphologiques et des facteurs sociaux, donc si on veut que les performances des arbitres ne soient pas impactées, il faut prendre en considération tous ces facteurs afin de leurs permettre d’évoluer dans des conditions meilleures.. Cette prise en compte de ces facteurs dans l’exercice de leur métier leur permettrait d’avoir plus de confiance en eux, en développant des ressources personnelles, de façon à pouvoir mieux officialiser les rencontre de football. Ce qui constitue pour eux une source de motivation focale. Dans le même ordre d’idées, ces arbitres ont une perception assez positive des facteurs sociaux dans l’exercice de leur métier. Par ailleurs, les arbitres des ligues provinciales que nous avons interrogés mettent en exergue comme facteurs pouvant influencer leurs performances : les facteurs morphologiques. Cependant, nous sommes conscients des limites de cette recherche : nous n’avons pas certainement cerné suffisamment les facteurs influant sur les performances des arbitres de football. C’est ce qui n’a pas permis d’apprécier de façon rigoureuse leur incidence sur les performances de ces arbitres. Ensuite, la taille de l’échantillon réduite à 24 arbitres limite la portée de nos résultats ; nous ne pouvons que les relativiser. Quant aux perspectives de la recherche, nous pensons, par exemple, qu’il serait intéressant de combler les lacunes constatées dans cette étude, en inventoriant de manière exhaustive les facteurs susceptibles d’influencer les performances, au lieu de se limiter à quatre, en s’efforçant d’intégrer les dimensions de la vie hors travail (charges familiales etc.) qui peuvent aussi influencer les performances des arbitres, essayer d’élargir notre population en incluant les autres ligues de football du Gabon.

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Linguistique

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SANKOFA N° 6, juin 2014, pp.156-167 ISSN : 2226-5503

LE NOM EN AVIKAM : DESCRIPTION MORPHOPHONOLOGIQUE ET SYNTAGMATIQUE

KOUAME Yao Emmanuel, Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody

Département des sciences du Langage

RESUME : Considéré comme le noyau d’un syntagme, le nom est en avikam soumis à des caractéristiques morphologiques et phonologiques. Il peut, à ce titre, varier en relation avec les autres éléments d’un énoncé ; en l’occurrence les phénomènes d’élision vocalique et les mouvements tonals. Mots clés : morphologie, phonologie, syntagme, nom, variation, tonal. ABSTRACT: Considered as the core of a phrase, the name is Avikam subjected to morphological and phonological features. It may, as such, vary in relation to the other elements of a statement, in this case the phenomena of vowel elision and tonal movement. Keywords: morphology, phonology, phase, name, change, tonal.

INTRODUCTION Le nom est un morphème lexical qui permet de nommer. Il signifie l’être ou la chose. Le nom en avikam subit une variation de forme au contact des autres éléments de la phrase. Ce cas morphologique s’accompagne de modifications intéressantes de ton. Syntagmatiquement, le nom peut être ou non marqué. On le trouve dans les patronymes, les toponymes. Par ailleurs, il y a plusieurs types de syntagmes : déterminatif, complétif, épithétique. I. VARIATION DU NOM Les mots en relation dans un énoncé c’est-à-dire dans un syntagme sont soumis à des phénomènes morphologiques et phonologiques.

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I.1- Dans les syntagmes

Observons ce qui suit. Il apparait que, dans les syntagmes, certaines voyelles disparaissent au contact d’autres voyelles. Ce phénomène observé est l’élision vocalique. C’est un fait qui, comme dans beaucoup d’autres langues kwa, est attestée en avikam. Elle affecte l’une des voyelles V1 et V2 à la frontière syntaxique de deux mots V1 étant la voyelle finale du premier mot et V2 la voyelle initiale du second :

(1) msɔ bàɟɔɲálέ m ésɔ bàɟɔ εɲá lέ Mon poulet Badjo viande Déf La viande de badjo. àsɔ à έsɔ àdɔdɔlέ Ton poulet àdɔ έdɔ lέ Adoh village Déf έsɔtjεlέ Le village d'Adoh έsɔ εtjε lε Maison chien Déf Le chien de la maison L’élision vocalique est aussi présente dans la composition des noms, elle affecte par conséquent les noms composés. Qu’en est-il ? Le corpus suivant montre la formation d’un nom à partir de la composition de deux noms : la voyelle V2 tombe en faveur de V1. V1V2 → V1

(2) έfúzúsɔ έtjέbà... έfúzú + έsɔ έtjέ + έbá Maison de Dieu Petit chien Église Chiot amãgòzĩ sàkàbũ ámãgò + ézĩ sàkà + èbũ Arbre de mangue Champ de riz manguier rizière dόtεsɔ èbáiúsɔ dόtε + εsɔ èbájú + εsɔ maison du docteur Maison d’accouchement hopital maternité L’observation des exemples en (2) montre que jusqu’à présent c’est la voyelle V2 qui tombe. Mais en élargissant les recherches nous avons pu voir que dans certains cas la voyelle V1 tombait. C’est entre autres le cas entre une conjonction et un nom à initiale vocalique, l’élision s’applique non plus à droite mais à gauche affectant la voyelle finale de la conjonction, c’est-à-dire V1. C’est exactement ce qui arrive lorsqu’entre

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deux noms ou pronoms ou encore entre un nom et un pronom ou même entre deux adverbes intervient le morphème de relation « má » ‘et’. La voyelle du morphème s’élide. Constatons le dans le corpus ci-dessus : V1V2 → V2 (3) εtjέmáwá àmέmέsɔ-sà εtjέ má áwá àmέ má έsɔ-sà Chien conj. lpl Moi conj. Coq Un chien et nous. Un coq et moi.

ɲɔmεbá έmrέlε mεtjέ

ɲɔ má εbá έmrέlε má εtjέ lέ Eux conj. enfant Chèvre Dét conj. Chien Dét un enfant et eux. la chèvre et le chien

έsámmézúvĭ ávázù ménám

έsám má ézúvĩ ávázù má έnám bas conj. Haut Devant conj. derrière En haut et en bas Devant et dernière. Dans les phrases complètes à structure (S+ V+ O) sujet verbe objet, nous avons pu constater que l’élision vocalique se réalisait sur toutes les voyelles à l’exception de la voyelle « a ». Quelle que soit sa position fut-elle V1 ou V2. (4) líkpĭbaέsε mãlàbídjãsε líkpĭ bà έsε mã là ábídjã εsέ Le roi arrive demain. J’irai à Abidjan demain jávĭràpápáεsέ àkpròjué já vĭrà pápá εsέ à kprò éjué Elle attend papa demain. Tu laves le mortier εtjiέàráɲá básáàɲɔsɔ εtjiέ à rá εɲá básá à ɲɔ έsɔ le chien mange de la viande la fille boit de l’eau Les exemples ci-dessus nous montrent que la présence de la voyelle « a » à la frontière de deux mots empêche l’élision. Et jusqu’ici, nous n’avons remarqué le phénomène d’élision qu’à la juxtaposition entre V1 et V2. L’élision de V2 est conditionnée par sa juxtaposition à V1. Mais la dissociation nucléaire peut se produire bien que V2 soit précédé d’une consonne. Les faits ci-dessous illustreront cela : (5) msɔ m έsɔ Mon poulet.

jácksɔ jack έsɔ La maison de Jack.

mãlíkbòm màlík ébòm

paultjiέàráɲã Paul εtjiέ à rá έɲã

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Le champ de Malick. Le chien de Paul mange de la viande. L’élision dans cette langue est typiquement de nature morphologique. Les variations en ce qui concerne la formation du pluriel ne sont pas constatées. Tout simplement parce que la formation du pluriel des noms se fait par l’ajout du morphème « ɔ ». Les variations sont aussi présentes au niveau des schèmes tonals. Les quelques recherches effectuées confirment les travaux effectués par Krotoum-Maï Traoré sur la morphologie de l’avikam.61

1.2. La variation au niveau tonal L’avikam possède deux tons ponctuels: Haut (H) et Bas (B) ainsi que deux tons modulés Bas-Haut (BH) et Haut-Bas (HB). Dans certaines de leurs occurrences, les tons ponctuels H et B sont soumis à des règles de mouvement tonal. 1.2.1. La règle de copie tonale Le ton à l’initiale d’un nom influence celui du verbe qui le précède. A l’accompli, le ton de la dernière (ou unique) syllabe de la base verbale tend à copier celui devenu flottant de la voyelle initiale élidée de l’unité qu’elle précède. (6) mɲɔsɔ m ɲɔ έsɔ 1sg attrapé + ACC poulet J’ai attrapé un poulet.

lávrí gbísɔ lávrí gbí έsɔ Lavri tuer+Acc poulet Lavri a tué un poulet.

àzɔgbĭtjέ àzɔ gbĭ εtjέ Azoh tuer + Acc chien Azoh a tué un chien.

Cette règle de copie tonale rencontre aussi des exceptions pour lesquelles il est difficile de trouver une explication satisfaisante. (7) éwúléwrɔdόmrínè éwú lé wrɔ èdόmrí nè os def bruler + Acc nuit det L’os a brûlé une nuit. èsràsɔlédá è srã έsɔ lέ εdã II demander+Acc maison det prix Il a demandé le prix de la maison.

61 Ahoua Firmin et Leben morphophonologie des langues kwa p.210, 2006

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Un autre phénomène est observable. Le ton de la dernière syllabe ou unique syllabe de la base verbale se réalise différemment de celui qui le suit immédiatement quand le premier est séparé du dernier par une ou plusieurs consonnes. (8) lavrĭgbĩdábù lavrĩ gbĩ dábù Lavri tuer+Acc canard Lavri a tué un canard. ɔnãgrĭgbé ɔ nã grĭgbé 2pl donner+Acc aulacode Vous avez donné un aulacode. málíkĩgbĩbítí málíkĩ gbĩ bítí Malik tuer+Acc margouillat Malik a tué un margouillat. Ces exemples ci-dessus ne sont pas les mêmes que ceux illustrant la règle de copie tonale. Car il n’est pas possible d’avoir des applications différentes d’une même règle, puisque dans le premier cas, les conditions de réalisation ne sont pas les mêmes que dans le second.

1.2.2. Elision vocalique et effacement du flottant A l’accompli, le ton de la dernière (ou unique) syllabe de la base verbale tend à copier celui devenu flottant de la voyelle initiale élidée de l’unité qu’elle précède. Le ton flottant s’efface par la suite. Notons, par ailleurs, que même en cas de non application de la règle d’élision, la règle de copie tonale s’applique sans difficulté. Il semblerait qu’il existe d’autres phénomènes en ce qui concerne les tons et que la connaissance actuelle de la langue ne nous permet pas d’expliquer aisément. Mais nous pensons bien donner satisfaction à ces éléments quand les recherches sur ce plan seront suffisamment approfondies. Dans l’étude de la morphologie nominale, le chapitre qui suit traitera du syntagme nominal afin d’en savoir un peu plus sur les constituants du syntagme nominal en avikam. II. LE SYNTAGME NOMINAL On appelle syntagme nominal, un syntagme constitué d’un noyau éventuellement précédé ou suivi d’un déterminant selon la langue. Par exemple dans les énoncés suivants : (9) εtjέ lέ ɲɔ Sɔ nε Chien det boire+ACC eau det Le chien a bu l’eau.

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málíkĭ jĩ bà Malick être arriver Malick est en train d’arriver. les syntagmes nominaux sont : εtjέ lέ ; sɔ nε ; Malick Partant de cette définition nous pouvons distinguer divers types de syntagmes nominaux : - Ceux qui ne portent pas de morphèmes marqueurs, en d’autres termes les syntagmes nominaux constitués des seules bases lexicales ; - Ceux qui portent des morphèmes marqueurs, c’est-à-dire les noms au sens où Creissels l’entend (base lexicale morphème marqueurs).

Ici nous allons dégager les différents constituants qui composent le syntagme nominal. Ainsi, nous verrons successivement les constituants sans marque du syntagme nominal et les morphèmes marqueurs du nominal. 2.1. Les constituants sans marques du syntagme nominal 2.1.1. Les patronymes On les discerne les énoncés suivants (2) :

(10) Málíkĭ bà tá m kɔ lávrí

Malick venir +ACC moi voir+ACC lavri Malick est venu J’ai vu lavri Les nominaux Malick et Lavri qui sont des patronymes ne portent pas de morphème marqueur. 2.1.2. Les toponymes Ils sont attestés dans les énoncés que voici :

(11) ábíɟã jí dɔ wà Abidjan être ville grande Abidjan est une grande ville mã lε kpãdà Moi aller Kpanda Je vais à Kpanda. Abidjan et Kpanda ne portent pas comme les patronymes de morphèmes marqueurs. 2. 1.3. Les pronoms personnels La forme que prennent les pronoms dans leurs diverses fonctions est déductible de leur forme indépendante. Les formes indépendantes de ces pronoms se présentent comme suit :

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(12) indépendant associatif

le p. sg. ámέ m

2e p. sg. áɣέ à

3e p. sg. éjí è /ε

le p. pl. áwá ò / ɔ

2e p. pl. ãwã ɔ

3e p. pl. ɲɔ ɲɔ

Considérons les énoncés ci-dessous. Tout comme les patronymes et les toponymes, les pronoms personnels ne s’accompagnent pas de morphèmes marqueurs. Le pronom associatif fonctionne comme déterminant d’un syntagme nominal : (12) m kɔ tjε lέ moi voir chien det J’ai vu le chien. wá lε nous partir nous partons. ámέ kέ m kɔ ε lε moi c’est moi voir+ACC lui C’est moi qui l’ai vu. èzĭ il est entré (ACC) εbà il est arrivé (ACC) j-ǎzĭ il entre (INACC) Les pronoms associatifs de 3è personne singulier et de 1ère personne (pl) varient par harmonie vocalique avec le nom qu’il détermine. Ils possèdent avec la 2è personne (pl), une variante consonantique utilisée devant le morphème à initiale vocalique. 2.2. Les morphèmes marqueurs du nominal 2.2.1. La notion de morphème marqueur Nous pouvons pour dire que le terme de morphème marqueur est pris dans le sens de morphème dont les variations paradigmatiques caractérisent un type de constituant syntaxique. L’objet de notre présente étude ne nous autorise pas à nous étendre sur les différentes valeurs possibles que peut recourir la notion de morphème marqueur par exemple au niveau du verbe; nous allons donc nous attacher aux nominaux.

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2.2.1.1 Le défini Le morphème « le » ou « ne » constitue l’unique marque du défini en avikam. L’opposition défini/ non défini n’est indiqué que par sa présence ou son absence. 2.2.1.2. Le générique (13) έtjέ ɲĩ sɔ Chien savoir nager Un chien sait nager. εkpεkɔɲĩ sè gbí lé grĭgbè Chasseur NEG tuer+ACC NEG aulacode Un chasseur n’a pas tué un aulacode Les syntagmes nominaux εkpεkɔɲĩ et έtjέ se réduisent aux seuls lexèmes nominaux, sans marqueurs apparents. En réalité, ces syntagmes nominaux sont affectés du morphème ø. Nous sommes en présence d’énoncé à sens générique si bien que le syntagme nominal se réduit ici à la base lexicale. Qu’en est-il des énoncés spécifiques ? 2.2.1.3. Le spécifique Le spécifique est marqué comme nous le montre les exemples ci-dessous par « lɛ » et « nɛ » : (14) έsɔ nέ ɲlɔ Maison Dét grande La maison est grande. έtjέ lέ wù Chien Dét être mort Le chien est mort. εkpεkɔɲĩ lέ sè gbí lé grĭgbè Chasseur le NEG tuer+ACC NEG aulacode Le chasseur n’a pas tué un aulacode. Il faut rappeler que « lɛ » devient « nɛ » lorsque la base lexicale qu’il suit se termine par une voyelle nasale. Le marqueur du défini se place après la base lexicale. 2.2.2 Le démonstratif Le démonstratif se place après la base lexicale ou avant le morphème marqueur du défini et sert à montrer ce dont il est question. (15) m cɔ císá níní moi aimer pagne démonstratif J’aime ce pagne. m cɔ císá lέ

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J’aime le pagne. cácwε nĩbɔ-ɔ nɛ bjò habit démonst. Det être sale Ces habits sont sales. cácwɛ nĩbɔ-ɔ bjò habit certain être sale Certains habits sont sales. 2.3. Le syntagme de détermination On appelle syntagme de détermination tout nominal comportant plus d’un constituant. Ceux-ci étant juxtaposés ou liés par un morphème relateur et assumant conjointement une fonction primaire dans l’énoncé et une secondaire dans le syntagme. Dans la détermination il y a un déterminant (da) et un déterminé (dé). Le déterminant peut être un nom dans le syntagme complétif, un adjectif dans le syntagme qualificatif, ou même toute une proposition dans le syntagme relatif. Dans ce qui suit, vont être analysés les constituants du syntagme nominal et ce qui les détermine. 2.3.1. Le syntagme complétif Le syntagme complétif est l’association de deux noms dont l’un, en expansion secondaire, est le déterminant de l’autre qui est le déterminé. On observe dans certaines langues comme l’éwé deux types de syntagmes complétifs : l’un qui fait intervenir un morphème relateur appelé aussi connectif et l’autre type sans intervention de relateur. L’avikam appartient à cette deuxième catégorie. (16) báɟɔ bèsĭ lε bè Badjo banane Det être cuit La banane de Badjo est cuite. έvá mà nέ srɔ Cour mère Det sortir La maîtresse de maison est sortie. Les syntagmes nominaux contenus dans ces deux énoncés sont constitués par deux nominaux chacun. Nous constatons aussi que ceux-ci sont juxtaposés. Mais il est important de signaler que toute succession de deux nominaux n’est pas interprétable comme syntagme déterminatif. 2.3.2. Le sens de la détermination Sera appelé déterminé (dé) la tête du syntagme nominal ou encore le noyau du syntagme (le constituant fondamental). Les autres éléments étant les déterminants62 (da). Pour trouver le sens de la détermination des syntagmes constitutifs du syntagme nominal, nous pouvons procéder par : 62 Dictionnaire de linguistique Larousse p.146, 1973

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Questionnement ou pronominalisation. En avikam les pronoms ɛtɔ (qui) et latɔ (quoi qu’est-ce que) distinguent les humains des non humains ; d’ou la question suivante concernant l’énoncé « báɟɔ bèsì lε bè » latɔ be ? Qu’est-ce qui est cuit ? La réponse est la suivante : bèsì lε bè la banane est cuite. Le noyau du syntagme nominal dans cet énoncé est bèsĭ, et báɟɔ. Il ne constitue qu’un complément d’information déterminatif. báɟɔ est donc le déterminant (da) et bèsĭ le déterminé (dé). Dans les énoncés ci-dessus « nini » et « lɛ » appartiennent au même paradigme. A ce titre, « nini » peut être considéré comme un morphème marqueur du lexème. Une remarque s’impose sur l’énoncé comportant « nibɔɔ ». « ibɔɔ » porte le morphème pluriel. Il faut signaler que nibɔɔ n’a pas d’orthographe au singulier. Il est toujours au pluriel. Il appartient ainsi au même paradigme que « lɛ ». Ici le déterminant (da) précède le déterminé(dé) qui lui porte le marqueur du défini. « lɛ » en plus de la détermination du déterminé il défini l’ensemble « dé-da » ; parce que « badjo » déterminant « besi » lui apporte un complément d’information permettant d’identifier davantage la banane en question. Nous pouvons donc dire que « lɛ » définit l’ensemble déterminé-déterminant.

2.4. Le syntagme épithétique Le syntagme épithétique encore appelé qualificatif est un syntagme dans lequel un nom qualifié est déterminé par un adjectif. (17) básá mímĩ

Femme belle Une belle femme. εɲlùbà wá Tête grosse Une grosse tête Pour trouver le sens de la détermination dans les syntagmes épithétiques, supprimons-le constituant qui n’influe pas sur le sens de l’énoncé comme vu naguère. (18) lávrí kplà έsɔ fɔfɔ lavri construire maison nouvelle lavri a construit une nouvelle maison. Ce qui nous intéresse ici c’est « έsɔ fɔfɔ ». Ces deux constituants peuvent être remplacés par « latɔ » : « latɔ lavri kpla ? » qu’est-ce que lavri a construit ? La réponse est « lavri kpla εsɔ fɔfɔ » ; Lavri a construit une nouvelle maison. Dans cet énoncé, supprimer « fɔfɔ » n’invalide pas l’énoncé ni ne change sa structure. Ce qui donnera donc : est « lavri kpla εsɔ» Lavri a construit une

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maison. Nous pouvons dire que « ɛsɔ » est le qualifié et « fɔfɔ » le qualifiant. Prenons à présent un syntagme épithétique en fonction sujet : (19) císá vúcú lε cɥà pagne blanc det déchirer Le pagne blanc est déchiré. Le syntagme qui intéresse ici est « císá vúcú lε ». On peut supprimer « vúcú » sans invalider l’énoncé. L’énoncé deviendra le pagne est déchiré. Le premier constituant du syntagme est donc le déterminé et le déterminant vient en deuxième position. 2.5. Le syntagme à quantificateur Le syntagme à quantificateur est l’association d’un nom quantifié et d’un constituant quantifiant. (20) a básá ɔ bùtùkpà Femme morph. plu beaucoup Beaucoup de femmes. b. εbáɔ gbɔɔ bà enfant Plu. Beaucoup venir De nombreux enfants sont venus. En (20 b), avec « gb » nous avons les enfants sont venus. Le quantifié est donc « ɛba ». L’exemple (21) ci-dessous illustre les cas des numéraux : (21) jìjì bàsà lέ drɔ Première femme Det être bonne La première femme est bonne. ε sĭ ázá làlè ʒjàlε Poss épouse trois rang être tombé Sa troisième épouse est tombée. m kɔ básá ãzã nε moi voir femme trois def J’ai vu les trois femmes. En avikam le numéral cardinal suit toujours le lexème nominal lorsque celui-ci est au singulier. Il peut, par contre, venir après le morphème du pluriel lorsque le lexème nominal est au pluriel.

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CONCLUSION Au terme de cette étude, nous réalisons qu’a l’accompli, le ton de la deuxième syllabe de la base verbale tend à copier celui devenu flottant de la voyelle dissociée de l’unité qu’elle précède. Le ton flottant s’efface par la suite. Par ailleurs, en cas de non application de la loi d’élision, la règle de copie totale se manifeste aisément. Au niveau grammatical, concernant l’ordre des constituants de la phrase, sous sa forme réduite, la phrase associe un nominal sujet à un constituant verbal : lavri ba (Lavri arrive). Pour l’objet, il suit immédiatement le verbe : lorsqu’il ya deux séquences nominales et que l’une est animée et l’autre inanimée, elles se suivent dans l’ordre animé, inanimé. S’agissant du syntagme nominal les déterminants du nom sont génériquement marqués par un morphème zéro et spécifiquement marqués. Le morphème du défini, par exemple, relève du spécifique et varie en fonction du phonème précédent. Il s’accorde avec lui par harmonie vocalique (ATR et nasalité). Pour ce qui est des affixes nominaux, certains noms en avikam apparaissent munis d’un préfixe vocalique soit è ou ε ou encore de ā à ton H ou à ton B. ce préfixe vocalique n’est maintenu dans le discours que si le nom qui le porte est à l’initiale (έ – sέ poisson ; ε – sέ demain ; è – wú mort). BIBLIOGRAPHIE AHOUA F. et LEBEN W (2006), morphophonologie des langues Kwa de Côte d’Ivoire, Rüdiger Köppe Verlag, Volume 26. Allemagne. BEUGRE E. (1982), Contributions à l'étude de la syntaxe de l’Avikam, rapport de DEA, Université de Cocody Département de Linguistique. CHAUMETON, O, (1975) L’attié. Morphologie du nom, Université de Cocody Département de Linguistique Mémoire de maîtrise. DIAKITE, M (2006) Tropicalisation et focalisation en Avikam point de vue de la linguistique énonciative, Université de Cocody Département de Linguistique Mémoire de maîtrise, Abidjan. DUPONCHEL, L. (1971). L’avikam, in Atlas linguistique de Côte d’ivoire : les langues de la région lagunaire, Dumestre G. et alii (éds.). AbidjaH : ILA. LYONS, J (1970), linguistique générale, Paris, Larousse

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Communication

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SANKOFA N° 6, juin 2014, pp. 171-192 ISSN : 2226-5503

LES INSTITUTIONS UNIVERSITAIRES (UNIVERSITES, CENTRES, ETC.) ET LES MEDIAS EN AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE

Anaclet NDONG NGOUA, Chargé de Recherche CAMES

RESUME : Dans les pays d’Afrique noire francophone, les médias et les milieux académiques s’ignorent, voire se méprisent mutuellement. Cela tient, essentiellement, au fait que les deux univers nourrissent des préjugés ou des stéréotypes l’un pour l’autre. Une telle situation est préjudiciable au progrès économique et social, dans la mesure où les représentants des deux univers sont des acteurs dudit processus. Pour faire face à la situation, un dialogue d’emprunter aux universitaires et aux chercheurs la rigueur scientifique es derniers, de leur côté, ont à s’approprier les principes de la communication devrait être mis en place. En un mot, les deux univers peuvent et/ou doivent se prêter un mutuel appui. Un véritable défi. Mots clés : Dialogue – Scientifique – Technologique – Universitaire – Chercheur –Professionnel – Media – Académique – Milieu – Univers - Monde. ABSTRACT: In Black African French speaking countries, the media et les and academic fields are ignoring to each other, there is a mutual disdain. This is mainly due the fact that these both fields have prejudice or stereotypes to each other. This kind of situation is prejudicial to the economic and social growth, in the sense that the representatives of both fields are the main pillars of that growth. To solve this issue, a dialogue aims at borrowing to the academics and the researchers the scientific exactness and the academics should learn from the communication principles. It means, these two fields should learn from each other. This is a real challenge. Keywords: Dialogue – Scientific – Technology - Academic – Researcher - Professional-Media – Field – Universe - World.

INTRODUCTION Depuis les indépendances, les universités, les centres de recherche

nationaux publics et les médias s’ignorent, voire se méprisent mutuellement en Afrique noire en général, dans la zone d’expression française en particulier, quand bien même la situation semblerait y évoluer depuis plus d’une décennie.

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En effet, l’univers des médias accède à la dignité d’un champ ou d’un domaine d’étude et de recherche dans les milieux universitaires et scientifiques dans les ex territoires français d’Afrique noire. Cela se traduit, entre autres, par le développement des structures de formation, la mise en place des cycles doctoraux, des centres d’analyse et de réflexion, la tenue des séminaires et/ou des ateliers… On peut mentionner, ainsi, l’Ecole Supérieure des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication, (ESSTI), de l’université de Yaoundé 1, au Cameroun, le Centre d’Etudes et de Techniques de l’Information (CESTI) de l’université de Dakar au Sénégal, l’université de Bouaké à Abidjan, en Côte-d’Ivoire, le département de littérature, des sciences du langage et de la communication de l’Institut de Recherche en Sciences Humaines (IRSH) du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CENAREST), au Gabon, le département des sciences de l’information et de la communication de l’université Omar Bongo de Libreville, encore au Gabon.

Autrement dit, les milieux académiques s’intéressent désormais aux journaux, aux radios, aux télévisions, aux NTIC. Ainsi, des universitaires et des professionnels des médias, originaires de sept pays d’Afrique noire francophone63, ont contribué à un ouvrage intitulé « Les médias et la bonne gouvernance en Afrique. Concept et cas pratiques ». Publié en 2010, cet ouvrage revient plus en détail sur le thème « Médias et bonne gouvernance », retenu par l’UNESCO, lors de la célébration de la journée internationale de la liberté de la presse, en mai 2005, à Dakar au Sénégal. De même, on peut mentionner les soutenances de mémoires64 de maîtrise au département des sciences du langage de l’université Omar Bongo de Libreville, en novembre 2009, des étudiantes Aminata Avomo Demba Diop sur l’émission « Afrique Hebdo », diffusée à TV+, Hélène Tchimambou sur « Agora65 », présentée à Télévision Gabon (ex RTG1), la tribune offerte aux hommes de science gabonais, à travers la publication des articles dans les colonnes de divers périodiques et des interventions dans les organismes de radiodiffusion locaux, publics et privés. Il en est de même de la communication faite par Prosper Tonda Mambenda66 sur « L’Intelligence Economique et la Veille Technologique », en décembre 2009, à l’Institut Français de Libreville (ex Centre Culturel Français), dans le cadre du cycle

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Parmi ces pays, figurent le Gabon, le Cameroun, le Bénin, le Togo, la Côte-d’Ivoire, le Sénégal, le Burundi. 64

Nous étions membre des jurys de cette soutenance. 65

Les émissions « Afrique Hebdo » sur TV+ et « Agora » sur Gabon Télévision (ex RTG1) ont une audience certaine, en dépit de l’inexistence d’enquêtes ou d’études sur la fréquentation des médias locaux. La première revient sur l’actualité de la semaine, à travers les analyses, les commentaires des journalistes travaillant dans d’autres organes de presse locaux, publics ou privés. Quant à la seconde, elle se veut un débat sur les questions d’intérêt national. D’où le sous titre de l’émission « Où les idées se choquent et s’entrechoquent ». 66

Journaliste émérite, vedette de la télévision gabonaise, Prosper Tonda Mambenda est également chercheur associé au Groupe d’Etudes et de Recherches sur la Communication (GERC), laboratoire rattaché au Département de Littérature, des Sciences du Langage et de la Communication.

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de Conférences animées par les chercheurs de l’Institut de Recherche en Sciences Humaines (IRSH) du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CENAREST) du Gabon.

En dépit de ces initiatives louables, salutaires, il n’y a pas encore une véritable synergie entre les milieux académiques nationaux publics et les médias dans l’ensemble des pays d’Afrique noire francophone. Après avoir tenté de comprendre les facteurs qui sous-tendent une telle situation, les conséquences qui en découlent, le présent article se veut une invitation à un dialogue fécond, cher à Madeleine Grawitz67, entre les deux mondes, d’autant que leurs représentants sont des acteurs du développement économique et social et que les implications sociales et culturelles des connaissances produites dans lesdits milieux académiques sont telles qu’elles ne sauraient être la seule affaire des femmes et des hommes de science68. Celle-ci, est-il besoin de le rappeler, sans conscience, n’est que ruine dans l’âme. C’est dire que l’on s’intéresse aux sciences et aux technologies grâce à l’économie, laquelle est et/ou devrait au service de l’homme, dans sa pluri dimensionnalité. Plus que par le passé, ce dernier doit être considéré comme un véritable partenaire et non plus comme un simple bénéficiaire du développement. Celui-ci, on l’oublie trop souvent ou on feint de l’oublier, passe par la recherche scientifique et technologique dont les médias sont et/ou devraient être les instruments de diffusion, de vulgarisation69, de promotion, de légitimation auprès des populations. Pour reprendre René Maheu, ancien directeur général de l’UNESCO, le développement, « c’est la science devenue culture ». L’évolution des nations industrialisées, l’accès de certains pays d’Asie, d’Amérique et d’Afrique au rang de grandes puissances dites émergentes le démontre clairement.

La synergie entre les médias et les milieux académiques traditionnels à laquelle invite le présent article s’explique également parce que les deux univers s’intègrent déjà dans une inter discipline en voie de constitution : les Sciences de l’Information et de la Communication. « …Ces dernières, écrit Daniel Bougnoux70, pourraient se donner une dernière ambition de surmonter le divorce qui s’élargit depuis le XIXe siècle entre trois formes de culture : la littéraire, la scientifico-technique et la culture de masse dont les représentants s’ignorent ou se méprisent mutuellement. L’étude des machines à communiquer les implique simultanément et pourraient servir à les articuler… ». A cet effet, l’article s’appuie sur

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Pour Madeleine GRAWITZ, un dialogue fécond signifie que les représentants des deux univers doivent être conscients que les services des uns peuvent être utiles aux autres. Il suffit, pour cela, pense-t-elle, d’avoir l’intelligence de voir les problèmes, de poser de bonnes questions, et la capacité d’y apporter des solutions concrètes, originales, durables, in Méthodes des sciences sociales. Paris, Dalloz, 1996, p. 567. 68

Sur cette question, pour plus de précisions, voir Jean Marc ELA, Guide pédagogique de formation à la recherche pour le développement en Afrique. Paris, L’Harmattan, 2001. 69

Vulgariser ici signifie faire connaître, faire valoir, montrer l’importance ou l’enjeu des savoirs scientifiques et technologiques. 70

Daniel BOUGNOUX, Sciences de l’information et de la communication, Paris, Larousse, 1993, p. 35.

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l’observation, les entretiens avec, d’une part, de nombreux journalistes, leurs supérieurs hiérarchiques directs (secrétaires de rédaction, rédacteurs en chef, directeurs de publication ou de rédaction), et, d’autre part, les spécialistes des sciences sociales et/ou humaines, des disciplines dites scientifiques et/ou expérimentales, originaires de différents pays, les travaux menés par les uns et par les autres sur la nécessité de vulgariser les savoirs et les savoir-faire auprès de la majorité des citoyens, pour mieux en faire percevoir l’enjeu et en asseoir la légitimité, l’impact des médias. A cela s’ajoutent les enquêtes que nous avons menées dans le cadre des consultations internationales71.

En d’autres termes, nous avons préféré, à travers le présent article, une vision panoramique ou globale à des monographies sur les Etats qui constituent l’Afrique noire francophone. Sans céder à la « pensée unique » (uniformisation du continent) qui tend à enfermer des réalités complexes dans des schémas simplistes et réducteurs, tout en cherchant à briser toute tentative de dissidence et d’alternative à la philosophie libérale, relevant d’un a priori idéologique, notre démarche s’appuie sur le fait que la question qui retient notre attention ici s’y pose presque avec la même acuité, certes, à des degrés divers, en raison d’un contexte politique, économique et social différent. Après l’avoir survolée dans notre thèse de doctorat72, nous tentons de l’approfondir, à travers le présent travail.

Comme nous l’avons déjà évoqué, le fossé qui sépare les universités, les centres de recherche et les médias un peu partout à travers le monde, en général, en Afrique noire francophone en particulier tient, essentiellement, au fait que ces deux univers entretiennent, développent des préjugés, des stéréotypes l’un pour l’autre. I- LES GRIEFS DES UNIVERSITAIRES ET DES CHERCHEURS CONTRE LES

MEDIAS Dans les pays d’Afrique noire francophone, comme ailleurs dans le

reste du monde, les universitaires et les chercheurs formulent de nombreux griefs contre les médias : la « vulgarité » des publics ; la « facilité » des sujets ; le caractère « mercantile » de leurs objectifs. Les professionnels des médias, de leur côté, tiennent les hommes de science

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Nous avons été recruté comme consultant du Gabon, en 2004-2005, pour le projet TCP/RAF/2912 (A), portant sur la création d’un Centre Communautaire Multimedia d’Appui au Développement Rural en zone CEMAC, conçu par la CEMAC et soutenu par la FAO Rome. Ce projet a consisté en étude sur les besoins en information/communication et en formation des groupes cibles concernés. Nous avons été également recruté, en 2010, comme consultant national pour le Projet de Développement Agricole et Rural (PDAR), portant sur la mise en place d’un Centre d’Appui Rural, géré par une ONG. Adopté par le gouvernement gabonais, ce projet est soutenu par le Fonds International de Développement Rural (FIDA). 72

Anaclet NDONG NGOUA, Vers le pluralisme de la presse en Afrique noire francophone : le cas du Gabon. Thèse de doctorat Nouveau Régime en Sciences de l’Information et de la communication, Université de Paris 2, décembre 1999, 1064 pages.

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pour des gens enfermés dans leur tour d’ivoire et dont la légitimité se mesure par la seule possession des grades et des titres académiques73.

Selon les milieux intellectuels, les gens qui consomment les médias sont des personnes de petite culture ou de culture populaire parce que, pour ces milieux, les produits sur lesquels se porte le choix de ces gens sont médiocres, traduction et conséquence de leur liberté émoussée. Cette idée repose sur le présupposé que ce grand public ou ce gros public, à en croire Michel Souchon, sélectionne peu ou mal, par opposition au « petit public », composé d’usagers exigeants, portés vers les contenus « haut de gamme », lesquels répondent aux attentes élitistes. Cette opinion communément répandue chez les intellectuels ne résiste pas à la réalité.

En premier lieu, si les chercheurs et les universitaires se délectent de l’influence des médias (presse imprimée ; radio et télévision) en général, de la télévision en particulier, sur les gens censées être de basse classe, ils n’étudient pas ou peu leur propre rapport avec lesdits médias. Et cela d’autant que dans les différentes enquêtes sur les effets de ces derniers, ce que les sociologues et les psychosociologues appellent les prédispositions du public peuvent, entre autres, être analysées selon les conduites et les attitudes collectives. Ces dernières montrent justement que les consommateurs des machines à communiquer sont guidés dans leur choix et leurs interprétations par un grand nombre de facteurs tels que les modes, les préjugés, les snobismes, les stéréotypes. Ce qui se comprend aisément dans la mesure où la société vaut essentiellement par les modèles qu’elle suscite et les substituts qu’elle offre, de surcroît à l’heure où les acteurs sociaux semblent sommés de communiquer, sous peine de mourir ou de décliner.

Les enquêtes, évoquées plus haut, vont plus loin : non seulement les stéréotypes sociaux orientent les réflexes corporatistes et identitaires, mais et surtout agissent parfois réellement sur les attitudes et les manières de réagir aux contenus. A dire vrai, il y a, à en croire G. Oleron74, exactement un phénomène de psychanalyse à l’envers qui, dans la culture de masse, maintient artificiellement les stéréotypes dépassés. Pour le même auteur, il existe une dialectique complexe, au niveau de la société globale, entre les modèles collectifs du public et ceux de l’émetteur. Les expériences sur l’audience de la radio et de la télévision attestent ainsi qu’il faut tenir grand compte, en la matière, d’un coefficient de partialité parce que l’individu présente souvent comme étant un intérêt personnel ce qui est seulement le reflet des stéréotypes sociaux. La sélection des programmes de haute culture tels que la musique classique ne participe-t-elle pas, chez les élites intellectuelles, de cela ? A la suite d’une enquête effectuée à Saint-Etienne dans une école technique et l’ensemble des établissements scolaires de la même ville, sur l’audience de la télévision,

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Lire, entre autres, Jacques DURAND, Les formes de la communication, Paris, Coll. Interférences, Dunod, 2004, pp. 45-67. 74

G. OLERON, La mesure de l’intérêt de l’auditeur (C.E. R.T, n°23, pp. 257 sq).

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Michel Souchon75 conclut : « On trouve chez ceux qui regardent la télévision une diversité des attentes et une attente de la diversité qu’on ne découvre pas au même degré chez les « petits téléspectateurs ». Ceux qui regardent beaucoup la télévision, précisément parce qu’ils n’ont pas à leur disposition beaucoup de moyens de distraction, d’information, de loisirs, de spectacles, en ont vraiment besoin ; elle remplit pour eux des fonctions nombreuses, répond à des attentes multiples : elle est un média utile à toutes fins, an all-purpose medium. Puisque la télévision répond, pour eux, à des attentes multiples, ils choisissent. Et leur choix les porte vers des émissions diverses. De la distraction, du rire et des jeux, bien sûr, mais aussi de l’information, des documents, des œuvres de fiction émouvantes et profondes…Au contraire, les individus qui ont beaucoup d’autres moyens disponibles pour occuper leurs loisirs, pour s’informer, se distraire ou se cultiver n’attendent pas grand-chose de la télévision. Ils en ont une vision souvent dévalorisée. Ils ne la regardent que quand ils n’ont « rien de mieux » à faire, lorsqu’ils n’ont pas le courage de se livrer à une occupation de valeur ». Et le même auteur de poursuivre : « Il faut rappeler cette évidence trop ignorée : le public des émissions à petit public n’est pas composé « des petits téléspectateurs », mais d’une fraction du « grand public ». S’il y a des spectateurs pour les journaux télévisés, les magazines et les documentaires, c’est parce que les gens qui utilisent beaucoup la télévision les regardent ».

Il ressort donc des travaux menés ici et là que les médias remplissent des fonctions inattendues ou latentes, répondent à des attentes nombreuses et diverses des citoyens. Qu’ils soient émetteurs ou récepteurs, ces derniers agissent, selon Francis Balle, en fonction des objectifs qu’ils se donnent mais également de l’idée qu’ils ont à la fois des moyens dont ils disposent et des contraintes qu’ils subissent. La « facilité » des sujets, cause et conséquence de la « vulgarité » des publics ne résiste pas également à l’analyse.

La « facilité » des sujets renvoie à la culture de masse ou médiatique. Cette dernière est désordonnée, insolite, anormale, intégrale, instantanée, périssable, concrète, standardisée, vivante alors que la culture universitaire se veut normative, structurée, théorique, abstraite, dogmatique…En un mot, elle se suffit à elle-même.

En observant les choses de près, loin de s’exclure, la culture de masse et la culture universitaire sont complémentaires l’une de l’autre, quand bien même tout se serait passé jusqu’ici comme si elles étaient différentes, voire opposées l’une à l’autre. En revenant à la première, il n’y a pas, d’un côté, la presse imprimée, média crédible qui se prêterait à l’investigation, et, de l’autre, la radio et la télévision, qui ressortirait au divertissement. Tout différents de nature qu’ils sont, les moyens d’information se prêtent un mutuel appui.

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Michel SOUCHON, La télévision des adolescents. Editions Ouvrières, 1969 ; La télévision et son public. Paris, 1978. Voir également Jean CAZENEUVE, Sociologie de la radio-télévision. PUF, 1986 ; La société de l’ubiquité. Denoel, 1972 ; Les pouvoirs de la télévision. Gallimard ; Guide alphabétique des mass media. Denoel.

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En réalité, la culture de masse constitue un jugement de valeur, une appréciation parfois complaisante et souvent sévère sur cette néo-culture, pour paraphraser Francis Balle. « La notion de culture de masse suggère, écrit cet auteur76, que pour la première fois dans l’histoire, une même culture cesse enfin d’être le privilège de quelques-uns et devient l’apanage de tous…Il y a plus grave : la culture de masse semble définie négativement par rapport à une autre culture que l’on semble tenir pour supérieure : la culture académique, la culture des élites, la culture des privilégiés ». Et le même auteur de renchérir : « Autrement dit, lorsque la culture de masse est définie par ses contenus, elle exprime une réprobation, un jugement défavorable à l’égard de certains genres considérés comme médiocres ou moyens. D’un côté, on rangerait les variétés, les mélodrames simplistes de la télévision, les romans policiers qui, tous ensemble, ressortiraient aux genres d’une culture de masse inférieure. Et de l’autre, on trouverait pêle-mêle le théâtre classique, la grande musique, la littérature consacrée…qui ressortiraient au genre noble de la vraie culture, d’une culture supérieure, d’une culture académique reconnue et consacrée. Les genres seraient ainsi répartis en deux catégories nettement distinctes. A l’origine de ce manichéisme, on trouve une basse représentation de ce qu’est la « vraie » culture ».

Quant au caractère « mercantile » des objectifs, il tient au fait que la tradition française répugne à assimiler les médias à des marchandises soumises à la loi de l’offre et de la 77demande, offertes par des entreprises à la recherche du profit, comme le souligne Nadine Toussaint Desmoulins78. Au-delà des médias, elle refuse « que l’économie et la culture peuvent avoir quelques liens entre elles ». C’est pourquoi elle a privilégié, durant de nombreuses années, les conditions de production des contenus, du discours, de la langue, au détriment des conditions de production des idées.

A dire vrai, les causes des critiques acerbes formulées contre les médias par les élites intellectuelles semblent résider, comme le soulignent plusieurs auteurs, dans l’agacement, voire l’irritation de ces derniers de voir lesdits médias élargir, faciliter, démocratiser l’accès à la culture ou au savoir, leur faisant ainsi perdre le monopole de ces fonctions. En d’autres termes, ce groupe social partage désormais ces tâches avec les moyens de communication de masse, d’autant que les missions remplies par les intellectuels se sont, en quelque sorte, banalisées. Cette banalisation tient à l’extension du niveau de qualification, à l’inflation des postes, des titres et des grades. Elle tient également à la perte d’influence des institutions traditionnelles qui en sont chargées (églises, partis politiques, familles…), à la confusion extrême entre les fonctions symboliques et la reconnaissance sociale, à l’effet de court-circuitage des instances évaluatrices des radios,

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Francis BALLE, Médias et sociétés. Edit. Montchrestien, 4e édition, 1988, pp. 435-436.

77 Au Gabon, par exemple, ce sont les mêmes universitaires qui sont invités dans les organismes de radiodiffusion publics. Ce qui est une pratique contraire au pluralisme, fondement de la démocratie, condition de la quête de la vérité. 78 Nadine Toussaint-Desmoulins, L’économie des médias. PUF, Coll. Que sais-je ?, 6e édition, 2006, 128 pages.

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des télévisions. Pour les experts en sciences sociales, ces outils de communication, tout en étant accusés de produire une culture médiocre, euphorisante, sont devenus et/ou deviennent un passage obligé pour se prévaloir de la qualité d’universitaires ou de chercheurs. Ainsi, ils peuvent toucher un public plus ouvert, plus large, ayant une formation convenable, qui leur confère la notoriété à laquelle ils aspirent et que ne peuvent leur apporter leurs pairs. Tout se passe d’ailleurs comme s’ils avaient préféré la reconnaissance sociale à l’excellence, comme les hommes politiques, la popularité à l’action. Les acteurs sociaux sont ainsi sommés de communiquer, sous peine de déclin ou de mort, comme le rappelle Daniel Bougnoux. De ce point de vue, les médias ont ouvert, selon Pierre Bourdieu79 et Raymond Boudon80, aux intellectuels un second marché.

Quoi qu’il en soit, les représentants des milieux de la production des connaissances scientifiques et technologiques, imbus de leurs titres et de leurs grades académiques, considèrent les professionnels des médias comme des esprits incapables ou indignes de réflexion théorique81. II- LES CRITIQUES DES PROFESSIONNELS DES MEDIAS CONTRE LES

UNIVERSITAIRES ET LES CHERCHEURS De leur côté, les agents des radios, des télévisions, des périodiques,

fiers de leur expérience professionnelle, tiennent les chercheurs et les universitaires comme des personnes se délectant d’abstraction, sans portée pratique. Emboîtant le pas à Madeleine Grawitz, ils reprochent particulièrement aux spécialistes des sciences sociales et/ou humaines leur manque de sens pratique et parfois de bon sens, leur tendance à s’enfermer dans leur tour d’ivoire mentale (sur le plan du choix des problèmes à résoudre et celui de l’expression car leur jargon paraît souvent incompréhensible). C’est notamment le cas au Gabon.

En effet, dans l’ex cendrillon de l’Afrique Centrale, les professionnels des médias et la majorité des citoyens considèrent les universitaires et les chercheurs comme des gens arrogants, intolérants, dogmatiques, lesquels mesurent leur légitimité par les titres et les grades académiques. Ainsi, une dynamique de la recherche participative, à partir des enjeux du développement, tels qu’ils sont vécus, perçus et portés par les communautés locales dans le contexte de leurs sociétés et de leurs cultures, comme le rappelle le Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique (CODESRIA), est sacrifiée sur l’autel du carriérisme. Que vaut une agrégation en grammaire si la langue de la personne qui s’en prévaut est écartée de la modernité et, du coup, est condamnée aux rapports domestiques et de bon voisinage82 ? Quelle

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Pierre BOURDIEU, Le juste et le vrai. Etudes sur l’objectivité des valeurs et de la connaissance, Paris, Fayard, 1995, 575 pages. 80

Raymond BOUDON, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Ed. Minuit, 1979, 670 pages. 81

Lire également, entre autres, Judith LAZAR, Sociologie de la communication de masse. Paris, Armand Colin, 1991, 256 pages. 82

C’est la principale critique de plusieurs intellectuels africains contre l’ancien Président Léopold Sédar Senghor du Sénégal.

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est la légitimité du grade de professeur titulaire en histoire de l’antiquité gréco-romaine si celui qui a accédé audit grade n’exhume pas celle des peuples locaux, en sciences du langage si les travaux qui y sont effectués ne s’inspirent pas des expériences accumulées sous d’autres cieux. Ces expériences montrent que la confection des dictionnaires a contribué au développement des langues « véhiculaires » telles que le français, l’allemand, l’anglais...Dans cette entreprise, les lexicographes ont exploité l’alphabet gréco latin existant, connu, universel, pratique. En d’autres termes, lorsque ces langues ont eu recours à l’écriture, elles ont utilisé ledit alphabet. Vouloir inventer ou imaginer un autre schéma est une impasse ou une voie sans issue, comme le souligne Edgard Maillard Ella83? De la même manière, plutôt que de se complaire dans les travaux sur les philosophes classiques, les nôtres, brillants esprits, devraient élaborer une pensée, qui aide l’Afrique subsaharienne à sortir du carcan du sous-développement, à l’instar de leurs maîtres occidentaux. Cette pensée pourrait être une synthèse entre l’Afrique noire précoloniale, l’Afrique de la colonisation, l’Afrique des indépendances, l’Afrique contemporaine, l’Afrique aspirant à un meilleur statut, sur la scène internationale…On peut en dire autant du droit, de l’anthropologie, de la sociologie, de l’ethnologie…, la mondialisation de l’économie. Est-il besoin de rappeler que toute philosophie est fille de son temps. Repenser ces domaines sur la base du vécu quotidien des populations locales devrait être la préoccupation des chercheurs et des universitaires africains. En dehors de cela, on verse dans l’académisme vain ou l’intellectualisme, la reconnaissance sociale ou le carriérisme84.

En tout état de cause, le carriérisme explique la guerre des écoles, des universités, des disciplines85, lesquelles dérivent en rivalités personnelles. Ainsi, pour les philosophes, l’anthropologie est réservée aux sujets moins brillants ou peu portés vers l’abstraction. Les juristes et les économistes ont de la condescendance pour les historiens, les géographes, les linguistes, les sociologues, les psychologues… On connaît le mépris des chimistes, des médecins, des physiciens, des biologistes pour les spécialistes des humanités classiques. Ils oublient ou feignent d’oublier que la mise au point d’une technologie est aussi importante que le contexte politique et social de son adoption. Robert Fogal de l’université de Chicago et Douglas North de l’université de Washington, tous deux prix Nobel d’économie en 1993, montrent, justement, que les découvertes scientifiques et technologiques ont joué un rôle moins important dans l’expansion économique des Etats-Unis que les innovations institutionnelles, légales et sociales.

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Edgard Maillard Ella est lexicographe, Chargé de recherche, et chercheur à l’Institut de Recherche en Sciences Humaines. 84

A ce sujet, lire Cheikh Anta DIOP, Civilisation ou Barbarie. Paris, Présence Africaine, 1981, 528 pages; Nations nègres et culture. Paris, Présence Africaine, 1979, tome 3, 572 pages. Théophile OBENGA, Les Bantu, langues, peuples, civilisation. Paris, Présence Africaine, 1985, 380 pages. 85

Jean-Marc Ela, op. déjà cité, p.

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En tout état de cause, les chercheurs et les universitaires entretiennent ces attitudes en leur sein. « Les intellectuels sont, écrit Jean Ngandjeu86, leurs propres fossoyeurs. Dans leur milieu se développe une dangereuse théorie : la théorie du nivellement, l’esprit de destruction et d’intolérance. Toute idée neuve est tout de suite combattue, détruite. Les querelles d’écoles se transforment en querelles de personnes ». Si le sel vient à s’affadir, avec quoi salera-t-on encore les aliments, se demande Valentin Nga Ndongo87, d’autant que sous d’autres cieux, les élites, de par leur formation, leur instruction, leur éducation, montrent l’exemple de l’humilité, de la rigueur, de l’excellence, de la justice ? On peut, à juste titre, s’interroger si ces faiblesses ne sont pas la traduction et la conséquence de ce qu’Axelle Kabou qualifie de refus du développement ou ce que certains appellent l’incurable médiocrité mentale et culturelle du Nègre dont Hegel88 fait un portrait dans son ouvrage La Raison dans l’histoire. Dans l’un ou l’autre cas, cela se caractérise par la persistance, partout, à tous les échelons de la vie sociale, de comportements, d’attitudes, inacceptables sous d’autres cieux et incompatibles avec les exigences du progrès économique et social89.

Quoi qu’il en soit, une telle situation est préjudiciable à la recherche scientifique et technologique dans les pays d’Afrique noire francophone. III- LES UNIVERSITES ET LES CENTRES DE RECHERCHE NATIONAUX: UNE

LEGITIMITE EN CAUSE Le divorce entre les médias, les universités et les centres de

recherche scientifique et technologique dans les pays d’Afrique noire francophone explique la méconnaissance des travaux menés et des découvertes faites par la majorité des populations, les pouvoirs publics, les entreprises, potentiels utilisateurs desdits travaux et découvertes.

En d’autres termes, le manque de synergie entre les centres de production des connaissances scientifiques et technologiques et les publications, les radios, les télévisions locales, toutes tendances confondues, explique le fait que lesdites connaissances ne sont pas et/ou peu au service des communautés, des organismes d’Etat, du développement économique et social.

Ainsi, au Gabon, le ministère de la Pêche, les pêcheurs artisanaux, les commerçants des produits des activités de ces derniers ne sont pas informés des découvertes faites à l’Institut de Recherches Agronomiques et Forestières (IRAF), sur les techniques de conservation, de salage et de séchage du poisson. La non connaissance desdites techniques en limite la distribution et la consommation et entraîne des pertes considérables. Et cela d’autant que la pêche artisanale continentale et maritime représente 86

Cité par Daniel ETOUNGA MANGUELLE, L’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement structurel. Paris, Editions Nouvelles du Sud, Ivry-sur-Seine, 1991,153 pages. 87

Valentin NGA NDONGO, Les médias au Cameroun. Mythes et délires d’une société en crise. Paris, L’Harmattan, 1991, 161 pages. 88

HEGEL, Leçons sur la philosophie de l’histoire, Paris, Trad. Gibelin-Aubier, 1954 ; LEVY-BRUHL, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, PUF, 1951. 89

Voir Axelle KABOU, Et si l’Afrique refusait le développement ? Paris, L’Harmattan, 1991.

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un secteur d’activité important mais encore sous-développé90. De la même manière, lors d’une enquête que nous avons menée dans le cadre du projet TCP/RAF (2912) (A), relatif à la mise place d’un Centre Communautaire d’Appui au Développement Rural en zone CEMAC, conçu par cet organisme d’intégration, en 2004-2005, soutenu par la FAO Rome, il ressort que les enseignants de l’Ecole des Cadres Ruraux d’Oyem et ceux de l’Institut National des Sciences Agronomiques et Biologiques de l’université de Masuku (INSAB), au Gabon, ne tirent pas parti, par orgueil, par mépris, par snobisme, des opportunités que leur offre le recours aux médias, quant à la vulgarisation de leurs travaux auprès du grand public. Dans le même ordre d’idées, l’étude réalisée par le Gabonais Jean-Daniel Mbega, chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CENAREST) et le Belge G. Teugels sur « La vie des poissons dans le bassin inférieur de l’Ogoué » pourrait et/ou devrait faire l’objet de documentaires, d’interviews ou d’entretiens, de tables rondes en français et dans les différentes langues locales (punu, ndzebi, fang, obamba, myéné, kota…).

De la même manière, au Gabon encore, le Ministère de la Santé, la majorité des citoyens ignorent tout des travaux menés par différents chercheurs sur les propriétés médicinales des plantes locales. La transformation de ces plantes en de véritables produits pharmaceutiques représente un espoir pour les populations, d’autant que leur importation constitue un véritable goulot d’étranglement.

Parce que l’immense majorité des populations ne sont pas informées des activités des universités, des centres de recherche scientifique et technologique nationaux, elles en arrivent à la conclusion que ces derniers sont des institutions de luxe ou budgétivores face aux priorités ou aux exigences telles que le routes, les écoles, les hôpitaux, l’agriculture… Cela se traduit, au Gabon, par exemple, par des interrogations sarcastiques suivantes : « Que font les universitaires et les chercheurs ? Quel est l’intérêt de leurs travaux pour le développement économique et social du pays ? Les chercheurs et les universitaires qui cherchent, on en trouve ; ceux qui trouvent, on en cherche ».

Par ailleurs, pour l’immense majorité des populations, la recherche scientifique et technologique ne porte exclusivement que sur les sciences exactes et/ou expérimentales. Elle ne concerne pas ce qu’on appelle communément les humanités classiques.

Dans ces conditions, la légitimité des universités et des centres de recherche nationaux est remise en cause, et, par voie de conséquence, le développement économique et social hypothéqué, dans la mesure où il implique à la fois une révolution des mentalités et une acquisition des connaissances scientifiques et technologiques. Dans ce processus, les médias ont un rôle déterminant. Le fossé entre ces derniers et les centres

90

Les réserves halieutiques continentales et maritimes sont estimées, respectivement, à 210 000 tonnes et à 240 000 tonnes. Données fournies par le Ministère de l’Economie Forestière et de la Pêche en 2005-2006.

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de recherche doit donc être comblé au profit d’une synergie entre les deux univers. IV- LES CONDITIONS D’UN DIALOGUE ENTRE LES DEUX MONDES

La collaboration que nous appelons de nos vœux entre les radios, les télévisions, les périodiques, les NTIC, les universités et les centres de recherche scientifique et technologique nationaux devrait et/ou pourrait être un outil ou un instrument au service de la bataille du développement économique et social dans les anciens territoires français d’Afrique noire. Elle implique un changement des attitudes et des comportements, d’un côté comme de l’autre.

En d’autres termes, le dialogue fécond, cher à Madeleine Grawitz, évoqué plus haut, commande que les professionnels des médias et les hommes de science se débarrassent, sans tarder, sans état d’âme, sans concession, de la culture de l’ignorance, du mépris, de l’intolérance ou du dogmatisme, du rejet, …pour adopter celle de l’ouverture, de l’humilité, de la complémentarité, de l’enrichissement, du pragmatisme, en un mot du développement. Le passage au système LMD (Licence-Master-Doctorat) y offre une excellente opportunité. A cet effet, les premiers devraient emprunter aux seconds la démarche scientifique, pour mieux vulgariser les connaissances produites par les milieux académiques, et ces derniers s’approprier les principes fondamentaux de la communication pour mieux intégrer les travaux aux préoccupations quotidiennes des populations. V- LES PROFESSIONNELS DES MEDIAS : MIEUX FAIRE PREUVE DE RIGUEUR

OU D’OBJECTIVITE Emprunter la démarche scientifique revient à faire de la quête de la

vérité la seule éthique et à accorder aux sciences et aux technologies la place et le rôle qui sont les leurs dans les médias, publics ou privés.

La quête de la vérité est un principe déontologique et éthique. En dépit du caractère périssable de l’information, elle doit être réaffirmée comme une valeur cardinale, une exigence méthodologique, à l’heure de la libéralisation et de la mondialisation de la communication.

Autrement dit, la quête de la vérité s’assimile à la crédibilité. Elle implique pour les hommes de presse une rigueur ou une objectivité dans la collecte, la confrontation des sources de l’information, d’autant que ces dernières sont de plus en plus partisanes, sujettes à caution et controversées et que le traitement de l’actualité, parce que complexe, ne s’accommode plus de l’amateurisme, de l’improvisation et de l’empirisme. La même rigueur est requise pour l’offre de cette information au grand public, d’autant que les médias sont en concurrence les uns avec les autres, sur les marchés national et international. La quête de la vérité commande également que les journalistes résistent en permanence aux pressions nombreuses et variées dont ils font l’objet et fassent preuve de distance ou de neutralité91 dans l’exercice de leurs activités. On ne le dira jamais assez :

91

Faire preuve de distance ou de neutralité revient, pour l’homme de presse, à taire ses passions et ses sentiments, ses croyances ou ses jugements de valeur. Il s’agit de

183

la crédibilité des médias est solidaire de la dignité des journalistes et de la prospérité des institutions ou des entreprises dans lesquels ils sont employés. L’information scientifique et technologique en est une des conditions.

En effet, l’information scientifique et technologique fait partie de l’actualité. Ici comme ailleurs dans le monde, elle pourrait amener les populations à mieux saisir et intégrer les mutations politiques, économiques, sociales et culturelles qu’entrainent les découvertes scientifiques et technologiques, d’autant que ces découvertes se multiplient, se diversifient, de manière accélérée. C’est ici que les professionnels des médias assument et/ou doivent assumer les mêmes responsabilités que les spécialistes des sciences sociales et/ou humaines. « L’information scientifique et technologique constitue, écrit Jean Schwoebel92, une des branches maîtresses de l’éducation permanente des populations. Elle est ainsi une des ripostes les mieux ajustées à l’émiettement des savoirs et des techniques ; elle joue un rôle de suppléance dans l’immense domaine des incompétences de chacun…Elle est, à l’échelle de la vie civique, la contre partie du « recyclage » sur le plan professionnel. Les professionnels des médias ont ainsi la charge de l’instruction généralisée des citoyens contemporains. Par la presse, chacun de nous apprend l’histoire du présent qu’est l’actualité, s’essaie à comprendre son temps, non seulement au niveau des faits et des événements, mais aussi des changements profonds… ».

Qu’ils soient journalistes, animateurs, réalisateurs, cinéastes, producteurs, les professionnels des médias sont/ou doivent être une interface entre l’univers de la production des savoirs et des savoir-faire et les utilisateurs de ces derniers. Parmi ces utilisateurs, figurent les populations, les institutions politiques ou constitutionnelles93, les ministères, les services provinciaux de ces derniers (organismes déconcentrés) ou les conseils municipaux et départementaux (organismes décentralisés), les entreprises, les syndicats, les ONG, les associations… Il incombe en effet aux agents des médias de collecter auprès des universités, des centres de production des connaissances scientifiques et technologiques, afin de les soumettre à l’appréciation et à l’appropriation des populations. A cet effet, l’information qui y est liée devrait être une rubrique94 à part entière.

La rubrique sciences et technologies pourrait avoir, comme services :

-l’enseignement supérieur : les humanités classiques ;

renoncer, en un mot, à tout ce qui relève de la subjectivité. C’est une condition de l’exercice du journalisme. 92

Jean SCHWOEBEL, La presse, le pouvoir et l’argent, Paris, Le Seuil, p. 45. 93

Parmi ces dernières, on peut mentionner, au Gabon, la Cour Constitutionnelle, l’Assemblée Nationale, le Sénat, le Conseil Economique et Social, le Conseil National de la Communication. 94

En journalisme, une rubrique regroupe ou peut regrouper les nouvelles de la même nature. Quant au service, il peut être considéré comme une sous rubrique.

184

-l’enseignement supérieur : les sciences exactes et/ou expérimentales ;

-l’enseignement supérieur : les sciences biotechnologiques ; -la recherche fondamentale ; -la recherche appliquée. Comme pour les autres domaines, le traitement de l’actualité

scientifique et technologique exige une telle organisation. Celle-ci est indispensable pour que chaque événement ou chaque fait puisse être traité par un spécialiste, c’est-à-dire un rédacteur qui possède deux qualités : d’une part, une bonne connaissance du sujet, du contexte général dans lequel s’insère ce sujet, connaissance acquise par l’expérience de ce secteur et appuyée par une documentation à jour ; d’autre part, une liste de numéros de téléphone, un réseau de relations personnelles assez solide pour lui permettre de joindre l’informateur idoine n’importe quand, en un temps record, et si possible accéder à l’information avant les concurrents95.

Contrairement à ce que croient un grand nombre d’étudiants, d’hommes de science, de cadres de la Fonction Publique et du secteur privé, se spécialiser en journalisme consiste à couvrir parfaitement un champ étroit ou limité de l’actualité comme les sciences et les technologies, la bourse, la décentralisation, la déconcentration… et non à avoir un diplôme en géophysique, en droit des affaires…Quand bien même on s’en prévaudrait, on ne peut pas devenir ou être un spécialiste des questions qui y sont liées , en raison de la méconnaissance des règles et des principes de la communication médiatique. Et cela d’autant qu’il s’agit moins de dispenser un cours (tentation forte) ou d’écrire un article que de mettre sa culture au service du journalisme. L’homme de presse appartient donc à un service mais est titulaire d’une rubrique. Mais il a été formé pour traiter de toutes les questions de l’actualité. Voilà une donnée essentielle que les personnes désireuses d’y faire carrière et le grand public ont à connaître.

Autrement dit, l’organisation de la rédaction en rubriques et en services constitue une exigence professionnelle. Elle répond au souci de diversifier et d’approfondir l’actualité. S’y soumettre revient à enquêter, à expliquer, à interpréter, à commenter, à fournir des éléments de jugement. Ce souci correspond au deuxième et au troisième volet du journalisme (journalisme d’investigation ou d’enquête et journalisme de commentaire ou d’opinion), le premier (journalisme d’actualité) consistant à rendre compte des faits, des événements, des connaissances ou des savoirs, des savoir-faire ou des pratiques, des renseignements… (news en anglais). Informer signifie donc rapporter, reconstruire ou reconstituer, raconter, narrer, enquêter, argumenter, développer des idées, livrer des opinions, défendre ou affirmer des positions. Si le journalisme d’actualité montre, le journalisme d’enquête ou d’investigation démontre et le journalisme de

95

Voir, entre autres, Didier HUSSON, Olivier ROBERT, Profession journaliste. Sources d’information, typologie d’articles, styles d’écriture, Paris, Eyrolles, p. 12- Philippe PAILLET, Le système médiatique, Paris, Hachette, pp. 78-79.

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commentaire ou d’opinion brasse des idées ou interprète. Mais ces trois modes d’expression sont les versants d’une même réalité. L’exploitation de l’un ou de l’autre est fonction de la nature de l’actualité et des attentes du public. Il n’y a pas donc pas, d’un côté, un journalisme ou une presse d’actualité, et, de l’autre, un journalisme d’investigation ou d’enquête et un journalisme de commentaire ou d’opinion.

En d’autres termes, la répartition des rédactions en rubriques et en services renvoie à la spécialisation des journalistes, laquelle est le résultat de ladite répartition et non celui d’une formation acquise à l’école ou à l’université, contrairement à une idée communément répandue. Ou bien si l’on préfère, la spécialisation des professionnels des médias s’acquiert sur le terrain. Les radios, les télévisions et les publications n’y parviennent qu’au prix d’une segmentation de l’actualité, laquelle répond plus à des préoccupations pratiques, professionnelles qu’à des critères objectifs, d’autant que l’actualité s’accommode difficilement d’une classification rigide. Ce sont des enseignements élémentaires en journalisme. Plutôt que d’organiser des séminaires/ateliers sur la question, comme le recommandent maints hommes de presse96 et universitaires, les médias des pays d’Afrique noire francophone n’ont qu’à en faire leurs ces enseignements pour donner une vision critique de l’actualité, de surcroît dans un contexte concurrentiel, tenant à l’heure de l’internationalisation et de la mondialisation de la communication. Ils ne vont pas réinventer la roue.

On ne le dira jamais assez : le journalisme est devenu et/ou devient une véritable profession. Si l’exercice de cette dernière, en se fondant sur l’histoire, n’exige pas des aptitudes hors du commun, il fait tout de même appel à des compétences, lesquelles s’apprennent et se développent. Plutôt que de se sentir autorisés à proposer ce qu’il faut faire et comment il faut le faire, les intellectuels, particulièrement les experts des sciences sociales et/ou humaines, doivent pourfendre l’amateurisme, l’improvisation et l’empirisme de nombreux journalistes. Mais ils se gardent bien d’adopter la même attitude lorsque des médecins ou des magistrats sont coupables de fautes graves. Dans ce cas, ils tempêtent contre lesdits médecins ou lesdits magistrats et non contre leurs professions car, à leurs yeux, ces dernières restent des disciplines exigeant une vraie formation. Si le contexte politique, économique, social et culturel doit être pris en compte dans la pratique du journalisme, les canons sur lesquels repose ce métier sont universels. Ou bien si l’on préfère, il n y a pas un journalisme à la gabonaise, à la togolaise…à moins de mener des combats d’arrière garde, comme il est hélas de tradition dans cette partie du continent97.

Last but not the least, les médias, publics ou privés, doivent utiliser le français et les différentes langues locales, idiomes de différentes

96

C’est ce que recommande Jean de Dieu NDOUTOUME EYI, directeur de publication d’Ezombolo in Gabon Matin n°49 du 21 octobre 2008. 97

Sur cette question, voir, entre autres, Anaclet NDONG NGOUA, Se spécialiser en journalisme, ça signifie quoi ? Gabon Matin n°49 du mardi 21 octobre 2008.

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communautés des pays d’Afrique pour mieux atteindre la majorité des populations. Les Etats sont faits pour ces dernières et non l’inverse.

En tout état de cause, comme les universitaires et les chercheurs, les professionnels des médias doivent faire preuve de rigueur et d’objectivité dans l’étude, l’observation, l’énoncé des faits qui sont soumis à l’analyse et au jugement. Ils n’ont pas le droit de les déformer ou de les masquer pour mieux justifier le commentaire qui en est fait.

De leur côté, les universitaires et les chercheurs des pays d’Afrique noire francophone doivent s’initier aux principes fondamentaux de la communication.

Les universitaires et les chercheurs : s’approprier les principes de la

communication Les principes de la communication enseignent que la réception,

l’assimilation et/ou le décodage d’un message dépend : -de l’émetteur, c’est-à-dire celui qui en assure la transmission (que

doit-il faire pour le rendre accessible, convaincant et crédible ?) ; -de ce message lui-même (substance ou essentiel ; style utilisé,

images, niveau de langue, volume, c’est-à-dire la longueur, la quantité des éléments constitutifs dudit message correspondent-ils à la capacité d’absorption du destinataire, le contenu suscite-t-il l’intérêt et l’attention du public-cible, qu’est-ce qui intéresse prioritairement ce public-cible ?) ;

- du canal (est-il approprié au partenaire; correspond-il à l’environnement et au cadre de référence de ce dernier ?) ;

- de l’audience (quel est le public-cible auquel on s’adresse, ses centres d’intérêt, ses goûts, ses habitudes, son pouvoir d’achat, ses possibilités, ses caractéristiques, ses marges de manœuvre ; que veut-on lui apprendre98 … ?).

Les principes fondamentaux de la communication plaident en faveur d’une reformulation de la recherche scientifique et technologique en Afrique en général, dans la zone colonisée par la France en particulier. Cette reformulation est destinée à faire de cette partie du monde un lieu de production des connaissances, à partir d’elle-même et de son socle propre. Une telle entreprise implique que l’on identifie les priorités, détermine les objectifs, les enjeux théoriques et épistémologiques, les problématiques de la recherche qui doivent mobiliser les représentants des milieux académiques. « Face aux changements en cours, il faut, recommande l’Agenda 2000 du Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique99 (CODESRIA), une nouvelle stratégie de description et d’interprétation, de nouvelles façons de percevoir ces réalités, et surtout un nouveau discours pour décrire l’Afrique et dépeindre les expériences, les souvenirs, la vie et le travail de ceux et de celles qui sont au centre de toutes les transformations. Ces

98

Sur cette question, voir FAO, Manuel de communication pour le développement, Romme, 1999. J. Madjri, Communication et pédagogie, construire ensemble, 1987 99

CODESRIA, Vers le Millenium : Agenda 2000, Dakar, 1998, p. 37

187

innovations et recompositions exigent une nouvelle stratégie de recherche et d’analyse qui privilégie les enquêtes sur le terrain, la relecture de vieux sujets avec des outils nouveaux, l’utilisation des méthodes quantitatives et comparatives, l’analyse à plusieurs niveaux, la recherche orientée vers la formulation de politiques publiques, et l’ouverture d’un vaste chantier devant déboucher sur la production de solides études empiriques et théoriques ». Il s’agit de mettre cette nouvelle stratégie au service des problèmes auxquels les populations sont confrontées en matière d’alimentation, de santé, de sécurité sociale, de transport, de logement, d’environnement… En un mot, repenser la recherche scientifique et technologique vise à concevoir et à adopter ce que certains appellent la recherche ou la culture du développement, une condition de la libération du génie créateur de l’Afrique noire, comme le rappelle Cheikh Anta Diop.

En effet, selon l’auteur de Nations nègres et Culture, cette partie du monde (Afrique noire) doit avoir, dans le domaine de la recherche scientifique et technologique, ses initiatives propres. Cela signifie s’interroger sur les conditions d’une réappropriation des savoirs, dans le cadre d’un nouveau modèle d’analyse et de réflexion qui, manifestement, remet en question le poids de l’héritage colonial dans les pays africains où, en dépit des apparences, les universités et les centres de recherche nationaux sont enfermés dans des thématiques et des problématiques sur la base des théories et des concepts élaborés en Occident. Jean Marc Ela a identifié cinq facteurs, au demeurant étroitement liés, qui plaident en faveur de la rupture avec ce système d’extraversion pour d’autres voies plus concrètes :

1-l’inadaptation de la formation et des savoirs aux préoccupations quotidiennes des populations ;

2-la dépendance de la définition et du financement des priorités de la recherche à l’égard des pays étrangers ;

3- l’inaccessibilité des résultats à l‘immense majorité des populations ;

4-la marginalisation des communautés locales des stratégies de recherche;

5- la perception de la recherche comme l’apanage du Blanc. L’inadaptation de la formation et des savoirs aux préoccupations

quotidiennes des populations Depuis la colonisation, la plupart des organismes de recherche

outre mer ont été conçus au Sud du Sahara, en fonction des logiques propres d’une politique d’intervention élaborée par les pays du Nord, à partir de leur vision du développement et de leurs intérêts. L’Afrique noire francophone en est une illustration éloquente. Les recherches agronomiques qui y sont menées portent sur les cultures de rente (cacao, café, arachide, palmier à huile, hévéa…) au détriment de celles qui constituent l’alimentation de base des populations (manioc, mil, patate, ananas, taro, canne à sucre…).

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La dépendance de la définition et du financement des priorités de la

recherche à l’égard des pays étrangers La définition des priorités de la recherche dépend des intérêts

extérieurs, en plus des financements qui en sont étroitement liés. L’inaccessibilité des résultats à l’immense majorité des populations Les savoirs sur le développement, accumulés par les organismes et

les instituts de recherche échappent encore à l’immense majorité des populations africaines et retournent souvent dans les pays du Nord où ils sont stockés dans les centres de documentation inaccessibles.

La marginalisation des communautés locales des stratégies de

recherche Si certaines études et enquêtes sont réalisées en collaboration avec

les chercheurs nationaux, les communautés locales sont tenues à l’écart des stratégies de recherche.

La perception de la recherche comme l’apanage du Blanc Les universités africaines et les centres nationaux de recherche ont

tendance à reproduire cette tradition génératrice de marginalisation et de frustration. Ils risquent de faire croire que la « recherche », c’est l’affaire des Blancs ou des « fils » de Blancs.

Comme on peut le constater, il s’agit de travaux qui intéressent

avant tout les décideurs politiques ou les responsables des projets de développement qui ont besoin d’être fixés sur les solutions à apporter aux problèmes ponctuels et sectoriels qu’ils ont à résoudre. A cet effet, les chercheurs et les universitaires nationaux jouent le rôle de consultants. Il faut abandonner ce système d’extraversion des problématiques et de dépendance scientifique pour une démarche qui ouvre d’autres voies à la recherche ou à la culture du développement. « Au-delà de l’idéologie et du discours normatif, il s’agit, explique Jean-Marc Ela100, de contribuer au renouvellement du regard sur les données significatives sur lesquelles l’intelligence a besoin de prendre appui pour comprendre en profondeur cette Afrique qui constitue, encore, aujourd’hui, comme hier, l’objet d’élection où s’investissent les clichés rebelles, les mythes et les fantasmes dont se nourrit l’imaginaire occidental. L’enjeu est celui-ci : arracher l’Afrique à toutes les mythologies pour l’inscrire dans l’espace de la connaissance, à partir de l’apport des différentes disciplines de la science. Car la crise de l’Afrique est d’abord la crise du regard que l’on porte sur ce continent, ses sociétés et ses cultures… ». 100

Jean-Marc Ela, op. déjà cité, p. 12.

189

La culture du développement devrait et/ou pourrait consister, comme le recommande le Plan d’action de Lagos :

-à élargir la recherche scientifique et technologique aux centres ou aux lieux autres que les milieux académiques traditionnels ;

-à mieux prendre en compte les préoccupations quotidiennes des populations et du contexte socio culturel ;

-à considérer ces populations comme de véritables partenaires et non plus comme de simples bénéficiaires des projets de développement ;

-à réhabiliter les sciences de l’homme et de la société ; -à repenser les modes d’évaluation des universitaires et des

chercheurs. En marge des universités et des centres de recherche classiques,

d’autres lieux ou d’autres espaces de production et de diffusion des connaissances scientifiques et technologiques se multiplient et se développent tels que le secteur privé, les études et les enquêtes menées dans le cadre des projets de développement, les ONG et les organisations syndicales, à travers le monde entier. Quoique faisant appel à l’expertise des universitaires, ces nouveaux lieux ou ces espaces de réflexion et de recherche constituent une mine d’informations et une banque de données de terrain auxquelles il faut se référer pour avoir une perception des réalités et une expérience qu’on ne trouve pas toujours dans les travaux académiques. « Dans cette perspective, il importe, écrit Jean-Marc Ela, de redéfinir le rapport au savoir en soulignant le besoin d’une mise en réseau des compétences. L’éclatement du modèle traditionnel de production, de dissémination et d’usage des savoirs pose de nouveaux défis à l’Université : dans un contexte en profonde mutation, de nouvelles conditions de réflexion sur la nature de l’activité de recherche s’imposent à l’attention. Elles exigent des efforts d’adaptation en vue de définir des stratégies de production des connaissances conduites en interaction continue, à partir d’un processus d’interpellation réciproque entre les chercheurs universitaires et les acteurs engagés dans les programmes d’intervention… ». A cet égard, pour le même auteur101, la recherche pour le développement doit : -redécouvrir la diversité des lieux de production des connaissances ; -prendre conscience de l’apport des savoirs et des pratiques élaborés en dehors des institutions universitaires ; -se mettre à l’écoute des besoins et des aspirations du terrain ; -faire parvenir les résultats des travaux réalisés auprès des acteurs de base ; -être attentive au langage que les milieux académiques utilisent sans s’interroger sur sa réceptivité et son intelligibilité par les milieux d’intervention et les populations locales ; -prendre en compte le non-dit des concepts utilisés tant par les milieux universitaires que les milieux d’intervention (développement, pauvreté, société civile, gouvernance, participation, genre, etc) ;

101

Jean-Marc Ela, op. déjà cité, p. 5-6.

190

-ouvrir un espace de confrontation entre les niveaux ou les degrés du savoir ; -établir la cohérence entre les démarches d’analyse et situer dans une vision dynamique et globale les problématiques de recherche ou d’intervention trop souvent liées à une approche statique et sectorielle qui ne tient pas de la complexité, des interactions des faits de population et de développement et des processus dans lesquels ces faits s’insèrent au sein des sociétés qui ont leur historicité propre.

Parce que les populations doivent passer du statut de simples bénéficiaires à celui de véritables partenaires du développement, la recherche scientifique et technologique doit s’articuler désormais autour de leurs préoccupations quotidiennes, en tenant compte de leur environnement socio culturel et du processus de mondialisation auquel aucune région ne peut échapper aujourd’hui. D’où l’apport des sciences de l’homme et de la société. On ne peut comprendre et résoudre les vrais problèmes de l’Afrique sans cet apport. « En d’autres termes, ce qu’attendent les populations locales tranche, précise Jean-Marc Ela102, avec la manière dont les systèmes de formation sont organisés et gérés. Dans ces conditions, l’émergence d’un nouveau type de chercheur nécessite la prise de conscience de la responsabilité des milieux universitaires à l’égard des problèmes de développement. On ne peut plus se définir comme chercheur sans s’impliquer dans les tâches de production des connaissances pertinentes et opératoires. A partir des situations qui exigent des investissements intellectuels et scientifiques massifs dans la vie d’une région ou d’un pays, le chercheur en Afrique est confronté à deux questions fondamentales suivantes : que dois-je faire ? Quelle est ma responsabilité face aux hommes et aux femmes qui cherchent des raisons de vivre et d’espérer ? ».

Dans un tel contexte, les critères d’évaluation des universitaires et des chercheurs devraient être redéfinis. Sans remettre en cause l’importance de la recherche fondamentale, la légitimité des grades délivrés par le Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES), on devrait accorder, par exemple, une plus grande attention à l’intégration des travaux aux préoccupations quotidiennes des populations et à la portée desdits travaux pour ces populations, lesquelles veulent changer leurs conditions de vie et le statut de leurs communautés. Il ne suffit donc plus de produire des connaissances avec la seule préoccupation d’être pris au sérieux par ses collègues comme s’ils étaient la seule communauté concernée par les savoirs scientifiques.

Bien entendu, la nouvelle culture du développement est inséparable de la restructuration du système éducatif et de la remise en cause du concept de progrès économique et social.

102

Jean-Marc Ela, op. déjà cité, p. 16-17.

191

CONCLUSION Depuis l’octroi des indépendances, il y a, dans les pays d’Afrique

noire francophone, un fossé entre le système médiatique et l’univers de la production des connaissances scientifiques et technologiques. Ce fossé tient, essentiellement, au fait que les deux mondes nourrissent des préjugés ou des stéréotypes l’un pour l’autre. Pour l’univers de la production des connaissances scientifiques et technologiques, les médias offrent une culture qui divertit, amuse et, par voie de conséquence, est destinée aux couches sociales non aisées. Pour les professionnels des médias, les universitaires et les chercheurs se complaisent dans un académisme vain, consistant à mesurer leur légitimité par des travaux plus soucieux de gérer leur carrière que de servir les populations. Il en résulte que les populations ne perçoivent pas l’enjeu de la recherche scientifique et technologique face aux priorités telles que l’alimentation, la santé, l’électrification, les routes.. Plus grave : elles en arrivent à la conclusion que les universités et les centres de recherche sont des institutions budgétivores. Il est évident qu’une telle situation est préjudiciable au développement économique et social dans les anciens territoires français, dans la mesure où ledit développement est une question de changement de mentalités et d’acquisition de connaissances scientifiques et technologiques. Pour faire face à cette situation, une véritable synergie entre le monde des médias et l’univers des milieux académiques.

La synergie entre le monde des médias et les milieux académiques n’est concevable et possible que si leurs représentants prennent conscience qu’ils peuvent et/ou doivent se prêter un mutuel appui, dans la mesure où ils sont tous des acteurs du développement économique et social. Pour ce faire, les professionnels desdits médias doivent emprunter aux universitaires et aux chercheurs l’esprit scientifique et ces derniers aux autres les principes de la communication. Un véritable défi.

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SYSTEME NUMERIQUE SPECIFIQUE LIE A LA PEDAGOGIE A L’UNIVERSITE ALASSANE OUATTARA DE BOUAKE

Gilbert TOPPE Université Alassane Ouattara de Bouaké

Côte d’Ivoire RESUME : L’université, comme tout élément constitutif et participatif de la société, n’a pas échappé à l’avènement des technologies de l’information et de la communication (TIC). Ces technologies mettent à la disposition des étudiants et des enseignants les outils, les ressources et les services numériques indispensables à l'enseignement d'aujourd'hui. Mais à l’université Alassane Ouattara de Bouaké en Côte d’Ivoire, en raison de la fracture numérique entre les pays du Sud et ceux du Nord, mais surtout au plan local, en raison de la fracture numérique entre la ville d’Abidjan et les autres villes de l’intérieur du pays, il y a une très faible présence de ces technologies sur le campus de l’université de Bouaké. Pour pallier ces insuffisances, les enseignants et étudiants travaillent avec un système numérique spécifique qui demande une contribution personnelle et matérielle des uns et des autres, et ce, en attendant la réalisation des promesses du gouvernement qui visent à équiper les campus d’outils technologiques de pointe. Mots clés : université, numérique, spécifique, pédagogie, e-éducation, LMD ABSTRACT: The University, like any constituent and participatory element of society, has not escaped the advent of information technology and communication (ICT). These technologies make available to students and teachers the tools, resources and services essential to the digital teaching today. But at the University of AlassaneOuattara Bouake, Côte d'Ivoire, because of the digital divide between the South and the North, but especially at the local level, because of the digital divide between Abidjan and other cities within the country, there is a very low presence of these technologies on campus of the University of Bouake. To remedy these shortcomings, teachers and students work with a specific digital system that demands personal and material of each other's contribution, and that, pending the fulfillment of the promises of the government aimed to equip the campus of technological tools tip. Keywords: university, digital, specific, pedagogy, E-education, LMD

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INTRODUCTION L'évolution des TIC103 est en train de bouleverser le mode de vie de l’être humain dans tous les domaines d’activités. C’est notamment le cas au niveau de l’enseignement supérieur où elles sont utilisées généralement pour que les enseignants, les étudiants et le monde extérieur puissent communiquer facilement dans le cadre de leurs activités. L’enseignement supérieur connaît donc une évolution et une révolution sous la gouvernance des TIC. Que ce soit du côté des étudiants, du personnel universitaire, du corps professoral, l’activité universitaire est de plus en plus liée au développement du système numérique. Et pourtant,dans les universités publiques ivoiriennes et spécialement à l’université Alassane Ouattara de Bouaké, les infrastructures numériques sont quasi-inexistantes. Pour pallier ces insuffisances, des solutions spécifiques sont proposées par les principaux acteurs que sont les enseignants et étudiants dans leurs différentes applications pédagogiques, alors que se fait attendre la concrétisation d’une politique nationale visant le déploiement d’un puissant réseau numérique. I- CONTEXTE POLITIQUE ET NUMERIQUE DES UNIVERSITES IVOIRIENNES La Côte d’Ivoire est un pays à peine sorti d’une décennie104 de crise militaro-politique. Aussi, beaucoup d’infrastructures socio-économiques, dont les installations numériques en ont été affectées ou affaiblies. Dans ce contexte, les universités publiques n’ont pas été épargnées puisqu’elles sont encore aujourd’hui très peu informatisées. La conséquence fondamentale de cette situation est qu’ily a toujourstrès peu d’informations sur internet à leur sujet. Les seules pages web officielles qui parlent d’elles sont: http://enseignement.gouv.ci, le portail officiel du ministère de l’Enseignement supérieur où s’effectuent les inscriptions de tous les étudiants issus de ces universités; http://dorexci.net, le portail de la direction de l’orientation et des examens de ce même ministère. Sur ce dernier, loin d’être à jour, certaines pages donnent aussi bien des noms que des liens qui ne sont plus d’actualité. Un constat s’impose donc rapidement concernant les universités ivoiriennes et le numérique: l’outil informatique y est peu disponible et les télécommunications fonctionnent mal ; les sites web des universités sont surtout des portails ouvrant sur des « terrains vagues » ; l’informatisation des fichiers est inexistante et l’ébauche de connexion des bibliothèques est réduite (Bahi, 2006 : 155). Cela revient à dire que les cinq universités publiques de Côte d’Ivoire105ont une visibilité très réduite sur internet. Elles n’ont en effet aucune identité numérique (ni page web ou page web non à jour, ni profil Face book, ni

103 Technologies de l’Information et de la Communication. 104 2002-2011. 105 L’université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody, l’université Nanguy-Abrogoua d’Abobo-Adjamé, l’université Alassane Ouattara de Bouaké, l’université PeleforoGbon Coulibaly de Korhogo.

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compte twitter, You tube, Google+, etc.). C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, elles ne figurent pas sur le classement des universités africaines106. Sur les campus, l’accès à internet est rare, ce qui ne donne pas la possibilité pas aux enseignants de rendre disponibles leurs cours sur le web conformément aux recommandations du système LMD107. De plus, les bibliothèques ne sont pas encore bien fonctionnelles, alors que les étudiants manquent cruellement de documents. C’était déjà le cas bien avant la crisepostélectorale de 2011. Mais aujourd’hui, du fait de cette situation, le peu de documents formalisés a disparu et l’accès à la documentation est devenu un enjeu important pour les étudiants ivoiriens en général et pour ceux de l’université de Bouaké en particulier. Face à cet enjeu, internet semble une solution, avec toutes ses sources de documentation fournies qui pourraient permettre aux étudiants d’accéder aux ressources en ligne plus ou moins gratuitement. Encore faudrait-il disposer de la connexion et savoir maîtriser les applications nécessaires à cet effet, ce qui n’est malheureusement pas le cas pour beaucoup d’entre eux. Bref, les universités publiques ivoiriennes sont en reconstruction car elles sortent petit à petit comme le pays lui-même d’une cruelle période de conflit armé. Cette réalité est encore plus valable au niveau de l’université Alassane Ouattara de Bouaké, ville qui fut la capitale de la rébellion de 2002 à 2011108. En effet, cette université qui n’existe que depuis 1992109, a été totalement pillée et est restée en ruine durant toute la période de la crise, tout comme la ville elle-même. Pour son fonctionnement, l’administration et les étudiants ont été délocalisés à Abidjan et le retour de l’université de Bouaké à Bouaké n’est effectif que depuis janvier 2012. Il est vrai que la

106 Le classement 2013 des 100 meilleures universités africaines dressé par University Web Ranking est basé sur des indicateurs de qualité des sites web des universités, tenant compte de leur dimension, de leur visibilité dans les moteurs de recherche et de la richesse des contenus. En effet, pour les auteurs, internet doit être maintenant un des moyens fondamentaux pour la diffusion de la connaissance, surtout au niveau académique. Et pour ce faire, l’évaluation des activités universitaires doit tenir compte de la capacité des universités d’employer le réseau pour améliorer leur visibilité. 107 Licence, Master, Doctorat. Ce système recommande une parfaite symbiose entre internet et le plein déroulement de l’activité pédagogique universitaire. 108 Selon le Président de l’université Alassane Ouattara, Lazare Poamé, cité par le portail http://news.abidjan.net/h/464606.html, l’université de Bouaké, aujourd’hui dénommée université Alassane Ouattara qui est complètement défigurée par la guerre, est en pleine renaissance. 109 Créé en 1992, le Centre universitaire de Bouaké devient, par le décret n°95-975 du 20 novembre 1995, une université autonome et prend l’appellation d’« Université de Bouaké ». Par décret n°2012-984 du 10 octobre 2012 déterminant les attributions, l’organisation et le fonctionnement de l’université de Bouaké, cette institution est désormais dénommée : Université Alassane Ouattara, du nom du président de la République en exercice depuis avril 2011.

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réhabilitation des principaux bâtiments a été faite, mais il reste encore à installer les infrastructures numériques, pour permettre aux étudiants d’effectuer leurs études dans de bonnes conditions. II- LE CAS PRECIS DU CONTEXTE NUMERIQUE DE L’UNIVERSITE ALASSANE

OUATTARA DE BOUAKE A la rentrée universitaire 2012-2013, l’enseignement supérieur ivoirien s’est engagé en faveur d’une mise en œuvre intégrale du système LMD dans les universités,un système qui tend à s’imposer comme référentiel mondial pour l’enseignement supérieur. Ce système est extrêmement ambitieux pour les Etats africains, car il implique l’internationalisation des diplômes, la compétitivité et la co-construction des offres de formation avec des partenaires extérieurs, l’utilisation optimale des TIC et le souci constant de l’employabilité des diplômés. Comme on peut l’imaginer, la réussite d’un tel système ne peut être possible sans l’intégration et l’appropriation des TICpar les différents acteurs de l’enseignement supérieur. Au niveau de l’université Alassane Ouattara de Bouaké qui a aussi opéré le basculement intégral vers le système LMD, les enseignements se font donc d’une façon ou d’une autre, en rapport avec le numérique. Véritablement, cette technologie sert à sa manière à distribuer et partager des contenus, à développer des matériels de cours, à créer et diffuser des présentations et des conférences. Plusieurs autres usages de cette technologie se développent en lien notamment avec la recherche scientifique et académique, au soutien administratif, aux inscriptions estudiantines, etc. Au niveau pédagogique, ce système recommande obligatoirement des formes d’enseignement numériques qui induisent un temps présentiel réduit au profit de plus de recherche et de travaux personnels pour les étudiants110. Toutefois, les infrastructures numériques (connexion internet) sur le campus sont quasi-inexistantes. En réalité, il n’y a ni bibliothèques spécialisées, ni salles multimédias fonctionnelles, ni wifi sur le campus et sur les sites privés que loue l’université pour dispenser les enseignements et effectuer certains travaux de recherche.Les technologies de réseau, les interfaces web multi-fenêtrées de retransmission de cours en temps réel, la mise en ligne des cours, le fonctionnement réel d’internet ne sont pas encore effectifs à l’université Alassane Ouattara de Bouaké. Dans le fond, la question numérique à l’université Alassane Ouattara de Bouaké est plus liée à la fracture numérique, en raison du débit local relativement faible, qu'à la détermination qu’auraient les autorités universitaires d’apporter des solutions innovantes. Il est vrai que l’on parle de fracture numérique entre les pays du Nord, développés et les pays du Sud, en développement. Maisdans le cas spécifique de la Côte d’Ivoire, il est encore plus vrai de parler de fracture numérique entre la ville

110 Il s’agit d’en moyenne 40% de cours en présentiel contre 60% d’heures de charge de travail pour l’étudiant.

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d’Abidjan,qui concentre à elle seule plus de 60% des infrastructures numériques, et les autres villes de l’intérieur du pays, dont la ville de Bouaké, qui ensemble, détiennent le reste, c’est-à-dire en moyenne 40%. Ainsi, l’université de Bouaké est aujourd’hui confrontée à une situation numérique difficile dans un contexte où elle garde tout de même sa mission de former les étudiants à un moment où le numérique bat son plein un peu partout dans le monde entier. A propos de cette période mondiale du numérique, une question fondamentale est posée par Michel Serres : « Avant d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître. Qui se présente, aujourd’hui, à l’école, au collège, au lycée, à l’université ? » (Serres, 2012). Cela revient à dire que l’université de Bouaké a l’obligation de former ses étudiants sur les exigences du numérique au même titre que toutes les autres universités du monde. Globalement, au regard de toutes ces observations, il est devenu capital de penser ou même de repenser les fondements et les fonctionnements du numérique à l’université de Bouaké et de comprendre comment elle peut se confronter aux évolutions de la société universitaire en s’y adaptant mais aussi en les accompagnant à travers d’un côté des investissements et de l’autre, des séminaires, colloques et autres journées scientifiques pour mettre régulièrement à jour les applications.111 Dans ce contexte, la question de l’usage du numérique dans cet établissement universitairedoit se révéler être celle de diverses opportunités pédagogiques en termes de diversification des modalités d’enseignement et d’encadrement, de fluidité des temps et des espaces éducatifs. Pour l’heure, pour se rapprocher donc de cette réalité en cherchant à pallierles insuffisances de connexion internet sur le campus, les enseignants et étudiants fonctionnent aussi dans leurs applications pédagogiques à partir d’un système numérique spécifique. Ils se tournent résolument vers les quelques cybers espaces ou cybercafés implantés dans leurs quartiers ou au centre-ville ou vers des connexions mobiles à coûts onéreux, lesquelles connexions sont souvent irrégulières.Ces connexions mobiles sont tout de même fournies par les compagnies de téléphonie mobile que sont Orange, MTN et MOOV en moyenne à 20 000 FCFA/mois (environ 30 euros), c’est-à-dire le tiers du SMIG112. En effet, ayant compris qu’enl’état actuel des choses, l’université ne peut pas répondre absolument à leurs attentesen matière d’exploitation pleine et entière d’internet et de ses dérivées durant les cours ou même durant

111Par exemple, l’université Alassane Ouattara de Bouaké a abrité du 25 au 27 novembre 2013, la 4ème édition du Salon de l’Enseignement supérieur sur le thème : « L’usage des technologies de l’information et de la communication pour un enseignement supérieur de qualité : une opportunité pour réussir la réforme LMD ». 112Le 20 novembre 2013, le gouvernement ivoirien a annoncé à 60 000 FCFA le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG).

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leurs travaux divers sur le campus, quand bien même cela est fondamental dans leurs différentes approches cognitives, ils ont opté pour des solutionsvariables et personnaliséesqui leur offrent ainsi un accès à internet ici et là pour leurs travaux universitaires. L’exploitation de ces opportunités numériques, confirment le fait qu’aujourd’hui, les cultures numériques et médiatiques des étudiants de l’université de Bouaké se construisent et se développent principalement hors de l’université. Concrètement, les cours sont construits par les enseignants et la version numérique de ces cours sont communiqués aux délégués des étudiants via leur mail, ceux-ci se chargeant de les faire parvenir à leurs camarades étudiants également via leur mail. Avant de venir aux cours, les étudiants qui le peuvent, téléchargent et tirent la version papier des cours, qu’ils exploitent ensemble avec les enseignants lors des cours magistrauxou lors des travaux dirigés. Mais là encore, il y a beaucoup de difficultés à surmonter par les étudiants concernés. Certaines de ces difficultés sont relevées par Agui Bahi113 en ces termes : « Certaines difficultés que rencontrent les enseignants-chercheurs dans les cybercafés nous semblent maintenant « classiques ». La lenteur des machines joue immédiatement sur le coût encore élevé de la connexion limitant le temps à passer devant un ordinateur … Consulter un article sur Internet revient fréquemment à le lire « en diagonale » sur l’écran, à le télécharger, puis un tirage papier pour pouvoir y travailler : « ça revient cher… il y a des mots qui sautent à droite à gauche... on perd du temps ». Malgré tout, ce système a l’avantage de permettre une progression assez normale des cours,bien que les moyens financiers souvent faibles pour la plupart des étudiants de ce qui reste bien une université rurale et cosmopolite, constituent un frein au plein développement de cette forme de pédagogie. La responsabilité de l’université est donc de solliciter davantage l’Etat (étant une université publique) pour l’aider à faire le lien entre cette situation et une culture médiatique moderne des étudiants, des enseignants, des chercheurs mais aussi de tous les autres acteurs de cette université. Il s’agira de mettre en place les passerelles, les ponts avec tous les professionnels, à l’université et hors de l’université, qui concourent à l’éducation numérique des uns et des autres, mais singulièrement des étudiants. Cette forme de pédagogie qui défriche le terrain de la modernité doit s’articuler avec celle des industries médiatiques et avec l’influence exercée par les parents. En effet, l’accès des étudiants à la culture et à l’information se fait massivement par les médias numériques, internet en particulier. Or, la relative faible fréquentation de ce média par les étudiants ne leur

113AghiBahi: Les universitaires ivoiriens et Internet, Afrique et Développement, Vol. XXXI, No. 3, 2006, page 161.

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permet pas de se construire efficacement. A notre avis, cette situation peut renforcer les inégalités sociales, sources de conflit et de révolte en Côte d’Ivoire (Toppé, 2010 : 34). Comme on le voit, les pratiques pédagogiques à l’université Alassane Ouattara de Bouaké sont encore loin d’intégrer toutes les potentialités du numérique, malgré la bonne volonté des principaux acteurs114 qui vise à proposer des solutions spécifiques pour faire face au manque de connexion structurelle sur le campus. Il est vrai que la prise de conscience de la responsabilité desenseignants et étudiants a d’ores et déjà donné lieu à cesstratégies pédagogiques spécifiques évoquées. Mais il est temps de changer d’échelle dans la formation des étudiants avec le concours de méthodes pédagogiques répondant aux normes requises. L’enseignement des bonnes pratiques ne peut se faire sans une réflexion d’ensemble sur les contenus médiatiques et leurs logiques de fonctionnement. Il nécessite, comme tout enseignement fondamental, un suivi et une constanceconcernant les TIC, dont la pleine intégration dans l’enseignement deviendra la marque visible de l’universalité du phénomène technique et numérique dans une société universitaire en pleine mutation. En effet, les TIC sont aujourd’hui à l’enseignement supérieur et singulièrement au système LMD, ce qu’est le sang pour le fonctionnement de l’organisme humain. Avec les TIC situées au cœur du système LMD, le triptyque étude-enseignement-évaluation doit être désormais perçu et mis en œuvre avec la contribution de tous, singulièrement les pouvoirs publics. Cette contribution va conditionner la mise en place des méthodes pédagogiques nouvelles, à versant participatif et technologique, visant l’amélioration de la qualité de la formation, de l’encadrement et par ricochet, du taux de réussite des apprenants ainsi que la disponibilité des enseignants. Cela est d’autant vrai que les TIC, dans l’enseignement supérieur, n’ont pas le même coefficient de présentification, c’est-à-dire le même contenu ou la même perception que peuvent leur accorder les autres ordres d’enseignement. Assurément, dans l’enseignement supérieur, les TIC sont non seulement un outil pédagogique et didactique, mais aussi un objet de recherche. C’est en ce sens que l’université, dans son usage des TIC, se distingue de bien d’autres instituions utilisant ces technologies et c’est ce qui justifie et appelle l’urgence de la création d’une ligne budgétaire pour la recherche dans les universités publiques de Côte d’Ivoire. C’est à cette seule condition que l’enseignement supérieur pourra se targuer d’être l’algorithme de résolution des questions sociétales.« L’Université conserve, mémorise, intègre, ritualise un héritage culturel de savoirs, (d’) idées, (de) valeurs ; elle le régénère en l’examinant, l’actualisant, le transmettant ; elle

114 Allusion faite aux solutions tendant à pallier le manque de connexion internet sur le

campus.

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génère du savoir, des idées et des valeurs qui vont alors rentrer dans l’héritage. Ainsi, elle est conservatrice, régénératrice, génératrice. A ce titre, l’Université a une fonction et une mission trans-séculaires » (Edgar Morin, 1999 :93). A cette approche de l’enseignement supérieur que propose Edgar Morin, il faut ajouter notre conviction selon laquelle il y a au préalable, l’acquisition d’un certain nombre d’infrastructures pour accompagner l’entrée des TIC dans l’enseignement supérieur. Plusieurs défis majeurs se présentent ainsi à l’université Alassane Ouattara pour entrer pleinement dans l’ère des TIC. D’abord, il y a les évolutions culturelles qui se traduisent par de nouveaux comportements relationnels, cognitifs et citoyens.Dans la société numérique d’aujourd’hui, se confirme l’émergence du citoyen numérique, avec les nombreuses zones d’ombre et d’incertitude du fait même de sa nouveauté. Il faut donc adapter l’université, son environnement, son rythme de travail, ses rituels. Il sera essentiellement question d’adapter les pratiques des enseignants aux nouvelles modalités de comportement privilégiées aujourd’hui par les étudiants dans l’accès à l’information et aux médias, sources essentielles de la construction du savoir dans une démarche d’autonomie. La responsabilité de l’université, sans laquelle l’entrée effectivede la communauté universitaire dans le numérique est difficile, sera de donner à cette communauté, les moyens d’être capables de médiatiser l’accès à la connaissance dans ses nouvelles modalités issues du monde numérique. Serge Tisseron définit ainsi cette réalité : « L’introduction des technologies numériques à l’école, ce n’est pas seulement faire les mêmes choses autrement, c’est une manière de repenser tout l’enseignement » (Tisseron, 2012). Sur la voie d’adaptation de l’université à son contexte numérique, l’Unité de Formation et de Recherche en Communication, Milieu et Société (UFR-CMS) de l’université Alassane Ouattara de Bouaké qui regroupe 9 départements115 et un service de formation continue, exploite un site privé : http://ub-esnut.org. Sur cet espace numérique tutoral de l'UFR-CMSde l'université de Bouaké qui comporte du texte, de l’image et du son, il y a les informations concernant l’UFR elle-même et les informations concernant lesdits départements. Dans l’ensemble, sont détaillés le profil des enseignants et leurs spécialités académiques, les offres de formations, les résultats des différents examens et les différents articles et revues scientifiquesnumériques publiés par ladite UFR116.Cette capacité à auto-

115 Communication, Philosophie, Sociologie, Histoire, Géographie, Lettres modernes, Allemand, Anglais, Espagnol. 116 Par exemples, il y a la Revue Ivoirienne de Philosophie et de Sciences Humaines, Les lignes de Bouaké La Neuve, Revue Ivoirienne des Sciences du Langage et de la Communication, Revue de littératures, Langues et Sciences Humaines, Revue Notre Afrique et la Revue Baobab.

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produire une documentation en ligne rejoignant le niveau des sites académiques de recherche ne doit pas faire oublier que la réponse principale proviendra d’une volonté nationale et d’une politique d’ampleur. III- LA REPONSE DU GOUVERNEMENTFACE A CETTE FAIBLE PRESENCE DU

NUMERIQUE Dans le cadre de la modernisation de la gestion de l’Etat, le gouvernement ivoirien a élaboré en 2011, le schéma directeur 2012-2017 de la gouvernance électronique (e-gouv)117. Dans ce programme, figure en bonne place le plan e-éducation118 avec pour objectif d’interconnecter tout le système éducatif et d’introduire les TIC dans la formation, la recherche et toute autre activité liées à l’éducation. Son but ultime étant de réduire la fracture numérique entre la ville d’Abidjan et le reste du pays. En effet, l’observation des politiques de dotation en équipements de développement,et notamment des avancées vers le numérique en Côte d’Ivoire, révèle une très forte disparité entre la ville d’Abidjan et le reste du pays. Par exemple, selon l’Agence des Télécommunications de Côte d’Ivoire (ATCI), en 2000, c’est-à-dire avant la rébellion de septembre 2002, la seule ville d’Abidjan (Sud-Est) disposait 190.540 lignes téléphoniques, soit 72% des lignes téléphoniquesreparties sur l’ensemble du pays, contre seulement 18.024 lignes téléphoniques installées dans la ville de Bouaké (Centre)119, qui n’en représente que 7%.Après la crise, cette disparité a été encore plus accentuée, surtout que la quasi-totalité des câbles téléphoniques installés dans la région de Bouaké ont été pillés, saccagés ou détruits par cette rébellion. Dans ce plan d’actions qui rend la formation universitaire compétitive au niveau national et international, il est clairement mentionné la nécessité d’une offre de formation de qualité. Concrètement, le plan prévoit une dotation par université publique de sonpropre réseau selon les standards internationaux et une interconnexion des différents bâtiments (techniques, administratifs, salles d’enseignement et locaux de recherches) avec des nœuds liés aux grands groupes thématiques de recherches, tels que le Droit, les Lettres, les Sciences de l’information et de la Communication (SIC)… Ceci étant, les enseignants et étudiants auront non seulement un accès à internet pour leurs activités pédagogiques et de recherche mais aussi un accès à des travaux qui les intéressent ou qui sont susceptibles de l’être. Pour les universités publiques, le projet e-éducation doit apporter une capacité d’enseignement additionnelle par le télé-enseignement; réduire la fracture numérique en ouvrant les portes (l’accès à internet) du savoir

117 Consulter à cet effet : http://ticeduforum.akendewa.net/actualites/le-dispositif-e-education-de-la-cote-divoire 118 Source : http://news.abidjan.net/h/440145.html) 119 Source : Agence des Télécommunications de Côte d’Ivoire (ATCI), sur : http://atci.ci

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numérique au monde universitaire et de la recherche); aider les étudiants pour un meilleur accès aux contenus (bibliothèques numériques, thèses, etc.); favoriser les échanges avec les plus grandes universités du monde; dispenser des cours depuis un amphithéâtre et de le rendre accessible dans plusieurs autres; organiser des sessions de télé-enseignement depuis des universités étrangères et accessibles à une dizaine d’amphithéâtres des universités ivoiriennes. Au niveau spécifique de l’université Alassane Ouattara de Bouaké, il permettra également aux enseignants et étudiants de maîtriser leur environnement pédagogique parla mise en place de réseaux intranet afin de se bâtir une identité numérique. Ces réseaux intranet seront des espaces de mutualisation des expériences d’usages intelligents des TIC afin d’améliorer les activités d’enseignement/apprentissage et de gestion des administrations scolaires. Pour une bonne intégration des TIC dans cette université, il faut penser à un certain nombre de points essentiel dont les contenants, c’est-à-dire les infrastructures TIC, les bâtiments etc. ; et la politique de contenus, qui doivent adresser les questions d’achat et de renouvellement des licences des logiciels et/ou définir leur fonction dans cette université. En plus des logiciels, il faut penser aux contenus éducatifs numériques adaptés au contexte de l’université de Bouaké;la formation des acteurs : enseignants, étudiants, personnels administratifs. Cette formation devra intégrer la production de contenus éducatifs numériques;la question énergétique devra être étudiée d’autant plus que les problèmes de fourniture en électricité se posent avec acuité dans cette localité. Il convient d’établir unmodèle économique pour la pérennisation car en intégrant les TIC, il ne faut pas oublier que ces outils n’ont pas une longue durée de vie. Il faut alors penser à un modèle économique pour que l’intégration des TIC soit pérenne. CONCLUSION Le numérique est devenu une ressource plutôt cruciale dans notre monde d’aujourd’hui, en particulier dans le monde universitaire. Avoir un accès permanent des ressources numériques à l’université relève en effet d’une culture numérique essentielle pour tous, enseignants et étudiants notamment. Mais dans les universités ivoiriennes, et tout particulièrement à l’université Alassane Ouattara de Bouaké, cette culture numérique se présente autrement. Il y a une forte appétence des enseignants et étudiants de cette université pour le numérique à laquelle l’établissement n’arrive pas à répondre du fait d’un déficit et d’une fracture numérique. Pour faire face à cette situation, des moyens spécifiques sont trouvés par ces acteurs pour avoir une communication pédagogique plus ou satisfaisante. Ce paysage de l’université de Bouaké est résumé par le site

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Wikipédia en ces termes : « L'université est cependant critiquée pour ne pas répondre aux normes requises par le système LMD récemment introduit : les cours dispensés sont uniquement théoriques, et l'infrastructure informatique n'est pas fonctionnelle. Il n'y a de connexion wifi, ni de matériel didactique. Les étudiants doivent ainsi parcourir de longues distances à leurs propres frais pour avoir un accès à Internet pour leurs différents travaux »120. L’enjeu sera de définir la façon dont l’Etat, à travers le projet e-éducation, pourra en tenir compte tout en concrétisant des solutions idoines. REFERENCES Bahi A., 2006, « Les universitaires ivoiriens et Internet », Afrique et Développement, Vol. XXXI, No. 3. Marcelli D., 2009, Il est permis d’obéir. L’obéissance n’est pas la soumission, Paris : Albin Michel. Morin E., 1999, La Tête bien faite : Penser la réforme, reformer la pensée, Paris, Seuil. Serres M., 2012, Petite poucette, Paris : Éditions Le Pommier. Tisseron S., 2012, « L’enseignant, un guide pour introduire le numérique à l’école ». [vidéo]. Toppé G., 2010, Communication politique et développement en Côte d’Ivoire, Paris, L’Harmattan. -Décret n°95-975 du 20 novembre 1995 portant création de l’université de Bouaké. -Décret n°2012-984 du 10 octobre 2012déterminant les attributions, l’organisation et le fonctionnement de l’université Alassane Ouattara. -http://abidjan.net (consulté le 12 février 2014). -http://atci.ci (consulté le 5 février 2014). -http://ub-esnut.org (consulté le 18 décembre 2013). -http://dorexci.net (consulté le 14 févier 2014). -http://enseignement.gouv.ci (consulté le 21 mars 2014). -http://gouv.ci (Consulté le 15 janvier 2014). http://ludovia.com/recherche_labos/2012/1289/l-enseignant-un-guide-pour-introduire-le-numerique-a-l-ecole.html (consulté le 5 février 2014). -http://news.abidjan.net/h/440145.html (consulté le 15 février 2014). -http://ticeduforum.akendewa.net/actualites/le-dispositif-e-education-de-la-cote-divoire (consultéle 21 mars 2014). -http://fr.wikipedia.org/wiki/Université_Alassane_Ouattara(consulté le 25 mars 2014).

120 http://fr.wikipedia.org/wiki/Université_Alassane_Ouattara.

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SANKOFA N° 6, juin 2014, pp.206-215 ISSN : 2226-5503

LA RESTAURATION DE LA COHESION SOCIALEN COTE D’IVOIRE : APPROCHES COMMUNICATIONNELLES

Jean-Claude OULAI Université Alassane Ouattara de Bouaké

(Côte d’Ivoire)

RESUME En tout état de cause, le climat social est une donnée théorique qui évolue en fonction des paramètres et des circonstances de facteurs endogènes et exogènes qui peuvent affecter la société depuis la cellule familiale jusqu’aux macros groupes qui fonctionnent au niveau de l’Etat, des nations dans leurs différents rapports. L’analyse en sciences sociales et humaines montre dans sa richesse interdisciplinaire l’intérêt d’un tel sujet à travers ses composantes politiques, sociologiques, linguistiques, psychologiques, communicationnelle, éthiques… Il importe donc qu’une amorce de réflexion dans la double direction du climat social et de la communication prenne en compte ce pluralisme disciplinaire pour rendre compte des constantes interférences que l’organisation sociale et celle de la communication peuvent avoir les unes avec les autres. MOTS CLES Climat social ; Communication sociale ; Paix ; Guerre ; Reconstruction, Crise ABSTRACT In any case, the social climate is a theoretical datum which evolves according to the parameters and the circumstances of endogenous and exogenous factors which can affect the society since the family unit until the macro groups which work at the level of the State, the nations in their various relationships. The analysis in social and human sciences shows in its interdisciplinary wealth the interest of such a subject through its political, sociological, linguistic, psychological components, communicational, ethical … It is thus important that a onset of reflection in this double direction of the social climate and the communication takes into account this disciplinary pluralism to report constants interferences that the social organization and that of the communication can have the some with the others. KEYWORDS Social climate; Social communication; Peace; War; Reconstruction, Crisis

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INTRODUCTION Un climat social, c’est un ensemble de données psychologiques et morales qui caractérisent les rapports entre individus au sein de la société. Aussi, ce climat social doit-il répondre à des normes positives ou négatives, ce qui précise la qualité des rapports. Le climat social traduit donc à la fois les sentiments interpersonnels qui affectent les rapports humains dans leurs cohésions ou dans leurs tensions, c’est-à-dire dans les relations antagoniques. De ce fait, le climat social peut être positif ou négatif selon le sens de cette tension. De même, sa qualité peut profondément varier en fonction des attitudes et/ou des comportements des individus. La communication sociale est une expérience anthropologique fondamentale, « qui permet d’établir des relations entre des personnes, entre des objets, ou entre des personnes et des objets » [Griveaud etGillaume, 1983 : 28]. La communication socialequi est donc au centre des rapports interpersonnels peut aider à traduire, à qualifier et à spécifier la qualité du climat social. Les supports de cette communication sont nombreux. Ils s’expriment à travers la langue, les langages, les signes, les signaux et les symboles. Les messages véhiculés à travers ces supports de signification permettent de comprendre la portée positive, négative ou neutre, le contenu de la communication entre les protagonistes, les concitoyens ou simplement les membres d’une collectivité donnée. Le phénomène de la communication aide à évaluer la nature des tensions qui affectent le climat social. Nous ambitionnons est de mener une réflexion sur l’utilité de la communication sociale dans la revalorisation du climat social en période post-crise. Il sera surtout question de poser le diagnostic de la situation pour en identifier les difficultés, afin de trouver ou de proposer des solutions. A cet effet, nous avons construit notre approche méthodologique sur les observations, l’analyse de contenu des articles de presse traitant de la crise et de la post-crise et des échanges sur le sujet (conversations avec parents, amis(es), collègues et étudiants) dans des cadres divers (Abidjan, Duékoué, Logoualé, Man et Bouaké). Il faut dire que nous nous sommes inspirés de situations du citoyen ordinaire. Du reste, nous précisons que notre travail s’articule autour de trois axes. D’abord, nous ferons l’examen du climat social sur trois séquences, ensuite nous présenterons des problèmes caractéristiques de l’après guerre dans le contexte ivoirien et enfin les propositions de solutions. I. QU’EST-CE QU’IL FAUT ENTENDRE PAR ‘’CRISE’’ ? Nous entendons par crise, la faillite d'un système et la dislocation d'une société en instaurant des zones d'incertitudes. Pour ce qui est de la Côte d'Ivoire, elle couvait depuis le décès du Président Houphouët pour connaître son apogée avec ce que l’on appelle « la crise post-électorale ». Au regard de l'ampleur de ses effets et de la fréquence de son usage aussi bien par le vendeur de charbon au coin de la rue que dans les

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conversations et les discussions du cadre supérieur, il nous est permis de dire que la crise est une notion qui prend tout son sens parce qu'elle est la forme par laquelle s'expriment naturellement à la fois les rapports pensés de l'Homme à la nature, de l'Homme aux autres et de l’Homme à l’Homme.Partant de là, la notion de crise devient alors l'élément structurant d'un système de pensée qui s’étend à tous les niveaux de la réalité humaine tout en permettant l’expression de l'ensemble de cette réalité. Nous continuerons pour dire que la crise est un point focal à partir duquel on peut interpréter le tableau d'une communauté humaine dans son entièreté afin d’appréhender au mieux les enjeux du jeu ou les jeux de l’enjeu. Dans cet environnement sensoriel, il importe de distinguer deux niveaux de perception d'une situation crisique, selon que l'on se situe à l’extérieur en qualité d’observateur ou soit que l'on se situe à l'intérieur en tant que sujet touché et/ou impliqué directement ou indirectement par le phénomène. Par ailleurs, deux visions fondamentalement opposées essaient d'appréhender les crises actuelles en Afrique : La première école de pensée propose une approche sociologique stipulant qu'il s'agit d'un phénomène inhérent à toute société en pleine mutation. Pour elle donc, la crise serait le signe annonciateur d’unemutationà conceptualiser comme une période d'apprentissage ou d'adaptation. On peut alors en déduire qu'il s'agit d'un passage quasi obligé.La seconde vision,bien plus dépréciative et quelque peu pessimiste projette la crise comme un signequalificatif d'un continent incapable de s’assumer. Au confluent de ces deux tendances émerge l'idée selon laquelle la crise est aussi structurelle. Mais à regarder de plus près tant la manifestation que le sens de la crise, on peut observertout de suite qu'elle a un statut sociologique particulier. Elle n'est donc pas synonyme de notion comme blocage, récession, ralentissement ou désordre dans le fonctionnement des institutions. Elle est tout cela à la fois et bien plus pourrions-nous dire. En résumé la crise est au finalune séquence social authentique dont les caractéristiques sont à la fois multiples et diverses qui au demeurant s’exprime dans un climat social qui en est le déclencheur. II. ANALYSE DU CLIMAT SOCIAL Examinons le climat social sur trois séquences de l’espace et du temps. D’abord en période ante-crise. Ce climat social est le reflet des groupements humains dans leur milieu d’origine et cela conformément aux valeurs de la culture du milieu. La structuration sociale ou la hiérarchisation spécifie l’organisation structurelle et fonctionnelle du milieu organisé par exemple en classe d’âge. Deuxièmement, en période de crise, le schéma hiérarchique et celui des normes et valeurs peut être profondément modifié tout comme les modalités de communication qui l’accompagnent. Les stratégies de belligérance, les nouvelles modalités se trouvent affectées par le climat général de violence, de destruction et de tensions permanentes qui contribuent à vicier le climat social et à le rendre porteur de ruine et de déconstruction sociale. La communication dans ces conditions est presque

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détournée de sa vocation initiale qui est celle d’unir les individus et les groupes sociaux tout en assurant une humanisation de la société à travers des messages intelligibles à partir de courants réversibles entre émetteurs et récepteurs. Ce, afin de permettre que la société humaine fonctionne selon des modalités qui situent l’homme au-dessus de tous les autres éléments de son ‘’règne’’. La communication sociale est porteuse donc de valeurs positives. Selon Rouquette (1998 : 6) : « La communication est l’instance de transmission, d’élaboration et de transformation de la pensée sociale […] ». Or, en période de crise, le contenu de la communication est perverti par des valeurs négatives. Ainsi, les formes et les contenus de la communication sont rendusmortifères ou tout au moins desservent la cause sociale à partir de référents antisociaux tels les idéologies de belligérance, de mensonges, d’incrimination qui contribuent à une dévalorisation générale du climat social. Enfin, en période post-crise, les tensions et dégâts ou désastres nés des effets de la crise deviennent difficiles à rectifier. La reconstruction sociale, la recherche du nouvel ordre de vie en communauté sont rendues plus compliqués à cause des dégâts physiques, psychologiques et moraux causés par les stratégies destructrices de la crise. Le climat social dénaturé doit nécessairement retrouver de nouvelles normes pour refaire l’ordre ancien en améliorant la qualité des rapports humains dans des conditions sociales souvent politiques, économiques et culturelles très tendues. C’est à ce niveau que la dimension de l’Homme prend toute sa signification dans ses capacités à recourir à sa conscience et aux valeurs de la société pour assurer des comportements qui transcendent les blessures, les rancœurs et autres tendances orientées vers la vengeance et l’autojustification. Encore à ce niveau, la communication sociale est incontournable car c’est à elle qu’il faudra encore se référer pour donner un sens constructeur aux mots, verbes qui touchent l’esprit, la volonté afin de réussir à remonter la perte des valeurs positives indispensables au renouveau social de la situation post-crise. Ce sujet nous met au devant de deux foyers de réflexion dont le premier est le climat social et le second la communication sociale. L’interdépendance du climat social et de la communication sociale au sens humain indique le double rôle spécifique que l’individu dans le groupe et le groupe dans la société sont appelés à jouer pour donner à notre espèce une dynamique positive afin d’élever la société et amplifier son rôle et ses fonctions dans la quête d’une vie meilleure.S’il est entendu que le paradigme de la société et des crises qui lui sont inévitablement attachés reste une constance, il faut aussi ajouter que les crises ne sauraient être des fatalités. Elles doivent être conjurées grâce aux capacités internes et externes que sont les valeurs morales, culturelles et psychologiques dont les humains sont pourvus et qui se traduisent par ces mouvements alternatifs à travers la guerre et la paix. En prélude à l’analyse des moyens ou méthodes de prévention des conflits ou du maintien d’un climat social apaisé en situation post-crise, afin de trouver ou de proposer des solutions pour une paix durable, nous croyons qu’il importe d’identifier des éléments propres et des problèmes

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spécifiques qui peuvent se poser à cette période sensible de la dialectique guerre-paixnotamment en Côte d’Ivoire. III. QUELQUES PROBLEMES SPECIFIQUES DE LA PERIODE POST-CRISE

IVOIRIENNE Une nation, un pays ou une société qui sort d’une guerre ou d’un conflit a des problèmes spécifiques qu’il est difficile d’identifier de façon précise relativement à leurs diversités et leurs complexités. Pour cette recherche, nous allons nous appesantir sur deux points qui nous semblent majeurs : les indices généraux de situations de crise/post-crise et les tensions sociopolitiques latentes. Abordant le premier point, nous dirons que ces indices généraux sont globalement ceux de la décohésion sociale et de la crise économique avec les conséquences prévisibles que sont la paupérisation, les risques de famines et/ou d’épidémies et une désagrégation sociale. Nous sommes sans ignorer par exemple que les migrations forcées des populations lors de la crise en Côte d’Ivoire ont occasionné une crise économique et sociale. Ces populations (déplacées de guerre et/ou réfugiées) sont victimes d’un réel bouleversement tant économique, social que culturel. L’abandon temporaire et/ou définitif de l’emploi (salarié, formel ou informel) est cause de paupérisation ; la destruction du matériel de travail (atelier, chantier ou autre) ; l’émigration est tout aussi cause de marginalisation car les nouveaux milieux d’accueil peuvent provoquer de profonds changements socioculturels. Le démembrement des familles ou des communautés peut avoir des conséquences négatives sur leur vie sociale relativement au fait que cela entraîne une rupture d’avec leurs anciens modes de vie, modes de vie qui leur donnaient la possibilité de se prendre en charge eux-mêmes sans apport ou assistance extérieure. Il faut dire que ces problèmes se retrouvent en fait dans la quasi-totalité des secteurs de la vie sociétale (économique, politique, psychologique et sociale, culturelle voire éthique). Toutes ces situations provoquées par la crise sont à inscrire dans les facteurs négatifs des effets de belligérance. Le second point est relatif aux tensions sociopolitiques latentes qui ne cessent de spasmer ou d’affecter plus ou moins la société ivoirienne. Ce sont des tensions qui ont tendance à se poser avec plus d’acuité du fait de la crise, et même à poser ou imposer de nouveaux soucis auxquels on ne prête généralement pas assez d’attention dans la gestion du climat social en situation post-crise. Elles sont susceptibles de créer des germes de conflits nouveaux et souvent ouverts à un moment où l’on pense avoir jugulé la crise et restauré un climat social apaisé et confiant. Ces tensions latentes peuvent être de divers ordres. Nous pouvons avoir entre autres la question du foncier rural dans l’ouest et le centre-ouest du pays ou les sempiternelles tensions entre autochtones, allogènes et étrangers ; les divergences entre militants de différents partis politiques ; la question de l’inscription sur les listes électorales, de la composition de la CEI, etc… Il importe de retenir qu’en situation post-crise, ces problèmes peuvent être la source de reprise ou de perpétuation du conflit si l’on n’y prend grade.

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Ces problèmes sont susceptibles de remettre en cause la restauration ou la reconstruction d’un climat social apaisé. Au regard de cela, nous estimons qu’il importe de trouver ou de proposer des solutions à ceux-ci, afin d’empêcher de retomber dans le conflit.

IV. PROPOSITIONS DE SOLUTIONS POUR LA RESTAURATION D’UN

CLIMAT SOCIAL APAISE EN COTE D’IVOIRE Comment arriver à une ‘’récohabitation’’ véritable de tous les groupes sociaux après la crise, ce dans la perspective de consolider la paix au lieu de la laisser s’effriter ? Autrement dit, quelle stratégie de rééducation comportementale et attitudinale à la fratrie et à la paix durable en Côte d’Ivoire ? Nous ne nous attarderons pas sur l’histoire de la communication, phénomène social. En effet, la communication est liée à la vie puisqu’elle est aussi ancienne que l’humanité aux dires de certains communicologues. Le groupe social n’existe que par l’échange, et la communication en constitue l’énergie. Il s’agit d’un échange polymorphe, car « les hommes ne parlent pas seulement avec les mots, mais aussi avec leur corps,avec les objets, avec leur organisation de l’espace et du temps » (Durand, 1981 : 5-6). Différente de l’information qui est simple transmission unilatérale d’un émetteur vers un récepteur, la communication induit un processus interactif d’échange, qui privilégie une représentation interactionniste, dans lequel le récepteur devient émetteur et vice versa. Qu’elle soit interpersonnelle ou de masse, qu’elle utilise la médiation de supports anciens ou nouveaux, la communication revêt une dimension sociale importante puisqu’elle favorise l’harmonie du groupe social et le soude autour d’idéaux communs, celui de restaurer et de consolider la paix en ce qui nous concerne. Il faudrait alors souligner la capacité de la communication à socialiser et à adapter les individus à leur propre environnement socioculturel. Par le procédé d’échange qu’elle rend possible, elle met en scène des individus qui s’enrichissent mutuellement en mettant en commun leur capital d’expériences et de connaissances. En définitive, elle favorise le partage des savoirs, l’adoption de comportements qualitativement admis donc du bien-être, et peut, de cette manière, créer un climat social dans lequel les changements sont désormais probables, d’où une relation positive avec la sortie de crise en Côte d’Ivoire qui, elle-même, est à la fois cause et conséquence de changements sociaux pertinents. Le modèle de communication utilisé dans notre démarche s’appuie sur une synthèse de théories de l’attitude et du comportement. Cette composition constitue à la fois les indices, le point de départ, les points focaux, les indicateurs de suivi et d’évaluation et est censé être un gage de réussite de tout programme de changement de comportement.Elle postule que les êtres humains étant rationnels, ils utilisent systématiquement l’information à leur disposition dans leur environnement. Avant d’agir, les gens évalueraient les implications de leurs actions avant de se décider à adopter ou non le comportement en question. Agir sur le comportement

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des individus exige donc d’avoir une définition opérationnelle du comportement souhaité, identifié de façon adéquate, d’examiner l’intention comportementalde l’individu. Dès lors, la réussite d’un programme serait liée à une distribution massive de messages (Schramm, 1986 : 12) ou, en des termes plus actuels, à un partage suffisant de l’information relative à la gestion et au maintien d’un climat social apaisé pour le bien de tous. C’est ce qui justifie l’utilisation des mass media. La ‘’bonne’’ communication intègre donc a priori des paramètres liés aux perceptions, attitudes, pratiques socioculturelles des populations bénéficiaires. Cette communication réussie participe de la production d’un discours apaisé tout en étant apaisant, et endétermine les conditions de créativité.Du reste, le retour à une vie communautaire harmonieuse, la restauration d’un climat social non conflictuel, base d’une paix durable, doit être fondé par une stratégie de communication sociale, de sensibilisation et de stratégies de changement de comportement garants du ‘’nouvel’’ esprit de la paix. « C’est dans l’esprit des hommes que naissent les conflits et donc, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut élever le sens de la paix[…] », recommandait lors d’un atelier M. Alpha KabinéDioubaté, Conseiller électoral à l’ONUCI. Il est à souligner par ailleurs, le rôle incontournable de la communication par l’accès aux différents médias, et surtout par la promotion des médias de proximité dans ces stratégies de sensibilisation au changement de comportement,attitude et mentalité des populations. Ce en encourageant la création de radios de proximité, développant des programmes locaux traduisant ou reflétant la réalité locale. Créer les conditions optimales pour que les radios de proximité et la presse écrite deviennent des acteurs clé dans ce processus.Pour Mme KadidiaLedron, chef de l’Unité Medias et Développement de la Division de l’Information Publique de l’ONUCI « La cohésion sociale constitue le second pilier nécessaire pour consolider les acquis sur le terrain du renforcement de la cohésion sociale et de la réconciliation nationale ». Il y a aussi la création d’activités culturelles et récréatives (journées ou semaines culturelles, sketch…) qui peuvent être intégrées aux stratégies de communication, de sensibilisation et d’animation sociale. Le contenu de la communication ‘’re-conciliatrice’’ doit se fonder sur des valeurs de cultures communes. Aussi, doit-on faire référence à des phénomènes tels que les alliances inter et intra groupes qui ont constitué par le passé, le ciment des groupements socio-ethniques. Ces alliances tirent encore leur fondement du patrimoine des générations antérieures et constituent des référents de partage communautaire. Nous croyons aussi que le recours aux techniques traditionnelles et endogènes de prévention et de résolution des crises pourrait être d’un apport certain pour la restauration d’un climat social confiant après la crise. Nous avons entre autres la parenté de sang et les alliances à plaisanterie ; la médiation et le messager de la paix ; l’arbitrage et la démocratie de l’arbre à palabre. Toutefois, il faut souligner que les structures et les techniques traditionnelles de prévention et de résolution des crises prouveraient leur

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efficience, à la condition d’en laisser la conduite aux sachants (aînés) qui en maîtrisent les rouages. Par ailleurs, rappelons ici certaines de ces techniques traditionnelles qui participent à la conclusion de la paix et à sa consolidation. Nous faisons allusion au cérémonial, à la symbolique et aux festivités qui entourent la conclusion de la paix. La consommation collective de boissons et des holocaustes chez les Akans de Côte d’Ivoire par exemple, avec en prime l’évocation des mânes des ancêtres et des serments faits en leurs noms pour sceller la paix et fortifier le climat social tout en sacralisant, consacrant et renforçant la culture de la paix dans le corps social concerné. Nous avons de même la consommation collective de cola et de dêguê chez les Malinkés de Côted’Ivoire.Nous pouvons aussi associer d’autres éléments intégrateurs et pacificateurs de la culture traditionnelle tout cela dans la perspective de briser le spectre de la fracture sociale, psychologique et politique qui menace toute situation post-crise. Un climat social apaisé après un conflit est érigé sur une double fondation : un ensemble de structures et de procédures équitables pour traiter de manière pacifique les problèmes divisant une nation, un pays ou une communauté, et un ensemble de rapports entre les groupes impliqués. La Côte d’Ivoire ne pourra développer ces rapports du ‘’re-vivre ensemble’’que si les structures sont équitables et, inversement, les structures ne fonctionneront pas correctement, aussi équitables soient elles, sans une réelle coopération minimale dans les interactions entre les populations. Tandis que le compromis communicationnel fournit des solutions aux problèmes du conflit, la reconstruction renvoie aux rapports entre ceux qui devront appliquer ces solutions. Cela ne concerne pas seulement les hommes politiques et les parties au compromis : la population entière est concernée. Le meilleur des systèmes démocratiques ne pourra survivre si les populations concernées ne sont pas prêtes à se faire confiance entre elles, à accorder un minimum de confiance au système lui-même et à le mettre à l’essai. La restauration du climat social étaie la démocratie en développantles rapports de ‘’récohabitation’’nécessaires à samise en œuvre avec succès. La cohésion sociale et la réconciliation nationale au prisme d’un climat social apaisé et apaisant sont des besoins pressants et immédiats en cette période post-crise et pré-électorale à l’orée de 2015. Il est donc important que les faiseurs et les leaders d’opinion soient dans une harmonieuse alliance avec les médias qui donnent et font l’information et la société civile qui explicite l’information. La communication sociale s’inscrit directement dans cette perspective d’analyse où le contexte social et l’influence personnelle jouent un rôle aussi important que celui des campagnes de mobilisation menées lors de campagnes électorales. Le citoyen n’est pas un être passif ; il suppute, confronte, discute et est un témoin ‘’vivant’’du quotidien en fonction d’un ensemble de facteurs qui déterminent sa décision d’endosser ou de rejeter telle ou telle cause. Nous pensons que les classes politiques et sociales contribuent également à la restauration du climat social paisible, tout en facilitant la mise en place de coalitions sociales.En d’autres

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termes, le processus de communication sociale, dans le processus de reconstruction post-crise, est un processus dynamique où le citoyen et la gouvernance se doivent d’être en mode d’écoute constant afin de faire naître – quoique cela s’impose - , dans la mesure du possible, une certaine convergence d’opinion dans le sens de la réconciliation. CONCLUSION Au terme de notre propos, il faut retenir que nos propositions de solutions de restauration du climat social en Côte d’Ivoire ne sont pas figées. Ce d’autant plus que la restauration d’un climat social détérioré par une situation de conflit est extrêmement complexe.La réussite d’une intervention aussi complexe ne sera assurée que si elle est dès sa genèse considérée comme un processus fondamentalement participatif. Il s’agira avant tout d’écouter ; de comprendre les acteurs ou populations, leurs représentations, leurs valeurs, leurs normes individuelles et collectives, leur spiritualité. Analyser avec eux leur situation, trouver ensemble des solutions, et les diffuser conjointement. Seul un processus actif peut permettre l’engagement. Or ce sont souvent les voix locales qui provoquent le changement, donc il faut en tenir compte.Relativement à cela, elle doit faire appel à la combinaison de plusieurs techniques et méthodes de règlement des crises; autrement dit, il faut savoir que toutes ces techniques et méthodes se doivent d’être complémentaires dans le processus de restauration du climat social. Ce que nous voulons dire, c’est que, certes, la parenté à plaisanterie, le partage de la cola ou du dêguê entre autres recours culturels peuvent aider mais pas dans l’absolu parce que la crise ivoirienne est multiforme et demande l’implication de tous avec une réelle volonté de revivre ensemble comme ‘’au bon vieux temps’’. Sans méfiance ou suspicion latente ou ouverte. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES Akindes, F. 1996. Les mirages de la démocratie en Afrique

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SANKOFA N° 6, juin 2014, pp.216-234 ISSN : 2226-5503

LE TELEPHONE MOBILE : UN PRODUIT DE LA MONDIALISATION

KOFFI Hamanys Broux De Ismaël

Université Peleforo Gon Coulibaly de Korhogo

INTRODUCTION Selon les statistiques de l’union internationale des télécommunications (UIT), on dénombrait fin 2013, 6,8 milliards d'abonnements au cellulaire mobile dans le monde, c’est-à-dire autant d’abonnements que d'habitants de la planète. Ce chiffre a atteint le seuil des sept milliards au début de l’année 2014. La diffusion de la téléphonie mobile s’est accélérée depuis le milieu des années 2000. Commencée dans les pays développés, elle se poursuit vers les pays du Sud même si l’Afrique reste toutefois le continent le moins équipé au plan infrastructurel. Le téléphone mobile est devenu en peu de temps un outil indispensable en termes de communication et de relations interpersonnelles et un véritable phénomène de société au niveau mondial. En 20 ans, la téléphonie mobile aura conquis le monde. Entre 2007 et 2012, le nombre d'abonnés au téléphone mobile en Afrique subsaharienne a crû de 18% en moyenne chaque année. En 2013, le sous-continent comptait 253 millions d'abonnés mobiles uniques et l'Afrique subsaharienne devenait ainsi le "leader mondial" en ce qui concerne "la croissance et l'impact de la téléphonie mobile". C'est en substance l'enseignement du rapport "économie mobile en Afrique subsaharienne 2013", que vient de publier l'association, la GSM Association (GSMA), qui regroupe 850 opérateurs mobile à travers le monde. L’utilisation accrue et massive du téléphone mobile entraîne de façon logique la densité des échanges et des communications. Cette densité communicationnelle est le signe de la réduction de la distance et de l’espace puisqu’il est maintenant possible de communiquer en tant réel grâce aux satellites artificiels de télécommunication placés dans l'espace utilisant une orbite géostationnaire, une orbite terrestre basse ou une orbite de Molniya121. Autrement dit, la technologie électronique

121 L'orbite de Molniya est une catégorie d'orbites très elliptiques, inclinée à 63,4° par rapport au plan de l'équateur et d'une période de12 heures. Son apogée est proche de 40 000 km et son périgée proche de 1 000 km. Un satellite placé sur cette orbite passe la plupart de son temps au-dessus de la zone d'activité utile pour laquelle il a été conçu, un phénomène appelé angle de saturation d'apogée. L'orbite de Molniya doit son nom à la série de satellites de communication russes Molniya qui

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conduit le monde dans lequel nous vivons à communiquer facilement et rapidement tel dans un village mais ici à un « village planétaire » même s’il l’on ne se voit pas aussi facilement comme dans un village ordinaire. Le village planétaire est une expression de Marshall McLuhan, de son ouvrage The Medium is the Message, pour qualifier les effets de la mondialisation, des médias et des technologies de l’information et de la communication (TIC). Selon ce philosophe et sociologue, l’information véhiculée par les médias de masse fonde l’ensemble des micro-sociétés en une seule. Il n’y aurait selon lui désormais plus qu’une culture, comme si le monde n’était qu’un seul et même village, une seule et même communauté « où l'on vivrait dans un même temps, au même rythme et donc dans un même espace ». La capacité, pour une personne, à récupérer des informations très rapidement en n’importe quel point de la planète (raccordé à un réseau) donne l’impression d’être dans le même endroit, virtuel soit-il, dans le même village. Associées à l’essor croissant des échanges économiques et culturels, les TIC offrent désormais en effet à chaque individu la possibilité d’être directement « connecté » avec le reste de la planète, renouant ainsi avec les idées de proximité et de communauté propres aux sociétés villageoises. En effet, les usages d’internet et du téléphone mobile apparaissent comme les leaders de la communication, faisant ainsi partie de la mondialisation. Entre inter-connectivité, communication directe, diffusion des échanges et réduction des déplacements futiles, le téléphone semble incarner une véritable utilité, voire nécessité pour chacun d’entre nous. Le téléphone mobile, de par son incontournable utilisation dans le monde devient dès lors une réalité, un objet « mondialisé », c’est-à-dire qu’il se développe de manière organique à l'échelle planétaire. Ce média est l’outil de communication devenu le produit de consommation de masse. Il est vendu partout dans le monde, dans différentes marques, et il touche un nombre important de consommateurs comme la plupart des biens culturels issus des technologies de l’information et de la communication. Pourtant, ce fruit de la technologie peut devenir un enjeu, tant sur le plan humain, que social. Il peut apparaitre comme un facteur de déshumanisation, ou causer des troubles au niveau de la santé… Cependant, on pourrait se demander comment un tel contraste entre ces différents aspects du téléphone, peut quand même faire jouer au téléphone un rôle prépondérant dans la mondialisation ? Autrement dit, pourquoi le téléphone mobile est-il un objet à diffusion planétaire et en quoi est-il un produit de la mondialisation ? Cette étude s’inscrit dans le champ des théories relatives à l’utilisation des technologies de la communication par l’entremise du modèle d’acceptation de la technologie (MAT) et de la théorie de la diffusion des innovations. Elle vise à montrer en quoi le téléphone mobile est un produit mondialisé, un produit à diffusion planétaire. utilisent ce type d'orbite depuis le milieu des années 1960. Les orbites de Molniya ne sont pas limitées aux orbites terrestres mais peuvent être appliquées à tout astre pour lequel les variations séculaires de la longitude du nœud ascendant et de l'argument du périgée en raison de l'aplatissement de l'astre ont des effets dominants sur le satellite.

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Notre démarche consistera d’abord à cerner les contours du concept de mondialisation, ensuite de mettre en relief l’approche théorique d’analyse de ce média et enfin de relever comment le téléphone mobile s’est largement diffusé dans le monde et donc en quoi il est un produit de la mondialisation. I. LE CONCEPT DE MONDIALISATION ET DE GLOBALISATION 1. Mondialisation et globalisation La mondialisation est un concept polysémique et équivoque. Sa définition est complexe et ne fait pas toujours l’unanimité en raison des notions annexes qui lui sont associées : globalisation, universalisation, internationalisation… Toutefois nous allons essayer de cerner avec le plus de clarté les contours et les limites de ces différents termes afin d’aborder au mieux notre recherche. La distinction entre ces deux termes est propre à la langue française. Le mot anglais original est globalization, repris par la plupart des autres langues. En anglais, les différentes approches globalization/mondialisation sont explorées par différents courants de pensée. Le terme anglophone de globalization couvre largement le même débat que la différence sémantique francophone. Comme dans le monde francophone, différentes personnes donneront différents sens au terme, mettant l'accent sur la dimension économique ou culturel ou politique, en fonction de leur référence, consciente ou non, á tel ou tel courant de pensée. D'un point de vue étymologique, monde (univers) et globe sont suffisamment proches pour que mondialisation et globalisation soient synonymes dans leur emploi initial en langue française. Toutefois, la proximité de "globalisation" avec l'anglais et la particularité de mondialisation a amené une divergence sémantique. En français, le terme "globalisation" désigne l'extension supposée du raisonnement économique à toutes les activités humaines et évoque sa limitation au globe terrestre. Par contre le terme "mondialisation" désigne l'extension planétaire des échanges qu'ils soient culturels, politiques, économiques, ou autres. Dans ce cadre l'expression monde peut désigner en outre l'espace proche de la terre, accessible par des moyens aéronautiques ou spatiaux (satellites), ou prendre des significations propres à chaque culture (le monde chinois…). Par ailleurs, les problèmes d'environnement se posent désormais à l'échelle mondiale: déforestation, pollution due au développement des transports… La différence sémantique peut s'envisager sous un autre angle. Certains voient dans le terme globalisation la simple transposition du terme anglais dans le vocable français, la globalisation serait la même chose que l'équivalent français mondialisation. D'autres voient une différence de nature entre les deux termes et considèrent la globalisation comme une étape après la mondialisation, qui la dépasserait et consisterait en une dissolution des identités nationales et l'abolition des frontières au sein des réseaux d'échange mondiaux.

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Dimitrova (Dimitrova, 2005: 2) retrace ces différences ainsi : « La “globalisation” est conçue comme un processus économique et idéologique, sélectif et exclusif par sa nature, parce qu’il impose sa logique d’hégémonie sur le marché et ne favorise, par la suite, que des États riches et développés. Elle se pense aussi comme un processus qui néglige les conséquences sociales dont l’aggravation est flagrante de jour en jour. C’est en raison de ces idées sous-jacentes, qu’à partir des années 1990, les théoriciens français se sont ingéniés à faire contrepoids au terme anglo-saxon de “globalisation” en insistant sur le sens plus neutre du terme de “mondialisation”, du fait qu’il ne privilégiait pas la dimension économique de ce processus, mais traitait, également, de ses aspects politiques, culturels et sociaux ». Selon Michel Freitag122 (2010), dans l’usage courant que nous faisons actuellement des termes de globalisation et de mondialisation, ils sont utilisés souvent comme des équivalents123, mais l’analyse sociologique gagnerait à les distinguer, voire à les opposer. Le terme « mondialisation » réfère encore à l’idée d’un monde commun (world, Welt, cosmos) qui possède une unité et une ordonnance propres. C’est le monde concret, social et naturel, qui nous entoure et que nous habitons. Par contre le mot « globalisation » semble désigner le procès et le résultat d’une activité de généralisation, comme la généralisation de la régulation par le marché ou la généralisation extensive de certaines procédures, de certaines techniques, de certaines règles appréhendées d’un point de vue strictement opérationnel. On a ici d’abord l’idée d’un phénomène à caractère processuel, qui se produit et se déploie de manière autonome, autoréférentielle et virtuellement automatique, notamment dans les domaines de l’économie, des technologies, des systèmes de communication et d’information. Selon l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE), la mondialisation recouvre trois étapes :

- l’internationalisation, c'est-à-dire le développement des flux d’exportation ;

- la transnationalisation, qui est l’essor des flux d’investissement et des implantations à l’étranger ;

- la globalisation, avec la mise en place de réseaux mondiaux de production et d’information, notamment les NTIC (nouvelles technologies d’information et de communication).

Pour Sylvie Brunel124 (2007), la mondialisation actuelle est d’abord et avant tout une globalisation financière, avec la création d’un marché planétaire des capitaux et l’explosion des fonds spéculatifs. La fin de la régulation étatique qui avait été mise en place juste après la Seconde Guerre

122 Né en 1935 à La Chaux-de-Fonds (Suisse) et mort en 2009 à Montréal (Québec). Professeur émérite à l'Université du Québec à Montréal. 123 C’est cette équivalence qui explique la création du terme « alter-mondialisme ». 124 Géographe et économiste, professeure des universités à l’université Paul-Valéry de Montpellier et à l’IEP-Paris, elle a publié, entre autres, La Planète disneylandisée. Chronique d’un tour du monde, éd. Sciences Humaines, 2006 ; Le Développement durable, Puf, coll. « Que sais-je ? », 2004 ; L’Afrique, Bréal, 2003.

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mondiale s’est produite en trois étapes : d’abord, la déréglementation, c’est-à-dire la disparition en 1971 du système des parités stables entre les monnaies, qui se mettent à flotter au gré de l’offre et de la demande ; ensuite, la désintermédiation, possibilité pour les emprunteurs privés de se financer directement sur les marchés financiers sans avoir recours au crédit bancaire ; enfin, le décloisonnement des marchés : les frontières qui compartimentaient les différents métiers de la finance sont abolies, permettant aux opérateurs de jouer sur de multiples instruments financiers. Grâce aux liaisons par satellite, à l’informatique et à Internet, la mondialisation se traduit par l’instantanéité des transferts de capitaux d’une place bancaire à une autre en fonction des perspectives de profit à court terme. Les places boursières du monde étant interconnectées, le marché de la finance ne dort jamais. Une économie virtuelle est née, déconnectée du système productif : au gré des variations des taux d’intérêt des monnaies et des perspectives de rémunération du capital, la rentabilité financière des placements devient plus importante que la fonction productive. Les investisseurs peuvent choisir de liquider une entreprise, de licencier ses salariés et de vendre ses actifs pour rémunérer rapidement les actionnaires. A chaque phase de mondialisation, on retrouve les mêmes constantes : révolution des transports et des moyens de communication, rôle stratégique des innovations (les armes à feu au XVe siècle, la conteneurisation après la Seconde Guerre mondiale, Internet depuis les années 1990), rôle essentiel des Etats mais aussi des acteurs privés, depuis le capitalisme marchand de la bourgeoisie conquérante à la Renaissance jusqu’aux firmes transnationales et aux ONG aujourd’hui. C’est dans cet ordre d’idée que pour Dominique MWEZE Chirhulwire Nkingi125 (2002), le terme « mondialisation » renvoie à une étape du processus d'internalisation du capital, représenté par le grand groupe transnational. Depuis 1996, certains titres des ouvrages explicitent ce terme : on parle de la mondialisation de l'économie126, de la mondialisation du capital127, de la mondialisation de la culture128. Pour Warnier, la mondialisation s'effectue par une globalisation des marchés, y compris dans le domaine des biens culturels : « la globalisation

125 Dominique MWEZE Chirhulwire Nkingi est professeur ordinaire et Doyen de la Faculté des Communications sociales, Facultés Catholique de Kinshasa. 126 Adda, J., La mondialisation de l'économie, t. 1 & 2, Paris, La Découverte, col]. Repères, 1996, 124 p. Ce livre n'a pas de prétention à l'originalité. Il est pédagogique : l'auteur brosse une esquisse historique présentant une belle synthèse des ouvrages de base sur la question. Il montre le rôle du commerce dans l'histoire européenne depuis le Moyen-Âge. Il s'agit, à ses yeux, d'un long processus qui culminera vers l'économie mondiale hiérarchisée dont l'Europe a tiré de grands profits. Avant cette étape définitive, l'auteur parle de l'émiettement du pouvoir politique, de l'autonomie des villes, des alliances obligées entre les États et les marchands, etc., comme autant d'éléments qui ont précédé et préparé le phénomène de l'économie mondiale hiérarchisée. 127 Chesnais, François, La mondialisation du capital, Paris, Syros, coll. Alternatives économiques, 1994, 286 p. L'auteur a un autre terme pour désigner ce phénomène : « Régime d'accumulation mondiale à dominante financière ». Cf. Chesnais, François, L'émergence d'accumulation mondiale à dominante financière, dans La Pensée, Paris, 1997, 169 p 128 Warnier, Jean-Pierre, La mondialisation de la culture, Paris, La Découverte, coll. Repères, 1999.

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des marchés, fait-il remarquer, implique la mise en concurrence, à l'échelle mondiale, de toutes les entreprises qui produisent les biens culturels (...) »129. Les technologies de l'information et de la communication font partie de la culture, et la mondialisation ne peut se comprendre qu’à partir de cette définition. Pour conclure cet aspect conceptuel, notons que le terme mondialisation est utilisé dans les titres de la plupart des ouvrage rédigés en français (citons notamment Brender, Michalet130, Berger, Laïdi, E. Cohen, de Senarclens, Guillochon, Moreau-Desfarges, Lafay). Dans d’autres ouvrages, mondialisation et globalisation sont des synonymes mais on utilise plutôt le mot « mondialisation » en français. Cela décrit le phénomène qui se déroule de façon très forte depuis 15 ans environ : moins de frontières économiques entre les pays, plus grande facilité pour les entreprises pour faire du business partout dans le monde. 2. Universalisation, internationalisation et internalisation Dans le sillage des concepts de mondialisation et de globalisation, d’autres notions connexes méritent aussi d’être définis pour une meilleure compréhension. Ce sont les termes d’universalisation, d’internationalisation et d’internalisation. L’universalisation désigne la généralisation à l'ensemble de l'humanité de valeurs, de principes, de normes, de pratiques ou de comportements communs. Elle représente la dimension politique et culturelle de la mondialisation. L’internationalisation est l'ouverture des entreprises nationales sur l'extérieur par développement de leurs exportations de biens et services. Mouvement lancé dès le milieu du XIXe siècle parles firmes britanniques. Première étape du processus de mondialisation économique. L’internalisation signifie que des activités nationales deviennent internationales. Par exemple en économie, il y a une internationalisation d’une entreprise si elle développe des activités à l’étranger ou en politique il peut y a voir une internationalisation d’une guerre si un conflit local concerne ensuite plusieurs pays. II. L’APPROCHE PAR LE MODELE D’ACCEPTATION DE LA TECHNOLOGIE

(MAT) Nous nous appuyons sur l’analyse faite par Baile (2005) concernant le modèle d’acceptation de la technologie (MAT). En effet, ce modèle présente plusieurs aspects des théories sur le comportement individuel développée par la psychologie sociale. Le MAT a été conçu par Davis (1986) pour expliquer le comportement de l'utilisateur des systèmes d’information (SI), et suscite toujours beaucoup d’intérêt chez les chercheurs en SI. En ce sens, Davis, Bagozzi et Warshaw (1989) notent que le modèle est "spécialement conçu pour expliquer le comportement à 129 Warnier, Jean-Pierre, op. cit., p. 41. 130 Michalet, qui privilégie le terme de mondialisation, distingue les configurations « internationales » liées aux flux commerciaux, « multi-nationales » marquées par l’affirmation des IDE (investissements directs étrangers) et « globales » dominée par les flux financiers.

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l’égard des ordinateurs (p.983). Le but du modèle est d'être capable d'expliquer le comportement des utilisateurs vis à vis des technologies de l'information au sein de différentes populations et dans différents contextes" (p.985). 1. Principes et concepts retenus par le MAT Le modèle d'acceptation de la technologie a pour objectif essentiel d’évaluer l'impact de divers facteurs externes

sur les croyances internes, attitudes et intentions des utilisateurs. Il a été introduit dans les travaux en SI pour

atteindre cet objectif, en proposant un petit nombre de concepts clés, déjà suggérés dans des études antérieures

traitant des déterminants affectifs et cognitifs de l'acceptation des ordinateurs (Davis et al., 1989). Pour ce faire,

celui-ci se fonde principalement sur la théorie de l'action raisonnée (Fishbein et Ajzen, 1975) pour modéliser les

relations entre ces concepts.

L'utilité perçue et la facilité d'utilisation perçue sont les deux construits clés du MAT.

2. Définition et fondements conceptuels de la théorie Le MAT justifie l'utilisation des TIC essentiellement à partir de deux facteurs : l'utilité perçue et la facilité d'utilisation perçue. C’est justement dans cette optique que le téléphone mobile s’est répandu dans la vie quotidienne à une vitesse fulgurante depuis sa création. Cela met en évidence l’importance de la communication dans la société d’aujourd’hui. En effet, ce développement a engendré de nombreuses évolutions de l’économie mondiale mais a aussi radicalement modifié les relations sociales au sein de la communauté. Les définitions les plus courantes, dans la littérature, de l'utilité et de la facilité d'utilisation perçue, sont celles que propose Davis (1986, 1989). Ces définitions seront reprises dans de nombreux travaux sur le MAT.

• L'utilité perçue est définie comme étant "le degré avec lequel une personne pense que l'utilisation d'un système améliore sa performance au travail". En ce sens, dans un contexte organisationnel donné, plusieurs éléments peuvent contribuer à améliorer la performance des salariés, à savoir des augmentations de salaire, des promotions, des bonus ou autres récompenses (Pfeffer, 1982; Schein, 1980; Vroom, 1964).

• La facilité d'utilisation perçue se rapporte au "degré auquel une personne pense que l'utilisation d'un système ne nécessite pas d'efforts". Cette définition suggère qu'une application perçue comme étant plus facile à utiliser a plus de chance d'être acceptée par les utilisateurs.

Le téléphone mobile est utile et facile à utiliser car il satisfait un besoin réel que la téléphonie classique ne peut réaliser. Les observations de Jauréguiberry131 (1997) sociologue français, vont dans ce sens :

« Le téléphone portatif est utilisé dans un souci d'efficacité, de gain de rentabilité. Il s'agit de gérer l'urgence, de rentabiliser les temps morts,

131 Jauréguiberry Francis, « L'usage du téléphone portatif comme expérience sociale », Réseaux, n° 82-83, pp. 149 –164, 1997.

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de rationaliser les tâches en temps réel, bref d'être performant. Le fait de pouvoir être simultanément dans deux endroits (l'un physiquement, l'autre médiatiquement) décuple les possibilités d'action, donc de gain éventuel ». En un mot, le téléphone mobile permet d’être performant et efficace. Les concepts d'utilité et de facilité d'utilisation, qui ont reçu une attention particulière dans des études récentes en SI (Lucas et Spietler, 1999 ; Hu et al., 1999 ; Karahanna et Straub, 1999 ; Agarwal et Prasad, 1999 ; Venkatesh et Morris, 2000), trouvent leurs fondements dans plusieurs théories. En effet, ces deux construits ont pour avantage d'intégrer dans leurs définitions, celles de concepts issus de théories aussi diverses que :

- la théorie de l'efficacité personnelle ; - le paradigme Coût/ Bénéfice ; - la diffusion des innovations.

Ces modèles prennent en compte, pour expliquer le comportement, des concepts qui sous des appellations différentes recouvrent l'utilité et la facilité d'utilisation perçue.

• La théorie de l'efficacité personnelle (Bandura, 1982) suggère que le comportement est déterminé à la fois par des croyances d'efficacité personnelle et par des croyances de résultat. Cette théorie établit ainsi clairement la distinction entre les perceptions d'efficacité personnelle, d'une part, et les résultats attendus d'un comportement, d'autre part. Le concept d'utilité perçue rejoint "les croyances de résultat", les deux concepts se rapportant au résultat attendu du comportement. Quant au concept de facilité d'utilisation perçue, il rejoint le concept d'efficacité personnelle et se définit notamment comme une dimension de « magnitude » de celle-ci132. Bandura considère que même si l'efficacité personnelle et les croyances de résultats ont des antécédents différents, les deux influencent le comportement.

• Le paradigme coût /bénéfice issu de la théorie du comportement décisionnel (Beach et Mitchell, 1978; Payne, 1982; Johnson et Payne, 1985) contribue à appréhender des construits proches de ceux d'utilité perçue et de la facilité d'utilisation perçue. Ce paradigme explique que le choix d'un individu entre plusieurs stratégies de prise de décision est un choix cognitif entre l'effort requis pour la mise en œuvre d'une stratégie et la qualité (exactitude) de la décision qui en résulte. Cette approche s'est avérée efficace pour expliquer les raisons conduisant des décideurs à modifier leur choix de décision en fonction des variations dans la complexité de la tâche. La distinction faite entre la perception de l'effort requis et la prise de décision s'apparente à celle faite entre la facilité d'utilisation perçue et l'utilité perçue.

132 La magnitude se rapporte au niveau de difficulté attendu d’une tâche.

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• La théorie de la diffusion des innovations suggère également que l'utilité et la facilité d'utilisation perçue jouent un rôle proéminent pour l'adoption d'une innovation. Dans leur analyse de la relation entre les caractéristiques des innovations et leur adoption, Torknatzky et Klein (1982) vérifient que pour un grand nombre d'innovations, la compatibilité, l'avantage relatif et la complexité de celles-ci ont un lien significatif avec leur adoption. La définition de la dimension complexité rejoint celle de la facilité d'utilisation perçue tandis que la définition de l'avantage relatif rejoint celle de l'utilité perçue.

Rogers (1995) résume les facteurs qui favorisent l’innovation dans les éléments suivants : le degré d'avantages que l'innovation apportera à l'organisation ; l'uniformité de l'innovation avec les valeurs existantes des adoptants ; la complexité de l'innovation ; le potentiel de l'idée pour être mis en application, et la facilité d'observer les avantages résultants. L’avantage relatif correspond à la perception par les consommateurs que l’innovation est meilleure ou plus performante que les solutions existantes. Cette « performance » est mesurée sur les attributs de l’innovation qui compte pour les consommateurs comme le gain financier ou le prestige social. Ce facteur et très lié à la perception particulière et aux besoins de chaque groupe de consommateurs. La compatibilité de l’innovation avec les valeurs et pratiques existantes des consommateurs potentiels influe également la rapidité d’adoption d’une innovation. Elle correspond au degré d’adéquation entre les valeurs et les pratiques des consommateurs potentiels et celles nécessaires à l’utilisation de l’innovation. La simplicité et facilité d’utilisation de l’innovation que perçoivent les consommateurs potentiels peut également représenter un frein ou un catalyseur à sa diffusion. En effet, une innovation qui nécessite un apprentissage sera plus lente à se diffuser que si elle ne requiert pas le développement de compétences spécifiques. La possibilité d’essayer l’innovation peut faciliter son appropriation par les usagers et ainsi favoriser le bouche à oreille et diminue l’incertitude et donc le risque qui l’entoure. L’observabilité des résultats est également un facteur déterminant dans la diffusion des innovations puisqu’il permet de prouver plus facilement le ou les avantages de l’innovation. Des résultats visibles par les consommateurs potentiel réduisent l’incertitude perçu et facilite le bouche à oreille. Philippe Mallein (2002), dans ses travaux, analyse les facteurs clés déclenchant l’usage d’une innovation. Selon lui, pour qu’une personne adopte un objet (ici le téléphone mobile), il serait alors nécessaire : - qu’il ait du sens pour elle, que son utilisation soit perçue comme positive ; - qu’il lui soit utile dans ses activités quotidiennes ; - qu’il soit facilement utilisable et que son usage soit simple à comprendre ; - qu’il présente une valeur ajoutée économique réelle.

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La simplicité et facilité d’utilisation de l’innovation que perçoivent les consommateurs peut également représenter un frein ou un catalyseur à sa diffusion. En effet, une innovation qui nécessite un apprentissage sera plus lente à se diffuser que si elle ne requiert pas le développement de compétences spécifiques. Le téléphone mobile, ne nécessite pas de compétence particulière, raison pour laquelle il s’est largement et vite diffusé dans le monde. III. TELEPHONE MOBILE ET MONDIALISATION 1. La révolution des moyens de communication Les sociétés industrielles ont modernisé leurs moyens de communication : les trains roulent à grande vitesse, le transport maritime a décuplé ses capacités (supertankers), le transport aérien s'est banalisé. Mais c'est surtout l'essor des télécommunications qui bouleverse la donne. En 1993, le réseau Internet s'ouvre au grand public. A la même époque, la téléphonie mobile s'implante partout. Les médias comme CNN deviennent capables de diffuser leurs programmes en temps réel dans tous les pays. Le télétravail devient possible, accélérant les processus de délocalisation qui ne touchaient jusqu'alors que les activités de production industrielle. Produit d'importance stratégique, l'information bénéficie désormais de véritables « autoroutes » qui achèvent la mutation des sociétés industrielles en sociétés de communication. Ces dernières se définissent comme sociétés dominées par les activités de communication au sein desquelles la majeure partie des actifs (70 %) travaille dans le secteur des services. Cette nouvelle société de communication précipite la mondialisation de l'économie. La mondialisation tend à rassembler la plus grande partie des pays du monde dans une seule société globale. C’est pourquoi aujourd’hui dans le monde entier, nous avons les mêmes films, (Albertini, Casalta et alii, 2012) les mêmes séries télévisées, les mêmes informations, les mêmes chansons, les mêmes slogans publicitaires, les mêmes objets, les mêmes vêtements, les mêmes voitures, les mêmes urbanismes, les mêmes architectures, les mêmes types d’appartements souvent meublés et décorés d’identique manière. La mondialisation pousse à l'uniformisation, qui permet une meilleure communication par l'intermédiaire d'internet et de la téléphonie mobile par exemple... Et c’est justement dans ce cadre que la téléphonie mobile va connaître le développement en Europe, aux Etats-Unis et en Asie avant son implantation en Afrique, ce qui fait de ce média, un produit à diffusion planétaire. 2. Téléphone mobile et diffusion dans le monde Le premier appel à l'aide d'un appareil cellulaire est donné en 1973. Mais son usage se répand plus tardivement dans les années 80 dans l’hémisphère nord et dans les années 2000 dans l’hémisphère sud. La diffusion planétaire du téléphone mobile accompagne le processus de mondialisation c'est-à-dire le processus par lequel les différentes parties

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du monde sont mises en relation grâce à la multiplication de flux de natures diverses. Le téléphone mobile est donc devenu un produit universel. Aucun espace n’y échappe, même les plus marginalisés. Il est devenu un objet polyvalent aux multiples applications et constitue un vecteur essentiel d’ouverture sur le monde et donc de développement dans les pays du Sud. Selon l’UIT, en 2013, on recensait presque autant d’abonnements au cellulaire mobile que d’habitants dans le monde. Plus de la moitié de ces abonnements sont souscrits dans la région Asie-Pacifique (3,5 milliards sur 6,8 milliards d’abonnements au total).

Graphique 1 : Convergence du nombre d’abonnements au téléphone

mobile et de la population mondiale

Source : Base de données de l’UIT sur les indicateurs des

télécommunications/TIC dans le monde Le taux de pénétration de la téléphonie cellulaire mobile a atteint 96% dans le monde, 128% dans les pays développés et 89% dans les pays en développement.

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Graphique 2 : Nombre d’abonnements au téléphone mobile fin 2013

Source : Base de données de l’UIT sur les indicateurs des

télécommunications/TIC dans le monde

Le taux de pénétration des abonnements au cellulaire mobile dépasse 100% dans quatre des six régions du monde telles que définies par l’UIT: en tête, la Communauté des Etats indépendants (CEI) avec 170%, suivie de la région Europe (126%), Amériques (109%) et Etats arabes (105%). La région Asie-Pacifique affiche un taux de 89% et l’Afrique, de 63%. Les taux de pénétration du cellulaire mobile sont de 128% dans les pays développés et de 89% dans les pays en développement. Selon le rapport, The Mobile Economy «presque la moitié de la population mondiale utilise désormais les communications mobiles», et qu’«il existe encore de nombreux adultes et jeunes qui souhaiteraient profiter des avantages sociaux et économiques des technologies mobiles, mais qu’ils n’y ont pas accès. Cela préfigure des perspectives de croissance importantes et constitue un véritable enjeu pour l’ensemble des acteurs de l’écosystème du secteur. En effet, ces derniers devront élargir leur éventail de produits et de services pour répondre à cette demande». On peut considérer qu’un produit mondialisé est un produit élaboré dont les étapes de fabrication, d’assemblage, d’acheminement, de distribution et de consommation reflètent l’intégration des acteurs économiques mondiaux et révèlent la complexité des liens économiques qui unissent différentes parties du monde. C’est un produit qui fait l’objet d’une

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distribution massive sur les marchés du monde. D’une part, sur le plan de sa fabrication, ce média fait intervenir plusieurs pays situés sur divers continents qui se chargent de le concevoir, de le fabriquer et de l’assembler. Parfois, ce sont même différentes pièces détachées d’un téléphone qui sont assemblées par une main-d’œuvre efficace et bon marché comme le confirme le cas de l’iPhone 4 de l’américain Apple, produit en Chine et vendu dans le monde entier. D’autre part, sur le plan de sa commercialisation, on peut dire que le téléphone mobile est planétaire car il est présent sur tous les continents sans exception. Enfin, ses nombreuses fonctionnalités dont l’accès à Internet permettent d’abolir les distances sur le plan des flux d’informations. Depuis, le téléphone mobile a beaucoup évolué. On est passé du téléphone mobile à un objet de la vie quotidienne : photo, vidéo, radio, musique, montre, accès internet, jeux, carte de crédit... L’objet est de plus en plus petit et de plus en plus perfectionné. La gamme s’est élargie (smartphones et tablettes) et le coût pour l’utilisateur a baissé pour le téléphone mobile classique. 3. Téléphone mobile, mobilité, gestion du temps et intimité La question des liens entre la diffusion des outils de communication et la mobilité physique des individus n’est pas nouvelle (Massot, 1995 ; Mokhtarian, 2000) et s’est posée avec l’arrivée du téléphone fixe et, plus récemment, avec le développement d’Internet et du commerce en ligne. La spectaculaire diffusion d’outils de communication individuels et surtout portables, comme le téléphone mobile, a récemment donné un nouvel élan à cette thématique dans les champs de l’économie des transports, de la géographie et de la sociologie. Les réseaux mobiles de communication assurent une plus grande continuité spatiotemporelle (Alain Rallet, Anne Aguiléra et Caroline Guillot, 2010). Les individus deviennent potentiellement joignables en tout lieu et tout moment, sous la forme de connexions en situation nomade (possibilité de se connecter en déplacement mais sans être physiquement mobile à l’instant de la communication) ou de mobilité (en se déplaçant physiquement). Même si des zones demeurent non ou mal couvertes, comme on en fait parfois l’expérience au cours d’un déplacement, l’espace tend à devenir un continuum spatio-temporel au sens où les oppositions binaires qui caractérisaient l’espace physique (ici/ailleurs, proche/distant, présent/absent) sont relativisées. L’apparition du téléphone mobile n’est pas restée sans conséquence, car en plus de pouvoir être approprié et personnalisé par chacun, il a occasionné des changements notamment au niveau de la gestion du temps. Mais tout d’abord, nous tenons à rappeler que contrairement au téléphone fixe qui relie des lieux, le téléphone mobile relie et met en communication des individus : ces derniers devenant ainsi des « nœuds de

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tous les réseaux »133 (GUILLAUME, 1994) puisque de n’importe quel endroit ils peuvent entrer en communication avec n’importe qui. Avec cet outil, la communication est perpétuellement possible. Par définition, un téléphone portable est un téléphone « sans fil » et « mobile »134. Il est une innovation vis-à-vis du téléphone fixe auquel « l’appelant et l’appelé ne peuvent pas se déplacer de l’endroit où ils sont »135 (cabine téléphonique, appartement, etc.) ; cet appareil se doit d’être branché et/ou à proximité de son réceptacle pour fonctionner. Tandis que le téléphone mobile utilise les ondes hertziennes qui sont captées par une antenne-relais, ils peuvent donc être utilisés presque de n’importe où. Cette avancée technique a eu de nombreuses conséquences au niveau social : Le téléphone portable et nous de Corinne Martin136 (2007) et Les branchés du portable de Francis Jauréguiberry137 (2003). Cette nouvelle organisation du temps se divise en deux aspects : rapidité et « dédoublement du temps ». Premièrement, dans l’introduction de son ouvrage, Francis Jauréguiberry explique que le téléphone portable a été crée pour « suivre l’évolution de la société : (…) de plus en plus éclatée (…) entre plusieurs lieux, tâches, rôles et passions.». Plus concrètement, il permet de jongler plus rapidement entre différentes bulles relationnelles (famille, amis, travail, etc.), de s’organiser à distance, d’économiser du temps, etc. L’auteur nomme cette activité le « zapping », que nous avons interprété de cette façon : nous supposons que le téléphone fait ici métaphoriquement office de télécommande entre les différents aspects de la vie de son propriétaire. Par exemple, il permet de réaliser instantanément le souhait de contacter quelqu’un, il n’y a plus aucune attente. Nous supposons que cet apport du téléphone mobile permet de densifier le temps et de le rentabiliser grâce à une meilleure organisation.

Deuxièmement, plus que de la rapidité, le téléphone mobile permet aussi de superposer différentes sphères temporelles, comme s’il donnait accès au don d’ubiquité. Par exemple lors d’une conversation téléphonique, une personne cumule un temps physique (réel et corporel) avec un temps médiatique (discussion télécommunicationnelle) (Les branchés du portable, p. 48) ; cet individu est donc à deux endroits en même temps : là où il se trouve physiquement et en auprès de la personne avec laquelle il s’entretient (disparition des frontières spatiales et temporelles).

133 Propos tenus par Marc Guillaume dans le premier dossier Réseaux intitulé « La communication itinérante ». 134 Définition du Petit Robert 2007, « Téléphone » page 2520. 135 Http://dictionnaire.sensagent.com, mot clé « téléphone fixe » (consulté le 6/10/2014). 136 Corinne Martin : maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'IUT de Thionville-Yutz et membre du Centre de recherche sur les médiations à l'université Paul Verlaine-Metz. 137 Francis Jauréguiberry : sociologue, professeur à l'Université de Pau et chercheur au laboratoire Société, Environnement et Territoire (SET) du CNRS.

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Cet aspect permet de modifier le quotidien, puisqu’il permet de gérer son temps autrement : par exemple en attendant un appel professionnel important en faisant ses courses, voire de le fuir : contacter un proche ou un membre de sa famille pour échapper un moment la réalité de son travail. Le téléphone mobile est devenu ainsi en peu de temps un outil indispensable en termes de communication et de relations interpersonnelles et un véritable phénomène de société au niveau mondial. Personnel, compact, commode, corporel et très intime, le téléphone mobile noue entre lui et son usager une convivialité particulière. C’est pourquoi même en famille chacun a le sien, et s’attache de plus en plus, à le différencier des autres. La personnalité du propriétaire tendant à se projeter sur lui, chacun peut faire de son mobile un monde à son image (GONORD ; MENRATH, 2005).138 Peu d’objets technologiques de l’ère contemporaine se sont glissés de manière massive et significative dans la gestualité quotidienne. Par ses promesses, son agilité manuelle et son utilité technique, le mobile est rapidement approprié par l’individu établissant ainsi une correspondance harmonieuse entre corps et objet. L’automatisme typique de dormir avec son mobile démontre que cet appareil habituellement à portée de main, dans la poche et emporté toujours avec son possesseur est devenu plus qu’un objet indispensable. Son intégration dans la routine corporelle étant un fait évident, l’objet est inséparable du sujet et l’éteindre un moment ne sera quasiment jamais pensé. Le téléphone mobile est justement un prolongement corporel, c’est pour cela que son usage relève de l’intime. Prolongement corporel ou seconde peau, le mobile l’est sans doute dans la mesure où la frontière marquée entre intérieur et extérieur est un rôle joué habituellement par la peau139 (CRAIPEAU, 2007). Tout comme la montre à main, les lunettes mais surtout les vêtements, cette image démontre combien l’objet peut représenter un véhicule excellent de l’identité. Ici on se rend compte que la matérialité de l’objet est éloquente au-delà de sa représentation sociale. Par conséquent il n’est pas inintéressant de remarquer jusqu’à quelle limite la technologie tisse des rapports fins et intimes avec le corps humain. CONCLUSION Depuis son invention, le téléphone mobile n’a cessé d’évoluer. Il est devenu indispensable dans la vie de la plupart des personnes. Ce fût un énorme pas dans la technologie, dans le sens ou il instrumentalise la

138 GONORD Alban, MENRATH Joëlle, (2005). Mobile Attitude : Ce que les portables ont changé dans nos vies, Paris, Hachette Littératures, p. 114. 139 CRAIPEAU, Sylvie, (2007). Le corps en jeu. In La société de la connaissance à l’ère de la vie numérique. Colloque du Xème anniversaire de GET, p.221 Disponible sur : http://www.institut-telecom.fr/archive/174/Livre_vert_version_web.pdf

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communication. Poussé par l’évolution technologique, il occupe désormais une place prépondérante dans la mondialisation. Cette dernière permet un échange de connaissances, d’idées, d’informations… Ainsi, le téléphone n’apparait plus simplement comme l’objet du moment en vogue, mais plutôt comme un « must-have ». Présents sur les lieux de travail, le téléphone peut parfois se substituer à un ordinateur. Smartphones et tablettes témoignent de l’évolution perpétuelle des moyens de communications. Doté d’un accès rapide au web, et d’une connectivité quasi permanente au monde, le téléphone connecte l’ensemble de la planète, et donc permet de « rester connecté ». Facilité de communication, rapidité, utilité et fonctionnalité sont les mots d’ordre du fruit de la technologie qui satisfait notre quotidien pour une utilisation professionnelle ou personnelle. Le rôle du téléphone dans la mondialisation est indirect. Ce dernier assure la communication, qui elle-même est un facteur de mondialisation. Aujourd’hui, la téléphonie mobile sur le continent africain doit relever quelques défis de taille pour continuer à progresser. Confrontée à un environnement réglementaire changeant et à la nécessité d’innover technologiquement, son potentiel de développement reste important mais ne pourra être exploité que si les opérateurs parviennent à s’adapter. BIBLIOGRAPHIE ADDA, J., (1996), La mondialisation de l'économie, t. 1 & 2, Paris, La Découverte, col]. Repères, 124 p. AGARWAL, R. et PRASAD, J. (1999), “Are Individual Differences Germane to the Acceptance of New Information Technologies?” Decision Sciences, Vol. 30, n°2, p. 361-391. AMRI, Mahdi, (2011). Le téléphone mobile dans l’espace social : Repenser les frontières entre le public et le privé. In : Actes du Congrès La Communication. BANDURA, A. (1982), “Self Efficacy Mechanism In Human Agency,” American Psychologist, Vol. 37, N°2, p.122-147. BEACH, L.R. et MITCHELL, T.R. (1978), “A Contingency Model for the Selection of Decision Strategies,” Academy of Management Review, Vol. 3, N°3, July, p.439-449. BRUNEL, Sylvie (2007), « Qu’est-ce que la mondialisation ? » in Sciences Humaines, Mensuel N° 180 - SPÉCIAL - mars 2007. CHESNAIS, François, La mondialisation du capital, Paris, Syros, coll. Alternatives économiques, 1994, 286 p. CRAIPEAU, Sylvie, (2007). Le corps en jeu. In La société de la connaissance à l’ère de la vie numérique. Colloque du Xème anniversaire de GET, p.221. DAGENAIS, Daniel, « L’œuvre de Michel Freitag dans la théorie contemporaine », SociologieS [En ligne], Découvertes / Redécouvertes, Michel Freitag, mis en ligne le 27 décembre 2010, consulté le 19 octobre 2014. URL: http://sociologies.revues.org/3396.

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