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INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE ET DES ETUDES ECONOMIQUES DEPARTEMENT DES RELATIONS INTERNATIONALES ET DE LA COOPÉRATION

Division Etudes et Méthodes Statistiques pour le Développement

SOMMAIRE

n° 69-70 - Mars-Juin 1992 ISSN : 0224-098-X

- Editorial

- Lionel de BOISDEFFRE Modèles d'équilibre général calculable : des outils prospectifs d'évaluation des politiques de développement

- Sylvie LAMBERT et Akiko SUWA Un modèle d'équilibre général calculable appliqué à la Côte-d'Ivoire

- Septime MARTIN Les échecs des P.A.S. en Afrique Quels enseignements pour le statisticien ?

- Yves FRANCHET Pour une plate-forme minimale d'information économique et sociale : commentaires sur les propos d'Hervé-Patrick CHARLOT

- Gérard CHENAIS Quel fonctionnement pour une Direction nationale de la statistique ?

- Jacques SCHWARTZ Population et développement : vers une relance de la coopération française

- Marie-France JARRET Note de lecture Le libéralisme : nouveau départ pour l'Afrique noire

Pages

3

5

23

53

79

81

97

107

STA1ECO : Bulletin de liaison non officiel des statisticiens et économistes exerçant leur activité dans les pays du Tiers-Monde

Rédacteur en chef Philippe BRION

Assistante de rédaction Corinne BENVENISTE

Secrétaire de fabrication Véronique TRIQUARD

Secrétariat de la revue

Division des études et méthodes statistiques

pour le développement

18 boulevard Adolphe Pinard

75675 PARIS CEDEX 14

Tirage : 1 800 exemplaires

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EDITORIAL

par Philippe BRION

STATECO a déjà présenté dans un numéro précédent une application

des modèles d'équilibre général calculable aux pays en développement. Nous

poursuivons ici la présentation de ces modèles.

Dans un premier article, Lionel de BOISDEFFRE les situe par

rapport aux autres types de modèles, et dans une perspective historique : quelles

sont les raisons qui ont conduit à l'émergence de ces modèles, en particulier dans

le cadre des pays en développement et de l'étude des politiques d'ajustement ?

Sylvie LAMBERT et Akiko SUWA présentent ensuite l'application

d'un tel modèle à la Côte-d'Ivoire, permettant de simuler l'impact de trois types

de politiques d'ajustement sur l'économie du pays : baisse des salaires des

fonctionnaires, augmentation des prélèvements de la Caisse de 'stabilisation,

dévaluation. L'intérêt de cette simulation est d'étudier à la fois les effets

macro-économiques et les conséquences sur les niveaux de vie de différents

groupes sociaux.

Les politiques d'ajustement, très présentes au cours de la décennie

passée, ont cependant été loin d'atteindre leurs objectifs. Septime MARTIN

analyse les causes d'échec des plans d'ajustement structurel, en mettant l'accent

sur la nécessité d'une meilleure connaissance des comportements économiques des

pays en développement, à la fois du point de vue des structures d'organisation

économique et sociale et des réactions de ces pays à l'environnement

international. Il faut aussi, selon l'auteur, ne pas privilégier le court terme mais

se placer dans des perspectives de moyen et long termes.

Ces considérations, qui ont des implications sur le travail du

statisticien, rejoignent les préoccupations liées à la plate-forme minimale

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d'information économique et sociale présentée par Hervé-Patrick CHARLOT dans

le numéro 67 de STATECO. L'article de celui-ci a suscité deux réactions.

D'abord, un courrier d'Yves FRANCHET insiste sur la nécessité de mieux intégrer

la statistique et la demande interne des décideurs des pays en développement.

Ensuite, Gérard CHENAIS nous présente son point de vue sur

l'organisation qu'une Direction de la Statistique devrait avoir pour répondre à la

demande d'information : il insiste lui aussi sur l'importance de la diffusion et de

la programmation, qui peut passer par l'élaboration d'un schéma directeur de

l'information économique et sociale.

En septembre 1991 s'est tenue à Paris une conférence sur le

développement et la croissance démographique rapide. Jacques SCHWARTZ dresse

ici le bilan de cette conférence et présente les enseignements à en retirer pour

les statisticiens, au moment où l'Afrique connaît un taux de croissance

démographique exceptionnel.

Le "Bulletin Bibliographique", sélection commentée de publications en

statistique et sciences sociales pour le développement, étant supprimé, nous

intégrerons désormais dans les colonnes de STATECO quelques notes de lecture.

Dans ce numéro, Marie-France JARRET nous présente un ouvrage de Mamadou

KOULIBALY au titre à contre-courant des tendances actuelles : "Le libéralisme :

nouveau départ pour l'Afrique noire".

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MODELES D'EQUILIBRE GENERAL CALCULABLE :

DES OUTILS PROSPECTIFS D'EVALUATION DES

POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT

par Lionel DE BOISDEFFRE

Appliqués tant aux économies développées qu'en développement, les

modèles d'équilibre général calculable (modèle EGC) ont connu, depuis les années

1970, un développement spectaculaire. Pourquoi sont-ils devenus des outils

privilégiés d'analyse des politiques de développement ? Leur confrontation aux

autres types de modèles permet d'en comprendre les raisons principales : ces

modèles complets prennent en compte les effets d'offre (c'est-à-dire en spécifiant

les comportements des producteurs en fonction de paramètres comme les prix

relatifs) et les effets redistributifs, qui sont les canaux essentiels de la lutte

contre la pauvreté. L'étude de leurs caractéristiques et principaux domaines

d'application en montre ensuite le cheminement historique et analytique.

I - LES MODELES EGC FACE AUX AUTRES OUTILS D'ANALYSE

Fondés sur la tradition walrasienne, les modèles EGC décrivent, dans

une économie de marché, l'affectation des ressources comme la résultante de

l'interaction entre l'offre et la demande dont l'équilibre est réalisé par les prix.

Ils fournissent, dans un cadre parfaitement formalisé, des réponses cohérentes à

des questions compliquées, mais doivent être utilisés avec prudence. En règle

générale, en décrivant les interactions entre les marchés, ils permettent de

1 Lionel DE BOISDEFFRE appartient au Département des Etudes Economiques d'ensemble de l'INSEE.

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mesurer exhaustivement les effets à long terme d'un aspect particulier de la

politique économique pour lequel ils ont été spécifiés : ils en retracent les

canaux de transmission et fournissent des ordres de grandeur plus que des prévisions précises.

Pour cerner les atouts des modèles EGC dans l'analyse prospective

des politiques publiques et celle des politiques de développement en particulier, il

convient de les confronter préalablement aux autres outils utilisés, à l'aide d'une

typologie.

1) Typologie des modèles

Très schématiquement, la modélisation des variables

macro-économiques s'appuie sur des outils, soit micro, soit macro-économiques et

des équilibres, soit partiels, soit généraux.

. Les outils micro et macro-économiques

Les outils macro-économiques sont des équilibres comptables, des

équations et fonctions de comportement, caractéristiques d'un ensemble d'agents,

mais qui ne font pas intervenir explicitement de choix à travers un programme de

maximisation. Les paramètres de ces équations peuvent être estimés sur

comportements historiques à l'aide des méthodes économétriques traditionnelles.

A ces instruments macro-économiques s'opposent les outils micro-

économiques, qui s'appuient directement sur un programme de maximisation,

représentatif des arbitrages des différentes catégories d'agents : les

consommateurs maximisent leur utilité, les producteurs leurs profits, etc ... Les

paramètres des fonctions utilisées n'ont alors pas besoin d'être estimés

économétriquement mais peuvent être choisis à des valeurs admises dans la

littérature économique : on parle alors de "calibrage" et non d'estimation ;

certains paramètres sont aussi calculés de manière à assurer la cohérence des

données sur une année de base.

. Les équilibres partiels et généraux

Un équilibre partiel s'attache à décrire des liens isolés entre

certaines variables économiques en considérant les autres variables comme

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exogènes. Il offre donc un éclairage sur des interrelations directes, sans modéliser

les rétroactions induites sur les marchés décrits par des variables exogènes. A

titre d'exemple, l'équilibre micro-économique du consommateur considère le

système de prix comme donné, et conduit, sous les hypothèses habituelles de

convexité et de concurrence parfaite, à une allocation optimale des quantités

produites, sans étudier les interactions entre les comportements des producteurs

et des consommateurs.

Un équilibre général endogénéise les variables dont l'ajustement

répond à un mécanisme de marché et permet ainsi de modéliser l'ensemble des

liens et rétroactions en oeuvre dans l'économie.

Le tableau 1 fournit des exemples de chaque type de modèle :

moyennant certaines adaptations, les modèles EGC apparaissent comme une

application de l'équilibre général de la micro-économie traditionnelle au sens de

DEBREU ou MALINVAUD. Les comportements isolés mais rationnels des agents

micro-économiques s'harmonisent grâce aux prix d'équilibre qui permettent

l'égalisation simultanée de l'offre et de la demande sur tous les marchés.

TABLEAU 1

TYPOLOGIE DES MODELES SELON LA NATURE DES

INSTRUMENTS ET LE CADRE D'ANALYSE

Méthodologie

Cadre d'analyse

Micro-économique Macro-économique

Equilibre partiel

Equilibre général

Modèle de négociation syndicale

Modèles EGC

(équilibre par les prix)

Modèles de déséquilibre

(équilibre par les quantités)

Equations économétriques ;

boucle prix-salaires ...

Modèles macro-économiques

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Une telle typologie est bien sûr réductrice : tant dans les modèles

EGC que dans les modèles macro-économétriques, le cadre n'est "général" que par

approximation car certaines variables de marché restent exogènes. Les variables

d'action des autorités publiques, ainsi que celles du "reste du monde" dans

l'optique "petit pays", sont en outre exogènes. De même, la frontière micro-macro

n'est pas nette : les équations macro-économiques, de bouclage et de

comportement, existent aussi dans les modèles EGC tandis que les équations des

modèles macro-économétriques sont souvent l'expression des choix et arbitrages

micro-économiques, même si ceux-ci ne sont pas explicités. Il existe par ailleurs

des modèles mixtes, partiellement macro-économiques, partiellement EGC (voir

plus loin la maquette BOURGUIGNON-BRANSON-de MELO). Mais de cette

typologie simplifiée se dégagent les atouts et limites des différents outils : la

force des modèles EGC repose sur leur complétude et leur analyse des effets d'offre.

2) Utilité et limites des différents outils

La typologie du tableau 1 montre que les modèles partiels offrent

un éclairage isolé sur les mécanismes directs reliant certaines variables

macro-économiques, tels la spirale inflationniste ou la formation conjointe de la

demande de travail et des salaires réels. Ils omettent les effets indirects par le

canal des marchés, non intégrés au modèle, et demeurent incomplets. Pour

l'analyse des politiques économiques, les modèles généraux apparaissent donc plus

pertinents : ils présentent un schéma explicatif de l'ensemble des interrelations,

directes et indirectes, entre les variables et permettent de simuler les effets

macro-économiques qui en résultent in fine. Ainsi, une hausse salariale a un effet

direct et négatif sur la demande de travail, mais relance la demande globale et

peut, par ce biais, soutenir l'activité donc l'emploi.

Parmi les outils généraux, les modèles macro-économétriques sont les

plus anciens. Ils offrent un schéma simplifié des interrelations macro-économiques,

qui permet des évaluations chiffrées de prévision, de simulation ou d'optimisation

des politiques économiques. Ils se distinguent des modèles d'équilibre général en

ce sens que les comportements, les équilibres s'y traduisent par des équations a

priori et ne résultent pas directement des comportements et choix individuels et isolés des agents.

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Ces modèles remontent à 1936. Ils se développent ensuite en trois

étapes aux U.S.A. : une étape de lancement, du modèle américain de TINBERGEN

(1939) à celui de KLEIN-GOLDBERGER (1955) ; une phase de développement

clôturée par le modèle de la BROOKINGS (1965) ; une phase de maturité depuis.

Les années 1970 voient la taille et la qualité des modèles s'accroître et la

concurrence entre centres d'études se développer.

Beaucoup plus tardif est le démarrage en France puisqu'il remonte à

1966 avec le modèle ZOGOL. D'abord apanage de l'Administration Economique, la

modélisation permet la prévision à court terme dans l'optique des "budgets

économiques", ou des projections à moyen terme, notamment au sein de l'INSEE.

Le monopole de l'Administration disparaît dans les années 1980 grâce aux travaux

de centres d'études concurrents, tels l'IPECODE ou l'OFCE.

La plupart des modèles macro-économétriques s'inspirent d'un schéma

de base, parfois dénommé "néo-keynésien", dont la structure simplifiée permet „ d'expliciter celle des différents types de modèles : keynésien, IS-LM2 , d'équilibre

offre-demande.

Le schéma "néo-keynésien" repose sur trois blocs d'équations et un

cadre comptable (le Tableau Economique d'Ensemble).

Les trois blocs sont :

- le bloc réel de la production,

- le bloc prix-salaires,

- le bloc monétaire et financier.

Les modèles keynésiens-purs fonctionnent à partir du seul bloc réel

(les autres blocs sont exogènes) ; le schéma IS-LM endogénéise le bloc monétaire

et financier ; le schéma d'équilibre offre-demande intègre les trois blocs.

Théoriquement, seul le schéma d'équilibre offre-demande, en endogénéisant tous

les blocs, constituerait un vrai modèle macro-économétrique au sens du tableau 1.

2 Le schéma IS-LM décrit l'équilibre entre Investissement-Epargne (IS) et marché de la

monnaie (LM).

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Dans la pratique, les variables du bloc monétaire et financier restent souvent

exogènes.

Cette structure fait apparaître une représentation relativement

sommaire des effets d'offre, qui transitent par la demande de travail et

d'investissement : le cadre d'analyse macro-économétrique privilégie le rôle de la

demande. Dans le cas des pays en développement on verra que l'étude des effets

d'offre est essentielle et les modèles EGC y pourvoient utilement.

En outre, les modèles macro-économétriques, de par leurs centaines

voire milliers d'équations, sont trop "opaques" pour préciser avec pédagogie les

canaux de transmission de la politique économique : ils fonctionnent comme des

"boîtes noires" permettant des simulations. Leur complexité, le caractère "a

priori" de leurs fondements théoriques (rôle de la demande, dépendance des

comportements historiques et non prise en compte des rationnements, sauf par des

variables de tension), sont sans doute responsables de leur déclin récent. D'où

l'intérêt porté aux "maquettes", plus simples, donc plus pédagogiques, aux modèles

de déséquilibre, seuls capables de rendre compte des rationnements et de la

rigidité à court terme du système de prix, et, bien évidemment, aux modèles

EGC.

Ces modèles EGC prennent en compte l'ensemble des comportements

individuels et évaluent donc les effets des politiques économiques incitatives,

agissant par le canal des marchés. En tant qu'instruments généraux, ils mettent

en jeu l'ensemble des liens et rétroactions entre les variables. Ces modèles sont

pédagogiques pour l'évaluation prospective : les conséquences prévisibles de

l'harmonisation fiscale européenne, de l'entrée du Royaume-Uni dans la CEE ou

de l'abaissement de barrières douanières proposées dans le cadre des négociations

du GATT ont été mesurées à l'aide de tels modèles. Les fondements

micro-économiques théoriques sous-jacents, la prise en compte des interactions, la

flexibilité des algorithmes, permettant la mise au point de modèles très détaillés,

ont contribué à leur succès, dès les années 1970, à la suite de la découverte, par

SCARF, d'un algorithme général de résolution des prix d'équilibre. Les étapes

ultérieures ont fait apparaître leurs limites, qui ont appelé des réponses des

modélisateurs et contribué à les perfectionner. Dans de nombreux domaines

d'application, ils apparaissent actuellement, à l'instar de l'informatique, en

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constante et rapide innovation face aux défis qui leur sont posés. Si des

faiblesses sont apparues, certaines ont donc trouvé une réponse à mesure des

perfectionnements apportés ; d'autres sont plus inhérentes à la méthode. Ces

dernières touchent essentiellement au manque de validation empirique et à

l'inadéquation à l'étude des phénomènes transitoires, tandis que la prise en

compte tardive ou lacunaire des questions d'épargne, d'échanges extérieurs, de

mouvements de capitaux ou de choix intertemporels a donné lieu à des

approfondissements et ouvert des axes de recherche.

3) Les raisons du succès des modèles EGC de développement

Trois raisons expliquent le succès des modèles EGC dans l'analyse

des politiques de développement : la prise en compte des effets d'offre et de

leurs implications, leur besoin limité de statistiques et les spécificités

économiques et sociales des pays en développement.

La prise en compte des effets d'offre est fondamentale car c'est à

travers ceux-ci que s'opèrent les mutations qui entraînent le processus de

développement : une relance par la demande ne fait que dégrader le commerce

extérieur par le biais d'une hausse des importations et relancer l'inflation si

l'appareil productif ne peut répondre, comme tel est souvent le cas dans les pays

en développement, où l'offre est à promouvoir. A cet égard, les modèles macro-

économétriques, axés sur la demande, sont inadéquats, alors qu'en spécifiant les

comportements individuels, par lesquels transitent ces effets d'offre, les modèles

EGC offrent une analyse prospective plus adaptée.

Les programmes d'ajustement que connaissent de nombreux pays en

développement comportent toujours une part structurelle, qui vise à améliorer

l'efficacité de l'offre productive. Seuls les modèles EGC rendent compte des

transferts intersectoriels par lesquels transitent ces ajustements. Toutefois, leur

cadre néo-classique de référence intègre difficilement les phénonènes monétaires

et financiers puisque seuls les prix relatifs interviennent dans l'équilibre micro-

économique. Or les programmes d'ajustement visent également à restaurer les

grands équilibres, et notamment la stabilité des prix, en réduisant la demande

globale. Les modèles EGC ont donc dû s'adapter à cette dimension

macro-économique de l'ajustement. Ainsi, les modèles "EGC financiers" intègrent

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la monnaie et le marché des actifs. La maquette de BOURGUIGNON-BRANSON-DE

MELO spécifie même un schéma IS-LM pour l'étude des phénomènes

macro-économiques de court terme des politiques d'ajustement.

Autre raison du succès des modèles EGC : leur base statistique

restreinte. Les séries longues, nécessaires à l'estimation d'un modèle macro-

économétrique, font souvent défaut dans les pays en développement3. En outre,

les comportements peuvent y changer radicalement en période de mutation : la

"reproduction" des comportements passés, qu'implique la méthode

macro-économétrique, si elle est statistiquement possible, n'est pas toujours

pertinente. Les modèles EGC, dont la base statistique est limitée à l'année de

référence pour les paramètres calculés et une série pour les exogènes, offrent

donc une réponse adaptée au problème des données. Certains paramètres du

modèle sont fixés à des valeurs de référence, pouvant intégrer des résultats d'enquêtes micro-économiques.

Dernier motif de succès : les caractéristiques économiques et

sociales des pays en développement. Dans ces pays, l'étude des effets

redistributifs d'une politique importe autant que celle des effets macro-

économiques. En effet, la lutte contre la pauvreté passe par une redistribution

des richesses permettant d'atténuer les conséquences d'une politique d'ajustement

sur les catégories défavorisées. Les modèles EGC, qui spécifient bien-être,

consommation et revenu des différentes catégories de consommateurs, sont à

même de décrire les phénomènes d'allocation de ressources entre consommateurs.

Par ailleurs, les marchés des économies en développement connaissent souvent

d'importantes distorsions. Or la théorie de l'optimum de second rang montre que

l'élimination de certaines de ces distorsions, alors que d'autres sont maintenues,

n'améliore pas nécessairement le bien-être. Pour mesurer l'efficacité d'une

politique, commerciale ou fiscale par exemple, il faut donc évaluer les effets

conjoints des modifications intervenant sur chaque marché, ce que permet

précisément la méthode de l'équilibre général.

3 Il est cependant nécessaire de construire préalablement une matrice de comptabilité sociale,

ce qui demande de disposer d'un certain nombre de statistiques sur une année de référence.

Voir l'article de M. AZIHARY et N. PONTY dans STATECO n° 67.

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Dans le cas d'un pays en développement, ces différents marchés

doivent enfin être différenciés pour rendre compte des arbitrages des

consommateurs, non seulement entre produits importés et nationaux, mais encore

entre ceux issus de l'économie formelle et du secteur informel pour les biens

produits nationalement. L'analyse micro-économique reposant sur les élasticités de

substitution, dans le cadre de produits différenciés, permet d'évaluer la structure

de la demande et son évolution en fonction des prix relatifs, termes de l'échange,

etc... Elle rend à cet égard les modèles EGC performants.

Cette présentation générale des modèles EGC doit être complétée

par l'exposé de leurs applications, afin d'en dégager le cheminement.

II - CARACTERISTIQUES ET DOMAINES D'APPLICATION DES MODELES EGC

Avant d'analyser les étapes de la modélisation EGC à travers ses

domaines d'application, il convient d'exposer plus en détail ses caractéristiques.

1) Caractéristiques

Les modèles d'équilibre général reposent sur le jeu des interactions

des comportements individuels des agents, qui maximisent, chacun de leur côté,

leur fonction-objectif sous leurs contraintes propres (maximation du profit pour

les entreprises, de l'utilité pour les consommateurs,...).

Les comportements s'harmonisent grâce aux prix d'équilibre, qui

permettent l'égalisation simultanée de l'offre et de la demande sur tous les

marchés. La théorie micro-économique de l'équilibre général rend compte de la

formation simultanée des prix et quantités comme la résultante des comportements

individuels dans un cadre de concurrence parfaite et démontre, moyennant des

hypothèses peu restrictives sur les comportements, le caractère PARETO optimal

de l'équilibre4.

4 Voir par exemple les "Leçons de Théorie micro-économique" de MALINVAUD.

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Le cadre des modèles EGC n'est pas nécessairement celui de

l'équilibre concurrentiel : les firmes peuvent y détenir un certain pouvoir de

marché, au moins dans certains secteurs. Aussi, "les règles du jeu" sont

clairement définies : constance ou non des rendements d'échelle selon les

secteurs, concurrence parfaite ou oligopolistique... A l'intérieur de ce cadre

d'analyse, chacun des agents maximise sa fonction-objectif. Exceptionnellement,

les modèles EGC peuvent intégrer des éléments de déséquilibre en spécifiant un rationnement des agents sur certains marchés.

Outre les biens, différenciés selon leur qualité, emplacement et

période, et les agents (producteurs, consommateurs, Etat), dotés de comportements

rationnels et formalisés, ces modèles comportent des "règles de bouclage". Ces

règles de bouclage sont des équilibres macro-économiques stipulés par le

modélisateur, qui n'entrent pas en compte dans le choix de comportement des

agents. Le modélisateur peut ainsi imposer, à titre simplificateur, l'équilibre de la

balance commerciale, ou rappeler ex-post celui de l'épargne et de l'investissement

en choisissant la variable d'ajustement. Ce bouclage permet d'exogénéiser

certaines variables (alors que, selon la loi de WALRAS, les équations d'équilibre

sont en surnombre), d'imposer des contraintes supplémentaires, d'inscrire le modèle

dans un cadre d'hypothèses : le bouclage néo-classique exogénéise l'épargne, le

bouclage keynésien fixe l'investissement, le bouclage fishérien, le taux d'intérêt...

Lorsque ces règles de bouclage imposent des contraintes d'équilibre

supplémentaires, elles ne peuvent intervenir que sur des variables résiduelles, sans

influence déterminante sur le résultat final (par exemple la contrainte d'équilibre

du commerce extérieur pourra s'appliquer à un modèle fiscal, mais ne sera pas

spécifiée dans un modèle d'échanges). Ces règles sont donc adaptées au domaine

étudié. Plus généralement, l'une des caractéristiques des modèles EGC est d'être

construits autour des problèmes à étudier : les règles du jeu, la forme des

fonctions, le cadre d'analyse et les bouclages sont déterminés par le thème

d'étude, avec autant de familles de modèles que de types de politiques à évaluer.

Certains modèles récents s'inscrivent même dans le focused modeling : précis,

ciblés sur l'analyse d'un thème particulier, ces modèles abandonnent toute

problématique générale pour répondre à une question précise de politique

économique dans une économie déterminée.

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Il faut en outre souligner que la finalité des modèles EGC relève

plus de l'évaluation des tendances longues, des effets de long terme d'une

politique que de la prévision. L'hypothèse de base est celle d'un équilibre

simultané sur tous les marchés, préalable à tout échange. Cette hypothèse de

parfaite fluidité, d'absence de rationnement est peu compatible avec la réalité du

court terme, et rend les modèles EGC peu adaptés à l'étude des politiques

conjoncturelles (à moins que des éléments de déséquilibre n'aient été introduits).

En revanche ils sont utiles à l'analyse structurelle, à l'évaluation des effets

tendanciels de longue période des politiques macro-économiques incitatives

agissant par le canal des marchés.

La résolution du modèle intervient par étapes. Les conditions du

premier ordre des programmes de maximisation micro-économiques conduisent à un

système d'équations sur les grandeurs d'équilibre (prix et quantités), que l'on

résoud :

- calcul de l'équilibre stationnaire initial (avant modification de la

politique économique),

- calcul de l'état stationnaire final : c'est l'équilibre de longue

période associé à la nouvelle politique économique que l'on compare à l'état final

de référence (atteint en l'absence de toute modification de la politique

économique),

- calcul du chemin transitoire entre ces deux états.

Cependant, dans la pratique, et compte tenu de la mauvaise

adéquation de ces modèles à l'étude des phénomènes transitoires, ce sont les

états stationnaires associés aux différentes variantes de la politique économique

étudiée qui sont les plus instructifs. Ces états stationnaires, théoriquement

atteints sur longue période en l'absence de nouveau choc, ont surtout une finalité

pédagogique, compte tenu des fluctuations et chocs récurrents affectant les

économies : ils dégagent un "état idéal", les tendances longues associées à chaque

variante de la politique économique.

Les paramètres du modèle, trop nombreux, ne peuvent être

simplement estimés sur comportements historiques : certains sont fixés à des

valeurs admises, d'autres sont calculés de manière à assurer la cohérence des

données comptables sur une année de référence. C'est ce qu'on appelle le

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"calibrage", qui a conduit à critiquer les modèles EGC pour leur manque de

validation économétrique. En réalité, on choisit des valeurs pertinentes pour les

élasticités et on valide le calibrage à l'aide d'une analyse de la sensibilité des

résultats aux paramètres-clés du modèle.

Les grandes caractéristiques permettent de mieux comprendre le

cheminement de la modélisation EGC à travers ses différents domaines

d'application : commerce international, fiscalité, énergie, développement enfin.

2) Principaux domaines d'application

. le commerce international

Avec la fiscalité, le commerce international constitue l'un des

premiers thèmes d'étude par la méthode de l'équilibre général (SHOVEN et

WHALLEY, 1972) et une bonne illustration des étapes de la modélisation EGC :

première génération de modèles du milieu des années 1970 au milieu des années

1980 ; deuxième génération depuis 1984, incorporant les nouvelles théories des

échanges.

La première vague de modèles présente une application empirique du

schéma H.O.S. (HECKSHER-OHLIN-SAMUELSON) des échanges, jusqu'alors

essentiellement théorique, selon lequel les pays tendent à se spécialiser dans les

produits incorporant le plus les facteurs relativement abondants dans l'économie

en cause (théorie des avantages comparatifs). Toutefois, ces modèles s'écartent du

schéma H.O.S. strict pour deux raisons : leur calibrage est effectué à une année

de référence, donc les coefficients et paramètres varient d'un pays à l'autre, et

une différenciation des produits est introduite selon l'hypothèse d'ARMINGTON5.

Cette hypothèse rend compte des échanges croisés de produits imparfaitement

substituables selon le pays d'origine et aboutit à des effets sur les termes de

l'échange de la politique commerciale. Elle permet ainsi d'exclure la spécialisation

complète qu'implique malencontreusement le schéma H.O.S. strict.

5 Pour une spécification technique de l'hypothèse d'ARMINGTON, se référer à l'article de

M. AZIHARY et N. PONTY, opus cité.

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Les résultats de ces modèles statiques sont ceux d'un faible impact

de l'ouverture des frontières sur la croissance et d'effets potentiellement élevés

sur les termes de l'échange, impliquant souvent une perte de bien-être pour les

pays qui ouvrent leurs frontières (MILLER-SPENCER 79, DIXON-PARMENTIER-

SUTTON-VINCENT 82, WHALLEY 85, DEARDOFF-STERN 86).

Le résultat fourni, en l'occurence le faible bénéfice retiré des

échanges, a jeté un certain discrédit sur cette première génération de modèles :

le cadre H.O.S. strict, n'introduisant ni spécification extra-tarifaire, ni lien

dynamique croissance-échanges, ni rendements d'échelle, ni concurrence imparfaite

a été abandonné. Les modélisateurs, depuis 1984, ont pris en compte les

différents aspects de la théorie moderne des échanges.

Ainsi, l'introduction de coûts fixes et d'un jeu coopératif des firmes

canadiennes permet à HARRIS (1984), d'exhiber les effets de structure des

marchés liés aux rendements d'échelle et à la concurrence imparfaite ; celle des

transferts de ressources de l'agriculture vers l'industrie en Corée par TRELA et

WHALLEY (1989), de décrire les liens échanges-croissance ; celle des choix de

portefeuille par GOULDER et EICHENGREEN aux Etats-Unis (1989), d'introduire la

dynamique des mouvements de capitaux.

Le bénéfice des échanges apparaît alors bien supérieur à ce qu'il

était dans la première génération de modèles. En outre, la modélisation est

devenue plus précise, au risque de perdre en généralité ; le focused modeling

apparaît.

. fiscalit4 énerÉ

Ces deux domaines sont abordés succintement ; le domaine de la

fiscalité est, à bien des égards, comparable à celui des échanges : première

génération introduite par les travaux de SHOVEN et WHALLEY (1972), généraux

et détaillés, mais prenant mal en compte les questions dynamiques et les circuits

d'intermédiation financière, puis affinements dans les années 1980 décrivant

notamment les marchés d'actifs (SUMMERS 85) et les effets d'efficience et de

répartition intergénérationnelle en anticipations parfaites (AUERBACH et

KOTLIKOFF, 1987).

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La deuxième famille de modèles est introduite par MANNE (1977),

qui s'attache à décrire l'incidence de la hausse des cours du pétrole, notamment

sur les économies en développement. Ces modèles introduisent une spécification

complète des choix intertemporels à l'aide de comportements d'optimisation dans

le temps. Ils mettent en lumière des "feedbacks" entre les variables économiques,

effectuent des variantes qui mettent en jeu ces interrelations et fournissent des

ordres de grandeur, sans rechercher toutefois un chiffrage très précis des

résultats de la politique énergétique. Sans doute les modèles actuellement

développés sur la politique de l'environnement, notamment par l'OCDE, doivent-ils leur être rattachés.

. les questions de développement

Une dernière famille de modèles analyse les questions fondamentales

liées au développement économique à partir de modèles multisectoriels (DERVIS,

DE MELO, ROBINSON, 1982). La dimension multisectorielle est importante parce

qu'elle permet l'étude des changements de structure inhérents au processus de

développement (par exemple entre les secteurs de l'agriculture, de l'industrie et

des services). Mais tout un cheminement, qu'il convient de rappeler brièvement,

conduit des modèles input-output, de type LEONTIEF, aux modèles EGC.

A l'origine des modèles multisectoriels se trouvent en effet les

modèles d'entrées-sorties des années 1950. Moyennant des hypothèses de fixité

des coefficients techniques et de comportements d'échanges, ces modèles

permettent d'exprimer la production sectorielle comme fonction linéaire de la

demande finale, des exportations et importations, et de chiffrer les besoins en

importations, consommations intermédiaires ou main-d'oeuvre correspondant à un

objectif de planification. Statiques ou dynamiques, ces modèles n'introduisent pas

de choix de comportement mais s'appuient sur la stricte complémentarité des

facteurs de production ; l'équilibre est réalisé par les quantités ; les prix sont

fixés moyennant une hypothèse de taux de marge sectorielle fixe. Ils ne sont

donc pas appropriés à l'étude des phénomènes de marché.

Dans les années 60, avec les progrès de l'informatique, les choix de

comportement sur des fonctions linéaires sont introduits. Ces modèles de

programmation linéaire apparaissent rapidement trop rigides. Les modèles

d'équilibre général des années 1970-1980, qui endogénéisent les prix, fournissent

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un fondement théorique solide aux questions de développement. Ils constituent un

outil exhaustif d'analyse des canaux de transmission, via les marchés, de la

politique économique et des effets redistributifs, essentiels pour étudier la

pauvreté. Les premiers modèles, ceux d'ALDEMAN et ROBINSON (1978) sur la

Corée et de LYSY et TAYLOR (1980) sur le Brésil, sont axés précisément sur

ces aspects redistributifs et d'inégalités dans les stratégies de développement.

L'étude des politiques commerciales, fiscales ou d'ajustement a été conduite à

l'aide de tels modèles, avec des hypothèses précises sur la structure des marchés,

leur caractère concurrentiel ou non, les rendements d'échelle, et même les

mouvements de capitaux. Selon le cadre d'analyse et les types d'économie en

cause, les résultats des politiques peuvent différer très sensiblement, tant en

termes de croissance que de redistribution, comme le soulignent les travaux de

DE MELO, BOURGUIGNON et SUWA.

Si les modèles EGC constituent l'aboutissement de la modélisation

multisectorielle, la modélisation linéaire n'en demeure pas moins le point de

passage obligé : la matrice de comptabilité sociale, qui procède d'une

spécification linéaire multisectorielle, photographie l'ensemble des flux entre les

agents et les secteurs pour une année donnée et permet seule le calibrage du

modèle sur l'année de référence. En outre, dans de nombreux modèles EGC, les

spécifications linéaires (LEONTIEF) se combinent aux spécifications non-linéaires

(LES, CES, CET)6, dans des arbres de production et de consommation, pour

prendre en compte simultanément les rigidités (strictes complémentarités) comme

les substituabilités (avec maximisation micro-économique) existant dans cette , 7 production ou consommation, que l'économie soit ou non développee .

En outre, si la modélisation EGC des pays en développement intègre

les spécifications utilisées ailleurs, notamment pour examiner les situations de

concurrence imparfaite ou d'arbitrages intertemporels, elle illustre, sans doute

mieux que dans le cas des économies développées, la diversité des entorses

apportées au schéma walrasien de base : présence de rigidités sur les paramètres,

6 Linear expenditure system, constant elasticity of substitution, constant elasticity of

transformation.

Pour une description technique de la matrice de comptabilité sociale et des structures

arborescentes, se référer à l'article de M. AZIHARY et N. PONTY, opus cité.

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sur les marchés, ou spécification d'équilibres macro-économiques. L'étude des

politiques de stabilisation, passant par l'offre et la demande, est le point de

convergence de deux écoles qui se sont rapprochées : celle de ROBINSON-

SRINIVASAN, en faveur d'un cadre walrasien banissant les éléments de macro-

économie, et celle de TAYLOR, introducteur de ces spécifications macro-

économiques au sein des modèles EGC. A l'extrême de cette approche, la

"maquette" de BOURGUIGNON-BRANSON-DE MELO, applicable moyennant quelques

modifications à de nombreuses économies en développement, offre un exemple de

modèle mixte d'évaluation des politiques d'ajustement : équilibre général multi-

sectoriel pour les effets de moyen et long termes, IS-LM macro-économique pour

les effets de court terme. On sort ici des modèles traditionnels pour mettre

efficacement à profit les deux outils d'analyse (micro et macro), dans un cadre

général, afin d'évaluer les effets tant micro-économiques, via les marchés, que

macro-économiques des politiques d'ajustement.

CONCL'USION

Au terme de cette présentation, la modélisation EGC apparaît donc

souple, évolutive, adaptée aux particularités des pays en développement et riche

dans ses applications. Il n'existe pas un type de modèle EGC mais autant de

types que de politiques à étudier.

Sans doute les résultats des modèles apparaissent-ils fortement

dépendants d'hypothèses et de spécifications dont la pertinence n'est pas toujours

facile à évaluer. Mais leur finalité n'est pas la prévision mais l'étude de toutes

les implications d'une stratégie de développement confrontée aux stratégies

alternatives. A travers cette étude, la remise en cause des idées reçues et la

prise de conscience que chaque stratégie doit être adaptée aux caractéristiques

propres de l'économie à laquelle elle s'applique ne sont-elles pas aussi

importantes que la prévision ? Cette approche permet en effet d'engager un

dialogue entre politiques et économistes, dialogue toujours précis et fructueux,

qu'il soit clarificateur ou source d'interrogations nouvelles.

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REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

DERVIS, DE MELO, ROBINSON : General Equilibrium Models for Development Policy, Cambridge University Press 1982

AUERBACH ET KOTLIFOFF : Dynamic Fiscal Policy, Cambridge University Press 1987

PIGGOT & WHALLEY : New Developments in Applied General Equilibrium Analysis, Cambridge University Press 1985

SRINIVASAN & WHALLEY : General Equilibrium Trade Policy Modeling, MIT Press 1986

GINSBURG & MERCENIER : Macroeconomic Models and Microeconomic Theory, North-Holland 1988 (Challenges for macroeconomic modeling)

BORGES : Survey de la Revue Economique de l'OCDE (Automne 1986) sur les modèles EGC

SHOVEN & WHALLEY Applied General Equilibrium Models of Taxation and International Trade : An Introduction and Survey - J.E.L. Septembre 1984

BOURGUIGNON-BRANSON-DE MELO 1990 : Adjustement and Income Distribution : a Counterfactual Analysis

AZIHARY & PONTY : L'application de la modélisation EGC à un pays en développement - STATECO, Septembre 1991

A. SUWA : Les modèles d'équilibre général calculable, Economie et Prévision n° 97-1991

BOURGUIGNON, DE MELO, SUWA : Distributional Effects of Adjustement Policies : Simulations for two Archetype Economies, EHESS -Décembre 1990

S. ROBINSON : "Multisectoral Models" in : Handbook of Development Economics, CHENERY & SRINIVASAN Editors 1989

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UN MODELE D'EQUILIBRE GENERAL CALCULABLE APPLIQUE A LA CO'T'E-D'IVOIRE'

Sylvie LAMBERT et Akiko SUWA2

La Côte-d'Ivoire a été longtemps considérée comme une économie

relativement performante et un exemple pour les pays voisins. On a parlé de

"miracle ivoirien" au vu des taux de croissance record que ce pays a pu

maintenir sur le long terme. Les années soixante et soixante-dix connurent un

taux de croissance du Pib de 7,2 % par an en moyenne. Les bonnes conditions

naturelles et une gestion intelligente des avantages comparatifs du pays

expliquaient ce "miracle". Les options majeures de politique économique ne furent

jamais remises en cause : une économie largement ouverte, très spécialisée, qui

repose sur la croissance des exportations traditionnelles.

Cependant, dans les années quatre-vingt, ce tableau brillant n'est

plus qu'un souvenir. Comment une économie aussi prospère a-t-elle pu en arriver

à une crise aussi profonde depuis bientôt dix ans ? Pourquoi les politiques suivies

pour sortir de la crise n'ont-elles suffi, bien que rapidement entreprises, à

remettre l'économie sur un sentier de croissance ?

La première partie de cet article s'intéresse à ces deux questions.

Puis un exercice de simulation permettra de nous demander quelles autres

1 Article reproduit avec l'aimable autorisation de "Economie et Prévision", revue de la

Direction de la Prévision française. Cet article a été publié dans le numéro 97 de cette

revue, consacré à l'économie du développement et se fonde sur un chapitre de l'ouvrage

Ajustement et équité en Cote d'Ivoire (OCDE, novembre 1990).

2 Sylvie LAMBERT travaille à l'INRA et au centre DELTA (unité mixte de recherche

CNRS-ENS-EHESS) et Akiko SUWA au centre DELTA.

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politiques auraient été possibles et si elles auraient eu des conséquences

différentes sur la pauvreté et l'inégalité. Nous verrons que pèse sur toutes les

considérations de politique économique une contrainte majeure : les autorités

ivoiriennes disposent d'une marge de manoeuvre très restreinte.

LA COTE-D'IVOIRE : LA CRISE DES ANNEES QUATRE-VINGT

Malgré les bons résultats de l'économie ivoirienne jusqu'à la fin des

années soixante-dix, celle-ci était déjà marquée par des déséquilibres importants.

Ils sont à l'origine de la crise des années quatre-vingt. On peut en souligner cinq :

- la prédominance de l'agriculture dans le Pib (38 % en 1982) et dans les exportations (80 % en 1982) ;

- le dualisme marqué de l'économie : 13 % de la force de travail

est à l'origine de presque la moitié du revenu national ;

- la forte dépendance de l'investissement par

financement extérieur, à partir de 1975, et son manque d'efficacité ;

- l'existence d'un secteur public important (plus de la moitié du

secteur moderne formel) mais peu efficace : la productivité du capital (le rapport

valeur ajoutée sur capital) y est le tiers de celui des entreprises privees3 . ,

- le rôle disproportionné joué par la Caisse de stabilisation (Cssppa).

La Caisse de stabilisation est l'intermédiaire entre les producteurs de café et de

cacao et le marché mondial. Elle se charge de verser un prix constant au

producteur et encaisse la différence entre ce prix et le prix international. Elle

reçoit habituellement une large part des revenus des exportations agricoles. Les

recettes de la Caisse de stabilisation sont le principal facteur de flexibilité de la

fiscalité. En effet, ce n'est pas un impôt ordinaire : les recettes ne sont pas

affectées à un budget particulier. Le gouvernement peut donc en disposer à sa

guise, sur décision discrétionnaire. L'utilisation de ces sommes échappe à tout

contrôle parlementaire. Or, de 1976 à 1980, elles ont représenté environ la moitié du revenu total du gouvernement.

3 Cf. BERTHELEMY et BOURGUIGNON (1990). (bibliographie en fin d'article).

rapport au

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C'est sur ces bases que le gouvernement se lance dans un important

plan d'investissement à partir de 1976. La réalisation de ce plan ambitieux est

facilitée par les recettes de la Caisse de stabilisation, gonflées par le boom des

prix du café et du cacao. Ce n'est qu'à partir de 1977 que la Caisse de

stabilisation répercute en partie l'augmentation des prix mondiaux sur les

rémunérations accordées aux producteurs. L'euphorie fondée sur des anticipations

erronées s'appuyant sur la hausse des prix des exportations traditionnelles

(cf. tableau 1) conduit le gouvernement à s'endetter à l'extérieur pour poursuivre

des investissements publics, dont beaucoup s'avéreront inefficaces. Ainsi, durant

ces années, l'endettement extérieur s'accroft sensiblement : de 20 % du Pib en

1970 à 50 % en 1980. Le compte courant commence à être déficitaire en 1975 et

son solde atteint 60 % des exportations en 1980 (13,4 % du Pib). Cette année-là,

le Compte d'opérations auprès du Trésor français devient déficitaire, pour la

première fois depuis sa création ; le solde budgétaire négatif représente 12,8 %

du Pib et le gouvernement est endetté pour 79 milliards de francs CFA auprès de la Banque centrale (4 % du Pib)4 (cf. tableau 1).

La réponse à la crise de paiements extérieurs est immédiate. La

Côte-d'Ivoire fait appel au Fmi dès 1980 et met en oeuvre un Plan d'ajustement

à partir de 1981. L'objectif de ce plan de trois ans est de diminuer le déficit

budgétaire de moitié et de réduire le déficit du compte courant à 8,4 % du Pib.

L'essentiel des mesures est d'ordre budgétaire, et ce d'autant plus que, du fait

de son appartenance à l'Union monétaire de l'Afrique de l'Ouest, la Côte-d'Ivoire

ne peut avoir une politique monétaire indépendante, ni recourir à une dévaluation.

Le plan d'ajustement est présenté dans l'encadré 1. Les mesures

budgétaires se répartissent en deux groupes : augmentation des recettes fiscales,

essentiellement en augmentant les taxes indirectes et en diminuant des dépenses

(baisse des subventions, gel des salaires publics et diminution des dépenses

courantes). L'éducation est touchée de plein fouet : le total des réductions dans

4 Dans le cadre de l'Union monétaire de l'Afrique de l'Ouest, les pays membres ont

l'obligation de déposer au moins les deux-tiers de leurs réserves de change dans un compte

d'opérations auprès du Trésor français. Ce compte peut être déficitaire : dans ce cas, la

BCEAO, qui régule le système, doit payer un intérêt, faible, au Trésor français. Cette

disposition permet une flexibilité à court terme en cas de difficultés de paiements extérieurs.

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TABLEAU 1

LA CRISE DES ANNEES QUATRE-VINGT

1980-1983 1984-1986

Pib -2,3 3,5

Investissement/Pib -4,2 -7,5

Prix à la consommation 7,3 4,6

Taux de change réel 12,7 -3,2

Exportations 3,3 2,2

Dette publique 31,0 -3,7

(en taux de croissance annuel)

LES TERMES DE L'ECHANGE

Café Cacao

1971-1975 89,3 94,3

1976-1980 136,2 146,5

1981-1985 89,5 84,5

Indices base 100 en 1984

Source : BERTHELEMY et BOURGUIGNON (voir bibliographie)

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ENCADRE 1

LES PLANS DE STABILISATION 1981-1983

Augmentation des recettes fiscales :

- augmentation de la taxe sur le pétrole (hausse de 10 % du prix au consommateur en février 1981) ;

- hausse de la TVA, de la taxe salariale et de la taxe sur les automobiles (1982).

Au total, l'accroissement des taxes indirectes conduit à un gain de l'ordre de 0,7 % du Pib.

Diminufiondesdépensespubliques:

- suppression ou privatisation des trois quarts des entreprises publiques, contrôle accru sur le reste ;

- baisse des investissements publics : - 30 % en termes réels en 1981 et - 12 % en 1982 ; - baisse des subventions aux entreprises publiques, augmentation des tarifs des services publics

(transport, énergie) et de produits alimentaires (riz) ; - gel des salaires nominaux à partir de 1982 et limitation des promotions ; - baisse des dépenses d'éducation.

Gestion de la dette publique :

- gel de l'emprunt extérieur pour cinq ans ; - plafonnement strict des emprunts à plus long terme.

Resserrement de la politique monétaire :

- contrôle renforcé du réescompte par la BCEAO ; - rationnement du crédit par l'imposition d'une autorisation préalable pour tous les crédits au

delà de 100 millions de francs CFA, le taux d'intérêt étant maintenu au niveau des taux du marché monétaire français.

Du fait des difficultés de la BCEAO pour contrôler les banques commerciales, cette mesure est peu efficace.

1984-1986

Augmentation des taxes indirectes:

- taxes à l'exportation sur le café, le cacao et le bois : les recettes fiscales augmentent d'environ 1 % du Pib.

Baisse des dépenses publiques:

- l'investissement public est ramené à 8 % du Pib (au lieu de 13,5 % entre 1981 et 1983) ; - baisse des subventions aux entreprises publiques.

Au total, les dépenses du secteur public passent de 40 % du Pib en 1982-1983 à 32 % en 1985.

Réforme commerciale :

- uniformisation des tarifs douaniers à 40 % et suppression des restrictions quantitatives ; - subventions aux exportations et mesures d'incitation en faveur des exportations traditionnelles.

Ces mesures ont peu de succès : les tarifs douaniers ne peuvent être collectés normalement en raison d'une forte évasion fiscale ; les subventions à l'exportation ne sont pas payées.

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ce domaine représente 3 % du Pib. Enfin, des structures devant permettre un

meilleur contrôle des dépenses publiques sont mises en place. Un resserrement de

la politique monétaire permet d'éviter des troubles majeurs5.

Plusieurs chocs contrarient l'efficacité du plan d'ajustement : les

termes de l'échange se détériorent (cf. tableau 1), les taux d'intérêt étrangers

augmentent fortement et, en 1983, une sécheresse affecte le volume de la

production. Ces facteurs compromettent l'assainissement de la situation

budgétaire. La récession tarit les recettes fiscales ; les revenus de la Caisse de

stabilisation sont affectés à la fois par la détérioration des termes de l'échange

et par la sécheresse de 1983 ; enfin, la hausse du taux d'intérêt étranger pèse

sur le service de la dette (celui-ci passe de 6 % des recettes courantes du

gouvernement en 1980, à 21,1 % en 1983). En outre, les investissements entrepris

à la fin de la décennie précédente n'ont pas donné lieu à des gains notables. Les

résultats du plan sont donc décevants. Malgré une récession sévère (le Pib réel

baisse de 10 % en trois ans) qui traduit la sévérité de l'ajustement, aucune

amélioration sur le solde budgétaire ne se produit : le déficit budgétaire

représente 11,5 % du Pib en 1983. Quant au compte externe, certes la balance

commerciale calculée à prix constants s'améliore mais celle-ci dépend également

d'un double effet-prix qui va dans le sens contraire, les termes de l'échange se

détériorant et le dollar s'appréciant vis-à-vis du franc français (auquel le franc

CFA est lié par une parité fixe). BERTHELEMY et BOURGUIGNON (1990)

chiffrent ces effet-prix. 60 % des gains virtuels dus à l'amélioration commerciale

en volume ont été effacés par l'effet des termes de l'échange. En outre, avec un

taux de change du dollar contre franc CFA et des taux d'intérêt étrangers restés

au niveau de 1980, le service nominal de la dette aurait été moindre de plus de

20 % par rapport au montant observé en 1982 et 1983. Au total, le déficit du

compte courant atteint 13,4 % du Pib en 1983.

5 Dans le cadre de l'Union monétaire de l'Afrique de l'Ouest, les deux principaux instruments

de politique monétaire disponibles sont le réescompte par la BCEAO et le rationnement du

crédit, au moyen des demandes d'autorisation préalable requises pour les crédits supérieurs à

100 millions de francs CFA. En fait, la portée du rationnement du crédit est limitée par le

peu de contrôle de la BCEAO sur les banques commerciales, notamment les filiales de banques

étrangères.

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Ce sont donc surtout des facteurs exogènes qui ont miné l'efficacité

du plan d'ajustement. A la mi-1983, le Fmi découvre que la situation financière

est plus grave que ne le laissaient voir les études effectuées en 1981 : Etat et

entreprises publiques ont accumulé 300 milliards de francs CFA d'arriérés de

paiements (soit 11 % du Pib). Les banques privées locales traversent une grave

crise de liquidités, due au défaut de leur principal débiteur, le secteur public. A

la fin de l'année 1983, la Côte-d'Ivoire est ainsi devenue une économie

vulnérable, dépendant essentiellement de l'évolution des termes de l'échange, ce

qu'elle n'était peut-être pas dans les années précédentes.

La Côte-d'Ivoire, en situation de faillite virtuelle, s'engage dans un

nouveau plan d'ajustement plus drastique et couvrant la période 1984-1986 : accord stand-by avec le Fmi en 1984-1985 et prêt d'ajustement structurel de la

Banque mondiale en 1986-1987 (cf. encadré 1). Parallèlement, des accords de

rééchelonnement avec les créanciers internationaux ramènent le ratio service de

la dette sur exportations de 33,7 % en 1983 à 24 % en 1984.

De 1984 à 1986, la nouvelle politique de stabilisation semble

couronnée de succès : la situation financière et les agrégats macro-économiques

s'améliorent. Mais cette tendance favorable se retourne vite et dès 1986, avec

une nouvelle chute des termes de l'échange, le pays replonge dans la récession et le marasme financier.

Le fait marquant de cette décennie est que la Côte-d'Ivoire soit

devenue une économie fragilisée qui ne supporte plus aucun choc. La marge de

manoeuvre du gouvernement est étroite : augmenter les taxes provoque un effet

de courbe de Laffer (ce fut probablement le cas lors du premier plan

d'ajustement) ; l'appartenance à la zone franc exclut un changement de parité

vis-à-vis des autres pays membres ou envers la France6 ; simuler une dévaluation

au moyen de la politique tarifaire (imposer une taxe uniforme sur les importations

et subventionner au même taux les exportations) est voué à l'échec si le

gouvernement ne peut ni payer les subventions, ni assurer un recouvrement normal

des recettes (cf. le deuxième plan d'ajustement). En outre, en raison de la

6 Une dévaluation "non volontaire" reste cependant possible, puisque le franc CFA suit

l'évolution du franc français vis-à-vis d'autre devises, en particulier par rapport au dollar.

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faiblesse de l'épargne intérieure, la dépendance envers les marchés financiers extérieurs est totale.

Dans ce contexte, le seul instrument à la portée du gouvernement

semble être le contrôle des dépenses budgétaires. Toutefois, c'est alors ignorer le

coût social de ces mesures. Peu d'études sont disponibles sur l'impact de la crise

et des politiques d'ajustement sur la répartition des revenus. Différents travaux

ont estimé pour les années soixante-dix le coefficient de Gini de la répartition

des revenus et le situent entre 0,52 et 0,54. Il n'existe pas d'estimation du même

coefficient pour les années quatre-vingt. En revanche, l'enquête Living Standard Measurement Survey conduite par la Banque mondiale à partir de 1985 a permis de

calculer un coefficient de Gini pour la répartition de la consommation de l'ordre

de 0,44. La consommation est en général répartie de manière plus égalitaire que

le revenu : le rapport moyen entre le taux de Gini pour les consommations et

celui pour les revenus, calculé pour un échantillon de pays où l'on dispose de ces

données, est de 0,887. Le coefficient de Gini, serait donc, compte tenu de la

marge d'erreur, resté stable ou aurait légèrement diminué.

APPLICATION D'UN MODELE NUMERIQUE

L'application d'un modèle numérique au cas de la Côte-d'Ivoire entre

1980 et 1986 a pour but d'évaluer plus précisément les implications de différentes

mesures d'ajustement, notamment sur la répartition des revenus. Ce modèle, à la

fois macro-économique et micro-économique, permet de donner un ordre de

grandeur de l'effet propre d'une mesure isolée, extraite de l'ensemble du plan

d'ajustement mis en oeuvre ; il sert également à simuler d'autres stratégies.

Le modèle

Le modèle servant de base à l'application est amplement détaillé par

ailleurs (BOURGUIGNON, BRANSON et de MELO, 1989). Seuls les principes du

calibrage pour la Côte-d'Ivoire seront résumés ici.

BOURGUIGNON et MORRISSON (1989), p.169.

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La maquette intègre à un modèle standard d'équilibre général

calculable (cf. l'article de Lionel de BOISDEFFRE dans ce numéro ou celui de

M. AZIHARY et N. PONTY dans le STATECO n° 67), un large choix de

bouclages macro-économiques. Son originalité est de prendre en compte les

comportements des agents dans le secteur financier.

L'économie comporte quatre types d'agents : firmes, ménages,

gouvernement et intermédiaires financiers. Les firmes sont réparties en six

secteurs : exportations primaires, composées essentiellement de café et de cacao

(15 % de la production totale), agriculture vivrière (11 %), industrie légère

(18 %), industrie lourde (11 %), services (37 %) et secteur informel (8 %)8. Les

ménages sont regroupés en six catégories socio-économiques : capitalistes, grands

exploitants agricoles, petits exploitants agricoles, travailleurs modernes,

travailleurs agricoles, travailleurs du secteur informel.

Les agents interviennent sur quatre marchés : biens et services,

travail, monnaie et titres, et marché extérieur. L'état de l'économie durant une

année donnée se définit par l'équilibre dans tous ces marchés sous certaines

spécifications ou "bouclages". Un bouclage définit le type d'ajustement sur un

marché : l'équilibre peut être obtenu soit en faisant varier les prix, soit en

changeant les quantités. Les bouclages utilisés dans l'application à la Côte-

d'Ivoire sont résumés dans l'encadré 2. Comme on peut le voir, les hypothèses

retenues sont différentes selon les secteurs, afin de prendre en compte les

8 Les six secteurs de la maquette regroupent principalement les branches suivantes :

- exportations primaires : agriculture destinée à l'industrie et à l'exportation (café et

cacao), sylviculture, minerais et métaux ;

- agriculture : agriculture vivrière, poche ;

- industries légères, où la rémunération du travail représente plus de la moitié de la

rémunération totale des facteurs : grains et farines, conserves et préparations alimentaires,

textile, cuir et chaussures, industries du bois, caoutchouc, matériaux de construction et

verres, métaux bruts, matériel de transport ;

- industries lourdes, où la rémunération du travail représente moins de la moitié de la

rémunération totale des facteurs : produits pétroliers, produits chimiques, énergie

électrique, gaz, eau ;

- services : Btp, transports et communications, services bancaires, services d'assurances,

services des administrations privées, service domestique.

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ENCADRE 2

LES BOUCLAGES MACROECONOMIQUES

Marchés

Ajustement à prix flexibles Ajustement avec contraintes sur

les prix

Travail

Travail agricole Travail moderne (1) Travail informel

Biens

Secteurs traditionnels (2) Secteur moderne formel (3)

Secteur informel (4)

Monnaie

Taux d'intérêt libre

Devises

Taux de change fixe

(1) Le salaire moderne est rigide nominalement à la baisse. Le salaire public est exogène.

(2) Exportations primaires et agriculture vivrière.

(3) Les firmes du secteur moderne fixent des prix de mark-up afin de maintenir leurs profits constants d'une

année sur l'autre.

(4) Les travailleurs du secteur informel reçoivent la valeur per capita de leur production.

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caractéristiques de l'économie ivoirienne.

C'est ainsi que, sur le marché des biens et services, on suppose un

ajustement concurrentiel (prix walrasiens) pour tous les secteurs mis à part le

secteur moderne ; ce dernier est soumis, en raison de l'existence chronique de

capacités de production sous-employées, à une situation de concurrence imparfaite

(fixation d'un prix de mark-up et ajustement par les quantités, au moyen de

variations du taux d'utilisation des capacités).

Pour le marché du travail, on distingue également selon le type de

travail (rural, moderne et informel). Dans l'agriculture, on suppose le plein

emploi -le salaire est entièrement flexible- ; dans les secteurs modernes, en

revanche, le salaire nominal est rigide à la baisse, pouvant donc engendrer du

chômage. Le secteur public est intégré au marché du travail des travailleurs

modernes, mais son salaire est exogène. Quant aux travailleurs informels, ils sont

rémunérés à la valeur par capital de leur production ; ils n'ont donc pas de

salaire minimal garanti et sont complètement dépendants de la demande. L'emploi

du secteur informel apparaît comme essentiellement précaire ; il inclut

notamment les laissés-pour-compte du secteur moderne formel : il peut ainsi

s'apparenter à du chômage déguisé.

En ce qui concerne les marchés financiers, le modèle comporte trois

types d'actifs : la monnaie, les titres domestiques et étrangers. Les ménages

arbitrent entre ces actifs selon leur rentabilité respective anticipée : ils fixent

d'abord leur demande de monnaie, selon leur revenu et le taux d'intérêt réel

anticipé ; puis ils décident de leurs placements en capital physique selon le taux

de rendement relatif entre investissement physique et financier. En l'absence de

bons du Trésor, le patrimoine restant est consacré à des prêts à l'étranger. Le

taux d'épargne des ménages dépend du revenu ; il prend également en compte un

effet-richesse de réévaluation du patrimoine. De manière similaire, les firmes

allouent leurs emprunts entre marchés domestique et international selon les taux

d'intérêt et leur anticipation de dévaluation.

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Enfin, pour le marché des devises, la simulation de référence

reproduit la série observée des taux de change. Ces taux sont calculés vis-à-vis

d'un panier de monnaies, composé des devises des principaux partenaires

pondérées par la structure du commerce extérieur. En effet, la parité du franc

CFA par rapport au franc français a beau rester fixe9 , une dévaluation

"involontaire" intervient dès lors que le franc français est lui-même dévalué par

rapport aux autres monnaies. C'est ce phénomène qui explique que le taux de

change entré dans le modèle varie année après année. Le modèle adopte un

bouclage du marché des devises sous une hypothèse de taux de change fixe et

ajustement par l'endettement public extérieur : le gouvernement emprunte à

l'étranger autant qu'il est nécessaire pour satisfaire la contrainte externe.

La dynamique du modèle correspond à une série d'équilibres

temporaires. Les périodes sont reliées par la variation des stocks de capital, les

mouvements démographiques et le progrès technologique. Le capital est fixé pour

une année. Il augmente du montant de l'investissement et en tenant compte de la

dépréciation. La croissance de la productivité globale est exogène, ainsi que les

anticipations d'inflation et de dévaluation. Le taux de croissance démographique

est exogène, mais la maquette introduit de la mobilité sociale (exode rural

notamment) par des migrations endogènes à la Harris-Todaro10

La simulation de référence Les politiques d'ajustement ont été testées sur une simulation de

référence, reproduisant les traits essentiels de l'évolution économique de la Côte-

d'Ivoire entre 1980 et 1986.

9 Les pays de l'Umoa doivent en effet maintenir une parité fixe de leur monnaie commune, le

franc CFA, vis-à-vis du franc français (1 franc CFA - 0.02 franc français).

10 C'est par ces migrations que se régule l'emploi du secteur informel. On a supposé que la

rémunération de ce secteur est égale au produit par tête, sans mécanisme de salaire minimum

garanti. Lorsque cette rémunération devient trop basse, certains quittent ce secteur, pour

retourner à la campagne. Au contraire, un revenu anticipé élevé conduit les ruraux à migrer

vers la ville ou à ne pas attendre un emploi dans le secteur formel : dans ce dernier cas,

l'emploi informel peut s'assimiler à du chômage déguisé.

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L'adaptation de la maquette à un pays particulier, le calibrage,

requiert deux étapes. Les paramètres des fonctions de comportement sont calés

sur une année de base (1980). La structure de l'économie ivoirienne en 1980 a

été d'abord résumée en une matrice de comptabilité sociale (reprise en partie

dans l'annexe ; sa version complète est disponible en s'adressant aux auteurs),

établie à partir des Comptes de la Nation et des données de la Centrale des

bilans. Dans un second temps, les variables annuelles exogènes, concernant la

politique économique ou l'environnement international, déterminent la dynamique.

Pour ces variables, nous nous sommes reportés à l'annexe statistique de

BERTHELEMY et BOURGUIGNON (1990). En particulier, le prélèvement de la

Caisse de stabilisation a été ajusté afin de reproduire l'évolution des termes de

l'échange (prix à l'exportation) et des prix perçus par les producteurs

d'exportations traditionnelles.

Le modèle permet de voir l'évolution des revenus des ménages. La

conjoncture économique influence les revenus par trois canaux : les salaires et

revenus de la propriété, la variation du coût de la vie et la composition du

portefeuille financier. La désagrégation en six catégories sociales permet de

distinguer l'impact de ces différents facteurs. Les grands et petits exploitants

agricoles partagent avec les capitalistes la propriété du facteur spécifique aux

exportations traditionnelles, mais détiennent la majeure partie de la terre

exploitée pour l'agriculture vivrière. Le capital du secteur moderne est possédé,

dans un ordre décroissant, par les capitalistes, l'étranger et les travailleurs

modernes. La structure de la consommation diffère également selon les catégories

sociales, les ruraux consacrant une part importante de leur budget aux produits

agricoles, alors que les citadins achètent plus de biens manufacturés ; cela a des

conséquences sur le coût de la vie propre à chaque classe. Enfin, en ce qui

concerne le portefeuille financier, les capitalistes sont les seuls à détenir des

titres étrangers ; les autres ménages détenant seulement de la monnaie.

La désagrégation permet de suivre certains indicateurs sociaux,

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, 11 comme l'indice de Theil, le pourcentage de pauvres, ou l'écart de pauvreté

Pour calculer ces indicateurs, nous avons choisi un seuil de pauvreté réel,

constant durant la période de simulation et fixé à 200 000 francs CFA annuel en

1980 : 46 % de la population active est alors en dessous de ce seuil. Pour ces

indicateurs, les chômeurs sont non seulement considérés comme issus des secteurs

modernes (l'agriculture étant au plein emploi), mais encore, pris en charge par les

travailleurs du secteur moderne. La lecture des indicateurs de revenus relatifs

doit tenir compte de cette hypothèse : clairement, l'impact sur la répartition des

revenus serait différent si les chômeurs étaient nourris par leur famille restée en

zone rurale12. Notamment, on verra que la dévaluation améliore le sort des

producteurs de cultures d'exportation ; cette constatation devrait être atténuée si

ceux-ci devaient prendre en charge un nombre de chômeurs accru.

Le taux de change de la simulation de référence est, comme il a

été dit plus haut, un taux de change effectif : c'est celui du franc CFA vis-à-vis

11 L'inégalité est mesurée par l'indice de Theil. Celui-ci est la somme de la variance

intra-groupe et de la variance inter-groupe et de la variance inter-groupe (v) des revenus

réels per capita. Il est de la forme :

E Yi ni Ln (Yi / ni) + Vi Yi ni T=

Y . N

Yi : revenu réel per capita du groupe social i ;

ni : population d'un groupe i ;

Y : revenu réel moyen ;

N : population totale.

La population du groupe des travailleurs modernes comprend les chômeurs ; on suppose donc que

ces derniers sont pris en charge par les salariés du secteur moderne formel (industrie et

fonction publique).

L'écart de pauvreté (ooverty gap) indique quel est le pourcentage de revenu nécessaire pour

porter les pauvres au niveau du seuil de pauvreté.

12 Cela semble être le cas : la Savane est en effet la région qui envoie le plus de transferts

à Abidjan, malgré sa pauvreté relative ("Ajustement et équité en Côte-d'Ivoire", OCDE, à

parattre).

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d'un panier de devises (pondéré par la part dans le commerce ivoirien). Sa valeur

ne reste pas inchangée durant la période, mais suit les mouvements du franc

français par rapport aux autres monnaies. Ainsi, on constate une dévaluation

réelle de 1980-1983 (autour de 12 % l'an) et une "réévaluation" réelle en 1984-

1985. Ce dernier phénomène est à retenir : on retrouvera ces deux phases dans

les scénarios établissant des variantes par rapport à la référence.

Les résultats de la simulation de référence sont donnés dans les

graphiques (1) à (3). Les principales divergences par rapport aux données

observées concernent la demande intérieure dans les années 1984-1986.

L'investissement en volume a diminué dans la réalité de manière

drastique : - 60 % entre 1980 et 1986. Une telle baisse n'a pu être retrouvée

dans le modèle (- 35 % seulement). Trois raisons peuvent être avancées. Tout

d'abord, la chute de l'investissement dans la réalité a pu provenir d'une baisse

brutale du taux d'épargne. Or, le modèle suppose que le taux d'épargne est

constant, ne se modifiant donc pas malgré la crise13. En fait, il est probable que

le taux d'épargne a chuté durant la crise, les ménages préférant maintenir leur

niveau de consommation. Ce phénomène éclaire une autre divergence entre la

réalité et le résultat estimé : selon les séries observées, la consommation finale

ne fait que stagner en 1983-1984 alors que le Pib diminue de 4 % en volume,

durant ces deux années ; dans le modèle, au contraire, la consommation suit la

baisse de la croissance et plonge durant ces années. Le maintien dans la réalité

du niveau de la consommation malgré la récession suppose bien un changement de

comportement des ménages, qui se mettent à ponctionner leur épargne. Une

deuxième raison que l'on peut avancer pour expliquer l'écart d'investissement

concerne la sphère financière. La crise a pu changer les paramètres d'arbitrage

des ménages entre les actifs (cf. supra) et augmenter la demande de monnaie au

détriment des investissements physiques désormais plus risqués. Cette hypothèse

est corroborée par l'accroissement constaté de la masse monétaire (M2) en 1984.

L'augmentation de la demande de monnaie se traduit par des taux d'intérêt plus

élevés, dont l'effet sur l'investissement est négatif. Enfin, la dernière explication

est d'ordre psychologique : les entrepreneurs ont dû être découragés par un

13 Le taux d'épargne est modulé par un effet-richesse : en cas de réévaluation du patrimoine,

les ménages épargnent moins. Cet effet-richesse a cependant été faible, dans la simulation de

référence, pour l'année 1984.

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Graphiques 4 à 6 : les quatre simulations (Pib, déficit budgétaire, compte courant)

Graphique 1 : simulation de référence, le Pib en volume (base 1980)

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climat d'incertitude grandissant, alimenté par les coupes sombres dans les

programmes d'investissement de l'Etat et des entreprises publiques (que le modèle

ne prend pas en compte).

Il aurait été possible de modifier le modèle afin de prendre en

compte ces divergences, adapter le comportement d'épargne et faire évoluer les

paramètres de la demande de monnaie. Nous avons cependant gardé la simulation

de référence telle quelle. Reproduire précisément la réalité paraît une gageure,

surtout dans un pays où il n'y a pas eu de comptes nationaux publiés entre 1984

et 1987. Il est plus important de pouvoir raisonner sur les variantes par rapport à

la représentation de la réalité : la qualité intrinsèque de la simulation de

référence compte alors moins que les écarts des scénarios par rapport à la

référence. Le contenu des résultats ne devraient en outre guère changer en

corrigeant le modèle. Globalement, malgré ces imperfections qui restent

explicables, le modèle réussit à représenter la structure de l'économie ivoirienne,

constituant une base de travail pour étudier l'impact de politiques alternatives d'ajustement.

LES SIMULATIONS DE POLITIQUES D'AJUSTEMENT

La politique budgétaire est le principal instrument d'ajustement. Une

des mesures les plus importantes du premier plan fut le gel des salaires de la

fonction publique. Plus récemment, au printemps 1990, sur les injonctions du Fmi,

le gouvernement tente de diminuer le salaire nominal des fonctionnaires ; les

troubles suscités par cette mesure conduisent le gouvernement à revenir sur sa

décision. Une première simulation étudie donc l'effet d'une réduction du salaire

public.

Comme le prélèvement de la Caisse de stabilisation a été un

instrument parafiscal important durant les années soixante-dix, une deuxième

simulation teste l'impact d'une augmentation de ce prélèvement.

Enfin, la dernière simulation étudie le cas d'un changement de

parité tout en restant dans la zone franc.

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Les deux premières simulations visent à ramener le déficit

budgétaire à un pourcentage donné du Pib (et à l'équilibre en 1986). Cela permet

une meilleure comparaison entre les différentes manières de réduire ce déficit. De

plus, dans la réalité, afin de tenir compte des contraintes imposées par

l'appartenance à l'Union monétaire de l'Afrique de l'Ouest, le gouvernement

pratique une politique monétaire restrictive ayant pour but de maintenir le taux

d'intérêt dans des limites de fluctuations étroites par rapport au taux d'intérêt

du marché monétaire français14. Les simulations avec un objectif budgétaire

supposent donc que le gouvernement ajuste la croissance de la base monétaire

afin de retrouver la série des taux d'intérêt de la référence.

Une baisse du salaire nominal des fonctionnaires (simulation SW)

La première possibilité envisagée pour réduire le déficit budgétaire

consiste à baisser les salaires des fonctionnaires. La masse salariale nominale a

été réduite de plus de 40 % en deux ans (1981-1982) par rapport à la référence,

soit l'ordre de grandeur des réformes envisagées au printemps 1990. Le déficit

budgétaire s'annule alors en 1986 (cf. tableau 2 et graphique 5).

Cette politique donne lieu tout d'abord à une chute du déflateur du

Pib, entre 1981 et 1983, induite mécaniquement par le niveau très bas atteint par

le déflateur des dépenses publiques (- 14 % sur deux ans). La consommation des

ménages est fortement réduite du fait de la diminution des rémunérations de la

fonction publique. En raison de la structure de la consommation des ménages, la

baisse de la demande va porter plus sur les biens agricoles et moins sur les biens

produits par les secteurs modernes. Mais l'effet général sur le Pib en volume est

très faible. D'une part, le fléchissement de la consommation intérieure est

compensé par l'augmentation des exportations. D'autre part, la forte baisse du

14 La marge de manoeuvre des autorités monétaires ivoiriennes est limitée. Leur principal

souci est d'éviter que le taux intérieur passe en dessous du taux étranger, incitant à

d'éventuelles fuites de capitaux. Or, toute politique de réduction des dépenses publiques doit

normalement entratner une baisse des taux d'intérêt : le gouvernement, requérant moins de

financement, diminuera sa demande de monnaie. Ainsi, dans le cas où la politique économique

choisie comprend la réduction du déficit budgétaire, les autorités monétaires auront tendance

à mettre en oeuvre une politique contractionniste.

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TABLEAU 2

LES RESULTATS DES SIMULATIONS

Simulation 1

BR

Simulation 2

SW

Simulation 3

SE

Simulation 4

SD

Pib(1) 0,5 -0,5 -0,4 -0,4

Déficit budgétaire/Pib(1) -6,7 -4,8 -5,1 -3,3

Compte courant/Pib(2) -14,1 -12,7 -14,3 -9,8

Balance commerciale/Pib(2) +1,5 +3,6 -1,4 +5,5

Dette extérieure/Pib(3) :

publique 47,4 40,3 46,6 32,5

privée 63,0 64,4 68,6 65,5

Service de la dette(5) 16,7 15,8 16,8 14,8

Taux d'intérêt(2) 10 9,8 9,8 13,6

Dévaluation réelle(2) 1,3 1,6 2,3 1,8

Prix à la consommation(1) 7,3 7,2 6,3 9,8

Déflateur du Pib(1) 7,1 6,7 6,0 9,4

Consommation privée/Pib(2) 57,9 56,4 56,7 55,8

Exportations/Pib(2) 45,7 43,6 42,3 45,2

Importations/Pib(2) 37 36,9 36,6 35,9

Investissement/Pib(2) 19,8 19,9 20,3 18,5

Taux d'utilisation des capacités(2) 50,9 50,6 51,1 49,3

Taux de chûmage(2) 5,4 5,6 5,5 4,6

Ecart de pauvreté(4) (%) 14,2 15,0 17,8 14,2

Indice de Theil(4) 54,6 49,6 70,0 48,0

Simulation 1 : la simulation de référence ; Simulation 2: une baisse du salaire nominal des fonctionnaires ; Simulation 3: une augmentation du prélèvement de la Cssppa sur les exportations primaires ; Simualtion 4 : une dévaluation nominale de 20 % par rapport à la référence ; la suppression des remises de dette.

(1) taux de croissance annuel moyen (2) moyenne sur 1980-1986 (3) niveau en 1986 (4) moyenne sur 1981-1986 (5) service de la dette publique et privée, en pourcentage des exportations, moyenne sur 1980-1986

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déflateur du Pib des premières années contribue à soutenir le Pib en termes réels

(cf. graphique 4). Le déficit du compte courant diminue, en raison de la baisse

des importations au titre de la consommation privée (cf. graphique 6). La dette

extérieure est donc plus faible que dans la référence. La baisse de la

rémunération d'un groupe socio-économique relativement riche réduit l'inégalité

(cf. graphique 9). En termes de pauvreté, le coût de la vie diminuant pour tous,

les ruraux ont un revenu réel inchangé par rapport à la simulation de référence,

alors que les travailleurs du secteur informel sont touchés par la baisse de la

demande (cf. graphiques 8 et 10). Aussi l'indicateur utilisé pour mesurer

l'intensité de la pauvreté, c'est à dire l'écart entre le revenu moyen des pauvres

et le seuil de pauvreté, est en hausse par rapport à la simulation de base.

Deux sortes de problèmes apparaissent. Tout d'abord, le constat de

réduction de l'inégalité doit être tempéré par deux remarques. Premièrement, il

est plausible qu'une baisse des salaires dans les entreprises publiques aura un

effet d'entratnement dans le secteur privé. Les deux catégories de salariés

qualifiés auront alors à pâtir : non seulement les fonctionnaires, mais aussi les

employés du secteur privé. Cela devrait aller dans le sens d'une réduction plus

forte de l'inégalité. Mais, d'un autre côté, le modèle suppose qu'un salaire b,,rt à

faire vivre un seul ménage : la baisse de rémunération dans la fonction publique

ne touche que cette catégorie ; or, il est très probable que certains

fonctionnaires envoient une part de leur revenu à leur famille vivant en milieu

rural. Dans ce cas, ces familles rurales souffriraient aussi d'une baisse des

salaires de la fonction publique. Un second problème, sur lequel on reviendra dans

la conclusion, se pose également quand on cherche à modéliser des dépenses

gouvernementales : le degré d'efficacité de ces dépenses est mal connu. Quel est

en effet le degré initial d'efficacité de l'Etat ? Quel est l'effet d'une réduction

des salaires sur la qualité des services fournis à la population ? De la réponse à

ces questions dépend l'appréciation que l'on peut porter sur la politique

économique proposée.

Une augmentation du prélèvement de la Caisse de stabilisation sur les exportations primaires (simulation SE)

Dans cette simulation sont présentés les effets d'une augmentation

du prélèvement de la Caisse de stabilisation portant sur les exportations

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traditionnelles, à l'exclusion des biens produits dans le secteur manufacturier. Ce

prélèvement n'est pas à proprement parler une taxe à l'exportation, puisqu'il

porte sur les marges commerciales des intermédiaires. Il est cependant probable

que les intermédiaires commerciaux répercutent une réduction de leurs marges sur

le prix d'achat aux producteurs. En conséquence, l'alourdissement du prélèvement

entratne une baisse importante du prix producteur (10 % ou plus par rapport à la référence)15. L'augmentation du prélèvement désincite les planteurs ; ceux-ci

réduisent leur production, ce qui diminue le Pib nominal et restreint les recettes

fiscales, prélèvement de la Caisse inclus. Ce mécanisme s'apparente à celui d'une

courbe de Laffer. Le déficit budgétaire reste donc systématiquement supérieur à

celui de la simulation SW : l'objectif d'une évolution identique de déficit

budgétaire (en pourcentage du Pib) qui permette de comparer les deux simulations

(SW et SE) n'est donc pas atteint (cf. tableau 2).

La hausse du prélèvement a des effets contrastés sur le niveau des

exportations. La baisse des profits dans le secteur des exportations traditionnelles

désincite l'offre. En revanche les exportations modernes, dont le prix au port est

libre, sont relancées par une compétitivité-prix accrue. Au total, cependant, les

exportations sont inférieures à celles de la simulation de référence. Les comptes

courants se situent à des niveaux proches. L'endettement extérieur crolt, surtout

dans le secteur privé, afin de financer les investissements. La déflation des

premières années, jusqu'en 1983, diminue le coût de la vie. Les capitalistes et les

grands exploitants, qui sont les deux groupes tirant une part de leur revenu des

exportations, voient leur revenu réel diminuer (cf. graphique 7). Les prix des

biens agricoles ayant également été touchés par un effet de substitution entre les

secteurs agricoles exportateur et vivrier, les travailleurs agricoles et les petits

exploitants souffrent aussi d'une réduction de leur revenu (cf. graphique 8). Les

travailleurs modernes, dont les prix ne sont pas touchés, voient leur revenu

s'améliorer, qu'ils aient ou non à le partager avec les chômeurs (cf. graphique 9).

Au total l'inégalité augmente, ainsi que l'écart de pauvreté.

15 Le prix au port est endogène dans le modèle ; il augmente donc avec le prélèvement de la

Caisse de stabilisation, mais faiblement (1 à 2 9.5).

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Une forte dévaluation (simulation SD)

La dernière simulation traite le cas d'une forte dévaluation unique

et non anticipée en 1981 (22 % en réel). Après le choc initial de 1981, le taux

de change varie de la même manière que dans la référence. C'est donc une

dévaluation temporaire qui est étudiée ici. En conséquence, à partir de 1984, le

taux de change s'apprécie, comme dans la référence.

Les effets d'une dévaluation passent par deux canaux : un premier

canal est l'effet-prix sur les exportations et les importations ; le second concerne

la réallocation du portefeuille financier, selon les changements dans les

rendements relatifs des placements (en particulier, selon que la dévaluation est

anticipée ou non). Pour faire apparattre le deuxième effet, l'hypothèse de taux

d'intérêt maintenus à leur niveau de référence, qui était faite dans les deux

simulations d'ordre budgétaire, a été abandonnée. Cette simulation adopte donc la

même croissance de la masse monétaire (exogène) que la référence. Les

anticipations d'inflation et de dévaluation restent également aux niveaux de la

référence (la dévaluation n'est pas anticipée). En outre, ainsi qu'il a été dit plus

haut, le bouclage du modèle en régime de taux de change fixe suppose que

l'équilibrage du marché des devises passe par l'endettement extérieur public ; le

gouvernement empruntant autant que nécessaire afin de financer le solde de la

balance des paiements (compte courant et mouvements privés de capitaux)16.

La dévaluation modifie les termes de l'échange. Elle relance les

exportations, en favorisant les produits manufacturiers. Le mécanisme qui conduit

à la baisse des importations est plus complexe : les prix des biens importés

augmentent, entraînant un regain d'inflation (12 % en 1981 au lieu d'une

inflation quasi nulle dans la référence) ; la demande de monnaie, au titre des

transactions, augmente, ce qui conduit à une hausse du taux d'intérêt ; la chute

des investissements a pour conséquence celle des importations "liées" de biens

d'équipement. La dévaluation agit donc sur les importations essentiellement à

travers l'absence de substituabilité pour les biens d'équipement. La balance

16 Afin de voir clairement ces effets, les remises de dette exogènes (introduites pour

reproduire les rééchelonnements de la dette) ont été supprimés dans la simulation de la dévaluation.

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commerciale s'améliore sensiblement dès 1981 (- 1 % du Pib au lieu de - 7 %

dans la référence) et tout au long de la période étudiée.

L'amélioration de la balance commerciale explique la majeure partie

du redressement du solde du compte courant. A cela s'ajoute un autre effet, plus

faible : la diminution du service de la dette, qui provient surtout du moindre

endettement extérieur public. Le gouvernement, comme il a été dit plus haut,

doit, dans le bouclage à taux de change fixe adopté ici, financer le solde de la

balance de paiements. Or, deux phénomènes contribuent à la baisse de l'emprunt

extérieur public : la réduction du solde commercial et une réallocation de

l'emprunt des firmes. Ces dernières empruntent désormais plus à l'étranger, à

cause du différentiel accru de taux d'intérêt. Le résultat cumulé est donc une

dette inférieure et qui change de nature : la dette privée et publique ne

représente plus en effet que 98 % du Pib en 1986 au lieu de 110 % dans la

référence ; au sein de cette dette, la composante privée augmente jusqu'à 67 %

du total au lieu de 57 % dans la référence.

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La dévaluation entraîne une croissance, tirée par la demande

étrangère, supérieure à celle de toute autre simulation (référence et simulations

de politique budgétaire) ; le taux de chômage est donc à son minimum dans cette

simulation. Le solde budgétaire s'améliore, grâce à la hausse des recettes induites

par la croissance et à l'endettement extérieur public réduit.

A partir de 1984, étant donnée la définition de ce scénario, le taux

de change suit l'évolution de la simulation de référence et se réévalue. La

demande intérieure (consommation et investissement) reprend, amenant une légère

poussée des importations et un tassement de la relance des exportations.

En ce qui concerne la répartition des revenus, une dévaluation peut

avoir deux effets : elle enchérit le coût de la vie, surtout pour les ménages

consommant une forte part de biens importés ; elle augmente le revenu des

exportateurs du secteur moderne et également du secteur primaire si le taux de

prélèvement par la Caisse de stabilisation reste inchangé. En conséquence, les

salariés du secteur moderne, dont le revenu nominal est fixe, voient leur pouvoir

d'achat diminuer avec l'inflation (cf. graphique 9), alors que les ruraux

(exploitants et travailleurs agricoles) bénéficient d'une hausse de leur revenu

nominal (cf. graphique 8). Quant aux capitalistes, leur revenu nominal s'accrott

certes, mais moins que la hausse du coût de la vie ; en effet, la Caisse de

stabilisation prend une partie du gain sur les exportations : aussi, le pouvoir

d'achat des capitalistes se réduit (cf. graphique 7). Le revenu des travailleurs

informels augmente avec le boom de la demande (cf. graphique 10). Tout ceci

contribue à une baisse de l'inégalité. L'amélioration de la situation des plus

pauvres et le moindre taux de chômage entraînent la diminution de l'écart de

pauvreté.

CONCLUSION

Au terme de cet exercice, on peut, malgré les difficultés

d'appréciation dues à l'instabilité de l'économie ivoirienne durant les années

quatre-vingt, porter un jugement sur les mesures d'ajustement à l'aide de

différents critères.

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Un premier critère peut être la croissance du Pib. Diminuer le

déficit budgétaire est neutre pour la croissance, la demande étrangère prenant le

relais de la demande intérieure. Dévaluer a un effet positif pour la croissance.

L'allocation sectorielle de la croissance importe également : les mesures

budgétaires conduisent à un ralentissement de la croissance des secteurs vivrier

et moderne formel, tandis que le secteur d'exportations primaires est moins

touché que dans la référence. La simulation de dévaluation, au contraire, favorise

les exportations manufacturières. En outre, la croissance d'aujourd'hui détermine

le futur : à ce titre, la simulation de dévaluation, parce qu'elle affecte

l'investissement, compromet l'avenir, à productivité égale du capital. Cependant,

c'est également celle qui minimise la dette extérieure, dont le remboursement peut peser sur le futur.

Le second critère concerne la répartition des revenus. Si on prend

comme indicateur le nombre de pauvres en dessous du seuil de pauvreté, c'est la

simulation d'une dévaluation qui minimise ce chiffre. La croissance plus marquée

permet d'augmenter l'emploi ; le maintien de la demande fournit aux travailleurs

du secteur informel les moyens de subvenir à leurs besoins. Parmi les mesures

budgétaires, réduire les dépenses publiques augmente moins l'intensité de la

pauvreté (le montant de revenu qui sépare les plus démunis du seuil de pauvreté)

qu'une réforme parafiscale favorisant le secteur agricole exportateur au détriment

des ruraux tirant leurs ressources des cultures vivrières.

L'examen des résultats conduit à poser deux questions essentielles et

dépassant largement la portée d'un modèle numérique, à savoir, l'efficacité du

service public et la crédibilité accordée à la politique économique. Une meilleure

connaissance du degré d'efficacité du service public serait utile à deux moments :

avant toute réforme, puis au cours d'un changement dans la politique budgétaire.

Une mesure de l'efficacité devrait prendre en compte le fait que certaines

dépenses de l'Etat ont un caractère d'investissement humain (santé, éducation). En

dynamique, si par exemple, une baisse des salaires dans les entreprises publiques

n'influe ni sur la quantité, ni sur la qualité de la production, alors elle ne peut

être que bénéfique. Cependant, il est plus probable que la baisse des

rémunérations va entraîner une perte d'efficacité.

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Les simulations conduisent également à s'interroger sur la crédibilité

dont disposent les autorités économiques. L'accroissement de la dette extérieure

privée, constatée dans chaque variante, semble peu réaliste : les firmes

ivoiriennes trouveraient-elles facilement des créanciers à l'étranger ? Il faudrait

alors considérer plusieurs cas selon les possibilités effectives d'emprunt à

l'étranger. En supprimant tout accès du secteur privé au financement extérieur,

les résultats s'écarteraient à l'évidence du cas de mobilité parfaite des capitaux.

Prenons, par exemple, l'hypothèse d'une dévaluation en 1981 -(simulation SD)-. En

introduisant une mobilité imparfaite des capitaux et en gardant un bouclage par

taux de change fixe, l'Etat se substituerait comme débiteur principal aux

entreprises contraintes désormais pour leurs emprunts externes, ce qui

détériorerait le déficit budgétaire. Les firmes se reportant sur le marché

intérieur de capitaux, le taux d'intérêt domestique augmenterait, entraînant un

ralentissement supplémentaire de l'investissement. Les résultats sont donc

sensibles aux hypothèses faites sur le degré d'accès effectif à de nouveaux crédits internationaux.

Au total, la constatation majeure est que les autorités ivoiriennes

manquent singulièrement de marge de manoeuvre : l'instrument-clé de la politique

budgétaire, le prélèvement de la Caisse de stabilisation, semble atteindre ses

limites ; la politique monétaire et du taux de change dépend de l'Union monétaire

de l'Afrique de l'Ouest ; le financement de l'économie dépend de l'accès au

marché financier international. De ce fait, les seules politiques vraiment crédibles

seraient celles visant une réduction des dépenses budgétaires. Or, ces mesures

sont difficiles à prendre, dans un contexte de crise longue et peuvent

hypothéquer l'avenir, si elles frappent avant tout l'investissement.

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BIBLIOGRAPHIE

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BERTHELEMY .C., BOURGUIGNON F. (1990) : "Growth and Crisis in Côte-d'Ivoire", mimeo, DELTA.

BOURGUIGNON F., BRANSON W., de MELO J. (1989a) : "Macroeconomic Adjustment and Income Distribution : a Macro-Micro Simulation Model", OCDE, Centre de Développement, Technical Papers, n° 1.

BOURGUIGNON F., BRANSON W., de MELO J. (1989b) : "Adjustment and Income Distribution : a Counterfactual Analysis", NBER Working Paper.

BOURGUIGNON F., MORRISSON C. (1989) : "Commerce extérieur et distribution des revenus", OCDE.

GLEWWE P. (1987) : "La répartition des niveaux de vie en Côte-d'Ivoire en 1985", LSMS Working Paper, n°29.

KANBUR R. (1990) : "Poverty and Social Dimensions of Structural Adjustment in Côte-d'Ivoire", SDA Working Paper.

Ministère de la Coopération (1986) : "Déséquilibres structurels et programmes d'ajustement en Côte-d'Ivoire".

Ministère du Plan de la République de Côte-d'Ivoire : "Les Comptes de la Nation".

République de Côte-d'Ivoire : "Centrale des Bilans".

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ANNEXE

TABLEAU A.1

LES ECHANGES INTER-INDUSTRIELS

Unité : dizaine de milliards de francs CFA.

Secteurs Exportations

primaires

Agriculture Industrie

légère

Industrie

lourde

Services Informel Total

Exportations primaires 2,56 0 7,11 10,14 0,79 0 20,6

Agriculture 0 4,11 6,2 0,08 0,11 1,033 11,533

Industrie légère 2,35 0,27 12,96 1,52 14,19 5,45 36,74

Industrie lourde 3,05 0,65 4,78 7,47 12,48 0,32 28,75

Services 14,43 3,6 15,66 9,03 30,11 6,25 79,08

Informel 2,8 0,65 5,07 1,75 8,601 1,71 20,581

Importations

complémentaires(1) 0 0 3,21 2,82 7,59 2,06 15,68

Total 25,19 9,28 54,99 32,81 73,871 16,823 212,964

(1) Il s'agit des importations complémentaires (ou liées) de consommations intermédiaires. Pour connaître les importations totales

de biens intermédiaires, il faut y ajouter les importations de bien substituables.

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TABLEAU A.2

LES REVENUS DES FACTEURS

Unité : dizaine de milliards de francs CFA.

Ménages Exportations(2) Terre Capital Travail Total

Capitalistes 4,41 0,32 16,44 2,84 24,01

Grands exploitants 3,79 7,54 8,31 19,64

Petits exploitants 3,51 6,86 21,7 32,07

Salariés modernes 2,19 68,78 70,97

Salariés agricoles 5,16 5,16

Travail informel 13,54 13,54

Total 11,71 14,72 18,63 120,33 165,39

(2) II s'agit du facteur spécifique aux exportations primaires (distingué de la surface agricole servant aux cultures vivrières).

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TABLEAU A.3

LA CONSOMMATION PRIVEE

Unité : dizaine de milliards de francs CFA.

Capitalistes Grands

exploitants

Petits

exploitants

Salariés

modernes

Salariés

agricoles

Travailleurs

informels

Total

Exportation primaire 0,218 0,336 0 0,611 0 0 1,165

Agriculture 0,936 4,408 8,9 11,948 1,696 5,148 33,036

Industrie légère 2,527 3,199 5,822 17,661 1,395 3,927 34,531

Industrie lourde 2,046 2,562 2,147 8,926 0,176 0,044 15,901

Services 1,612 2,072 4,4 9,208 0,531 1,096 18,919

Informel 0,714 0,997 2,301 3,1 0,28 0,529 7,921

Importations

complémentaires 1,505 2,207 3,303 9,242 0,632 1,668 18,557

Total 9,558 15,781 26,873 60,696 4,71 12,413 130,03

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LES ECHECS DES P.A.S. EN AFRIQUE1

QUELS ENSEIGNEMENTS POUR LE STATISTICIEN ?

par Septime MARTIN2

Depuis plus d'une dizaine d'années de nombreux pays africains sont

soumis à des programmes d'ajustement structurel. Le bilan des efforts fournis

pour restructurer leurs économies et retrouver la voie d'une croissance stable

semble pourtant très mitigé pour la plupart d'entre eux. Plusieurs voix se sont

élevées en Afrique et ailleurs pour critiquer ces P.A.S. et mettre en doute leur

adéquation. Cela n'a pas été une cause perdue. En effet, des évolutions sensibles

sont apparues dans l'approche qu'avaient le FMI et la Banque Mondiale de

l'ajustement des économies africaines. Une analyse cas par cas a succédé à des

remèdes standards. La dimension sociale de l'ajustement est de plus en plus

perçue comme une nécessité et reconnue par tous.

Malgré une telle évolution positive, beaucoup d'africains

s'interrogent encore sur la capacité des P.A.S. à sortir leurs économies du sous-

développement. En examinant les nombreuses critiques formulées à l'encontre des

P.A.S., nous constatons qu'elles se ramènent toutes à une insuffisante

connaissance du fonctionnement des économies, à l'utilisation d'instruments de

politique économique inadéquats, de ratios n'ayant qu'une faible pertinence pour

les économies. Le résultat est que les mesures inscrites dans les

"documents-cadres", conditionnant les interventions financières de la Banque

1 P.A.S. : Programme d'Ajustement Structurel.

2 Enseignant en économie à l'Institut Africain et Mauricien de Statistique et d'Economie

Appliquée (IAMSEA) à Kigali, Rwanda.

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Mondiale et du FMI, visent la restructuration et le retour aux équilibres

macro-économiques sans présenter des

restructuration interne des économies

international leur est défavorable. Il

chances suffisantes de succès. La

ne peut réussir si l'environnement

faut par conséquent que les effets

perturbateurs de l'environnement international soient connus à travers des

indicateurs pertinents afin de sensibiliser les experts du FMI à la nécessité de

réformes conjointes de l'environnement national et international.

Le statisticien, spécialiste du traitement de l'information, a comme

mission dans les pays africains de traiter l'information économique et sociale mais

surtout de fournir des indicateurs opérationnels d'aide à la décision. A la

différence de ses homologues occidentaux, dont les décideurs économiques et

politiques réclament les services, le statisticien africain devra sensibiliser les

décideurs économiques et politiques sur l'utilité de certaines données statistiques

et la nécessité de s'y référer pour des mesures de politique économique. Une

telle mission exige du statisticien africain qu'il soit un observateur éclairé du

fonctionnement de l'économie de son pays. Il doit maîtriser les variables clés du

développement et pouvoir fournir des indicateurs et ratios décrivant les

performances en matière de croissance comme les crises conjoncturelles et leurs

effets sur l'économie.

Les difficultés rencontrées pour l'application des P.A.S. proviennent

de l'insuffisance de l'information disponible sur les pays africains, à la fois sur

leur fonctionnement interne et sur leur intégration dans la division internationale

du travail. A ce titre, le statisticien africain a une responsabilité essentielle dans

les échecs des P.A.S.. Toute réussite passera donc par une prise de conscience de

sa spécificité, du rôle qu'il doit jouer pour la compréhension du fonctionnement

des économies, la conception et la quantification de variables décisionnelles et

leur suivi dans le temps.

I - LA MISE EN OEUVRE DES P.A.S. : LES FACTEURS D'ECHEC

A travers la littérature abondante traitant des P.A.S., plusieurs

causes d'échec peuvent être identifiées :

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- la dichotomie entre l'environnement national et l'environnement international ;

- l'insuffisante connaissance des structures d'organisation économique

et sociale africaine ainsi que des structures de pouvoir ;

- les incohérences théoriques des P.A.S. ;

- les écarts entre les objectifs des P.A.S. et le Développement Economique et Social (D.E.S.).

1) La dichotomie entre l'environnement national et l'environnement international

Dans la conception des P.A.S., l'environnement international a

souvent été traité comme exogène. En effet, toutes les mesures inscrites dans les

P.A.S. visent à restructurer seulement les économies nationales comme si les

facteurs de déséquilibres et les mauvaises performances étaient exclusivement

endogènes. Une bonne analyse des schémas logiques de fonctionnement de ces

économies met en évidence les effets déstabilisateurs de l'environnement

international et ses conséquences sur leur croissance potentielle. Les projections

concernant le rapport dettes-exportations et son infléchissement sont étroitement

liées aux taux de croissance des pays de l'OCDE, aux taux d'intérêt mondiaux

ainsi qu'aux tendances des prix internationaux. Par conséquent si les termes de

l'échange restent défavorables aux pays africains, si les taux d'intérêt des

emprunts restent élevés, la capacité d'ajustement des économies sera faible.

L'un des effets de l'ajustement des taux de change est d'accroître

le volume des exportations des pays africains sous l'effet-prix de la demande

étrangère et l'effet-prix de l'offre. Etant donné que la plupart des pays africains

(voire voisins sur le plan géographique) pratiquent des politiques similaires

d'exportation de produits primaires, celles-ci peuvent générer des effets régionaux

et internationaux pervers. Il semble donc prudent de ne pas traiter les marchés

internationaux de matières premières comme vérifiant toujours l'élasticité-prix de

la demande étrangère supérieure à 1.

Les réformes de l'environnement international doivent aller de pair

avec celles de l'environnement national. Le statisticien, en mettant en évidence

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les effets pervers de cet environnement international contribuera de façon

décisive à réviser les cadres d'analyse et de conception des politiques

d'ajustement des pays.

2) La méconnaissance des structures d'organisation économique et sociale et du pouvoir en Afrique

Une caractéristique essentielle des P.A.S. est de s'appuyer sur des

instruments de politique monétaire et financière. Nous avons émis précédemment

de sérieuses réserves en raison des difficultés d'utilisation de ces instruments

dans l'environnement africain. Maintenant nous voulons montrer la faiblesse des

effets des politiques d'ajustement analysées dans un cadre économique et

comptable excluant un secteur informel très important.

Quel sens donner à un indicateur tel que le revenu par tête alors

que les économies africaines sont dominées par de nombreuses activités

informelles où s'enchevêtrent les transactions monétaires, non monétaires, les solidarités familiales et la parole donnée ?

Les modèles d'équilibre comptable tels que le TES, le TOF et le 3 TEE utilisés pour simuler les effets de l'ajustement ne prennent pas en compte

les comportements réels des acteurs ni des structures sociales et des rapports de

pouvoir. Pourtant toute politique de développement, pour réussir, doit partir des

logiques des acteurs afin de les infléchir dans le sens souhaité. La prise en

compte insuffisante des comportements des acteurs du secteur informel et une

excessive croyance dans les effets mécaniques du libéralisme ont abouti

finalement à une détérioration des conditions de vie des plus pauvres.

Plusieurs tentatives de réponses existent : en particulier la

dimension sociale de l'ajustement et une meilleure connaissance de l'économie

informelle des pays en développement.

3 Tableau Entrées Sorties ; Tableau des Opérations Financières ; Tableau Economique

d'Ensemble.

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Pour ce qui concerne la dimension sociale de l'ajustement, la Banque

Mondiale met en oeuvre des mesures de politiques sociales d'accompagnement aux

P.A.S.. Une telle pratique suscite néanmoins quelques réserves. Comment sur le

plan statistique le groupe des pauvres peut-il être cerné ? Y a-t-il

différenciation de traitement des pauvres des villes et de ceux des campagnes ?

Les logiques de comportement de ces groupes cibles sont-elles suffisamment

connues pour qu'on puisse les infléchir grâce à des mesures spécifiques vers le

développement et la croissance ?

En ce qui concerne l'économie informelle, des tentatives sérieuses

sont en cours pour définir ses contours et son contenu4. Pour l'instant nous

pouvons penser que cette phase exploratoire débouchera sur une meilleure

connaissance du secteur informel et de son dynamisme. C'est à ce prix qu'on

comprendra les réalités des économies africaines et qu'on pourra les infléchir

positivement grâce à des politiques adaptées.

On peut compléter ce panorama en évoquant les politiques classiques

utilisées pour développer le volume et la collecte d'épargne. Les principales

critiques formulées à l'encontre des institutions officielles de collecte d'épargne

sont : les bas taux d'intérêt conduisant à l'excès de l'investissement sur

l'épargne, les effets d'éviction liés à l'endettement du Trésor auprès de la

Banque Centrale, enfin la lourdeur administrative, les coûts de gestion et les

délais de décaissement qui empêchent les acteurs produisant à petite échelle

l'accès au crédit. Afin de relancer l'épargne et mieux assurer sa collecte et la

distribution de crédit, les P.A.S. recourent souvent aux mesures suivantes : hausse

des taux d'intérêt, réduction de l'endettement du Trésor et des coûts de

l'intermédiation financière.

La réalité est pourtant très diverse dans de nombreux pays africains.

L'intermédiation financière est limitée, les marchés et circuits financiers sont

segmentés et conduisent à des taux de rendement différenciés. Les circuits

financiers non officiels répondent avant tout à des logiques sociales plus qu'économiques.

4 Cf. en particulier STATECO n° 68, numéro spécial consacré au secteur informel.

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D'après Philippe HUGON5, "la finalité première est d'assurer la

protection sociale et de répondre à des besoins de liquidité aléatoire. Ces

circuits financiers expriment une solidarité à base d'appartenance à des groupes

de parenté, à des communautés ethniques ou religieuses". On peut donc dire qu'ils

répondent à des logiques différentes dés comportements utilitaristes sur des

marchés financiers. En conséquence, la libéralisation financière n'est pas a priori

la meilleure réponse à la faiblesse des circuits financiers officiels et à la

dynamisation des circuits financiers non officiels.

Le statisticien, associé aux spécialistes des sciences sociales, a des

réponses à apporter à de nombreuses questions sur la compréhension des

structures d'organisation économique et sociale en Afrique. C'est un préalable

pour l'efficacité des politiques.

3) Les incohérences théoriques des P.A.S.

Plusieurs incohérences théoriques ont été relevées par les chercheurs

et spécialistes des P.A.S.. Nous nous limiterons à deux types principaux

d'incohérence, en particulier ceux sur lesquels le statisticien africain pourrait

apporter un éclairage nouveau à travers le traitement judicieux de l'information.

Il s'agit de la doctrine libérale et de la dévaluation monétaire.

La doctrine libérale est couramment évoquée pour sa capacité à

allouer de manière plus efficiente les ressources productives dans les économies

africaines. La libéralisation interne vise à supprimer les effets d'éviction du

secteur public vis-à-vis du secteur privé. Les principales réformes institutionnelles

visent à retrouver les lois du marché par la libéralisation du commerce, la

réduction du rôle de l'Etat dans l'économie, les dégraissements des entreprises

publiques et parapubliques au profit d'une priorité aux P.M.E..

5 Philippe HUGON : L'impact des politiques d'ajustement sur les circuits financiers informels

africains. Revue Tiers-Monde n° 122, avril-juin 1990, p. 325-349 (p. 332).

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L'ouverture au marché mondial est encouragée parce qu'elle s'inspire

des principes libéraux des avantages comparatifs, de la libre circulation des

facteurs et des taux de change d'équilibre.

Toutes ces mesures devant générer des effets positifs reposent

néanmoins sur des hypothèses simplificatrices pour les économies africaines,

souvent passées sous silence. Il s'agit de la flexibilité et du fonctionnement

concurrentiel des marchés, du comportement typique des agents économiques

faisant par ailleurs des anticipations rationnelles, du rôle joué par les prix comme

facteurs d'allocation optimale des ressources.

Sur ces différents points, de nombreuses réserves peuvent être faites

pour de nombreux pays africains sur la capacité de leurs économies à tirer

meilleur profit d'une libéralisation brutale. Pour que les marchés fonctionnent

dans un cadre concurrentiel et soient flexibles, il faut qu'il y ait plusieurs

entrepreneurs privés et dynamiques, ainsi que de nombreux acheteurs, de façon

qu'aucun d'eux ne puissent influencer de manière sensible les prix du marché.

La réalité des marchés de nombreux pays est différente. On y

trouve des marchés segmentés, cloisonnés, où les entrepreneurs privés dynamiques

ne sont pas nombreux et où règnent des situations de monopoles ou d'oligopoles.

Les acheteurs aussi sont loin d'influencer les marchés du fait de l'opacité de la

circulation de l'information. S'il est possible de corriger les marchés imparfaits,

les effets ne peuvent s'en ressentir dans le court terme.

La seconde hypothèse simplificatrice concerne le comportement

typique des agents économiques et leurs anticipations rationnelles. Dans de

nombreuses économies africaines, les appartenances communautaires créent des

obligations et des droits qui modifient le comportement des agents économiques

dans un sens différent des normes occidentales6. L'insuffisante connaissance des

structures sociales et des rapports de pouvoir au sein des économies limite la

portée des instruments de politique libérale utilisés en Afrique.

6 Cf. François-Régis MAHIEU : Transferts et communauté africaine, STATECO n° 58-59 et aussi du

même auteur : Les fondements de la crise économique en Afrique : entre la pression

communautaire et le marché international. L'Harmattan, 1990, 196 p.

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Le statisticien africain doit contribuer avec les sociologues à mieux

cerner de manière quantitative ces réalités, qu'on connaît sans savoir avec quelle

ampleur elles agissent sur les économies.

Pour ce qui concerne le rôle joué par les prix comme facteur

d'allocation optimale des ressources, une certaine prudence s'impose. La

suppression des subventions accordées à de nombreux biens ou services considérés

comme sociaux vise à réduire les déficits budgétaires mais aussi à faire jouer les

effets substitution (prix) afin d'inciter les consommateurs à se porter sur d'autres

biens ou services pour que la relation quantité achetée du bien et prix soit conforme à l'offre locale.

Il n'est pas évident que les effets-prix attendus de la hausse des

prix se réalisent automatiquement. Les effets-revenus peuvent se conjuguer à ces

effets-prix. Ainsi le consommateur, face à une réduction de son pouvoir d'achat,

peut réduire sa demande de tous les biens. Dans le cas de biens de première

nécessité on pourrait même assister à une hausse de la demande suite à une

hausse des prix (Paradoxe de GIFFEN). Dans un pays sahélien, la relation

prix-production est incertaine pour les produits agricoles car le facteur

déterminant est bien souvent le volume des précipitations. De même dans

certaines zones d'un pays comme le Rwanda, le facteur surface arable sera aussi

déterminant que le facteur prix pour influencer la production.

Dans de tels cas l'ajustement par les prix n'est pas suffisant. Il faut

également analyser minutieusement les conditions objectives de l'offre de biens.

Enfin une hausse des taux d'intérêt réels pour favoriser l'épargne

nationale risque d'orienter l'économie vers des activités spéculatives et

commerciales en décourageant l'investissement productif et en alimentant

l'inflation. Les faibles résultats obtenus dans la mobilisation de l'épargne amènent

à se demander quels sont les déterminants de l'épargne dans les économies

africaines. Le niveau du revenu réel n'est-il pas le facteur déterminant de

l'épargne pour la majeure partie de la population à la place du taux d'intérêt ?

Quelle forme privilégiée prend l'épargne disponible quand elle existe ? Et

l'épargne dans le secteur informel de l'économie ? Quels sont ses déterminants ?

Autant de questions essentielles pour la conception et la mise en oeuvre de

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politiques de collecte et de mobilisation de l'épargne qui ne sont pas toujours assez approfondies.

La dévaluation monétaire constitue un autre instrument essentiel des

politiques d'ajustement qui suscite de nombreuses controverses. La question qui se

pose n'est pas tellement si oui ou non il faut dévaluer mais plutôt quelle nouvelle

parité monétaire doit-on retenir et pour quels résultats ? Que ce soit pour le

calcul du taux de change effectif réel ou pour les résultats potentiels de

l'ajustement du taux de change, l'information quantitative fait cruellement défaut.

Pour preuve, il suffit de se référer aux âpres discussions entre responsables

locaux et experts du FMI sur la fixation d'un taux de change compétitif. Si

l'information quantitative normalisée était disponible, un consensus rapide aurait pu être obtenu avec de plus grandes chances de succès.

Le taux de change effectif réel est un taux de change tiré de la

théorie de la parité des pouvoirs d'achat. Il est obtenu par le quotient de l'indice

représentatif du taux de change effectif nominal au rapport de la moyenne des

indices de prix à l'étranger et de l'indice de prix national.

aj rj (Ti aj rj ) P e j j

é = aj Pj > aj Pj 5, aj Pj

P P

é e Pj P rj

a

• Taux de change effectif réel • Taux de change effectif nominal • Indice de prix dans le pays j (partenaire • Indice de prix national • Indice du taux de change de la monnaie

du pays j (ou valeur de la monnaie étrangère)

• Coefficient de pondération, qui doit géographique des importations.

commercial)

nationale vis-à-vis de la monnaie nationale exprimée en monnaie

être déterminé par la structure

La disponibilité de séries statistiques relativement longues sur les

indices de prix nationaux, les indices de prix étrangers, la structure géographique

des importations et son évolution est essentielle pour fixer un taux d'ajustement

efficace de la monnaie nationale. En particulier, la composition du panier de

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biens essentiels à la confection des indices de prix nationaux et étrangers mérite

des précautions particulières.

Le second problème que pose la dévaluation monétaire concerne les

effets potentiels d'une modification de la parité monétaire avec les principales

monnaies des partenaires commerciaux. D'un point de vue statique une dévaluation

monétaire devrait renchérir les importations exprimées en monnaie nationale et

rendre compétitives les exportations exprimées en monnaie étrangère. Ce faisant

elle devrait concourir à réduire les déséquilibres de la balance commerciale et

favoriser les industries de substitution à l'importation.

En réalité, ces effets mécaniques attendus reposent d'une part sur

des hypothèses simplificatrices et d'autre part sur la non prise en compte du

facteur temps. Les principales hypothèses simplificatrices portent sur les

élasticités. L'analyse théorique de la dévaluation retient souvent quatre séries

d'élasticité-prix : l'élasticité-prix nationale de l'offre exportable, l'élasticité-prix

nationale de la demande d'importation, l'élasticité-prix étrangère de l'offre de

produits étrangers et l'élasticité-prix étrangère de la demande de produits

nationaux. Pour que les élasticités-prix suscitent des changements de flux

importants (exportations et importations) il faut que l'élasticité de l'offre de

produits soit grande. Aussi, d'après le théorème des élasticités critiques formulé

par A. LERNER et J. ROBINSON, pour des élasticités d'offre infinies, la

condition nécessaire à l'équilibre de la balance commerciale est que la somme des

élasticités-prix des demandes nationales d'importation et des demandes étrangères

d'exportation soit supérieure à l'unité.

Le principal problème des économies africaines est que sur toutes

ces conditions l'on ne dispose que d'informations insuffisantes. Pire, dans certains

cas, on sait que les élasticités de certains produits sont faibles. Ainsi, les

importations de produits intermédiaires comme l'énergie ou les matières premières

varient peu en fonction des prix. De même, les produits étrangers bénéficiant

d'une compétitivité de qualité ne sont que faiblement sensibles à la hausse des

prix. Enfin il est connu que pour de nombreux pays il existe une relative

inélasticité des offres nationales.

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L'étude de P. JACQUEMOT et de E. ASSIDON7 indique que les

exportations de nombreux pays ne sont pas sensibles aux variations de change

sauf pour quelques pays comme le Burundi (café), l'Ile Maurice (textile) et la

Mauritanie (produits halieutiques). Des tests économétriques sur la coïncidence

entre les évolutions des taux de change et les exportations totales montrent que

celle-ci est faible pour les pays latino-américains, fortement positive pour les

pays asiatiques et non significative pour les pays d'Afrique au Sud du Sahara.

De même, d'après cette étude, la part des pays d'Afrique au Sud du

Sahara dans les exportations mondiales est telle qu'une progression de l'offre se

traduirait par une baisse des cours pour six produits agricoles (café, cacao, sucre,

thé, huile d'arachide et sisal).

On peut donc comprendre aisément les causes des échecs des

dévaluations étant donné les hypothèses simplificatrices sur lesquelles elles

reposent. Il semble donc utile d'être informé non seulement sur les élasticités

globales mais encore sur des élasticités de groupes de produits ou de produits

spécifiques. C'est à cette condition que les politiques d'ajustement économique pourraient croître en efficacité.

La vision à court terme des effets d'une dévaluation occulte de

nombreux problèmes. En effet à court terme la dégradation des termes de

l'échange (effet-prix) joue immédiatement à la suite d'une dévaluation alors que

l'effet volume, c'est-à-dire la réaction des importations et des exportations, ne

joue qu'ultérieurement. L'antériorité de l'effet prix sur l'effet volume se traduit

par une courbe en J au niveau de la balance commerciale : celle-ci se détériore

dans un premier temps, et s'améliore ensuite à condition que les effets-volume se

manifestent et que l'impact inflationniste de la dévaluation reste contenu dans les

limites supportables. Si, comme on sait, les élasticités de demande ne satisfont

pas aux conditions de Marshall-Lerner (la somme de l'élasticité-prix de la

demande d'exportation et d'importation doit être supérieure à 1) l'effet volume

risque de ne pas se réaliser et on peut assister à une succession de courbes en J

avec des effets néfastes sur la production et l'emploi.

Politique de change et ajustement en Afrique. Ministère de la Coopération et CCCE, Paris,

1988.

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Une approche par les élasticités doit être complétée par les effets

structurels de la dévaluation. Ainsi, si une dévaluation crée les conditions

monétaires pour une correction des distorsions structurelles de l'économie, elle ne

suffit pas à les résoudre. Ce sont donc des mesures tendant à modifier les

structures productives de l'économie dans le sens d'une plus grande compétitivité

qui sont essentielles. Elles nécessitent du temps pour manifester leurs effets

positifs. Le support théorique des P.A.S. et la durée retenue pour leurs effets

présentent des limites qui expliquent leurs échecs relatifs et la succession de

nombreux P.A.S. en Afrique.

4) Les écarts entre les objectifs des P.A.S. et le Développement Economique et Social

Les P.A.S. constituent un ensemble de mesures de politique

économique et sociale de court et moyen terme, établies avec des échéances

prévues par les pays demandeurs en collaboration avec les bailleurs de fonds,

pour corriger les déséquilibres internes et externes de leurs économies. Ils visent

à court terme la stabilisation et le retour aux équilibres macro-économiques. A

moyen terme, ce sont des objectifs de restructuration des économies par une

meilleure allocation des facteurs et ressources qui sont poursuivis. Ils supposent

une certaine libéralisation de l'économie.

Le Développement Economique et Social (D.E.S.) est un concept qui

vise non seulement la croissance économique mais aussi le bien-être de la

population. Pour François PERROUX tout développement suppose la combinaison

des changements de mentalité de la population avec une croissance cumulative et

durable du produit réel global.

Le D.E.S. devient alors un processus cumulatif nécessitant8 :

- la définition de projets de société spécifiques conformes aux

valeurs nationales ;

8 Philippe HUGON : Economie du Développement - DALLOZ.

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- la transformation des relations sociales et le changement des

modes d'organisation et des systèmes de représentation ;

- l'affectation du surplus à des fins d'accumulation productive ;

- l'accroissement de la productivité et sa diffusion dans l'économie entière.

Le développement africain à travers les directives du plan d'action

de Lagos, reprises dans le Cadre Africain de Rechange aux Programmes

d'Ajustement Structurel (CARPAS) vise : l'atténuation de la pauvreté générale et

l'amélioration du niveau de vie des populations, le développement autosuffisant

ainsi qu'une forte croissance des richesses produites conjuguée à leur juste répartition.

Présentés tels quels, les objectifs des P.A.S. et ceux du D.E.S.

apparaissent comme complémentaires, les P.A.S. constituant une étape de

stabilisation et d'assainissement sur la voie du développement.

Pourtant, dans leur réalisation, les objectifs atteints par les P.A.S.

sont souvent en deçà des objectifs affichés et éloignés de ceux du D.E.S.. La

principale difficulté provient du fait que les performances des économies telles

qu'elles sont prévues dans les "documents cadres" sont rarement réalisées et

souvent nécessitent de nouveaux P.A.S.. Le résultat est que l'assainissement est

atteint à des coûts sociaux élevés et, pire, cela ne constitue nullement une

condition satisfaisante pour une croissance soutenue de l'économie. A titre

d'illustration, le Zaïre naguère déclaré "bon élève" du FMI présente aujourd'hui

une économie gravement déséquilibrée avec un niveau d'inflation record.

Devant de tels écarts, les populations africaines perçoivent désormais

les P.A.S. comme contradictoires aux D.E.S. Elles n'accordent donc plus de crédit

à ces P.A.S. qui, à leurs yeux, riment avec misère et aggravation du sous-

développement. Elles ne consentent donc plus à fournir des sacrifices pour des

causes incertaines et par leurs revendications sociales empêchent les P.A.S.

d'assainir et de restructurer leurs économies.

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II - LA NECESSITE DE RECONCILIER LE COURT TERME ET LE MOYEN TERME

A la lumière des facteurs d'échec des P.A.S. il ressort que

l'information économique et sociale nécessaire à l'ajustement des économies

africaines dépasse les besoins conjoncturels. Pourtant, la tendance qui se dessine

dans de nombreux pays soumis aux P.A.S. est que la planification devient un

exercice inutile face aux préoccupations conjoncturelles.

Les plans de développement visent avant tout une optimisation des

ressources permettant d'atteindre les objectifs de développement économique et

social voulus par les populations. Ils décrivent ainsi un processus global et

continu mettant en oeuvre les ressources nationales et étrangères mobilisables en

vue de résoudre les problèmes de développement.

Présentés ainsi, ils ne peuvent donc être opposés aux P.A.S.. Ce

sont pourtant les objectifs de stabilisation des P.A.S. qui ont conduit de

nombreux experts à s'éloigner des plans de développement, source d'importants

investissements nouveaux et d'une importante action régulatrice de l'Etat.

1) Le plan comme cadre d'ajustement structurel des économies

Comme l'écrivait Pierre JACQUEMOT9, la question cruciale qui

justifie la planification est "Qu'adviendra-t-il après la phase d'ajustement de

l'économie ?" Une telle question en appelle de nombreuses autres dont les

principales sont :

- Quelles sont les tendances lourdes qui vont façonner à moyen et

long terme les pays africains sur le plan de la démographie, de la désertification,

de l'auto-suffisance alimentaire et de l'écologie ?

9 Dans : Planification et Ajustement en Afrique Subsaharienne : Mission Française de

Coopération et d'Action Culturelle. Ouagadougou, 1991.

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- Quelles sont les conséquences de l'évolution des biotechnologies et

des technologies de l'information sur les opportunités productives et d'exportation

de moyen et long terme des économies africaines ?

- Comment atténuer les vulnérabilités de ces économies aux divers

chocs qu'elles subissent ?

La réponse à de tels défis passe par la définition de stratégies

globales de développement intégrant les principales mutations mondiales en cours

aujourd'hui : les révolutions technologiques et la concurrence internationale des

systèmes productifs, l'internationalisation des marchés financiers et de la

production manufacturière, le développement de grandes zones monétaires et

d'échanges homogènes comme les zones deutchmark, dollar et yen. Le cadre

privilégié dans lequel de telles réflexions peuvent être menées demeure sans conteste la planification.

Elle doit donc intégrer la problématique de l'ajustement afin

d'établir une cohérence globale entre les objectifs des P.A.S. et ceux du D.E.S.

ainsi qu'une vision plus réaliste du futur. Afin de permettre au plan de jouer son

rôle charnière dans les instances de décision, des modifications dans les

structures institutionnelles et dans la programmation financière des projets

s'imposent.

Les réformes des structures institutionnelles doivent viser le

rétablissement des liens entre le court terme et le moyen terme, la permanence

du travail de planification ainsi que la liaison plan et budget. La création de

"groupes de synthèse permanents" entre plan et budget, la sélection d'axes

prioritaires et de noyaux durs d'investissement à réaliser, ainsi qu'une

programmation triennale glissante des investissements publics, s'inscrivent dans

une telle logique. Elles permettent au plan de retrouver sa crédibilité et

d'intégrer ainsi les préoccupations des P.A.S..

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2) Les systèmes d'informations pour la politique économique en Afrique : l'utilité des séries longues

Les préoccupations de court terme des P.A.S. ont conduit de

nombreuses administrations africaines, à la demande des agences de financement,

à fournir de façon régulière certaines informations de court terme. Il s'agit des

finances publiques, de la dette, de la balance commerciale et de la balance des

paiements. Le FMI recourt en particulier au Tableau des Opérations Financières

de l'Etat (T.O.F.E.) et à la situation monétaire intégrée (S.M.I.). Ces informations

de type fiscal, financier ou monétaire concernent essentiellement l'Etat et la

Banque Centrale. Dans l'ensemble, l'information à laquelle recourent ces agences

financières est de type comptable et à dominante financière.

Ce type d'informations est incapable d'apporter un éclairage au

décideur politique désireux de répondre aux défis auxquels son pays est confronté.

Privilégier le développement économique et social suppose la modification des

structures productives et de la répartition des revenus de l'économie. Cela

suppose également que soit disponible l'information statistique sur les

comportements des ménages et leur évolution (consommation, épargne, travail,

fécondité, etc.) ainsi que sur la pauvreté urbaine et rurale. Si les projets réalisés

dans le cadre du PADEM (Programme Africain d'Enquêtes auprès des Ménages), du

Programme Africain de Recensement ou du programme D.S.A. (Dimension Sociale

de l'Ajustement) ont permis de notables améliorations dans ce domaine, de

nombreux efforts restent encore à fournir.

Les statistiques sociales sont essentielles dans l'analyse de la

pauvreté et des comportements sociaux. Si les données en valeur absolue sont

utiles, leurs évolutions sont encore plus importantes car elles décrivent des

modifications structurelles de comportement. Pour apprécier les évolutions il faut

disposer de séries longues ce qui signifie que l'information passée de courte

période est insuffisante pour saisir les changements de comportement.

De même les informations sur les élasticités-prix ou les élasticités-

revenus font cruellement défaut. Elles sont pourtant nécessaires pour apprécier

l'impact de certaines politiques économiques sur les comportements des agents

économiques. Les élasticités n'ont de sens que si elles sont observées dans le

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temps et non calculées ponctuellement. A défaut de modèles économétriques plus

satisfaisants pour l'analyse des comportements et la prévision, les modèles

quasi-comptables sont plus couramment utilisés en Afrique.

Ils présentent cependant de sérieuses limites quant à leur capacité à

modifier les structures des économies. L'absence de séries statistiques

suffisamment longues et fiables a donc conduit les experts à privilégier des

modèles de simulation ayant une faible portée dans le domaine de la prévision. A

défaut de modèles économétriques plus adaptés à l'optimisation, ces modèles

quasi-comptables sont cependant utiles pour tester la cohérence des choix des

instruments de politique économique retenus.

La mise en évidence de l'insuffisance du système d'information

comme facteur d'échec des P.A.S., ainsi que la nécessité de réconcilier le court

terme au moyen et long termes conduit à la question "Quels systèmes d'information pour la réussite des P.A.S. ?"

III - QUELS SYSTEMES D'INFORMATION POUR LA REUSSITE DES P.A.S. ?

Les nombreuses mutations apparues dans la structuration des

appareils productifs africains, dans l'environnement international ainsi que dans

les politiques conjoncturelles mises en oeuvre dans les pays nécessitent une

refonte complète des systèmes d'information et du rôle du statisticien.

A l'origine, de nombreux services statistiques ont été créés pour

satisfaire les besoins du Ministère des Finances ou de l'Economie. Cela explique

les raisons pour lesquelles les statistiques économiques ont été privilégiées. Ainsi

le commerce, l'indice des prix à la consommation, l'enquête sur le budget des

ménages, l'agriculture, l'industrie et le travail représentent les principaux

secteurs couverts par l'information statistique. En revanche les statistiques

démographiques et sociales n'ont retenu que faiblement l'attention des

statisticiens malgré les recensements démographiques qui ont pu être réalisés.

Ce n'est que dans les années 70, grâce à des financements

d'enquêtes ou de recensements sur la population de la part du FNUAP ou de

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l'USAID que les statistiques démographiques et sociales ont pris de l'importance

pour les services nationaux de statistiques. Depuis les années 80 il est apparu une

dégradation générale des appareils statistiques que ce soit sur la qualité des

données ou sur leur disponibilité en temps utile.

Trois principaux défis se posent aujourd'hui aux services nationaux statistiques en Afrique :

- Quel type d'informations statistiques doit-on produire ?

- Quel type d'agents statistiques doit-on former ?

- Comment harmoniser le cadre statistique national par rapport à l'environnement statistique régional et international ?

1) Les informations statistiques prioritaires à produire

Le débat qui a cours au sein de la communauté des statisticiens

concerne la dynamique des systèmes statistiques qu'ils gèrent. L'information à

produire doit-elle répondre à un objectif "d'offre" ou plutôt s'appuyer sur une

demande endogène clairement exprimée ? A notre avis la question essentielle est

de savoir quelles sont les informations utiles à produire étant donnés les besoins

des utilisateurs nationaux et internationaux.

Présentées ainsi, ces informations statistiques doivent s'appuyer

d'abord sur les besoins endogènes mais répondre aussi aux besoins des institutions

internationales afin de faciliter les comparaisons internationales. La seconde

question est, compte tenu des ressources limitées disponibles pour la statistique

dans les pays africains, quel socle minimal d'informations statistiques doit-on

produire ?

La cinquième session de la Conférence commune des planificateurs,

statisticiens et démographes africains tenue à Addis-Abeba en 1988 a recommandé

les statistiques économiques suivantes à produire par la plupart des pays

africains :

a) Prix et taux de change.

b) Principales activités productives.

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c) Emploi et revenus ; population active.

d) Revenus et dépenses publiques.

e) Commerce extérieur et balance des paiements. f) Monnaie et banque ; emprunt du secteur public ; dette.

g) Comptabilité nationale (niveau de base).

h) Niveau de vie (consommation des ménages).

i) Quelques sujets statistiques sélectionnés dans les statistiques

démographiques, sociales et de l'environnement.

La Banque Mondiale également10 recommande aux services nationaux

de statistique africains de produire les données suivantes :

a) Données sociales et démographiques.

b) Ressources nationales et de l'environnement.

c) Statistiques des prix et de la production.

d) Comptabilité nationale.

Comme on peut le constater les recommandations portent sur les

statistiques indispensables aux politiques conjoncturelles conformément aux voeux

des institutions financières internationales. Le problème est que ces informations

doivent dépasser le cadre conjoncturel et s'insérer dans une politique globale du

système d'information intégrant la prospective de long terme, la planification

stratégique de moyen terme et la programmation budgétaire de court terme.

Intégrée dans un tel cadre, l'information statistique à produire sera

directement en relation avec la stratégie globale de développement telle qu'elle

est définie à travers les plans de développement. Aussi, elle sera reliée aux

préoccupations conjoncturelles telles que les pays les ressentent dans leurs

négociations avec le FMI et la Banque Mondiale.

Un autre problème concerne la forme sous laquelle l'information doit

être présentée. Comme nous l'avons dit précédemment, le statisticien africain a

10 Dans : L'Afrique Subsaharienne : de la crise à une croissance soutenue.

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pour mission non seulement de produire les données statistiques mais surtout de

sensibiliser les utilisateurs potentiels sur l'utilité de ces données et leur rôle dans

les prises de décision. Le système d'information doit avoir pour objectif de

fournir des éléments pour prendre des décisions rapides. L'information ne doit

plus se limiter à des données en niveau mais doit présenter des indicateurs

d'évolution, saisir les changements de comportement sociaux et présenter des

ratios comme instruments d'aide à la décision économique.

Pour le long terme, les tendances lourdes de la société seront

privilégiées. Elles concerneront à la fois des données sociales (démographie,

éducation, emploi, etc.) et des données économiques (structures de la production,

évolution technologique, mutations des échanges internationaux et des marchés

financiers) et devront concourir aux travaux prospectifs du plan.

Le moyen terme, cadre privilégié de la planification opérationnelle

devra être éclairé grâce à une approche macro-économique des décisions de

politique économique conjuguée à une meilleure prise en compte des

comportements spécifiques des agents économiques africains. Si les tableaux de

cohérence globale tels que le TES, le TEE ou le TOF sont nécessaires pour

décrire et comprendre le fonctionnement des économies, ils sont insuffisants pour

modifier les structures économiques dans un sens favorable aux défis mondiaux actuels.

La planification de moyen terme en Afrique, dans la mesure où elle

privilégie les réformes de structures, doit analyser en profondeur les rapports de

force entre les différents groupes sociaux concernés par ces réformes. Par

conséquent, l'information économique et sociale nécessaire ici serait celle

permettant par exemple l'usage de la théorie des jeux ou des modèles de conflit,

susceptibles d'intégrer la pluralité des rationalités des divers acteurs et

d'envisager les diverses alliances ou conflits entre eux.

Les déséquilibres de la balance commerciale, de la balance de

paiement, de la parité monétaire, voire des finances publiques peuvent ne pas

avoir de causes conjoncturelles. La mise en évidence de facteurs structurels

explicatifs suppose l'existence de séries statistiques homogènes et relativement

longues sur le passé. L'analyse de celles-ci devra faire ressortir les facteurs

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déterminants réels des déséquilibres et faciliter les décisions correctives de

politique économique.

L'évolution des cours des matières premières est une information

essentielle dans les projections structurelles et conjoncturelles. Etant donné les

mutations technologiques actuelles, en particulier le développement des

biotechnologies et ses incidences sur les exportations des pays africains, il est

essentiel de saisir les facteurs réels influençant les cours de ces matières en

dehors des facteurs purement spéculatifs.

Le planificateur africain aura besoin d'être éclairé à partir de

toutes ces informations pour concevoir de nouvelles stratégies de restructuration

de l'appareil productif national.

Dans le court terme, domaine de la conjoncture, les données

économiques sont privilégiées. Dans une optique occidentale, le "carré magique"

constitue le cadre d'analyse par excellence. On s'intéresse à l'évolution de

l'indice des prix, du chômage, des échanges extérieurs et de la production

industrielle.

A partir d'évènements les plus récents il s'agit d'éclairer le futur

proche. On s'intéressera alors à l'évolution de la demande de consommation des

ménages ainsi qu'à la demande d'investissement des entreprises. Cette évolution

est appréhendée sur la base d'hypothèses de stabilité à court terme des

paramètres décrivant les structures économiques et d'hypothèses concernant

"l'état du monde".

A la différence d'un pays développé, l'analyse conjoncturelle dans de

nombreux pays africains doit privilégier des données relatives aux marchés

internationaux des matières premières, aux taux de change, taux d'intérêt et

enfin aux conjonctures étrangères. C'est la conséquence de l'extraversion et de la

grande dépendance extérieure des économies africaines. Mais, les paramètres

décrivant les structures économiques et qui révèlent des tendances lourdes font

souvent défaut et rendent difficiles la mise en oeuvre de politiques

conjoncturelles efficaces.

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En résumé, l'information statistique utile pour une plus grande

efficacité des politiques économiques ou conjoncturelles en Afrique devra couvrir

de nombreuses données nationales et internationales. Elle devra aussi porter sur

les tendances lourdes décrivant les paramètres structuraux de l'économie ou les

paramètres de comportement des agents économiques qui font souvent défaut.

Etant donné la masse importante des informations exigées pour la

réussite des politiques économiques en Afrique, il est normal de se demander,

compte tenu du coût d'acquisition de l'information, si les services nationaux de

statistique africains disposeront des moyens nécessaires (financiers et humains)

pour répondre à leurs missions.

En toute évidence et comme l'avaient noté les experts de la CEA,

les services nationaux statistiques africains, connaissant depuis 1980 une

dégradation de leurs conditions de travail, ne pourraient pas atteindre leurs

nouveaux objectifs sans des appuis extérieurs conséquents. Le débat actuel sur

une plate-forme minimale d'information économique et sociale revêt alors tout son

intérêt et mérite d'être approfondill.

De même, une telle plate-forme minimale en appelle une autre qui

ne devrait pas être assurée par les pays directement. Grâce à l'accès aux

banques de données étrangères spécialisées ou au projet Afristat on assistera à

une certaine spécialisation dans la fourniture d'informations économiques et

sociales aux décideurs africains ; les services nationaux de statistiques

s'engageant sur la plate-forme minimale devront coopérer avec Afristat OU

d'autres sources statistiques pour couvrir toute l'information économique et

sociale utile aux décisions économiques.

2) Quel profil souhaitable pour le statisticien africain ?

Deux caractéristiques majeures avaient été relevées précédemment

dans la spécificité du statisticien africain :

11 Cf. H.P. CHARLOT dans STATECO n° 67 : Pour une plate-forme minimale d'information

économique et sociale, et l'article de Gérard CHENAIS dans ce numéro.

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- L'absence de culture statistique dans les pays africains fait du statisticien un

agent de promotion de l'information économique et sociale auprès des décideurs

économiques et politiques.

- Une telle mission exige du statisticien africain des qualités dépassant le simple

cadre de producteur de données statistiques.

La culture africaine étant basée sur la tradition orale, le maniement

de l'outil statistique ou de données quantitatives à des fins de décision

économique n'a été que récent. On comprend alors la faible demande des services

utilisateurs de l'information statistique comme outil de décision économique ou

politique. Afin de pallier ces insuffisances, le statisticien africain a un rôle

primordial de promotion de l'information économique et sociale et de

sensibilisation des responsables économiques et politiques sur son utilité.

Pour atteindre un tel objectif, l'information économique et sociale

ne doit pas avoir comme finalité la collecte brute mais doit être présentée sous

une forme opérationnelle pouvant servir à une prise de décision efficace. Le

traitement de l'information et sa présentation sous une forme "intelligible" exige

du statisticien africain des qualités particulières.

Observateur éclairé du fonctionnement des économies africaines, le

statisticien africain doit comprendre les mécanismes d'insertion de celles-ci dans

la division internationale de la production, les facteurs de leur croissance stable

ainsi que les comportements sociaux et économiques des différents agents

économiques susceptibles de freiner ou de favoriser le développement.

En résumé, il doit donc être un bon économiste pour jouer

pleinement son rôle dans l'environnement spécifique qui est le sien. Sur la base

de ces considérations, la formation du statisticien africain devra dépasser le

cadre exclusif de la statistique et intégrer une dimension économique, sociale et

humaine de manière à faire de celui-ci un cadre polyvalent.

Bien que les journées pédagogiques organisées en 1989 à Paris aient

déjà mis en évidence la nécessité d'élargir le profil du statisticien africain, les

efforts effectués à ce jour restent limités. Les récentes réflexions en cours sur

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la formation dans les écoles de statistiques en Afrique présentent à cet égard un

intérêt certain.

Une originalité de ces réflexions est le décloisonnement des

statisticiens par rapport à la statistique. C'est la preuve que le statisticien

africain doit s'ouvrir à des disciplines autres que les mathématiques ou la

statistique. La démographie, les sciences sociales, l'économie, l'administration de

l'information économique et sociale et la recherche sont des domaines

d'excellence proposés aux ingénieurs.

Quant aux statisticiens de terrain, s'ils n'ont pas pour objectif

d'être des concepteurs de l'information, ils sont cependant un complément

nécessaire de l'ingénieur car c'est à eux que revient de concrétiser les actions

décrites d'un point de vue théorique par l'ingénieur concepteur.

Grâce à un élargissement de la culture économique et sociale du

statisticien africain, il est possible d'espérer disposer de séries de données peu

disponibles aujourd'hui mais si utiles à l'aide à la décision et à la réussite des

P.A.S..

3) L'harmonisation du cadre statistique national avec le cadre régional et international

Les P.A.S. ont des effets régionaux et internationaux. Une bonne

analyse de ces effets d'un point de vue prévisionnel ou rétrospectif suppose que

les appareils statistiques nationaux produisent des données statistiques

comparables.

Il semble donc nécessaire que les pays appliquent des normes

uniformes dans les concepts, les définitions et les systèmes de classification. A

titre d'illustration, l'indicateur "taux de change" utilise dans son calcul des

indices de prix nationaux et des indices de prix dans les pays partenaires

commerciaux. Des différences fondamentales dans la méthodologie de calcul de

ces indices dans plusieurs pays peuvent nuire à la fiabilité d'un tel taux et à son

usage comme instrument de politique économique.

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- 77 -

L'amélioration de la qualité de l'information économique et sociale

et sa pertinence pour des comparaisons régionales ou internationales passe par

des étapes de normalisation. Afristat, de par sa position supranationale, devrait

pouvoir jouer efficacement ce rôle de cadre pour les normalisations statistiques,

de concertation et d'échanges entre spécialistes. La production commune d'un

certain nombre de données statistiques conduirait forcément à une harmonisation

des techniques de collecte et de traitement de données dans les différents pays

membres.

Outre le fait que l'information obtenue serait comparable sans débat

méthodologique préalable, elle serait disponible avec une plus grande régularité,

point essentiel pour un décideur économique ou politique.

CONCLUSION

Les P.A.S. ont souvent été critiqués pour leurs incohérences

théoriques et leurs effets sur le plan social en Afrique. A y regarder de près,

c'est l'absence d'informations économiques et sociales de qualité qui a empêché

les experts de s'accorder sur les thérapeutiques les plus efficaces à prescrire aux

pays en difficulté. A notre avis, étant donné la masse impressionnante

d'informations nécessaires pour la conception de politiques efficaces dans le cadre

des P.A.S., de lourdes responsabilités incombent aux statisticiens africains.

Les P.A.S. sont une transition nécessaire pour la plupart des

économies africaines en déséquilibre. La difficulté c'est de les réussir et donc de

rassurer les populations africaines sur leurs fondements et leurs objectifs. Pour

que les statisticiens puissent contribuer au succès des P.A.S. il faudrait que

davantage de moyens soient mis à leur disposition non seulement pour leur

formation pluridisciplinaire mais aussi pour leur activité de collecteurs et

promoteurs d'information économique et sociale.

Les institutions financières internationales et en premier lieu le

F.M.I et la Banque Mondiale, devraient en prendre conscience. Si le projet D.S.A.

(Dimensions Sociales de l'Ajustement) s'inscrit dans une telle logique, il reste

néanmoins largement en dessous des ambitions souhaitables.

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POUR UNE PLAIE-FORME MINIMALE D'INFORMATION ECONOMIQUE ET SOCIALE :

commentaires sur les propos d'Hervé-Patrick CHARLOT

par Yves FRANCHET1

La communication d'H.P. CHARLOT'' sur le sujet traité présente beaucoup de qualités. Elle fait suite à une réflexion sur les erreurs passées, sur les grands problèmes du court, moyen et long tenue, et propose un cadre d'action cohérent et logique pour le développement d'un ensemble de travaux statistiques. Cependant, elle ne me paraît pas répondre à une question fondamentale pour un renforcement continu de la statistique en Afrique : des statistiques pour qui, et pour quoi faire ?

Très souvent, le moteur du développement statistique en Afrique au cours des trente dernières années a été les institutions d'aide bilatérales et internationales. Ces institutions sont intervenues en mettant en avant leur vision de ce qui est essentiel, leurs priorités. Le résultat a été trop souvent un manque d'engagement, voire un désengagement des utilisateurs potentiels nationaux de la production statistique.

L'article de CHARLOT reflète encore cette tendance : dans son introduction, ce sont la Banque Mondiale, le PNUD, et les agences des Nations Unies qui pensent aux changements nécessaires. Dans la conclusion, les cadres locaux sont placés en face des bailleurs de fonds pour résoudre les problèmes.

1 Directeur Général d'Eurostat.

2 Article paru dans STATECO n° 67, septembre 1991.

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Il me semble essentiel de mieux intégrer le développement statistique africain dans le processus de décision politique économique et social interne à chaque pays, comme cela est d'ailleurs déjà en cours ou réalisé dans quelques cas. Trop d'opérations statistiques coûteuses menées à grand renfort d'appui extérieur restent encore mal ou peu utilisées, faute d'utilisateurs internes aux pays. Trop de décideurs se plaignent d'une absence de statistiques pour prendre leurs décisions, ou pire n'ont pas conscience qu'une information statistique adéquate leur permettrait d'améliorer leurs décisions.

Plusieurs grandes initiatives vont être prises au cours de la décennie en vue d'améliorer la statistique en Afrique : celles de la Banque Mondiale celle de la Zone Franc avec Afristat, celle de la CEA, celle de la CEE dans le cadre de Lomé IV Si ces initiatives ne s'appuient pas sur une demande réelle interne des principaux décideurs des pays concernés, il est à craindre qu'à nouveau beaucoup d'efforts soient faits en vain et beaucoup de moyens dépensés sans grande efficacité

Si les bailleurs de fonds et autres institutions bilatérales et internationales veulent jouer un rôle utile pour une meilleure utilisation, et donc production, de la statistique en Afrique ils doivent plutôt aider les décideurs à exprimer leur demande et leurs priorités, y compris les moyens nécessaires pour y faire face, que se substituer à eux dans cette expression.

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QUEL FONCTIONNEMENT POUR UNE DIRECTION NATIONALE DE LA STATISTIQUE ?

par Gérard CHENAIS1

INTRODUCTION

Cet article se voudrait un prolongement de celui de Hervé-Patrick CHARLOT2.

Considérer une plate-forme minimale, c'est implicitement reconnaître

que ce minimum est à la fois réalisable et généralement pas atteint. On peut

légitimement considérer cette situation comme anormale, comme un échec, et en

rechercher les causes ; nous en laisserons le soin à d'autres. Le contenu

souhaitable de cette plate-forme ayant déjà été présenté par H.P. CHARLOT,

nous tenterons plutôt ici d'esquisser une conception de ce que pourrait être le

fonctionnement "normal" d'une Direction nationale de la statistique. La

préoccupation principale est de tenter d'identifier les facteurs et les mécanismes

qui font que s'auto-entretient une spirale positive conduisant à une production

statistique croissant en qualité et en quantité.

1 Gérard CHENAIS est coopérant à la Direction Nationale de la Statistique de Djibouti.

2 H.P. CHARLOT : Pour une plate-forme minimale d'information économique et sociale. STATECO

n° 67. Cet article avait fait l'objet de débats lors d'un stage organisé par l'INSEE en

septembre 1991.

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Les cadres conceptuels avec lesquels travailler

Face à la relation essentielle entre production statistique et cadres

conceptuels utilisés, la situation des Directions de la statistique des pays en

développement et tout particulièrement des pays africains est fondamentalement

différente de celle des pays avancés et nous pensons que cela induit

nécessairement un comportement différent de l'institution statistique.

En effet, pour un pays développé comme la France, la mise au point

des cadres conceptuels se nourrit pour partie de la recherche théorique, pour

partie de l'expérience et enfin des travaux exploratoires menés dans le cadre

d'opérations réelles de collecte sur le terrain (en France et dans d'autres pays).

Dans une large mesure, et cela a été surtout vrai dans le passé, la production

précède la conceptualisation. Cette dernière est en fait la caractérisation des

statistiques adaptées à l'analyse d'un domaine particulier de préoccupation. Michel

VOLLE le disait autrement : "La statistique n'a d'influence possible sur l'action,

sur la pratique, qu'après avoir transité par une médiation théorique, qui peut être

parfois implicite mais est toujours présente"3.

Les pays en développement pour la plupart n'ont pas les moyens

suffisants pour mener de front les recherches conceptuelles et la production de

statistiques indispensables au décollage (parfois à la survie). Sur l'Afrique, il est

symptomatique de constater que ce ne sont pas les statisticiens travaillant en

Afrique mais plutôt des économistes et des sociologues venus d'autres contrées

qui animent les débats ; de nombreux articles de STATECO en témoignent. Il faut

donc se résigner à importer des cadres d'analyse, les adapter et les utiliser au

mieux, ou alors la production vivote et divague, faute de repères. C'est par

l'adaptation que commenceront à se forger les concepts propres à l'environnement

des pays en développement. Cette adaptation devrait être le sujet principal des

recherches à mener en Afrique par les statisticiens. A partir d'une situation

initiale la moins mauvaise possible, il faut amorcer un processus cumulatif et

convergent. Contrairement aux pays développés, il faut faire précéder la

production des statistiques par la conceptualisation et donc, dès le début, que le

3 Michel VOLLE : Le métier de statisticien - Economica (1984).

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statisticien explicite avec précision les formalismes retenus pour pouvoir ensuite les adapter progressivement.

Plus concrètement, le tableau synoptique n° 1 ci-dessous tente de montrer la situation relative des démarches aboutissant à l'action4 .

TABLEAU N° 1 CADRES CONCEPTUELS RELATIFS

AUX EIFFERENTS NIVEAUX D'INFORMATION

NIVEAU ACTEURS

ORte4TATION CONCEPTUALISATION DECISION

Grands domaines d'Information

Cadres d'analyse cadres statistiques

Aide à la décision modèles

AI A C R O

NATION Projet de société Politique générale Encadrement

Gouvernement Parlement Partis politiques

Economia nationale Echanges extérieurs Finances publiques Monnaie crédit

F Population Développement humain

I

h

Comptes consolidés Balance des paiements Finances publiques Monnaie et crédit

O Démographie Comptabilité sociale

8 Comparaisons inter- nationales des prix

J Indicateurs macro

Modèles maso-économiques TABLO

E RMSM EGC multIsectori el

V Projections démographiques P

A 1.. A

L N

M E $ CI

ACTIVITES HUMAINES Développement Régulation Politique sectorielle

Administrations Collectivités locales Patronat Syndicats Associations professionnelles Associations de consommateurs Associations d'usagers

Marché biens et services A Marché du travail

Marché financier L Infrastructures économiques

Infrastructures sociales I

T

Comptes de secteur E Comptes satellites

E.R.E. C M.C.S.

Commerce extérieur T Sécurité alimentaire

Indices de prix I Indices de production

Modèles sectoriels S I.1 EGC

Fonctions de production d A

A T C

T I I

C

M I C R 0

CITOYENS Développement humain ENTREPRISES Prospérité

Citoyens Entreprises

E Protection sociale Conditions de vie

S Redistribution Conditions de travail

É. Comptes satellites Comportements

S Pauvreté Indicateurs sociaux Prix à la consommation Indice de conjoncture

CI Modèles de N comportement

N Analyse des données

S

TABLO: modèle standard de projection à court-moyen terme de la Caisse Centrale de Coopération Economique RMSM : modèle maso-économique standard de la Banque Mondiale EGC: modèle d'équilibre général calculable ERE : équilibre ressources-emplois MCS: matrice de comptabilité sociale

4 Ce tableau s'inspire du document : "Making Ajustement Work for the Poor, A framework for

policy reform in Africa" de la Banque Mondiale.

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Re• uetes Populations de référence

Individus Entreprises

Produits Titres

Données

Demandes

Demandeurs de

Statistiques

Statistiques

- 84 -

Les statistiques peuvent ainsi être vues comme le résultat

d'évaluations réelles, conduites dans des cadres pré-établis par la

conceptualisation, en vue de la quantification des objectifs et des plans d'action

retenus par les décideurs. Ce que le tableau ne montre pas c'est qu'en retour, la

conceptualisation se nourrit aussi des statistiques.

Les statistiques

Le diagramme n° 1 ci-dessous schématise la production des

statistiques dans son ensemble :

DIAGRAMME N° 1

LE PROCESSUS GLOBAL DE LA PRODUCTION STAIISHQUE

Une Mission : Satisfaire les besoins en statistique

Un But : Diffuser des statistiques

Direction Nationale

STATISTICIENS

. Moyens humains

. Moyens matériels

Cadres

d'analyse

Quatre Activités enchaînées

1. Prendre en compte les demandes 2. Recueillir l'information de base

3. Transformer cette information en statistique 4. Diffuser les statistiques

Si possible ANTICIPER la demande

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La signification du terme statistique

Dans le contexte du diagramme n° 1 nous considérerons ce terme

comme représentant le fruit du travail des statisticiens, parmi lesquels nous

comptons les démographes et les comptables nationaux ; ceci ne suffit

évidemment pas à en définir la nature, mais s'adressant ici à des statisticiens il

ne nous semble pas nécessaire d'élaborer plus avant. Nous nous écartons

délibérement de l'usage commun du terme qui l'attache à une information

quelconque de nature quantitative. La confusion est dommageable pour notre

profession, d'autant plus qu'il lui est rarement reconnu un label de qualité et

qu'il fait souvent l'objet de plaisanteries de la part des statisticiens eux-mêmes.

Que pourrait bien représenter le métier de statisticien si le résultat de son

travail n'avait pas un caractère spécifique ?

La qualité de la statistique

Si donc la statistique est le fruit du travail du statisticien, sa

qualité se mesure par son adéquation aux usages pour lesquels elle a été

élaborée, ce qui, soit dit en passant, induit une nécessaire spécialisation des

statisticiens par domaine. Nous avons déjà vu plus haut que la conceptualisation

définissait les statistiques adaptées à l'analyse d'un domaine particulier de

préoccupation ; la nature même de la statistique à élaborer est donc définie par

le cadre conceptuel préalablement retenu. Les écarts acceptables du résultat par

rapport à la valeur théorique dépendent des conséquences encourues lors de

l'usage de statistiques par trop éloignées de la réalité ; dans les faits, ce sont

les standards que se fixe la profession elle-même qui déterminent le niveau

général de qualité des statistiques. Ces standards n'existent que lorsque la

profession considère qu'elle a une obligation de résultat et pas seulement une

obligation de moyens. Dans ce contexte il est capital que l'on puisse toujours

montrer clairement aux utilisateurs la distinction entre statistiques observées et

données estimées (ou inventées), ainsi que les limites de la confiance que l'on

peut leur accorder.

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PARTIS POLITIQUES

STATISTIOUES

CITOYENS MEDIA

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La diffusion des statistiques

La production statistique n'a de raison d'être que si elle est

diffusée car son auto-consommation n'a pas de sens. La performance d'une

Direction de la statistique s'évalue tout naturellement au nombre, à la diversité

et à la qualité de ses diffusions. (Montre-moi tes publications et je te dirai quel

statisticien tu es). Les utilisateurs sont divers, les usages sont divers, il doit en

DIAGRAMME N° 2

LES DEMANDEURS

GOUVERNEMENT ADMINISTRATION

Informations ENTREPRISES

PARLEMENT

être de même des diffusions (diagramme n° 2). Elles doivent varier en fréquence,

en contenu, en style et en forme et surtout être le reflet fidèle de l'ensemble

des statistiques disponibles : ce qui n'apparaît pas dans les publications a peu de

chance d'exister. La devise devrait être "produire pour publier". Pour la

profession, il devrait être anormal pour une Direction de' la statistique de ne pas

publier les résultats d'enquêtes ou de recensements, un bulletin de statistique

générale mensuellement et trimestriellement, un annuaire de statistique générale,

des comptes économiques annuels, des annuaires du commerce extérieur, des

finances publiques, des statistiques monétaires. Les moyens ne sont un obstacle

que lorsque ceux qui les attribuent estiment qu'ils seront mieux utilisés ailleurs ;

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il appartient donc au statisticien de convaincre de l'utilité et de la qualité de

son travail, c'est-à-dire de l'adéquation de sa production aux besoins de la

communauté.

La programmation

Que produire ? C'est la question à laquelle tente de répondre

l'élaboration d'une plate-forme minimale ; nous ne reviendrons donc pas en détail

sur ce sujet et nous renvoyons le lecteur à l'article d'H.P. CHARLOT. Nous

préciserons toutefois que les programmes retenus dépendent très largement du

profil du pays et que la nature des données est fixée par les cadres conceptuels

retenus. La production de statistiques véritables est un long processus que l'on

préférerait tranquille ; aussi, pour garder la maîtrise du développement est-il très

souhaitable (indispensable même), d'élaborer un Schéma Directeur de l'Information

Economique et Sociale ainsi qu'il l'avait été recommandé lors d'un séminaire du

Ministère de la Coopération tenu en septembre 19905.

Dans certains pays, un tel Schéma Directeur pourrait se donner pour

cible l'élaboration d'une future année de base des comptes économiques. En effet,

cet objectif imposerait de mettre en place progressivement :

- les nomenclatures et les cadres comptables adaptés au type

d'économie du pays ;

- un programme de formation de l'ensemble des personnels, basé sur

les éléments précédents ;

- les méthodologies et les instruments de la collecte : répertoires,

bases de sondage, équipes d'enquêteurs, questionnaires, etc. ;

- un programme général de production de statistiques, correctement

articulé et qui culmine avec l'élaboration de l'ensemble des statistiques retenues

pour l'année de base.

5 Voir le compte rendu publié par le Ministère de la Coopération et l'IIAP.

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L'organisation de l'institution

Le débat existe depuis longtemps entre institution centralisée ou

décentralisée. La décentralisation prend, nous semble-t-il, tout son intérêt lorsque

la taille de l'administration dans son ensemble rend difficile une supervision

centralisée de toutes les activités de la statistique. En attendant, et surtout tant

que le nombre de cadres statisticiens est insuffisant, il est préférable de

conserver une forte dose de centralisation ; la contrepartie est que les cadres

doivent faire preuve de suffisamment de dynamisme pour aller s'investir partout

où l'on peut trouver des données exploitables et aider les services à le faire ; il

faudrait pouvoir piloter à distance les quelques embryons de cellules statistiques

qui naissent spontanément (ce sont les futurs services statistiques des ministères).

Pour cela il faut montrer une incontestable compétence, c'est-à-dire prouver que

la statistique est une profession utile qui requiert formation supérieure spécifique

et expérience ; autrement le planificateur, l'économiste, l'agronome, le médecin,

l'ingénieur, l'administrateur, etc. se passent de statisticien, mais pas de données.

A l'intérieur de la Direction de la statistique on peut s'organiser par

fonction (enquêtes, informatique, synthèses, statistiques générales, diffusion, etc.)

ou par domaine de la statistique. En plus de la capacité à faire communiquer

entre eux des spécialistes de métiers différents, l'organisation par fonction

requiert une très forte synchronisation des programmes d'activités entre les

différentes fonctions, ce qui n'est pas vraiment le point fort des administrations

africaines. Il nous semble plus réaliste d'organiser par domaine en respectant un

premier découpage selon l'entité concernée et donc la source des données et

l'objet d'analyse : ménages - entreprises - administrations, et en ajoutant : les

échanges et prix, les finances publiques, le crédit et la monnaie, les synthèses

(comptes économiques, balance des paiements et comptabilité sociale). Chaque

domaine étant responsable de l'ensemble des activités depuis la collecte (sauf

pour les synthèses) jusqu'à la diffusion ; la coordination étant assurée par les

programmes pluriannuels et les cadres conceptuels qui sont de la responsabilité de

la Direction générale (voir diagramme n° 3 en annexe).

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La production des statistiques

Elle commence par le recueil de données que le travail du

statisticien transforme en statistiques. Les techniques sont enseignées dans les

écoles de statistique, mais plus que la technique c'est le bon sens, la

connaissance des cadres conceptuels, le sens de l'organisation et le

professionnalisme qui font la qualité de la production. Les sources sont connues :

individus (et ménages), entreprises et dossiers administratifs.

Concernant ces derniers, la marge de manoeuvre du statisticien est

étroite ; pour avoir une influence quelconque sur le processus il faut être

reconnu comme un interlocuteur valable par les administrations concernées et

connaître parfaitement ses dossiers. Mieux l'on connaît Son sujet moins on a de

difficultés à faire modifier une réglementation ou des procédures ; le savoir-faire

en matière de traitement des informations est souvent un excellent point

d'entrée ; l'appui des utilisateurs des statistiques est le plus souvent décisif.

Pour les ménages et les entreprises, l'enquête (y compris le

recensement) est le moyen privilégié de collecte d'information et l'instrument

indispensable est la base de sondage. Toute Direction de la statistique devrait

tenir en état une base de sondage pour les ménages et un répertoire des sociétés

et quasi-sociétés. Il n'y a aucun obstacle insurmontable, le plus difficile est de

garder ses dossiers en ordre. A partir de ces instruments essentiels, la conduite

d'enquêtes légères annuelles est aisée si l'on accepte de se limiter d'abord au

possible facile : enquêtes ménages sur les grands centres urbains, enquêtes auprès

des entreprises du secteur moderne. En plus du recueil de ces statistiques,

l'important est d'accumuler un savoir-faire et une crédibilité en vue de la

conduite d'opérations de plus grande envergure : recensements nationaux, enquêtes

en milieu rural ou sur le secteur informel.

Les hommes changent : il ne peut y avoir de pérennité des

productions si les procédures et les expériences ne sont pas documentées

systématiquement. C'est une complainte que l'on entend souvent en Afrique sans

que la situation semble s'améliorer. Si l'on en est là, c'est probablement parce

que l'on a pas encore vraiment réalisé que la solution n'est pas seulement dans le

comportement des individus mais aussi et surtout dans une organisation mise en

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- 90 -

place par l'institution avec des procédures explicitées et respectées à tous les

niveaux. Le premier pas consisterait à se convaincre que la non-organisation de

la circulation et de l'archivage des documents internes est une grave lacune

difficilement excusable et signe d'une méconnaissance de son métier. On produit

de la statistique depuis suffisamment longtemps pour que les quelques solutions

les mieux adaptées ne soient pas très difficiles à sélectionner, à promouvoir au

travers de l'action des coopérants, et à présenter dans les écoles de statistique.

La dynamique

Le problème que nous nous posons donc est celui de la dynamique de

l'institution nationale chargée de la statistique. Pour l'Afrique, il faut tout de

suite prendre en compte une particularité qui est que cette institution est peu

soumise aux pressions6 des décideurs locaux, peu habitués qu'ils sont à

l'évaluation quantitative et qu'elle est donc quasiment libre de son programme

d'activité. Les quelques économistes ont été formés à raisonner avec une batterie

de données que seuls les pays développés peuvent produire régulièrement ; ils

espèrent généralement trop de la Direction de la statistique et ne peuvent

qu'être frustrés de la pauvreté des informations disponibles. Les plus gros

demandeurs sont les organismes internationaux ou régionaux qui ne disposent pas

de moyens de contrainte même si ce sont souvent les principaux pourvoyeurs de

ressources. La conséquence quasi-inéluctable est une certaine tendance à tourner

sur soi-même et à perdre progressivement la mesure des besoins, exprimés ou non.

La motivation est donc pour l'essentiel interne et repose

exclusivement sur les épaules du Directeur. C'est à lui qu'il revient de lancer et

d'entretenir le mouvement ; ce ne sera possible que s'il a une idée claire de ce

que doit être le comportement général de l'institution qu'il dirige. Sa tâche sera

d'autant facilitée qu'il existe un consensus parmi ses pairs et les statisticiens qui

travaillent sous son autorité. Le respect d'un certain nombre de principes nous

semble essentiel :

6 Au sens de la pression des utilisateurs pour produire plus.

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les cadres d'analyse doivent être explicités et servir de référence

à tous les travaux des statisticiens ; le plus sûr est d'adapter

systématiquement les propositions du système des Nations Unies au

contexte africain ; la comptabilité nationale constitue tout

naturellement l'ossature principale dans le domaine économique ;

- la finalité de toute production de statistiques est de satisfaire un

besoin, exprimé ou non par les utilisateurs, et doit nécessairement

faire l'objet d'une diffusion ;

- les publications doivent être fréquentes, variées et de qualité :

elles sont la véritable concrétisation du travail du statisticien et

la réponse à l'attente des utilisateurs ; elles sont aussi le vecteur

de la promotion de l'usage de la statistique ;

- la production doit s'inscrire dans un programme pluriannuel

d'activité ayant fait l'objet d'un schéma directeur élaboré en

collaboration avec les utilisateurs ;

- la préparation de statistiques servant aux synthèses économiques

et sociales doit faire partie intégrante du programme des divisions

sectorielles ;

- les cadres statisticiens doivent se comporter en véritables

professionnels engageant leur responsabilité sur les résultats et la

qualité de leur travail, qui ne s'apprécient que par rapport aux

besoins des utilisateurs ;

- l'ensemble des procédures doivent être documentées et accessibles

en permanence ;

- le plus tôt possible, il faut constituer et entretenir une base de

sondage pour les enquêtes sur les ménages et un répertoire des

sociétés et quasi-sociétés afin de mener régulièrement les enquêtes

nécessaires à la production des statistiques non accessibles

autrement.

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La mécanique de base sous-jacente au fonctionnement de l'institution

statistique est alors particulièrement simple : les statistiques sont produites en

vue de compléter les divers cadres d'analyse statistique et elles sont

systématiquement publiées ; l'énergie nécessaire est celle des statisticiens ; la

qualité de cette énergie est liée à leur niveau de professionnalisme.

La statistique en Afrique et la Coopération française

Ce qui semble manquer à la statistique en Afrique francophone,

c'est une conception commune réaliste et cohérente des comportements et des

obligations de base de l'institution et de ses acteurs. Jusqu'à présent, et tout

naturellement, le modèle implicite de référence a été celui de l'INSEE. Il semble

temps de faire une synthèse des expériences, des succès et des échecs. L'INSEE,

la Coopération française et les statisticiens africains ont accumulé une

connaissance immense des conditions de la pratique du métier de statisticien en

Afrique ; il leur appartient, ensemble, d'arrêter une conception et des pratiques

cohérentes adaptées aux conditions de l'Afrique et de promouvoir une éthique de

la profession de statisticien, qui soit pour ce dernier un guide et une référence

pour apprécier ses propres performances7.

L'INSEE et la Coopération française ont une responsabilité

particulière ainsi qu'un rôle primordial à jouer car c'est surtout par eux que peut

se faire la promotion de ce modèle et de cette éthique ; les moyens d'action

sont nombreux : formation des statisticiens africains, pratiques des coopérants

statisticiens, conférences et séminaires organisés par l'INSEE, articles de

STATECO, ouvrages méthodologiques, échanges de vues avec les Directeurs de la

statistique, influence dans les organismes régionaux et internationaux, etc.. Le

NDLR : il faut cependant mentionner l'existence du "code de déontologie statistique" élaboré

par l'AIS (Association des Administrateurs de l'INSEE) et l'ASTEC (Association des

Statisticiens Economistes anciens élèves de l'ENSAE) en 1986, disponible auprès du secrétariat

de l'AIS (s'adresser à M. CAMUS à l'INSEE). De plus, l'Assemblée Générale de l'IIS (Institut

International de Statistique) a adopté le 21 août 1985 une déclaration sur l'éthique

professionnelle.

Par ailleurs, concernant la synthèse des expériences relatives aux pays en développement, le

groupe AMIRA a publié un certain nombre de documents sur différents sujets.

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plus difficile dans l'exercice de cette responsabilité est de savoir faire remarquer

clairement et sans complaisance les manquements aux règles généralement

acceptées par la profession ; par contre, plus ces règles sont connues, y compris

des utilisateurs et des décideurs, moins ces rappels sont nécessaires.

Plus concrètement, il serait souhaitable d'arrêter des

recommandations précises concernant :

les cadres conceptuels adaptés à la statistique africaine ;

la nature et la fréquence des publications que toute Direction de

la statistique se doit de produire ;

le contenu minimal de ces publications (en liaison avec la

plate-forme minimale de production statistique) ;

les standards de qualité de l'information statistique ;

l'élaboration de schémas directeurs de l'information économique et

sociale ;

la législation en matière de statistique et les phases de l'évolution

à long terme de l'architecture du système national d'information

statistique ;

les instruments de collecte à créer : bases de sondage et

répertoires ;

la répartition des activités au sein d'une direction ;

l'organisation de la circulation et de l'archivage des documents ;

un code d'éthique professionnelle.

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ANNEXE

DIAGRAMME N° 3

STRUCTURE INTERNE D'UNE DIRECTION DE LA STATISTIQUE

DIRECTION

Secrétariat

Reprographie

Répertoire Entreprises

SYNTHESES

Comptes Economiques

Balance des paiements

Comptabilité sociale

POPULATION CONDITIONS

de VIE

Démographie

Conditions de vie

Enquêtes ménages

PRODUCTION MARCHANDE

Agriculture

Mines Industries

BTP

Transports

Services aux entreprises

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I ECHANGES et PRIX

Commerce Rest. Hôtels

Commerce Extérieur

Indices de prix

PRODUCTION non

MARCHANDE

Education

Santé

Autres

FINANCES MONNAIE CREDIT

Finances publiques

Monnaie Crédit

Chaque Division est autonome en matière de moyens de collecte et de traitement des données recueillies ; elle est responsable de la préparation des maquettes des parties de publications concernant son domaine ; elle prépare les réponses aux demandes de statistiques concernant son domaine ; elle assure une bonne conservation de la documentation technique de son domaine.

Les divisions autres que celle des Synthèses fournissent à cette dernière les statistiques disponibles de leur domaine.

Les concepts, les méthodes, les programmes et le contenu des publications sont arrêtées par la Direction sur proposition des responsables des divisions.

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DIAGRAMME N° 3 (suite)

STRUCTURE D'UNE DIVISION DE PRODUCTION (décomposée en Mission-But-Activités-Fonctions)

Développer les Statistiques du domaine dans le cadre des directives générales

Diffuser les Statistiques du Domaine

Elaborer Conduire Diffuser Arrêter Piloter les des les les les

Statistiques courantes

Enquêtes Statistiques méthodes et

concepts

activités

.Améliorer .Préparer .Demandes .Étudier .Suivre

.Recueillir .Collecter .Publications .Proposer .Évaluer

.Traiter .Exploiter .Autres média .Documenter .Proposer

.Archiver .Archiver .Etude des

besoins

.Former .Programmer

.Propositions

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POPULATION ET DEVELOPPEMENT :

VERS UNE RELANCE DE LA COOPERATION FRANCAISE

par Jacques SCHWARTZ1

En septembre 1991 s'est tenue à Paris une conférence internationale

sur le thème "Développement et croissance démographique rapide ; regard sur

l'avenir de l'Afrique". Si cette conférence a été perçue comme marquant le

retour de la France sur la scène de la coopération en matière de population, elle

ne constitue en fait qu'une étape d'un programme commencé dès 1988.

LES RAISONS D'UNE ECLIPSE

Au moment des indépendances des anciennes colonies françaises

d'Afrique, la population et la démographie ne constituaient pas un domaine

particulier d'intervention de la coopération française. La priorité qui était d'aider

les nouveaux Etats à se doter d'une administration autonome efficace concernait

évidemment l'appareil statistique, dont les enquêtes démographiques, mais pas les

programmes de population au sens que leur donnaient les organisations

internationales.

Ces organisations internationales ont été très tôt préoccupées par la

croissance démographique exceptionnellement rapide de certains pays du Tiers

Monde, en particulier ceux d'Asie (Chine, Inde) et d'Amérique Latine. Les grands

programmes de population lancés dès les années soixante avec l'appui financier

des pays anglo-saxons ont visé explicitement la limitation de cette croissance.

1 Jacques SCHWARTZ est chargé de mission au Ministère de la Coopération et du Développement.

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Concernant l'Afrique, la croissance démographique rapide

n'apparaissait pas la première préoccupation. Tout d'abord parce qu'en 1960, le

continent africain était considéré comme sous-peuplé, ce qui était vrai à quelques

exceptions géographiques très localisées près (basse vallée du Nil, vallée du Rift).

Une certaine expansion démographique, sorte de rattrapage censé compenser les

pertes de l'époque de la traite esclavagiste et de la colonisation, était même

souhaitée par les responsables politiques des Etats nouvellement indépendants.

Cette position était parfaitement explicable, tant pour des raisons

économiques (dans des économies basées sur une agriculture extensive, une force

de travail familiale nombreuse représente un atout aussi longtemps que des

nouvelles terres peuvent être mises en valeur), militaro-politiques (une population

nombreuse est une façon d'affirmer sa jeune nation, ou son ethnie, vis-à-vis des

voisins), culturelles (une descendance importante est source de prestige et de

richesse) que juridiques (la loi française de 1920)2. On ne s'étonnera pas, dans

ces conditions, du peu de succès qu'ont connu les programmes de contrôle des

naissances régulièrement proposés par certains bailleurs de fonds.

Face à une demande inexistante en matière de planification familiale

de ses partenaires privilégiés, la Coopération française était de même peu

disposée à se lancer dans une politique de l'offre. N'oublions pas en effet que les

lois Neuwirth et Weil, autorisant en France respectivement la contraception et

l'avortement, ne datent que de 1967 et 1975. De plus, en France, le débat se

situe autour du vieillissement de la population et de la dénatalité. Il apparaissait

délicat dans ce contexte aux responsables politiques français, de prôner à

l'extérieur une politique de population inverse de celle pratiquée chez soi.

Ceci explique en grande partie pourquoi la coopération française n'a

que très peu répondu aux sollicitations du FNUAP pour le financement de ses

programmes au cours des décennies 70 et 80. Cette réserve concernait même la

collecte statistique basée sur des recensements exhaustifs de population tels que

les concevait le FNUAP.

2 Cette loi aggravant la pénalisation de l'avortement et interdisant toute forme de publicité

pour la contraception avait été votée en France dans le contexte de l'immédiat après première

guerre mondiale, après la formidable saignée démographique entra1née par celle-ci. Outre la

métropole, elle s'appliquait à l'ensemble des colonies françaises.

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Un effort de coopération bilatérale était cependant maintenu au

travers du Groupe de démographie africaine (devenu en 1983 Groupe de

démographie du développement), principalement par l'ORSTOM et l'INSEE, effort

concentré sur les méthodes de collecte (autres que les recensements) et sur la

recherche. Mais faute d'être au service d'une politique clairement affichée, cette

recherche s'est progressivement arrêtée. Elle subissait de plus de plein fouet la

crise de la planification, son principal "client", dès le milieu des années 70.

Après la conférence mondiale sur la population de Mexico en 1984,

il est apparu évident que les questions de population liées à la contrainte

environnementale allaient devenir un enjeu majeur du débat Nord-Sud. Mais afin

d'éviter que ce débat ne tourne à l'affrontement comme ce fut le cas lors de la

conférence de Bucarest3 en 1974, il convient de permettre que se maintienne un

dialogue entre responsables politiques, spécialistes et acteurs du développement, du Nord comme du Sud.

La conférence de Paris offre un bon exemple de l'approche que la

France souhaite adopter sur cette question délicate de la population.

DEVELOPPEMENT ET CROISSANCE DEMOGRAPHIQUE RAPIDE Bilan de la conférence de septembre 1991.

Lancée à l'initiative de la France et de la division de la population

des Nations Unies, la conférence a permis à des responsables politiques africains,

des scientifiques (démographes, sociologues), des acteurs de terrain (chefs de

projets de développement, responsables d'ONG) de dialoguer avec leurs homologues

du Nord, dont les organisations internationales spécialisées (FNUAP, Banque

3 Lors de la conférence de Bucarest, la première du genre où les délégations ne se sont pas

réduites aux seuls techniciens, les pays interventionnistes, partisans du contrôle

démographique et de la limitation des naissances, emmenés par les Etats-Unis, se sont affronté

aux pays "natalistes", avec en pointe la Chine et l'Algérie, qui refusaient cette approche et

lui opposaient la priorité au développement économique (et "la meilleure pilule, c'est le

développement").

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mondiale, Coalition mondiale pour l'Afrique4, en dehors de tout dogmatisme et de

tout enjeu de financement.

Le diagnostic, sur lequel un consensus existe, est que l'Afrique

connatt une situation exceptionnelle et paradoxale.

Exceptionnel est le taux de croissance de la population (3,1 % par

an au cours de la précédente décennie, soit un doublement tous les 23 ans).

Aucun précédent historique n'est connu : les taux les plus forts enregistrés en

Europe lors de la Révolution industrielle ne dépassaient pas 1,5 % et l'émigration

vers l'Amérique servait alors de régulateur ; les taux de croissance des pays

d'Asie après la deuxième guerre mondiale se situaient autour de 2 %. En se

prolongeant depuis maintenant plus de trois décennies, cette forte croissance a

acquis une inertie telle que tout hypothétique ralentissement à venir sera lent et

peu perceptible à ses débuts.

Paradoxale est la situation d'un continent où des zones surpeuplées

aux densités asiatiques voisinent avec des régions quasiment. vides. La population

y est plus rurale qu'ailleurs, mais le rythme auquel se produit l'urbanisation n'a

pas de précédent.

Six tables rondes, portant sur les politiques agricoles, la formation

et l'emploi, l'urbanisation, les migrations internationales, la santé et les

différentes formes de solidarité, ont permis d'examiner les conséquences

sectorielles de cette croissance démographique rapide5.

4 La Coalition mondiale pour l'Afrique est un forum politique de haut niveau créé à l'occasion

de la conférence internationale sur l'Afrique de Maastricht (Pays Bas) de juillet 1990: Ce

forum, dont les participants sont à la fois des nations et des institutions africaines et la

communauté des pays donateurs, se veut un mécanisme visant à développer, à l'échelle

internationale, consensus et action là où ils font actuellement défaut.

5 Les actes de la conférence doivent sortir prochainement dans les collections de l'INED.

D'ores et déjà, une vidéo-cassette de 29 minutes, présentant la problématique de la conférence

et pouvant servir de document introductif à des débats, peut être prêtée par les missions

françaises de coopération et d'action culturelle ("Regard sur la démographie africaine").

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En fait, comme l'ont montré les débats, la crise économique et les

solutions préconisées par les bailleurs de fonds -l'ajustement structurel- se

conjuguent avec cette croissance démographique pour assombrir les perspectives à court et moyen terme.

La table ronde finale sur les politiques de population a, quant à

elle, montré qu'au delà des convergences sur le diagnostic, les attitudes réflexes

restent encore vives et que toute action extérieure qui se voudrait trop

volontariste risque en fait de s'avérer contreproductive. Si les responsables

politiques africains, aux prises avec une crise économique qui dure et qui rend

quasiment impossible l'entrée des jeunes sur le marché du travail, ont bien le

sentiment diffus que ces difficultés économiques et sociales seraient plus faciles

à gérer avec un taux de croissance démographique un peu moins élevé, ils ne

sont pas prêts à se lancer dans des programmes systématiques de planification

familiale. D'autant que les bailleurs de fonds principaux du secteur (USAID,

FNUAP et Banque mondiale) n'ont pas beaucoup de références africaines à

exhiber. Les quelques "success stories" sont soit trop marginales (Maurice,

Botswana, Zimbabwe), soit sujettes à caution (Kenya) pour pouvoir être

généralisées telles quelles à l'ensemble du continent. Sans atteindre la virulence

des affrontements de Bucarest en 1974, les débats n'en sont pas moins vifs entre

partisans d'une concentration des moyens sur la planification familiale et

dirigeants africains, en particulier les responsables de la santé, de l'éducation et

de la solidarité, aux prises quotidiennes avec les conséquences sociales de

l'ajustement. Le risque est encore grand que les recommandations formulées par

les plus importants bailleurs de fonds potentiels du continent ne se transforment

en une conditionnalité démographique, ou, nouvel avatar du discours malthusien,

en une "conditionnalité verte" lorsqu'il s'agit d'environnement.

DES AXES POUR DE FUTURES INTERVENTIONS DE LA COOPERATION FRANCAISE

Concernant un sujet aussi délicat que celui de la population, il ne

peut être question de laisser aux seuls techniciens la responsabilité de définir et

de mettre en oeuvre les programmes. L'ensemble de la société doit se sentir

concerné et cela est d'autant plus nécessaire en Afrique que, dans le cadre du

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processus de démocratisation en cours, la tentation est forte, pour les

responsables des nouveaux partis, de rejeter systématiquement et globalement ce

qui avait été fait par les précédents gouvernements, y compris les politiques de population moins timides qu'ils avaient fini par adopter.

C'est cette même préoccupation qui a conduit les départements

ministériels français concernés (Affaires étrangères, Coopération et

Développement, Affaires sociales et Intégration) à demander l'avis du Haut

Conseil de la Population et de la Famille, organe consultatif placé sous la

présidence du Président de la République. Les principes (mondialisation et

solidarité, respect de la souveraineté des Etats, prise en compte de la

démographie dans l'élaboration des politiques de développement, dépassement de la

seule planification familiale), objectifs (porter l'action de la Coopération française

à un niveau comparable à celui de ses partenaires occidentaux et en cohérence

avec son effort global d'aide) et recommandations (sur les domaines d'intervention

et sur les aspects institutionnels) contenus dans le rapport du Haut Conseil

orienteront les actions de la coopération française dans le domaine au cours des

prochaines années.

Les thèmes prioritaires de ces futures interventions devraient concerner :

- l'appui à la définition des politiques de population. Il répond aux demandes des gouvernements africains qui ne

souhaitent pas avoir comme seuls interlocuteurs des organismes internationaux

dont le prosélytisme en faveur de la planification familiale est mal accepté. Cet

appui doit contribuer à permettre à nos partenaires de définir en toute

indépendance et en toute connaissance de cause leur propre position et de faire

de la question de la population un élément du débat démocratique. Ceci suppose

que les responsables politiques soient informés objectivement, et en particulier

par des experts nationaux, de la situation démographique de leurs pays et des

conséquences de son évolution en matière d'éducation, d'emploi, de santé,

d'urbanisme. Ceci nécessite de poursuivre la formation des experts nationaux et

de leur donner les moyens de travailler en toute indépendance (mais pas de façon

isolée) et de diffuser des messages par les media appropriés.

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Afin que le débat sur la population ne soit pas confisqué par les

seuls décideurs et experts, les intéressés, en particulier les femmes, doivent être

informés et avoir les moyens d'exprimer leur point de vue, au travers de relais

(associations, ONG, collectivités locales) qui restent à identifier. Le contexte

actuel de démocratisation en cours en Afrique et la préparation de la conférence

mondiale de la population de 1994 offrent l'opportunité de lancer de tels débats

nationaux, par exemple en organisant localement des débats dans l'esprit de la

conférence de Paris.

- la compréhension du contexte socio-culturel en matière de

fécondité et de contraception, préalable indispensable à toute action dans le

domaine de l'IEC (information, éducation, communication).

Les positions techniquement les plus justes peuvent être rejetées si

les intéressés ont l'impression qu'on cherche à les leur imposer. Il y a donc un

besoin d'information et d'appropriation qui concerne les responsables politiques,

les planificateurs, les personnels de santé, les familles.

La compréhension et la prise en compte des opinions et attitudes

vis-à-vis de la fécondité et de la contraception, au confluent de l'économie, de

la sociologie, de l'ethnologie et de la psychologie, est un préalable à toute

action. Leur méconnaissance explique en partie l'échec de la politique de l'offre

jusqu'à présent pratiquée. Les recherches en sciences humaines, en partenariat

entre chercheurs français et africains, devront contribuer à l'élaboration locale

des messages destinés à ces différentes populations : séminaires et colloques pour

responsables politiques ; cours de démographie intégrés aux cursus universitaires

pour techniciens du développement ; modules techniques pour les personnels de

santé ; information de masse (expositions, vidéos, théâtre) pour la population

féminine et les familles ; manuels et programmes scolaires pour les jeunes filles

scolarisées. Les messages devront s'appuyer sur les résultats déjà connus mais

aussi sur des travaux qui devront être poursuivis, portant sur la relation entre

statut des femmes, évolution des structures familiales et fécondité.

Ces actions d'éducation globale débordent, bien qu'elles y soient

liées, les seuls programmes d'information sur la santé mère-enfant ou de

prévention des MST, mais peuvent, opportunément, en utiliser les vecteurs, en

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particulier les structures de lutte contre les grandes endémies ainsi que les

campagnes d'alphabétisation fonctionnelle ciblées sur les femmes.

- l'amélioration de la connaissance de la situation démographique réelle.

Toute politique de population doit s'appuyer sur une bonne

connaissance de la situation démographique. De même, la compréhension des

phénomènes démographiques nécessite des données de base de bonne qualité.

Même si d'incontestables progrès ont été réalisés depuis les années 60, beaucoup

de chiffres, pourtant régulièrement repris sans précaution, manquent de fiabilité.

Les premiers résultats récemment divulgués du recensement du Nigeria, faisant

état de 89 millions d'habitants là où on en annonçait plus de 100, montrent que

des surprises sont encore à attendre. L'effort, aussi bien sur les opérations de

collecte que sur celles d'analyse, doit donc être poursuivi. Mais il convient de

s'interroger sur le dispositif le mieux adapté compte tenu de l'expérience

accumulée depuis trente ans.

Jusqu'à présent, le débat entre partisans de méthodes exhaustives

(pour simplifier les recensements) et partisans de méthodes plus légères (par

sondage ou indirectes comme l'état civil) s'affrontaient plus à coup d'arguments

théoriques que sur la base de résultats. Et celui qui l'emportait était en fait

celui capable de proposer un financement en même temps que la méthodologie. Il

est peut-être temps de mener une réflexion évaluative sur les dispositifs de

collecte afin de mesurer ceux qui présentent le meilleur rapport efficacité/coût,

en prenant en compte les résultats démographiques, mais aussi l'utilisation en aval

qui en est faite.

Il convient aussi de se demander ce qui devra continuer d'être mené

au niveau central et ce qui peut être délégué dans le cadre du renforcement des

pouvoirs des collectivités locales et du développement des institutions

démocratiques : établissement des listes électorales, relance de l'état-civil,

enquêtes spécialisées sur initiative locale, observatoires nationaux et régionaux de

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- 105 -

la population6 .

Deux thèmes particuliers doivent retenir l'attention : ce sont les

phénomènes migratoires et l'évolution de la mortalité.

Les phénomènes migratoires, qu'il s'agisse des migrations campagne-

ville (et des migrations de retour), de l'urbanisation, des migrations intra-

continentales, pour raison économique ou de conflits armés, ou des migrations

Sud-Nord, continueront de jouer un rôle déterminant dans la résorption des

déséquilibres démographiques. Une connaissance objective de ces phénomènes est

nécessaire pour éviter les dérives passionnelles sur ces questions. Les travaux

commencés avec les institutions régionales partenaires sont en conséquence

appelés à prendre plus d'ampleur. Il faudra en particulier comprendre comment

l'urbanisation influence la fécondité. Si, comme certains le postulent,

l'urbanisation entraîne à elle seule une baisse significative de la fécondité, une

réorientation de l'aide en faveur du monde urbain pourrait avoir comme effet

externe la relaxation démographique espérée. Cette hypothèse mérite pour le

moins d'être examinée.

De nombreuses incertitudes existent aussi sur l'évolution à venir de

la mortalité. Si les réductions spectaculaires des taux de mortalité enregistrées

ces dernières décennies sont dues principalement aux campagnes de vaccination et

doivent donc être considérées comme importées, la situation économique et

sanitaire actuelle de l'Afrique inquiète et l'on doit s'interroger sur les risques de

reprise de la mortalité. On pense évidemment à l'épidémie de Sida dont on doit

se demander quelles en seront les conséquences démographiques réelles, mais aussi

à la résurgence du paludisme, des maladies infectieuses et de toutes les maladies

liées à la dégradation de l'environnement. Les observatoires de la population

mentionnés plus haut devront pouvoir donner aux responsables politiques, avec le

moins de délais possible, une description de l'évolution de cette variable.

6 Le terme d'observatoire n'est peut-être pas le plus approprié. Il ne s'agit pas de mettre

les pays africains et leur population sous observation ou surveillance mais de doter ceux-ci

de structures qui leur permettent eux-mêmes d'apprécier leur situation réelle.

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Dans ce dispositif, le CEPED (groupement d'intérêt scientifique créé

en 1988 qui mobilise les compétences de l'ORSTOM, de l'INED, de l'INSEE et de

l'Université dans le domaine) aura un rôle majeur à jouer. Il devra à la fois

éclairer cette nouvelle politique en réalisant les travaux d'études et de recherche

nécessaires et mobiliser les différents partenaires, tant au Nord qu'au Sud. Parmi

ceux-ci figureront les institutions avec lesquelles le CEPED a démarré des

recherches communes sur les secteurs jugés prioritaires (migrations, modification

des comportements démographiques familiaux, économie de la santé) : le CERPOD de Bamako pour l'Afrique de l'Ouest, l'IFORD de Yaoundé pour l'Afrique

centrale, les instituts universitaires nationaux et les centres de formation régionaux.

s

*

Bibliographie récente sommaire

Rapport du Haut Conseil de la Population et de la Famille : "La coopération française avec le Tiers Monde en matière de population". La Documentation Française, 1991

Politique Africaine, décembre 1991 : "Politiques de population"

Afrique contemporaine, février 1992 : "L'environnement"

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NOTE DE LECTURE

Mamadou KOULIBALY

LE LIBERALISME : NOUVEAU DEPART POUR L'AFRIQUE NOIRE

L'Harmattan, Paris, Collection Afrique 2000, janvier 1992

par Marie-France JARRET1

Le "libertarien"2 n'est plus une espèce typiquement américaine.

Comme l'Amérique du début des années 70, l'Afrique est aujourd'hui

en proie à une remise en cause de ses institutions. Et comme Robert NOZICK en

son temps, Mamadou KOULIBALY ambitionne de redéfinir les prérogatives de

l'Etat minimal ; les conditions du "nouveau départ pour l'Afrique noire" pouvant

apparaître comme autant d'utopies.

Ne dit-il pas lui-même : "Nous avons voulu explorer une facette de

l'histoire, celle qui ne s'est pas encore réalisée, qui fait partie du champ des

histoires possibles de l'Afrique" (p. 202).

Mais la ressemblance s'arrête là ; la réflexion est plus "sage".

L'Afrique n'a pas besoin d'anarchie. D'ailleurs NOZICK ne figure pas dans la

1 Marie-France JARRET est mattre de conférences à la faculté de droit et de sciences

économiques du Mans.

2 Par référence à : Robert NOZICK : Anarchie, Etat et Utopie (1973), traduction française :

Seuil, collection "Empreintes", 1987.

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bibliographie de l'ouvrage. Pas plus que HOBBES3, et pourtant "le Léviathan se

manifeste par la présence d'un Etat omniprésent" (p. 173).

A la fois présent et absent, tel est pour l'auteur le dilemme

fondamental posé par l'Etat en Afrique. Immoral par essence, trop longtemps

compris comme le fait d'une décision divine donnant aux princes une puissance

indiscutée, l'Etat ne procède en fait que d'un acte de volonté des individus, d'un

contrat passé entre eux, et ne doit servir qu'à garantir les libertés.

Cependant, même si les références à F.A. HAYEK sont nombreuses,

l'auteur ne semble pas suivre l'économiste autrichien dans son libéralisme radical,

qui voit dans toute intervention de l'Etat, quelle qu'elle soit, une "erreur

fondarnentale"4. Pour M. KOULIBALY "Le devoir de l'Etat dans une optique

libérale est de respecter et assurer les droits des personnes... L'Etat est chargé

d'assurer la réalisation des principes de la société..." (p. 132).

Cette filiation philosophique est essentielle, et l'intérêt fondamental

de l'ouvrage est bien là : relier, dans l'analyse du sous-développement de

l'Afrique, l'éthique à la politique. Il remonte à l'individu, d'où procèdent à la fois

la démocratie (la souveraineté n'est légitime que fondée sur le consentement de

chacun) et le libéralisme (dont) "une vertu essentielle provient du fait qu'il

permet aux individus de développer de nouvelles formes de contrats et de

coopération" (p. 198) et qui "doit redonner confiance aux Africains" (p. 202).

La lecture de l'ouvrage est compliquée par l'abondance des axes de

recherche (la monnaie, la politique et en particulier le rôle du parti unique en

Afrique, la place du développement industriel dans le processus de développement

économique...), dont la compatibilité n'est pas évidente. Même si l'auteur tente de

nous fournir un fil conducteur : les droits de propriété, sans lesquels l'initiative

individuelle, et donc la concurrence sont impossibles. "Le sous-développement

c'est l'imprécision des droits de propriété" (p. 26).

3 Thomas HOBBES : Léviathan (1651), traduction française : Plon, 1981.

4 Bernard MANIN : Le libéralisme radical de F.A. HAYEK, Commentaires, Julliard, 1983.

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L'ouvrage s'articule autour de trois parties, dont l'objet est

"l'analyse économique des institutions économiques et politiques en Afrique".

Institutions monétaires tout d'abord. Dépendance ou stabilité monétaire en Afrique : cas de la zone franc, la première partie se présente très classiquement en deux chapitres.

- Le premier rappelle les mécanismes de base et les principes de

fonctionnement de la zone franc, et ses conséquences, en particulier en termes

de politiques monétaires nationales.

- Après avoir conclu sur les "difficultés" (p. 50...), les "coûts de la

gestion du change fixe" (p. 56...), et les risques d'éclatement d'un système qui

"encourage la propension des Etats africains à vivre...au-dessus de leurs moyens"

(p. 20), l'auteur s'interroge dans le second chapitre sur les perspectives pour les

pays africains de la zone franc. L'originalité de la réponse proposée, par rapport

aux différents projets de réforme de la zone franc, est de se situer dans le

cadre de la théorie de la concurrence monétaire qui "procurerait ainsi un

véritable système de discipline capable de sanctionner les mauvaises banques

centrales..." (p. 88).

Trois chapitres constituent la seconde partie consacrée aux

institutions politiques du développement économique ; partie essentielle dans le

schéma de raisonnement de M. KOULIBALY, puisque "le sous-développement des

pays africains est un problème politique" (p. 109).

- Un premier chapitre permet de rappeler de façon concise les

théories académiques du sous-développement, et de montrer comment elles

intègrent (ou non) la dimension politique. Le constat, on s'en doute, n'est pas

satisfaisant. Il ne saurait en être autrement puisque, quel que soit le courant

auquel elles se rattachent, les différentes écoles s'intéressent beaucoup plus aux

politiques économiques à mettre -ou mises- en oeuvre, qu'à leur artisan : l'Etat

(legs de la colonisation ou Etat révolutionnaire et nationaliste, mais toujours

considéré comme une variable exogène, et dont le monopole sur la gestion de

l'économie n'est pas discuté) ; évitant ainsi ce qui est fondamental pour

l'auteur : une analyse économique des processus politiques.

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- Les conditions d'une bonne gestion de l'économie, autrement dit

pour M. KOULIBALY, la concurrence sur le marché politique, font l'objet du

second chapitre. Si l'Etat en Afrique dispose du monopole d'intervention dans la

vie économique, sociale et culturelle, c'est qu'il est avant tout le détenteur du

monopole de la production de politique. Or, "la structure des institutions

politiques explique l'échec des institutions économiques (p. 166). Il ne s'agit pas,

pour l'auteur, de construire une nouvelle catégorie de la théorie du sous-

développement avec ses concepts et ses instruments propres, mais de montrer que

l'on peut, sous certaines conditions, appliquer les outils de l'analyse du "public

choice" (J. BUCHANAN, G. TULLOCK) à l'Afrique contemporaine.

- L'approche est ambitieuse et ne manquera pas de choquer ceux

pour qui le concept de concurrence, par la rationalité de comportement qu'il

suppose, ne peut être significatif que dans une société occidentale, et en aucun

cas dans des sociétés encore largement déterminées par le poids des traditions,

divisées en nombreuses ethnies ou tribus,... "Arguments utilisés contre la

concurrence politique en Afrique" et que l'auteur réfute dans le troisième

chapitre.

Même si "la concurrence du marché politique ne signifie pas

simplement la multiplication des partis" (p. 125), le système du parti unique ne

peut être reconnu comme la seule solution possible pour les pays sous développés5 .

Ne serait-ce qu'au vu du bilan désastreux de nombreuses années de gestion

monopolistique. La firme politique confisque l'ensemble des pouvoirs, en

particulier celui de la gestion de l'Etat, au nom d'un soi-disant intérêt général

qui n'est pas, en tous cas, le résultat de la révélation des préférences des citoyens.

Une fois encore la concurrence, par la discipline naturelle qu'elle

impose, apparaît comme le seul cadre possible d'une bonne gestion. Et la

concurrence sur le marché politique est la condition essentielle de la concurrence

sur les marchés économiques.

5 Le terme pays sous-développé est employé à dessein par l'auteur.

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La troisième partie présente à la fois la synthèse du raisonnement

conduit jusque là, et son illustration au travers d'un exemple très concret : le rôle des droits de propriété et le développement industriel de l'Afrique. Quelles

institutions économiques pour l'Afrique ?

- Se basant sur les conditions historiques du démarrage industriel en

Angleterre, aux Etats-Unis et au Japon, l'objectif de l'auteur, dans un premier

chapitre, est de "démontrer" (p. 182) que "les droits de propriété privée ont été

la cause fondamentale de la révolution industrielle" (p. 184), et que, même si l'on

a à faire à un Etat fort, il est alors "éclairé" (p. 182).

- La conclusion concernant l'Afrique sous-développée suit logiquement

dans le second chapitre : tant que les droits de propriété ne seront pas

"précisés", c'est-à-dire en fait, tant que la propriété privée ne sera pas reconnue

et institutionnalisée, aucun décollage ne sera possible.

Tant que les conditions de l'initiative,

responsabilité individuelles ne seront pas établies, que

ne pourra pas jouer librement, les étapes du processus

du développement agricole à l'industrialisation, et

économique, ne pourront être franchies.

de la liberté et de la

la concurrence des firmes

d'accumulation qui mènent

donc au développement

L'approche est indiscutablement originale et a le mérite de trancher

avec "l'afro-pessimisme" ambiant ; même si elles apparaissent aujourd'hui

utopiques, les conditions d'un (nouveau ?) départ pour l'Afrique existeraient

quelque part. M. KOULIBALY fait ici une véritable profession de foi dans le

libéralisme. Sa démonstration est tout autant soutenue par une parfaite

connaissance des développements récents de la théorie économique, que par la

force de ses convictions martelées tout au long de l'ouvrage.

Sa volonté de convaincre le lecteur, par une présentation "logique"

de toutes les vertus de la concurrence, le conduit cependant à des simplifications

abusives de la réalité, aussi bien dans ses réflexions sur les droits de l'homme et

les droits de propriété que dans la généralisation de son approche de l'Afrique

occidentale à l'ensemble de l'Afrique, voire à l'ensemble des pays sous-développés.

Sur un plan plus formel, la densité de l'analyse aurait nécessité une écriture

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beaucoup plus rigoureuse ; elle risque de ne pas être appréciée à sa juste valeur,

tant la lecture est rendue inutilement difficile. On regrettera d'autre part des

imprécisions, voire des erreurs dans la bibliographie, qui en limitent l'utilisation immédiate.

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