insitu-6989-14-restauration-de-la-statue-de-henri-iv.pdf

In Situ14 (2010)Le cavalier du Pont-Neuf: histoire, restauration et secrets de la statue questre de HenriIV

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Stphanie Celle et Carlo Usai

Restauration de la statue de HenriIV................................................................................................................................................................................................................................................................................................

AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales dvelopp par le Clo, Centre pour l'ditionlectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Rfrence lectroniqueStphanie Celle et Carlo Usai, Restauration de la statue de HenriIV, In Situ [En ligne], 14|2010, mis en ligne le10 avril 2012, consult le 12 avril 2015. URL: http://insitu.revues.org/6989; DOI: 10.4000/insitu.6989

diteur : Ministre de la culture et de la communication, direction gnrale des patrimoineshttp://insitu.revues.orghttp://www.revues.org

Document accessible en ligne sur :http://insitu.revues.org/6989Document gnr automatiquement le 12 avril 2015. Tous droits rservs

Restauration de la statue de HenriIV 2

In Situ, 14 | 2010

Stphanie Celle et Carlo Usai

Restauration de la statue de HenriIVIntroduction

1 Le Service Dpartemental de lArchitecture et du Patrimoine de Paris (SDAP) assure lestravaux dentretien dun certain nombre de monuments classs appartenant ltat dont troisstatues familires aux Parisiens: la statue de Jeanne dArc situe Place de Pyramide, la statuede LouisXIV place au centre de la Place des Victoires et la statue de HenriIV dominant lesquare du Vert Galant sur le Pont Neuf.

2 Dans la continuit des oprations prcdentes sur les statues de Jeanne dArc et de LouisXIV,fut ralise lautomne 2004 la restauration de la statue en bronze de HenriIV et de son socleen marbre. Ces travaux ont t effectus sous la matrise douvrage de la Direction rgionaledes affaires culturelles dle-de-France et en collaboration avec le Laboratoire de recherchedes monuments historiques.

3 Cette intervention tait importante parce que les recherches archivistiques prparatoires ontpermis de penser quil sagissait de la premire opration densemble depuis la cration deluvre. On allait pouvoir observer de prs et dune faon exhaustive la statue pour recueillirdes informations sur son mode dlaboration et sur son histoire.

4 Ce type de travaux peut tre confi un fondeur et le mode dintervention consistera alors enune rfection neuf de la patine chaud comme il fut fait lors de la cration de statue et enson ultime tape. Mais il fut propos de sinscrire dans le droit fil de la philosophie de CesareBrandi qui a dfini la patine comme partie intgrante de luvre et comme lment tmoignantde lhistoire singulire dun objet et plus prcisment, de sa surface.

5 Lobjectif de la restauration tait donc de respecter la patine naturelle du bronze ; surfacecertes altre au cours du temps mais authentique. Dans le but de prserver cette authenticitde luvre, il tait indispensable de procder une analyse fine de ltat de la surface afin dedgager lensemble des enjeux de lintervention et de dfinir un protocole adquat permettantde rpondre aux diffrents problmes tout en conservant la patine naturelle.

6 Ce chantier offrait galement une occasion rare pour explorer lintrieur de la statue. Cetteeffigie du Bon Roi fut restitue sous la Restauration. Divers crits parlaient de documentsdposs dans lantre en bronze lors de la crmonie officielle dinauguration du monument.

Travaux prparatoires7 Les travaux prparatoires la restauration ont permis dnoncer les enjeux multiples de

lintervention; enjeux explicits dans le cahier des charges adress aux entreprises qualifieslors de lappel doffre. Ces enjeux dcoulent dune comprhension de ladquation entre lematriau dont est constitue la statue et le milieu environnant dans lequel elle est situe.


In Situ, 14 | 2010

Figure 1

tat des surfaces de la statue avant la restaurationPhot. C. Usa, 2004

8 La statue est en bronze, il sagit prcisment dun alliage form de quatre mtaux dans lesproportions suivantes: cuivre 84%, tain 3,5%, plomb 5,5% et zinc 4,9%. Le bronze estun corps instable qui va forcment chercher se modifier en surface pour adopter un tatminral plus stable, et le caractre de cette mutation est fonction de lenvironnement et deses composantes physico-chimiques. La transformation de la surface du bronze est donc unevolution inluctable dont la nature et laspect dpendent du milieu; elle aboutit la formationde la patine naturelle du bronze, plus ou moins stable selon les cas (fig. n1).Figure 2

tat des surfaces de la statue aprs la restaurationPhot. C. Usa, 2004

9 Dans un contexte exempt de pollution, les bronzes adoptent une patine dont la forme chimiquetend vers le cristal de malachite, couche compacte qui protge le mtal. Cette couche confreune tonalit vert-sombre. Et cette tonalit reste la rfrence culturelle pour les uvres ralisesdans ce noble alliage (fig. n2). Cet aspect de surface ne peut pas tre le rsultat du travailnaturel du temps sur la matire car latmosphre est en fait charge de particules de pollutionqui ont pour consquence la fabrication dune patine dune autre nature, portant atteinte la conservation du mtal. Cest ce phnomne que nous pouvions observer sur la statue de


In Situ, 14 | 2010

HenriIV avant sa restauration: la patine due deux sicles de transformation patente de lasurface du bronze dans un environnement urbain pollu.

Analyse de la surfaceFigure 3

Dtail de la tte avant traitementPhot. C. Usa, 2004

10 Une observation lil nu de lensemble de la statue permet dopposer dans un premier tempsdeux types de surfaces: les surfaces vert-clair et les surfaces noir-sombre. Les surfaces vert-clair sont situes sur les parties de la statue exposes aux eaux de pluie et sur les zones decheminement des eaux de ruissellement: le flanc, la croupe du cheval, les parties suprieureset latrales des membres du cavalier.... (fig. n3) La transformation de ces surfaces est donclie laction de leau de pluie dont on connat le caractre lgrement acide en milieu urbain.Au contraire, les surfaces noir-sombre correspondent aux parties de la statue protges deseaux: le ventre du cheval, les parties en creux du cavalier, les plis du relief Dans ce cas,lencrassement des surfaces nest pas perturb par le lessivage des eaux de ruissellement ;des dpts de poussires et des particules de charbon saccumulent progressivement jusquconstituer une couche noire indure (fig. n4).


In Situ, 14 | 2010

Figure 4

Schma sur ltat des surfaces avant traitementPhot. C. Usa, 2004

11 Lobservation au microscope dune coupe en surface permet de comprendre les phnomnesde constitution des diffrentes patines prcdemment identifies. Un chantillon prlev partir dune surface vert-clair fait apparatre une couche brun-rouge au contact du mtal: lacuprite rsultant dune premire oxydation en surface. Cette couche de cuprite est recouvertedune couche vert-clair dont le niveau extrieur est en creux par rapport au niveau originelde la surface du bronze jusqu former parfois des micro-cratres. Cette couche vert-claircorrespond au phnomne de corrosion du mtal sous laction de lacidit des eaux deruissellement. La corrosion est rductrice de matire puisque le bronze est rong en surfaceet diminue en paisseur au profit de la formation dun produit de corrosion essentiellement


In Situ, 14 | 2010

constitu de sulfate de cuivre. Selon les situations, cette couche de corrosion dun aspect alorsdclin, peut galement contenir en grand nombre des sulfates de plomb (aspect ocre jaune),des chlorures de cuivre (aspect bleu-vert) et dautres sels, produits dus la dgradation desmtaux composant lalliage (fig. n5). Globalement, cette altration de nature peu compacteconstitue en surface de la statue une couche poreuse et hydrophile qui, en retenant leau, estun facteur dacclration du processus de dgradation. Du point de vue de la conservation dumatriau, plus cette couche vert-clair est paisse, plus elle est nfaste.Figure 5

Coupe transversale sur le bronze, produit de corrosion en surfacePhot. C. Usa, 2004

12 Une coupe au microscope ralise partir dune surface noire fait apparatre au-dessusde la couche de cuprite une couche indure se superposant la surface originelle de lastatueet figurant un phnomne de sdimentation. Cette crote noire est constitue dlmentsassimilables du charbon ainsi que de diffrents sels solubles dont les concentrations sontmoindres que celles rencontres dans la couche vert-clair. Dune certaine faon, la crote noirepeut aussi tre considre comme protectrice de la surface originelle puisquelle la recouvreen reproduisant toutes les traces inscrites sur la matire-matrice telles que celles laisses parle passage des rpes utilises en phase de finition.

13 Dautres analyses, ralises par diffraction X partir de prlvements en diffrents points de lapatine, ont permis de distinguer quatre principaux types de produits daltration: les sulfates decuivre (antlrite, brocantite) de couleur bleu-vert, les sulfates de plomb (anglsite) de couleurocre, les chlorures de cuivre (atacamite) eux aussi de couleur bleu vert, et un dernier mlangedatacamite, dantlrite, de gypse et de particules carboniques, de couleur noire.


In Situ, 14 | 2010

Figure 6

Formation de cratres dus la corrosionPhot. C. Usa, 2004

14 On peut dire galement que la rpartition des surfaces vert-clair et des surfaces noir-sombredpend de leur situation et plus exactement du model de la statue. Des nuances pourraienttre apportes car le relief dfinit des zones plus ou moins exposes aux eaux de pluie, ce quientrane une action ingale de leau et des variations multiples dans ltat des surfaces. Encertains endroits trs altrs, on trouve combines les surfaces vert-clair et les surfaces noires;et ces dernires semblent alors comme de petits lots en relief piquetant la surface corrode(fig. n6).

Enjeux de la restauration15 On peut dire que ltat de la surface dont nous hritons est li la situation dune matire

particulire, le bronze, dans un environnement spcifique, urbain, et que la transformationqui sopre dans le temps est aussi fonction du relief de la statue et de son exposition auxintempries. En fait, rien nest d au hasard dans la transformation de cette surface, tout estfonction des conditions physico-chimiques comme si elles taient mises en quation. Le mmeconstat peut tre fait tous les niveaux de lecture de la statue.Figure 7

Coupe transversale sur le bronze, diminution du produit de corrosion aprs traitementPhot. C. Usa, 2004


In Situ, 14 | 2010

16 Lintervention doit rpondre un premier enjeu qui est celui de la conservation de la statue;cest--dire chercher ralentir au mieux linluctable travail de la corrosion qui entrane unerduction de lpaisseur du mtal. Pour ralentir la corrosion, il faut rendre la surface du bronzemoins rceptive leau en augmentant son impermabilit (fig. n7).

17 Lintervention doit galement rpondre des exigences esthtiques et permettre une mise envaleur de luvre dont la perception est altre par le manque dunit de la surface. Avantla restauration, on observe de forts contrastes entre les zones claires et les zones sombres etces contrastes gnent la vision de luvre dans son ensemble. Le cheval semble fragmententre ses antrieurs et postrieurs vert-clair et son ventre noir. En plusieurs endroits commesur le tapis de selle, on distingue des bandes verticales noires qui barrent les surfaces et quicorrespondent des zones non lessives o un encrassement sest effectu. Sur le mollet parcontre, leffet de blanchiment de cette partie trs corrode tend effacer certains models.La prcision du travail de ciselure est perdue cause des multiples produits de corrosion quibrouillent la vision du relief dans son dtail. Afin de redonner voir luvre dart dans sonensemble mais aussi afin de retrouver la qualit originelle de la surface sculpte, les contrastesentre les zones claires et les zones fonces doivent tre rduits au mieux lchelle du toutet lchelle du dtail.

18 Le troisime enjeu de lintervention est un enjeu patrimonial li la notion dhritage, detransmission dun objet ancien auquel le temps aurait donn une valeur ajoute: la patine.Ces deux sicles couls ont faonn la sculpture, lui ont confr une patine naturelle qui fait prsent partie de lhistoire de la matire constitutive de luvre. La patine naturelle de lasurface est le rsultat de la combinaison des conditions intrinsques de la matire et de sonrelief et des conditions subies du milieu extrieur. Effacer la patine, cest effacer deux siclesdhistoire, ne pas en garder le tmoignage. Afin de respecter le passage du temps et la patinenaturelle, lintervention est ralise en conservation de la surface et de la rpartition de sesnuances.

19 Tels que dfinis prcdemment, lenjeu conservatoire, lenjeu esthtique et lenjeu patrimonialparaissent tre des objectifs paradoxaux puisque les produits de corrosion sont jugs de faonngative ou positive selon les points de vue. Mais cest limportance de lpaisseur de la couchevert-clair qui la rend hydrophile, cest la force trop grande des contrastes qui perturbe la lecture,ce sont donc certains des caractres de ces produits qui devront tre modifis sans remettreen cause leur prsence puisquils constituent galement la patine. Le protocole dinterventioncherche le meilleur compromis pour concilier lensemble des objectifs; cest un travail sur lanuance et le double aspect des choses.

Protocole dinterventionFigure 8


In Situ, 14 | 2010

Nettoyage slectif de la surface par brossagePhot. C. Usa, 2004

Figure 9

Test montrant diffrents niveaux de brossagePhot. C. Usa, 2004

20 La premire phase du protocole dintervention, est une phase de nettoyage mcanique manueldes surfaces laide de brosses mtalliques souples de tailles diverses. Le geste manuel peuttre modul et diffrents niveaux de nettoyage obtenus (fig. n8, n9). Pour les surfaces vert-clair, cette phase cherche liminer la surpaisseur pulvrulente et poreuse tout en prservantune mince couche de patine en superficie. Le brossage des zones noires permet daffiner lacrote et den adoucir les contours (fig. n10).


In Situ, 14 | 2010

Figure 10

Coupe schmatique expliquant le protocole dinterventionPhot. C. Usa, 2004

21 Aprs le nettoyage mcanique, lensemble des surfaces est abondamment rinc leaudistille. Cette phase favorise llimination des sels solubleset leur taux de concentration dansleau sale doit tendre vers une valeur basse et rgulire pour donner les garanties de lefficacitdu rinage.Figure 11

Dtail de la tte, application dune couche protectivePhot. C. Usa, 2004


In Situ, 14 | 2010

22 Le protocole se poursuit par une phase visant ralentir le travail de corrosion laide duninhibiteur de corrosion: le benzotriazole utilis dans une solution dalcool thylique (2%)(fig. n11). Une application gnreuse de cette solution est ralise au pinceau pour mettre lessurfaces en condition de bain. Le benzotriazole est absorb par les produits de corrosionet ragit avec ceux-ci afin de former des sels stables qui permettront de constituer unecouche protectrice. Mais cette action a pour effet de modifier la couleur des surfaces en leurconfrant un aspect assombri et luisant, comme mouill. La concentration de la solution enbenzotriazole, le ph du milieu et le temps dimmersion de la surface traite sont les facteurs delefficience inhibitrice du traitement et les facteurs de modification de laspect de la surface.Ils doivent tre mesurs en fonction des situations diffrencies afin dobtenir une protectionet une harmonisation des surfaces.

23 la phase dinhibition fait suite une phase de protection du mtal par la superposition de deuxfilms appliqus lun aprs lautre au pinceau sur toute la superficie. Lobjectif est dviter lescontacts entre le bronze et leau (des prcipitations atmosphriques et de lhumidit ambiante)en intercalant entre le mtal et le milieu extrieur, une couche impermable.

24 Le premier film est constitu par lapplication dun vernis acrylique adjuvant debenzotriazole, produit commercialis sous le nom dIncralac (CTS). Ce produit est rversibleet se dissout commodment avec de lactone. Sous la dilation du mtal, ce premier filmpourrait se micro-fissurer, ce qui confrerait la surface un effet de craquelures.Figure 12

Coulure noire masque par lajout de pigments dans la couche protectivePhot. C. Usa, 2004

25 Le second film protecteur doit rpondre deux problmes: lun est conservatoire et lautreest esthtique. Ce film doit protger lIncralac pour viter son usure et son craquellement. Ildoit galement permettre des corrections chromatiques trs ponctuelles en masquant certainestches noires demeures trop prgnantes et juge gnantes pour la lecture de luvre (fig.n 12). Ce second film protecteur de lIncralac et correcteur de couleur si ncessaire, estralis avec une cire micro-cristalline (par exemple la cire micro-cristalline Reswax-Spica)additionne ou non des pigments naturels et des terres colores selon les tonalitssouhaites. Il sagit dune couche sacrificielle qui devra tre renouvele rgulirement sur leszones lessives par leau de pluie. Cet entretien peut tre annuel ou dune priodicit plus oumoins espace suivant la sollicitation des surfaces (fig. n13).


In Situ, 14 | 2010

Figure 13

Schma explicatif du protocole de conservationPhot. C. Usa, 2004

26 Par ailleurs, des petites cavits ont t identifies en surface du bronze. Dun diamtre allantjusqu 2cm, elles rsultent de bulles dair formes lors de la fonte. Les plus profondes, quiconstituent des rceptacles deau et de poussires prsentent un risque pour la conservation,ont t rebouches avec un mlange de rsine poxy et de terres naturelles. Dautres cavitssont le fruit dune usure du matriau et ont t colmates afin dviter leur agrandissement.

Restitution de lperon droitFigure 14

Dtail de lperon restituPhot. C. Usa, 2004

27 Le cavalier avait perdu son peron au talon droit depuis fort longtemps. Ce petit dtail avaitdj retenu lattention dAlexandre Dumas, observateur auquel rien nchappait, qui sen servitdans une scne divresse nocturne sur le Pont-Neuf de son roman Vingt ans aprs, ouvragepubli en 1845. Pour restituer cet lment, une empreinte de lperon gauche a t ralise eta permis de faire un modle en cire. Ce modle servit dme pour la fonte en bronze du nouvelperon droit par la mthode de la cire perdue (fig. n14).


In Situ, 14 | 2010

Cas des bas-reliefs28 Le bronze des bas-reliefs est un alliage diffrent de celui de la statue; il est constitu de: 85%

de cuivre, 0,6% dtain, 11,2% de plomb et 1,9% de zinc. Il sagit dun bronze pratiquementsans tain et riche en plomb; ce dosage en fait un matriau plus tendre et plus facile travailler froid pour le ciseleur qui assure les interventions de finition. Avant restauration, les surfacesdes bas-reliefs prsentaient dune faon gnrale, une patine plus sombre que celle de la statueavec un fond noir qui effaait le travail fin de sculpture. La situation en lger renfoncement desouvrages inclus dans le socle, explique la formation dun encrassement important et ltenduede cette crote noire.

29 Le brossage manuel a permis de retrouver la nervosit du dessin en dbarrassant les surfacesdes produits pulvrulents et en dspaississant la couche de patine. Lapplication dune cirepigmente sur larrire-plan des bas-reliefs a permis une harmonisation des tonalits et unerintgration de ces parties au sein des scnes reprsentes.

30 Lors de cette intervention, la baguette dfaillante encadrant le bas-relief gauche a t complteen partie haute ; cette baguette en bronze est un couvre-joint qui assure ltanchit de lajonction entre le support et le bas-relief en applique.

Observation de la surface de la statue31 Un chantier de restauration cest aussi un moment privilgi pour la connaissance de luvre

et de son histoire propre. Lchafaudage permet dapprocher la surface et den faire uneobservation exhaustive ; le nettoyage de cette surface permet dy faire rapparatre desinformations, des traces, des dtails quil faudra interprter.

32 La signature du sculpteur se trouve sous le sabot de lantrieur gauche lev o lon peut lire:F.F. Lemot, 1818. Les deux bas-reliefs sont signs de la mme faon en partie basse aveccependant la datation de 1820. La signature du ciseleur Mesnel se distingue incise sur leharnais du cheval de la statue. Pour les bas-reliefs, on retrouve la signature de lartisan sur lescrneaux des fortifications de Paris et sur le haut de la tte du cheval de HenriIV. Les initialesE.J. sont galement prsentes sur le bas-relief Sud.Figure 15

Rparations originelles de la surfacePhot. C. Usa, 2004

33 La surface du cheval est marque par de multiples pastilles qui correspondent au rebouchagedes extrmits des jets et vents ncessaires au coulage du bronze. Huit patchs carrs deux deux symtriques sur le pourtour du cheval correspondent aux reprises des orifices laissspar les barres mtalliques de soutien de cette pice monumentale de la sculpture lors de lafabrication du moule (fig. n15).

34 De nombreux empicements assembls ou non en queue daronde sont visibles sur le cheval etrsultent des difficults survenues lors du refroidissement trop rapide de la pice monumentalequi occasionna des craquelures et ncessita des colmatages en surface. Dautres facteurs sontaussi lorigine de ces dfauts: paisseur rduite du mtal, vacuation de lair peu efficace,cassure du moule


In Situ, 14 | 2010

Figure 16

Dtail de la tte aprs traitement et marques de vandalisme par gradinePhot. C. Usa, 2004

35 La statue a t le tmoin dvnements historiques et en a gard des squelles. Des actions devandalisme ont laiss leurs traces. Ont t retrouves des empreintes de grand marteau graindorges au niveau du visage (fig. n16), du col, de la main droite du cavalier ainsi que lamorcedun trait de scie au niveau de lantrieur droit du cheval. Ces empreintes tmoignaient dunevolont de destruction de la statue vraisemblablement relative aux journes rvolutionnairessurvenues au XIXme sicle. Plusieurs tirs de balles ont impact la surface dont celui dunprojectile plus puissant ayant provoqu une corchure profonde sur lantrieur gauche (fig. n17).Figure 17

Impact de balle au niveau de lantrieur gauchePhot. C. Usa, 2004

36 Les assemblages ont fait lobjet dun relev nous renseignant sur le mode dlaboration de lastatue: le cheval a t ralis dune seule pice alors que le cavalier est la somme de nombreuxmorceaux.

37 Lobservation minutieuse de la surface et le nettoyage qui la prcde, ont permis de rvlerle travail admirable de ciselure qualifiant chaque type de surfaces avec des finitions diffrentes


In Situ, 14 | 2010

et avec une prcision iconographique rare; la cuirasse de HenriIV est pour cela dun renduspectaculaire.

Dcouverte des botesFigure 18

Localisation des objets lintrieur de la statuePhot. C. Usa, 2004

38 Lexistence dune trappe au dos du cavalier rendait possible une exploration de lintrieur de lastatue par endoscopie. Cette ouverture permit de retrouver dans lantre de bronze, sept botes.Quatre botes rectangulaires scelles en plomb, taient disposes dans le ventre du cheval (fig.n18). Le contenu de ces botes dposes lors de la crmonie inaugurale et numrotes de un quatre, tait dcrit dans louvrage de Lafolie, conservateur des monuments publics de Paris lpoque et qui avait t charg de relater les tapes de llaboration de la statue de HenriIV.Il sagissait de diffrents documents rendant hommage au Bon Roi et clbrant la restaurationde la monarchie. Trois autres petites botes cylindriques furent dcouvertes dans des situationsmoins videntes. Une bote en plomb portant le nom grav de Mesnel, le ciseleur, avait tplace en quilibre sur une planchette, dans la tte de HenriIV. Une deuxime boite similaire la prcdente mais lgrement plus petite ainsi quun tui en bois, ont t trouvs dans lebras gauche du cavalier. Ces trois objets inconnus pouvaient correspondre la rumeur selon


In Situ, 14 | 2010

laquelle des libelles anti-royalistes avaient t introduits au sein de leffigie de HenriIV parle ciseleur rput Bonapartiste.Figure 19

Rcupration des botes dans le ventre du chevalPhot. C. Usa, 2004

39 La rcupration des botes a ncessit dimaginer dingnieux systmes pour les atteindre.Les quatre botes rectangulaires situes au bas du ventre, ont t pousses laide dun btondans un sac command par deux cordes (fig. n19). Deux botes situes dans lavant-brasinaccessible ont t encolles lextrmit dune perche pour pouvoir tre retires une foisla prise faite; lclairage dune ampoule et limage transmise par une webcam ont aid auxmanuvres (fig. n20).


In Situ, 14 | 2010

Figure 20

Rcupration de deux botes dans le bras gauchePhot. C. Usa, 2004

40 Devant lintrt de cette dcouverte (fig. n21), Renaud Donnedieu de Vabres, ministre dela Culture et de la Communication, procda louverture officielle des boites lors duneconfrence de presse le 19novembre 2004.Figure 21

Ouverture des botes dans les ateliers de la bibliothque nationalePhot. C. Usa, 2004

41 Est reste au fond du ventre, une pice mtallique daspect rouill posant une nigme; carsa forme avec une double courbure et sa dimension estime, rappellent trangement la gardede lpe de la statue de Lemot (fig. n 22). La commande passe au sculpteur avait ttrs explicite : il sagissait de restituer la statue de Henri IV en bronze dtruite en 1792et la nouvelle reprsentation devait tre la plus fidle possible au modle. On avait uneconnaissance de luvre originelle de Jean de Bologne travers des reprsentations graveset travers quelques vestiges retrouvs inopinment lHtel de Ville de Paris au dbut


In Situ, 14 | 2010

du XIXme sicle. Lemot sest aid de ces deux sources dinformations. Ces vestiges quicomprenaient le bras gauche et la botte droite aujourdhui conservs au Muse Carnavalet,pouvaient-ils compter dautres pices gares depuis, dont la garde de lpe dorigine? Cettepice valeur symbolique de relique, aurait-elle pu tre glisse dans la statue de Lemot? Lematriau ferrugineux dont est forg ce morceau rouill, ne contredit en rien lappartenance la premire statue car il tait courrant dans le milieu de la Renaissance en Italie que des statuesde bronze soient ornes dattributs raliss dans un autre mtal et avec une finition diffrente.Ces questions sans rponse, mritent cependant dtre voques et laissent la porte ouverte lhypothse de la prsence dans la statue de Lemot dun vestige de la statue de Jean de Bologne.Figure 22

Pice restante dont la forme rappelle la garde de lpe de la statuePhot. C. Usa, 2004

Observation de lintrieur par endoscopie42 Lexamen exhaustif par endoscopie de lintrieur, a permis de confirmer les diffrents modes

dlaboration de la statue ainsi que les difficults de mise en uvre rencontres. La nature desterres de fusion rsiduelles, atteste deux types de faonnage selon les parties. Une terre rougedue la prsence de terre cuite pile releve sur les parois du cheval, prouve que lanimal a tralis avec la technique de la fonte la cire perdue. Par contre, sur les parois intrieures dubuste du cavalier, on trouve une terre noire riche en sable, caractristique de la fonte au sable,mthode plus ordinaire. Lexistence de nombreuses plaques boulonnes et dune importantearmature de barres mtalliques dans le ventre du cheval, tmoignent des besoins dune part deremdier aux fissurations, dfauts survenus lors du retrait contrari du mtal par un noyau tropdur, et dautre part, de renforcer la cohrence du matriau de deux centimtres dpaisseur parune structure interne forte soutenant la sous-face du ventre et rigidifiant les cts.

Restauration du socle en marbre43 Lopration sest acheve par la restauration des emmarchements formant socle et du pidestal

de la statue. Le marbre blanc dont sont composs ces lments architectoniques, subit unerosion naturelle de ses surfaces. Ses surfaces altres, qui ont perdu leur lustrage originelle,deviennent plus permables aux sels et aux sulfates de cuivre contenus dans les eaux deruissellement; ce qui entrane des coulures vertes posant un problme esthtique.

44 En premier traitement, une nbulisation a t ralise avec un produit biocide en solution(Biotin-CTS 3%) afin dliminer les mousses et les micro-organismes. Puis le nettoyagea consist en lapplication de compresses dargile (Septiolite) imbibes de carbonatedammonium en solution sature. Cette opration a permis de dissoudre les sels et dattnuerles traces vertes. Pour insister sur les parties fortement tches, ont t nouveau appliquesdes compresses imprgnes dEDTA bi-sodique en solution (10%). Mais les sulfates de cuivreont t absorbs en profondeur et il na pas t possible de les faire entirement disparatre.Quelques retouches ponctuelles par patine ont encore optimis le rsultat.


In Situ, 14 | 2010

45 Lensemble des joints a t repris avec un mortier compos de chaux et de poudres de marbrescolors. Le ragrage des micro-fissures a ncessit lemploi dun agrgat plus fin. Cette phasefinale garantit la bonne tanchit des emmarchements et du pidestal; elle permet galementune meilleure harmonisation des surfaces de ces lments architectoniques qui contribuent la mise en valeur de la statue de HenriIV.

46 loccasion de ces travaux, la technique de taille des emmarchements a t observe. Elleest inhabituelle et dispendieuse de matire: les marches ont t tailles deux deux, formantun bloc massif en querre.

Conclusion47 Dans sa philosophie, cette opration de restauration met laccent sur la valeur de la matire

historique, cest--dire le bronze transform par le temps dont on accepte le vieillissement. Leprotocole dintervention a cherch rpondre la fois aux exigences de la conservation enralentissant au mieux la corrosion du mtal et celles de lesthtique en redonnant un aspectplus homogne la statue. Le protocole a aussi cherch rpondre une exigence patrimonialeen conservant la surface originelle et sa patine naturelle au lieu de lui substituer une nouvellepatine chaud pour faire peau neuve.

48 Cette opration prouve galement que le temps du chantier est encore un temps dinvestigationet quil sagit dune opportunit propice aux avances en matire de connaissances historiqueset scientifiques. La dcouverte des botes et de leur contenu a suscit un nouvel intrt autourde la statue de Lemot et de la page dhistoire quelle illustre. Et aprs tous ces sicles passsrig en cette triomphale place, le Vert Galant peut encore se flatter de nous avoir tonns.

Bibliographie

Blengino, Jean-Michel. Inhibiteur de corrosion des bronzes, In Conservation-Restauration des BiensCulturels, ARAAFU, dc. 1990.

Dumas, Alexandre. Vingt ans aprs, vol.I, 1845.

Marabelli, M., Napolitano, G. Nuovi sistemi protettivi applicabili su opere o manufatti in bronzo espostiallaperto, In Materiali e Structure, 1991.

Leoni, M. Elementi di metallurgia applicata al restauro delle opere darte. Firenze: Opus Libri, 1984.

Marabelli, M., Napolitano, G. Nuovi sistemi protettivi applicabili su opere o manufatti in bronzo espostiallaperto, In Materiali e Strutture, 1991, I, 2, p.51-58.

Plenderleith, H. J. La Conservation des Antiquits et des Oeuvres dArt. Paris: Eyrolles, 1966.

AA. VV. Ancient Metals. Roma: ICCROM, 1980 (il curatore lICCROM).

AA. VV. Marco Aurelio, mostra di un cantiere. Roma : Arti Grafiche Pedanesi, 1984 (curatodallIstituto Centrale del Restauro).

Brachert, T. La patina. Fiesole: Nardini, 1990.

Annexe

Fiche techniqueCot des travaux (socle inclus): 49873 euros TTCMatrise douvrage : DRAC le-de-France, Caroline Piel, Conservateur en Chef des MonumentsHistoriquesMatrise duvre: SDAP de ParisLaboratoire associ: LRMH, Annick Texier, ingnieur et responsable de la section mtalDure du chantier: trois mois

Pour citer cet article

Rfrence lectronique


In Situ, 14 | 2010

Stphanie Celle et Carlo Usai, Restauration de la statue de HenriIV, In Situ [En ligne], 14|2010,mis en ligne le 10 avril 2012, consult le 12 avril 2015. URL: http://insitu.revues.org/6989; DOI:10.4000/insitu.6989

propos des auteurs

Stphanie CelleArchitecte-urbaniste de l'tat, conservateur du monument (2003-2009), actuellement conservateur desmonuments nationaux. [email protected] UsaiRestaurateur, enseignant l'Istituto Centrale per il Restauro, Rome. [email protected]

Droits d'auteur

Tous droits rservs

Rsums

Cette intervention de conservation du bronze de la statue de HenriIV tait la premire depuissa cration en 1818: on hritait de la surface originale de luvre altre par les vicissitudesdu temps et les vnements historiques traverss. Le protocole de conservation se voulaitrespectueux de cette authenticit de la patine et a cherch en laisser les marques tout enapportant une rponse pour contrer la corrosion active de lalliage. Cest en conformit auxprincipes de conservation tablis par Cesare Brandi, quont t dfinis le nettoyage slectifdes surfaces et lapplication de couches protectives sur le bronze. Par ailleurs, le moment duchantier est un moment privilgi pour observer un monument et mieux connatre son histoireparticulire. Ce chantier nous a permis de redcouvrir deux ensembles de botes dposes danslantre du cheval dans des situations parfois surprenantes.This conservation treatment for the bronze statue of Henri IV is the first since its creation in1818. While the original surface of the work remains, it has been altered by natural and humanforces; including the weathering of the material from exposure to the elements and damagecaused by historic events. The conservation protocol is respectful of this authenticity of thesurface patina and the marks of damage due to historical events, while developing a treatmentplan to counter the active corrosion of the alloy. In keeping with the principles of conservationestablished by Cesare Brandi, the treatment program defines the selective cleaning of thesurface and the application of several layers of a protective coating on the bronze. In addition,the conservation project is an opportunity to carefully study a monument to better understandits unique history. This project allowed us to rediscover two sets of boxes placed inside thecavity of the horse; an unxpected discovery.

Entres d'index

Mots-cls : extrmits des jets et vents, marques de vandalisme, dcouvertedes botes illicites, redcouverte des botes officielles, compresses imprgnesdEDTA bi-sodique, compresses dargile imbibes de carbonate dammonium,Cesare Brandi, observation par endoscopie, observation de surface de la statue,protocole dintervention sur le bronze, enjeux de la restauration du bronze, ciremicrocristalline, inhibiteur de corrosion, nettoyage slectif manuel, oxyde de cuivre,sulfate de cuivre, analyse de la surface du bronze, patine naturelle du bronze,altration du bronze dans un environnement urbain

insitu-6989-14-restauration-de-la-statue-de-henri-iv.pdf

Documents

Transcript of insitu-6989-14-restauration-de-la-statue-de-henri-iv.pdf