ingrédients pour une recette impossible Tirer les jeunes

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VOL. MMXI . . No. 1,001 AULNAY-SOUS-BOIS, BONDY, NOISY-LE-GRAND - 11 SEPTEMBRE 2011 GRATUIT Edition Speciale Comédiens émus, organisa- teurs fiers, institutions ravies, public nombreux, ciel déga- gé… pour ce projet, le climat est au beau fixe malgré un environnement incertain. Éditorial Par Erwan RUTY Au commencement était le crime. Un attentat d’une ampleur inégalée, avec des moyens et des cibles portant à leur incandescence les peurs liées à la civilisation indus- trielle : le crash aérien, la tour infernale... Le XXI ème siècle a commencé tragiquement le 11 septembre 2001. A suivi la sidération. Puis la guerre. En représailles aveugles. Et enfin la mort de l’initiateur de ces attentats, Oussama Ben Laden, dix ans plus tard. Comment se réapproprier ces événements tragiques, ne plus être de simples spectateurs passifs d’une histoire qui nous échappe, nous terrorise ou nous laisse muets ? C’est ce que l’art seul peut faire, et se propose de faire, dix ans plus tard. Par une distancia- tion, en même temps qu’un travail du corps et de l’esprit. Par le dialogue entre ceux qui étaient trop jeunes pour bien comprendre, et qui pour cer- tains se sont sentis montrés du doigt, et ceux qui repré- sentent l’autorité, le savoir, la règle. Ardente nécessité d’un dialogue renoué grâce à l’implication totale de cha- cun, là où naguère prévalaient la distance, voire la défiance. Besoin de parler, de créer un doute là où des croyances as- sénaient leurs certitudes. Par la grâce du théâtre, qui est fait de passion, de conviction, et de travail. Un travail qui est un long chemin. C’est ce chemin parcouru qui importe. D’autant qu’il les a conduits à croiser d’autres événe- ments historiques dont ils se sont aussi empreints, et qui invalidaient les certitudes des faiseurs de guerre : les « ré- volutions arabes », menées par des jeunes revendiquant démocratie et liberté de pen- ser. Au commencement du siècle était donc le crime. Et puis vint un espoir : « C’est possible !» DÉCRYPTAGE Offrir une diversité d’interprètes Ne pas toujours retrouver des co- médiens de la même classe sociale, une nécessité pour le dramaturge Arnaud Meunier. PAGE 4 INTERNATIONAL Mondialisation : l’avènement La jeunesse des quartiers populaires porte en elle de nouvelles possibili- tés de nous faire dialoguer avec le monde. PAGES 5 INSTITUTIONS L’art permet un choc sensible Henriette Zoughebi et Claude Bar- tolone racontent pourquoi Région et Département soutiennent de tels pro- jets artistiques. PAGE 6 QUARTIERS Le 11.09 vu du 9-3 Théories du complot, choc des ci- vilisations : le sociologue Mourad Hakmi a désamorcé les possibles tensions et préjugés. PAGE 8 MÉDIAS Les images du 11 septembre Entretien avec Dominique Wolton, spécialiste des médias, qui revient sur le 11 septembre et les médias, au Nord et au Sud. PAGE 7 Les meilleures recettes viennent parfois d’erreurs de dosage ou de cuisson. D’un écart entre ce qui était voulu, et ce que le hasard a finalement décidé. Ici, pourtant, rien n’a été laissé au hasard. Récit d’une véritable chevauchée fantastique qui va débouler tambour battant au Théâtre de la Ville de Paris pour faire l’ouverture de la saison 2011-2012. Et piétiner bien des préjugés grâce à un travail autour d’une tragédie fondatrice du XXI ème siècle – les attentats du 11 septembre 2001, rien de moins ! « D’un 11 septembre à l’autre » est une création théâtrale totalement hors normes, magnifique sur le papier, ir- réaliste dans un monde gouverné par tant de mammouths. Un projet fou, qui démarre avec un chef d’entreprise féru de théâtre mais totalement étranger à ce milieu et à ses codes, et qui s’accomplit avec une armada de jeunes lycéens, co- médiens amateurs de Seine-Saint-De- nis. Une aventure qui avait tout contre elle, et notamment ces mammouths à qui il fallait faire courir une course d’obstacles à une allure de sprinter. Comment cela a-t-il pu être accompli ? Par grâce de la passion, et par l’enga- gement acharné de tous, à en croire deux des porteurs de l’opération, Jean- Charles Morisseau, chef d’entreprise, Ce n’est pas possible, donc on va le faire ! Le 11 septembre 2001, un quadruple attentat frappe les Etats-Unis dans ses sym- boles les plus forts. L’Amé- rique en deuil finit à peine de compter ses morts qu’elle se lance dans une guerre contre le terrorisme. Dix ans et deux guerres plus tard, le bilan est lourd. 09/11. New York, 8h48. Un Boeing 767 percute la tour nord du Word Trade Center. Quelques minutes plus tard, un Boeing 757 frappe la tour sud. 9h40, un autre avion s’écrase sur le Pentagone. Un quatrième appareil, dont la cible devait être la Mai- son Blanche à Washington, se crashe dans un champ en Pennsylvanie. Suite à la violence des chocs, les Tours du WTC, symbole de la puissance financière américaine mais aussi du ca- pitalisme et de la mondialisa- tion, s’effondrent en direct sur les chaînes de TV du monde entier. Près de 3000 victimes sont déplorées. Depuis Pearl Harbour, c’est l’attaque la plus importante qu’ait subie l’Amérique. Très vite, Ous- sama Ben Laden et son or- ganisation terroriste, Al-Qaï- da, revendiquent l’attentat. L’Amérique déclare la guerre au terrorisme. G.W. Bush met en garde : «Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous.» Ben Laden est recher- ché mort ou vif. Protégé par les Talibans, il est pris en chasse en Afghanis- tan. En octobre 2001, la coa- lition internationale conduite par les Etats-Unis lance les premières frappes contre le régime taliban et les bases d’Al-Qaïda. Cinq semaines après le début des opéra- tions militaires, le régime est renversé. En 2002, un camp d’internement américain est installé à Guantanamo Bay (Cuba) où sont conduits les combattants capturés en Afghanistan. En avril 2003, la guerre en Irak est déclen- chée. Avec pour mission de mettre la main sur des armes de destruction massive, faire tomber Saddam Hussein, et exporter la démocratie. L’intervention américaine en Irak, contrairement à celle en Afghanistan, ne fait pas l’unanimité. De membres permanents du Conseil de Sécurité, dont la France, s’y opposent, ainsi que l’ONU. En vain. Saddam Hussein est arrêté, condamné à mort, et pendu le 30 décembre 2006. Entre temps, une vague d’at- tentats est revendiquée par ou attribuée à Al-Qaïda. A Djerba, en Tunisie, en 2002, à Bali la même année, en 2003 à Casablanca, en 2004 à Ma- drid, en 2005 à Londres… Al-Qaïda a fait des émules : AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique) notamment. 1 er mai 2011, dans une allo- cution à la télévision amé- ricaine, Barack Obama an- nonce triomphant : « We did it ! » Oussama Ben Laden a trouvé la mort dans une opération militaire améri- caine à la frontière pakista- naise. L’Amérique exulte. Dix ans et deux guerres plus tard, l’homme qui a fait trembler l’Amérique n’est plus, un démocrate a rem- placé George W. Bush à la Maison Blanche, et malgré les promesses du président américain, Guantanamo n’a pas fermé ses portes. Le re- trait d’Afghanistan et d’Irak traîne, et le dernier attentat à Marrakech nous rappelle que le terrorisme international est loin d’avoir fait ses dernières victimes. 11 septembre 2001 Retour sur des événements qui ont fait basculer l’Amérique... et le monde Par Dounia BEN MOHAMED TIRER LES JEUNES VERS LE HAUT Arnaud Meunier, 37 ans, a été nommé en janvier par Frédéric Mitterrand directeur de la Co- médie de Saint-Etienne, centre dramatique national. Diplômé de Sciences Po, il a été co- médien, formateur, et a fondé la « Compagnie de la mau- vaise graine » en 1997. Il est le metteur en scène de la pièce 11 septembre 2001, d’après l’œuvre de Michel Vinaver. Entretien avec un dramaturge qui ose prendre des risques. L’œuvre de Michel Vinaver se caractérise par son im- médiateté. Pourquoi l’avoir adaptée dix ans plus tard ? L’idée était plutôt d’interroger le présent et surtout le futur. Nous nous souvenons tous très précisément de ce que nous faisions le 11 septembre 2001, ou comment nous avi- ons appris l’évènement. Je me suis posé la question de sa- voir ce qu’il en était de jeunes qui avait sept ans à l’époque. D’autant, que ces jeunes gens viennent tous d’un même dé- partement qui fait l’objet de tous les fantasmes : la Seine- Saint-Denis. Leur adoles- cence eût été toute autre si le 11 septembre ne s’était pas produit. Dix ans après, réen- tendre ces paroles dans leur état nu, dans une chambre d’écho avec ces corps et ces voix d’adolescents, cela pou- vait permettre peut-être un mouvement réflexif à la fois sur l’évènement en tant que tel mais surtout sur ce début de XXIe siècle. Comment avez-vous eu l’idée de travailler avec des ly- céens de Seine-Saint-Denis ? J’avais beaucoup travaillé en Seine-Saint-Denis. Le déca- lage entre l’image médiatique de ce département et la réalité m’a toujours marqué. Peu de Par Ludovic LUPPINO Lire la suite page 4 Lire la suite page 2 Ingrédients pour une recette impossible Le metteur en scène Arnaud Meunier. “Toutes les nouvelles qui sont bonnes à imprimer ” © Pierre Fabris D.R ROOM E In room E We are sitting Calm and seriously Ready for the reading The writer Is listening to us The writer Is waiting for us In room E We are beginning to read The text “January The fourteenth twenty eleven” On Friday the eleventh Eloïse © Pierre-Etienne Vilbert © Pierre-Etienne Vilbert Sur scène, les lycéens du 9-3 tels que les caricatures les montrent

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VOL. MMXI . . No. 1,001 AuLNAy-sOus-BOIs, BONdy, NOIsy-Le-GrANd - 11 sePTeMBre 2011 GrATuIT

Edition SpecialeComédiens émus, organisa-teurs fiers, institutions ravies, public nombreux, ciel déga-gé… pour ce projet, le climat est au beau fixe malgré un environnement incertain.

éditorialPar Erwan RUTY

Au commencement était le crime. un attentat d’une ampleur inégalée, avec des moyens et des cibles portant à leur incandescence les peurs liées à la civilisation indus-trielle : le crash aérien, la tour infernale... Le XXIème siècle a commencé tragiquement le 11 septembre 2001. A suivi la sidération. Puis la guerre. En représailles aveugles. Et enfin la mort de l’initiateur de ces attentats, Oussama Ben Laden, dix ans plus tard. Comment se réapproprier ces événements tragiques, ne plus être de simples spectateurs passifs d’une histoire qui nous échappe, nous terrorise ou nous laisse muets? C’est ce que l’art seul peut faire, et se propose de faire, dix ans plus tard. Par une distancia-tion, en même temps qu’un travail du corps et de l’esprit. Par le dialogue entre ceux qui étaient trop jeunes pour bien comprendre, et qui pour cer-

tains se sont sentis montrés du doigt, et ceux qui repré-sentent l’autorité, le savoir, la règle. Ardente nécessité d’un dialogue renoué grâce à l’implication totale de cha-cun, là où naguère prévalaient la distance, voire la défiance. Besoin de parler, de créer un doute là où des croyances as-sénaient leurs certitudes. Par la grâce du théâtre, qui est fait de passion, de conviction, et de travail. Un travail qui est un long chemin. C’est ce chemin parcouru qui importe. d’autant qu’il les a conduits à croiser d’autres événe-ments historiques dont ils se sont aussi empreints, et qui invalidaient les certitudes des faiseurs de guerre : les « ré-volutions arabes », menées par des jeunes revendiquant démocratie et liberté de pen-ser. Au commencement du siècle était donc le crime. et puis vint un espoir : « C’est possible !»

déCryPTAGeOffrir une diversité d’interprètesNe pas toujours retrouver des co-médiens de la même classe sociale, une nécessité pour le dramaturge Arnaud Meunier. PAGe 4

INTerNATIONALMondialisation : l’avènementLa jeunesse des quartiers populaires porte en elle de nouvelles possibili-tés de nous faire dialoguer avec le monde.

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INsTITuTIONsL’art permet un choc sensibleHenriette Zoughebi et Claude Bar-tolone racontent pourquoi région et département soutiennent de tels pro-jets artistiques.

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QuArTIersLe 11.09 vu du 9-3Théories du complot, choc des ci-vilisations : le sociologue Mourad Hakmi a désamorcé les possibles tensions et préjugés.

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MédIAsLes images du 11 septembreEntretien avec Dominique Wolton, spécialiste des médias, qui revient sur le 11 septembre et les médias, au Nord et au sud.

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Les meilleures recettes viennent parfois d’erreurs de dosage ou de cuisson. d’un écart entre ce qui était voulu, et ce que le hasard a finalement décidé. Ici, pourtant, rien n’a été laissé au hasard. récit d’une véritable chevauchée fantastique qui va débouler tambour battant au Théâtre de la Ville de Paris pour faire l’ouverture de la saison 2011-2012. et piétiner bien des préjugés grâce à un travail autour d’une tragédie fondatrice du XXIème siècle – les attentats du 11 septembre 2001, rien de moins !

« D’un 11 septembre à l’autre » est une création théâtrale totalement hors normes, magnifique sur le papier, ir-réaliste dans un monde gouverné par tant de mammouths. un projet fou, qui démarre avec un chef d’entreprise féru de théâtre mais totalement étranger à ce

milieu et à ses codes, et qui s’accomplit avec une armada de jeunes lycéens, co-médiens amateurs de seine-saint-de-nis. Une aventure qui avait tout contre elle, et notamment ces mammouths à qui il fallait faire courir une course d’obstacles à une allure de sprinter. Comment cela a-t-il pu être accompli ? Par grâce de la passion, et par l’enga-gement acharné de tous, à en croire deux des porteurs de l’opération, Jean-Charles Morisseau, chef d’entreprise,

Ce n’est pas possible, donc on va le faire !

Le 11 septembre 2001, un quadruple attentat frappe les Etats-Unis dans ses sym-boles les plus forts. L’Amé-rique en deuil finit à peine de compter ses morts qu’elle se lance dans une guerre contre le terrorisme. Dix ans et deux guerres plus tard, le bilan est lourd.

09/11. New york, 8h48. un Boeing 767 percute la tour nord du Word Trade Center. Quelques minutes plus tard, un Boeing 757 frappe la tour sud. 9h40, un autre avion s’écrase sur le Pentagone. un quatrième appareil, dont la cible devait être la Mai-

son Blanche à Washington, se crashe dans un champ en Pennsylvanie. Suite à la violence des chocs, les Tours du WTC, symbole de la puissance financière américaine mais aussi du ca-pitalisme et de la mondialisa-tion, s’effondrent en direct sur les chaînes de TV du monde entier. Près de 3000 victimes sont déplorées. depuis Pearl Harbour, c’est l’attaque la plus importante qu’ait subie l’Amérique. Très vite, Ous-sama Ben Laden et son or-ganisation terroriste, Al-Qaï-da, revendiquent l’attentat. L’Amérique déclare la guerre au terrorisme. G.W. Bush met

en garde : «Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous.» Ben Laden est recher-ché mort ou vif. Protégé par les Talibans, il est pris en chasse en Afghanis-tan. en octobre 2001, la coa-lition internationale conduite par les etats-unis lance les premières frappes contre le régime taliban et les bases d’Al-Qaïda. Cinq semaines après le début des opéra-tions militaires, le régime est renversé. En 2002, un camp d’internement américain est installé à Guantanamo Bay (Cuba) où sont conduits les combattants capturés en Afghanistan. En avril 2003, la guerre en Irak est déclen-chée. Avec pour mission de mettre la main sur des armes de destruction massive, faire tomber saddam Hussein, et exporter la démocratie. L’intervention américaine en Irak, contrairement à celle en Afghanistan, ne fait pas l’unanimité. de membres permanents du Conseil de sécurité, dont la France, s’y opposent, ainsi que l’ONu. En vain. Saddam Hussein est arrêté, condamné à mort, et

pendu le 30 décembre 2006. Entre temps, une vague d’at-tentats est revendiquée par ou attribuée à Al-Qaïda. A djerba, en Tunisie, en 2002, à Bali la même année, en 2003 à Casablanca, en 2004 à Ma-drid, en 2005 à Londres… Al-Qaïda a fait des émules : AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique) notamment.1er mai 2011, dans une allo-cution à la télévision amé-ricaine, Barack Obama an-nonce triomphant : « We did it ! » Oussama Ben Laden a trouvé la mort dans une opération militaire améri-caine à la frontière pakista-naise. L’Amérique exulte. dix ans et deux guerres plus tard, l’homme qui a fait trembler l’Amérique n’est plus, un démocrate a rem-placé George W. Bush à la Maison Blanche, et malgré les promesses du président américain, Guantanamo n’a pas fermé ses portes. Le re-trait d’Afghanistan et d’Irak traîne, et le dernier attentat à Marrakech nous rappelle que le terrorisme international est loin d’avoir fait ses dernières victimes.

11 septembre 2001Retour sur des événements qui ont fait basculer l’Amérique... et le monde

Par Dounia BEn MOhAMED

Tirer les jeunes vers le hauT

Arnaud Meunier, 37 ans, a été nommé en janvier par Frédéric Mitterrand directeur de la Co-médie de saint-etienne, centre dramatique national. diplômé de sciences Po, il a été co-médien, formateur, et a fondé la « Compagnie de la mau-vaise graine » en 1997. Il est le metteur en scène de la pièce 11 septembre 2001, d’après l’œuvre de Michel Vinaver. Entretien avec un dramaturge qui ose prendre des risques.

L’œuvre de Michel Vinaver se caractérise par son im-médiateté. Pourquoi l’avoir adaptée dix ans plus tard ?L’idée était plutôt d’interroger le présent et surtout le futur. Nous nous souvenons tous très précisément de ce que nous faisions le 11 septembre 2001, ou comment nous avi-ons appris l’évènement. Je me suis posé la question de sa-voir ce qu’il en était de jeunes

qui avait sept ans à l’époque. d’autant, que ces jeunes gens viennent tous d’un même dé-partement qui fait l’objet de tous les fantasmes : la seine-saint-denis. Leur adoles-cence eût été toute autre si le 11 septembre ne s’était pas produit. dix ans après, réen-tendre ces paroles dans leur état nu, dans une chambre d’écho avec ces corps et ces voix d’adolescents, cela pou-vait permettre peut-être un mouvement réflexif à la fois sur l’évènement en tant que tel mais surtout sur ce début de XXIe siècle.

Comment avez-vous eu l’idée de travailler avec des ly-céens de Seine-Saint-Denis ?J’avais beaucoup travaillé en seine-saint-denis. Le déca-lage entre l’image médiatique de ce département et la réalité m’a toujours marqué. Peu de

Par Ludovic LUPPInO

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ingrédients pour une recette impossible

Le metteur en scène Arnaud Meunier.

“Toutes les nouvelles qui sont bonnes à imprimer”

© Pierre Fabris

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THE NEW yOrk TIMES OF 93, 11 SEPTEMBrE 2011

evénement

et Jean-Michel Gourden, directeur de l’association Citoyenneté Jeu-nesse… Ingrédients pour réussir une recette impossible.

Ingrédient n°1 : des lycéens, co-médiens amateurs qui s’engagent à corps perdu

3 lycées. 45 élèves sur le plateau, au final. Qui n’étaient pas vraiment familiarisés avec le théâtre. Com-ment y arrive-t-on ? « En faisant confiance aux élèves. Et en les pre-nant pour ce qu’ils sont : de jeunes adultes, avec des besoins d’enca-drement. » Et pourtant, rien n’était acquis d’avance. « Il y a une auto-discrimination [dans les quartiers] : le théâtre, c’est pas pour nous ! entend souvent Jean-Michel Gour-den. Mais les jeunes gens qui ont travaillé sur la pièce ont prouvé le contraire ! » Pour y parvenir, une seule solution, à en croire cet an-cien professeur d’Histoire au profil d’éducateur : « On arrive à faire bouger des choses quand il y a un engagement, quand on fait de notre travail une activité personnelle, une envie. » Un indicateur de réussite

le prouve, bien meilleur que toutes les évaluations chiffrées : « Le jour où l’on devait aller répéter au Fo-rum du Blanc-Mesnil, on était en pleine grève des lycées. Il y avait des poubelles brûlées devant la porte du lycée. Eh ! bien, il y avait 33 élèves sur 34 dans le bus ! » Un souvenir qui émeut encore Natha-lie Matter, qui au cours des cinq se-maines de répétition a encadré les ateliers avec quatre autres comé-diens : « C’est l’aboutissement de tout notre travail depuis quatorze ans, avec la Mauvaise graine. Nous avons commencé au Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis, et avons tou-jours fait des ateliers. C’est notre dernière pièce, et d’avoir réussi à lutter contre la dévalorisation et contre les clichés sur la banlieue, c’est une apothéose ! »

Ingrédient n°2 : l’immersion et le temps long

« Le plus dur pour eux, c’est de se projeter dans la durée », assure Nathalie Matter au sujet des élèves. si bien que des séances hebdoma-daires de trois heures ont été effec-tuées, ainsi que trois jours « d’im-mersion ». Outre les quatre sorties au théâtre pour se faire une idée de la chose, Marie-Laure Basuyaux, professeur de français, raconte : « pour la classe entière, on a in-tégré aux heures d’enseignement, des heures de pratique théâtrale. Ils ont fait un stage de trois jours au théâtre du Blanc-Mesnil. Puis, les élèves volontaires sont venus répéter le week-end. Nous avons mis deux mois avant de fixer le groupe, » qui compte aujourd’hui 15 élèves acteurs du lycée Voillaune sur les 45 présents sur scène. une centaine d’heures d’atelier, de travail acharné, pour les trois éta-blissements. Au lycée Jean renoir, à Bondy, cela s’est fait en deux étapes : la première, jusqu’en avril

2011, concernait tous les élèves de la classe avec une présentation aux parents. « Il fallait qu’ils se mettent à nu sur scène et opèrent un travail de groupe. » Explique Mme Tiano, professeur d’espagnol. « Nous les avons incités, jusqu’à un cap qui leur permettrait de se déterminer sur leur implication ». Pari réus-si : sur les 24 élèves de la classe, 19 monteront sur scène le 11 sep-tembre au théâtre de la Ville de Pa-ris. Mais ce n’est qu’en avril 2011 qu’a été constituée définitivement la « compagnie éphémère ».

Ingrédient n°3 : des adolescents jugés aux avant-postes du « choc des cultures »

Le regard porté par la société sur les jeunes de seine-saint-denis est souvent défavorable. Elle les voit parfois comme parties prenantes d’un phénomène qui les dépasse, celui d’une hostilité entre diffé-rentes cultures supposées. Jean-Charles Morisseau : « C’est Ar-naud Meunier qui ne voulait pas faire une pièce commémorative. Le choix de la seine-saint-denis, qu’il connaît bien pour y avoir beaucoup travaillé, avait pour but d’être en confrontation directe avec tout ce que ces événements pouvaient provoquer. » Un parti pris dans lequel Michel Vinaver se reconnaît lui aussi : « La plupart de ces élèves étaient d’origine autre que française. Il y avait toutes les couleurs dans les classes. Cela donne un relief proche des gens qui se sont trouvés dans l’événement à New york. en fait, leurs diffé-rences culturelles et sociales ont nourri la mise en scène. On labou-rait un sol qui était très fertile. »

Ingrédient n°4 : une thématique périlleuse, un péril qui devient moteur

dans l’arène des rumeurs que constituent les sociétés de commu-nication occidentales, nombreux sont ceux qui se sont brûlé les ailes en voulant traiter ces événements, en confondant histoire, fantasmes et opinions politiques. Mais « par son mode d’écriture, Michel Vi-naver rend compte de l’humanité des situations, juge Jean-Charles Morisseau. Il n’y a pas de système, que des êtres humains, selon leur logique propre, sans commentaire. Ca permet de raconter le passé ré-cent de manière poétique et non politique. C’est une pièce qui fait bouger sans politiser. »

« La pièce n’est pas engagée, ex-plique d’ailleurs l’auteur. elle ne défend pas une position, elle par-ticipe plutôt d’un théâtre du dé-gagement, des idées reçues. Mais les jeunes se sont passionnés car pour eux c’était une ouverture qui leur était offerte sur une réflexion politique qui les concernait tous dans leur vie d’individus. Je les ai trouvés pertinents. » Jean-Michel Gourden va plus loin : « Pour nous, l’important, c’est de provoquer le doute. sur le 11 septembre, sur la religion. de casser les certitudes. C’est pour ça que l’ethnologue Mourad Hakmi est intervenu dès le début du projet, dans les classes. »

Ingrédient n°5 : pas de pétrole, donc des idées

« C’est un projet très cher. Tous les comédiens sont payés. On n’a

pas voulu budgéter avant, ça nous aurait fait peur ! Alors, on a mis le projet en branle, le reste a fini par suivre ! On a tout inventé en marchant... » concède, aventu-riste, Jean-Michel Gourden. Zéro euro, tel est le budget dont les ini-tiateurs du projet disposaient au démarrage. Ils durent donc appor-ter personnellement une mise de départ, avant que d’autres hypo-thétiques bailleurs pas trop frileux acceptent de prendre le relais. Les initiateurs étaient certains que per-sonne n’aurait jamais financé une telle aventure à partir d’un simple dossier papier. Jean-Charles Mo-risseau est le premier à mettre la main à la poche : « Le mode de financement du théâtre public ne permet pas un montage aussi ra-pide des projets. Il faut au moins un an avant qu’ils démarrent. Ca aurait dû nous prendre trois ans. On a tout fait avant de savoir quel théâtre dirait oui, et quel financeur nous soutiendrait. L’article de Té-lérama [le 27 mars 2011, NdLr] a fait que tout le monde a eu envie d’y être. Cela prouve que finale-ment, le mode de financement du théâtre fonctionne quand même ! » Mais ce n’est finalement qu’en... juillet 2011 que le plan de finance-ment sera équilibré ! un équilibre qui est en lui-même un miracle...

Ingrédient n°6 : des institutions qui ont leurs codes, mais savent ne pas s’en contenter

« D’un point de vue institution-nel, raconte Michel Vinaver, cela a d’ailleurs été compliqué d’obte-nir un soutien car les institutions ne savaient pas où classer ce pro-jet très atypique. est-ce du théâtre amateur ? est-ce du théâtre profes-sionnel ? réponse : les deux ! C’est une fusion d’acteurs professionnels et d’une cinquantaine de jeunes ! »

Quant à l’education Nationale et au milieu du théâtre, ils opèrent sur des registres différents. Créer des passerelles entre les deux est le travail de l’association Citoyenneté Jeunesse. son directeur témoigne : « L’école fait de plus en plus dans les fondamentaux. Il y manque une sensibilité. Nous, on travaille sur le sensible, souvent avec des artistes qui interprètent le monde pour pro-voquer du débat démocratique (…) Mais il a fallu un engagement com-plet des équipes pédagogiques : profs d’anglais, de français, d’his-toire, de gym, proviseurs. Les faire travailler le week-end, à Pâques, à la Toussaint sans être payés, ça a été possible parce qu’ils y ont cru. Ce qui nous étouffe, c’est ce que les technocrates appellent les dis-positifs, qui nous contraignent à penser de telle ou telle manière. On est toujours dans « l’efficacité », la « réussite ». Face à tout ça, il faut de l’envie, des convictions, du plaisir. » Et de raconter : «Un des proviseurs m’a dit : Vous voulez foutre le feu chez moi ! et puis : Mais vous avez raison ! Vous allez fabriquer de la parole. Quelque temps plus tôt, ils avaient vu le film Indigènes, sans préparation avant ni après. Pendant trois semaines ça avait été le pugilat dans le ly-cée... »

« Ma conclusion, s’enthousiasme Jean-Charles Morisseau, c’est que le théâtre est encore un art moderne, capable de travailler au corps la société ! »

Ce n’est pas possible, donc on va le faire !INGRÉDIENTS POUR UNE RECETTE IMPOSSIBLE

Par Erwan RUTY

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« On arrive à faire bouger des choses quand il y a un engagement, quand on fait de notre travail une activité personnelle. »

Suite de la page 1

© Pierre Fabris

Un projet de :

la compagnie de la mauvaise graine

Soutenu par :

« Le parcours culturel que l’équipe de Citoyenneté Jeu-nesse a mis en place pour les trois lycées avait notam-ment pour objectif d’amener les élèves à voir différentes formes de théâtre, afin de leur permettre d’expérimenter la place de spectateur pour en faire un vrai projet de classe.

Ils ont par exemple assisté à une représentation de Por-nographie de simon stephen au Théâtre de la Colline, pièce qui traite des attentats de Londres en 2005, ceux de Bondy sont allés voir Elf,

la pompe Afrique de Nico-las Lambert au Grand Par-quet, traitant de la question des pots-de-vin de l’affaire des frégates de Taïwan, la classe d’Aulnay-sous-Bois a quant à elle assisté au Forum culturel du Blanc Mesnil, au Théâtre des opérations du chorégraphe Christian Bouri-gault, qui aborde la question des mécanismes de domina-tions et des difficultés de l’in-dividu pour résister à la loi des groupes… Il semblait par contre important que toutes les classes puissent voir en spectateurs le travail de mise en scène d’Arnaud Meunier, en assistant à une représenta-tion du Problème de François Bégaudeau, au théâtre du rond Point ou à Marigny.

Pour conclure l’année sco-laire et le parcours culturel, nous avons proposé à l’en-semble des élèves et ensei-gnants un temps festif au parc de la Villette, à l’occasion du concert d’Abd Al Malik en mai 2011.

Ces parcours consistaient à faire se croiser différents re-gards sur un même thème : regards artistiques (théâtre mais aussi écriture, photo-graphie, cinéma, danse, arts plastiques..), regards scien-tifiques (spécialistes des médias, ethnologue, socio-logue…), à alterner temps d’échanges et de réflexions au sein du lycée, et temps de découverte dans divers lieux culturels d’Île-de-France. »

Petit parcours du combattant culturel

PAR CAROLInA CORDOVA, CLAIRE JARREAU, AURéLIE LEPRETTE, ChARgéES DE PROJETS à CITOYEnnETé

JEUnESSE.

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THE NEW yOrk TIMES OF 93, 11 SEPTEMBrE 2011

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La superbe salle Barbara du Forum accueillait sur sa vaste scène, pour cette dernière ré-pétition avant la générale (qui a lieu à saint etienne), les 45 lycéens, comédiens en herbe. sous la direction précise, exi-geante et « bienveillante » d’Arnaud Meunier. La bien-veillance, ce terme qui revient régulièrement dans la bouche de tous les encadrants du pro-jet, est cette qualité ici trans-formée en outil qui a rendu possible la mobilisation, puis la littérale métamorphose des lycéens. sur le plateau, des plus sobres, des vêtements épars que des comédiens vont ramasser puis revêtir. Certains enfilent leurs capuches, puis les rabaissent, se découvrant, semblant jouer avec le suppo-sé « uniforme banlieusard », un de ces clichés que la pièce tente de pulvériser au passage.

sur les gradins, attentifs et silencieux, des parents

d’élèves, des membres des associations qui conduisent le projet, des profs, et des camarades de ceux qui se retrouvent par alternance sur scène.

Théâtre tous les vendredis

Parmi les adultes présents, Marie-Laure Basuyaux, professeur de français de la 1ère sTG2 du lycée Voillaume d’Aulnay-sous-Bois, voit dans ce projet une occasion de rendre attractives les matières littéraires pour ces élèves des filières technologiques : « Les élèves ont eu un parcours de spectateurs en allant voir quatre pièces. Normalement ils n’ont que vingt heures de théâtre dans l’année ; là ils en ont fait tous les vendredi après-midi. La pièce a un vocabulaire simple qui leur

a permis de lire du théâtre, chose qu’ils n’auraient pas faite autrement. » Maiv, du lycée Voillaume aussi, qui fait partie des jeunes comédiens, juge quant à elle que le plus dur est de « parler face à un public, plus que d’apprendre le texte, car le sujet est intéressant ». Elle a eu l’occasion dans le cadre de cette initiative d’aller au théâtre pour la première fois. « Merci d’avoir choisi des élèves de milieux modestes »

Après la fin des répétitions, dans une salle attenante, tout le monde se retrouve pour un buffet bien mérité, qui fait retomber la tension due à la concentration ; le tout non loin d’une pièce où trônent d’intrigantes Twin Towers… en chocolat ! Bon nombre de garçons sont alors partis s’égayer sur la dalle en face du Forum. Les autres papotent et rigolent, ados fiers et délurés à la fois. Parmi eux, en plus sage, Anne-sophie, de Voillaume, retient notamment de ce projet, ou du moins de sa partie pédagogique, l’inter-vention dans son lycée de l’ethnologue Mourad Hak-mi : « Cela nous a appris qu’il fallait réfléchir, tou-jours voir plus loin sur les questions comme l’islamo-phobie, les stéréotypes …». dimension inattendue de cette initiative : transformer certains élèves en auteurs/rédacteurs d’une mini-pièce. Ainsi, une équipe d’«

élèves-écrivains » s’est ins-pirée de la technique d’écri-ture de Michel Vinaver – le collage de témoignages ti-rés de la presse - pour dé-crire les impressions des élèves mais aussi travailler sur l’actualité récente comme la révolution tuni-sienne du 14 janvier 2011. si le texte de Michel Vina-ver, qui illustre la confusion créée par l’événement, n’a pas de parti pris politique, la question semble plus dé-licate pour les professeurs d’histoire qui se sont par-fois retrouvés en opposi-tion frontale avec certains élèves, surtout masculins.

Ainsi pour Caroline Abiven : « Le plus dur est de les faire s’interroger sur les sources, arriver à exposer clairement ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas». Déjà en diffi-culté pour traiter des sujets comme le conflit israëlo-palestinien – « c’est délicat pour tous les sujets qui tou-chent de près ou de loin à l’Islam » -, elle appréhende l’année prochaine où le 11 septembre va se retrouver au programme de Terminale : « J’espère qu’ils auront ac-quis un regard critique et une petite distance, qu’ils sauront s’interroger, qu’ils éviteront les amalgames et les généralisations comme

“nous les musulmans” ». un espoir, au hasard : diana, élève de Bondy, assure que « grâce au projet, [elle a] appris beaucoup de choses par exemple, [elle ne savait] pas que les familles Bush et Ben Laden avaient des relations aussi proches. » sur le plan artistique, les extraits du spectacle inter-prétés sur la grande scène du Forum donnent un aper-çu très abouti du résultat, au grand bonheur des parents présents : « Merci d’avoir choisi des élèves de milieux modestes » dira l’un d’eux au micro après une longue session d’applaudissements.

Ils avaient de 6 à 9 ans le 11 septembre 2001. Ils en auront de 16 à 19 lors de l’anniversaire des 10 ans des attentats. Lors d’une répétition publique le 15 avril au Forum culturel du Blanc-Mesnil, les apprentis-comédiens des trois lycées de Seine-Saint-Denis présentaient deux extraits de la pièce. Reportage entre moments de concentration et échappées juvéniles.

15 avril 2011, première confrontation avec le public au Forum du Blanc-Mesnil

« Nous étions très fébriles. Michel Vinaver est venu nous rencontrer afin de nous connaître car nous allons interpréter une partie de sa pièce (…) Nous en avons appris plus sur sa vie. Il nous a répondu clairement et sans gêne.

sa jeunesse s’est déroulée en plein pendant la seconde Guerre Mondiale. Il a dû fuir aux etats-unis car sa famille était d’origine juive. Il s’est ensuite engagé à 17 ans car il aimait son pays, la France. dans sa jeunesse, il n’était pas sûr de trouver sa place dans le monde, il était in-quiet, mais il était aussi fou de littérature. Nous avons un point commun avec lui : jeune il aimait le cinéma. Au-jourd’hui, il vit à Paris, mais il était content de venir nous voir car c’est un homme d’un naturel curieux.

Il nous a informés qu’il avait définitivement arrêté d’écrire mais qu’il n’en était pas triste. Cela nous a surpris car il y a passé toute sa vie. Il nous a dit : « Etre vieux, c’est intéressant », « J’ai eu de la chance d’échapper à beau-coup de désastres » et « j’ai eu une vie intéressante ». C’est vrai, sa vie est belle et très contrastée.

« Nous ne nous attendions pas à une telle image d’un écrivain »

Enfin, la classe a lu la pièce de théâtre qu’elle avait écrite

à la manière de Michel Vi-naver mais sur un autre évé-nement, également fort, ré-cent et important : la révolu-tion tunisienne. Il s’agissait d’un texte sans ponctuation, écrit en vers, avec un chœur en anglais, intitulé 14 jan-vier 2011. Nous avions par-tagé les rôles pour la lire. Cette lecture a été applau-die par les comédiens, par le directeur de Citoyenneté Jeunesse et par Michel Vi-naver. L’expression de son visage montrait l’émotion qu’il avait ressentie. Il nous a conseillé de continuer sur cette lancée (…)

Michel Vinaver a été très chaleureux, presque amical durant cette rencontre. Il détendait l’atmosphère en plaisantant mais il savait aussi la rendre sérieuse avec ses histoires personnelles. Nous ne nous attendions pas à une telle image d’un écrivain. Nous aimerions lui dire que c’était une belle rencontre (…) ».

Et Michel Vinaver, de convenir, en miroir : « Tout les intéressait, ils voulaient savoir qui j’étais, quelle avait été ma vie, ils me po-saient toutes les questions qui leur passaient par la tête sans aucune espèce de timi-dité. Ça ne m’a pas du tout mis mal à l’aise... Il y avait un climat positif. Ils étaient étonnés de se trouver en pré-sence d’un auteur qui n’était pas dans la tombe depuis longtemps ! »

Par Hakim, khalid, Eloïse et khiéreddine

« Il nous a conseIllé de contInuer sur cette

lancée »

« C’est une personne se-reine », assure Vishal. Un homme de taille modeste, de faible corpulence, mais c’est une autre personne quand il s’agit de parler. Il a une pa-role très expressive, c’est un bon orateur qui sait attirer l’attention de tout le monde. » Assis dans son canapé, Mi-chel Vinaver parle de sa pièce, surtout de sa pièce. Comme dans les vieilles maisons, l’horloge du salon rythme la discussion. Il y a chez cet intellectuel rigou-reux et érudit des livres par-tout, mais aussi de l’art afri-

cain. Beaucoup. Pourquoi ? On n’en saura pas plus. débit tranquille et voix douce, 84 ans de clarté pour ce survi-vant de biens des catastrophes du siècle, et notamment de la seconde Guerre Mondiale. « C’est quelqu’un qui a connu beaucoup de choses dans sa vie, qui s’est toujours battu » (Laura). Pudique, voire secret, on ne pourra raconter comment, d’origine juive, il s’est engagé dans l’armée pour combattre le nazisme, qu’il avait fui, vers les etats-unis. « Cela a dû le rendre plus fort. Ce qui nous

a marqués dans son parcours, c’est qu’il a connu l’exil » (kandee).

Michel Vinaver préfère nous raconter d’abord son 11 sep-tembre 2001. Ce jour là, il est chez lui. C’est l’après-midi, il reçoit un coup de téléphone d’un ami qui lui dit « allume ta télé !». « Je ne la regarde pas souvent mais je suis resté accroché au poste pendant des heures, j’ai eu ensuite beaucoup de mal à me lever. Ma jambe a été quasiment pa-ralysée pendant 24 heures. »

dramaturge depuis 1955, il voit tout de suite en cet évé-nement un appel à l’écriture, au travail de mémoire. « Il fallait fixer dans sa crudité et son éclat insoutenable l’évé-nement, en dehors du flot de commentaires qui allaient suivre. réfléchir l’événement et non pas réfléchir sur l’évé-nement. »

Le monde moderne comme tragédie

« Lorsqu’il s’exprime, tout semble enregistré d’avance, il ne paraît pas chercher ses mots » (Stéphanie). Dans ces tours qui s’effondrent, Michel Vinaver devine une tragédie antique, un récit bi-blique : « J’ai eu l’intuition immédiate qu’on avait à faire à un événement qui dépassait l’histoire et qui rejoignait les grands mythes de notre espèce. J’ai pensé à Oedipe, à Abel et Caïn, au déluge, à ces grandes histoires qui nous ont constitués et qui ont une particularité : ce sont des histoires qui n’ont pas de sens, mais dès lors qu’elles naissent, elles peuvent revêtir tous les sens. »

Il y a dans sa pièce des mo-ments de grâce, de la poésie. Pour le dramaturge ce n’est pas un non sens : la beauté peut émerger d’événements aussi terribles que le 11 septembre. « Je me suis dit : qu’est-ce qu’on fait avec tout ça ? J’ai

pensé à l’Enfer de dante. Il fallait que ce soit proche de la musique, j’ai pensé aux ora-torios de Bach. Les tragédies grecques sont des histoires horribles et pourtant la beauté n’a jamais été plus grande que dans ces pièces-là. »

Regarder le monde

« Il est âgé mais il n’est pas dé-passé par les temps modernes : il porte des jeans et s’inté-resse à l’actualité ! » (Tarik). Ce n’est pas la première fois que le monde moderne et son actualité inspirent l’homme. dans l’Ordinaire, pièce qui lui a permis de faire son entrée au répertoire de la Comédie fran-çaise, il conte la catastrophe aérienne survenue en 1972, dans la Cordillère des Andes, suite à laquelle seize passagers avaient survécu en mangeant les corps de leurs compagnons de voyage décédés.

« C’est un grand vivant qui aime la vie et qui n’a pas peur de se lancer dans une aventure » (Tarik). Celui qui regarde son interlo-cutrice de ses yeux bleux clairs perçants a été PdG de Gilette Italie et France pendant vingt ans. « J’ai choisi d’être des deux côtés à la fois, j’ai été un agent du système écono-mique et puis j’avais besoin par ailleurs d’être tout à fait en dehors en tant qu’écrivain. C’était ma dualité, voilà. Je n’aurais pas pu être l’un ou l’autre seulement. J’ai besoin d’être à l’intérieur et à l’exté-rieur du monde. »

L’entretien s’achève, on quitte Michel Vinaver en le photographiant. Il regarde les photos prises sur l’appareil numérique et conclut en en montrant une. « Celle-ci est bien, je regarde le monde. »

(1) Merci aux élèves du lycée Voillaume pour les commen-taires qu’ils nous ont appor-tés et sur lesquels nous nous sommes appuyés pour brosser ce portrait à plusieurs mains.

Michel Vinaver, être à l’intérieur et à l’extérieur

« Ce qui nous a marqués dans son parcours, c’est qu’il a connu l’exil. »

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Par Yannis TSIkALAkIS

Auteur de la pièce 11 septembre 2001, le dramaturge est un homme droit, brillant et attachant. Portrait à plusieurs mains(1), et finalement plein d’ombres, de cet auteur chef d’entreprise dual et discret qui, par l’art, rend compte d’un monde plein de bruit et de fureur.

© Pierre-etienne Vilbert

Par Renée gREUSARD et E. R.

© Pierre-etienne Vilbert

Récit d’une rencontre qui a eu lieu le 11 mars 2011, entre les élèves de la 1ère STG2 du lycée Voillaume et l’écrivain Michel Vinaver, auteur de la pièce 11 septembre 2001, sur laquelle les premiers ont travaillé toute l’année. Morceaux choisis d’un récit chargé d’émotion, écrit à la première personne du pluriel par les lycéens aulnaysiens.

L’auteur Michel Vinaver

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Décryptages

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« Sur la scène un chœur formé de jeunes gens inondant un beau plateau ouvert à un oratorio énergique et vital » décrit Arnaud Meunier, metteur en scène de la pièce 11 sep-tembre 2001. C’est ce que pourront consta-ter les spectateurs. Mais que sauront-ils du travail accompli pour en arriver là ? Retour sur le déroulé d’un projet d’envergure qui a transformé ses interprètes.

Après présentation et acceptation du pro-jet par les équipes enseignantes, entre mai et septembre 2010, les trois établissements ont abordé le travail chacun à leur manière. Au lycée Evariste Galois de Noisy-le-grand, on

se base sur le système du volontariat pur. Pas facile, cependant, pour des lycéens de 1ere de se prononcer sur une implication dans un monde théâtral qui leur était souvent méconnu. « Sur les 35 élèves de notre classe, 40% n’avaient jamais été au théâtre… » explique Mme Ba-suyaux, professeur de français au lycée tech-

nique Voillaume d’Aulnay-sous-Bois. Mais, à en croire une experte, Nathalie Matter, comé-dienne depuis quatorze ans de la compagnie d’Arnaud Meunier, la Mauvaise graine : « des gens qui ne connaissent pas le théâtre sont par-fois plus curieux, plus souples que d’autres qui ont des idées figées. Il n’y avait pas chez nous de volonté de faire un casting, seulement de partager largement notre envie : autant que leur jeu, c’est leur manière de se tenir, leur corps, leur couleur qui nous intéressaient. »

« Ouvrir le dialogue avec les élèves » « Petit à petit on a commencé à apprendre à se mettre dans la peau des personnages, à savoir

comment montrer les différents sentiments » explique Leslie, 16 ans, en 1ere es à Noisy-le-Grand. « J’ai aimé le moment où on manipu-lait une personne. C’était comme si pendant ce moment-là, elle nous appartenait ! » décrit, gourmand, Soumail, 17 ans, élève de 1ere sTG à Aulnay-sous-Bois. une expérience excep-tionnelle se façonne ainsi au fil des répétitions. « Ils appréciaient beaucoup d’être regardés, d’être écoutés sans être dans un rapport d’au-torité, se souvient Nathalie Matter. Mais notre exigence les a tirés vers le haut. » Ceux qui ne jouent pas participent d’une façon ou d’une autre. A Aulnay, « une vingtaine d’élèves dits

gens savent que c’est le dépar-tement le plus jeune de France, qu’il est extrêmement fourni en associations et bourré de théâtres. C’est aussi un dé-partement d’une diversité et d’une richesse très puissantes. Je sortais de dix jours de jury au conservatoire de Paris, où j’avais été frappé par le fait que les jeunes gens que nous auditionnions venaient très majoritairement de la même classe sociale et des mêmes quartiers. L’idée d’offrir sur nos plateaux de théâtre une diversité plus ample d’inter-prètes tournait dans ma tête. Quand le projet 11 septembre est arrivé, je me suis dit que c’était peut-être l’occasion. Avec le 11 septembre 2001 s’est également théorisée une forme d’islamophobie très puissante. Cela m’intéressait du coup que les interprètes de ce texte soient majoritairement issus d’un département qui est montré du doigt et, pour moi-tié, de confession musulmane.

Le 11 septembre 2001 reste

un évènement tragique. Comment parvient-on à dé-passer la confusion des sen-timents pour s’approprier sur scène un évènement d’une telle tonalité ?C’est toute la magie du théâtre : quand vous faites interpréter par une jeune fille d’origine malienne qui a un très joli accent, le personnage d’une architecte qui avait presque 70 ans et qui s’en est tirée en quit-tant la tour très peu de temps avant qu’elle ne s’écroule, elle est extrêmement concernée par le récit et on y croit vraiment. En même temps, on voit bien que ce n’est pas le corps d’une

femme blanche de près de 70 ans mais celui d’une jeune fille noire de 17 ans. La distance qu’apportent les corps et les voix théâtralisent immédiate-

ment la parole. elle amène une forme de distance qui permet de sortir du pathos englué de sentiment.

Vous avez dirigé des jeunes qui pour la quasi-totalité n’ont jamais eu d’expérience dans le théâtre. Quelles ont été les difficultés et les bonnes surprises ?Il fallait casser un certain nombre de préjugés véhiculés notamment par la télévision et des émissions comme la Nou-velle star ou Star academy, qui ont beaucoup « pollué » l’ima-ginaire des jeunes sur ce qu’est un artiste et comment on réus-sit dans ce métier. une fois cette phase d’apprivoisement passée, plus on avait une forme d’exigence avec eux et plus ils avaient la sensation d’un re-tour en fierté, d’être tirés vers le haut. Ce qui nous a émus c’est la fraternité qui s’est dif-fusée entre les élèves et qui s’est dégagée du plateau. Ils sont tous français mais repré-sentent des origines des quatre coins du monde. C’est aussi une belle manière de représen-ter les salariés de Manhattan et des Twin Towers.

« Sur les 35 élèves de notre classe, 40% n’avaient jamais été au théâtre. »

Par nadia SwEEnY et E. R.

Comment métamorphoser cinquante lycéens

Claire Rannou est délé-guée nationale de l’Anrat (Association nationale de recherche et d’action théâ-trale). Elle revient sur la ca-pacité du théâtre de rendre compte d’événements tra-giques.

« sur le plan esthétique, la chute des tours jumelles a ba-layé la verticalité symbolique du pouvoir économique qui légitimait le consensus social, le fondait en droit, comme sur le plateau de théâtre le fond de scène matérialise le pouvoir, la transcendance, l’ailleurs ouvert ou bouché contre le-quel les êtres humains du pla-teau se heurtent, ou qui mani-feste l’enfermement dans une condition humaine partagée, en dépit des différences de condition.Michel Vinaver construit une « pièce paysage » unique, un « oratorio », à partir des paroles des protagonistes et des textes du feuillet d’ins-tructions aux terroristes, qui ont pu être recueillis. Le sens émerge de leur frottement. dans la tradition de la tra-gédie grecque, le chant du

chœur passif commente l’ac-tion, tandis que les rois-pères, Agamemnon des temps mo-dernes, Ben Laden et Bush tiennent le double discours du pouvoir et de la religion, en se réclamant chacun de dieu. Mensonges auprès desquels la parole ordinaire des victimes, si peu élaborée soit elle, ap-paraît comme refuge ultime de l’humanité. Michel Vina-ver donne à entendre la fin d’un monde, et laisse espérer l’avènement d’un ordre autre, par la voix ultime d’une jeune femme sauvée par son enfant malade.d’autres artistes appartien-nent à une génération de l’après 11 septembre : ils sem-blent contraints de chercher à représenter le tragique, alors que le monde n’offre plus ni tour ni figure régnante propre à matérialiser ou à incarner la toute puissance supérieure des valeurs en cours. Sur la scène

errent alors une génération d’adultes-enfants sans père, dans un univers scénique sans verticalité sinon dérisoire : le château royal d’elseneur se présente dans un Algeco de chantier ou sous format plage, gonflable et boursouflé, dans l’adaptation d’Hamlet mis en scène par Vincent Macaigne. Sans transmission verticale ni filiation, cette génération explore donc les figures de sa solitude, et cherche à créer de nouveaux récits légendaires : ils ont recours au témoignage réel pour fabriquer les nou-veaux héros épiques (Olivier Py avec François Mitterrand, Arthur Nauzyciel avec Jan karski), ou évoquent le der-nier homme (emmanuel de-marcy-Mota et le Béranger du Rhinocéros de Ionesco). A chaque fois, le personnage se trouve seul à la fin, sur un plateau dont la scénographie évoque la relégation hors de la communauté des vivants, pyramide-tombeau, coursive d’opéra déserte, praticable perdu dans les hauteurs. Plus radicale encore, sans doute, Angelica Liddel tue le Pré-sident de la république, vide à la fin la scène de tout vi-vant, après avoir dressé un arc de triomphe de cadavres ensanglantés et inventé un nouvel alphabet, celui de la haine (Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme : un projet d’alphabétisation). La scène tragique contem-poraine serait ce terrain de jeu triste et désolé, où des enfants solitaires cherchent sans fin à prononcer une pa-role vierge de tout discours, au risque du silence.

« La parole ordinaire des victimes, refuge ultime de l’humanité »

Par Ludovic LUPPInO

Tirer les jeunes vers le hautPar Claire RAnnOU

créer de nouveaux récitsTRIBUNE

«Offrir sur nos plateaux de théâtre une diversité plus ample d’interprètes»

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© Pierre-etienne Vilbert

© Pierre-etienne Vilbert

© Pierre Fabris

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international

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Quel effet le 11 septembre a-t-il produit sur la mon-dialisation ? Après la fin de l'UrSS et la chute du mur de Berlin, l'idée d'une fin définitive de l'his-toire a émergé aux usA : il n’y avait plus du tout d'enne-mis. Pour beaucoup d'Améri-cains, le 11 septembre a été une révélation : ils avaient en fait encore des ennemis et il existait toujours des dangers avec cette seule différence qu'ils ne se manifestaient plus en termes d'Etats mais de cultures. Cette idée a été notamment portée par sa-muel Huntington avec son livre à succès « Le choc des civilisations », une tenta-tive de comprendre encore le monde en tout noir et tout blanc. depuis la mort récente de Ben Laden, les choses changent encore. On revient à une vision complexifiée du

monde.Qu’est-ce qui a changé dans le rapport que les Etats-Unis entretiennent avec le monde, depuis ? L'antiaméricanisme est le produit de l'illusion d'une puissance démesurée des Etats-Unis. Obama l'a bien compris et il connaît aussi les effets néfastes de cette représentation. Il a donc fait porter ses efforts sur une volonté forte de rompre avec la notion de choc des civilisations, en tendant la main au monde arabe. Après la révolution, il y a eu des micro-trottoirs au Caire. S'ils disaient être opposés à l'intervention en Libye, les egyptiens utilisaient le terme d'intervention occi-dentale et non américaine.

Il y a eu par le passé une émergence de modèles de

mondialisation positifs comme la créolité. Qu'a-t-on aujourd'hui à en ap-prendre ? La créolité est très inté-ressante. edouard Glissant [l'un de ses penseurs ndlr] juge que ce qui permet à des intellectuels des caraïbes de voir les évolutions du monde, c'est qu'ils sont issus de pays incartographiables. Quand on est tout petit, on voit le monde changer de manière beaucoup plus évi-dente. Cela permet de défi-nir de nouveaux modes de fonctionnement qui ne sont basés ni sur une opposition entre dominants et dominés, ni sur l'idée d'un monde avec une périphérie et un centre.

Dans les quartiers popu-laires français, le 11 sep-tembre a-t-il changé la perception qu'avaient les jeunes des Etats-Unis ?Aujourd'hui beaucoup des jeunes de quartiers ont les mêmes préjugés sur les etats-Unis que l'ensemble de la so-ciété française, mais ils savent distinguer l'Etat américain de

sa société. Ils ont même sou-vent très envie d'y aller. Il y a cette idée d'un pays qui juge ses citoyens à leur mérite et d'une société plus ouverte en matière de diversité notamment.

Ces jeunes sont-ils en train de former une nouvelle gé-nération de la globalité ? Oui bien sûr! Quand on a

une tante à Washington et un cousin à Londres, on est forcément un sujet de cette globalité. Aujourd'hui en France beaucoup de fa-milles d'origine étrangère, qu'elles soient maliennes, haïtiennes ou algériennes, sont transnationales. La globalisation ne touche pas uniquement les flux finan-

ciers, elle touche aussi les populations ! C'est ce qui fait que la France pour-rait s'appuyer plus sur sa jeunesse. Parce qu'elle est transnationale, elle est plus à même de nous faire dialo-guer avec le monde.

Propos recueillis par Renée gREUSARD

« Transnationale, la jeunesse est à même de nous faire dialoguer avec le monde »

Entretien avec François Durpaire, historien, dont les travaux portent sur la gestion de la diversité en France et aux Etats-Unis.

« L’idée des réseaux so-ciaux est venue très rapi-dement, se souvient Fabien spillman, de la société de production Veilleur de nuit, en charge notamment de l’administration de la page D’un 11 septembre à l’autre. Les lycéens des trois établis-sements qui prenaient part au projet n’avaient pas de contact direct. Il fallait trou-ver un moyen pour fédérer

le groupe. L’idée de créer un site [dédié] n’est venue que plus tard ». « Il y avait des informations intéressantes, des publications qui parlent du sujet, sur des sites que je ne serais pas forcément al-lée chercher sur Internet par moi-même », témoigne Anne sophie, en 1ère sTG au Lycée Voilhaume d’Aulnay-sous-Bois.

La page dédiée au projet sur le réseau social mondial n°1 a d’abord fait office de blog classique, avec la mise en

ligne d’informations sur le projet et sa thématique. L’uti-lisation interactive « web 2.0 » du réseau est venue dans un second temps : « Le vrai démarrage a eu lieu après le premier week-end de répé-tition. Il a fallu une rencontre physique pour que les élèves s’approprient la page », pré-cise Fabien spillmann.

« Un seul et même groupe »

« Ouii c’était super bien on a vraiment fait la rencontre des autres et maintenant il n’y a plus trois classes de trois ly-cées différents mais un seul et même groupe qui est formé !! » peut-on lire sur le « mur » de la page, peu après cette pre-mière répétition.

Anne-sophie s’étonne elle-même d’être « restée en contact avec une vingtaine de per-sonnes des autres lycées ». Safa, sa camarade de classe fait, elle, partie des jeunes comédiens de la pièce : « Maintenant tout le monde a Facebook, ça permet de se retrouver, on devient amis en commentant les photos, comme celles prises pendant les répétitions par exemple.» Et plus que ça : l’outil a largement débordé l’utilisation prévue ini-tialement, puisque les lycéens communiquaient entre eux, sans passer par les adultes, sur

les informations pratiques liées au projet… Untel avait oublié l’heure de la répétition ? Il pos-tait la question, et hop ! en un tournemain, trois autres lui ré-pondaient…

A tel point, qu’à leur propre initiative, dopés par leur ex-périence et par l’actualité, les comédiens en herbe se sont même lancés dans l’écriture d’une pièce, inspirée de la tech-nique de « collage » de Michel Vinaver. Sujet : la révolution tunisienne, au moment même de ces événements qui ont tel-lement ému en seine-saint-de-nis. une pièce dont le blog-geur révolutionnaire, devenu un temps ministre, slim Ha-mamou est le héros. et bin-go ! Par le miracle du réseau sur lequel la mini-pièce avait été mise en ligne, ce dernier est tombé sur leur travail ! Et a assuré, dans un « twit’ », avoir été agréablement sur-pris de la démarche… succès garanti de ce côté-ci de la méditerranée ! « Ca m’a scot-ché que cette personne parle de nous et soit fière de ce qu’on a fait, explique Anne-Sophie, une des « écrivains » de la pièce en question, in-titulée 14 janvier 2011. Ca nous a encouragé ; c’est une personne qu’on aurait pas connue dans la vraie vie ».

seul regret, pour safa : « J’aurais aimé qu’un améri-cain nous laisse un message pour la pièce sur le 11 sep-tembre ». Après la représen-tation au Théâtre de la Ville, peut-être ?

Rares sont les teens d’aujourd’hui à ne pas avoir leur page sur Facebook. Ces utilisateurs chevronnés des réseaux sociaux ont naturellement accompagné « par le bas », et même imité, le projet auquel ils participaient.

Par Yannis TSIkALAkIS

Le blog par-dessus les frontièresLES RÉSEaUx SOCIaUx, CaTaLySEURS DE LIENS

« Il a fallu une rencontre physique pour que les élèves s’approprient la page Facebook. »

Que pensez-vous du regard posé par la société française sur le 11 septembre ? Diffère-t-il de celui des Américains ?Nous sommes reconnaissants au peuple ainsi qu’au gouver-nement français de la solida-rité et de la sympathie qu’ils ont exprimées, dès le début, envers les victimes du 11 septembre et le peuple amé-ricain. Qui pourrait oublier la touchante première page du journal Le Monde du 12 septembre, « Nous sommes tous Américains » ? Cette so-lidarité des sentiments reflète la force des liens qui unissent nos deux pays et qui remon-tent aux balbutiements his-toriques de nos révolutions démocratiques. Elle révèle la continuité de nos valeurs communes, en particulier

notre rejet commun de la vio-lence et du terrorisme.

Qu’est-ce qui interpelle l’Amérique dans les quar-tiers populaires français ?Tout comme les français sont intéressés par les etats-unis et les américains, nous sommes intéressés par la France et les français. durant cette dernière décennie, l’Ambassade des etats-unis a étendu son champ d’action afin d’inclure davan-tage de gens à nos programmes et à nos projets. Nous pensons que c’est grâce au contact et au dialogue que nous pouvons mieux nous comprendre les uns les autres, et ce dialogue s’étend à toute la France, y compris les banlieues. Nous voulons établir et entretenir des liens avec les français, qu’ils soient à Paris,

dans des villes de province grandes ou petites, Marseille ou Poitiers ou Besançon, dans la belle et éternelle campagne ou dans les banlieues.

Ces quartiers sont-ils l’une des passerelles possibles, à l’avenir, entre la France et les Etats-Unis ? Sur quelles valeurs, projets et réalités cette convergence pourrait-elle se faire ? Concernant nos valeurs com-munes, par où commencer ? en tant qu’étudiant en littérature et culture françaises à l’Université de Californie et grâce à mes nombreux voyages ou volon-tariats dans votre beau pays, j’ai appris que la France et les Etats-Unis partagent des va-leurs telles que la démocratie, la liberté, la tolérance, le respect des différences individuelles et plus encore. en tant que Pre-mier secrétaire à l’Ambassade, je constate chaque jour que la France et les etats-unis restent des alliés et des partenaires sur des objectifs importants de par le monde grâce à ces valeurs communes qui façonnent nos perspectives.

Propos recueillis par Erwan Ruty

Le dialogue franco-américain passe aussi par les banlieues

La globalisation touche aussi les populations

Rafik Mansour est attaché culturel à l’ambassade des Etats-Unis. Il explique les raisons qui ont poussé ses services à soutenir le projet « D’un 11 septembre à l’autre ».

ThE nEw YORk TIMES OF 93 est une publication de l’association Citoyenneté Jeunesse, proposée et réalisée par ressources urbaines dans le cadre du projet « d’un 11 septembre à l’autre ».

Direction de la publication : Citoyenneté JeunesseDirecteur de la publication : Jean-Michel GourdenRédacteur en chef : erwan ruty / ruRédacteur en chef adjoint : Cyril Pocréaux / ruDirection artistique & Maquette : Charles eloidin / ruRédaction Ressources Urbaines : dounia Ben Mohamed, renée Greusard, Ludovic Luppino, Nadia sweeny, yannis TsikalakisPhotos : Olivier Culmann / Tendance floue, Pierre-etienne Vilbert, Pierre Fabris Impression : Imprimerie Grenier

Ressources Urbaines, l’agence de presse des quartiers, donne la parole aux banlieues pour rendre compte de leur complexité. Elle propose à la presse, aux associations, aux entreprises et aux institutions des articles, travaux photo et vidéo, essentiellement réalisés par des professionnels issus des quartiers. Elle organise des ateliers d’écriture et des événements à caractère citoyen afin de créer des passerelles entre les quartiers populaires et l’ensemble de la société française. Elle anime le site www.presseetcite.info

Ressources Urbaines : 01 46 07 56 31 www.ressources-urbaines.info 25 rue du Château Landon 75010 Paris [email protected]

© Pierre Fabris

© Pierre-etienne Vilbert

rafik Mansour © d.r

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THE NEW yOrk TIMES OF 93, 11 SEPTEMBrE 2011

institutions

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Les collectivités locales ai-dent de multiples projets ar-tistiques et pédagogiques sur leurs territoires. Région Ile-de-France et Département de la Seine-Saint-Denis ont sou-tenu « D’un 11 septembre à l’autre ». Claude Bartolone, Président du Conseil géné-ral et député de la Seine-Saint-Denis, et henriette Zoughebi, Vice-présidente de la Région Île-de-France en charge des lycées, nous en disent un peu plus. Entretien croisé sur leur action.

Le travail éducatif fourni à l’occasion du projet D’un 11 septembre à l’autre ne plaide-t-il pas pour un droit à l’expérimentation en ma-tière de pédagogie en milieu scolaire ? Comment les col-lectivités territoriales peu-vent-elles y aider ?Claude Bartolone : Vous prêchez un convaincu ! Il est indispensable que la rencontre entre les jeunes et les artistes ait lieu. L’accès à la culture est le ferment de l’égalité sociale. une fois ce constat établi, il faut faire entrer les artistes dans les écoles, les collèges, les lycées pour que les jeunes soient confrontés au travail de création artistique et qu’ils puissent ainsi s’approprier ces œuvres. henriette Zoughebi : Ce qui va au-delà de l’expérimen-tation pédagogique dans ce

projet, c’est l’expression des jeunes par rapport au monde contemporain, et cette ten-sion qu’offrent les artistes est ce que l’on attend de l’art : apporter un éclairage sur les bouleversements du monde. C’est différent de ce que les matières scolaires proposent,

qui est plus rationnel. Avec l’art, il peut y avoir un choc sensible, qui rencontre des ré-flexions et des témoignages. C’est par cette sensibilité que certains jeunes des quartiers populaires peuvent avoir ac-cès à l’art et aux probléma-tiques qu’il véhicule.

La place de la culture et de l’art en milieu scolaire sont-

elles suffisantes ? Que pensez-vous de projets qui auraient pour but de les développer dans le temps scolaire ?h. Z. : On peut rêver que les artistes trouvent plus de place à l’école, mais pas pour faire du socio-culturel, de l’occupa-tionnel. Il faut quelque chose de plus contestataire. Il n’y a aucun intérêt à remplacer des cours d’Histoire, de sciences ou de Philosophie par quelque chose de plus léger. Le be-soin fondamental est de com-prendre un monde complexe et étrange, et pour cela, on a besoin d’entrées multiples. Le rapport au monde que l’on a sur un plateau de théâtre est l’une de ces entrées.C. B. : L’education Nationale a intégré l’histoire de l’art dans les programmes sco-laires. Mais un enseignement où l’élève demeure passif est-il suffisant ? Je ne le pense pas. C’est pour provoquer une véritable rencontre entre les artistes et les élèves que le département a lancé en 2009 le dispositif « La Culture et l’Art au Collège » : 360 par-cours sur la totalité des col-lèges de notre territoire, avec 40 heures d’intervention artis-tique auprès des élèves. Ces projets, à l’instar de notre dis-positif de résidences dans les collèges, « In Situ », sont une véritable source d’inspiration pour les artistes : c’est durant son année au collège Gustave

Courbet à romainville, que Maylis de kérangal a écrit le Prix Médicis 2010, « Nais-sance d’un Pont ».

Comment le regard, souvent stigmatisant, porté sur les quartiers populaires peut-il être modifié (à l’instar de ce que permet le projet «D’un 11 septembre à l’autre») ?C. B. : Il faut tout d’abord que les habitants de ces quartiers soient considérés comme des citoyens à part entière, avec un accès aux mêmes droits, à la même qualité de service public que les autres. L’éga-lité républicaine, c’est ce que je ne cesse de réclamer auprès de l’etat. Par ailleurs, nous devons continuer à défendre l’excellence pour tous. La culture, dans sa dimension la plus créative et la plus nova-trice doit être accessible même auprès des publics qui en sont éloignés. C’est cette prise de risque et cette confiance dans la jeunesse qui permettent de vrais moments de grâce comme le projet D’un onze septembre à l’autre.h. Z. : Ce qui rapproche les artistes des jeunes, c’est qu’ils ont une langue, une singu-larité qui fait peur. Il peut y avoir quelque chose d’explo-sif dans ce type de rencontre. On a du mal à dire comment, mais l’art peut avoir un im-pact sur eux sur le long terme, alors que ces jeunes pensaient qu’une forme d’art n’était pas faite pour eux. Ce type de projet permet un mélange des publics, parents, élèves et habitués des théâtres, au moment où on veut enfermer chacun dans sa communauté, dans son quartier. La collec-tivité doit soutenir ce risque que prend l’artiste, quand il est exigeant, qu’il prend les jeunes au sérieux et leur donne la possibilité de donner le meilleur d’eux-mêmes. Car il y a une demande de citoyen-neté très forte chez eux, de dignité et de respect, comme ils le réclamaient en 2005. Or nous sommes à un moment de bascule sur la place de la jeu-nesse dans la société. Il faut que la situation change.

Propos recueillis parErwan Ruty

Henriette Zoughebi : “l’art permet un choc sensible chez certains jeunes” 

généRIQUETexte : Michel Vinaver Mise en scène : Arnaud Meunier assisté de Mélanie MaryChorégraphie : Jean-Baptiste André avec la complicité de Rachid Ouramdanescénographie : Damien Caille-PerretCostumes : Anne Autran-DumourLumières : Romuald Lesnéson : Benjamin Jaussaud régie générale : Frédéric gourdinChargée de la coordination des ateliers artistiques : nathalie Matter

Projet éducatif et culturel : Association Citoyenneté jeunesse sous la direction de Jean-Michel gourden

Administration pour Citoyenneté jeunesse : Catherine TeiroChargée des relations avec les partenaires pour Citoyenneté jeunesse : Sabrina BenhamoucheChargées de projets / Citoyenneté jeunesse : Carolina Cordova, Aurélie Leprette et Claire JarreauConseiller éditorial : Fabien SpillmannPresse : nicole Czarniak / Agence La PasserelleMécénat et partenariats : Patrick Marijon, Chloé Béron / kanjudirection de production : karine Branchelot assistée de Sabrina Fuchs, Yvon Parnet et Delphine Prouteau

Avec : Philippe Durand, Elsa Imbert, nathalie Matter, Stéphane Piveteau, Thierry Vu huu et des lycéens issus de trois établissements de seine-saint-Denis, le lycée Évariste Galois à Noisy-le-Grand, le lycée Voillaume à Aulnay-sous-Bois, le lycée Jean renoir à Bondy : Diana Abiassi, Yassine Abid, Sabrina Ait houmad, Sidra Aslam, Massim Assoumane, Fatih Avsar, Safa Belmokhtar, Mouna Ben Moussa, Sabrina Bessalem, Zeïneb Boughzou, Abdimanaf Boujida, Laura Calleeuw, Marion Charruyer, walid Chermak, Mathusha Christian, Ibrahim Diane, Djess, Tahirou Diombera, Pernelle Escolar, Fouad Ettaoufiq, Loïc Ferret, Dahlia habibi, Antoine herlin, Jacqueline Inimgba, warren Issaadi Achour, Sharoz kakar, Sory Ibrahim kouma, Maxime Lévêque, Leslie Lourenço, Maive Louvila, Sébastien Marteaux, Caroline Masson, Steven naudin, Frédéric Pereira De Almeida, Sindy Poorun, Priscilla Saez, guideallak kimo Sakal, Soleine Sandja, Christopher Sandot, Frederico Semedo Rocha, hi kandée Soumare, Julie Suner, Maroua Telouine, Soumail Traore

Un projet initié par Jean-Charles Morisseau avec la collaboration de Fabien spillmann.Production : Compagnie de la Mauvaise Graine / Citoyenneté jeunesse / Veilleur de Nuit Production. Coproduction : La Comédie de saint-étienne - Centre dramatique national, Le Théâtre de la Ville - Paris, Le Forum - Scène conventionnée de Blanc-Mesnil.Avec le soutien de la région Île-de-France, du Département de la seine-saint-denis, de dIAdeIs, de l’Ambassade des etats-unis d’Amérique - Paris, de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, de la Fondation sFr et de la drAC Île-de-France - Ministère de la Culture et de la Communication.Et avec l’aide du CENTQUATrE, de l’Espace Michel Simon de Noisy-le-Grand, du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers et du rectorat de l’Académie de Créteil.

remerciements : Christine Morel, danièle Labadie, Valérie Chevalier et Silvano ricci (enseignants et proviseur du lycée Évariste Galois à Noisy-le-Grand) ; Marie-Laure Basuyaux, Mohammed Nabi, Antoine Branthomme, Cécile Garnier, Caroline Abiven et François Tomasi (enseignants et proviseur du lycée Voillaume à Aulnay-sous-Bois) ; Muriel Tiano, didier karkel, Géraldine Mars, Hélène Cumin, Philippe Destelle, Denise revire, Magalie roussel et Fernand Nasari (enseignants et proviseur du lycée Jean renoir à Bondy) et toute l’équipe de la Comédie de saint-étienne.

Le texte 11 septembre 2001 / September 11, 2001 est paru chez L’Arche.

Le processus de création de la pièce 11 septembre 2001 fait l’objet d’un film documentaire, D’un 11 septembre à l’autre, réalisé par Guy Girard, qui sera diffusé sur FrANCe 2.

Claude Bartolone © d.r

Henriette Zoughebi © d.r

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evénement / Médias

Quelle image les médias ont-ils don-né et figé du 11 septembre 2001 ?Ce qu’il reste pour tout le monde, c’est la tragédie, une espèce de fo-lie en boucle. Une preuve que c’était impensable que des choses comme ça arrivent aux Etats-Unis, surtout sur les Tours jumelles, les plus sym-boliques de la puissance américaine. Tout le monde était tellement incré-dule que l’on avait besoin de revoir ces images. elles représentaient plusieurs symboles : la peur du ter-rorisme, la peur de la guerre et l’ef-fondrement de la première puissance mondiale. Devant les tours qui s’ef-fondrent, il y avait un sentiment d’ef-froi renforcé par l’impuissance des etats-unis. Paradoxalement, cela représentait également un symbole pour les pays arabo-musulmans et du Tiers Monde, avec le sentiment que les etats-unis n’étaient pas tout puis-sants et que l’on pouvait les battre. Une forme de revanche par rapport à ce qu’il s’est passé pendant vingt ou trente ans. depuis, on est sorti de cette impression d’apocalypse.

Va-t-on assister pour les dix ans à un traitement digne d’un anniver-saire ?Oui et non. Les révolutions arabes du début de l’année ont relativisé com-plètement cette espèce de certitude selon laquelle le terrorisme était le seul avenir. Le vent de la démocratie

est reparti à partir de peuples dont on disait qu’ils n’étaient pas faits pour la démocratie. Ca, c’était complètement imprévu. Je pense donc que cette vi-sion noire qu’il y a eu pendant dix ans est terminée. Hélas, ces dix ans ont entraîné une forme d’ostracisme, de racisme ambiant, d’humiliation des immigrés, de méfiance sur le monde arabo-musulman jusqu’à la guerre d’Afghanistan, parce qu’avec celle d’Irak, elle est l’une des consé-quences tragiques du 11 septembre.

Un an après le 11 septembre, lors d’une interview sur la Télévision Suisse Romande, vous invitiez les médias occidentaux à éviter de laisser entendre que « les morts du nord valent plus cher que les morts du sud ». Qu’en est-il aujourd’hui ?La victoire de l’information occi-dentale, c’est à la fois une victoire de la démocratie par l’information et une forme d’impérialisme cultu-rel. Les occidentaux ont les moyens techniques et financiers pour cou-vrir les informations du monde mais ils les couvrent à leur manière et du coup ce n’est pas la vision des autres. Le conflit culturel continue de s’accroître. Mais pour la pre-mière fois, l’émergence de chaînes de télévisions telles qu’Al Jazeera,

a apporté une forme de pluralisme à l’information.

Les médias occidentaux ont-ils réussi à éviter cet effet boome-rang ?C’est un peu trop tôt pour le dire. La vraie question c’est : serons-nous ca-pables de respecter la diversité cultu-relle dans le monde, d’organiser cette cohabitation, d’admettre le pluralisme des visions de la politique, de l’his-toire, etc. ? Les inégalités dans la mon-dialisation de l’information comme de la culture et de la communication et l’émergence des conflits culturels re-présentent un enjeu central. Mais, elles ont été masquées par d’autres évène-ments comme la crise du capitalisme économique et financier, le réveil du monde arabo-musulman, la mobilisa-tion, presque partout dans le monde, de la lutte pour l’écologie et surtout la victoire d’internet qui s’est développé à toute vitesse. La mondialisation de l’information par Internet est un pro-grès très ambigu. Ce n’est pas parce que vous avez un milliard et demi ou trois milliards d’internautes que vous avez une cohabitation des points de vue. Il y a une espèce de confusion entre la formidable liberté que permet Internet et en même temps ce qui y cir-cule comme vision du monde. Toutes ces questions posées par le 11 sep-tembre sont encore devant nous.

Comment expliquez-vous ce boom d’Internet avec le 11 septembre ?On a connu cela avec toutes les techniques de communication : le télégraphe, le téléphone, la presse écrite, la radio, la télévision et au-jourd’hui Internet. elles ont tou-jours été des techniques de liberté. Elles ont toutes eu leurs revers et Internet aura le sien. si on ne ré-gule pas Internet, cela peut être

autant la poubelle que la démocra-tie. L’homme n’est pas meilleur avec Internet, donc c’est stupide de s’imaginer qu’Internet, c’est naturellement la démocratie. C’est un outil dans la bataille pour la dé-mocratie et cela peut aussi être un outil formidable dans les dictatures et pour la répression. Aujourd’hui, il y a une fascination naïve pour ce progrès technique qui empêche de voir les inconvénients politiques. Il ne peut rester un outil démocratique que s’il est régulé. Pour l’instant, personne ne veut en entendre parler parce que les gens s’imaginent que la régulation c’est la restriction de la liberté alors que c’est ce qui per-met de protéger la liberté. On l’ad-met pour la presse écrite, la radio et la télévision. Pourquoi ne l’admet-on pas pour Internet ?

Pourquoi le 11 septembre a été un élément moteur dans le dévelop-

pement d’Internet avec d’autres versions des événements comme la diffusion des théories du complot ?Parce que tout va trop vite, alors personne ne contrôle l’information. La concurrence est impitoyable. Internet est un immense magasin à rumeurs. Par définition, les théo-ries du complot qui surgissent tou-jours lorsqu’il y a des évènements tragiques comme ça, ont repris. Les Américains eux-mêmes ont utilisé une forme de théorie du complot pour justifier la guerre en Irak, à cause d’armes de destruction mas-sive. Dès que vous avez une mon-dialisation de l’information, vous avez des risques de manipulation, de rumeurs. C’est la raison pour laquelle je conseille que les mé-dias et les journalistes continuent à avoir le contrôle.

Propos recueillis parLudovic LUPPInO

dominique Wolton : « les images du 11 septembre, une espèce de folie en boucle »

Spécialiste des médias, direc-teur de l’Institut des sciences de la communication du CNRS, le sociologue Dominique Wolton revient sur le traitement par les médias du 11 septembre et des événements qui ont suivi .

« Il y a une fascination naïve pour ce progrès technique. Internet ne peut rester un outil dé-mocratique que s’il est régulé. »

écrivains ont rédigé une pièce à la manière de Michel Vinaver sur la révolution tunisienne, qu’ils ont lue à l’auteur. C’était un moment très fort » se souvient Mme Basuyaux.

« Après ça, on n’est plus la même personne »

Outre le projet artistique, un travail pédagogique autour des évènements du 11 septembre, est mis en place dans chaque établissement. « Nous n’étions pas très à l’aise de devoir aborder ce sujet avec les élèves. Ce projet nous a en donné une très belle oc-casion, » reconnaît Mme Basuyaux. « Le fait qu’il y ait eu cette pièce a permis, à partir de dialogues vrais, de revivre l’attentat et donc de se reposer un certain nombre de questions et d’ouvrir le dialogue avec les élèves» insiste à son tour M. Tomasi, proviseur du ly-cée Voillaume. Qui plus est, les élèves finissent par se passionner pour le projet : « Avant, je ne savais pas ce qu’était le théâtre, à part les clichés habituels : être dans une salle et s’ennuyer ! » rigole Sabrina, d’Aulnay. « Maintenant je m’y intéresse, ainsi qu’à d’autres œuvres littéraires comme le roman. Ça a rendu cela plus accessible. Après ça, on n’est plus la même personne. »

« J’ose beaucoup plus de choses »Des dizaines d’heures de cours ratées, des emplois du temps chamboulés, des professeurs mobilisés une an-née durant pour ce projet pharaonique... rien de bien rassurant pour des équipes pédagogiques dont l’une des fonctions consiste à mener ces classes vers le bac de Français en fin d’année. résultat ? Ce sont les élèves qui en parlent le mieux : « Ça nous a demandé beaucoup de temps. Pour aller jusqu’au bout, il fallait le vivre à fond » s’exclame Leslie, de Noisy. « Mais mes résul-tats n’ont fait qu’augmenter. Ça n’a été que positif par rapport à ma scolarité et à moi-même, ma confiance en moi. Aujourd’hui, j’ose beaucoup plus de choses. » Et Diana, de Jean renoir (Bondy), 16 ans, de se vanter : « J’ai eu 17 à l’oral de français. Même si je connaissais mes textes, je sais que le fait de prendre un ton assez vif pour ne pas ennuyer l’examinateur, de parler fort et distinctement, c’est grâce au théâtre. »

« Ca a développé une image positive de l’adulte encadrant »

rien à dire : « Projetés dans un milieu professionnel qui leur a fait confiance mais qui leur a imposé des exigences de comédien, ça les a poussé au-delà de leurs limites », juge Mme Tiano. Jean-Michel Gour-den, directeur de Citoyenneté Jeunesse et l’une des chevilles ouvrières du projet, raconte : « Il y a un besoin d’encadrement de ces jeunes adultes. Arnaud Meunier a trouvé la bonne manière de leur parler sans poser de question, sans s’excuser, seulement en étant bienveillant. Il disait : Je ne répéterai pas deux fois les exercices, et ça va aller de plus en plus vite ! Les jeunes s’accrochaient, en voyant qu’ils étaient largués. et là, il y a eu une solidarité qui s’est mise

en place entre eux. et lorsqu’on s’est demandé si ça allait poser un problème de toucher le corps d’un autre, ce qui est très important au moment où on a 17 ans, où on a le plus de mal avec son corps, on y est quand même arrivé : on a juste travaillé par-delà les gloussements que ça provoquait au début ! »« Le théâtre leur a permis de se dévoiler et d’exis-ter, estime la professeur d’espagnol de Bondy. Pour certains, ça a eu des répercussions scolaires specta-culaires tout en développant une image positive de l’adulte encadrant, avec un rapport de confiance ».

« Un seul projet ne fait pas une vie »Le tout, et Jean-Michel Gourden s’en flatte, sans transformer les adolescents en « chiens savants » : « L’un des messages qu’ils s’envoyaient via les blogs ou Facebook, c’était quand même : vous avez raté quelque chose, il y avait plein de beaux mecs ! » A en croire Michel Vinaver, « certains ont pris goût à une activité à laquelle ils n’avaient jamais pensé : le théâtre. S’ils veulent continuer, il faudra les aider et les soutenir. Le projet ne s’arrête pas à cette re-présentation. » Mais pour Nathalie Matter, coordina-trice des ateliers, « ça va être difficile de tempérer les rêves de certains parents qui ont fini par voir ça un peu comme la star Ac’ ! Il leur faudrait d’autres pro-jets : un seul projet ne fait pas une vie… Avec nous, lors des représentations, ils seront pris comme des pros. Mais ils redeviendront des amateurs après ! » Avoir renforcé les liens entre élèves et profs, avoir rendu tout son sens à une scolarité parfois mal vécue n’est pas le moindre des mérites de ce projet. Mais il a peut-être aussi suscité plus que des vocations : l’opportunité de mieux se connaître soi-même.

Comment métamorphoser cinquante lycéens

guy girard, réalisateur, la soixan-taine, est né à Vitry-sur-Seine. Il n’avait jamais filmé la banlieue pa-risienne telle qu’elle existe depuis 30 ans. C’est par Jean-Marc giri, pro-ducteur, directeur de la société de pro-duction Veilleur de nuit, que le projet lui est parvenu. A travers leur film, ils captent l’énergie de la jeunesse des quartiers.

Guy Girard n’est pas tombé de la der-nière pluie. Des centaines de films vidéo ornent le bureau de montage, où il tra-vaille avec sa femme, chez lui. Et, sans doute, des dizaines de milliers d’heures de film et de pellicule sont déjà passées devant ses yeux, qui restent encore lar-gement capables d’émerveillement. Aussi, c’est un véritable cri du cœur que le sien, au mitan du film qu’il réa-lise sur le projet « d’un 11 septembre à l’autre ». Ou plutôt, sur les jeunes élèves qui en sont la chair, sur leur rapport au monde, aux adultes.

Filmer une métamorphose« J’ai voulu filmer une métamorphose. Au début, quand j’entendais les élèves, je me disais : ce projet est infaisable ! Ils avaient du mal à lire, ils parlaient tellement bas qu’on ne les comprenait même pas… six mois après, ils jouent avec une vraie sensibilité ». Jean-Marc Giri, même s’il n’était pas « H24 » aux manettes, l’a aussi pressenti : « Ils sont ados, ils évoluent très vite, un projet comme ça les transforme. » Comment cette métamorphose a-t-elle pu être fil-mée ? Car à l’en croire, il n’y a jamais eu de tension, la caméra a été plutôt rapidement adoptée, même si certains jeunes élèves voulaient jouer face à elle, se mettre en scène – ce qui est pour le moins normal. « Pour y arriver, il faut juste attendre qu’un miracle se produise ! Un imprévu. Saisir quelque chose qui illumine tout d’un coup cette pièce. » Certes, « il faut du temps ». Les entretiens qui parsèment le film n’ont été réalisés qu’après six mois de tournage. et après des mini-portraits individuels, face caméra. Certes, le teaser, réalisé dès la période de Noël, et qui leur a été montré, a aussi aidé. Mais il y a autre chose : « Il a juste fallu leur faire comprendre que c’était bien intentionné .» Et là, il y a rencontre avec la méthode de travail d’Arnaud Meunier, qui fonctionne à la bienveillance, cette bienveillance d’ailleurs qu’il demande à ses ac-teurs eux-mêmes.

Les clichés sur la banlieue« Filmer le travail dans un théâtre pen-dant des heures, c’est claustrophobique ! Il fallait donc ouvrir sur le monde, ouvrir des transversales. Trouver des caractères pour s’identifier : l’essence de la pièce, c’est un groupe, pas quelques acteurs. Il fallait éviter de stariser. Alors je leur ai fait parler de la banlieue. de leur ban-lieue. Pas de celle de la télé. Même si la télé est un vrai personnage dont tout le monde parle. Ils n’ont pas une image an-gélique de la banlieue, mais tous disent : ce n’est pas comme à la télé. » Jean-Marc Giri, avec Veilleur de nuit, avait déjà filmé un projet comparable, sur le long terme, autour du rugby dans les quartiers. « On voulait avoir un clé d’accès à ce territoire, avec ses zones de fracture, et ce qu’on a découvert va à l’encontre des clichés : c’est qu’il y a de l’enthousiasme, pas de démission des ser-vices publics, de l’ambition et beaucoup d’énergie. Il faut se laisser charmer ! » Mais ce qui a aidé le réalisateur à per-cevoir ces réalités, c’est aussi et sans doute son origine : « J’y ai vécu, et les clichés sur la banlieue, dès les années cinquante, il y en avait déjà. Alors, pour ce documentaire, j’ai décidé de filmer beaucoup de rencontres dans des parcs. A la manière de renoir, dans Partie de campagne. »

Pas de politique, juste du poétique« Le travail nous a servi de fil conduc-teur, assure Jean-Marc Giri. Chemin faisant, on va découvrir l’environne-ment des élèves, leurs doutes, leurs as-pirations. On va cheminer avec eux sur l’islam, le voile, le terrorisme, Ben La-den etc. Mais sans thèse, juste avec un regard frais. » Ce n’est pas le discours qui est recherché, seule « la vérité des situations ». Là encore, le film rejoindra finalement la pièce de Michel Vinaver, dans ses at-tendus : pas de politique, juste du poé-tique. « Mon but est de faire un film poétique, avec de l’émotion, de l’hu-mour, et une qualité de parole qu’on voit rarement dans les films sur les quartiers. Parce qu’il n’y a pas de clichetons. Ils se lâchent quand ils parlent, et ça sonne. »

Le film, acheté par France télévisions (et qui sera diffusé par France 2), se terminera au lever de rideau du théâtre de la Ville le 11 septembre 2011. un an après le début des répétitions. Il s’agira d’un long métrage documen-taire. « Sur la même veine que Rêves dansants de Pina Bausch », propose Jean-Marc Giri.

Par Erwan RUTYSuite de la page 4

« Je veux faire un film jubilatoire ! »

© Pierre-etienne Vilbert

© Pierre Fabris

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THE NEW yOrk TIMES OF 93, 11 SEPTEMBrE 20118

Quartiers

Mourad hakmi est ethnologue. Il as-sure des cycles de formations pour les travailleurs sociaux et intervient en milieu scolaire. Dans le cadre du projet D’un 11 septembre à l’autre, il a tra-vaillé sur les évènements de 2001 avec les élèves des trois classes impliquées. Objectif : provoquer des interroga-tions sur les événements eux-mêmes et les discours qui s’y sont rattachés, avant de se lancer dans la partie plus artistique du projet. Rencontre avec un démineur.

Pourquoi avez-vous travaillé sur le 11 septembre avec ces lycéens de Seine-Saint-Denis ?Nous avons un partenariat de longue date avec l’association Citoyenneté Jeu-nesse, qui m’a demandé d’intervenir. La dimension politique de la vie sociale est fondamentale, et on a peu l’occasion d’appréhender cet angle-là avec des pu-blics scolaires. Le 11 septembre focalise des représentations très fortes autour des théories du complot et du choc des civi-lisations. Or, lorsqu’on voit les consé-quences qu’ont eu les évènements, il est fondamental de déconstruire les repré-sentations qui y sont associées.

Qu’est-ce qui vous a marqué dans la vision que les élèves avaient de cet évè-nement ?La place que pouvaient avoir, pour cer-tains, les théories du complot. Il y en a une

en particulier, qui m’a frappé, c’est celle des Illuminati. Cette théorie était relative-ment répandue, au moins dans l’une des classes. dans cette théorie, les Illuminati sont censés avoir une telle toute puissance que je me suis demandé si certains élèves ne m’associaient pas à ce mouvement ! Cela traduit le sentiment d’être manipulé, que des choses nous sont cachées.

Sur quels éléments avez-vous principa-lement travaillé avec eux ?Il y a eu deux séances par classe. La première, consacrée aux définitions, à un retour sur l’évènement, ses causes et ses conséquences. On a tenté de définir les thermes : terroriste, islamiste, mu-sulman etc. Ça a beaucoup marqué les élèves car ils n’ont pas l’habitude qu’on leur pose des questions autour de la reli-gion à l’école. dans certaines classes, no-tamment à Bondy, ils étaient très friands de savoir comment les choses s’étaient concrètement passées. Je venais avec des extraits de films et on pouvait échanger sur ces questions-là. Je leur ai demandé d’interroger quelqu’un de leur entourage qui avait au moins 15 ans au moment des

évènements. L’idée était de s’interroger sur comment un évènement peut s’ins-crire dans la mémoire collective et indi-viduelle. La deuxième séance consistait à revenir sur cette théorie du complot et surtout sur la notion de choc des civili-sations, l’occident contre l’islam ou les musulmans. Il fallait appréhender cette problématique du choc des civilisations et la déconstruire.

Il y a des appréhensions distinctes entres les différentes classes. Pourquoi ?Ça tient certainement aux différences culturelles du quartier, mais aussi et sur-tout à des dynamiques de classe. dans un même établissement on peut avoir deux classes dont les dynamiques sont radica-lement différentes.

Qu’est-ce que ce travail leur a apporté selon vous ?Ça a permis de poser les choses à plat. Lorsqu’ils sont allés travailler sur le texte de Michel Vinaver, les principales ques-tions avaient été soulevées. Un travail de défrichage avait été amorcé, que les en-seignants ont continué et c’est le fort in-vestissement des équipes éducatives qui a fait la réussite du projet. Ce qui ressort, par exemple de la classe d’Aulnay, au tra-vers de leurs écrits, c’est qu’ils ont retenu que le monde est complexe.

Propos recueillis parnadia Sweeny

« Si il n’y avait pas eu cet évè-nement notre vie aurait été dif-férente, les systèmes de sécuri-té, notre vigilance, les pensées auraient été différentes. C’est tout un système qui s’est mis en place après ça. Les clichés sur les musulmans n’auraient pas été aussi élevés : Arabe = musulman = terroriste. Si cet attentat n’avait pas eu lieu, ce cliché n’aurait pas pris nais-sance et même si il avait pris naissance, il n’aurait pas été aussi fort. en France il y en a plein d’autres : c’est comme quand on dit que dans le 93, on est tous des racailles ! » Maxime, 17 ans, Bondy

« Aujourd’hui, je crois moins ce qu’on raconte sur les atten-tats. Je me pose beaucoup de questions : Ben Laden est-il vraiment mort ? La guerre en Irak était-elle justifiée ? Je ne crois plus rien. En revanche, le 11 septembre a changé l’image des Etats-Unis. Avant, tout le monde pensait qu’ils étaient invulnérables parce qu’ils sont la première puissance mon-diale. Aujourd’hui, on se rend compte qu’aucun pays n’est intouchable. d’un côté, ça a peut être été bénéfique pour eux qu’ils se rendent compte de leur faiblesse. » Soumail, 17 ans, Aulnay-sous-bois

« Je ne me souviens pas du tout des évènements. Mais ça a augmenté l’islamophobie. On est plus méfiant envers les gens qui viennent du Maghreb et on a tendance à croire que tous les arabes sont des islamistes. C’est faux, je connais des arabes qui sont chrétiens ! »Marion, 17 ans, Noisy-le-grand

« J’étais petit quand c’est ar-rivé, je n’avais pas réellement conscience de la gravité des évènements. Mais, je n’ai pas vu de différence après le 11 septembre. Je me fais souvent contrôler par la police parce qu’on pense souvent qu’arabe = voleur. Mais ça n’est pas lié au 11 septembre, ça a toujours été comme ça. » Abdi, 17 ans, Noisy-le-grand

« en 2001, j’étais trop petite et je ne me souviens pas des évè-nements. Mais pour moi, c’est un évènement qui a bouleversé le monde. Tous les adultes ont du se dire, ouaouh, la guerre est déclarée ! Les discours de Georges W. Bush et de Ben Laden, même si ils paraissent diamétralement opposés, sont en fait très ressemblants. » Diana, 16 ans, Bondy

Propos recueillis parn.S.

Micro-entretiensLe 11 septembre vu par… cinq élèves qui ont participé au projet.

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© Olivier Culmann / Tendance FlouePhoto extraite de la série « Around » dédiée aux attentats contre les Twin Towers.